In vivo #5 FR

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Penser la santé N° 5 – MARS 2015

L'intestin un autre Cerveau

TRANSPLANTATION FÉCALE / POUVOIR DES BACTéRIES / RéVOLUTION MéDICALE BERNARD PéCOUL «Les pharmas négligent les maladies des pauvres» TOURISME MéDICAL Gare aux turbulences! ENQUÊTE Les dangers des maladies taboues Edité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO le langage de l’apparence


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El Bibliomata / El mundo fisico, 1882

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IN VIVO / N° 5 / mars 2015

SOMMAIRE

FOCUS

19 / RECHERCHE L’intestin, un autre cerveau Le décryptage du microbiote pourrait révolutionner le traitement de nombreuses maladies PAR MELINDA MARCHESE

MENS SANA

28 / INTERVIEW Bernard Pécoul: «Les pharmas ne s’intéressent pas aux populations pauvres» PAR SOPHIE GAITZSCH

32 / DÉCRYPTAGE La guerre des prix PAR ERIK FREUDENREICH

35 / TENDANCE Tourisme médical: gare aux turbulences PAR JULIE ZAUGG

40 / PROSPECTION Sous les pavés, la psychose PAR JEAN-CHRISTOPHE PIOT

42 / DÉCRYPTAGE PAR CÉLINE BILARDO

45 / aperçu La toxicité des faux espoirs PAR BERTRAND TAPPY

«Clostridium difficile» (ici obtenue par photomicrographie) est une bactérie présente dans les intestins d’un grand nombre d’individus. (lire p. 19).

JENNIFER HULSEY/CDC/SCIENCE PHOTO LIBRARY

Substances toxiques: la menace de l’intérieur


sommaire

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CORPORE SANO

IN SITU

49 / PROSPECTION

08 / Health Valley

Hyperactifs et maladroits: même combat PAR MARTINE BROCARD

Des PME qui font le lien entre les Universités et les pharmas

52 / TABOU

15 / Autour du globe

Docteur, j’ai honte, je suis malade

Des lamas contre le sida

56 / INNOVATION Le cœur qui fait tic-tac PAR CLÉMENT BÜRGE

60 /

TENDANCE

Le paradoxe du gluten PAR MARTINE BROCARD

64 / EN IMAGES Retour vers le futur PAR MELINDA MARCHESE

CURSUS

71 / CHRONIQUE «Nous devons lutter pour une médecine humaniste»

72 / PORTRAIT Christèle Rutishauser est ergothérapeute, spécialisée dans le domaine de la gériatrie.

74 / TANDEM La chercheuse Anne-Sylvie Ramelet et la clinicienne Françoise Ninane.

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Wonge Bergmann, Heidi Diaz, Embarassing Bodies, JAVIER SORIANO/AFP

PAR CLÉMENT BÜRGE


Editorial

Chose promise, chose tue

Patrick dutoit

Béatrice Schaad Responsable éditoriale

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Il est sur son lit, déjà partiellement paralysé. Au point qu’enfiler un pull lui coûte d’inestimables efforts et qu’il doit être aidé. Sa femme s’y prête de bonne grâce mais ce jour-là, leur bébé hurle dans une autre pièce et elle laisse son époux en plan. Le pull est à moitié enfilé, la tête n’a même pas passé l’encolure. Stephen Hawking reste assis plusieurs minutes, prisonnier vestimentaire. Ses yeux cherchent un peu de lumière par-delà les mailles. Et c’est ainsi qu’une question qui occupera l’entier de sa vie s’impose en une fraction de seconde: un trou noir est-il à l’origine de l’univers? L’histoire de la recherche est truffée d’anecdotes merveilleuses qui relatent comment un chercheur, à la faveur d’une situation parfois totalement quotidienne, a eu une intuition. La science a progressé grâce à ces fulgurances. C’est sa force, son carburant depuis toujours. Ce qui a changé cependant, c’est que si un chercheur testait autrefois ses hypothèses dans le secret de son laboratoire avant d’en faire état publiquement, aujourd’hui intuition et communication se pratiquent simultanément, fusionnées dans une même temporalité. On annonce ce qui pourrait advenir de la recherche avant même d’avoir obtenu des résultats. La peau de l’ours est vendue trois fois alors que l’animal lui, court toujours. Ainsi avec l’apparition d’internet Al Gore n’avait-il pas promis dès 1994, «une extension sans précédent de la liberté humaine»? Alors certes, la promesse contient son lot d’utopies et d’élans; elle est l’expression des désirs des créatifs qui ne se satisfont pas de la réalité telle qu’elle est. Elle inspire des choix concrets économiques ou politiques. Toutes choses qui la rendent donc indispensable pour persévérer face aux âpretés et lenteurs de la recherche. Mais en médecine, la promesse peut aussi être terriblement délétère. Motivée parfois par la pression économique grandissante de devoir protéger ses idées de la concurrence, elle est susceptible de créer chez les patients de fausses attentes et de cuisantes désillusions. Ce que les auteurs d’un livre à paraître nomment «la toxicité des faux espoirs» (lire en page 45). Tout aussi problématique, une communication précoce et bruyante sur les résultats espérés alimente l’idée d’une médecine toute-puissante à laquelle aucune pathologie ne saurait résister. Elle gomme l’impuissance et la finitude. Elle place face à face des patients dont les attentes sont nourries de ces promesses et des professionnels de la santé qui sont, par nature, dans l’incapacité de les satisfaire toutes. En somme, elle institutionnalise la frustration et donc, le conflit. ⁄


post-scriptum la suite des articles de «in vivo» Il est possible de s’abonner ou d’acquérir les anciens numéros sur le site www.invivomagazine.com

CANCER

OVOCYTES

IV n° 1

p. 17

Des souris à l’odorat intelligent

IV n° 1

DON du SANG p. 56

Congeler les ovocytes des salariées

IV n° 2

p. 64

Des ovules et du sperme Des chercheurs de l’Université de Cambridge ont réussi à créer du sperme et des ovules dans leur état primitif à partir de cellules souches embryonnaires. Ils s’apprêtent à tester le processus à partir de cellules souches de la peau. Si les résultats s’avèrent positifs, créer des cellules sexuelles génétiquement identiques à celles des patients deviendra possible. Un espoir pour les personnes infertiles. /

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La nouvelle a fait couler beaucoup d’encre: les géants américains Facebook et Apple proposent à leurs employées de prendre en charge les frais liés à une cryopréservation, à savoir la congélation de leurs ovocytes, et cela sans la nécessité d’invoquer une raison médicale. Le réseau social couvre ainsi à hauteur de 20’000 dollars les frais occasionnés par l’opération. L’extraction seule des ovocytes est généralement devisée à 12’000 dollars. /

p. 38

Les homosexuels pourront être donneurs?

Heidi Diaz

Des chercheurs de l’Université de Genève ont découvert le mécanisme qui permet aux souris d’éviter leurs congénères malades. Les rongeurs montrent ainsi la capacité de percevoir l’odeur de la maladie grâce à l’organe voméro-nasal, commun aux mammifères mais quasiment inactif chez l’homme. Cette avancée pourrait mener à la conception de nez artificiels permettant une détection précoce de certaines maladies, dont le cancer. /

CELLULES SOUCHES

IV n° 2

Les hommes homosexuels pourront peut-être bientôt donner leur sang aux Etats-Unis s’ils n’ont pas eu de relations sexuelles depuis un an. L’autorité américaine de régulation des médicaments (FDA) discute en ce sens depuis décembre dernier et publiera une recommandation cette année. Pour rappel, les personnes homosexuelles et bisexuelles sont interdites de don de sang à vie depuis 1983 aux Etats-Unis et depuis 1977 en Suisse où l’interdiction reste toujours en vigueur. /

PRéCISION Dans notre dernier numéro, une erreur s’est produite lors de la mise en page des articles sur l’épigénétique ainsi que l’architecture en milieu psychiatrique, faisant disparaître un encadré. Vous pouvez néanmoins les consulter en intégralité sur: www.invivomagazine.com. Toutes nos excuses. /


post-scriptum

PERCEPTION IV n° 3

p. 21

Un ouvrage sur la synesthésie

Johns Hopkins/YouTube

Le synésthète français Vincent Mignerot, présenté dans la troisième édition de In Vivo, vient de publier un ouvrage intitulé Synesthésie et probabilité conditionnelle. Cette étude explore les liens entre la synesthésie, cette capacité de certaines personnes à assimiler des odeurs à des mots ou des couleurs à des douleurs, et les calculs effectués par le cerveau humain pour anticiper les adaptations qui nous sont demandées au fil du temps. La synesthésie pourrait notamment expliquer le mécanisme des intuitions. /

VIEILLISSEMENT IV n° 3

p. 54

Des tests sur le chien Deux chercheurs de l’Université de Seattle projettent de tester une molécule anti-âge sur le chien: la rapamycine. Utilisée comme médicament immunosuppresseur contre le rejet de greffe d’organe, cette substance a déjà été administrée à des souris. La vie des mâles aurait été rallongée de près de 9%. Une expérimentation sur les chiens permettrait d’obtenir des résultats davantage comparables à l’être humain. /

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NEUROPROTHÈSES IV n° 2

p. 50

Des avancées majeures La recherche sur les neuroprothèses, ces membres artificiels que les patients tétraplégiques ou amputés peuvent actionner par la pensée, avance à grands pas. L’Université Johns Hopkins de Baltimore a réalisé une première mondiale en décembre dernier. Des chercheurs ont équipé un homme amputé des bras avec deux prothèses bioniques. L’Américain a pu diriger les deux membres robotisés séparément, via des impulsions nerveuses. Par ailleurs, des chercheurs de l’EPFL ont présenté en début d’année l’implant neuronal E-dura, qui, posé au contact d’une moelle épinière lésée, a déjà permis à des rats paralysés de marcher par stimulation chimique et électrique. /


Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de «Health Valley». Dans chaque numéro de «In Vivo», cette rubrique s’ouvre par une représentation de la région. Cette carte a été realisée par le graphiste Romain Guerini et les illustrations par l’artiste indonésienne Lalita Prima.

in situ

Health Valley Tour d’horizon de l’innovation médicale en Suisse romande.

LAUSANNE

p. 10

LAUSANNE

p. 11

L’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin a réalisé la première implantation en Suisse d’une prothèse rétinienne.

AUBONNE

p. 11

Merck Serono compte un nouveau centre d’expertise regroupant quelque 280 employés.

Lalita Prima, Romain guerini

GENèVE

p. 09

La Fédération mondiale des associations pour le droit de mourir va implanter son siège en Suisse romande.

6

Un centre de recherche interdisciplinaire axé sur la nutrition et les aliments a été inauguré à l’EPFL.


in situ

DELéMONT

HEALTH VALLEY

p. 12

Envoyer dans l’espace des laboratoires miniatures: l’incroyable défi que s’apprête à relever la PME Spacepharma.

MARLY

p. 09

La start-up InnoMedica a reçu la certification qui l’autorise à produire des médicaments contre le cancer.

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in situ

HEALTH VALLEY

Un lien fondamental Des PME destinées à faire le lien entre le monde académique et les industries pharmaceutiques apparaissent dans le tissu romand. Objectif: développer les pistes de recherche à un stade susceptible d’intéresser les géants de la santé. RECHERChE Aux côtés des nombreux instituts de recherche, cliniques et hôpitaux, de nouveaux acteurs viennent renforcer le secteur du vivant en Suisse romande: ils s’appellent Lascco, Geneva Biotech Center ou Alpine Institute for Drug Discovery et affichent une ambition commune: faire le lien entre les universités de Suisse romande et les sociétés pharmaceutiques. Le chaînon manquant jusqu’à présent? Oui, à en croire Laurent Galibert, fondateur en 2013 de l’Alpine Institute for Drug Discovery basé à Lausanne: «Les géants du secteur ont tendance à réduire leurs investissements dans la recherche fondamentale», constate cet immunologiste passé par plusieurs sociétés pharmaceutiques. En lien avec les bureaux de transfert technologique des universités, ces PME gèrent et financent le développement des molécules jusqu’aux premières études cliniques. En cas de percée prometteuse, les grands groupes prennent le relais pour assurer une production à l’échelle industrielle.

Dans l’intérêt du patient Inspiré d’initiatives anglo-saxonnes comme celle du Medical Research Council Technology, un groupe britannique à l’origine de l’apparition de 12 nouveaux médicaments, «cet écosystème d’un nouveau genre profite à tous», estime Laurent Galibert. Y compris aux universités qui conservent la paternité de leurs molécules et peuvent espérer des retombées financières. «Si un produit basé sur leurs découvertes initiales est commercialisé, elles touchent un pourcentage des ventes», renchérit la cofondatrice de la société genevoise de Lascco, Samareh Azeredo da Silveira Lajaunia. En confiant à des sociétés comme la sienne le soin d’assumer ces phases de développement, les industriels réduisent leurs dépenses tout en multipliant les chances d’identifier des pistes prometteuses dans divers domaines tels que la cancéro8

Texte Jean-Christophe Piot

Laurent galibert a fondé en 2013 l’alpine institute for drug discovery, une startup basée à l’innovation park de l’epfl.

logie ou l’immunothérapie… Donc de répondre aux besoins aussi bien des patients que des soignants. Un modèle économique innovant L’activité de ces nouvelles structures est aussi un pari économique, compte tenu des délais entre les premières découvertes et une éventuelle mise sur le marché: de quatre à quinze ans selon les cas. Logé au cœur de l’Innovation Park de l’EPFL, l’Alpine Institute for Drug Discovery est ainsi né grâce à ses fonds propres, complétés par une aide financière de la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) et de la Fondation pour l’innovation technologique (FIT). La PME se focalise principalement sur l’oncologie et les maladies auto-immunes et inflammatoires. Inventives jusque dans leur financement, ces sociétés cherchent à maximiser leurs chances de réussite: «Nous prenons contact assez tôt avec nos client potentiels, explique Samareh Azeredo da Silveira Lajaunia. C’est une manière de nous assurer que nos premières perspectives les intéressent.» Une stratégie qui a permis à Lascco de conclure plusieurs accords avec différents groupes du secteur de la santé, dont l’un avec l’américain Abbott en 2012. Y a-t-il de la place pour tous? «Les pistes de recherche sont variées et les universités multiplient les découvertes intéressantes en Suisse et chez ses voisins», juge la jeune femme qui rappelle qu’elle et ses concurrents ne sont pas en mesure de mener plus de quelques projets en parallèle. Actuellement, Lascco travaille par exemple sur le développement de nouveaux antibiotiques, pour lutter contre la résistance de certaines bactéries. De quoi permettre l’arrivée de nouveaux acteurs sans rendre la concurrence trop vive pour autant: «Le succès de ce modèle aux Etats-Unis laisse penser que ce type d’échelons intermédiaires a de l’avenir.» ⁄


6¸1 in situ

HEALTH VALLEY

Start-up IMMUNOTHéRAPIE

En milliards de dollars, la somme déboursée par une firme américaine pour le rachat de la plus grosse entreprise pharmaceutique de Genève, Covance. Le groupe emploie 620 salariés dans le canton.

L’APPLICATION

Emoteo Emoteo a été conçue par le Département santé mentale et psychiatrie des HUG pour gérer à distance les crises de patients TPB (trouble de la personnalité borderline), notamment en soirée et le week-end. L’application aide à évaluer son degré de tension interne puis à le réguler au moyen d’exercices. Elle apporte aussi un précieux retour aux soignants sur les crises des malades.

La Fédération pour le droit de mourir déménage à Genève

suicide assisté La Fédération mondiale des associations pour le droit de mourir a décidé de déménager son siège de New York à Genève. Dans un communiqué, la fédération explique que Genève est un bon choix en raison des conditionscadres favorables qui y prévalent pour les ONG et autres organisations d’utilité publique. Le déménagement devrait avoir lieu courant 2015.

«L’industrie alimentaire et l’industrie pharmaceutique évolueront désormais de manière complémentaire.» Stefan Catsicas responsable de la recherche et du développement de la multinationale agro-alimentaire Nestlé, affirmait dans «l’Hebdo» en décembre 2015 que nutrition, pharma et technologie vont plus que jamais se rencontrer.

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La société genevoise MaxiVax a développé un vaccin anticancéreux basé sur le principe de l’immunothérapie. Ce traitement vise à stimuler le système immunitaire du patient en lui injectant ses propres cellules malades, pour l’amener à les identifier, puis à les combattre. Une première phase d’essais cliniques se déroule aux HUG jusqu’en juin.

DIABèTE

Combattre la néphropathie diabétique: c’est l’objectif de la start-up Genkyotex. L’entreprise née à Genève en 2006 vient de décrocher un financement de 20 millions de francs supplémentaires pour poursuivre ses recherches sur cette complication grave du diabète qui provoque le plus souvent une insuffisance rénale.

ALLERGIE

La société vaudoise Anergis a levé 14,5 millions de francs. Ce financement permettra à la jeune entreprise de conclure une étude sur la désensibilisation au pollen de bouleau. Anergis avait enregistré un succès clinique l’automne dernier démontrant l’effet positif de son traitement sur le long terme.

CANCER

Le médicament Talidox permet une chimiothérapie ciblée en n’attaquant que les cellules cancéreuses. Développé par la start-up bernoise InnoMedica, dont le site de production se trouve à Marly (FR), ce traitement pourra être commercialisé durant cinq ans: la société vient de recevoir la certification GMP de Swissmedic qui l’autorise à produire des médicaments cytotoxiques.


in SITU

HEALTH VALLEY

Autour de l’œil

N Lentille intelligent

ouveaux médicaments

E

La société lausannoise Sensimed a récemment été primée par la RTS pour sa lentille intelligente «Triggerfish»: un dispositif à usage unique renfermant un capteur qui repère les changements de circonférence de l’œil. Une innovation qui permettra un meilleur diagnostic de la maladie du glaucome, deuxième cause de cécité dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Corriger les mutations causant des maladies ophtalmiques incurables, c’est l’objectif d’Innovation Therapeutics. Pour y parvenir, la start-up lausannoise développe des modèles de cellules des yeux pour élaborer des médicaments en ophtalmologie et en thérapie cellulaire.

R étine artificielle

La première implantation de rétine artificielle en Suisse a été réalisée à l’Hôpital ophtalmique Lunettes connectée S Jules-Gonin à Lausanne en octobre dernier. La start-up lausannoise Composyt Light Lab a été Développée par la société américaine Second rachetée par le géant des puces électroniques Intel. Sight, la prothèse Argus permet de redonner Cette spin-off de l’EPFL a développé une technologie de traitement des verres optiques qui permet l’apparition partiellement la vue aux personnes aveugles et d’hologrammes dans le champ de vision. Ce système malvoyantes. Elle est constituée d’un implant placé s’intègre dans le dispositif de lunettes existantes et envoie autour de l’œil, de lunettes dotées d’une mini-caméra des informations directement sur la rétine, sans gêner le et d’un mini-ordinateur portatif qui interprète les reste de la vue. images filmées en signaux et les renvoie à l’implant.

Agenda technologies de la transplantation 28 mai 2015, Lausanne Le CHUV accueille le 11e symposium de transplantation rénale: une journée rythmée par une dizaine de conférences qui porteront cette année sur les greffes rénales faites sur les enfants et les personnes âgées. Les nouvelles technologies utilisées dans le domaine seront aussi présentées. De 12h à 17h30, Auditoire César-Roux.

Médecines naturelles Du 26 au 29 mars, Lausanne La 27e édition du salon des médecines naturelles et du bien-être, Mednat Expo, se tiendra dans les locaux d’Expo Beaulieu Lausanne durant quatre jours. L’évènement propose de nombreux stands dédiés entre autres aux médecines et thérapies complémentaires, à l’agriculture biologique et aux soins de beauté.

Enjeux du Big Data Le 11 juin, Sierre La Fondation The Ark organise la troisième édition de la journée e-health: une manifestation dédiée à la santé numérique qui mettra cette fois en lumière des modèles d’affaires internationaux développés à partir de la récolte et du traitement du Big Data. Des données générées entre autres par les réseaux sociaux et les smartphones.

Sur le cerveau Du 16 au 20 mars De nombreux ateliers, conférences et visites de laboratoires ponctueront la Semaine internationale du cerveau. Différentes villes de Suisse participent à cet évènement annuel, dont Genève, Fribourg et Lausanne. Toutes présenteront les dernières avancées de la recherche en neurosciences et les nouvelles voies thérapeutiques qui en découlent.

www.chirurgieviscerale.ch

www.mednatexpo.ch

www.theark.ch/e-health

www.semaineducerveau.ch

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in situ

HEALTH VALLEY

3 questions à En millions de dollars, le montant engagé par le groupe Servier pour financer les premiers essais d’un traitement inédit contre la sclérose en plaques, développé par la société de Plan-les-Ouates GeNeuro. Cette pathologie auto-immune toucherait près de 2,3 millions de personnes dans le monde.

implantations

Nouveau centre pour Merck Serono

Le groupe allemand Merck Serono a inauguré en octobre dernier à Aubonne le siège international de ses activités industrielles. 280 employés y seront regroupés. L’entreprise a notamment annoncé vouloir engager une centaine de spécialistes en 2015 pour son centre d’expertise en biotechnologies et développement de médicaments biosimilaires.

Siemens et le CHUV à l’EPFL

L’EPFL Innovation Park compte depuis le début de l’année deux nouveaux acteurs: Siemens Healthcare et le CHUV y ont inauguré une unité de recherche et développement spécialisée dans l’imagerie médicale. Les travaux de recherche de la dizaine de chercheurs de cette nouvelle unité se concentreront sur l’amélioration de la qualité des images dans le but d’enrichir la palette de pathologies qui peuvent être diagnostiquées par IRM. 11

Francesco Stellacci

Il dirige le nouveau centre de recherche sur la nourriture et la nutrition (Integrative Food and Nutrition Center) créé en octobre à l’EPFL

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Un centre sur l’alimentation a-t-il sa place à l’EPFL?

La nourriture et la nutrition constituent un immense enjeu de société. D’ici à 2050, il y aura 9 milliards de bouches à nourrir sur la planète. Il faudra réussir à produire les aliments de manière plus efficiente, en gaspiller moins, et mieux comprendre les effets des nutriments sur le métabolisme. C’est le devoir d’une école comme la nôtre de relever ces défis.

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Comment fonctionne cette structure?

Il s’agit d’un centre virtuel, car il ne dispose pas de bâtiment ou de laboratoire propres. L’idée est de créer une plateforme pour catalyser les recherches et d’offrir une meilleure interface entre les scientifiques et les industriels ou les bailleurs de fonds. Un appel à projets aura lieu chaque année dans toutes les facultés.

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Quels sont les projets lauréats pour 2015?

Il y en a dix, dont un projet de lyophilisation des vitamines pour prolonger leur durée de vie, un autre de développement de nano-feuilles de carbone pour créer des emballages alimentaires ultra-performants, ou encore une étude sur la façon de limiter l’absorption d’arsenic dans les plants de riz. Il est temps que des scientifiques qui n’ont pas encore pensé à appliquer leur expertise à l’alimentation s’y mettent. Des centres de recherche sur le cancer ont par exemple attiré des ingénieurs mécaniques qui ont ouvert des champs d’études insoupçonnés. Nous aimerions que de mêmes développements aient lieu chez nous. / Francesco Stellacci est professeur en Science des matériaux à l’EPFL. Après sa thèse à l’Ecole polytechnique de Milan, il a enseigné au Massachusetts Institute of Technology.


in SITU

HEALTH VALLEY

étape n° 5

Sur la route

Delémont

Dans chaque numéro, «In Vivo» part à la rencontre des acteurs de la Health Valley. Delémont est la destination de cette édition.

SpacePharma

Laboratoires en orbite SpacePharma développe des solutions d’expériences médicales en situation de microgravité. texte: Rachel antille

Un laboratoire ultrasophistiqué qui tiendrait dans une boîte à chaussures, lancé à une vitesse de plus de 7’000 mètres par seconde à des centaines de kilomètres au-dessus de la Terre: voilà la prouesse technologique que s’apprête à réaliser l’entreprise delémontaine SpacePharma. «La première mise en orbite d’un de nos satellites est prévue pour mi-2015, se réjouit Martin Aebi, directeur général de l’entreprise fondée en 2012. Tous les composants de laboratoire ainsi que le système de téléguidage et de transmission de données ont été développés par nos ingénieurs. Le lancement et la mise en orbite elle-même se réaliseront en partenariat avec l’entreprise Swiss Space Systems, basée à Payerne.» Une trentaine de lancements sont prévus d’ici à 2020. Un organisme libéré des forces de la gravitation manifestant très rapidement un certain nombre de réactions, la microgravité fournit aux chercheurs une loupe particulièrement adaptée à l’étude des mécanismes fondamentaux de la croissance et de la dégénérescence du corps. «Nos laboratoires 12

satellites devraient aussi intéresser les chercheurs en microbiologie et en pharmacologie. La virulence bactériologique augmentant en situation de microgravité, nous pouvons tester rapidement le développement de résistances aux antibiotiques.» Le défi de SpacePharma consiste à séduire industriels et instituts de recherche. «Ce qui était un outil de luxe pour les chercheurs est en passe de devenir abordable et disponible partout dans le monde. C’est à la fois une promesse et un pari: utiliser l’espace comme une ressource pour améliorer la vie sur Terre.» SpacePharma emploie 14 personnes, basées pour la plupart dans le centre de recherche et développement, situé en Israël. Le choix de Delémont comme siège de l’entreprise présentait des avantages de poids, souligne encore Martin Aebi. «La région baigne dans le secteur biotechnologique, offre des infrastructures et une taxation attractives, ainsi qu’un programme de développement économique cantonal qui favorise les entreprises novatrices.» /


in situ

HEALTH VALLEY

benoît dubuis Ingénieur, entrepreneur, président de BioAlps et directeur du site Campus Biotech

Il nous faut cultiver une impatience positive: anticiper l’avenir pour ainsi toujours avoir une longueur d’avance dans un monde entrepreneurial très compétitif.

Plusieurs nouvelles ont sonné doux à nos oreilles en cette toute fin d’année tant d’un point de vue politique qu’économique: manifestation citoyenne ne voulant pas casser la croissance de notre pays, développement réjouissant de grandes initiatives de recherche, levées de fonds record, partenariats stratégiques significatifs voire «historiques» pour reprendre certains titres. «Historique»! Un mot souvent utilisé pour désigner un événement remarquable, mais que je préfère comprendre comme un encouragement à faire toujours mieux, car il peut trop vite se transformer en oreiller de paresse douillet réservant des réveils moins agréables. Rien n’est jamais gagné, le succès se construit certes en s’appuyant sur des atouts, mais surtout en réponse à un travail intelligent et acharné.

Un révolutionnaire, c’est quelqu’un qui perçoit le statu quo et qui se dit: «Ce n’est pas la bonne solution! Je peux changer la situation et amener les gens à le faire d’une autre manière.» Il en va de même pour un entrepreneur. Un entrepreneur voit des clients insatisfaits, des produits qui n’atteignent pas le public et y décèle une opportunité. Ces hommes et ces femmes qui ont, parfois en leur temps, été considérés comme des illuminés, des renégats, voire même des traîtres, ont construit la prospérité de notre pays avec cet état d’esprit: la volonté de faire quelque chose qui n’avait pas été fait auparavant. Il est important de se rappeler que chaque produit qui a révolutionné son domaine a été le fruit du travail d’un entrepreneur. La base de notre système économique dépend de ces entrepreneurs qui ont trouvé dans notre région une terre d’opportunité. Alors que chaque jour se développent de nouvelles technologies, autant d’opportunités s’offrent à ceux qui ont le courage et la ténacité de poursuivre leur rêve. Un entrepreneur et un révolutionnaire sont les mêmes personnes, mais sont nés à des temps différents, dans des circonstances différentes.

Il existe un triple présent qui n’est donc pas ponctuel, instant entre le passé et le futur, un présent dilaté, et ces trois sortes de temps Ainsi, le Passé n’est pas un pays étranger et grâce coexistent: le Présent du Passé, c’est la à l’histoire, c’est le Passé qui existe dans le Présent. mémoire; le Présent du Présent, c’est l’action; le Etre présent au Présent du Présent, c’est s’ouvrir à Présent du Futur, c’est l’anticipation. Conscients «l’à-venir», à la révolution qui peut advenir, c’est du Passé, nous sommes en train de construire le se faire réceptif pour intégrer ce qui vient d’ailleurs. Présent, d’anticiper le Futur. Nous sommes passés à une civilisation du savoir et nous avons Réception et création vont de pair. C’est dire encore dans notre région un actif exceptionnel du fait de qu’être présent au Présent, c’est entrer dans l’impala densité des hautes écoles de qualité qui tience du temps, celle qui nous garantira toujours génèrent ce savoir. Pionniers et entrepreneurs une longueur d’avance dans un monde très compétitif, doivent prendre le relais, jouer leur rôle de celle qui nous force à anticiper plutôt qu’à être réactif, révolutionnaires des temps modernes. celle qui nous place dans le Présent du Futur. ⁄ En savoir plus

DR

www.bioalps.org la plateforme des sciences de la vie de Suisse occidentale

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in SITU

globe

in situ

autour du globe Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales à travers le monde.

215'000’000 Le nombre de personnes vaccinées contre la méningite A dans 15 pays de la «ceinture africaine de la méningite» depuis le début du Projet Vaccins Méningite en 2010, une campagne menée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en partenariat avec l’ONG américaine PATH et le laboratoire pharmaceutique Serum Institute of India. Le vaccin au cœur du programme, le MenAfriVac, a été autorisé en janvier dernier pour les enfants âgés de moins d’une année.

CANCER

La molécule de l’espoir En quelques heures, la molécule baptisée EBC-46, contenue dans les graines d’une plante australienne, ferait régresser les tumeurs solides. Découverte par le laboratoire pharmaceutique australien QBiotics, elle permettrait de s’attaquer aux cancers de la prostate, des poumons, du sein, mais aussi à différents mélanomes et tumeurs du cou. Des essais précliniques viennent d’être réalisés par l’institut de recherche médicale australien QIMR Berghofer: dans plus de 70% des cas, la régression de la tumeur est durable. Des essais cliniques devraient suivre.

Pilulier connecté Innovation Sept patients sur dix peinent à respecter les protocoles médicamenteux, selon la société californienne Tricella. L’entreprise a développé un pilulier intelligent, baptisé Liff, qui rappelle quand prendre ses médicaments. Le boîtier, joliment designé, se connecte aux smartphones ou tablettes via une app dédiée et grâce aux technologies sans fil Bluetooth et NFC. Il peut même envoyer des notifications aux proches. Le petit modèle est disponible en précommande pour 44,99 dollars. Livraisons prévues au printemps 2015.

«L’année 2015 restera celle où l’humanité a utilisé ses meilleurs scientifiques pour combattre Ebola.» Marie-Paule Kieny directrice adjointe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lors d’une conférence de presse à Genève en janvier dernier pour annoncer le lancement de tests cliniques de deux vaccins potentiels dans les zones contaminées en Afrique.

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HEALTH globe VALLEY

DAVID

in SITU situ

Des lamas contre le sida  recherche  Des anticorps de lamas pourraient permettre de combattre le VIH. Une équipe internationale a détecté dans le système immunitaire du camélidé d’Amérique du Sud des molécules capables de neutraliser près de 60 souches du virus de l’immunodéficience humaine. L’étude a été publiée dans la revue «PLoS Pathogens» en décembre dernier. Cette recherche a débuté dans les années 1990 en Belgique, rapporte le quotidien français «Le Monde».

on sélecti la vivo in Quelle santé pour demain?

The Patient Will See You Now

La prochaine crise des antibiotiques

The Future of the Brain

Jacques Marceau (dir.), Alternatives-Gallimard, 2014

Eric Topol, Basic Books, 2015

Conférence TED par Ramanan Laxminarayan

Dans l’ouvrage du collectif Santé Numérique, les 16 contributeurs observent qu’à l’inverse des institutions médicales qui peinent à s’adapter à l’évolution de la technologie numérique – multiplication des systèmes d’information, dispositifs médicaux connectés et généralisation de l’internet mobile – les patients en tirent profit et deviennent acteurs de leur propre santé. Les auteurs ne se contentent pas de poser un diagnostic et proposent des solutions pour améliorer l’usage du numérique dans le secteur.

La «rock star de la science» (dixit le mensuel américain GQ) Eric Topol, cardiologue et généticien américain considéré comme l’un des praticiens les plus influents du moment, revient avec un nouveau best-seller en devenir. Dans son dernier livre, il examine ce qu’il appelle le «moment Gutenberg» de la médecine. A l’instar de l’imprimerie qui a libéré la connaissance du contrôle des élites, les nouvelles technologies seraient sur le point de démocratiser la médecine et de permettre l’émancipation des patients.

Gary Marcus et Jeremy Freeman (éd.), Princeton University Press, 2014

Les antibiotiques, ces molécules qui détruisent les bactéries, vont devenir inefficaces à force d’être utilisés à tort et à travers, pour soigner des affections anodines. Les bactéries deviennent toujours plus résistantes, met en garde l’économiste et épidémiologiste indien Ramanan Laxminarayan. Il appelle à considérer les antibiotiques comme une ressource limitée et à chercher des alternatives, sous peine de se diriger vers une crise. SUR

RONIQUES LES CH NS VERS E.COM LES LIE AGAZIN M NVIVO WWW.I

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ET LES

VIDéOS

Destiné à un public averti, ce livre regroupe des articles rédigés par quelques-uns des plus grands spécialistes mondiaux du cerveau, dont les époux norvégiens May-Britt et Edvard Moser, Prix Nobel de médecine 2014. L’ouvrage explore les dernières recherches entreprises pour tenter de percer le fonctionnement de l’organe le plus complexe du corps humain et analyse les implications des neurosciences pour la médecine, la psychiatrie et pour la conscience humaine elle-même.


in SITU

Les Enfants de la Lune peuvent profiter du soleil Les jumeaux Thomas et Vincent, originaires de Bordeaux (F), peuvent à présent sortir en plein jour, sans devoir s’emmitoufler: atteints de la maladie orpheline appelée le Xeroderma Pigmentosum, une anomalie génétique qui les oblige à éviter toute exposition aux rayons ultraviolets, ils testent depuis quelques mois un nouveau masque mis en place par plusieurs hôpitaux français qui les protègent efficacement. Transparents au niveau du visage et ventilés, ces dispositifs leur permettent de suivre des cours à l’Université et d’avoir une vie quasi similaire à celle de tout jeune adulte de 22 ans. Surnommés «Les Enfants de la Lune», les jeunes patients souffrants de Xeroderma Pigmentosum risquent de développer des cancers de la peau et des lésions aux niveaux des yeux s’ils s’exposent même quelques instants au soleil. reuteurs / Regis Duvignau

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globe


in SITU

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L’INFORMATION EN CONTINU Tout savoir sur les Sciences de la vie et l’innovation. Des rubriques pour vous: Agenda, Innovation, People, Science, etc. L’actualité de nos entreprises, de nos hautes-écoles, de nos organismes de soutien à l’innovation sur un seul site.

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Intestin

recherche

L’INTESTIN, un autre cerveau /

D’importantes découvertes ont placé l’intestin sur le devant de la scène scientifique. Le décryptage de ses bactéries pourrait révolutionner le traitement de nombreuses maladies.

/ Par

côlon ascendant

côlon transverse

Melinda Marchese

{Colon ascendens}

{Colon transversum}

Première partie du côlon, qui s’étend du cæcum à l’angle colique droit.

Fait suite au côlon ascendant et donne le côlon descendant.

jéjunum

cæcum

{Jejunum}

Partie centrale de l’intestin grêle.

{Caecum}

Est formé d’un sac auquel s’abouche l’orifice de la valvule iléo-cæcale.

côlon descendant

{Colon descendens} Fait suite au côlon transverse et donne le côlon sigmoïde.

appendice

{Appendix vermiformis} Petite excroissance du cæcum.

intestin grêle

{Intestinum tenue} Partie de l’appareil digestif humain située entre l’estomac et le côlon.

rectum

{Rectus}

Segment du tube digestif reliant le côlon à l’anus. anus

{Anus}

Orifice terminal du tube digestif.

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côlon sigmoïde

{Colon sigmoideum} Boucle située entre la fosse iliaque gauche de l’abdomen et le petit bassin.


L

focus

intestin

’intestin? «Un vaste peuple de bactéries, qui est l’addition des décisions que nous prenons, de la nourriture que nous ingérons, de l’environnement dans lequel nous vivons… C’est un peu notre collection personnelle de Pokémon!» C’est par ces mots que Giulia Enders décrit cet organe, avec assurance et beaucoup d’humour, dans un spectacle de «science-slam» qu’elle a présenté sur plusieurs scènes alémaniques. Cette jeune étudiante en médecine a ensuite publié le livre Darm mit Charme («Le charme discret de l’intestin»), devenu à la surprise générale l’un des plus gros succès de librairie de l’année en Allemagne (lire son interview p. 26).

actuel est de définir plus précisément «qui fait quoi» dans cette communauté bactérienne, que l’on appelle le ‘microbiote intestinal’.» De nombreuses études ont confirmé une hypothèse que la communauté scientifique reconnaît aujourd’hui comme un fait: «Avoir un microbiote varié et équilibré prévient et protège de nombreuses pathologies, note Michel Maillard, gastro-entérologue au CHUV. Trouver le moyen de restaurer une diversité de bactéries, champignons et autres germes dans l’intestin s’apparente aujourd’hui à la quête du Graal pour des centaines de chercheurs à travers le monde.»

Car ces petits êtres ne vivent pas oisivement: ils contribuent activement à l’équilibre des fonctions physiologiques, et donc à l’état de santé générale, de leur hôte. «De nouvelles indications et de nouveaux traitements vont apparaître au fur et à mesure que la recherche sur le microbiote avancera, poursuit Jacques Schrenzel. Il va falloir reprendre tous les Repère ouvrages actuels de médecine pour L’intestin ou les intestins? La forme les mettre à jour tant ces découplurielle est en quelque sorte plus vertes auront une influence sur la adaptée, car derrière cette prise en charge de nombreuses afappellation se cachent deux organes: fections.» Et les maladies intestil’intestin grêle, ce tube de 6 m de long environ, qui se charge de nales ne sont pas les seules l’absorption des nutriments, et le concernées: depuis l’obésité jusqu’à gros intestin (ou côlon). Ce dernier, la dépendance à l’alcool, en passant qui mesure entre 80 et 150 cm, va par la dépression et la boulimie, de principalement stocker les déchets, absorber certaines vitamines et l’eau nombreuses pathologies pourraient résiduelle pour agglomérer les bénéficier à l’avenir de ces avancées.

Ce succès témoigne de l’intérêt croissant que suscite l’intestin auprès du grand public, mais aussi de la communauté médicale. Longtemps considéré comme un «simple organe de la digestion», ce tube de plus de 5 m de long, situé entre l’estomac et l’anus, joue en réalité un rôle central dans l’organisme. Une avancée majeure a permis à l’intestin d’attirer tous les regards: la génétique moléculaire. «Grâce aux progrès de cette discipline, il est devenu possible de décrire le génome des 100’000 milliards de bactéries qui colonisent notre tube digestif, explique Jacques Schrenzel, responsable du laboratoire de bactériologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Le défi

selles. Des bactéries colonisent l’ensemble du tube digestif, mais la grande majorité du microbiote se trouve dans le côlon.

Un grand bavard Que font ces quelque 2 kg de microbes dans l’intestin? Leur implication dans le processus de digestion n’est pas remise en question. «Ils contribuent à la conversion des aliments en nutriments et en énergie, de même qu’à la synthèse de vitamines indispensables à l’organisme, rappelle Francisca Joly Gomez, gastro-entérologue au CHU Beaujon de Clichy (F). Mais leur action va bien au-delà: ils dialogueraient constamment avec d’autres composantes de l’orga20

nisme, notamment avec le cerveau. «Nous savons depuis longtemps que le cerveau envoie des informations à l’intestin, mais nous pouvons désormais aussi affirmer qu’il s’agit d’une relation bidirectionnelle, c’est-à-dire que l’échange des informations s’effectue dans les deux sens», note la gastro-entérologue, qui a publié l’an dernier un ouvrage baptisé L’intestin, notre deuxième cerveau. L’envoi et la réception d’informations se fait grâce au système neuronal de l’intestin. «Plus de 100 millions de neurones sont concentrés et connectés entre eux dans la paroi du tube digestif.» Que peut bien «dire» l’intestin au cerveau? «Il va par exemple lui envoyer


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intestin

Un organe en soi

Le microbiote est l’écosystème composé des milliards de microorganismes qui colonisent les intestins. Il est aujourd’hui considéré comme un organe à part entière.

400 m2 La taille de la surface intestinale, soit l’équivalent de deux courts de tennis.

95% Le pourcentage du microbiote que contient le côlon, le reste est dispersé dans l’ensemble du système digestif.

1’000 Le nombre d’espèces bactériennes identifiées dans le microbiote intestinal humain. Il n’y en a que 150 à 170 prédominantes par individu.

3 millions Le nombre de gènes dans le microbiote intestinal, soit 150 fois plus que de gènes dans le génome humain.

100’000 milliards

Benjamin schulte

Le nombre de bactéries qui colonisent l’intestin, c’est-à-dire dix fois plus que le nombre de cellules humaines.

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2 kilos Le poids de l’ensemble des bactéries qui vivent dans l’intestin.


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intestin

Le danger des antibiotiques Antoine Andremont* est l’un des grands experts internationaux d’une problématique de santé majeure: la résistance toujours plus fréquente des bactéries aux antibiotiques. propos recueillis par

Olivier Gschwend

L

habituellement provoquent chez ces personnes des infections du sang, ou septicémies, car elles deviennent difficiles à éliminer.

a prise d’antibiotiques perturbe l’équilibre du microbiote intestinal. Antoine Andremont met en garde contre l’utilisation immodérée de ces médicaments.

Existe-t-il des solutions pour éviter ce dérèglement? aa Il est pour l’instant impossible d’éviter les résistances. L’unique solution reste la prévention en limitant la prise d’antibiotiques et en respectant la durée des traitements. Une telle situation est aujourd’hui un enjeu sanitaire majeur. En effet, les bactéries résistantes du système digestif se disséminent dans l’environnement via les matières fécales. Elles se retrouvent alors jusque dans nos aliments, envahissent le système digestif et supplantent les bactéries non résistantes. C’est un cercle vicieux. iv

Quels sont les effets des antibiotiques sur le microbiote intestinal? aa Les antibiotiques ingérés sont assimilés par l’intestin grêle et se déversent dans le sang pour éliminer les bactéries indésirables. Mais une partie des molécules repasse du sang au système digestif par la bile. A terme, les bactéries développent des mécanismes de défense contre ces molécules et deviennent résistantes. Leur utilisation exagérée accélère le processus. Résultat: la microflore est complètement déréglée et dominée par des souches multirésistantes. iv

En quoi est-ce problématique pour la santé? aa Le dérèglement de la microflore n’est pas perceptible par le patient et n’a pas de conséquences directes. Il se manifeste autrement. Par exemple, certains patients qui subissent une chimiothérapie ou une greffe sont immunodéprimés. Les bactéries résistantes du système digestif qui sont inoffensives

* Antoine Andremont est professeur à l’Université Paris-Diderot et auteur du livre «Antibiotiques: le naufrage» aux éditions Bayard.

DR

iv

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intestin

des signaux «douloureux». Du gaz se produit dans l’intestin lors de la fermentation des aliments. Le gonflement de l’intestin peut entraîner des signaux douloureux visibles au niveau du cerveau», vulgarise la spécialiste. La connexion entre le cerveau et l’intestin a permis de faire d’importantes découvertes sur la maladie de Parkinson: des travaux de chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ont démontré que des anomalies présentes dans les neurones du cerveau des patients atteints de cette maladie dégénérative sont retrouvées «à l’identique» dans les neurones du système digestif. A l’avenir, il pourrait donc devenir possible d’identifier cette maladie par biopsie intestinale et d’établir un diagnostic précoce: «Les anomalies sur les neurones de l’intestin se manifesteraient avant leurs homologues cérébraux.» Ces dix dernières années, plusieurs études sont venues confirmer le lien entre la maladie de Parkinson et les caractéristiques intestinales du malade. Parmi les plus récentes, celle de l’Université d’Helsinki affirme que les patients atteints de la maladie de Parkinson ont beaucoup moins de bactéries de la famille des Prevotellaceae dans leur intestin. «A présent, nous voulons comprendre si ces changements de l’écosystème bactérien apparaissent avant le début des symptômes cliniques de la maladie, explique le neurologue Filip Scheperjans. A l’avenir, nous nous concentrerons peut-être sur l’intestin pour soigner cette pathologie.»

Explorer ce rôle de «barrière protectrice» du microbiote ouvre de nouvelles pistes de traitements contre certaines pathologies, comme les allergies alimentaires. «Des tests sur des souris, auxquelles nous avons administré des allergènes de cacahuètes, nous ont montré que Le microbiote intestinal de la présence de la bactérie Clostrichaque personne est unique. dium dans leur microbiote intestivrai Un tiers de notre nal bloquait la réaction allergique, microbiote intestinal est commun à la plupart des explique Cathryn Nagler, de l’Uniindividus, tandis que les deux versité de Chicago, qui a mené autres tiers sont spécifiques l’étude. Cela nous fait penser que à chacun d’entre nous. cette bactérie en particulier agirait Le microbiote intestinal à travers certaines cellules immuest inné. nitaires et empêcherait les profaux Le microbiote intestinal téines responsables des réactions commence à se développer à la allergiques de pénétrer dans la cirnaissance. Stérile à l’intérieur de l’utérus, le tube digestif d’un culation sanguine.»

VRAI / FAUX

nouveau-né est rapidement colonisé par les micro-organismes de sa mère (vaginaux, fécaux, cutanés, etc.) et ceux de l’environnement de son lieu de naissance. La composition du microbiote intestinal variera en fonction de son alimentation. Les scientifiques estiment qu’aux alentours de 3 ans, le microbiote devient stable et continue à évoluer à un rythme régulier pendant toute la vie de la personne.

Les probiotiques favorisent la bonne santé du microbiote. vrai/faux De nombreuses études ont démontré des effets bénéfiques des probiotiques sur le microbiote intestinal, comme notamment de maintenir son équilibre et sa diversité. En revanche, des recherches menées par le microbiologiste français Didier Raoult ont mis en avant des effets indésirables de ces bactéries: ils pourraient favoriser l’obésité.

«Barrière protectrice»

Le cerveau n’est pas le seul interlocuteur de l’intestin: ce dernier communique aussi avec le système immunitaire. «Les bactéries du microbiote envoient des signaux aux récepteurs situés sur les cellules de la paroi intestinale, qui à leur tour donnent à nos cellules immunitaires un signal pour les aider à exclure 23

les organismes pathogènes qui tenteraient de coloniser l’intestin», explique Francisca Joly Gomez.

D’autres recherches menées par le Conseil supérieur de la recherche scientifique en Espagne, dont les résultats ont été publiés en octobre 2014 dans le journal de l’American Society for Microbiology, ont aussi dévoilé de nouvelles connexions entre le microbiote et certaines maladies auto-immunes: le microbiote intestinal de patients atteints de lupus, une maladie chronique qui s’attaque aux tissus sains de l’organisme, présente un déséquilibre du ratio entre les deux groupes de micro-organismes les plus nombreux dans l’intestin humain (les Bacteroides et les Firmicutes) en faveur des premiers.

La source de multiples maladies

A travers le monde, les efforts se multiplient pour tirer le meilleur profit de ces nouvelles connaissances (projets MetaHIT, MetaGenoPolis et MyNewGut en Europe, Human microbiome project aux Etats-Unis, etc.) et régulièrement, des résultats sont publiés dans les plus prestigieuses revues scientifiques.


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intestin

«La pullulation de l’intestin grêle a finalement été démontrée et reconnue, se réjouit Alain Schoepfer, gastro-entérologue au CHUV. Il s’agit d’une concentration anormalement élevée de bactéries dans cet organe qui peut provoquer de fortes douleurs abdominales, des ballonnements ou des diarrhées. Nous savons à présent que l’administration d’un antibiotique, déjà utilisé pour le traitement des infections urinaires, peut améliorer efficacement l’état de santé du patient.»

nères. Leur attitude a changé lorsque des bactéries ont été inoculées dans leur système digestif, et partageaient volontiers leur lieu de vie.

Plusieurs travaux ont aussi éclairé le lien entre le microbiote et les maladies métaboliques comme l’obésité ou le diabète. Une équipe internationale dirigée par Jeffrey Gordon, de l’Ecole de médecine de l’Université de Washington, aux Etats-Unis, a par exemple montré que, introduit chez la souris, le microbiote d’un individu obèse fait grossir l’animal, contrairement au microbiote d’une personne mince. Le chercheur expliquait alors dans la revue Nature que «les bactéries intestinales ont un impact sur la régulation du stockage des graisses dans le tissu adipeux».

La dépendance à l’alcool et la boulimie font aussi partie des maladies pour lesquelles un lien avec le microbiote est soupçonné. Des recherches menées par une équipe de l’Université catholique de Louvain ont révélé que les patients alcooliques, présentant une altération du microbiote intestinal, sont plus dépressifs, plus anxieux et plus attirés par l’alcool que les alcooliques avec un microbiote «normal».

Le dialogue permanent entretenu entre l’intestin et le cerveau a permis à des scientifiques de se demander si le microbiote influence aussi le comportement de son hôte. Pour y répondre, des chercheurs de l’Université de Cork en Irlande ont procédé à des tests sur des souris dites «axéniques», c’est-à-dire sans bactéries, car élevées dans un milieu stérile depuis leur naissance. Celles-ci avaient un comportement social altéré: elles préféraient se trouver dans une cage vide plutôt que d’être entourées de leurs congé-

«Tous ces travaux sur les souris sont précieux et nous fournissent des pistes intéressantes, note Michel Maillard. Il nous faut néanmoins tempérer notre enthousiasme pour l’instant, l’être humain ne réagira pas forcément de la même manière à ces tests.»

La protéine «ClpB» pourrait causer des troubles alimentaires. «Elle est fabriquée par certaines bactéries du tube digestif comme Escherichia coli, explique Sergueï Fetissov, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale de l’Université de Rouen. Elle est sécrétée quand les bactéries sont soumises à un stress. La ClpB a des propriétés anorexigènes, c’est-à-dire qu’elle diminue l’appétit et déclenche une réaction du système immunitaire produisant des anticorps dirigés contre elle. Ces anticorps vont aussi se lier à l’hormone de la satiété, du fait de son homologie de structure, et moduler son action vers l’anorexie ou la boulimie.»

Obésité

Alcoolisme

Autisme

Inflammations

Plusieurs études, comme celle de l’Institut national de la recherche agronomique, ont démontré que la pauvreté bactérienne serait associée à la surcharge pondérale. Ce manque de diversité augmente le risque de développer des complications liées à l’obésité, comme du diabète ou des maladies cardiovasculaires.

Les recherches menées par l’Université catholique de Louvain ont montré que certains alcooliques présentent des altérations de la composition du microbiote intestinal. Une découverte qui ouvre de nouvelles pistes thérapeutiques ciblant l’intestin et non plus seulement le cerveau pour lutter contre la dépendance à l’alcool.

Des chercheurs de l’Institut de technologie de Californie ont amélioré plusieurs symptômes de l’autisme chez la souris en lui administrant une bactérie humaine, Bacteroides fragilis, connue pour favoriser la cohésion de la paroi du côlon.

Chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, des bactéries potentiellement pathogènes sont trouvées en excès tandis que la concentration de bactéries bénéfiques du groupe des Firmicutes est diminuée à la fois en espèces et en proportion.

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intestin

La cible de nouveaux traitements «L’objectif sur le long terme est celui de prévenir ou de traiter certaines maladies de manière personnalisée chez les patients selon leur combinaison de souches bactériennes», note le microbiologiste genevois Jacques Schrenzel. Plusieurs traitements nés de la recherche sur le microbiote sont déjà applicables. Le plus répandu est la transplantation fécale, c’est-à-dire la transfusion, par coloscopie, de selles fraîches provenant d’un donneur sain. «Nous réalisons cette intervention depuis 2014 chez les patients atteints de colite récidivante à Clostridium difficile, explique Michel Maillard. Il s’agit d’un germe dans certains cas réfractaire aux antibiotiques, qu’il faut pourtant évincer, car il cause des diarrhées à répétition avec parfois des conséquences graves.» «Les taux de réponses à ce traitement avoisinent les 90%, ajoute Alain Schoepfer du CHUV. En moins de deux semaines, les patients se portent bien.» Le donneur de selles est généralement un proche du patient. «Avant la transfusion, nous effectuons un bilan microbiologique chez le donneur, qui doit bien sûr être en bonne santé et ne pas être porteur de Clostridium difficile.» A Genève, les HUG aussi réaliseront ce type d’intervention dès le printemps 2015. «Dans un premier temps, nous utiliserons cette méthode pour soigner les patients présentant une infection récidivante à la bactérie Clostridium difficile, mais nous espérons pouvoir aussi y recourir chez des malades atteints de maladies inflammatoires de l’intestin comme la maladie de Crohn ou les colites ulcéreuses», se réjouit Jacques Schrenzel. Si aucune contre-indication n’existe à la transplantation fécale, les effets secondaires sur le long terme ne sont pas connus. «Nous injectons chez un patient une «black box» de plusieurs milliards de microbes, rappelle Alain Schoepfer. Nous savons que cela va soigner une pathologie ciblée, mais est-ce que ce «nouveau» microbiote va provoquer une autre maladie chez lui? Nous expliquons ces risques aux patients, qui doivent nous donner leur consentement.» Ce traitement reste surtout beaucoup moins invasif qu’une greffe d’un organe dans son ensemble. «Les transplantations d’intestin grêle sont très rares, explique Nicolas Desmartines, chef du Service de chirurgie viscérale du CHUV. Il s’agit d’un organe très 25

sensible notamment pour des questions de rejets et d’infections. Quand on opère une intestin grêle, il peut faire des «brides», des occlusions qui bloquent le transit, entrainant de fortes douleurs abdominales. L’organe peut s’arrêter de fonctionner pendant 2 ou 3 jours. Quant au côlon, sa transplantation n’est pas pratiquée, car l’organe contient un nombre inimaginable de bactéries, donc ne se prête pas à une transplantation. Sa fonction peut être reprise en partie par l’intestin grêle.» L’alimentation reste aussi une option pour ingérer de «bonnes» bactéries. «Des probiotiques, qui sont des micro-organismes vivants, sont déjà ajoutés à certains produits, comme les yaourts, note Michel Maillard. Aujourd’hui, des grands groupes de l’industrie agro-alimentaire tentent d’introduire davantage de germes dans des biens comestibles. Nous les trouverons peut-être à l’avenir dans nos supermarchés.» «Si un jour nous parvenons à déterminer quel est le microbiote «idéal», nous pourrions développer sous forme d’une pilule un traitement pour tenter de rétablir un diversité du microbiote, mais surtout un équilibre microbien, imagine Francisca Joly Gomez. Le chemin sera long avant d’en arriver là. Nous avons déjà effectué un grand pas en acceptant un changement de paradigme: il n’est pas toujours nécessaire de détruire les «mauvaises» bactéries à coups d’antibiotiques, mais il nous faut apprendre à vivre en harmonie avec elles.» /

Le réseau social fécal L’intestin peut se targuer d’avoir son réseau social: My.microbes.eu. L’objectif annoncé par son créateur Peer Bork, biochimiste au Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) à Heidelberg (Allemagne): «Mettre en place une communauté dans laquelle les personnes au profil microbien similaire sont connectées.» Ceux qui veulent échanger sur leur pathologie digestive peuvent envoyer un échantillon de leur matière fécale à l’association. Pour 840 euros, les selles sont analysées et le génome bactérien est séquencé. Le participant connaîtra ainsi à quel entérotype (un groupe de composition bactérienne intestinale) il appartient et sera ainsi mis en réseau avec d’autres personnes partageant ses caractéristiques. Ils pourront ainsi échanger sur leurs éventuelles maladies, mode d’alimentation, environnement, etc. Ce projet s’inscrit dans la tendance de la médecine participative (lire «In Vivo» 2): l’équipe de My.microbes.eu bénéficie ainsi d’une immense base de données lui permettant de poursuivre ses recherches sur la flore intestinale.


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propos recueillis par

Bettina Wurche

Adaptation

Erik Freudenreich

intestin

INTERVIEW «L’intestin n’est pas un organe étanche»

Le petit livre que Giulia Enders a consacré aux «charmes de l’intestin» est devenu un immense succès de librairie. Rencontre.

Les liens entre l’intestin, le système immunitaire et le psychisme sont connus de longue date. Comment ces connaissances sont-elles employées en médecine?

in vivo

Nos connaissances évoluent, mais il n’existe pour l’heure que peu d’instructions spécifiques à ce sujet. Et les médecins ont évidemment besoin de preuves précises pour pouvoir conseiller leurs patients en toute sérénité. Cela dit, il est déjà possible de donner quelques conseils aux patients, pour qu’ils améliorent leur santé intestinale par de petits changements dans leur régime alimentaire.

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Par exemple?

Le fait de s’abstenir de manger certains aliments pendant une période donnée, par exemple les produits laitiers, peut parfois conduire à un soulagement significatif des troubles intestinaux. Et cela ne peut pas vous nuire. Pour des affections comme la gastro-entérite, il peut aussi être utile de prendre des probiotiques (bactéries, ndlr). Idéalement, ceux emballés dans des microcapsules, qui protègent les bactéries contre l’estomac et la bile avant leur arrivée dans l’intestin.

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Certains médecins recommandent-ils l’usage de probiotiques à leurs patients?

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Beaucoup de médecins restent sceptiques, avec raison, car certains probiotiques n’agissent que faiblement. Mais d’autres peuvent avoir un effet très positif. Plusieurs études ont par exemple démontré l’intérêt d’utiliser les bactéries Lactobacillus plantarum et Bifidobacterium en cas d’irritation du côlon. La bactérie E. coli Nissl 1917 (qui est disponible dans le commerce sous le nom de Mutaflor) a elle aussi d’excellentes propriétés. Des études ont démontré que son efficacité pour retarder une crise en cas d’inflammation chronique de l’intestin était équivalente à celle de médicaments standards.

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Que pensez-vous des probiotiques naturels?

Certaines études montrent que le yaourt peut avoir des effets positifs pour la digestion ou le système immunitaire. Avec un bémol néanmoins: les bactéries contenues dans le yaourt peuvent avoir un effet trop marqué pour les personnes dont le système immunitaire est gravement déficient.

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Quelles autres connaissances inédites avez-vous pu acquérir au sujet de l’intestin?

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Lors d’un stage en gastro-entérologie, j’ai eu l’occasion de recevoir des patients souffrant de prolifération bactérienne intestinale. Il s’agit là d’un phénomène qui provoque des ballonnements, qui peuvent être très douloureux.

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Est-ce que l’échantillon de selles reste la seule alternative pour le diagnostic?

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Une prolifération bactérienne dans l’intestin est déjà détectable dans l’haleine du patient! En effet, les métabolites bactériens flottent à travers tout le corps, vu que l’intestin n’est pas un organe étanche. Absorbés par les poumons, ils sont ensuite expirés par le souffle. Nous pensons souvent de manière trop statique, alors que

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Etudiante et best-seller Née en 1990 à Mannheim, Giulia Enders termine actuellement ses études de médecine à l’Université de Francfort. Primée en 2012 pour un «science-slam» consacré à l’intestin, la jeune allemande a publié l’an passé «Darm mit Charme» (Le charme discret de l’intestin), un livre devenu un incroyable best-seller en Allemagne. La traduction française de l’ouvrage est parue en mars 2015 aux éditions Actes Sud.


intestin

Etudiante en médecine, Giulia Enders est l’auteure du best-seller «Darm mit Charme» («Le charme discret de l’intestin»).

dans un organisme vivant, tout est en mouvement. Nos méthodes d’explications exclusivement rationnelles ne donnent qu’un aperçu simplifié du corps, ce qui n’est pas suffisant pour comprendre la complexité d’un être vivant. En outre, la vision purement rationnelle du corps, que bien des médecins considèrent comme la plus professionnelle, n’est pas idéale pour les patients. Il vaudrait mieux garder une part émotionnelle, pour offrir au patient une forme d’attention plus positive. Donner une meilleure image du corps est essentiel pour le bien-être personnel, et permettrait à bien des gens de mieux faire face à leur maladie et aux déficiences de leur corps.

Certains de ces troubles intestinaux sont-ils liés à l’évolution de nos habitudes alimentaires?

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Nous avons éliminé un certain nombre d’aliments qui étaient très bons pour notre santé, comme, par exemple, la choucroute! C’est un aliment qui contient beaucoup de vitamines et de bonnes bactéries. Dans le passé, la choucroute était consommée très régulièrement durant l’hiver, et constituait une forme de cure pour la flore intestinale. En outre, nous consommons toujours plus d’aliments transformés, ce qui

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conduit à un déficit de fibres. Ces aliments transformés permettent de vite éprouver plaisir et satiété, car ils sont rapidement absorbés par le corps. Mais le gros intestin en sort souvent perdant, il se forme une véritable lutte au sein de l’organisme pour s’accaparer les aliments. Autrefois, on se nourrissait principalement d’aliments peu transformés, ce qui donnait un sentiment de satiété qui durait plus longtemps, et l’ensemble de l’intestin se voyait sollicité.

Votre ouvrage «Darm mit Charme» (Le charme discret de l’intestin) s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en Allemagne. Comment avez-vous vécu ce succès littéraire?

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Je me suis évidemment réjouie de l’attention suscitée par mon livre, mais il y avait aussi des aspects moins amusants; par exemple quand des journalistes ont appelé ma grand-mère pour lui soutirer des informations personnelles à mon propos... J’aimerais bien continuer à écrire, pour expliquer aux gens à quel point le corps humain est quelque chose de beau, qu’il faut en prendre soin et lui accorder une attention positive, mais je ne veux pas en faire mon métier. Je n’aimerais en aucun cas devenir un personnage public. ⁄

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wonge bergmann

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mens sana

«Nous risquons de voir apparaître dans les pays émergents une situation où les pharmas se concentrent sur les maladies «de riches», comme le diabète ou l’hypertension, et où, en parallèle, une large part de la population continue d’être maintenue à l’écart des progrès médicaux.» bernard pécoul

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MENS SANA

INTERVIEW

bernard pécoul De graves maladies tropicales sont délaissées,

faute de potentiel commercial. Le spécialiste Bernard Pécoul plaide pour la mise en place d’un modèle alternatif. interview: Sophie Gaitzsch photo: thierry parel

«Les pharmas ne s’intéressent pas aux populations pauvres» Malaria, maladie du sommeil, leishmaniose: ces patholoIV Quelles sont ces autres maladies négligies très répandues dans les pays en développement sont gées? BP Les entreprises se désintéressent de les grandes oubliées de l’industrie pharmaceutique. Le la maladie du sommeil et de la leishmaniose, médecin Bernard Pécoul, directeur de l’organisation non par exemple. Pourtant, il ne s’agit pas de magouvernementale Drugs for Neglected Diseases initiative ladies rares. 350 millions de personnes pré(DNDi), basée à Genève, a reçu In Vivo pour un long sentent le risque de contracter la leishmaniose, entretien. Il décrypte les ravages d’un «business model» une maladie parasitaire dont les manifestations incapable de répondre aux besoins des plus démunis. peuvent être cutanées ou viscérales. La maladie du sommeil, transmise par la mouche tsé-tsé, est endémique dans 36 pays africains et menace IN VIVO Il n’existe actuellement aucun traitement 60 millions de personnes. Il existe plusieurs degrés adéquat contre la maladie de Chagas, qui tue près dans ce que l’on appelle les «maladies négligées». de 13’000 personnes chaque année. Pourquoi? La malaria, qui en fait partie, a toujours suscité un BP Cette maladie tropicale provoquée par un parasite peu d’intérêt en raison de l’exposition des voyageurs fait partie des maladies dites «négligées». Les entredans les pays concernés, de même que la tuberculose, prises pharmaceutiques ne s’y intéressent pas, car car il existe encore des foyers dans les pays développés. elle touche uniquement les populations pauvres d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale et ne présente donc pas d’attrait commercial. Pour la IV Comment est né Drugs for Neglected Diseases inimême raison, de nombreuses pathologies répantiative? BP Il s’agit d’un projet né sous l’impulsion de Médues en Afrique et en Asie ne font l’objet d’audecins sans Frontières (MSF). Au début des années 2000, cun effort de recherche et développement, car face au constat que la recherche et le développement sont elles se trouvent tout simplement en dehors en panne pour un grand nombre de maladies, l’organisation du marché. décide d’agir. Une étude montre alors que seuls 1% des nou-

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veaux médicaments créés entre 1975 et 2000 peuvent servir pour le traitement de pathologies négligées qui représentent 11% de la charge globale de morbidité, un déséquilibre qui n’est pas compensé par le secteur public. Cela sans perspectives d’amélioration, car le pipeline de nouveaux produits est complétement vide. Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi) voit le jour en 2003 avec pour mission d’apporter une réponse à cette situation en développant de nouveaux produits. L’Institut Pasteur, l’OMS et plusieurs instituts de recherche des pays concernés participent à l’initiative.

Si les efforts adéquats avaient été poursuivis par le passé, un produit existerait déjà pour lutter contre le virus Ebola.

IV En tant qu’ONG, comment procède DNDi pour développer un médicament? BP Nous réunissons différents partenaires publics et privés – des entreprises, des organismes de santé publique, des centres de recherche et des universités – autour d’un objectif. Nous n’avons pas de laboratoire. Le rôle de DNDi consiste à rassembler les ressources et à coordonner les différentes actions des partenaires tout au long du processus: recherche, développement, phase clinique et enregistrement. Pour chaque projet, nous nous associons à une entreprise pharmaceutique qui s’engage à produire le 10 à 40 millions pour tout le processus. Pour le traitement à grande échelle et à le vendre à prix coûdéveloppement d’un nouveau médicament, ils tant. DNDi a ainsi déjà développé six médicaments. atteignent 100 à 150 millions. Nous sommes des L’ASAQ, par exemple, pour soigner la malaria, est opportunistes! Nous exploitons les recherches le résultat d’un partenariat avec l’entreprise franabandonnées. Il existe de grandes connaissances çaise Sanofi. Il s’agit d’une combinaison de deux scientifiques sur les maladies tropicales, qui n’ont molécules existantes, l’artésunate et l’amodiaquine, simplement pas été mises au service des malades. Nos que nous avons pu enregistrer en 2007. Depuis, partenaires contribuent en apportant leur expertise et 320 millions de traitements, vendus chacun un des investissements. Nous travaillons également avec dollar, ont été mis sur le marché en Afrique. Nous des sous-traitants sur un mode contractuel, mais avec visons l’élaboration de sept médicaments supplédes conditions financières qui ne sont en rien compamentaires d’ici à 2018. rables à celles pratiquées dans l’industrie. IV Vos coûts de développement sont largement inférieurs aux milliards de dollars par IV D’où provient le financement pour les activités de médicament prévalant dans l’industrie. ComDNDi? BP Il s’agit d’un mélange équilibré entre fonds ment parvenez-vous à ce résultat? BP Notre publics et privés. Nous recevons de l’argent des gouvernements, majoritairement européens, mais aussi de Médeapproche repose souvent sur la combinaison cins sans Frontières. Les grandes organisations philanthde produits existants qui ne sont plus protégés ropiques comme la Fondation Bill et Melinda Gates, dont par un brevet ou l’amélioration de molécules DNDi a reçu 60 millions de dollars en novembre 2014, et la pour lesquelles la recherche a été abandonfondation britannique Wellcome Trust font également parnée. Un grand nombre de compagnies nous tie de nos contributeurs. Aucun donateur ne fournit plus de donnent accès à leur librairie de molécules. 25% de notre budget afin de préserver la diversité des fonds Pour l’amélioration ou la combinaison de et notre indépendance. formules existantes, nos coûts s’élèvent de

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Mais j’espère que l’épidémie aidera à faire prendre conscience IV Pour quelles raisons les pharmas acque les efforts de recherche ne peuvent pas uniquement repoceptent-elles de collaborer avec DNDi? ser sur un système piloté par le marché. Ebola est une triste BP J’observe plusieurs facteurs. La démarche illustration de cette réalité. L’incapacité du marché à répermet aux entreprises pharmaceutiques pondre aux besoins sera probablement à nouveau démontrée d’améliorer leur image et de montrer qu’elles ces prochaines années par l’augmentation de la résistance se soucient de leur responsabilité sociale. Il aux antibiotiques et la résurgence de certaines maladies. s’agit par ailleurs de projets très bien perçus Nous assistons à un manque d’anticipation total autour de par les employés. Ils répondent donc à des cette question. objectifs de communication interne. Les pharmas coopèrent enfin pour des raisons commerciales: elles se positionnent sur les nouveaux IV En 2012, l’Organisation mondiale de la santé avait marchés que sont l’Amérique latine, l’Asie et fait de la recherche et du développement une priol’Afrique. En affirmant leur présence dans ces rité. Qu’est devenu cet élan politique? BP Nous avons régions, elles préparent le terrain pour vendre assisté à une montée en puissance, suivie de demi-med’autres produits dans le futur. sures. Par exemple, le projet de l’OMS d’observatoire sur la recherche et le développement pour les besoins des pays en voie de développement se met en place, IV Travaillez-vous aussi avec des entreprises mais très lentement. Les membres de l’organisation pharmaceutiques suisses? BP Nous entretenons seront appelés à faire de nouvelles propositions en plusieurs collaborations avec Novartis et des rela2016. L’OMS est l’expression de ce que souhaitent tions assez minimes avec Roche. les Etats, c’est donc de leur part que doit venir une solution pérenne. Cela passe par un chanIV Quel regard portez-vous sur l’épidémie gement du cadre réglementaire, par la actuelle d’Ebola? BP D’énormes progrès ont mise en place de mécanismes incitatifs à été réalisés dans le traitement des maladies BIOGRAPHIE la création de nouveaux produits, et par virales, mais Ebola n’en a pas bénéficié. Pour Diplômé en médecine une hausse des financements publics. Il la première fois, le virus n’a pas pu être limide l’Univerfaut davantage de partenariats entre le té à une zone géographique. Une réponse à sité de Clermontprivé et le public. Sans changement, nous court terme à la crise s’est mise en place: le Ferrand, Bernard risquons de voir apparaître dans les pays travail sur des produits existants a repris et Pécoul entame sa carrière dans le émergents une situation où les pharmas se des perspectives vaccinales ont émergé. En management de concentrent sur les maladies «de riches», quelques mois, les chercheurs ont identifié projets de santé comme le diabète ou l’hypertension, et où, trois candidats pour un vaccin. Cela montre publique pour en parallèle, une large part de la populabien que, si les efforts adéquats avaient été les réfugiés. Il rejoint Médecins tion continue d’être maintenue à l’écart poursuivis par le passé, un produit existerait sans Frontières des progrès médicaux. déjà. Il ne s’agit pas d’un objectif inattei- (MSF) en 1983 et gnable! En cas de contrôle de l’épidémie, je effectue plusieurs crains toutefois que l’on ne retombe dans la missions sur IV Que faudrait-il pour éliminer les le terrain en situation antérieure, car la maladie continue maladies négligées? BP Une implication Afrique, en Asie et de toucher essentiellement les pays pauvres. en Amérique lapolitique est indispensable pour suppritine. Au début des mer les pannes de recherche. Mais il faut années 1990, il replacer la problématique dans un contexte IV Un tel événement contribue-t-il à devient directeur plus large: ces maladies sont le résultat du améliorer le sort des patients souffrant de MSF France, grand dénuement dans lequel vivent les d’autres maladies négligées? BP Malheu- puis, toujours personnes concernées. Une diminution de reusement, non. Car il n’y a pas de risque pour MSF, prend la pauvreté permettrait d’améliorer drastique la maladie du sommeil ou la leishma- la tête du projet Campaign for quement la situation. / niose se répandent à Genève ou à New York. Access to Essential Medicines. Bernard Pécoul dirige Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi) depuis sa fondation en 2003.

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la guerre des prix Alors que les coûts de nouveaux médicaments atteignent des sommets, les systèmes de santé s’interrogent: faut-il accepter toutes les conditions des pharmas?

Texte Erik Freudenreich

Le Sovaldi, un nouveau médicament contre l’hépatite C, promet de guérir près de 90% des patients dans un délai de seulement douze semaines. Une avancée considérable dans la lutte contre cette pathologie, car les traitements disponibles jusqu’ici offraient un taux de guérison bien plus faible et s’accompagnaient souvent d’effets secondaires indésirables. Le hic? Son prix. Aux Etats-Unis, le traitement de trois mois coûte plus de 80’000 francs. En Allemagne, les 80 comprimés sont facturés 49’000 francs, tandis qu’un citoyen suisse doit débourser près de 60’000 francs pour bénéficier des effets de la molécule miracle. Mais en Egypte, où près de 15% de la population est infectée, son concepteur, le laboratoire américain Gilead, propose le traitement pour à peine 800 francs, arguant que le prix facturé dans les pays occidentaux permet de le vendre à prix coûtant dans les régions du globe qui ont en le plus besoin. Ces différences ont provoqué une vive polémique à l’occasion du lancement du médicament en France il y a quelques mois, où le coût du traitement a finalement été fixé à 41’000 francs, après une

négociation acharnée du Ministère de la santé français. Réagissant à cette controverse, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a publié un communiqué début février dans lequel il constate que «certains représentants de l’industrie pharmaceutique tentent, par une politique des prix d’un nouveau genre, de générer le plus de profits possibles grâce aux systèmes de sécurité sociale, financés par les impôts et les primes des assurés, des pays développés.» Pour Thomas Cueni, secrétaire général d’Interpharma, l’association faîtière de l’industrie pharmaceutique suisse, les bénéfices sur le long terme doivent être considérés. «L’hépatite C est une maladie qui génère des coûts très élevés: Top 3 des traitement d’une cirrhose médicaments les plus chers du foie, transplantations… du monde Qu’elle puisse désormais être traitée dans la grande majorité des cas, et de plus dans un laps de temps très court, devrait nous obliger à relativiser le coût d’un médicament comme le Sovaldi.»

Soliris

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Avec un coût annuel de plus de 400’000 francs, Soliris est considéré à l’heure actuelle comme le médicament le plus cher au monde. Commercialisé par la compagnie américaine Alexion Pharmaceuticals, il vise à soigner l’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN), une forme rare d’anémie.

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Tom Craig / Demotix

En août 2013, l’association Act Up a manifesté devant le laboratoire de Gilead à Paris pour dénoncer le prix de son médicament miracle, mais très cher, contre l’hépatite C.

Le coût de la recherche

L’exemple est loin d’être marginal. Bon nombre de nouvelles molécules 9879461798712137530218906808751 E l a p r a se sont aujourd’hui lancées Le laboratoire britannique Shire reclame près de 375’000 francs par à un prix faramineux, an pour son médicament Elaprase. notamment dans le Il permet de soigner la maladie domaine de l’immunode Hunter, une affection rare thérapie, des traiteliée à un déficit enzymatique qui ments oncologiques touche seulement 2000 personnes destinés à stimuler les à travers le globe. défenses immunitaires des patients. Aux Etats-Unis, le médicament Avastin, conçu pour lutter contre le cancer du côlon, est facturé entre 4’000 et 9’000 francs par mois suivant le poids du malade. Le traitement contre la leucémie Blincyto, coûte mensuellement près de

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13’000 francs. La nouvelle molécule contre le cancer du poumon développée par Novartis, vendue sous le nom de Zykadia, affiche un coût de 14’000 francs par mois. Les groupes pharmaceutiques expliquent ces tarifs par les contraintes règlementaires, les attentes de leurs actionnaires et des coûts de recherche et développement toujours plus élevés. «Il est vrai que lorsque l’on prend en considération les sommes investies dans les recherches qui n’ont pas abouti, le coût de la recherche et développement d’une molécule peut varier du simple au double, soit de 4 à 11 milliards de dollars», remarque le québécois Jacques Beaulieu, biologiste et auteur du récent ouvrage «Ces médicaments qui ont changé nos vies» (Multimondes, 2014). Une


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enquête menée par la revue économique «Forbes» montre en effet qu’une compagnie pharmaceutique doit débourser au moins 350 millions de dollars avant que son médicament soit commercialisé. Comme la plupart des grands groupes développent plusieurs projets en parallèle, le magazine américain a calculé que la facture se monte en moyenne à 5 milliards de dollars par nouveau médicament arrivant sur le marché. Des chiffres colossaux qui ne peuvent cependant justifier à eux seuls les tarifs pratiqués par l’industrie pharmaceutique. En effet, d’après l’analyse menée par «Forbes», le coût de la recherche et développement représente environ 20% du prix de vente, alors que les groupes pharmaceutiques dépensent des sommes supérieures pour la promotion de leurs produits et engrangent une marge de près de 20 à 30% par médicament vendu. Le cas helvétique

En Suisse, c’est l’Office fédéral de la santé publique qui détermine si un médicament doit être remboursé par l’assurance-maladie de base. «Cette décision est prise selon des critères d’opportunité, d’efficacité et de coût», précise Oliver Peters, vice-directeur de l’OFSP. Dans les cas des médicaments contre l’hépatite C, il a été décidé de réserver leur usage à des patients souffrant d’une affection avancée du foie. Une limitation qui s’avère par ailleurs justifiée médicalement, une étude récente venant de montrer que les chances de guérison de cette maladie demeuraient bonnes même en cas de traitement tardif.» Mais finalement, quel est le coût acceptable pour sauver une vie? Le Tribunal fédéral (TF) a été amené à se pencher sur la question il y a quelques années. Une

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patiente âgée s’est vu Naglazyme Développé par la comdiagnostiquer la forme pagnie californienne adulte de la maladie de BioMarin PharmaceuPompe, une affection ticals, ce médicament génétique provoquant une affiche un prix annuel atteinte musculaire. Dans de 365’000 francs. un premier temps, l’assuIl agit contre une maladie héréditaire rance de la patiente a acceprare du métabolisme té un traitement de six mois appelée syndrome de à base de Myozyme, un Maroteaux-Lamy, qui se médicament atténuant caractérise notamment une partie des symptômes par un nanisme et pour un coût de près de des déformations du squelette. 500’000 francs par an. Mais estimant que le traitement revenait trop cher, la caisse-maladie n’a pas poursuivi le remboursement. Saisi par la patiente, le Tribunal fédéral a donné 3 9984164612 84215483 raison à l’assureur, notant que le traitement était d’un coût disproportionné et que son bénéfice thérapeutique n’était pas suffisant. Dans son arrêt, le tribunal a jugé comme raisonnable un montant de 100’000 par année de vie supplémentaire en bonne santé. La solution à ce casse-tête pourrait-elle passer par l’essor des médicaments génériques? «La Suisse constitue un trop petit marché en matière de génériques, il y a une forme d’entente tacite entre fabricants», regrette Thierry Buclin, médecin-chef de la Division pharmacologie clinique du CHUV. Le clinicien évoque diverses pistes pour améliorer la situation: «Dans notre pays, il y aurait la place pour une fabrique de génériques qui serait entre les mains des citoyens, une sorte de coopérative publique. Elle pourrait en particulier produire des génériques combinés. Car la plupart des patients âgés, gros consommateurs de médicaments, souffrent de pathologies similaires: troubles cardiaques, diabète, hypertension.» ⁄

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Tourisme médical: gare aux turbulences

Floresco Productions/Getty Images

Les pays où la médecine est bon marché ne cessent d’attirer de nouveaux patients. Mais se faire soigner à l’étranger n’est pas sans risque.

Texte Julie Zaugg

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«L

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es patients qui viennent chez nous nous confient leur cœur, alors nous les soignons avec tout le nôtre», sourit Rujira Songprakon, infirmière. La caméra traverse alors une salle d’opération ultramoderne, passe devant des ordinateurs munis d’un système d’imagerie 3D, puis s’arrête sur un panneau bilingue thaï-anglais. Cette publicité, diffusée sur YouTube, vante les mérites du tout nouveau centre d’arythmie cardiaque de l’hôpital Bumrungrad, à Bangkok.

Elle témoigne d’un phénomène en pleine expansion: le tourisme médical. Si les membres de l’aristocratie européenne allaient déjà se faire soigner dans les villes thermales de France ou du sud de l’Angleterre au XVIIIe siècle, il a fallu attendre les années 1990 pour assister à une migration de malades à grande échelle. «Ces patients étaient en général aisés et issus de pays en voie de développement, détaille Josef Woodman, le CEO de l’organisation américaine Patients Beyond Borders, qui publie des guides sur le tourisme médical. Ils ne parvenaient pas à trouver des prestations médicales de qualité chez eux, alors ils venaient se faire soigner en Amérique du Nord ou en Europe de l’Ouest.» L’Allemagne et la Suisse ont notamment su se profiler sur ce créneau auprès des russophones ou des Arabes. Mais à partir du début des années 2000, un autre type de patient voyageur est apparu. «Il appartient à la classe moyenne, est issu d’un pays riche et est en quête de soins bon marché, souvent dans les Etats pauvres où le coût de la vie est moins élevé», relève Josef Woodman. Il privilégie les interventions chirurgicales de moindre gravité. Sur les 65’000 patients britanniques partis à l’étranger en 2013, 41% ont opté pour la

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Patients itinérants Chaque année, des millions de touristes traversent le globe pour profiter de soins à prix cassés, notamment en Asie et en Amérique du Sud. infographie: diana bogsch, Romain guerini / largenetwork

Mexique Etat voisin des Etats-Unis, il attire de nombreux patients transfrontaliers. Les Américains profitent de cette proximité pour aller chez le dentiste ou subir une opération de chirurgie bariatrique. Au total, le pays reçoit 200’000 à 1,1 million de touristes médicaux par an.

Brésil Ce pays reçoit 180’000 touristes médicaux par an. La plupart viennent pour la chirurgie esthétique, notamment à la clinique Ivo Pitanguy de Rio de Janeiro, l’un des centres les plus réputés du pays.


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= 100’000 touristes médicaux

Hongrie Les Allemands, les Autrichiens et les Suisses ont fait de cet Etat l’une des principales destinations pour les soins dentaires. Une ville au nord-ouest du pays, Gyor, a plus de 150 cliniques dentaires destinées aux étrangers. Rien que dans le domaine dentaire, le pays attire 60’000 à 70’000 patients par an.

inde Le sous-continent représente la destination médicale la moins chère: le coût des procédures y est 60 à 90% moins élevé que dans le monde développé. Les opérations orthopédiques et cardiaques sont prisées, notamment celles effectuées par les prestigieux hôpitaux Wockhardt. Le pays attire 350’000 à 850’000 personnes par an.

Thaïlande Pionnier du tourisme médical, ce pays accueille entre 1,3 et 1,8 million de malades par an. Un seul hôpital, Bumrungrad International, reçoit 400’000 patients étrangers par an en provenance de 120 pays. La chirurgie esthétique et la chirurgie de réattribution sexuelle (changement de sexe) sont également très prisées.

Turquie Cet Etat situé aux portes de l’Europe s’est spécialisé dans les opérations des yeux au laser. Les centres Dunya Goz, basés à Istanbul, sont parmi les plus réputés. En 2013, la Turquie a accueilli 110’000 touristes médicaux. Malaisie Destination très bon marché, ce pays asiatique recueille 670’000 patients étrangers par an. La plupart sont séduits par les packages «well-man» qui permettent de se faire examiner la vision, les dents et l’audition, ainsi que d’obtenir un IRM et un PET Scan pour 1’500 dollars.

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Singapour Les cliniques et hôpitaux de ce microEtat sont parmi les meilleurs au monde, notamment en oncologie. A l’image du Johns Hopkins International Medical Centre. Cela séduit 400’000 à 610’000 patients par an.

Source: Patients without borders

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maladie chronique - décident carrément de déménager dans un pays où les soins sont moins chers. «Des Allemands souffrant d’Alzheimer partent s’installer au Maghreb, relève Fred Paccaud, directeur de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV. Des Suisses prennent leur retraite sur la Costa Brava espagnole, dans des immeubles spéciaux équipés d’infirmeries et d’autres services médicaux.»

chirurgie esthétique, 32% pour des soins dentaires, 9% pour des opérations anti-obésité (chirurgie bariatrique) et 4,5% pour des traitements de fertilité. «Il y a 10 ans, il n’y avait encore que cinq ou six destinations proposant des soins aux étrangers, indique Jonathan Edelheit, qui dirige la Medical Tourism Association, une association américaine qui œuvre pour la qualité et la transparence en matière de soins dans le tourisme médical. Aujourd’hui, il y en a plus de 100.» La plupart se sont spécialisées sur une poignée d’interventions. La Hongrie attire par exemple les Européens de l’Ouest en quête de soins dentaires. L’Afrique du Sud, la Colombie, le Mexique, le Brésil, le Costa Rica, la Tunisie et le Maroc sont devenus des pôles pour la chirurgie esthétique. L’Inde et la Thaïlande sont privilégiées pour les opérations cardiaques et orthopédiques. Les Suisses ne sont pas de reste. «Nous envoyons nos clients à Barcelone, en Hongrie et à Istanbul pour des soins dentaires, à Grenoble et Istanbul pour subir une opération des yeux au laser ou en Belgique ou à Istanbul pour les interventions de chirurgie esthétique», détaille Stéphane de Buren, qui a créé l’agence de tourisme médicale genevoise Novacorpus. Mais qu’est-ce qui pousse les gens à partir se faire soigner à l’étranger? Le prix reste le principal argument. Les économies peuvent atteindre 70 à 90%. Un pontage de l’artère coronaire coûte 88’000 dollars aux EtatsUnis, mais seulement 14’400 en Inde, selon les chiffres de Patients Beyond Borders. Une fécondation in vitro (FIV) se facture 15’000 dollars aux Etats-Unis mais 1’150 en Ukraine. Certains patients – notamment ceux qui sont plus âgés ou qui souffrent d’une

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Mais le tourisme médical n’est pas qu’une histoire de sous. «Le vieillissement de la population et la multiplication des maladies graves ou chroniques dans un système de santé surchargé ont donné un coup d’accélérateur au phénomène», souligne Josef Woodman. En GrandeBretagne et au Canada, les listes d’attente peuvent atteindre plusieurs mois, voire des années pour certaines interventions.

Chiffres

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En millions, le nombre de touristes médicaux par an, selon l’Organisation mondiale de la santé.

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En milliards, la valeur de l’industrie mondiale du tourisme médical.

11’500

En dollars, le prix d’un remplacement de la hanche au Mexique. Aux Etats-Unis, la même opération coûte 33’000 dollars, selon l’association Patients Beyond Borders.

Se faire traiter à l’étranger permet en outre d’échapper aux lois du pays d’origine. Si la procréation médicalement assistée n’est pas ouverte aux femmes célibataires ou aux lesbiennes dans de nombreux pays, elle l’est en Espagne, en Suède et aux Etats-Unis. De même, l’assistance au suicide, autorisée en Suisse, a fait du pays une destination pour le tourisme de la mort. Certaines procédures ne sont disponibles qu’à l’étranger. «Le Birmingham hip, une technique de resurfaçage de la hanche qui évite les implants, n’a longtemps été pratiqué qu’en Inde», note Josef Woodman. Reste que le tourisme médical n’est pas sans danger. Une étude de l’Université de Californie portant sur 33 patients ayant subi une greffe de rein à l’étranger a constaté un taux de rejet et d’infection supérieur à la moyenne. En Grande-Bretagne, un sondage auprès des membres de l’Association des chirurgiens esthétiques a montré que 37%


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la pauvreté de devenir mère porteuse.» Plus généralement, le tourisme médical a débouché sur une réallocation des fonds et des personnels de santé vers les visiteurs étrangers, aux dépens des besoins de la population locale. En Thaïlande, par exemple, les établissements ruraux et le traitement des maladies infectieuses ont été délaissés ces dernières années au profit des grands hôpitaux urbains et des prestations orthopédiques ou cardiaques haut de gamme. ⁄

d’entre eux avaient traité des patients avec des complications suite à une opération réalisée à l’étranger. «J’ai vu de véritables boucheries dans certains des cabinets dentaires situés sur la frontière mexicaine ou en Hongrie», raconte Josef Woodman. Le simple fait de se déplacer implique des risques. Certains pays tropicaux ou du tiers monde comportent des virus et bactéries qui sont absents - ou moins fréquents dans les pays développés, comme la tuberculose, la malaria ou la dengue. Prendre l’avion peu de temps après une opération favorise en outre les thromboses et les embolies pulmonaires.

L’arrivée de ces visiteurs occidentaux n’est pas non plus sans impact sur les locaux. «On a vu apparaître du trafic de tissus humains en Chine, aux Philippines ou en Colombie, relève Jonathan Edelheit. S’il n’est jamais légal d’acheter un organe, certains pays autorisent les dons de la part de simples ‘amis’.» Cela favorise les abus. «En Inde, certaines femmes illettrées se retrouvent enrôlées dans un programme de don d’ovule sans le savoir, note Elizabeth Beck-Gernscheim, une sociologue allemande qui a étudié le phénomène. D’autres sont contraintes par

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Ralf Schulze

La gestion post-opératoire laisse aussi souvent à désirer. «Le patient n’a pas souvent droit à des consultations de suivi», relève Jonathan Edelheit. La durée moyenne du séjour hospitalier excède rarement les quelques jours. En cas de complication ou d’erreur médicale, les possibilités pour obtenir réparation sont ténues. «Le patient se retrouve souvent seul: la clinique qui l’a traité se décharge de son cas et son médecin habituel ne veut pas entendre parler des complications survenues à l’étranger», détaille Keith Pollard, l’éditeur du site Treatment Abroad et du magazine International Medical Travel Journal.

La Suisse veut sa part du gâteau

Le sanatorium d’Agra, au Tessin, photographié en 1930.

La Suisse a une longue tradition de tourisme médical, née à l’époque des stations thermales et des sanatoriums. Environ 30’000 personnes viennent s’y faire soigner chaque année, selon l’Institut Gottlieb Duttweiler. Elles dépensent 1 milliard de francs, soit 6% du chiffre d’affaires hospitalier annuel. «La plupart viennent de Russie, du Kazakhstan, d’Ukraine, d’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, de Chine ou des pays voisins», détaille Andrej Reljic, qui dirige Swiss Health, un organisme de promotion de la place médicale helvétique créé en 2008. «La Suisse a une expertise à faire valoir dans le domaine de la réhabilitation, de l’orthopédie, de la médecine sportive (accidents de ski), de la prévention et du wellness», estime Franz Kronthaler, professeur à la Haute Ecole de technique et d’économie de Coire. Outre les hôpitaux universitaires des grandes villes, plusieurs régions ont développé une offre ad hoc destinée aux patients étrangers, à l’image de Lucerne ou du Tessin (via les plateformes Lucerne Health et Ticino Health) ou de Montreux (par le biais de la clinique La Prairie).


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Sous les pavés, la psychose Plusieurs études le confirment: la schizophrénie est plus fréquente en milieu urbain que rural. Reste à mieux comprendre les mécanismes impliqués. Texte: Jean-Christophe Piot, illustration: Adam quest

a ville, néfaste à la santé mentale? L’idée n’est pas nouvelle. «L’observation d’une prévalence plus importante de la schizophrénie en milieu urbain date de 1939», précise Philippe Conus, chef de service au Département psychiatrique du CHUV. Une hypothèse confirmée par de récentes études de l’Institut de psychiatrie du King’s College de Londres aux conclusions sans appel: la maladie, comme d’autres troubles psychotiques, est deux fois plus fréquente en milieu urbain. A l’heure où la moitié de la population mondiale vit déjà en ville, l’enjeu n’est pas mince. Comprendre les causes de cette corrélation n’est pas simple. «Les travaux épidémiologiques trouvent leurs limites», reconnaît le psychiatre. D’où l’idée de lancer une étude à l’approche originale, au carrefour des sciences humaines et des sciences de la vie. Menée par

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le Département de psychiatrie du CHUV et l’Institut de géographie de l’Université de Neuchâtel avec le soutien du Fonds national de la recherche, ce projet initié par Philippe Conus et le géographe Ola Söderström concernera dans un premier temps une quarantaine de patients atteints par les premières manifestations de la maladie. Son but? Mieux définir les spécificités qui favorisent l’apparition de la maladie, ainsi que la solution permettant d’isoler leur impact dans l’apparition d’une pathologie multifactorielle. Comment faire la part entre les facteurs proprement urbains, les fragilités génétique, biologique ou psychologique et les éléments de stress externes? Comment comprendre le fait que les citadins sont plus souvent diagnostiqués que leurs concitoyens des milieux ruraux? «Nous ne savons pas si la taille de la ville joue dans la prévalence de la schizophrénie», continue Phi-

lippe Conus, mais il est acquis que le risque augmente en fonction du nombre d’années passées en ville, surtout dans l’enfance, un effet qui persiste même si l’on corrige l’impact possible d’autres facteurs de risque plus prévalents en ville, comme l’exposition au cannabis par exemple.» En filmant leurs réactions au cours de trajets en milieu urbain, les chercheurs comptent identifier les zones vécues par ces malades comme sûres ou au contraire comme stressantes. Ces éléments seront analysés au regard des données épidémiologiques réunies par les psychiatres. Soutenue par la branche suisse de la Société internationale pour des approches psychologiques et sociales des psychoses, cette première phase permettra de dégager des hypothèses qui seront vérifiées auprès de populations de patients élargies au cours des trois prochaines années. Des pistes précieuses pour mieux comprendre la maladie. ⁄


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substances toxiques: la menace de l’intérieur Peinture, détergents et sprays polluent fortement l’air de nos appartements. En Suisse, aucune réglementation ne limite leur usage. Texte: Céline Bilardo, photo: Heidi Diaz

Les causes de cette augmentation? «Nous les ignorons, note le spécialiste. Quand nous avons exclu toutes les sources habituelles d’une apparition d’irritation, d’une allergie et d’une inflammation des voies respiratoires, nous nous trouvons le plus souvent face à une boîte noire, une sorte d’impasse. Auparavant, nous pensions que ces nouveaux cas étaient essentiellement dus à l’exposition au tabac. Et les évidences scientifiques le confirmaient. Aujourd’hui, nous savons que le

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tabac est responsable de 60% de ces maladies, mais les 40% restants? La piste des polluants de l’air intérieur est engagée depuis quelques années.» Les spécialistes sont effectivement unanimes: l’air de nos intérieurs est dix fois plus pollué que l’air extérieur. Les revêtements tels que la peinture ou les sols, mais aussi les produits que nous utilisons régulièrement, comme des sprays désodorisants, imperméabi- Substance irritante et cancérogène, le lisants, ou encore benzène est considéré les produits de comme l’un des polnettoyage, forts luants de l’air intérieur en solvants, en les plus nocifs. Il est sont responsables. notamment utilisé pour la fabrication d’essence, Tous émettent de colle, de plastique, des substances de peinture ou encore chimiques toxiques de détergents. Le benque nous inhalons zène fait partie des COV et accumulons (composés organiques dans notre volatiles), une famille regroupant plusieurs organisme. «Il substances chimiques existe des cenqui s’évaporent dans l’air taines, voire des

telles que le propane, le butane, l’acétone ou l’éthanol. Le pictogramme représentant des flammes, présent sur l’étiquette de certains produits ménagers, indique un signe de concentration de ces composés.

Le benzène

p

rès de 10% de la population suisse souffre d’asthme. Les enfants contractent plus couramment cette maladie des voies respiratoires, mais aujourd’hui, de plus en plus d’adultes aussi consultent pour des symptômes similaires. «Nous recevons notamment des femmes âgées de 30 à 45 ans, qui souffrent nouvellement d’asthme, de toux persistante ou de bronchite», remarque Laurent Nicod, responsable du Service de pneumologie au CHUV.


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Le radon

milliers, de polluants dans notre air intérieur, explique Laurent Nicod. L’exposition à cette pollution, même à petite dose, a des effets chroniques. Elle touche surtout les voies respiratoires, et peut provoquer sur le long terme des allergies, de l’asthme, attaquer les bronches et prédisposer certaines personnes à développer des cancers du poumon.»

Gaz radioactif naturel, le radon se forme dans le sol et peut s’accumuler dans les constructions, si les sous-sols ne sont pas étanches ou sont mal ventilés. Il est la deuxième cause de cancer du poumon après le tabac. Les zones de concentration en Suisse sont néanmoins connues: ce gaz se trouve surtout dans les Alpes et le Jura. L’OFSP propose une «carte radon» régulièrement mise à jour sur son site internet.

L’héritage du passé

Les spécialistes du domaine de la construction tentent d’identifier ces agents toxiques. L’amiante, une fibre isolante intégrée dans les matériaux de construction et les faux-plafonds jusqu’en 1990 en Suisse, est aujourd’hui interdite. «Il y a un risque d’exposition à l’amiante dans les bâtiments antérieurs à 1991, souligne Marcel Kohler, directeur du Service de toxicologie de l’environnement bâti de l’Etat de Genève. Ce qui représente par exemple près de 80% du parc immobilier genevois. Mais ce risque ne se présente que lorsque l’on décide d’effectuer des travaux, comme une rénovation. Le diagnostic amiante et le processus de désamiantage sont obligatoires et bien connus des professionnels.» Le plomb, utilisé dans les peintures jusqu’en 2006, a aussi été clairement identifié comme toxique. «Ce sont les

Laurent Nicod, responsable du Service de pneumologie au CHUV, met en garde contre l’exposition chronique aux polluants de l’air intérieur.

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Aérer fréquemment Il est indispensable d’ouvrir plusieurs fois par jour les fenêtres d’une pièce, qu’il s’agisse d’un bureau ou d’une salle de classe. Des systèmes d’aération automatique existent. Les nouveaux bâtiments écologiques labellisés Minergie en sont normalement dotés. Utiliser des solutions aqueuses Pour peindre des locaux, il est conseillé de recourir à des peintures à l’eau qui contiendront pas ou peu de solvants et émettront alors moins de particules. Repérer les bons labels «L’étiquette environnementale» pour les peintures, «GuT» pour les tapis ou encore «Ange bleu» pour plusieurs biens de consommation représentent quelques-uns de labels écologiques à identifier sur les produits d’intérieur. Préférer les crèmes aux sprays Les aérosols utilisés pour l’imperméabilisation notamment connaissent leur équivalent sous forme de crème, plus propres en terme d’émission de polluants.

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enfants qui sont les plus exposés au danger. Il suffit qu’une peinture contenant du plomb commence à s’altérer, s’effrite et qu’un enfant inhale les poussières qui s’en dégagent ou porte les débris à sa bouche pour qu’il s’intoxique.» Objets irritants

Des objets présents dans de nombreux intérieurs sont aussi sources de pollution. «Les meubles en bois aggloméré, les peintures et les colles notamment peuvent dégager de fortes doses de formaldéhyde, un gaz irritant, note Marcel Kohler. Cette substance se dégage aussi de la fumée de cigarette ou lors de la combustion de bâtonnets d’encens, tout comme le monoxyde de carbone (CO), un gaz inodore, issu d’une mauvaise combustion dans un espace avec peu d’oxygène.» Les sprays désodorisants, imperméabilisants ou les produits ménagers et les désinfectants restent les agents auxquels chacun risque d’être exposé à plus ou moins forte dose sur le long terme. Considérés comme nocifs, ils forment

Ce gaz invisible et inodore peut se dégager lors de l’utilisation d’un chauffage d’appoint (gaz, mazout, bois), lors d’une mauvaise ventilation d’un appareil à cuisson ou encore lorsque ces équipements sont défectueux ou mal réglés. En 2010, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recensait par ailleurs plus de 400 décès dus à une intoxication au CO en Europe. Ces cas sont moins nombreux en Suisse où des normes de ventilation (pour les conduits de cheminée par exemple) ont été mises en place pour les habitations.

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Le monoxyde de carbone

Comment réduire la pollution intérieure

un nuage de particules, souvent assez fines pour atteindre les alvéoles des poumons. «Leur usage domestique ne devrait causer aucun souci, explique Horacio Herrera, hygiéniste du travail à l’Institut universitaire romand de santé au travail (IST). Le danger réside dans leur utilisation abusive, et pour les imperméabilisants, surtout dans leur usage en milieu clos. Et si les fabricants sont tenus d’indiquer quels sont les composants utilisés sur l’étiquette, ils ne sont par contre pas obligés d’en détailler la concentration…» Pas de réglementation

En Suisse, aucun seuil limitatif n’est imposé aux fabricants. «La mise sur le marché des matériaux de construction, des objets et produits d’intérieur est basée sur le principe de contrôle autonome du fabricant, remarque Marcel Kohler. Il n’existe pas de contrôle similaire à celui imposé pour la vente de médicaments par exemple.» Et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) n’a pas l’autorité de réguler «mais d’informer la population sur les risques liés à la santé, de donner des recommandations et de fixer des valeurs indicatives sur certains polluants», souligne Roger Waeber, responsable du Service des polluants de l’habitat de l’OFSP. Les spécialistes regrettent tous le manque d’études épidémiologiques de ces toxiques sur le plan domestique. «La sensibilisation au grand public se fait petit à petit, indique Laurent Nicod. La France a notamment créé un Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) en 2001 et la Convention de Stockholm se charge de répertorier régulièrement les substances à risque. Mais une prévention sûre ne pourra pas se faire avant d’avoir obtenu des données conséquentes sur cette problématique de santé publique qui devient sérieuse.» ⁄


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La promesse, ou la «toxicité des faux espoirs»

plutôt que des chercheurs euxmêmes – opère Dans un livre à paraître baptisé «Sciences et technologies une jointure émergentes: pourquoi tant de promesses?», des chercheurs assez inédite de l’Université de Lausanne tirent la sonnette d’alarme: dans l’Histoire à force de garantir régulièrement des avancées spectacuentre, d’un côté, laires, le discours scientifique risque la rupture avec d’immenses la population. promesses, voire des rêves Texte: bertrand tappy et, de l’autre, des impératifs plus terre à terre: trouver des est de pouvoir expliquer une VIIe siècle en immense partie des phénomènes financements, faire rayonner Angleterre: ses travaux dans un contexte biologiques et ceux de la vie Francis Bacon, hyper-compétitif afin de gagner en déchiffrant l’ADN humain, prestigieux en opportunités dans un milieu laissant espérer le développeconseiller du roi rédige Novum de plus en plus spécialisé. Dans ment de nouveaux traitements. organum, un ouvrage monumenune telle situation, nous pouvons tal qui, bien que jamais terminé, légitimement nous demander Malgré les 400 ans qui séparent constitue l’un des piliers de la sur quelles bases sont prises les les deux événements, on remarscience empirique moderne. Le décisions sur les nouvelles orienquera un point commun entre les philosophe y détaille une idée tations de recherche?» deux discours: ces grands projets promise à une immense fortune: d’amélioration du monde par la grâce à la science, l’homme est science n’annoncent pas de réelles désormais capable de créer les i le propos peut découvertes, ils les promettent. outils nécessaires pour asseoir bien sûr sembler un à la fois sa connaissance et sa brin provocateur, «L’histoire des sciences est domination de la Nature. l’ouvrage va plus loin jalonnée de promesses et d’utoque considérer les chercheurs pies, rappelle Marc Audétat*, Fin du XXe siècle: un groupe comme de simples marchands mais le discours scientifique – de tapis. «Avec la compétition de scientifiques issus de qui est aujourd’hui plus souvent entre les nations et l’explosion plusieurs nations lance le le fait de des supports de communication, Human GeFrancis Bacon communicants l’écosystème politico-scientinome Project, Le Novum organum («Nouvel outil») professionnels fique est devenu une machine dont l’objectif

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est l’œuvre majeure du philosophe britannique Francis Bacon, parue en 1620. Dans le Novum organum, Bacon développe un nouveau système de production de la connaissance de la nature qui accorde une place centrale, pour les progrès scientifiques, à l’expérimentation. Ce qui lui vaut d’être considéré comme le père de la philosophie expérimentale moderne. 45


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fort complexe qui fonctionne parfois à l’image des bulles spéculatives de la finance, affirme Alain Kaufmann**. Son but est d’attirer des crédits et de susciter ainsi la compétition supposée contribuer à la croissance économique. Ce mécanisme a pour toile de fond une sorte de connivence un peu cynique: le discours axé sur la promesse vise à rendre crédible une corrélation hypothétique entre, d’une part, l’assurance d’améliorations dans le proche avenir et, d’autre part, des inquiétudes légitimes, des espérances et des intérêts sociaux et économiques transformés en promesses politiques par les décideurs. Le marché des promesses vient ainsi se loger à la croisée de deux opportunismes, l’un scientifique et l’autre politique. En science, les promesses non tenues passent rarement devant le tribunal de la morale et encore moins devant celui de la raison.»

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en identifiant des séquences pathogènes, nous parviendrons à comprendre les mécanismes pathologiques, et la maîtrise de leur fonctionnement permettra le développement de thérapeutiques ciblées sur la cause première du trouble. Le raisonnement n’est pas absurde, mais force est de constater l’écart entre les promesses des années 1990 et les réalisations un quart de siècle plus tard.

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Loi de Moore La Loi de Moore, du nom de son créateur Gordon Moore, a été exprimée en 1965 dans Electronics Magazine par cet ingénieur qui fut l’un des artisans de la fondation du géant informatique Intel. Constatant que la complexité des circuits informatiques proposés au public doublait tous les ans à coût constant depuis 1959, date de leur invention, il émet la thèse que cette croissance est destinée à se poursuivre dans le futur par une augmentation exponentielle rapidement baptisée Loi de Moore.

e constat peut être étendu à beaucoup de projets précisément «prometteurs»: nanotechnologies, OGM et plus récemment les neurosciences. Et dire cela n’est pas faire de l’anti-science. Au contraire, c’est être scientifique jusqu’au bout et constater que la production de promesses est le plus souvent inversement proportionnelle à la solidité scientifique des arguments prophétiques formulés dans ces grands projets. Et je crois que cette sorte de yo-yo entre la merveille et la déception que l’on fait subir aux citoyens, pourtant

«Regardons par exemple avec un peu de recul le Human Genome Project lancé en 1990, continue Francesco Panese***. Dès le début, son objectif n’était pas seulement de séquencer la totalité des 3 milliards de paires de bases du génome humain, mais aussi et peut-être surtout d’identifier des gènes spécifiques impliqués dans le large spectre des pathologies humaines. Le discours du Wired: The End of Science projet était Dans un article paru en juin 2008, le rédacteur en chef bâti sur un de Wired Chris Anderson écrivait: «Now Google and raisonnement like-minded companies are shifting through the most measured age in history, treating this massive corpus assez simple: as a laboratory of the human condition. They are the children of the Petabyte Age.»

de plus en plus concernés, risque de produire non seulement la critique, qui est saine a priori, mais surtout le rejet. Comme le disait le philosophe Michel Foucault, ce qui est historiquement construit, peut être politiquement détruit.»

Autre avatar récent de ce phénomène: le Big Data et son dérivé scientifique: grâce aux capacités de calculs phénoménales des ordinateurs modernes (sans oublier bien sûr ceux qui n’existent pas encore), il serait bientôt possible de découvrir des corrélations inédites et insoupçonnées entre des facteurs de plus en plus nombreux et de prime abord disparates (par exemple votre ADN, votre environnement de vie, votre régime alimentaire et, in fine, votre métabolisme en santé et en maladie). On se met alors à croire et à promettre que les algorithmes de corrélations statistiques pourraient remplacer à moindres frais la recherche fondamentale, mobilisant des arguments tels que la fameuse Loi de Moore. «Emballé par cette promesse, le magazine Wired avait par exemple titré en 2008 «The End of Science», se souvient Marc Audétat, et expliqué qu’on pourrait bientôt se passer de modèles et que de nombreux scientifiques deviendraient inutiles.

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intel free press

«Wired»

Gordon Moore

Francis Bacon

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ien sûr, les journalistes de la célèbre revue sont depuis revenus de leur enthousiasme, mais le puissant patron de Google, Larry Page, n’en déclare pas moins vouloir changer le visage de la médecine grâce au traitement algorithmique des pétaoctets de données de santé individualisée qu’engrangent ses gigantesques serveurs. Une nouvelle prophétie, selon les mots de Francesco Panese, «dans laquelle un auteur

comme Eric Topol voit la possibilité d’une «Destruction créative de la médecine», le titre de son best-seller paru en 2012. Les auteurs de Sciences et technologies émergentes: pourquoi tant de promesses? montrent néanmoins qu’une autre approche est possible: «Les termes de science citoyenne et de recherche collaborative occupent de plus en plus de place dans les esprits et dans

les pratiques, conclut Alain Kaufmann. Ils opposent une vision participative et plus intégrée de la science dans la société à ceux qui se contentent de promettre. En écoutant les chercheurs au quotidien, on sent parfois de la lassitude et il y a fort à craindre une fracture au sein de la communauté des chercheurs eux-mêmes, entre ceux qui profèrent et profitent de la promesse, et ceux qui s’érigent contre la toxicité des faux espoirs.» ⁄

* Marc Audétat, responsable de recherche à l’Interface Sciences - Société UNIL ** Alain Kaufmann, directeur de l’Interface Sciences - Société UNIL *** Francesco Panese, professeur à l’Institut des sciences sociales UNIL et directeur du Musée de la main UNIL-CHUV

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chronique

claude halmos Psychanalyste et écrivain

La vie sociale peut rendre malade Chacun peut aujourd’hui parler sans (trop de) craintes des souffrances psychologiques qui lui viennent de sa vie privée. Evoquer ses difficultés de fils, de fille, de parent, d’amant… Ces douleurs ont acquis dans notre société une place légitime.

Comment expliquer un tel silence sur les problèmes psychologiques individuels engendrés par cette situation (et sur leur complexité)?

Il n’en a pas toujours été ainsi. Avant que, dans les années 1990, ceux que l’on nomme désormais toutes catégories confondues les «psys» envahissent les médias, ces problèmes étaient tabous (nul n’aurait, par exemple, osé faire état publiquement de ses difficultés sexuelles). Les «douleurs privées» s’exposent aujourd’hui et parfois même s’étalent à la «une» des magazines. Les temps ont bien changé…

En comprenant qu’il a pour origine essentielle une méconnaissance théorique. Nous vivons en effet dans l’idée – implicite mais dominante – que les êtres humains se construiraient dans leur vie privée et qu’ils «auraient» un jour, de surcroît, une vie sociale. Partant de là, les atteintes à la vie sociale sont supposées porter préjudice à leurs «avoirs» mais en aucun cas à leur être. Ce qui est faux.

Mais un autre tabou est apparu. Et il concerne désormais les souffrances issues de la Les êtres humains sont des êtres doubles. vie sociale. Celles – parfois colossales – que des Ils ont ce que l’on pourrait appeler (même si millions d’hommes et de femmes aujourd’hui endurent. Non pas du fait de leur vie privée, de le terme est impropre) une «double colonne leur histoire personnelle ou de leur enfance, mais vertébrale psychique», mi-privée, mi-sociale, à cause de ce que la société les oblige à subir. Une dont la partie sociale se construit pour l’enfant société ravagée par une crise économique si lourde dès l’école. Car il va acquérir, là, une nouvelle que, tandis qu’elle confronte les uns à l’épreuve image de lui-même, une nouvelle appréhension du chômage et de la pauvreté, elle fait vivre de sa valeur, etc. qui vont dès lors coexister avec tous les autres dans la peur – voire la terreur – celles qu’il avait déjà construites auparavant dans de ce chômage, de l’appauvrissement, du sa vie familiale. déclassement, quand ce n’est pas de la précarité. Touché dans sa vie sociale, l’être humain est donc blessé – voire détruit – dans la moitié de son être. Atteinte gravissime qui explique l’augmentation PROFIL La psychanalyste française notable en temps de crise du taux des dépressions Claude Halmos est et des suicides. Et qui justifie l’urgence d’une prise spécialiste de l’enfance. en charge. ⁄ Auteure de multiples

Serge Picard

ouvrages sur le sujet tels que Pourquoi l’amour ne suffit pas ou L’autorité expliquée aux parents, elle intervient régulièrement sur France Info et dans Psychologies Magazine.

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À lire

«Est-ce ainsi que les hommes vivent? Faire face à la crise et résister.» Editions Fayard, 2014.


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Texte: Martine Brocard Photo: Philippe Gétaz

Hyperactifs et maladroits même combat Les enfants qui présentent des troubles de l’attention souffrent souvent de problèmes moteurs. Une découverte qui permet de développer des alternatives à la médication.

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appelez-vous: à l’école il y avait toujours ceux qui trébuchaient dans la cour, renversaient leur tube de colle ou étaient incapables d’attraper un ballon. Les maladroits. Il y avait aussi ceux qui n’écoutaient jamais en classe, oubliaient leur sac de gym et perturbaient le cours en se levant sans autorisation. Les cancres. La médecine a découvert que les seconds ne souffrent pas d’un manque d’intelligence, mais de concentration (trouble du déficit d’attention-hyperactivité, TDAH). On sait désormais que les maladroits chroniques partagent souvent le même problème. Une étude vient de le prouver. Quand la Ritaline améliore la motricité

Le Service d’ergothérapie du CHUV reçoit parfois des enfants cORPORE SANO

suspectés de souffrir de troubles moteurs, comme les maladroits mentionnés plus hauts, mais les tests de motricité et de coordination ne révèlent rien d’anormal. Pourtant, ce manque d’habileté a un impact important dans leur vie quotidienne. «Nous nous disions qu’il y avait une autre cause», note Marie-Laure Kaiser, ergothérapeute cheffe au CHUV. Pour tester son hypothèse, la spécialiste a compilé 45 études portant à la fois sur les troubles de l’attention et les troubles moteurs durant un congé scientifique de mars à octobre 2014 à l’Université de Groeningen aux Pays-Bas. Elle s’est intéressée, d’une part, aux études sur les capacités motrices des enfants diagnostiqués avec un trouble de l’attention qui n’étaient pas traités avec des médicaments, et, d’autre part, à celles qui portaient sur l’influence des

psychostimulants (de type Ritaline) sur la motricité des enfants souffrant d’un trouble de l’attention. Résultat: plus de la moitié (51 à 73%) des enfants avec un TDAH souffrent également d’un trouble moteur. D’autre part, les psychostimulants améliorent la motricité de ces enfants dans 28 à 67% des cas. «Cette compilation amène la preuve qu’il y a une corrélation entre les troubles de l’attention et ceux de la motricité», explique Marie-Laure Kaiser. Un enfant sans problème moteur peut tomber régulièrement parce qu’il est toujours dans la lune, ou rater un ballon parce qu’il n’est pas concentré. Synergies renforcées

«Cette étude montre qu’en plus des troubles de l’apprentissage comme la dysorthographie ou la dyscalculie, couramment


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Les adultes aussi

associés au TDAH, nous devons prendre en considération les troubles de la motricité et de la coordination», relève Michel Bader, pédopsychiatre et privatdocent à la Faculté de biologie et médecine de Lausanne. Les synergies existant entre la neuropédiatrie, la pédopsychiatrie et la pédiatrie, disciplines s’occupant généralement du TDAH, et l’ergothérapie en sortiront renforcées, notamment avec des consultations communes et la mise en place de stratégies thérapeutiques conjointes. Le patient sera gagnant. «Lorsqu’un enfant souffrant de problèmes de coordination est orienté vers un psychiatre, on peut vite perdre une année jusqu’à ce qu’il soit réorienté vers un ergothérapeute», dit Marie-Laure Kaiser. Et pourtant le temps presse. «Un enfant de 6-7 ans a une grande marge d’amélioration et progresse très vite, par contre lorsque l’enfant vient nous voir à 10 ans, c’est souvent trop tard.» Ces développements s’inscrivent dans un mouvement de prise en charge plus large de l’hyperactivité et des perturbations de l’attention, qui affectent 5 à 6% des enfants. «Il est important de ne pas se limiter aux médicaments, mais d’augmenter la palette des interventions appropriées, comme les psychothérapies et les groupes de parents et d’enfants», dit Michel Bader. Logopédistes, ergothérapeutes et psychothérapeutes s’occupent maintenant de faire travailler le patient sur les autres troubles CORPORE SANO

associés au TDAH. De nouvelles approches neurocognitives sont également utilisées, comme des entraînements de la mémoire de travail avec des programmes informatiques. étude pilote sur un jouet

Michel Bader a récemment mis au point avec Hansel Schloupt, étudiant de 2e année de Master de design de produit à l’Ecole d’art de Lausanne, un jouet spécialement destiné aux enfants atteints d’un TDAH. Il s’agit d’un jeu de construction composé de pièces en bois et en caoutchouc. «L’enfant doit être concentré, se contrôler d’un point de vue moteur, suivre les consignes, prendre des décisions et ne pas s’énerver afin de réaliser la plus grande tour possible», explique le pédopsychiatre. Le jeu se fait à deux, avec un parent dans un contexte ludique et détendu. «L’idée est que ces enfants qui ont souvent d’importantes difficultés scolaires fassent une expérience de réussite, et éprouvent du plaisir à jouer avec leurs parents, afin de sortir du contexte tendu des devoirs», précise le pédopsychiatre. Une étude pilote sur cette approche ludique a débuté en février 2015 avec la collaboration de Marie-Laure Kaiser. Dix enfants entre 6 et 9 ans diagnostiqués avec un TDAH, ainsi que 10 autres enfants qui ne souffrent pas d’un tel trouble réaliseront 20 séances de jeu pendant quatre semaines à la maison. Une évaluation aura lieu avant et après le traitement. prospection

On a longtemps cru que le trouble du déficit d’attention-hyperactivité (TDAH) ne touchait que les enfants et qu’il disparaissait à l’adolescence, mais il n’en est rien. «Aujourd’hui, on sait que le TDAH persiste dans environ 60% des cas», indique Nader Perroud, psychiatre aux Hôpitaux universitaires de Genève et responsable d’une consultation spécialisée dans l’hyperactivité des adultes ouverte en 2011. Quelque 2 ou 3% des adultes, aussi bien des hommes que des femmes, sont concernés. Les manifestations du trouble s’intériorisent avec l’âge et consistent en une succession sans fin d’idées et de pensées, qui empêchent la personne de se concentrer, en particulier lorsqu’elle doit se consacrer à des tâches fastidieuses ou répétitives. «Les personnes touchées sont aussi très impulsives: elles disent ce qu’elles pensent sans réfléchir, coupent la parole et prennent des décisions sans songer aux conséquences», précise le psychiatre genevois. Mais l’hyperactivité peut aussi se transformer en atout. «Les hyperactifs parviennent à traiter les informations à toute vitesse et montrent une énergie et une détermination hors du commun quand quelque chose leur plaît.» Ils ne comptent alors plus leurs heures, débordent d’idées et font souvent preuve d’une grande créativité.

On devrait savoir d’ici à l’automne si ce type de jouet peut se combiner avec, voire se substituer à des psychostimulants. ⁄


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Hansel Schloupt, étudiant en design de produit à l’Ecole d’art de Lausanne (en photo) et le pédopsychiatre Michel Bader ont développé un jeu de construction destiné aux enfants atteints d’hyperactivité.

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prospection


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Docteur, j’ai honte, je suis malade Les troubles sexuels, les maladies mentales et d’autres maux restent encore tabous. Un silence susceptible d’empêcher les patients de guérir.

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intestins qui provoque des diarrhées aiguës, touche environ 8’000 personnes en Suisse.

e diagnostic était simple. Agnès Déom avait la maladie de Crohn. Lorsqu’elle l’a appris, elle avait 13 ans. Et personne ne devait rien en savoir. «J’étais adolescente, je ne voulais pas en parler avec mes amis, relate-t-elle. Je n’en discutais qu’avec mes parents. Mais depuis, j’ai même arrêté d’en parler avec eux. C’est trop compliqué. Je préfère garder cela pour moi.» La maladie de Crohn, un trouble des

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texte: Clément Bürge

«Les personnes atteintes n’osent pas en parler, c’est très tabou, explique Bruno Raffa, le président de l’Association suisse des maladies de Crohn et de la colite ulcéreuse. La souffrance se déroule aux toilettes, un lieu très intime. Les gens ont aussi peur du ridicule et ont donc tendance à s’isoler. Certains ont même peur d’en parler avec leur médecin.» Agée aujourd’hui de 30 ans, Agnès Deom a vaincu ce tabou. Et cette ostéopathe vaudoise arrive à mieux gérer sa pathologie. «Tout est allé mieux le jour où j’ai décidé d’arrêter de m’occuper activement de ma maladie, témoigne-t-elle. J’en parle à mon médecin et nous décidons ensemble du traitement qui me convient le mieux.» La maladie de Crohn n’est pas la seule pathologie que les patients ont du mal à assumer. Les maladies mentales et neuro-dégénératives, par exemple, sont un sujet épineux à évoquer. Selon une étude française de TNS Sofres, 47% de la population serait prête à cacher leur maladie de Parkinson s’ils la contractaient, et 9 personnes sur 10 trouveraient une raison de la dissimuler. «C’est

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l’un des plus grands tabous en médecine aujourd’hui, explique Vincent Barras, historien de la médecine au CHUV. Ces troubles atteignent la personne en tant que sujet. Un homme (ou une femme) ne serait pas lui-même s’il a une maladie mentale, d’où cette angoisse.» Pendant longtemps, le patient souffrant d’un tel mal n’avait même pas droit à la parole. «Comme le malade avait perdu sa capacité de discernement, on considérait qu’il ne pouvait pas parler d’égal à égal avec le médecin», explique Julien Dubouchet, secrétaire général de l’association Pro Mente Sana. Les problèmes sexuels font aussi partie des maladies difficiles à aborder avec son médecin. «Le personnel médical a souvent de la peine à en parler, car cela fait directement référence à sa propre sexualité, ce qui est perturbant, explique

«Lorsque l’on sait une personne atteinte d’une maladie mentale, on va trouver dans chacun de ses comportements des symptômes de sa pathologie.» Julien Dubouchet, Pro mente sana

Francesco Bianchi-Demicheli, spécialiste en sexologie aux Hôpitaux universitaires de Genève. Très souvent, ces troubles sont aussi considérés comme moins importants, car la sexualité est perçue comme un problème ‘de luxe’, alors

«Embarassing bodies», les malades qui montrent tout Sensationnaliste, irrévérencieux et voyeur, le programme de téléréalité britannique «Embarassing bodies» montre les maladies les plus honteuses. Lors du show, le docteur Christian Jensen et ses acolytes refont des seins déformés, soignent des personnes souffrant de graves problèmes gastriques ou font perdre du poids à des gens atteints d’obésité morbide. Le cas le plus célèbre est celui de Charlotte, une jeune fille de 13 ans dont les pieds étaient entièrement recouverts de verrues. Un symptôme du dysfonctionnement de son système immunitaire. Elle avait besoin d’une transplantation de la mœlle épinière, qui a été réalisée lors de l’émission. «Embarassing bodies» attire des millions de téléspectateurs et génère près de 42% du trafic du site web de la chaîne Channel 4. CORPORE SANO

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qu’elle peut détruire des couples et profondément déprimer une personne.»

Par une cruelle ironie, ces préjugés peuvent même modifier la perception que le malade a de lui-même. «A force d’entendre dire que les personnes dépressives sont fainéantes et ne sont pas capables de garder un emploi, le patient va parfois assimiler ce discours et effectivement devenir inapte au travail, relève Julien Dubouchet. Ce genre de discours est toxique.»

Au-delà de la souffrance qu’ils génèrent, ces tabous favorisent la méconnaissance de certaines affections, ce qui peut avoir un effet dévastateur sur la vie privée ou professionnelle du patient. «Lorsque l’on sait une personne atteinte d’une maladie mentale, on va la regarder différemment et trouver dans chacun de ses comportements des symptômes de sa pathologie, explique Julien Dubouchet. Une manifestation de joie normale sera interprétée comme une saute d’humeur liée à celleci. Ces comportements anecdotiques pourront alors servir à justifier dans certains cas un licenciement.»

Dans certains cas, le tabou peut aussi avoir un impact sur l’argent attribué à la recherche: «Depuis plusieurs décennies, les études sur les troubles sexuels ont plus de peine à être financés que d’autres maladies», soupire Francesco Bianchi.

Wulf Rossler, ancien directeur de l’Unité psychiatrique de l’Hôpital de Zurich, a montré dans une étude récente que les gens ne font pas confiance aux personnes souffrant de problèmes mentaux, comme la dépression ou la schizophrénie. «Selon notre enquête, seuls 38% des gens seraient prêts à engager une personne souffrant d’un tel trouble, dit-il. Et seuls 14% seraient prêts à lui laisser babysitter leur enfant.»

Comment inverser ce processus? De plus en plus de maladies autrefois «honteuses» ont été normalisées. «Il y a dix ans, les femmes n’osaient pas parler du cancer du sein, explique Claire Allamand, coprésidente du Réseau Cancer du Sein. Et les médecins n’étaient pas à l’écoute. Cette situation a totalement changé aujourd’hui.» Grâce notamment à la prise de parole publique des patientes atteintes de cette maladie. «Tout n’est pas encore parfait: les traitements du cancer du sein engendrent de nombreux problèmes d’impuissance sexuelle qui ne sont pas encore discutés ouvertement, précise Claire Allamand. Mais dans l’ensemble, cela va mieux.» Les campagnes de prévention peuvent changer la donne, à l’image des affiches «Comment vas-tu?» que Pro Mente Sana a placardées dans toute la Suisse. «Elles permettent de sensibiliser la population aux maladies mentales,

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détaille Wulf Rossler. Mais pour vraiment briser le tabou qui les entoure, il faut aller plus loin.» Pour l’expert, le meilleur moyen de lutter contre la discrimination est de permettre au grand public de côtoyer des malades: «En passant du temps avec ces personnes au travail

ou lors d’une activité ludique, les gens réalisent alors qu’elles sont normales et dignes de confiance. Plusieurs études ont prouvé que ce genre d’interactions permet d’améliorer l’image de certaines maladies. Les gens deviennent plus tolérants au contact de l’autre.» /

«Les docteurs parlaient en latin pour que les patients ne les comprennent pas» Vincent Barras, historien de la médecine au CHUV, retrace l’origine et l’évolution des maladies taboues. Quand les premières maladies taboues sont-elles apparues? Au XIXe siècle, lorsque les valeurs morales bourgeoises, par essence plus conservatrices, ont émergé et ont établi une distinction catégorique entre ce qui était acceptable ou non. Quelles ont été les premières maladies «honteuses»? Certains comportements sexuels considérés comme «déviants», tels que l’homosexualité, ont rapidement été jugés tabous, car dans l’opinion bourgeoise, tout ce qui était sexuel était jugé comme impur. Lorsque les médecins en parlaient, ils s’entretenaient en latin pour que personne ne comprenne.

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TABOU

Quelles ont été les maladies les plus taboues? Les grandes épidémies, comme la tuberculose, ont longtemps été considérées comme tel. Leur diagnostic équivalait à une condamnation à mort, d’où ce silence. Les gens employaient des métaphores pour en parler. La tuberculose était, par exemple, appelée «la grande faucheuse». Au XXe siècle, le cancer a généré le même genre de comportement. Pourquoi? C’est une maladie que l’on connaissait très mal et que l’on ne savait pas comment traiter. De plus, on a jusqu’à récemment pensé que le cancer était la conséquence d’un comportement fautif, comme le fait de fumer ou de mal manger. On a aussi cru que cette pathologie pouvait naître de la culpabilité générée par une faute morale.

Le cancer est-il encore une maladie que l’on aborde difficilement? Jusqu’à il y a 30 ou 40 ans, les médecins disaient rarement la vérité au patient sur la gravité de leur cas. Mais aujourd’hui, la maladie a été dédramatisée. On a compris qu’il fallait informer le malade, car cela lui permet de mieux s’occuper de ses maux. Légalement, il est aussi devenu problématique de lui cacher la vérité. Mais si le cancer en tant que tel n’est plus «honteux», des zones de la maladie le sont encore, comme les troubles de la sexualité causés par certains traitements. Comment briser ces tabous? Il faut en parler. Il est difficile de faire disparaître les stigmates du passé, mais mettre des mots sur les maladies qui dérangent est un bon moyen de lutter contre ces tabous.


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Le cœur qui fait tic-tac Texte: Clément Bürge

Un chercheur suisse développe un pacemaker sans batterie qui se recharge comme une montre automatique"

e mouton alpin de 65 kg gisait inerte, anesthésié, sur la table d’opération. Les chercheurs l’ont déplacé sur son côté droit. Puis, un chirurgien a délicatement incisé sa paroi thoracique, et a attaché un petit appareil rond de couleur dorée contre le cœur battant de l’animal. Adrian Zurbuchen, un jeune homme brun aux allures de premier de classe, assistait anxieusement à l’opération. Il s’agissait du premier essai in vivo du prototype qu’il venait de mettre au point. Ce chercheur de l’Université de Berne cherchait à créer un pacemaker sans batterie qui se recharge grâce à un mécanisme inspiré de celui d’une montre automatique. L’engin emmagasinerait l’énergie CORPORE SANO

INNOVATION

générée par les battements du cœur pour recharger le pacemaker. Une heure plus tard, Adrian Zurbuchen était soulagé: son expérience était un succès. L’activité cardiaque du mouton avait permis de générer un flux électrique constant de 16 microwatts, une puissance suffisante pour alimenter un pacemaker basique. Depuis ce premier test réalisé en avril 2010, Adrian Zurbuchen, 34 ans, a multiplié les essais et développé un prototype plus sophistiqué. «Nous avons essayé le système sur des cochons, explique-t-il. Nous cherchons désormais une entreprise qui puisse financer notre recherche et développer le produit pour une application commerciale d’ici


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ETA

1. Les battements du cœur mettent en mouvement la masse oscillante, qui commence à tourner. 2. Un rectificateur mécanique convertit ces mouvements en une rotation qui tourne dans une seule direction. 3. Cette rotation remonte un ressort mécanique. 4. Une fois que le ressort est entièrement remonté, il se déroule et recharge un micro-générateur électrique. 5. Le générateur recharge un accumulateur qui permet de stocker l’électricité générée, et rend la production d’énergie constante. 6. L’accumulateur transmet ensuite son énergie à un circuit électrique, qui alimente le moteur du pacemaker.

deux à trois ans.» Son appareil ressemble à une montre nue, sans cadran, habillage ou bracelet, mais munie de câbles fins. Le système présente l’avantage de durer plus longtemps que les modèles traditionnels. «La durée de vie de la batterie d’un pacemaker est d’environ six à douze ans. Un mécanisme horloger helvétique peut durer vingt ans sans révision.» CORPORE SANO

En modifiant le dispositif, le chercheur pense même qu’il pourrait fonctionner pendant trente ou quarante ans. «Notre système serait plus simple qu’une montre, car il n’aurait pas besoin d’être plaisant esthétiquement ou de donner l’heure.» Selon Martin Fromer, cardiologue spécialiste des pacemakers au CHUV, l’innovation serait INNOVATION

particulièrement utile pour les patients atteints de troubles cardiaques à un jeune âge. «Lorsqu’un enfant de 12 ans contracte une maladie du cœur, nous cherchons à remplacer son pacemaker le plus rarement possible, explique l’expert. Ces opérations sont assez lourdes.» L’objet d’Adrian Zurbuchen permettrait également de réduire


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Des outils pour la chirurgie et l’horlogerie La chaire Patek Philippe en conception micromécanique et horlogère à l’EPFL travaille en collaboration avec la firme de mensuration Sensoptic SA pour développer de nouveaux outils chirurgicaux utiles tant aux horlogers qu’aux médecins. «Les horlogers, tout comme les médecins, travaillent à une échelle si petite qu’ils ne sentent plus les surfaces sur lesquelles ils appuient, explique Charles Baur. Nous développons des outils chirurgicaux qui permettraient par exemple de mesurer la pression exercée par un chirurgien sur l’œil d’un patient lors d’une opération de la cornée.»

le poids et la taille des pacemakers. «La batterie est souvent ce qui prend le plus de place dans l’appareil.» Autre avantage: l’engin serait posé directement sur le cœur du patient, ce qui permettrait de se débarrasser des câbles qui lient le pacemaker aux muscles cardiaques, augmentant ainsi sa fiabilité. Mais la route du chercheur n’est pas sans obstacles: «Une montre automatique s’attache au poignet et se recharge grâce aux mouvements de ce dernier, qui sont différents de ceux du cœur. Nous cherchons à développer un système qui exploite au mieux les battements cardiaques. Nous analysons depuis des années ces mouvements pour créer le meilleur mécanisme d’absorption.» De plus, les battements du cœur malade ne sont pas forcément réguliers: «L’irrégularité de la fréquence cardiaque pourrait empêcher le rechargement de l’appareil.» Cette invention souligne le potentiel du savoir-faire horloger dans le monde médical. «Les deux domaines se ressemblent beaucoup, constate Simon Henein, titulaire de la chaire Patek Philippe en conception micromécanique et horlogère à l’EPFL. Tant les chirurgiens que les horlogers travaillent à une très petite échelle et se doivent d’être très précis. De plus, les deux domaines évoluent dans le même tissu économique: nous disposons des mêmes sous-traitants et utilisons les mêmes matériaux.» CORPORE SANO

Luc Tissot, ancien président du groupe du même nom, fait partie des horlogers qui ont très rapidement saisi l’étendue de ce potentiel. En 1978 déjà, l’horloger exploitait le savoirfaire de ses employés dans son usine du Locle afin de produire des pacemakers en collaboration avec le géant pharmaceutique Roche. «Nous devions travailler avec différents métaux et à différentes températures, les contraintes techniques étaient nombreuses et la construction d’un pacemaker se doit d’être très rigoureuse», se souvient Luc Tissot. Le produit issu de cette collaboration a depuis été racheté par la société suisse Intermedics. Plus récemment, Luc Tissot a créé une nouvelle start-up: Tissot Medical Research, qui a développé une lentille qui mesure la pression intra-oculaire afin de détecter les premiers signes d’un glaucome. «Comme dans l’horlogerie, il s’agit d’un minuscule objet. Nous avons placé un capteur sur une lentille qui mesure la pression de l’œil à INNOVATION

chaque fois qu’un patient ferme sa paupière.» L’outil devrait être commercialisé d’ici à deux ans. Malgré ces quelques exemples de synergie entre l’horlogerie et la médecine, ces cas restent trop rares. «La conception d’outils médicaux est régulée par des normes très strictes, que le monde horloger ne connaît pas, explique Luc Tissot. Il est très compliqué, même impossible, de développer un produit sans d’abord développer un partenariat avec une firme médicale.» Mais pour Charles Baur, chargée de la microtechnique médicale à la chaire Patek Philippe de l’EPFL, horlogerie et médecine vont prochainement se côtoyer comme jamais auparavant: «La montre connectée a un énorme potentiel en médecine, dit-il. Un chirurgien pourrait par exemple consulter des données sur le patient au milieu d’une opération simplement en regardant son poignet, donc sans détourner son regard du malade. Cela serait fantastique.» ⁄


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Oméprazole C 17H 19N 3O 3S

C 17H 19N 3O3S une molécule, une histoire Texte: bertrand tappy

Qu’elle soit favorisée par notre alimentation, notre mode de vie ou peut-être par notre patrimoine génétique, l’acidité gastrique semble au premier abord être un mal de notre époque. Le nombre depublicités vantant les mérites de médicaments et autres thérapies luttant contre les brûlures d’estomac montre également qu’il s’agit d’un marché fort juteux.

Pourtant, cela fait de nombreuses décennies que le problème est connu. A la différence près que l’on n’arrivait pas aussi bien à contrôler la production d’acide. «Dans les années 1960, on utilisait des antihistaminiques tels que la Cimétidine puis la Ranitidine pour réguler l’acidité, rappelle Thierry Buclin de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. Ces médicaments n’offraient toutefois pas toujours l’efficacité désirée.

Courte biographie de l’oméprazole, la molécule qui fut le golden boy de l’industrie pharmaceutique dans les années 1990. Et si cela dégénérait en ulcère, la seule alternative de l’époque demeurait une intervention chirurgicale.» La situation change radicalement dans les années 1990 avec l’arrivée de l’oméprazole. Cette fois, le médicament agit directement sur le mécanisme chargé de la production d’acide, connu sous le nom de «pompe à protons». Commercialisé par Astra (devenu depuis AstraZeneca) après de nombreuses années de développement, il devient rapidement le produit dégageant le plus de revenus de toute l’histoire de l’industrie pharmaceutique. «Son lancement fut retentissant,

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se souvient Thierry Buclin. Devant son efficacité indiscutable et son très faible risque d’effets secondaires, beaucoup de médecins en vinrent à le prescrire dès que le patient parlait de problèmes gastriques.» On sait aujourd’hui que la chose n’est pas si simple: «Certes, le médicament continue d’améliorer le quotidien de milliers de malades qui en ont réellement besoin, continue Thierry Buclin. Mais on a récemment établi que l’oméprazole non seulement peut nuire aux os et aux voies respiratoires, mais peut aussi provoquer une forme de dépendance auprès des utilisateurs régu-

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liers: tant qu’ils prennent le médicament, leur estomac s’efforce de produire de l’acidité, malgré le blocage. Et en arrêtant le produit, cette stimulation persiste et on se retrouve ainsi avec une acidité plus forte qu’au début! La personne devient convaincue qu’elle a besoin en permanence du médicament.» Une clientèle captive qui garantit évidemment un gain sur le long terme au producteur. Mais au début des années 2000 est arrivé le terme du brevet, et avec lui la déferlante des génériques produits par la concurrence. Heureusement, il restait une parade pour Astra: l’esoméprazole, une version simplifiée de la molécule censée améliorer encore l’efficacité. «Mais on se demande encore quel est son véritable bénéfice, hormis d’avoir fourni à la firme un nouveau brevet…», conclut Thierry Buclin. ⁄


Texte: Martine Brocard pHOTO: Philippe Gétaz

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D Le paradoxe du gluten

Alors qu’elles ne souffrent pas d’intolérance, de nombreuses personnes adoptent un régime sans gluten. Quel est l’impact d’une telle pratique sur la santé?

epuis quelques années, des célébrités comme le joueur de tennis Novak Djokovic, l’actrice Gwyneth Paltrow et l’animatrice Oprah Winfrey ne jurent que par le régime sans gluten, censé faire maigrir, améliorer la qualité de la peau, redonner de l’énergie, etc. Les adeptes se comptent en millions à travers le monde: quelque 30% des Américains ont stoppé ou diminué leur consommation de produits à base de blé, de seigle et d’orge, selon un sondage de l’institut CORPORE SANO

TENDANCE


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INTERVIEW «Cela devient obsessionnel» La diététicienne Nicoletta Bianchi* regrette la diabolisation du gluten. Que faut-il penser du mouvement de rejet du gluten tel qu’on l’observe aux Etats-Unis ? NB C’est vraiment extrême. Il ne faut pas diaboliser un aliment comme cela sans raison. Le gluten n’est pas toxique. Il n’est problématique que lorsqu’il y a une intolérance. Notez qu’on observe une même tendance avec le lait, alors qu’il est seulement contre-indiqué en cas d’intolérance au lactose ou d’allergie avérée aux protéines de lait. IV

En quoi la mode des régimes sans gluten est-elle problématique? NB Pour certaines personnes, cela devient obsessionnel. Le plus ennuyeux est lorsqu’on l’impose à des enfants qui n’ont rien demandé et qui n’en ont pas besoin. Nous luttons activement contre cela, notamment en expliquant aux parents les inconvénients sociaux que cela implique, par exemple lors de goûters d’anniversaire. IV

Quelle est l’ampleur de la mode des régimes sans gluten en Suisse romande? NB Il est vraiment difficile d’estimer le nombre de personnes qui pratiquent cette diète. Ce sont souvent des gens qui s’y mettent d’eux-mêmes ou sur des conseils provenant des milieux des médecines parallèles. IV

*Nicoletta Bianchetti est diététicienne HES au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme au CHUV, et diététicienne conseil à l’association romande de coeliakie.

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TENDANCE


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«ce régime représente un énorme sacrifice et coûte très cher.» Vanessa Brancato, Diététicienne

d’étude de marché américain NPD Group datant de 2013. Outre-Atlantique on parle même de «bread-shaming», le fait de regarder de travers une personne qui mange du pain. Sans atteindre ces extrêmes, la tendance existe aussi en Suisse. Aucun chiffre n’est disponible concernant les disciples helvétiques de ce régime, mais les produits sans gluten des supermarchés ou des boulangeries spécialisées rencontrent un grand succès malgré leurs prix élevés. Chez les gastro-entérologues, les consultations liées au gluten ont doublé voire triplé depuis trois ou quatre ans. «Il y a deux cas de figure: des personnes réellement allergiques avec des marqueurs dans le sang, et des personnes sensibles au gluten sans y être allergiques», précise Jean-Louis Frossard, chef du Service de gastro-entérologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «Bon placebo» Dans le premier cas, il s’agit de la maladie cœliaque (prononcer «céliaque», ndlr), une maladie auto-immune. Elle concerne 1% de la population et détruit progressivement les parois de l’intestin grêle. Ses symptômes sont multiples et comprennent troubles digestifs, diarrhée, constipation, problèmes dermatologiques, déprime, problèmes de fertilité, diabète ou arthrite, la liste est longue. Il n’existe pas d’autre traitement qu’un régime strict sans gluten.

De l’hostie au rouge à lèvres La coeliakie a longtemps posé problème aux catholiques pratiquants, car les hosties, des morceaux de «pain» consommés pendant les rites liturgiques chrétiens, contiennent du gluten. Une société française a trouvé la solution et en fabrique une version sans gluten que le cœliaque pourra apporter lui-même pour la communion. Du rouge à lèvres et autres cosmétiques «gluten free» sont aussi apparus sur le marché. Pour ces derniers, les spécialistes parlent davantage de coup marketing surfant sur la tendance que de nécessité pour les patients.

Dans le second cas, «il s’agit souvent de la pathologie du côlon irritable, les patients souffrent de constipation, de diarrhée ou de ballonnements, mais les tests ne révèlent rien d’anormal», indique Jean-Michel Cereda, gastroCORPORE SANO

TENDANCE

entéro-hépatologue à Sierre et consultant aux HUG. A l’image des stars, ces personnes non cœliaques sont de plus en plus nombreuses à se mettre au régime sans gluten, souvent de leur propre chef, et disent se sentir mieux. Pour l’heure, aucune étude n’atteste le bien-fondé de cette démarche. «J’ai plutôt l’impression que cela a l’effet d’un bon placebo», poursuit Jean-Michel Cereda. Son confrère Jean-Louis Frossard estime de son côté que «si les gens se sentent mieux, c’est certainement qu’il y a un effet, mais pour l’instant on ne le connaît pas». Cher et compliqué Les spécialistes de la diététique partagent ce scepticisme. «Une personne qui décide de bannir le gluten sans y être intolérante va peut-être se sentir mieux parce qu’elle se recentre sur son alimentation, arrête de grignoter et se met à manger plus équilibré», estime Vanessa Brancato, diététicienne diplômée et responsable du groupement vaudois de l’Association suisse des diététiciennes. Mais s’il n’y a pas de nécessité, mieux vaut y réfléchir à deux fois. «Ce régime représente un énorme sacrifice et coûte très cher», prévient-elle. Dans la grande distribution, 500 g de spaghetti sans gluten coûtent 4,20 francs, (soit 8,40 francs du kilo), contre 95 centimes le kilo pour les spaghettis de la gamme la moins chère. En outre, éliminer totalement le gluten s’avère plus compliqué qu’on ne l’imagine. «Certaines personnes disent pratiquer ce régime alors qu’elles ont seulement arrêté le pain et les pâtes. Elles ne se rendent pas compte que le gluten est bien plus largement répandu: on le retrouve dans les plats précuisinés,


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la bière, les sauces, etc.», note Thérèse Farquet, diététicienne à Genève. Le régime implique d’être très strict: une cuillère en bois utilisée pour remuer les pâtes traditionnelles ne doit pas servir dans la casserole de pâtes sans gluten… Pour autant, pratiquer un tel régime sans nécessité «n’est pas spécialement dangereux, tant que l’on maintient une alimentation équilibrée, ajoute Vanessa Brancato. En se tournant vers d’autres céréales, on va même souvent se trouver avec des féculents plus complets, comme le maïs, le sarrasin, les lentilles, la quinoa ou les châtaignes, ce qui va augmenter la part de fibres.» Selon Thérèse Farquet, «les adeptes risquent plus une alimentation monotone que des carences». Test indispensable Attention, avertissent toutefois les médecins, il règne un paradoxe en matière de régimes sans gluten. Autant, des individus qui tolèrent parfaitement le seigle, le blé et l’orge vont y renoncer pour suivre la mode, autant les malades cœliaques sont sous-diagnostiqués, alors qu’ils courent un risque accru de développer un cancer. «Ce risque redevient normal lorsqu’ils suivent un traitement comprenant une éviction complète du gluten», pointe Jean-Louis Frossard. Il importe donc de détecter la maladie rapidement. Selon une étude de chercheurs de l’Université d’Umea en Suède datantde 1999, 8 adultes sur 10 atteints de maladie cœliaque ne sont pas diagnostiqués. Une étude menée en 2004 par le docteur Cereda conclut qu’à Sierre, seule une personne sur 500, voire une sur 1’000, est diagnostiquée, soit une prévalence 5 à 10 fois inférieure à la moyenne européenne. Pourtant le diagnostic est CORPORE SANO

L’intolérance au gluten, c’est quoi? Le gluten est une famille de protéines qu’on trouve dans le blé, l’orge et le seigle et qui donne son élasticité à la pâte à pain. C’est la gliadine, une des molécules qui le composent, qui cause la maladie cœliaque. La coeliakie n’est pas une allergie au gluten, mais une réaction immunitaire. Contrairement à une allergie aux piqûres d’abeille où les anticorps réagissent dans les minutes qui suivent, dans le cas de la maladie cœliaque, ce sont les cellules qui réagissent petit à petit. La gliadine crée une inflammation du tube digestif qui fait progressivement disparaître les villosités intestinales, des petits poils semblables à des doigts de gants microscopiques qui tapissent notre intestin grêle. Ces villosités sont responsables de l’absorption des substances contenues dans nos aliments. Lorsqu’elles sont endommagées, la surface d’absorption rétrécit, ce qui augmente les risques de cancer.

tendance

relativement simple: il consiste en une prise de sang cherchant des marqueurs immunitaires à cette maladie. Si le résultat est positif, il sera confirmé par une biopsie de l’intestin grêle. Lorsqu’un cœliaque entreprend son régime, les résultats sont souvent spectaculaires. «J’avais une patiente de 25 ans, toujours mal fichue, qui n’arrivait pas à sortir du lit avant midi et ne parvenait pas à avoir d’enfant. Depuis son diagnostic, elle a maintenant trois enfants et court Sierre-Zinal et le marathon de New York», raconte Jean-Michel Cereda. Les praticiens invitent donc tous les candidats au sans gluten à se faire tester au préalable. «Lorsqu’une personne vient me dire qu’elle se sent beaucoup mieux depuis le début de son régime mais qu’elle n’a subi aucun test, je ne peux pas savoir si elle souffre ou non de coeliakie, regrette le spécialiste. Si elle a arrêté le gluten, la maladie sera indétectable dans ses tests sanguins. Par conséquent je vais devoir lui dire de recommencer à en manger pour pouvoir la tester. Il faut faire les choses dans l’ordre!» Le test de coeliakie est d’ailleurs en passe de devenir aussi simple qu’un test de grossesse. Augurix, une start-up valaisanne, en a mis un au point. Il est disponible pour 45 francs en pharmacie depuis 2011. Migros en propose aussi un pour moitié prix depuis 2013, mais sa fiabilité ne fait pas l’unanimité selon les spécialistes interrogés. /


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Retour vers le futur Innovation Les prothèses et instruments de haute technologie actuels trouvent leurs origines dans des dispositifs rudimentaires mais ingénieux. Démonstration en images. Texte: Melinda Marchese

Initialement en bois, puis en étain, le clystère est un instrument incontournable de la médecine des XVIIe et XVIIIe siècles: pouvant peser jusqu’à 2 kilos, ce gros cylindre servait principalement à faire des lavements chez les patients mal-en-point. Son descendant n’est autre que la seringue en plastique que l’on connaît depuis les années 1970. Son poids? Quelques grammes. «L’avènement du plastique a révolutionné le monde de l’instrumentation médicale, explique Roxane Fuschetto, responsable des collections au sein de l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique à Lausanne. Les objets sont devenus plus légers, et certains, comme la seringue, sont à présent jetables et à usage unique, garantissant une stérilité optimale.» Outre les progrès au niveau des matériaux employés, les avancées technologiques ont surtout permis de créer des dispositifs artificiels se rapprochant toujours plus de ceux qu’ils remplacent: un prématuré repose aujourd’hui dans une couveuse offrant un environnement proche de celui de l’utérus de sa mère, et des patients amputés auront certainement bientôt la possibilité de retrouver un membre mobile, sensible et recouvert de peau.

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Main dans la main

L’image ci-dessous représente une main artificielle en bois datant de la Première Guerre mondiale, provenant de Birmingham (Angleterre). A l’époque, 41’000 soldats britanniques ont perdu un membre sur le front, stimulant l’innovation en matière de prothèses: on remarque d’ailleurs sur la photo que le pouce, l’index et le majeur sont articulés. Depuis, des progrès spectaculaires ont été réalisés tant au niveau des matériaux que des méthodes de greffes: I-Limb digit (ci-contre) est une main bionique créée par l’entreprise britannique Touch Bionics, dont l’aspect extérieur se veut proche d’un membre naturel. Elle permet de pousser, tirer, porter des charges légères ou pianoter sur un clavier. En mars 2013, une neuroprothèse développée par l’EPFL (page de gauche) a créé la surprise en permettant à son utilisateur de saisir des objets et de ressentir des sensations.

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lifehand2, touch bionics, Science Museum, London/Wellcome Images

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Bien au chaud

Le taux de survie des prématurés n’a cessé de s’améliorer ces dernières années, notamment grâce aux progrès réalisés sur les couveuses. Ces petits cubes de verre sont capables aujourd’hui d’assurer une température optimale et d’offrir au nourrisson des conditions très proches de l’utérus maternel. L’incubateur ci-contre est doté d’un simple chauffage électrique: photographié à Prague en 1947 au Stvanice Birth Center, ce bébé prématuré est emmitouflé dans des habits chauds – le refroidissement étant l’une des causes de mortalité des bébés prématurés.

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à l’écoute

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heidi diaz, Venek Svorcik/CTK, DR, SCIENCE PHOTO LIBRARY

En Suisse, près de 100 nouveaux appareils cochléaires sont implantés chaque année. Ces dispositifs, comme celui ci-contre fabriqué par la société autrichienne Med-El, permettent à des personnes atteintes de surdité profonde ou sévère de retrouver un certain niveau d’audition. Des électrodes posées chirurgicalement stimulent directement le nerf auditif. Les ancêtres de ces implants sont les cornets acoustiques; placé dans le canal auditif du malentendant, le dispositif tubulaire recueille et amplifie les ondes sonores, facilitant ainsi l’audition. Le modèle ci-dessous a été fabriqué en Angleterre aux alentours de 1860 par F.C. Rein and Son, une manufacture spécialisée dans les instruments acoustiques.

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Le 22 décembre 1895, le physicien allemand Wilhelm Conrad Röntgen réalise la première radiographie en se servant de la main de son épouse, Anna Bertha Ludwig Röntgen (ci-contre). On y aperçoit les os, entourés d’une pénombre qui représente la chair. La tâche foncée sur l’annulaire est l’alliance de Mme Röntgen. L’une des techniques d’imagerie les plus courantes aujourd’hui est celle effectuée par résonnance magnétique. L’IRM permet de visualiser des élements aussi fins que les fibres nerveuses du cerveau (ci-dessus), qui sont de l’ordre du micromètre.

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Maux de crâne

Du grec «trupaô» signifiant «je perce», les trépans ont longtemps été employés pour percer un crâne afin d’intervenir sur le cerveau. Le modèle ci-contre (à gauche) datant du XIXe siècle a été photographié au musée de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort (F). Aujourd’hui, des appareils tels que le Gamma Knife permettent de traiter des lésions du cerveau sans même devoir ouvrir le crâne. Composé de 192 faisceaux provenant de sources de cobalt, le Gamma Knife administre, avec une extrême précision, une forte dose de radiation sur les zones à traiter. L’intervention se pratique en ambulatoire, sans anesthésie générale.

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Association des amis du patrimoine médical de Marseille, Heidi Diaz, Patric hagmann, Deutsche Röntgen-Museum

En toute transparence


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ISABELLE LEHN Directrice des soins du CHUV

Il faut que nous soyons innovants et fédérés autour d’une vision commune de la recherche dans le domaine des soins.

Désormais, pour conduire et financer leurs travaux scientifiques, les chercheurs et chercheuses issu-e-s de ces disciplines récentes doivent se tourner vers les structures pérennes du Fonds national et solliciter les fondations, associations et soutiens étatiques dédiés à cela comme le font les autres acteurs sur ce marché.

Pour la seule année 2014, le gouvernement français a attribué 4.4 millions d’euros à 28 projets dans le cadre du Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale. Un montant trois fois plus élevé que celui de 2012, pour un programme lancé il y a quatre ans à peine. Cette progression rapide est à l’image de l’essor prometteur de la recherche dans le domaine des soins.

Le défi est conséquent. Il exige que nous soyons performants et innovants, fédérés autour d’une vision commune de la recherche dans le domaine des soins. Avec le Swiss Research Agenda for Nursing (SRAN), les sciences infirmières en prennent le chemin. Néanmoins, il s’agit d’accélérer la mise en œuvre de véritables réseaux de collaborations entre universités, hautes écoles et centres hospitaliers, puis d’augmenter progressivement la quantité et la qualité des projets soumis. Compte tenu de notre jeunesse en la matière, nous y parviendrons d’autant mieux que nous saurons nous associer aux plateformes de recherche déjà existantes et créer des partenariats avec les instances politiques et les chercheurs et chercheuses expérimenté-e-s, notamment nos collègues médecins.

Les soins infirmiers, la physiothérapie ou encore l’ergothérapie, par exemple, demeurent des disciplines encore très jeunes sur le plan académique de ce côté-ci de l’Atlantique. En Suisse, pour se développer, elles ont pu compter durant dix ans sur les fonds «Do Research (DORE)» qui émanaient du Fonds national suisse (FNS) de la recherche scientifique et s’adressaient aux hautes écoles. Ce soutien, spécifiquement orienté en faveur des disciplines émergentes, devait leur permettre d’acquérir progressivement les compétences nécessaires et de créer des structures de recherche. Ainsi se poursuivra le développement des savoirs et des pratiques soignantes, dans le cadre Cette première étape de la stratégie du Fonds d’une recherche clinique au service des patients national est aujourd’hui terminée, alors que le et de leurs proches. ⁄ 1er doctorat en sciences infirmières de Suisse romande a été décerné en 2013.

En savoir plus

PHILIPPE Gétaz

Le Fonds national suisse de la recherche scientifique: www.snf.ch/fr Le Swiss research agenda for nursing: www.svpl.ch

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chronique


cursus

chronique

plus tard, il est possible de faire séquencer son génome en passant commande sur internet pour 5’000 dollars. De quoi Prof. Pierre-François Leyvraz prendre la mesure du Directeur général du CHUV pas quantique accompli. Ces progrès fulgurants sont éblouissants et surtout extraordinairement bénéfiques yant eu mon pour la majorité des patients. Cependant, diplôme en 1975, ils complexifient considérablement la j’ai la convicprise en charge du patient et l’organisation d’avoir été, tion de l’hôpital. Comment, en effet, comme mes offrir une médecine et une recherche contemporains, médicale de qualité à laquelle l’Université l’observateur de Lausanne et l’hôpital réfléchissent de privilégié d’une concert en permanence, soit l’optimum période extraordinaire du développement de ce qui est possible (et non pas tout de la médecine. La science a en effet dace qui est possible), en tenant compte vantage progressé ces quarante dernières de l’environnement économique, social années, qu’au cours de tous les siècles et culturel du patient? Comment ppliquer précédents. A titre d’exemple, lorsque une médecine sophistiquée et complexe j’étais étudiant dans les années 1970, je sans négliger le côté humain indispenlisais Le hasard et la nécessité de Jacques sable à son efficacité? Monod qui affirmait alors: «L’ancienne Car si la science a progressé de alliance est rompue; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente manière fulgurante, les besoins du malade, eux, sont les mêmes au XVIe siècle qu’ils de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est le seront au XXIIe siècle. Il doit être reçu, écrit nulle part. A lui de choisir entre le soigné et surtout, entendu. Or le risque Royaume et les ténèbres.» est grand qu’à l’heure où se développe la Jacques Monod, au côté de François médecine personnalisée, où il devient Jacob, avait emporté le prix Nobel pour réaliste que l’on soit soigné sur mesure avoir mis en évidence que l’ADN était selon son génome, la pratique de la le point de départ des réactions biochimédecine, elle, se dépersonnalise. Qu’elle miques. Nous en étions aux balbutiements perde ce qu’elle doit précisément conserde la génétique. Quelque quarante ans ver d’humanité. ⁄

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philippe gétaz

curSUS

une carrière au chuv

«Nous devons lutter pour une médecine humaniste»

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cursus

portrait

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Une carrière au chuv

Christèle Rutishauser est ergothérapeute. Après avoir commencé sa carrière en France, elle a rejoint le CHUV pour se spécialiser dans le domaine de la gériatrie. Texte: Bertrand Tappy, pHOTOS: GILLES WEBER

evant la cuisine, une femme de 85 ans. Appelons-la Jeanine. Opérée voilà quelques semaines au CHUV après une chute, Jeanine est aujourd’hui une patiente du Centre universitaire de traitement et réadaptation (CUTR) de Sylvana, juste audessus de Lausanne. Cela fait de nombreux jours qu’elle n’a pas revu son appartement, et souhaite maintenant ardemment rentrer chez elle. Mais elle a peur de ne plus être aussi autonome qu’avant. Pourra-t-elle s’habiller seule, ou se faire à manger? Christèle Rutishauser fait partie des personnes qui peuvent répondre aux questions de Jeanine. C’est en effet elle qui a la charge de dresser une première évaluation sur les capacités de l’octogénaire, en train de s’activer devant une cuisine située dans les locaux d’ergothérapie. «Avec mes collègues, nous évaluons systé-

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matiquement les personnes qui arrivent à Sylvana, explique la spécialiste. En complément des physiothérapeutes qui s’occupent de la mobilité du corps de manière globale, nous vérifions si le patient peut accomplir les gestes et actes quotidiens de la vie à domicile: se laver, se déplacer, préparer une boisson chaude, etc. On nous dit quelquefois que les ergothérapeutes se contentent de regarder les gens cuisiner des tartes aux pommes, ou organisent des petits ateliers sympathiques… Mais si nous nous contentons d’observer, ce n’est qu’en apparence: nous avons plus de 35 critères à évaluer pendant que le patient travaille devant nous!» Christèle Rutishauser est arrivée dans le monde de l’ergothérapie un peu par hasard: «Je voulais travailler dans le secteur de la santé, mais sans trop savoir dans quel domaine, raconte

la Lyonnaise d’origine. Et au moment de choisir ma spécialité, je me suis laissée convaincre par des amis qui étaient persuadés que le métier allait être fascinant. Et je ne regrette pas ce choix.» La décision suivante sera de venir travailler en Suisse, où «les conditions permettent de faire bien mieux le travail qu’en France, même si la branche y est également en pleine expansion». Hormis cette tâche d’évaluation, les ergothérapeute travaillent main dans la main avec tous les autres professionnels de l’hôpital et ceux des réseaux de soins afin de permettre à Jeanine de retrouver une indépendance la plus proche possible de celle «d’avant». «Evidemment, beaucoup d’autres métiers revendiquent cette interdisciplinarité, ajoute Christèle Rutishauser. Mais en gériatrie, comme en pédiatrie, le patient dépend davantage de son entourage. Cela implique beaucoup d’échanges qui donnent une dimension humaine particulière à notre travail. Sans compter que – bien sûr – l’ergothérapie continue encore et toujours à se remettre en question et à progresser. Vous voyez que l’on est bien loin des tartes aux pommes!» ⁄


cursus

Une carrière au chuv

Même si l’observation joue un grand rôle dans le travail de Christèle Rutishauser, pas question d’être passive: il y a plus de 35 critères à évaluer à tout instant chez le patient.

A Sylvana, un centre au-dessus de Lausanne, une cuisine a été construite dans le but d’examiner l’autonomie des résidents.

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franรงoise ninane

tandem

Anne-sylvie ramelet


cursus cursus

P

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arfois, il nouvelle CommisLa chercheuse Anne-Sylvie Ramelet suffit de toutes sion de recherche et et la clinicienne Françoise Ninane petites choses: développement du une parole, l’attention œuvrent à l’amélioration continue CHUV (CRD), qui a été portée à la tempécréée pour faciliter des pratiques de soin au CHUV. rature d’une pièce, les «synergies» entre Texte: Camille Andres, photos: eric déroze le partage d’une l’hôpital et l’IUFRS, information... Dans tous les cas, pour un patient comme l’explique Anne-Sylvie Ramelet. «Cela hospitalisé, cette «prise en charge au quotidien, permettra aux académiques d’être en phase avec heure par heure, dans les plus infimes détails, les réalités des soins, de produire des recherches compte énormément», assure Françoise Ninane, qui répondent aux besoins de la population, et de directrice adjointe des soins au CHUV. Ce qu’on mettre ces compétences de recherches systématiappelle, de manière très générale, «les soins», fait quement au service du CHUV.» aujourd’hui l’objet de recherches approfondies. Si Françoise Ninane peut s’appuyer sur AnneEn Suisse romande, c’est à l’Institut universiSylvie Ramelet pour «traduire une préoccupataire de formation et de recherche en soins de tion clinique en problématique de recherche, Lausanne (IUFRS) que les sciences infirmières se scientifiquement démontrable», cette dernière développent depuis 2008, en collaboration avec trouve dans la directrice adjointe des soins le CHUV notamment. «Cet échange permet aux une alliée de choix, dans le dédale de l’hôpital. étudiants de bénéficier d’un terrain clinique», ex«Françoise connaît parfaitement l’institution et plique Anne-Sylvie Ramelet, professeure ordinaire ses rouages, elle me donne de précieux conseils et directrice de l’IUFRS depuis janvier 2015. et me dit tout de suite qui aller voir», explique Anne-Sylvie Ramelet. Plusieurs recherches ont abouti à des améliorations dans les pratiques hospitalières. Ainsi, Comme Françoise Ninane, qui a effectué la quand le Centre de santé infirmier de la policlimajorité de sa carrière dans les soins prodigués nique médicale universitaire a voulu revisiter son aux enfants, Anne-Sylvie Ramelet est spécialisée programme de promotion de la santé pour les en pédiatrie. Un «formatage commun», reconnaît requérants d’asile, des étudiants de l’IUFRS ont été en souriant Françoise Ninane. Si la CRD n’a pas contactés. Ils ont examiné les guidelines existants, encore arrêté ses axes de recherches prioritaires, puis ils ont apporté des idées pour permettre à les deux coprésidentes évoquent la prise en l’équipe infirmière de faire ses choix en fonction charge de la douleur, ou encore la question des du contexte. Depuis juin 2014, la collaboration proches aidants comme des pistes prioritaires. entre les deux structures a connu une réelle accéDes préoccupations qui touchent chaque départelération. Anne-Sylvie Ramelet et Françoise Ninane ment du CHUV, des urgences à la psychiatrie, en assurent désormais la coprésidence de la toute passant par la chirurgie. ⁄

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cursus

Un médecin du CHUV primé Le Dr Nicolas Bertholet, médecin associé au Service d’alcoologie, vient d’être désigné lauréat du Prix de l’Association for Medical Education and Research in Substance Abuse (AMERSA) du nouveau chercheur en médecine de l’addiction. Une récompense qui valorise notamment des collaborations que le service entretient à l’échelle internationale. BT DéPENDANCE

Un nouveau chef de service Le Prof. Philippe Ryvlin a été nommé chef du Département des neurosciences cliniques au 1er janvier 2015. Il était jusqu’à présent chef du Service de neurologie fonctionnelle et d’épileptologie aux Hospices civils de Lyon. Il a exercé de nombreuses responsabilités internationales, comme la présidence de l’Association européenne des unités de monitoring vidéo-EEG ou la co-Direction du réseau européen de recherche en épileptologie. BT NEUROSCIENCES

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Actualité

Nouvelle approche thérapeutique Le Dr Hassib Chehade et le Prof. Manuel Pascual suggèrent dans la revue Pediatrics une nouvelle stratégie thérapeutique pour les cas de rejets sévères de greffes de reins. transplantation

Tout commence avec Fabio, 7 ans, et la seconde tentative des médecins de lui greffer un nouveau rein. L’intervention, effectuée par le Dr Maurice Matter du Service de chirurgie viscérale, se passe bien, mais au 4e jour les constantes s’effondrent: le rein greffé est en train d’être attaqué par les propres anticorps de Fabio. Il s’agit d’un type de rejet très sévère mais rare, qui ne concerne heureusement que 5% environ des cas. «Comme il avait déjà perdu une première greffe, nous savions que le risque immunologique de rejet était grand, continue Manuel Pascual, chef du Service de transplantation d’organes. C’est ce qui nous a motivés à tenter – en accord avec la famille et Fabio – cette nouvelle stratégie thérapeutique.»

Les médecins décident en effet d’utiliser l’eculizumab, un anticorps monoclonal anti-C5, médicament utilisé habituellement pour certaines maladies rares touchant le système enzymatique, qui est aussi impliqué dans des formes de rejets aigus sévères. «Sa prescription en transplantation d’organes adulte avait été tentée, mais en dernier recours et donc souvent trop tard pour sauver l’organe greffé», explique Hassib Chehade, responsable de l’Unité de néphropédiatrie. La nouveauté dans ce cas a été d’administrer précocement le médicament, ce qui a permis d’éviter des traitements plus lourds. En moins de 24 heures, la situation s’améliore et le garçon est désormais sauvé. Deux autres cas adultes ont encore pu être récemment traités avec succès au CHUV, confirmant l’efficacité de cette nouvelle stratégie pour le traitement des rejets sévères dûs à des anticorps anti-greffons. «Et nous espérons pouvoir étudier et appliquer cette découverte à d’autres types de greffes», conclut Manuel Pascual. BT


cursus

Une carrière au chuv

migration

Le Dr Sébastien Déglise a passé une année en France pour apprendre une nouvelle technique chirurgicale. Une de vos spécialités est la pose d’endoprothèses aortiques. Pouvez-vous nous en dire plus? Je traite des patients chez qui un anévrisme de l’aorte abdominale ou thoraco-abdomicale a été décelé. Il s’agit d’une dilatation qui peut se rompre et engendrer une hémorragie souvent fatale. Pour les traiter, une intervention chirurgicale est nécessaire. Mais l’alternative à l’approche ouverte classique existe avec la pose d’une endoprothèse, sorte de tube à ressort qui va être introduit par l’artère fémorale au niveau de l’aine et être posé dans l’aorte afin de couvrir la dilatation et donc l’empêcher de se rompre. Le médecin l’installe en faisant de petits orifices dans lesquels il remonte jusqu’au lieu de l’intervention en se guidant grâce à l’imagerie. L’hospitalisation est donc nettement raccourcie et ses conséquences moins lourdes pour le patient. Sans compter que ces prothèses sont standardisées, donc moins coûteuses et plus vite disponibles. Cependant, l’anévrisme se trouve parfois trop près des reins et il est impossible d’utiliser une prothèse classique sans risque de couvrir les artères rénales.

GILLES WEBER

Ce qui n’est le cas avec les nouvelles prothèses dites «complexes». Exactement. Les endoprothèses développées ces

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NOM Déglise PRénom Sébastien AU CHUV DEPUIS 2002 TITRE Médecin associé au Service de chirurgie vasculaire

dernières années permettent de traiter des anévrismes plus délicats, touchant les artères rénales ou viscérales. Vous avez dû vous rendre à l’étranger pour maîtriser cette nouvelle technique? J’ai passé une année au CHU de Bordeaux dans le Service de chirurgie vasculaire des Profs Midy et Ducasse. Au CHUV, j’ai travaillé avec mon collègue le Dr Saucy pour présenter le projet à notre département, où nous devions tenir compte des facteurs médicaux et économiques. Au mois de janvier 2015, nous avons déjà posé près de 10 endoprothèses complexes et mis en place différentes techniques pour pouvoir enseigner la pratique à nos collègues. ⁄ BT


BACKSTAGE EN IMAGES Le portfolio présenté en p. 64 du magazine a été réalisé en collaboration avec l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique (IUHMSP) à Lausanne. Roxane Fuschetto (ici en photo) s’occupe de l’archivage et la conservation des quelques milliers d’objets qu’abrite l’institut.

SCHIZOPHRéNIE

heidi diaz

Pour l’article sur la psychose en milieu urbain, l’artiste polonais Adam Quest a imaginé l’illustration métaphorique de la page 41.

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contributeurs

Clément Bürge

Rachel antille

MARTIne brocard

Clément Bürge est un journaliste suisse basé à New York. Diplômé en journalisme de la New York University, il est le lauréat du prix Média 2014 de l’Académie Suisse des sciences techniques. Pour ce numéro, il s’est penché sur les innovations horlogères en médecine (p. 56) et l’impact des maladies taboues sur les patients (p. 52).

Avant de rejoindre le CHUV en 2013 où elle occupe le poste de rédactrice web, Rachel Antille a notamment travaillé au sein de la Radio Télévision Suisse et du Département fédéral des affaires étrangères. Pour ce numéro de «In Vivo», elle est allée à la rencontre des ingénieurs de Spacepharma à Delémont (p. 12).

Diplômée en linguistique russe, Martine Brocard travaille depuis plusieurs années comme journaliste pour divers titres de Suisse romande. Pour ce numéro de «In Vivo», elle s’est intéressée à la tendance des régimes sans gluten (p. 60) et aux dernières études concernant l’hyperactivité (p. 49).

In Vivo inscrit deux nouvelles récompenses à son palmarès: en octobre dernier, le magazine a reçu le «Prix spécial du jury» dans le cadre des SVIK Awards, organisés à Bâle par l’Association suisse de communication interne «In Vivo réussit à présenter les enjeux de la santé de manière journalis-

AWAR D

philippe gétaz, DR, Lucas chambers

Deux nouvelles récompenses

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tique», a souligné le président du jury. En décembre, les European Excellence Awards (EEA), célébrés à Paris, ont attribué à In Vivo le premier prix dans la catégorie «external publications». Les EEA récompensent les travaux les plus convaincants dans le domaine de la communication et des relations publiques au niveau européen. /


In Vivo

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse LargeNetwork www.invivomagazine.com

édition

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch redaction@invivomagazine.com Réalisation éditoriale et graphique LargeNetwork, rue Abraham-Gevray 6 1201 Genève, Suisse éditeurs responsables T. + 41 22 919 19 19, www.LargeNetwork.com Béatrice Schaad et Pierre-François Leyvraz Direction de projet et édition online

Bertrand Tappy remerciements

Responsables de la publication

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean

Direction de projet

Melinda Marchese Fiona Amitrano, Alexandre Armand, Anne-Marie Barres, Francine Billote, Valérie Blanc, Gilles Bovay, Virginie Bovet, Mirela Caci, Stéphane Coendoz, Muriel Cuendet direction graphique Teurbane, Stéphanie Dartevelle, Isabel De Dias, Diane Diana Bogsch et Sandro Bacco De Saab, Muriel Faienza, Marisa Figueiredo, Serge Gallant, Christine Geldhof, Déborah Hauzaree, Rédaction Katarzyna Gornik-Verselle, Pauline Horquin, Nathalie Jacquemont, Nicolas Jayet, Emilie Jendly, Laure LargeNetwork (Camille Andres, Céline Bilardo, Martine Brocard, Clément Bürge, Erik Freudenreich, Sophie Gaitzsch, Olivier Gschwend, Benjamin Keller, Melinda Marchese, Treccani, Anne-renée Leyvraz, Cannelle Keller, Elise Méan, Laurent Meier, Brigitte Morel, Oettli Jean-Christophe Piot, Julie Zaugg), Rachelle Antille, Bertrand Tappy Thuy, Denis Orsat, Manuela Palma, Odile Pelletier, Fabienne Pini-Schorderet, Isabel RECHERCHE iconographique Prata, Sonia Ratel, Massimo Sandri, Marite Sabrine Elias Ducret Sauser, Dominique Savoia Diss, JeannePascale Simon, Christian Sinobas, Elena Teneriello, Céline Vicario, Joëlle Isler, Images Nicole Gerber, Pierre Fournier, Fabio CEMCAV (Eric Déroze, Heidi Diaz, Philippe Gétaz, Gilles Weber), Becce, Patric Hagmann et le Service de Thierry Parel, Lalita Prima, Adam Quest communication du CHUV. Partenaire de distribution

BioAlps

mise en page

Diana Bogsch et Romain Guerini

TRADUCTION

Technicis IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA Tirage

17’500 exemplaires en français 2’500 exemplaires en anglais Les propos tenus par les intervenants dans «In Vivo» et «In Extenso» n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.

Suivez-nous sur: twitter: invivo_chuv facebook: MAGAZINE.invivo



IN EXTENSO

Le langage de l’apparence


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