IN VIVO magazine #1

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Penser la santé

N° 1 – NOVEMBRE 2013

/ IMMUNOTHÉRAPIE / RAYONS EN FLASH

LES NOUVELLES ARMES CONTRE

LE CANCER / PERSONNALISATION / NANOMÉDECINE

LUC FERRY «Je revendique un droit à la faiblesse» CAPTEURS La mesure de soi, jusqu’à l’obsession NEUROSCIENCES Coma: prédire le réveil Edité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LA SCIENCE DU JOGGING


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JEROEN BENNINK

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IN VIVO / N° 1 / Novembre 2013

SOMMAIRE

FOCUS

17 / recherche Les prochaines armes contre le cancer De récents essais cliniques ouvrent des perspectives prometteuses Par daniel Saraga et melinda marchese

MENS SANA

26 / Interview Luc Ferry s’exprime sur l’euthanasie Par bertrand tappy

30 / décryptage Don d’organes: les campagnes sont trop neutres

Par clément Bürge

42 / Prospection Les dangers du test ADN à 200 francs

An

Watson joue au docteur

ome Im , Wellc

38 / Innovation

I, CRUK

Par Julie Zaugg

ton, LR ne Wes

34 / tendance Un code-barres au poignet du patient

ages

Par SYLVAIN Menétrey

Par sophie gaitzsch

Cellules cancéreuses de poumon colorisées et photographiées en haute résolution par microscopie électronique à balayage.


CONTeNTS

56

56 19

04 CORpORE SANO

IN SItU

46 / déCRyptAgE

07 / hEALth vALLEy

Coma: prédire le réveil Par geneViÈVe ruiZ

Au cœur des technologies cardiaques

51 / tENdANCE

12 / AUtOUR dU gLOBE

Nouveaux médias: nouvelles addictions

iKnife, le scalpel intelligent

Par SylVain menétrey

La congélation d’ovocytes Par melinDa marcheSe

62 /

INNOvAtION

La 3D dans la peau Par Julie Zaugg

66 / tENdANCE La mesure de soi, jusqu’à l’obsession Par benJamin Keller

CURSUS

70 / ChRONIQUE Une plongée au cœur du vivant

72 / pORtRAIt Le parcours du microbiologiste Onya Opota

74 / tANdEM Un duo qui fait avancer la recherche

sHeA RoggIo, moRgAne RossettI, JÉRÉmIe meRCIeR, UsA goV

42

56 / EN IMAgES


editorial

BUMPING ZONE

PAtRICK DUtoIt

BéAtRICE SChAAd Responsable éditoriale

3

Au centre du bâtiment qui abritera le swiss Cancer Center sur le campus du CHUV, l’architecte a dégagé un espace surnommé la zone de bumping. Bumping? en anglais fédéral, cela signifie littéralement s’entrechoquer. Autrement dit, dans cet espace se croiseront, au hasard de leur journée, des professionnels issus d’horizons multiples: de l’informaticien formé à l’UnIL au spécialiste des cellules tumorales de retour d’un stage à la Harvard medical school en passant par le spécialiste des matériaux fraîchement diplômé de l’ePFL. La recherche sur le cancer, dont vous découvrirez à la lecture de ce premier numéro de «In Vivo» les prodigieux progrès accomplis ces 24 derniers mois, illustre très exactement les conditions désormais indispensables à l’innovation en médecine: une perméabilité intense, une collaboration intime entre des domaines de recherche autrefois cloisonnés. Un décloisonnement qui devrait aller jusqu’à rapprocher des savoirs qui s’étaient distancés au fil de l’histoire des sciences – comme la médecine et les sciences humaines et sociales – et permettre d’accompagner le progrès technologique; ces évolutions sont en marche. en témoigne le travail mené auprès des étudiants en médecine sur la qualité de l’annonce du diagnostic (voir p. 21). Dans ce nouveau contexte, ce ne sont donc pas uniquement les fondamentaux de l’architecture qui sont activement repensés – des labos aux murs opaques et aux portes closes – mais aussi ceux des sciences médicales et des soins. Yi Zuo, une Américaine de 50 ans qui a découvert en 2009 qu’elle souffrait d’un cancer avancé aux ovaires, en est le vivant témoignage. Ainsi qu’elle le raconte en page 19, elle a bénéficié, dans le cadre d’un essai clinique, d’un traitement par immunothérapie. Douze mois plus tard, son cancer est en rémission. en arrière-fond de cette prouesse, de nombreux spécialistes qui ont su mettre leur savoir en commun. A leur tête, george Coukos, qui a quitté l’été dernier la Pennsylvanie pour le campus du CHUV et qui dirige désormais le swiss Cancer Center, illustration parfaite – là encore – de frontières qui s’effacent puisqu’il est le fruit de la mise en commun des moyens et des cerveaux de l’ePFL, de l’UnIL, de l’Institut Ludwig contre le cancer, du CHUV et de professionnels du monde entier que cette émulation attire désormais à Lausanne. «In Vivo» souhaite être le reporter passionné de ce décloisonnement des savoirs entre les labos, les professionnels de la Health Valley et ceux des grandes universités et hôpitaux de la planète. ses journalistes sont les explorateurs de ce nouveau monde qui s’ouvre au patient; ils sont en somme les reporters d’une vaste bumping zone, un espace commun de débat dont nous espérons qu’il saura être un contributeur stimulant à l’intention de tous ceux qui aiment à penser la santé. ⁄


Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de «Health Valley». Dans chaque numéro de «In Vivo», cette rubrique s’ouvre par une représentation de la région. La première carte a été créée par le graphiste genevois Jérémie Mercier.

in situ

Health Valley Capteurs de sécurité, applications pour smartphone, appareils cardiaques, mais aussi constructions de prestigieux centres de recherche, les nouveautés dans le domaine de la santé sont nombreuses en Suisse romande. Panorama des dernières innovations.

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in situ

neuchâtel

HEALTH VALLEY

P. 06

Bioindenter, un appareil de mesure novateur, va notamment permettre de mieux comprendre la progression des tumeurs.

Lausanne

P. 09

Des molécules pouvant améliorer la prise en charge de la maladie d’Alzheimer ont été découvertes à l’EPFL.

Montreux

P. 09

Une conférence internationale sur les nanotechnologies démarre le 18 novembre 2013.

Martigny

sion

Meyrin

P. 07

La Health Valley renforce sa position de leader dans les technologies cardiaques grâce à l’arrivée du géant américain St. Jude Medical. 5

P. 08

Le chantier du futur Campus EPFL a commencé. Trois cents chercheurs y travailleront d’ici à 2015.

P. 10

Douze nouvelles molécules sont en cours de développement chez Debiopharm.


in situ

HEALtH VALLEY

start-uP

«Ce n’est pas à la technologie médicale de payer la facture.»

CAPTEURS

la société lausannoise domo safety a développé un système de capteurs pour prévenir les incidents domestiques chez les seniors. installés dans la maison, les capteurs détectent notamment les diminutions de la mobilité. en cas de besoin, une alarme avertit les proches. la start-up vient de lever 935’000 CHF pour son projet.

RENDEZ-VOUS

la start-up exxact, basée à Préverenges, a mis au point un système de prise de rendez-vous sur internet pour les médecins. les patients peuvent consulter sur le web les plages horaires disponibles. la plateforme comprend aussi l’envoi de sMs de rappel. l’Hôpital de Morges et la permanence médicale du CHuV ont adopté ce système.

DIAGNOSTIC

analyser plusieurs biomarqueurs pour identifier la présence d’une maladie: c’est l’idée que développe la start-up simplicity bio, située à Monthey. un algorithme analyse des caractéristiques biologiques et simplifie le diagnostic médical en décelant les traces de maladies. le système est actuellement en phase de test aux HuG.

urs GasCHe, PrésiDent De la FéDération Des assoCiations suisses Du CoMMerCe et De l’inDustrie De la teCHnoloGie MéDiCale (FasMeD), interroGé sur la CHerté Des CoÛts De la santé.

le mot

radioisotoPes il s’agit d’atomes dont le noyau est radioactif. en médecine, ils sont utilisés afin de détecter la position de certaines molécules dans les tissus. D’ici à 2015, une plateforme de recherche, baptisée Cern MeDiCis, produira des radio-isotopes pour application médicale. ils seront destinés, dans un premier temps, aux hôpitaux et centres de recherche de l’arc lémanique.

l’objet

Bioindenter

VIRUS

la société Viroblock, à Plan-lesouates, a conçu un masque qui piège et tue les virus pathogènes comme ceux de la grippe porcine, de la grippe aviaire et du coronavirus. selon la start-up, ce produit est cent fois plus efficace que les autres masques sur le marché.

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a neuchâtel, le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CseM) et CsM instruments ont mis au point un appareil novateur qui mesure l’élasticité des tissus biologiques, tels que le cartilage, les ligaments, tendons et muscles. l’instrument permet notamment de mieux comprendre les maladies comme l’artériosclérose ou la progression de tumeurs, et d’optimiser les implants pour le génie tissulaire.

Une check­list pour réduire les incidents opératoires

Dix hôpitaux suisses testent depuis cet automne un nouveau système pour améliorer la sécurité des patients: ils utiliseront systématiquement une check-list en chirurgie. Trois d’entre eux sont situés en Suisse romande: le CHUV, l’Hôpital fribourgeois et le Réseau de soins La Tour. Ce projet pilote vise à réduire l’ampleur des événements indésirables qui surviennent lors d’interventions chirurgicales. Selon la Fondation suisse pour la sécurité des patients, un corps étranger est oublié dans la plaie d’un patient lors de 14 opérations sur 100’000. L’usage de cette check-list dans la totalité des hôpitaux est souhaité dans quelques années.


in situ

HEALtH VALLEY

Au cœur des technologies cardiaques Le géant américain St. Jude Medical vient de racheter la société genevoise Endosense, spécialisée en chirurgie du cœur. Un atout pour la région, qui accueille déjà deux leaders du secteur, Medtronic et Edwards Lifesciences. Cardiologie C’est un nouveau géant de l’innovation en chirurgie cardiaque qui s’implante aux bords du Léman. St. Jude Medical, une firme américaine qui pèse quelque 5,5 milliards de dollars, a annoncé fin août le rachat d’une petite société basée à Meyrin (GE), Endosense. Le produit phare de l’entreprise genevoise fondée en 2003? Un cathéter d’ablation destiné à traiter les arythmies cardiaques, le trouble du cœur le plus fréquent. Ce rachat, pour plus de 300 millions de francs, confirme la spécialisation croissante de la région dans les technologies chirurgicales cardiaques. Un chiffre étonnant l’illustre: un pacemaker sur quatre implanté dans le monde a été produit en Suisse romande, par la société américaine Medtronic, établie à Tolochenaz (VD), qui contrôle plus de 50% du marché global des stimulateurs cardiaques. A quelques kilomètres de là, un autre géant medtech américain, Edwards Lifesciences, est le plus important producteur mondial de valves cardiaques artificielles. La multinationale a fait construire en 2009 son nouveau siège EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique) à Nyon. «Nous avons développé un lien très fort avec les médecins de pointe de la région, souligne Eric Gasser, porte-parole de Medtronic en Suisse. Ce dialogue nous permet de développer continuellement nos produits et thérapies. Nous ne sommes pas des scientifiques isolés dans un laboratoire!» Il y a quatre ans, la firme a, par exemple, contribué à lancer l’incubateur d’idées MD Start, sur le campus de l’EPFL à Lausanne. Parmi ses missions: poursuivre certains projets initiés sur le forum de réflexion en ligne de Medtronic, la plateforme «Eureka». Du côté des pacemakers, l’un des progrès les plus importants de ces dernières années a été le lancement de stimulateurs compatibles avec les IRM. «Auparavant, les patients porteurs d’un pacemaker ne pouvaient 7

texte serGe MaillarD

Des DisPositiFs HiGH teCH Pour soiGner les CŒurs MalaDes – Ci-Dessus un PaCeMaKer De MeDtroniC, une ValVe De eDwarDs liFesCienCes et un CatHéter De enDosense – sont ProDuits Dans la réGion léManique.

pas passer d’IRM en raison d’interférences électromagnétiques importantes, qui pouvaient conduire à une issue fatale», explique Eric Gasser. Medtronic travaille à présent sur la miniaturisation des pacemakers, qui pourront être placés directement dans le cœur, sans connexions métalliques. Eviter les opérations à cœur ouvert Pour Enrico Ferrari, médecin associé en chirurgie cardiaque au CHUV, l’innovation la plus importante de ces dernières années dans le domaine concerne le développement des valves cardiaques artificielles à implantation «percutanée». Evitant de recourir à une opération à cœur ouvert, cette nouvelle technique, initiée par Edwards Lifesciences, permet de traiter des patients à haut risque opératoire, qu’il n’était tout simplement pas possible de prendre en charge auparavant. Une des techniques mini-invasives consiste à introduire la prothèse dans l’artère fémorale et de l’acheminer jusqu’au cœur grâce à un cathéter pour remplacer la valve malade. «Il existe également d’autres points de passage pour éviter l’opération à cœur ouvert, comme l’apex, qui est la pointe du cœur, ou l’aorte ascendante au niveau du thorax, précise Enrico Ferrari. C’est une intervention très rapide, qui garantit de très bons résultats.» Porte-parole d’Edwards Lifesciences, Richard Harbinson annonce le lancement attendu de la troisième génération de ce produit: «Elle facilitera le positionnement de la valve et permettra de réduire les complications, comme le saignement ou les fuites.» Chaque année, la compagnie américaine accueille également des centaines de médecins venus des quatre coins de la planète dans ses locaux de Nyon, pour les initier à la maîtrise de ces valves. Une autre manière de placer la Health Valley sur la carte du monde. ⁄


in SITU

HEALTH VALLEY

Campus santé, à Genève, abritera des chercheurs du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et d’autres organisations œuvrant dans le domaine de la santé. Les travaux débuteront à la fin de l’année 2014. collaborateurs * coût du projet Superficie

La Health Valley, en perpétuelle construction Plusieurs grands chantiers en Suisse romande donneront naissance à des lieux consacrés à la recherche et à l’innovation médicale.

1’200 CHF 100-120 millions 25’500 m2

CAMPUS BIOTECH, un centre de recherche en neuro et bioingénierie, se développera sur l’ancien siège de Merck Serono à Genève-Sécheron. Le chantier a commencé à l’automne 2013. collaborateurs * coût du projet Superficie

1’500 à 2’000 CHF 300 millions environ 29’000 m2

l’Hôpital de la tour, à Meyrin, va entamer sa métamorphose en 2014 afin de doubler sa surface. collaborateurs * coût du projet Superficie

150 CHF 100 millions 20’000 m2

L’Hôpital intercantonal Riviera Chablais est en cours de construction. Il devrait être inauguré en 2017. collaborateurs * coût du projet Superficie

2’800 CHF 293 millions 63’493 m2

Le Campus EPFL Valais-wallis, à Sion, réunira 11 chaires, dont deux seront consacrées aux neurosciences et deux autres aux biotechnologies. Les chercheurs pourront s’y installer à l’automne 2014. L’évolution des projets sur www.invivomagazine.com

collaborateurs * coût du projet Superficie

300 CHF 115 millions 15’000 m2

L’Hôpital psychiatrique de Cery, près de Lausanne, sera entièrement reconstruit d’ici à 2019. collaborateurs * coût du projet Superficie

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320 CHF 106,6 millions 13’500 m2


in situ

HEALTH VALLEY

Les nano­ technologies à l’honneur

3 questions à

Patrick Fraering

Son laboratoire a fait une découverte qui pourrait révolutionner la prise en charge de la maladie d’Alzheimer.

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agenda La 7e édition de la conférence NanotechMontreux se tiendra du 18 au 20 novembre 2013 à l’Hôtel Eden Palace. Des intervenants de réputation internationale s’exprimeront sur l’application en biologie, chimie et médecine des micro et nanotechnologies. Des affiches réalisées par des étudiants présenteront les innovations du secteur. www.nanotech-montreux.com

Une école romande de santé publique

formation Six institutions, basées à Genève, Lausanne et Neuchâtel, vont créer l’Ecole romande de santé publique. Genève (UNIGE/ HUG) assumera notamment les questions de santé internationale et de prévention du cancer. A Lausanne, (UNIL/ CHUV/ IST), l’accent sera mis entre autres sur les maladies cardio-métaboliques. Le pôle neuchâtelois (UNINE) traitera du droit de la santé.

En quoi consiste votre découverte sur la maladie d’Alzheimer?

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Pourquoi est-ce considéré comme révolutionnaire?

Auparavant, les recherches cliniques se sont concentrées sur l’enzyme gamma-sécrétase. On savait qu’elle créait le peptide suite à la découpe de la protéine APP, alors les tests se penchaient sur des inhibiteurs de l’enzyme. Le problème était qu’il y avait beaucoup d’effets secondaires, car d’autres éléments essentiels à la régulation cellulaire sont issus du cisaillement de l’APP. Les molécules au centre de notre recherche ne provoquent pas ces effets secondaires parce qu’elles laissent les «bons» produits se développer.

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Pourra-t-on guérir d’Alzheimer?

Pas à proprement parler. Pour les personnes dont la cause de la maladie est congénitale, elles pourraient prendre le médicament, si les essais cliniques aboutissent, en prévention. Quant au reste des patients atteints d’Alzheimer, si le diagnostic de la maladie est fait à temps, le traitement pourrait empêcher l’évolution de la pathologie et ainsi prolonger leur espérance de vie. ⁄ Patrick Fraering est professeur à la Faculté des sciences de la vie et chercheur au Brain Mind Institute de l’EPFL

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reuters

La pathologie est due à une surproduction d’une molécule dans le cerveau, le peptide amyloïde béta 42. Cet élément forme des plaques dans le cerveau, qui tuent les neurones, causant ainsi la maladie. Nous avons découvert que deux groupes de molécules diminuent la formation de ce peptide. Ces molécules agissent sur la protéine APP qui, après le processus naturel de sa découpe par l’enzyme gamma-sécrétase, ne produira plus, ou en tout cas moins, le peptide mis en cause. Ce personnage qui mesure quelques microns a été imprimé en 3D par des chercheurs en nanotechnologie à Vienne. De minuscules composants biomédicaux pourraient être créés de la même manière.

En m2, la surface de la nouvelle unité de production de l’entreprise biopharmaceutique UCB, à Bulle. Elle est ainsi l’un des plus grands sites de production de médicaments d’Europe.

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En millions de francs, la somme que ObsEva vient de lever. La start-up genevoise, fondée fin 2012, développe des médicaments contre le risque d’accouchements prématurés.


in situ

HEALtH VALLEY

étaPe n° 1

MartignY

sur La route

DeBioPHarM researCH anD ManuFaCturinG sa.

Dans chaque numéro, «in Vivo» part à la rencontre des acteurs de la Health Valley. Première étape de ce carnet de route: Martigny, en Valais.

Un savoir­faire local ancré dans un réseau global Debiopharm développe des médicaments, qui sont commercialisés par de grands groupes pharmaceutiques. texte: BertranD taPPy

Debiopharm Research and Manufacturing, antenne du groupe du même nom basé à Lausanne et qui compte 350 collaborateurs, est notamment chargé de la production du Triptorelin, un médicament contre le cancer de la prostate. Un produit qui, avec l’Oxaliplatin (aussi développé par Debiopharm), a généré plusieurs milliards de dollars depuis son lancement. «Le monde est notre laboratoire, ajoute Thierry Mauvernay, administrateur-délégué du groupe. Lorsqu’il est possible d’imaginer une application concrète pour le patient, nous la développons, avant de la céder à une grande pharma qui pourra la commercialiser beaucoup mieux que nous.» Il faut dire que le développement d’un médicament est un processus à la fois extrêmement long et coûteux: 12,7 ans et 4 milliards de dollars en moyenne, selon Thierry Mauvernay. La vocation du site de Martigny est donc d’«injecter de l’innovation» à des produits complexes par la chimie et aussi par l’utilisation de nanotechnologies qui 10

permettent de résoudre des problèmes difficiles de solubilité et de nocivité d’un produit. Dernière production en date: un médicament qui peut être administré une seule fois tous les six mois, contre une piqûre par mois ou tous les trois mois auparavant. Les bureaux se trouvent dans les mêmes locaux qui ont vu naître l’entreprise voilà trente-cinq ans, avec des agrandissements en plus pour le lieu de production et le laboratoire de biochimie qui emploie 45 chercheurs. «Actuellement, 12 nouvelles molécules sont en cours de développement dont un produit pour le traitement de l’hépatite C, qui a été licencié à Novartis, signale Cédric Sager, CEO de Debiopharm Research & Manufacturing (géré de manière autonome par rapport au Debiopharm Group) qui compte 130 employés. Et nous allons bientôt démarrer une étude clinique au CHUV avec l’une de ses molécules les plus prometteuses en oncologie.» Savoirfaire local, réseau global: voilà une excellente entame pour notre petit voyage. ⁄


in situ

HEALtH VALLEY

BenoÎt duBuis Directeur du site Campus Biotech et président de BioAlps

En Suisse occidentale, l’industrie des sciences de la vie connaît de profonds changements. L’occasion pour ses acteurs de redoubler de créativité.

L’annonce de la fermeture du siège de Merck Serono a marqué tous les esprits, tant par ses conséquences économiques et humaines que par la valeur symbolique de cette fatale issue. Un accident de parcours dramatique certes, mais… un accident de parcours. La Suisse occidentale reste une terre d’opportunités, dont Serono a pleinment bénéficié, passant du stade de start-up avec ses quelques employés lors de son arrivée en 1980, à plusieurs milliers avant sa fermeture. Les atouts de notre région continuent de profiter au développement du secteur industriel des sciences de la vie. Ils permettent les croissances remarquées de certaines sociétés comme Ariad, Shire ou Alexion, justifient les investissements massifs observés ces dernières années de sociétés telle UCB (qui a injecté près de 300 millions de francs suisses sur son site de production de Bulle), et sont à la base du succès de sociétés comme Ferring, Debiopharm, Celgene et tant d’autres.

Mais si je ne devais retenir qu’un seul point fort, ce serait le facteur humain: ces hommes et ces femmes hautement qualifiés, qui constituent le socle de ce dynamisme industriel et entrepreneurial. Nous vivons une période de changement et lorsque les choses changent, il y a toujours des opportunités de faire mieux: mieux servir une clientèle, mieux gérer des ressources, développer des stratégies plus efficaces, mieux structurer les passerelles entre économie et centres de recherche, mieux remplir le technology gap. Ce que j’appelle technology gap, c’est la différence entre un produit existant et un nouveau produit ou entre une certaine manière de faire et une nouvelle manière de faire. Or, des opportunités économiques se créent quand un meilleur produit ou une meilleure méthode n’ont pas encore été lancés. Etre le premier dans un secteur industriel ou le pionnier dans sa région permet de fermer le technology gap. C’est pendant les périodes chahutées, alors que la majorité des gens sont frileux, que le plus d’opportunités émergent. Car chacun doit alors chercher des alternatives pour s’en sortir. Et plus les gens hésitent, meilleures seront les opportunités pour ceux qui n’hésitent pas. ⁄

Que l’on considère la situation de compétitivitécoût et le niveau d’investissement, les perspectives pour la demande de nos produits, la situation financière des entreprises industrielles, le niveau technologique, le niveau de formation ou en saVoir Plus le dynamisme entrepreneurial: les indicateurs www.bioalps.org sont tous au vert. la plateforme des sciences de

Dr

la vie de suisse occidentale www. republic-of-innovation.ch l’actualité des sciences de la vie en suisse occidentale

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in SITU

globe

in situ

autour du globe

Sang Tan / AP Photo

Parce que la recherche ne s’arrête pas avec les frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales à travers le monde.

Scalpel intelligent chirurgie Un instrument révolutionnaire a été développé par des scientifiques de l’Imperial College de Londres: l’iKnife, un scalpel intelligent capable de distinguer les tissus sains et cancéreux. Son principe: il utilise un petit courant électrique qui crée de la vapeur au moment de l’incision. Il analyse ensuite cette vapeur par une technique sophistiquée de spectrométrie de masse et compare les données à une base de plus de 3’000 signatures tissulaires spécifiques, qui sont des empreintes de plusieurs types de cancers, ce qui donne ainsi à l’iKnife la faculté de déterminer si le tissu qu’il vient de découper est tumoral ou sain. Le nombre de vaccins qui sont actuellement en développement au sein de la Pharmaceutical Research and Manufacturers of America, l’association américaine des chercheurs et fabricants pharmaceutiques. 137 sont, par exemple, destinés aux maladies infectieuses, 99 visent à lutter contre le cancer.

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Le mot

Pandora­virus Une nouvelle forme de virus a été découvert cet été. Très complexe, elle compte entre 1’900 et 2’500 gènes. Ces virus ont d’ailleurs été baptisés en référence à la boîte de Pandore. «Ouvrir cette boîte va briser les fondations de ce qu’on savait sur les virus jusqu’à présent», explique Jean-Michel Claverie, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris, qui a dirigé l’étude.


in situ

gLobE

Un espoir pour rétablir la croissance (1)

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nanisme Relancer la croissance osseuse chez les personnes atteintes d’achondroplasie, la forme la plus connue de nanisme. C’est cet exploit que des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), à Paris, visent à accomplir. Ils y sont déjà parvenus chez des souris. Grâce à des injections de protéines, les membres de rongeurs sauvages (1) ont retrouvé une taille normale (2). Les os de souris atteintes d’achondroplasie (3) ont aussi grandi (4). Dans l’hypothèse la plus optimiste, il faudra attendre plusieurs années avant de produire un médicament capable de soigner les enfants atteints de cette maladie.

sCi. transl. MeD. 5

io Ct

le sé Vo la Vi Inside National in Health Reform JoHn e. MCDonouGH, uniVersity oF CaliFornia Press, sePteMBre 2012

En 360 pages, John E. McDonough, professeur de santé publique à la Harvard School of Public Health (Boston), donne un aperçu complet des enjeux, mais aussi des défauts, de la réforme de santé lancée par Barack Obama aux Etats-Unis. Un ouvrage parfaitement accessible, bien documenté, qui permet de comprendre un système complexe, considéré comme la plus grande réforme d’une politique sociale en Amérique depuis des générations.

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Que peuvent nous apprendre nos neurones? Le neurobiologiste français Jean-Pierre Changeux et le philosophe britannique Colin McGinn débattent de la question. Chacun défend sa discipline. Pour Changeux, «les philosophes n’ont pas à donner de leçons, en particulier aux scientifiques». Ce à quoi McGinn répond: «En effet, les philosophes n’ont pas à enseigner la science aux scientifiques, mais ils peuvent parfaitement enseigner aux scientifiques des concepts et des théories philosophiques.» u Hroniq s les C n s Ve r .CoM les lie Gazine a M o nViV www.i

Dans cette chronique, le journaliste et chirurgien américain Atul Gawande livre une passionnante analyse sur les difficultés à imposer des mesures d’hygiène ou des techniques de soins dans les pays les plus défavorisés, alors même qu’elles pourraient sauver de nombreuses vies. Il rappelle surtout que, même à une époque où la technologie permet une diffusion rapide des idées, le contact humain reste le seul moyen, certes lent, de faire évoluer une situation.

ConFérenCe teD Par niCHolas CHristaKis

DéBat entre Jean-Pierre CHanGeux et Colin MCGinn, «tHe new yorK reView oF BooKs»

larry PaGe, DireCteur De GooGle, en Présentant CaliCo, la nouVelle entrePrise lanCée Par le Géant De l’internet. son oBJeCtiF: analyser les GiGantesques quantités De Données réColtées auPrÈs Des Patients Dans le But D’aMéliorer la Prise en CHarGe Des PatHoloGies liées au GranD âGe.

Slow ideas CHronique De atul GawanDe, «tHe new yorKer»

L’influence cachée des réseaux sociaux

Neuroscience & Philosophy: An Exchange

«Je me réjouis de m’attaquer au vieillissement.»

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es et le

On parle aujourd’hui d’«épidémie de l’obésité». Est-ce que cette pathologie est contagieuse? C’est ce que soutient Nicholas Christakis. Ce professeur de sociologie médicale à la Harvard Medical School donne une conférence TED convaincante sur l’influence des réseaux sociaux d’amis, de famille et de collègues sur un individu. D’autres comportements, comme le tabagisme, l’alcoolisme, le divorce ou le bonheur, peuvent aussi se propager d’une personne à une autre, montrant comment le réseau social d’un individu peut avoir un impact sur sa vie sans même qu’il s’en rende compte. s ViDéo

s su r


in SITU

Le dilemme de la cigarette électronique La cigarette électronique doit-elle être considérée comme un médicament, et donc être vendue en pharmacie uniquement? La question est âprement discutée auprès des institutions européennes et des Etats membres, qui devraient trancher au début de 2014. Inventé en Chine il y a une dizaine d’années, et censé combattre le tabagisme en favorisant le sevrage, ce diffuseur de vapeur chargée ou non de nicotine pose des questions inédites aux autorités sanitaires car ses effets sur la santé demeurent inconnus. Son succès phénoménal laisse craindre un effet de mode, notamment auprès des adolescents. Une étude menée aux Etats-Unis par les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) indique que les collégiens sont de plus en plus nombreux à s’initier à la nicotine par ce biais. Ci-contre, Jason Cropper, directeur de The Electronic Cigarette Company, utilise son produit dans le quartier de Canary Wharf, à Londres. SIMON NEWMAN / REUTERS

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globe


in situ

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gLOBE


L’INFORMATION EN CONTINU Tout savoir sur les Sciences de la vie et l’innovation. Des rubriques pour vous: Agenda, Innovation, People, Science, etc. L’actualité de nos entreprises, de nos hautes-écoles, de nos organismes de soutien à l’innovation sur un seul site.

D republic-of-innovation.ch

“The joys of discovery are made all the richer when shared. Learn about innovation and experience that goes beyond everyday lives.” BENOIT DUBUIs Founder BioAlps, Eclosion, Inartis

“Republic of Innovation, un site instructif, intelligent, ouvert et très facile à lire. C’est un vrai plaisir, en plus d’être une véritable aide.”

wzart consulting

ThIERRy MAUvERNAy Delegate of the Board Debiopharm Group

REPUBLIC OF INNOVATION


focus

Cancer

recherche

Les prochaines armes contre le cancer /

Des découvertes de grande ampleur ont été effectuées dans le cadre d’essais cliniques. Ces traitements ne seront probablement pas disponibles avant plusieurs années, mais ils ouvrent des perspectives importantes.

/ Par

DANIEL SARAGA et melinda marchese Illustrations

Diamantis Seitanidis / Dreamstime

sébastien fourtouill

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focus

cancer

«V

ous n’avez plus que quelques mois à vivre, une année au mieux.» Cette terrible sentence accompagne encore tant de cancers avancés. Elle pourrait bientôt laisser place à un message plus optimiste: des découvertes réalisées dans le cadre d’essais cliniques ouvrent des perspectives encourageantes quant à la prise en charge de la maladie. Des patients ayant participé à ces essais ont déjà répondu favorablement à ces nouveaux traitements (lire témoignage ci-contre de Yi Zuo).

validation (voir «La naissance d’un médicament» p. 21). Si ces pistes prometteuses se confirment d’ici à plusieurs années, elles viendront s’ajouter à d’autres progrès majeurs réalisés dans la prise en charge des tumeurs. L’arsenal thérapeutique du médecin ne cesse de s’étoffer, permettant de personnaliser toujours davantage les traitements. Une pratique déjà constatée aujourd’hui: «Notre manière de prendre en charge les cancers a profondément changé ces dernières années, depuis les diagnostics jusqu’aux choix des thérapies, souligne Roger Stupp, directeur de la clinique d’oncologie de l’Hôpital universitaire de Zurich. Il n’y a pas d’approche unique: c’est souvent la combinaison de différentes stratégies qui amène des progrès décisifs.»

«Certaines avancées sont si impressionnantes que je pense que nous pouvons vraiment être enthousiastes, se réjouit Olivier Michielin, oncologue au CHUV, à son retour du meeting annuel de l’American Society of Clinical Oncology à Chicago, en juin 2013. Lors de repères cette rencontre, l’atmosphère était très optimiste.» Il faudra néanmoins attendre encore plusieurs années avant l’arrivée de ces thérapies sur le marché. En effet, un médicament doit, avant d’être administré aux patients dans un contexte clinique, passer par plusieurs phases de

1

IMMunothérapIe

37’000

Le nombre de nouveaux cancers qui se déclarent chaque année en Suisse. /

16’000

En Suisse, le nombre de décès annuels dus au cancer. /

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Pour l’instant, l’ablation de la tumeur par la chirurgie reste une étape incontournable pour l’immense majorité des patients. «Lorsqu’une tumeur opérable a été enlevée, il reste souvent des cellules tumorales qui menacent d’amener à une récidive, explique Roger Stupp. Avec ces nouvelles approches, on peut espérer un jour éradiquer la maladie pour de bon.»

L’immunothérapie poursuit diverses stratégies afin de renforcer le système immunitaire du patient. «Nous voyons enfin des résultats solides, commente Roger Stupp. Cette approche concerne encore principalement des cas de cancers très avancés, mais elle devrait à terme se montrer très utile lors de stades intermédiaires.»

enraient l’activité défensive des globules blancs, les «soldats» du système immunitaire. C’est le mécanisme d’action de la molécule Nivolumab, encore en phase de test aux Etats-Unis, qui a réduit la masse tumorale d’un tiers des patients dont les mélanomes n’avaient pas répondu aux premiers traitements. Une approche susceptible de fonctionner dans une grande variété de cancers, souligne l’oncologue Olivier Michielin.

La première stratégie cherche à stimuler directement la réponse immunitaire, comme le fait Yervoy, qui est utilisé contre le mélanome (une forme très agressive de cancer de la peau). Il s’agit du premier médicament d’immunothérapie à avoir été autorisé par la Food and Drug Administration américaine (FDA) en 2011, également disponible en Suisse.

La combinaison de ces deux approches peut amener des résultats encore plus spectaculaires: lors d’une récente étude sponsorisée par l’entreprise pharmaceutique américaine Bristol-Myers Squibb, l’association de Yervoy et de Nivolumab a réduit de 80% la taille des métastases du mélanome chez plus de la moitié des 53 participants.

Deuxième approche: bloquer l’action de protéines déployées à la surface des cellules cancéreuses qui

éDuquER LES GLobuLES bLANcS – Les vaccins thérapeutiques constituent une autre approche de l’im-

LA DéfENSE ESt LA mEILLEuRE AttAquE

18

En millions de francs suisses, la somme que la Recherche suisse contre le cancer a octroyée en 2012 à des chercheurs et organismes qui tentent d’améliorer la prise en charge de la maladie.


focus

cancer

«Mon cancer de stade III est aujourd’hui en rémission» Yi Zuo, 50 ans, croit fermement au potentiel de l’immunothérapie. Elle en a elle-même bénéficié en 2011 dans le cadre d’un essai clinique, lorsque son cancer de l’ovaire a récidivé. par melinda

D

shea roggio

marchese

entiste de formation, cette résidente de Philadelphie (USA) découvre en 2009 qu’elle souffre d’un cancer de stade III. «J’ai initialement consulté mon médecin pour des problèmes de constipation, se souvient-elle. Il m’a alors prescrit des laxatifs et m’a encouragée à manger davantage de légumes. Mais rien n’a changé... Lorsque j’ai senti une masse en dessous de mon nombril, je suis immédiatement retournée chez mon médecin.» Un ultrason dévoile la présence d’une tumeur maligne. «J’ai perçu sur le visage du radiologue et du technicien que les nouvelles n’étaient pas bonnes. C’était un vendredi après-midi; le mercredi suivant, j’ai subi une intervention chirurgicale lors de laquelle mes ovaires et mon utérus ont été 19

retirés.» Un suivi de chimiothérapie n’empêchera pas la récidive deux ans plus tard. «Lorsque j’ai découvert sur le site internet de The Penn Ovarian Cancer Research Center que des femmes atteintes de cancer de l’ovaire étaient recherchées pour participer à des essais cliniques, je n’ai pas hésité une seconde, j’ai postulé et j’étais heureuse d’avoir été retenue. J’ai toujours eu conscience de la sévérité de

ma maladie; bénéficier d’une nouvelle thérapie représentait une véritable opportunité pour moi, et j’espérais aussi, en servant de cobaye, aider d’autres femmes.» En mai 2012, Yi Zuo commence l’immunothérapie. «Les médecins ont prélevé sur moi des cellules saines qu’ils ont mises en culture avec des cellules cancéreuses afin qu’elles apprennent à les reconnaître et à les combattre.» Réinjecté en plusieurs fois, ce vaccin vise à renforcer le système immunitaire de la patiente. «Contrairement à la chimiothérapie, ce traitement n’a entraîné aucun effet secondaire chez moi.» Si elle n’a pas encore repris son activité professionnelle, Yi Zuo participe aujourd’hui régulièrement à des activités sportives caritatives pour la recherche contre le cancer. «Aujourd’hui, je me sens bien et, surtout, mes derniers examens n’ont révélé aucune trace de mon cancer!»


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cancer

munothérapie, comme Provenge, approuvé contre le cancer de la prostate en 2010 par la FDA, qui est donc disponible sur le marché américain et européen, mais pour l’instant pas en Suisse. Leur objectif est «d’entraîner» les lymphocytes (un type de globules blancs) à reconnaître les cellules cancéreuses, en les mettant en contact in vitro avec des antigènes extraits de la tumeur du patient. Contrairement aux vaccins usuels contre la grippe ou la polio, ce traitement n’a pas de visée préventive mais s’effectue une fois le cancer déclaré.

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cellule immunitaire naturelle

3

1

substance stimulante

tumeur

Immunothérapie Ce type de traitement renforce les défenses immunitaires pour que le corps combatte plus efficacement le cancer.

George Coukos, actuel chef du Département d’oncologie UNIL-CHUV à Lausanne (lire interview p. 24), dirige des travaux sur un vaccin contre le cancer des ovaires dans le cadre de ses recherches à l’Université de Pennsylvanie, auxquelles Lausanne est désormais associée. Combinée au médicament Avastin (voir point 2, Médicaments ciblés), l’immunothérapie a pu stabiliser la progression de la maladie dans des stades avancés. Selon le Prof. Coukos, ce traitement pourrait être disponible pour les patientes suisses dans deux ans. Un autre vaccin expérimental prometteur a été développé à Genève contre le cancer du cerveau et a été soumis pour approbation à l’agence suisse des médicaments Swissmedic. «Nous avons pu identifier des molécules présentes à la surface des tumeurs pour en tirer un vaccin», explique Pierre-Yves Dietrich. Le 20

directeur du Centre d’oncologie des HUG a reçu pour ses découvertes le premier «Annual Cancer Researcher of the Year Award» décerné par l’association américaine Gateway for Cancer Research. Une poignée de traitements ont déjà été commercialisés, mais la plupart ne sont pour l’instant accessibles qu’à travers des essais cliniques, note Roger Stupp. «Les patients suisses devraient s’informer et demander à leur médecin si participer à une étude pourrait les aider dans leur combat contre la maladie.» Vers la thérapie génique – La dernière approche est la plus ambitieuse: la thérapie génique consiste à ajouter un gène spécifique de la tumeur cancéreuse à des globules blancs extraits du corps du patient. En 2 1 mars 2013, une étude relatait dans Science Transla- analyse tumeur tional Medicine un cas spectaculaire: la guérison génétique éclair par thérapie génique de cinq patients atteints de leucémie, dont la plus rapide s’est faite en huit jours. Mais l’approche utilisée par les chercheurs du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center (New York) reste expérimentale: l’Union européenne n’a pour l’instant autorisé qu’une seule thérapie génique contre une maladie génétique rare non liée au cancer (l’insuffisance de la lipoprotéine lipase).

2

3 sélection Médicaments ciblés du médicament

Les espoirs le deplus la médecine efficace personnalisée

Il y a cancer et cancer. Autrefois classées par organe, les tumeurs sont désormais identifiées selon leur mode d’action biochimique, c’est-à-dire la manière dont les cellules réagissent entre elles. La «médecine personnalisée», qui veut reconnaître chaque type de cancer et l’attaquer de manière individualisée, prend une place de plus en plus grande dans les thérapies. «Des résultats révolutionnaires ont été amenés par Glivec (lire p. 50), l’un des premiers médicaments ciblés, indique Martin Fey, directeur de la Clinique universitaire d’oncologie médicale à l’Inselspital de Berne. Ce traitement peut guérir la leucémie myéloïde chronique, une maladie autrefois incurable.» Parmi les médicaments ciblés les plus connus: Herceptin pour certains cancers du sein (autorisé en Suisse depuis 1999) ainsi qu’Avastin (depuis 2004), qui s’attaque à la vascularisation nourrissant la croissance des tumeurs. Ces médicaments agissent sur des cibles moléculaires précises, au contraire de la chimiothérapie

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cancer

2

1

analyse génétique

tumeur

3

Médicaments ciblés Le type précis de cancer est identifié afin d’utiliser un médicament adapté.

sélection du médicament le plus efficace

classique qui touche également fortement les tissus sains. «Certaines tumeurs, qui sont activées par des mutations de l’ADN, peuvent être identifiées par une analyse génétique, explique George Coukos. Elles procurent ainsi un grand nombre de nouvelles cibles pour des thérapies ciblées, qui fonctionnent en bloquant les défauts générés par la mutation. Certains résultats sont spectaculaires.» Leur utilisation en thérapie passe d’abord par un test diagnostique qui s’assure que le type de tumeur est bien susceptible de réagir au médicament. Les traitements ciblés développés pour l’oncologie depuis une quinzaine d’années constituent autant de nouvelles armes pour l’arsenal à la disposition des médecins. Ceux-ci les engagent d’ailleurs souvent en combinaison: chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie. Une autre manière de personnaliser le traitement pour chaque patient.

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meur

L’impact psychologique reste important Les avancées de la recherche n’ont pas encore permis de rassurer les esprits en matière de cancer: «Même si les patients ont appris, à 2 travers la presse ou internet, que la prise en nanoboîte charge de la maladie s’est nettement améliorée ces dernières années, celle-ci reste fortement associée à la mort, note Friedrich Stiefel, chef du Service de psychiatrie de liaison du CHUV. L’annonce et le traitement du cancer représentent toujours des épreuves très éprouvantes auxquelles personne n’est préparé.» 1 Le psychiatretumeur souligne l’importance d’une bonne communication entre patient et soignant. «Des études scientifiques ont démontré qu’un entretien bien géré par un médecin assurait davantage de satisfaction au patient, qui s’adapte mieux au traitement.» La Suisse est le seul pays au monde qui oblige, depuis 2005, les oncologues à suivre des séminaires de communication. «L’ensemble du personnel soignant qui encadre le patient doit être à l’écoute et le soutenir psychologiquement.» Dans certains cas, un soutien supplémentaire se révèle nécessaire. «Quelque 20% des patients atteints de cancer rencontrent des problèmes psychologiques majeurs, tels qu’une dépression sévère ou de l’anxiété importante. Tous les centres cancérologiques disposent aujourd’hui, en nombre variable, de psycho-oncologues, présents pour aider les malades à s’adapter à cette situation.» Les séquelles psychologiques peuvent aussi se manifester en période de rémission. «La cicatrice émotionnelle persiste. Et il ne faut pas minimiser les séquelles du traitement, la fatigue notamment. D’où la nécessité, pour le personnel soignant, de rester attentif à la santé psychologique du patient sur le long terme.»

La naissance d’un médicament Avant la mise sur le marché d’un médicament, un essai clinique est mené pour s’assurer que le produit est sûr et efficace pour les patients. Les essais cliniques peuvent durer une dizaine d’années et se déroulent en plusieurs phases.

Phase I

Le test est réalisé sur un petit groupe de personnes, saines ou malades selon les cas, pour évaluer la tolérance au traitement et déterminer les effets secondaires.

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Phase II

L’étude est effectuée sur quelques centaines de malades: un groupe reçoit la molécule alors qu’un autre reçoit un placebo. L’efficacité du traitement est analysée et la dose optimale à administrer est déterminée.

Phase III

Menée chez une très large population de malades, cette phase compare l’efficacité du nouveau traitement avec une autre thérapie existante ou avec un placebo. Les résultats de cette étape déterminent l’autorisation de vente du médicament.

Phase IV

Il s’agit du suivi sur le long terme après la mise sur le marché du traitement. Les effets secondaires et les éventuelles complications sont répertoriés.

3

m ac


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cancer

3

molécule active

2

nanoboîte

1

tumeur

1

tumeur

3

Chimiothérapie ciblée Les molécules actives sont enfermées dans des nanoboîtes qui présentent l’avantage de s’accumuler uniquement dans la tumeur. La chimiothérapie s’attaque ainsi aux cellules cancéreuses mais laisse intacts les tissus sains.

Chimiothérapie La révolution nano

La chimiothérapie détruit les tissus cancéreux à l’aide de molécules puissantes, mais touche également les tissus sains. De nouvelles techniques issues notamment de la nanomédecine veulent déployer cette arme lourde de manière plus sélective.

Une idée ambitieuse actuellement développée dans les laboratoires de recherche, consiste à enfermer des molécules de chimiothérapie à l’intérieur de nanoboîtes graisseuses, sur lesquelles il est possible d’attacher des protéines à même de se fixer sur les cellules cancéreuses. La boîte se fait ensuite avaler par la tumeur et délivre le produit chimique à l’intérieur de la cellule cancéreuse – un cheval de Troie microscopique. Les premiers nanomédicaments autorisés fonctionnent de manière plus simple, comme Abraxane ou Doxil. Ce dernier, qui est disponible en Suisse, s’accumule naturellement dans les tissus cancéreux car les nanoboîtes possèdent exactement la bonne taille pour passer à travers les parois poreuses des vaisseaux sanguins menant aux tumeurs. D’autres techniques plus traditionnelles permettent aussi d’injecter le traitement directement sur la tumeur. 22

Francis Munier de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin (Lausanne) a développé une nouvelle méthode pour 1 2soigner les yeux d’enfants atteints de rétinoblastome tumeur cellule (cancer de la rétine) avancé. Disponible en Suisse, immunitaire cette procédure consiste en l’injection de la chimionaturelle thérapie directement dans le corps vitré de l’œil sans 3 risquer de propager la tumeur, grâce à une fine substance aiguille refroidie à -70 °C. L’œil a pu être sauvé dans stimulante 20 cas sur 23, avec une rémission de 100% deux ans après l’intervention.

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Radiations

3 sélection Certains prédisaient son déclin, à tort. du médicament Apparue à la fin du XIXe siècle, la radio- le plus efficace thérapie a accompli de grands progrès ces dernières années: les rayons X atteignent de manière toujours plus précise les cellules cancéreuses, évitant ainsi de mieux en mieux les tissus sains environnants. Plus précises et mieux dosées

De manière générale, les progrès de la radiothérapie sont indissociables de ceux de l’imagerie (scanners, IRM, PET), selon Stephan Bodis, expert de la radiothérapie oncologique à l’Hôpital cantonal d’Aarau. Ces appareils permettent de repérer et de cibler des zones toujours plus précises. «Dans certains cas, on peut utiliser une seule dose d’irradiation dans un très petit volume, qui peut suffire à elle seule à détruire la tumeur.» Cette dernière technique appelée stéréo radiothérapie ou radiochirurgie passe par des appareillages de haute précision, tels que le Gamma Knife. Le potentiel de la radiothérapie pourrait être encore optimisé grâce à de nouvelles approches, parmi lesquelles la radiothérapie Rayons X focalisés Le système de radiochirurgie permet de concentrer les rayons sur les cellules cancéreuses. Les radiations brûlent la tumeur mais préservent les tissus environnants.

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tumeur

3

point de convergence des rayons

2

rayon


cancer

en flash. «Cette innovation est basée sur une technique de rayonnement très intense et extrêmement rapide, explique Jean Bourhis, chef du Service de radiooncologie du CHUV, qui teste depuis cet automne en exclusivité mondiale cette approche. La dose de rayons délivrée actuellement en cinq minutes l’est en 0,1 seconde.» Les premiers essais porteront uniquement sur des tumeurs peu profondes, notamment au niveau de la tête et du cou. «Sur le long terme, la radiothérapie en flash pourrait être utilisée pour tout type de cancers, estime le radio-oncologue. Elle a pour avantage de réduire les inflammations des tissus sains avoisinants, ce qui nous permet d’augmenter les doses. Nous pourrons donc y recourir pour traiter les cancers les plus résistants.» ⁄

Acteur de sa maladie

Actuellement, les progrès de la science ne permettent pas de guérir tout cancer. Ils ont toutefois le mérite de réussir à prolonger la vie des personnes atteintes. Les hôpitaux doivent donc répondre à un nouveau besoin: celui d’aider les patients à vivre, quotidiennement, avec la maladie. «L’amélioration des soins permet de plus en plus aux patients de quitter l’hôpital le jour même du traitement, explique Andrea Serena, infirmier clinicien spécialisé au CHUV. Nous devons nous assurer que le retour à domicile se passe bien, qu’ils soient capables de prendre leur médicament, mais aussi de gérer, par exemple, la fatigue, l’un des symptômes récurrents chez les personnes suivant un traitement contre le cancer.» Un soutien psychologique et psychosocial – qui vise, par exemple, à maintenir la capacité à gérer ses relations familiales – est aussi primordial pour s’assurer d’un bon suivi. Cette nouvelle manière de prendre en charge les malades et la complexité des soins implique la présence de personnel soignant spécialisé. «Les infirmiers doivent aider les patients à développer une «capacité d’autosoins», et leur permettre de tenir un rôle toujours plus actif dans leur traitement.» A l’avenir, les allers-retours à l’hôpital deviendront toujours moins fréquents. «Des consultations infirmières à distance pourront avoir lieu grâce aux progrès de la télémédecine. Ces réflexions sont en cours aujourd’hui; elles ont toutes comme objectif de permettre au patient de mieux vivre avec sa maladie chronique.» 23

Le nombre de décès ne cesse de baisser Taux de mortalité pour 100’000 hommes/femmes

Source: Office fédéral de la statistique (OFS)

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cancer

INTERVIEW «Voir certains patients en rémission est un vrai miracle»

propos recueillis par

daniel saraga

La donne a changé: en cas de cancer, l’espoir n’est pas de simplement retarder l’inévitable – mais d’en guérir. Spécialiste mondial de l’immunothérapie, George Coukos détaille l’état de la recherche actuel en matière de cancer.

En 1971, le président américain, Richard Nixon, déclarait la guerre contre le cancer. Quarante ans plus tard, elle n’est toujours pas gagnée.

IV

Non, bien sûr. Mais des résultats spectaculaires ont été obtenus avec les nouvelles approches telles que la thérapie ciblée et l’immunothérapie. Et la combinaison de différents traitements – médicaments, chimio et radiothérapie – démultiplie parfois les effets.

GEORGE COUKOS

Votre domaine, l’immunothérapie, est aujourd’hui célébré comme l’approche la plus prometteuse.

IV

Nous avons fait d’énormes progrès. Nous savons désormais qu’aider le corps à se défendre peut avoir un impact très Une pointure mondiale important contre la de l’immunothérapie maladie. Il est possible, Pendant 20 ans, George par exemple, de Coukos a développé le profiter d’une opération domaine de l’immunothérapie à l’Université de chirurgicale pour Pennsylvanie. Il dirige extraire des globules depuis janvier 2013 le blancs (les cellules département d’oncologie composant notre UNIL-CHUV ainsi que le défense immunitaire, Swiss Cancer Center ndlr), booster leur Lausanne. L’excellence efficacité et les de ses travaux vient d’être réinjecter dans le saluée par un «Advanced corps du patient. Cette Grant» de l’European Research Council doté technique permet d’agir de 2,5 millions d’euros. Ce même dans des cas financement soutiendra un auparavant désespérés, projet d’immunothérapie tels que des mélacontre le cancer visant à nomes ayant fait des comprendre les interacmétastases. Avoir des tions entre l’endothélium patients en rémission des tumeurs et des plus de cinq ans après lymphocytes T programle diagnostic, c’est més pour détruire le réseau vasculaire tumoral. vraiment un miracle. 24

IV Pourquoi n’y a-t-il encore qu’une poignée de traitements d’immunothérapie disponibles? Les chercheurs se sont d’abord attaqués à une cible difficile: les vaccins thérapeutiques, qui cherchent à éduquer la défense immunitaire en la mettant en contact Recherche et avec des marqueurs clinique réunies liés au cancer. Nous Avec son nouveau Swiss avons également Cancer Center Lausanne, découvert les la ville lémanique veut mécanismes utilisés favoriser l’accès aux par le cancer pour nouvelles thérapies neutraliser les expérimentales et se profiler défenses du corps comme un important site d’essais cliniques au niveau humain et nous européen. L’objectif: mettre sommes récemment au point un centre de arrivés à déjouer recherche «translationnelle» cette stratégie et à la qui rapproche chercheurs et neutraliser. C’est une oncologues. Ceux-ci peuvent vraie partie d’échecs. alors plus facilement trouver

des patients qui pourraient

Les promesses de bénéficier des toutes la génétique et de nouvelles recherches. la médecine personFondé par le CHUV, l’UNIL, nalisée ont-elles l’EPFL, l’Isrec et le Ludwig été tenues? Les Center for Cancer Research, traitements s’avèrent le centre s’installera dans parfois moins un nouveau bâtiment prévu efficaces que prévu pour 2016. Ce dernier et leur prix extrêmedevrait accueillir à terme ment élevé est mal plus de 400 chercheurs. accepté. Il ne faut pas être si pessimiste. Il existe des dizaines de traitements ciblés récemment développés, et ils sauvent des vies. Le cancer est une maladie complexe et hétérogène. Les traitements ne fonctionnent pas toujours sur tout le monde, il est crucial de d’abord analyser le cancer pour en déterminer le type. IV


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cancer

IV Combien de temps faut-il attendre aujourd’hui pour voir un nouveau traitement utilisé chez des patients? On peut au mieux avoir les premiers essais cliniques après cinq ans et une autorisation de mise sur le marché pour tous les patients après dix ans.

christophe voisin

IV Chaque jour, les journaux annoncent des résultats encourageants pour des traitements expérimentaux. Mais il se passe généralement plusieurs années avant qu’un traitement soit disponible. Les patients en profitent-ils vraiment? C’est l’objectif central des centres de recherche dits «translationnels» qui rapprochent radicalement chercheurs et oncologues. Ces derniers peuvent alors rapidement identifier les patients qui pourraient bénéficier d’une nouvelle thérapie et les enrôler dans un essai clinique. C’est le sens du «Centre suisse du cancer» lancé à Lausanne en mai 2013. Nous pourrons ainsi recruter des participants bien plus vite, ce qui peut à la fois sauver des vies et accélérer la maturation d’un traitement.

George Coukos, dans le quartier du Vallon, là où sera construit le nouveau

bâtiment du Swiss Cancer Center Lausanne d’ici à 2016. Le chef du Un patient suisse peut-il Département d’oncologie UNIL-CHUV dirige ce centre, qui réunira participer à un essai clinique organisé à l’étranger pour tester à terme plus de 400 chercheurs. une nouvelle molécule? Cela est possible, mais reste pour Je ne suis pas un spécialiste du spirituel, mais je l’instant difficile. Un traitement novateur s’accomsais que ces aspects jouent un rôle dans le vécu du pagne le plus souvent d’une thérapie classique, patient et dans sa guérison. Ce qui est important, et les assurances peuvent refuser de la prendre c’est que le patient se sente bien. C’est pourquoi en charge à l’étranger. Nous développons une telle nous avons commencé à mettre en place une collaboration en Suisse, qui rassemble un nombre organisation transversale qui regroupe divers intéressant de groupes de recherche et offre déjà spécialistes – du chirurgien à l’oncologue en passant la possibilité de participer à des essais novateurs. par des psychologues et des nutritionnistes – autour IV Les traitements contre le cancer sont de différents organes. Le patient ne doit plus gérer extrêmement techniques. Y a-t-il encore différents points de contact et les informations la place pour les aspects psychologiques circulent mieux. Nous devons nous intéresser à et sociologiques de la maladie? la personne, pas uniquement à la maladie. ⁄ IV

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mens sana

«Qui peut prétendre en toute certitude qu’à un appel au secours, la réponse par la mort soit la bonne? On me permettra d’en douter. Il suffit de songer à ceux que nous aimons pour frémir à l’idée qu’ils puissent tomber entre les mains de ces terribles docteurs de «l’exit» rapide et sans douleur…» LUC FERRY

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MENS SANA

INTERVIEW

Doit-on maintenir en vie un patient qui souhaite en finir? L’assistance au suicide est-elle acceptable? Réponses d’un philosophe qui a aussi connu les responsabilités du pouvoir en tant que ministre français de la Jeunesse, l’éducation nationale et de la recherche. interview: BERTRAND TAPPY photo: Philippe Getaz

que pour la nécessité, dans des cas de ce type, Les questions liées à l’euthanasie et à l’acharnement théde tenir plus que jamais un discours de comrapeutique divisent l’opinion. Quelle est votre position à ce préhension et d’assistance, pour ne pas dire sujet? LUC FERRY L’idée d’une «mort dans la dignité» me paraît d’amour, plutôt qu’un discours visant à faire bien fragile, pour ne pas dire connotée de manière parfois comprendre à autrui qu’il vaudrait mieux faire fort pénible. Elle semble en effet implicitement signifier que place nette et cesser d’importuner le monde… la dignité humaine est liée à l’autonomie, et que, dans l’extrême dépendance, psychique et physique où peuvent nous Plus généralement, on pourrait souhaiter qu’on plonger parfois la vieillesse et la maladie, cette dignité cesse d’encourager nos sociétés à considérer que peut se perdre. Pour tout vous dire, je trouve moralement la vieillesse est une «maladie» susceptible seuleinsupportable l’idée d’établir quelque équivalence que ment de deux traitements: la DHEA (la déhydroéce soit entre «dépendance» et «indignité», comme si piandrostérone, une hormone réputée pour ses effets un être humain pouvait «perdre sa dignité» parce qu’il antivieillissement, d’où son surnom d’«hormone de serait faible, malade, vieux, et pourquoi pas moche, jouvence», ndlr) pour commencer, l’euthanasie pour tant qu’on y est, et parce que plongé dans une sien finir... Je dirais la même chose à l’encontre de tuation d’extrême dépendance. Je pose la question: l’argumentation des «pro-suicide», la notion même un être humain peut-il jamais perdre par là sa did’assistance indique qu’on ne se situe pas dans le gnité? Il peut sans doute la perdre autrement, en cadre de l’exercice d’une liberté purement individuelle. devenant un salaud, certainement pas en étant Car l’assistance implique un rapport à autrui. Les profaible et dépendant. suicide se focalisent alors sur la demande d’assistance et sur les garanties apportées au fait qu’on vérifie son bienIV Vous plaidez donc pour le respect de la fondé. Mais se préoccupant avant tout de la demande, vie, fût-elle difficile. LF Je plaide pour un on en oublie presque l’autre moitié du contrat: la réponse droit absolu des malades à la dépendance et apportée à cet appel au secours. Loin de plaider en faveur à la faiblesse même les plus extrêmes, ainsi IV

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en matière de morale, laquelle, bien sûr, n’est de cette autonomie individuelle idéale que sacralisent les pas une science exacte. Mais entre un prétenants du suicide assisté, l’appel proprement désespéré à tendu geste humanitaire qui consiste à tuer et l’autre montre que, dans cette affaire, son auteur est essenun autre qui consiste à sauver et à aimer, on tiellement dépendant – sans quoi, du reste, il se suiciderait me permettra cependant de choisir le second. tout simplement sans aucune assistance. Du coup, c’est le problème éthique de la réponse apportée qui doit être tenu pour essentiel, non la vérification obsessionnelle de la qualité de la demande. Qui peut prétendre en toute certitude qu’à un appel au secours, la réponse par la mort soit la bonne? On me permettra pour le moins d’en douter. Il suffit d’ailleurs de songer à ceux que nous aimons pour frémir à l’idée qu’ils puissent, un jour de désespoir, tomber entre les mains de ces terribles docteurs de «l’exit» rapide et sans douleur… Mais dans un hôpital, il n’est pas question de personnes désespérées, plutôt de patients en fin de vie… LF Ce n’est plus vrai aujourd’hui: ces cliniques mettent fin à la vie de personnes en parfaite santé physique et qui sont seulement, comme on dit, «fatiguées de la vie». Et puis ce sont des vieux, d’ailleurs souvent des vieilles… Mais qu’est-ce qui nous prouve qu’une IV Vous avez eu l’occasion de travailler avec de vieille dame seule et un peu dépressive est plus libre nombreux professionnels de la santé sur la quesde vouloir mourir qu’une jeune fille qui ne tion de l’acharnement thérapeutique. se remet pas d’avoir été trompée par son Qu’est-ce qui vous a frappé lors de vos fiancé? On a tant dit ou donné à tout le BIOGRAPHIE discussions? LF Les enquêtes réalisées parmoins à penser à la personne âgée qu’elle Né en 1951, Luc mi les médecins dans une douzaine de pays Ferry a suivi était inutile, un fardeau, un déchet, moins occidentaux montrent que plus de 40% des études de belle et moins autonome qu’avant, bref, une philosophie d’entre eux avouent avoir été confrontés à chose indigne! Au fond, il ne lui reste plus et de sciences des demandes d’euthanasie. Nul ne sait au qu’à mourir dans cette fameuse «dignité» politiques. Il est juste combien y ont répondu favorablement l’auteur de pluqui finit à la limite par devenir un autre mais, à tout le moins, ces chiffres montrent sieurs ouvrages, nom de l’indifférence. que sa pratique pourrait devenir aisément notamment «Le nouvel ordre écodes plus courantes. Ce qui m’a frappé le logique», traduit plus? D’abord et avant tout le réel souci IV Où donc situer la ligne de partage? en 15 langues d’humanité qui domine chez les profesLF Il ne s’agit en tout cas pas d’en faire une et pour lequel il sionnels de santé, ensuite, leur absence de simple question d’âge, cela serait absurde! La reçoit en 1992 repères fiables pour prendre des décisions vérité, c’est que la dignité humaine n’est pas les Prix Médicis et, du coup, leur demande de clarification une question quantitative, elle ne tient pas et Jean-Jacques Rousseau. des positions en présence... à cette balance selon laquelle on mesurerait – comment, à vrai dire? – les plaisirs et les Menée tout peines. Il y a en l’humain quelque chose qui d’abord de maIV Vous faites souvent référence à diffépasse l’homme, une transcendance qui force nière discrète, sa rentes visions de l’acharnement théracarrière politique le respect et qui mérite qu’on se batte pour peutique, nécessaires pour comprendre accélère en 2002 elle. On me dira que c’est là un postulat bien avec sa nominales demandes des familles. LF Oui. La indémontrable. Sans doute, comme toujours tion au poste de première position est celle des religions IV

ministre français de la Jeunesse, de l’éducation et de la recherche. Il est actuellement délégué du Conseil d’analyse de la société français (CAS).

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INTERVIEW

qui sont globalement toutes hostiles à la IV Quelle autre vision de l’acharnement thérapeutique fois à l’euthanasie, a fortiori au suicide détachez-vous? LF Celle dite de l’utilitarisme, qui domine assisté, mais aussi à l’acharnement théraquasiment sans partage le monde anglo-saxon. Pour ces peutique. Toutefois, la définition qu’elles derniers, il y a acharnement thérapeutique dès qu’on refuse donnent de ce dernier est archi-minimad’écouter la demande d’euthanasie ou de suicide assisté liste. Pourquoi? Parce qu’elles sont beaudu patient. coup plus hostiles encore à l’euthanasie qu’à l’acharnement thérapeutique et que les deux IV D’où provient cette idée, radicalement différente de la problèmes sont liés comme les deux faces précédente? LF Il faut rappeler qu’à l’encontre de ce que d’une même médaille. suggère le mot en français, l’utilitarisme n’est pas une doctrine glorifiant l’égoïsme et la poursuite des intérêts privés. Il se présente au contraire comme une théorie IV Vous avez des exemples? LF On peut citer altruiste dont le principe suprême pourrait s’énoncer de l’Eglise catholique, qui, depuis toujours, s’opla façon suivante: une action est bonne quand elle tend pose le plus radicalement à l’euthanasie sous à réaliser la plus grande somme de bonheur pour le toutes ses formes. Et elle le fait au nom d’un plus grand nombre possible d’êtres concernés par cette principe simple (qui aurait bien dû d’ailleurs action. Cela précisé, on comprend qu’à partir de telles lui servir tout autant contre la peine de mort à prémisses, l’utilitarisme en vienne non laquelle elle a pourtant toujours été favoseulement à légitimer l’euthanasie mais à rable). On le trouvera fort bien exprimé au justifier toute forme d’opposition à l’acharparagraphe 2280 du Catéchisme officiel de En savoir plus nement thérapeutique: dans la mesure où l’Eglise romaine: «Nous sommes les inten- «Faut-il légaliser l’euthanasie?» cette éthique s’épuise dans un «calcul des dants et non les propriétaires de la vie que Axel Kahn et plaisirs et des peines», il va de soi qu’à Dieu nous a confiée. Nous n’en disposons Luc Ferry, partir du moment où une vie comprend pas.» L’Eglise, bien entendu, fait la diffé- Editions Odile Jacob, 2010 infiniment plus de peines que de plaisir, rence entre une euthanasie active, qu’elle sans qu’on puisse prévoir la moindre amérejette absolument, et le refus légitime de lioration dans le futur, il faille en tirer les l’acharnement thérapeutique. Toutefois, conséquences et recourir à l’euthanasie dès que le ce «laisser mourir» ne se justifie que dans des cas patient en fait clairement la demande. totalement limites, de sorte que le choix d’arrêter le traitement peut s’avérer bien difficile à définir dans la pratique. IV N’y a-t-il donc pas une approche idéale de la maladie et de la mort? LF A coup sûr non! Vous voyez bien que ces positions sont tout à fait irréIV La maladie joue également un rôle particulier dans conciliables. Il n’y a, par exemple, aucun moyen ce cas. LF Tout à fait. D’une part, la maladie peut être d’accorder dans la pratique les exigences d’une un «chemin de conversion»: elle peut, toujours selon famille catholique intégriste avec celles d’un le «Catéchisme», «rendre la personne plus mûre, l’aider corps médical converti à l’utilitarisme, et récià discerner dans sa vie ce qui n’est pas l’essentiel pour proquement. Nous sommes obligés de tâtonse tourner vers ce qui l’est. Très souvent, la maladie proner, de naviguer entre des écueils, de tenter de voque une recherche de Dieu, un retour à lui.» L’idéal, comprendre la logique qui anime les uns et typiquement moderne, d’une mort douce et rapide, les autres. Pourquoi? Justement parce qu’il y si possible dans l’inconscience, n’est donc pas celui de a des positions philosophiques ou religieuses l’Eglise qui rappelle volontiers comment, dans les temps très divergentes et que nul ne peut sérieuseanciens, on craignait moins la mort que ce qui était censé ment prétendre l’emporter sur les autres – ce lui faire suite, de sorte que l’agonie, loin de devoir être pourquoi je me méfie toujours des législaabrégée, était l’occasion de faire la paix avec soi-même, les tions tatillonnes en la matière. ⁄ autres et son Dieu.

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DÉCRYPTAGE

Don d’organes

CAMPAGNES TROP NEUTRES En Suisse, la pénurie de donneurs s’explique aussi par des campagnes d’information publiques peu incitatives. A quand un changement de ton?

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personnes sur liste d’attente d’une greffe sont décédées en Suisse l’année passée, faute de donneurs. Et la situation ne s’améliore pas: en juin 2013, 1’208 personnes étaient encore en attente d’une greffe en Suisse, soit 3,7% de plus qu’une année auparavant. Afin de sensibiliser au sujet, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) produit régulièrement des campagnes nationales d’information. Pour de maigres résultats: selon l’enquête de SwissPOD (Swiss Monitoring of Potential Donors) de 2011-2012, le taux de refus des proches s’élève à 53% en Suisse, alors qu’il se situe à 30% en Europe.

TEXTE SYLVAIN MENÉTREY

de patients présentent des problèmes notamment vasculaires nécessitant une transplantation.» Par ailleurs, les progrès de la médecine permettent d’envisager une greffe sur toujours plus de personnes. Pour répondre à ce besoin croissant, un effort de solidarité exceptionnel serait nécessaire. Or, le nombre de donneurs n’augmente pas depuis dix ans et la liste d’attente a quasiment doublé sur le même laps de temps. En comparaison européenne, la Suisse possède parmi les statistiques les plus faibles. Selon Swisstranplan, la Fondation nationale suisse pour le don et la transplantation d’organes, en 2011, on comptait 12,8 donneurs décédés pour un million d’habitants en Suisse alors qu’on en trouve 14,7 en Allemagne, 23,2 en Autriche

dont la voiture se balance au bord d’un précipice. Un instant entre la vie et la mort qui amène les deux protagonistes à parler du don d’organes. Le film n’a pas prétention à influencer le choix du public mais l’invite à réfléchir à cette thématique et à exprimer sa décision en se munissant d’une carte de donneur avant de se retrouver dans une situation aussi périlleuse que les deux personnages. Cette manière impartiale d’aborder la question n’incite pas suffisamment au don. «Le message reste trop neutre, il faudrait plutôt proposer une vision en faveur du don d’organes», insiste Manuel Pascual, chef du Service de transplantation au CHUV.

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PATRICK DUTOIT

Manuel Pascual, chef du Service de transplantation au  CHUV, explique toutefois que cette augmentation est due au SUISSE nombre croissant de personnes UN MESSAGE IMPARTIAL en attente de greffe, et non pas Manuel Pascual, Saluée par les professionnels de la publicité pour ses qualités artistiques, à une diminution des donchef du Service la campagne 2013, intitulée La Décision, reste trop peu incitative. Sous la de transplanta- forme d’un court-métrage réalisé à l’aide d’un budget de 80’000 francs, neurs. «La population vieillit, tion au CHUV elle prend pour exemple deux hommes victimes d’une sortie de route, ce qui implique que davantage


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et 35,3 en Espagne, le champion européen du don d’organes. Les Suisses seraient-ils égoïstes? «Je ne le pense pas, car si l’on regarde les chiffres concernant les dons d’organes par des personnes vivantes, les Suisses se situent dans le haut du classement», analyse Manuel Pascual. Chaque année, en effet, plus d’une centaine de personnes vivantes donnent un rein à un membre de leur famille ou à une de leurs connaissances. Ils prennent cette décision en dépit des risques – aujourd’hui minimes – liés à l’opération.

La Suisse possède parmi les statistiques les plus inquiétantes.

Outre la complexité logistique liée au don ainsi que la difficulté d’avoir une organisation optimale entre toutes les régions de Suisse pour identifier tous les donneurs potentiels, Manuel Pascual met également en cause les campagnes diffusées jusqu’à présent en Suisse. «Elles sont perçues comme déstabilisantes par le public car elles ne s’expriment pas clairement en faveur du don d’organes. Dans l’une d’entre elles, des gens se succédaient en exprimant leur opinion. Et la majorité des personnes semblait s’y refuser. Cela ne reflète pas

l’opinion générale, lorsque les gens sont correctement informés. Par exemple, quand on va voir des étudiants et qu’on leur explique la situation, presque tous ces jeunes affichent leur solidarité. Même du point de vue religieux, à quelques exceptions près, le don d’organes est aujourd’hui largement accepté.» Quoique variées dans leurs formes, leurs canaux de diffusions et leurs cibles, ces campagnes apparaissent dans leur ensemble purement informatives et neutres. Le sociologue lausannois Raphaël Hammer, qui a travaillé sur l’impact de la couverture médiatique du don d’organes dans la presse romande, estime que l’OFSP pourrait entrer davantage dans le vif du sujet à travers ses campagnes. «Elles diffusent une information principalement procédurale et peu substantielle. Tout en respectant le principe de la seule «information au public», elles pourraient donner plus d’éléments factuels positifs et négatifs, qui permettent au public de mieux se positionner.» En réalité, à travers ces campagnes, l’OFSP s’en tient strictement à l’esprit de la loi de 2004. Le deuxième alinéa du premier article de cette loi indique que l’Etat doit «contribuer» à ce que des

suisse

OFSP

«La Décision» 2013

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organes, des tissus et des cellules humaines soient disponibles à des fins de transplantation et non pas à «favoriser» les dons. Une subtilité sémantique de laquelle il découle que l’Etat limite son rôle à réglementer et à informer. CHANGEMENT EN VUE

Un positionnement qui pourrait changer prochainement. Le Conseil fédéral a en effet lancé au début 2013 un plan d’action baptisé «Plus d’organes pour des transplantations», qui pourrait inclure une volonté d’augmenter l’efficacité des campagnes d’information. Manuel Pascual fera partie du comité de pilotage. «Cette collaboration avec les autorités est bienvenue et me réjouit, note le médecin. J’espère que, d’ici au printemps prochain, nous parviendrons à lancer une campagne  qui encourage davanALLEMAGNE DIALYSE tage les dons.»

SUR LE QUAI

Plus de 16’000 donneurs se sont manifestés en Allemagne grâce à la campagne «The Waiting Time Experiment»: elle met en scène Michael Stapf, un jeune homme de 27 ans, qui attend une greffe de rein depuis 7 ans. Il raconte son histoire face à la caméra, en pleine dialyse sur le quai d’une gare. Emouvant.

Pourquoi cette restriction avait-elle été imposée en 2004? «A l’époque, le conseiller fédéral Pascal Couchepin, qui a introduit cette loi, a défendu l’idée qu’il ne fallait pas créer de panique dans l’opinion publique et qu’il ne fallait surtout pas alimenter l’impression que l’Etat confisquait des organes à ses citoyens, explique Nicholas Stücklin,

allemagne

assistant diplômé en sciences sociales à l’Université de Lausanne, spécialisé en anthropologie du corps. Cette impression n’était pas infondée. Lors des premières greffes de cœur à Zurich dans les années 1960, on avait prélevé des organes sans prévenir les familles ce qui avait donné lieu à des polémiques. L’idée était d’éviter d’engager un débat public sur le rôle actif de l’Etat dans l’approvisionnement d’organes, par crainte que cela puisse nuire à ce que Pascal Couchepin appelait un ‹climat de confiance›.» A travers cette loi sur la transplantation, l’Etat a donc cherché avant tout à faire connaître et à diffuser plus largement la carte de donneur. De ce point de vue, les campagnes d’information fonctionnent relativement bien, puisque, aujourd’hui, 20 à 30% de la population suisse porte sur elle une carte de donneur remplie, contre 12% avant les campagnes. «Il faut cependant attendre pour que cet accroissement des personnes titulaires d’une carte se traduise par une augmentation des donneurs, car la mort cérébrale, condition nécessaire pour être donneur, reste un événement rare qui n’arrive pas plus de 200 fois par an en Suisse», note Karin Waefler, responsable des campagnes d’information à l’OFSP. Le pari étant qu’une majorité des gens remplissant la carte s’y présente comme des donneurs potentiels. Comment convaincre davantage de citoyens de donner leurs organes? Faudrait-il jouer sur les émotions en montrant des images de personnes en attente de greffes? Elargir le plan média?

espagne

«The waiting Time experiment» 2012

«Eres perfecto para otros» 2012

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

ESPAGNE STARS ET APPLICATION

L’Espagne a lancé l’an dernier une campagne baptisée «Eres perfecto para otros». Mediaset, l’un des premiers groupes audiovisuels ibériques, a diffusé sur ses sept chaînes des spots mettant en scène ses présentateurs phares. Ils encouragent la commande de carte de donneurs à travers une application smartphone. En une semaine, plus de 50’000 nouveaux donneurs se sont manifestés.


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Pour Christophe Girard, directeur artistique de l’agence MC Saatchi à Genève, le sujet nécessite un matraquage médiatique: «Il faut s’inspirer de ce qui a été fait pour la sécurité routière, par exemple avec la campagne Slow Down, qu’on a vue partout. Le modèle anglo-saxon, avec des publicités massives, fonctionne très bien sur ces questions de société.» Le sociologue Raphaël Hammer met, lui, en garde contre l’impact limité sur le long terme des campagnes à teneur émotionnelle. «Des études montrent que la peur et l’émotion n’ont pas d’effets durables. Il faut des ressorts plus profonds pour changer les attitudes dans des domaines aussi sensibles que le don d’organes.» Manuel Pascual souhaiterait un message clair et sobre: «Il faut rester pragmatique en expliquant que le pays possède une médecine de transplantation de qualité et que la chance d’être receveur est 10 fois plus importante que celle d’être donneur. Et communiquer simplement en disant: «Je suis pour le don d’organes et, surtout, je le dis à mes proches.» Yves Rossier, chef de service adjoint au Service projets et organisations stratégiques au CHUV, a travaillé à la manière de favoriser le don d’organes. A son avis, les campagnes devraient lutter contre certaines fausses croyances encore tenaces dans la population. «Il faut rappeler que l’accord des familles est nécessaire même si on a rempli la carte de donneur. Le concept de mort cérébrale n’est pas non plus acquis, certaines personnes craignent qu’on prélève leurs organes avant qu’elles ne soient

décédées. D’autres imaginent que les coûts liés aux prélèvements reviendraient à leurs familles ou encore que leur corps servira à la recherche médicale.» Yves Rossier propose aussi de créer des communautés dans les médias et sur les réseaux sociaux afin d’ouvrir davantage le débat autour de cette problématique trop peu connue. «On peut même imaginer une pièce de théâtre qui voyagerait en Suisse dans les hôpitaux, les écoles et les associations.» Certaines de ces idées seront ainsi discutées ces prochains mois à Berne. «La Suisse est signataire depuis 2010 d’un traité  BRÉSIL européen qui l’oblige FAN DE FOOT à se positionner en ET DONNEUR faveur du don d’orLa campagne ganes, rappelle Manuel brésilienne Pascual. Il est temps sur le don de mettre la loi fédérale d’«Immortal Fans» a reçu un en conformité.» Lion d’or à Cannes en juin 2013: selon l’agence réalisatrice, elle a permis d’augmenter de 54% le nombre de donneurs en un an. Des malades en attente de greffe s’adressent aux fans d’un important club de football: «Si tu acceptes de me donner ton cœur, il continuera à se battre pour le Sport Club Recife.»

Le Parlement suisse débat aussi de la possibilité de modifier la loi, en faisant de chaque adulte un «donneur par défaut», sauf si celui-ci manifeste son envie de ne pas donner ses organes. L’ensemble de ces initiatives témoignent d’une grande prise de conscience du besoin d’agir. Ne reste plus qu’à espérer que ces efforts aboutissent. ⁄

brésil

DR

«Immortal Fans» 2012

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5 IDÉES REÇUES «Le prélèvement risque d’avoir lieu avant la mort du donneur» Faux Le prélèvement n’a lieu qu’en cas de mort cérébrale avérée, confirmée par deux médecins et par des tests neurologiques. «Au-delà d’un certain âge, on ne peut plus être donneur» Faux Il n’y a pas de limite inférieure ni supérieure pour les donneurs. «Il est possible d’exprimer son désir d’être donneur dans son testament» Faux L’ouverture du testament advient souvent trop tard, lorsque les organes ne sont plus utilisables. «Etre donneur signifie accepter de donner tous ses organes» Faux Chacun peut préciser sur la carte qu’il ne souhaite pas faire don de certains organes. Certains inscrivent «tout sauf les yeux», mal à l’aise face à l’idée que cette partie du visage se retrouve sur quelqu’un d’autre. Ce qui est faux, seule la cornée est prélevée. «Les coûts liés au prélèvement sont à la charge du donneur» Faux Les coûts pour le receveur et le donneur sont couverts par l’assurance de base du receveur.


Texte: Julie Zaugg Illustration: Tang Yau Hoong

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F

tendance

un code-barres au poignet du patient

L’accessoire permet déjà de réduire les erreurs médicales en améliorant le transfert des informations. Il annonce aussi l’avènement de l’«hôpital intelligent».

in novembre 2012, deux hommes passent un examen médical dans un hôpital de l’Isère, en France. L’un d’entre eux présente un anévrisme et doit être opéré d’urgence. Mais il est renvoyé chez lui et l’autre patient subit l’intervention, dont il n’a pas besoin. Heureusement sans conséquence importante pour les deux patients, cette confusion d’identité aurait pu avoir une conclusion tragique. C’est pour éviter ce genre de méprise que certains établissements se sont mis à équiper leurs patients de bracelets électroniques. Dotés d’un code-barres, ils permettent une identification sans faille du malade. Depuis le milieu des années 2000, la majorité des hôpitaux suisses accroche au poignet des patients une bandelette en papier avec leur nom. Mais les tentatives d’informatiser le système n’en sont qu’à leurs balbutiements. Les HUG, à Genève, ont démarré en 2006 un projet pilote pour tester le port du bracelet électronique dans certains services d’oncologie. «Le soignant scanne désormais systématiquement le code-barres qui se trouve sur le

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bracelet du patient pour vérifier qu’il correspond à celui imprimé sur la poche ou la seringue qu’il s’apprête à lui administrer, explique Pascal Bonnabry, pharmacien-chef aux HUG. Il évite ainsi de lui donner le mauvais médicament.» dossiers électroniques dans tous les hôpitaux Bientôt révolue l’ère du dossier patient en papier. D’ici à 2017, les cantons helvétiques devront intégrer le système de dossier électronique: chaque personne pourra enregistrer ses données médicales online. Elle décidera qui, outre elle-même, pourra avoir accès à ses données. Objectif: permettre l’accès à ces informations à tout moment et en tout lieu, évitant ainsi les doublons entre les différents spécialistes et les différents établissements chez qui le patient se rend.

Une étude expérimentale effectuée avec de faux patients a montré que l’usage du scanner permettait de repérer 100% des erreurs potentielles, contre 98% avec une simple check-list sur papier et 85% sans aucun de ces outils. Le projet devrait être étendu à l’ensemble de l’établissement genevois d’ici à 2014 ou 2015. «Le bracelet électronique pourrait servir à éviter non seulement les erreurs de médicament, mais aussi celles liées à l’administration de poches sanguines ou à l’implantation de matériel, tel que les prothèses ou pacemakers», ajoute Pascal Bonnabry. Mais que se passe-t-il si on attribue le mauvais bracelet à un patient? Un chercheur de l’Université de Dartmouth, Cory Cornelius, a résolu ce problème en développant un bracelet qui «reconnaît» la personne au bras duquel il est accroché. «Lorsqu’on applique un léger courant


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tendance


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tENdANcE

trouve pas au chevet du patient, il pourra recevoir des alertes à son sujet, toujours sur son téléphone.

électrique au poignet, celui-ci réagit en fonction de la densité des tissus et des os, explique-t-il. C’est ce qu’on appelle la bio-impédance. «Cette résistance façonne une «empreinte», unique à chaque être humain, qui permet au bracelet de savoir à qui il a affaire.

Pour s’assurer que ces données ne tombent pas entre de mauvaises mains, l’appareil ne fonctionnerait que lorsqu’il se trouve à proximité d’une balise d’identification portée en permanence par le médecin et activée via Bluetooth. «Aucune information concernant le patient n’est stockée sur le téléphone», ajoute le médecin-chef. SAVER prendrait tout son sens avec l’introduction du dossier électronique du patient, qui centralisera sous format électronique toutes les données le concernant. Celle-ci est prévue pour 2017 à l’échelon fédéral (lire encadré).

TrI InTeLLIgenT Des DonnÉes

Olivier Hugli, médecin-chef au Service des urgences du CHUV, voit plus loin encore: il imagine un hôpital où le bracelet électronique ne serait que le point de départ d’une vaste mise en réseau des données concernant le patient. «Il y a trois ou quatre ans, lorsque l’hôpital a décidé de remplacer les bips que les médecins portent traditionnellement par des téléphones portables, j’ai commencé à me demander comment mieux intégrer cet outil dans notre pratique quotidienne», relate-t-il. Il en est issu le projet Smart Access to Versatile Emergency Resources (SAVER), développé en collaboration avec la Haute Ecole d’ingénierie d’Yverdon. Il prévoit d’équiper le patient de bracelets dotés de puces à radio-identification («RFID» pour Radio Frequency Identification). «Lorsque le soignant s’approchera du lit du patient, il verra les informations le concernant s’afficher sur son smartphone», précise Olivier Hugli. Celles-ci feraient l’objet d’un «tri intelligent», en fonction de ses besoins et de son statut (médecin, infirmière, etc.). Il pourrait ensuite entrer dans le système des informations sur le malade, depuis son téléphone portable. «Nous avons développé des logiciels qui facilitent la saisie de ces données sur un smartphone. L’intensité de la douleur serait, par exemple, indiquée au moyen d’un curseur qui va de 1 à 10 et la tension artérielle pourrait être rapportée grâce à une roulette.» Lorsque le médecin ne se

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un ouTIL De surVeILLanCe

du patient au soignant

Par l’intermédiaire d’une puce, enfermée dans un porte-clés, les informations passent du poignet du patient au smartphone du soignant. Le téléphone est relié au système informatique de l’hôpital.

Au CHUV, les données sur le malade sont saisies électroniquement depuis 2010 déjà, dans le cadre d’un projet baptisé Dophin (Dossier patient hospitalier institutionnel et informatisé). «D’ici à 2015, les soignants pourront aussi y introduire des instructions pour le traitement du patient, comme les commandes de médicaments ou d’examens radiologiques», précise Pierre-François Regamey, directeur des systèmes d’information du CHUV. Un projet pilote de consultation du dossier du patient via des tablettes électroniques sera implémenté d’ici à la fin de l’année. A terme, Dophin pourrait être relié à SAVER – dont la date de mise en œuvre n’est pas encore fixée. «Les deux projets sont complémentaires, souligne PierreFrançois Regamey. Le bracelet électronique génère une reconnaissance automatique du patient, créant un lien instantané et fiable avec son dossier sauvegardé sous forme informatique.» Outre-Atlantique, certains hôpitaux vont encore plus loin dans l’exploitation des


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potentiels offerts par l’intelligence artificielle. El Camino, un établissement de 411 lits à deux pas de la Silicon Valley, est l’un des hôpitaux les plus connectés au monde. Les médecins peuvent en tout temps consulter le dossier électronique du patient et examiner ses résultats d’examen au moyen de terminaux disséminés partout dans l’établissement ou via leurs smartphones. Les patients sont reliés au système par l’entremise de leur bracelet électronique. Celui-ci comprend un identifiant biométrique (un ultrason du réseau veineux de leur main pris lors de l’admission) et permet de suivre leurs déplacements dans l’hôpital en temps réel. Ainsi, le bracelet électronique peut aussi se muer en outil de surveillance. «Pour peu qu’on l’équipe d’une puce RFID ou d’un GPS, on peut suivre les mouvements du patient d’un service à l’autre ou d’un soignant à l’autre, souligne Pascal Bonnabry. Cela peut se révéler utile dans un environnement psychiatrique ou pour éviter le vol de bébés.» Les nouveau-nés sont équipés de tels bracelets dans plusieurs hôpitaux du Texas, de Californie ou du Colorado. Une alarme se déclenche et les portes de l’hôpital se verrouillent automatiquement s’ils sont sortis de la maternité par une personne non autorisée. «Le bracelet électronique représente aussi un outil intéressant pour les personnes atteintes d’Alzheimer ou d’une autre forme de démence, juge pour sa part Birgitta Martensson, la directrice de l’Association Alzheimer Suisse. Lors d’hospitalisations, elles sont souvent très désorientées et ne comprennent pas pourquoi elles sont là et cherchent donc à s’en aller. Le bracelet permet alors de les retrouver. En EMS, il leur assure une autonomie bienvenue car elles peuvent circuler librement dans un périmètre sécurisé au lieu de se trouver devant des portes fermées à clé.» ⁄

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INTERVIEW «Il faut fixer des règles claires» Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud, détaille les enjeux liés à la sécurité des informations médicales. Les données médicales sont toujours davantage numérisées. Quels sont les risques liés à cette pratique? CR La numérisation des dossiers patients présente des avantages indéniables, mais elle recèle effectivement des dangers. Le risque majeur découle de la volatilité des données informatiques qui sont aisément transportables, communicables ou modifiables. Des efforts importants doivent être faits pour éviter que les données ne soient manipulées ou consultées par des personnes non autorisées. Il faut aussi s’assurer que ces informations soient utilisées uniquement dans le but qui leur a été assigné: traiter au mieux les patients. IV

Quelles mesures doivent être prises pour garantir la sécurité des données? CR La première mesure est d’assurer la sécurité physique des données, notamment par le cryptage, c’est-à-dire rendre la compréhension d’un document impossible à toute personne qui n’a pas la clé de déchiffrement. Un autre enjeu central est celui des droits d’accès. L’ensemble des collaborateurs d’un hôpital ne doit pas pouvoir accéder à toutes les données médicales de tous les patients. IV

Doit-on craindre des fuites? Le personnel soignant est soumis au secret médical. Mais on ne peut jamais exclure des traitements illicites. Par ailleurs, il est important de faire la distinction entre deux types de dossiers. Il y a les dossiers informatiques établis par chaque prestataire de soins, en principe accessibles qu’au sein de l’hôpital ou du cabinet où le patient est suivi. D’autre part, il y a le dossier tel qu’il est prévu par le projet de loi fédérale qui regroupe des données accessibles potentiellement par l’ensemble des prestataires de soins. Dans les deux cas, il est primordial de fixer des règles claires sur ce qui peut être communiqué, et à qui. BS

IV

CR


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INNOVATION

_watson joue

_D

ans un recoin du Thomas J. Watson Center, le quartier général d’IBM pour la recherche situé dans une petite banlieue au nord de New York, une porte discrète mène vers une grande salle. On y trouve l’un des ordinateurs les plus puissants de la planète. Ses serveurs remplissent l’espace, couvrant plusieurs centaines de mètres carrés. Des ventilateurs soufflent bruyamment pour le refroidir. Cette masse noire de circuits électroniques représente le nouvel espoir des médecins américains. Elle promet de métamorphoser le système de santé.

La machine est devenue une célébrité en janvier 2011 quand elle a remporté le fameux jeu télévisé Jeopardy. Capable de répondre aux questions formulées par l’animateur, Watson, c’est son nom, avait systématiquement écrasé ses concurrents humains. «Nous avons voulu montrer que notre ordinateur était capable de parler et de comprendre l’anglais, et pas seulement de déchiffrer des codes et des données brutes, comme les autres ordinateurs, explique Adam Lally, l’un des 12 membres de l’équipe originelle chargée du développement de l’ordinateur. Pour le concours, Watson avait lu et assimilé près de 200 millions de pages de texte, dont la totalité de Wikipedia.» Au lendemain de cette victoire

télévisée, il s’agissait pour IBM de trouver un usage commercial pour la machine. «Son utilisation en médecine nous a semblé être l’étape la plus logique», explique Adam Lally. Ce nouveau projet est parti d’un constat: «Le nombre de données brutes et d’articles scientifiques augmente chaque année, à un rythme toujours plus soutenu, indique Marty Kohn, l’homme responsable du programme médical de Watson. Aucun soignant n’arrive à utiliser ces informations, à tout consulter.» Le superordinateur, lui, est capable de lire 60 millions de pages de texte par seconde et peut gérer ces nouvelles informations instantanément. L’objectif d’IBM: assister les médecins pour établir

david korchin

Texte: Clément Bürge

_Avec ses diagnostics imparables, le superordinateur d’IBM est en train de transformer en profondeur le rôle du médecin. Enquête auprès des scientifiques qui apprennent à collaborer avec cette machine qui surpasse l’humain.

_Actuellement, un diagnostic sur cinq est incorrect

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au docteur _ leurs diagnostics et leur suggérer les traitements les mieux adaptés. IBM souhaite commercialiser ce service dans quelques années. Watson et les ordinateurs du même type seraient accessibles à n’importe quel médecin sur la planète grâce au cloud computing, un système de consultation en ligne. Aujourd’hui, les compétences médicales de la machine sont testées par le Sloan Kettering Memorial, un centre de traitement et de recherche sur le cancer basé à New York, et par The Cleveland Clinic, un hôpital basé dans l’Ohio. L’assureur américain WellPoint, quant à lui, compte prochainement exploiter Watson pour analyser l’efficacité des traitements qu’il paie à ses clients. Un diagnostic sur mesure

Herbert Chase, professeur de médecine à l’Université Columbia, qui collabore avec IBM sur le projet, détaille les avantages de Watson: «La machine va permettre de personnaliser la prise en charge du patient comme jamais auparavant.» En plus d’employer la littérature médicale la plus pertinente, Watson sera capable

Adam Lally, membre de l’équipe chargée du développe de Watson, pose au milieu des 90 serveurs qui composent le superordinateur.

d’utiliser les données individuelles d’un patient: «Le diagnostic de la personne hospitalisée sera taillé sur mesure, en fonction de son passé. Watson lira son dossier médical et connaîtra ses allergies, les médicaments qu’elle a ingurgités au cours de sa vie, même ses particularités génétiques. Il sera capable de prévoir les interactions entre différents médicaments, même lorsqu’il y a en des milliers ou même lorsqu’elles sont quasi indécelables. Le patient pourra aussi lui indiquer ses préférences de traitement et quels types d’effets secondaires il est prêt à supporter.» Les diagnostics de Watson devraient être ainsi plus précis que ceux de n’importe quel médecin aujourd’hui. Selon The Institute of Medicine, une ONG américaine spécialisée dans les questions de santé, un diagnostic sur cinq est incorrect ou incomplet, et près de 1,5 million d’erreurs de médication ont lieu chaque année aux Etats-Unis. «Watson permettra de rectifier le tir», assure Daniel Kraft, professeur à la Singularity University, au cœur de la Silicon Valley, et directeur

ou incomplet. Watson permettra de rectifier le tir. the institute of medecine, Washington, DC

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de FutureMed, une conférence sur l’utilisation de nouvelles technologies en médecine. Aux Etats-Unis, l’annonce du projet Watson a fait l’effet d’une bombe. Le monde académique et les médias se sont interrogés: ce robot va-t-il remplacer les médecins? Vinod Khosla, l’un des plus célèbres investisseurs en nouvelles technologies de la Silicon Valley, pense que oui. Il prédit que les ordinateurs et les robots pourront réaliser la plupart des tâches accomplies par les médecins – et même des opérations chirurgicales – et vont ainsi remplacer quatre docteurs sur cinq aux Etats-Unis. Une thèse vivement attaquée par Abraham Verghese, auteur et médecin à l’Université de Stanford: «Les personnes qui affirment cela ne savent pas ce qu’est un traitement. Le travail de médecin ne se limite pas au diagnostic. Il s’agit essentiellement d’accompagner psychologiquement nos patients. Et cela, un robot ne pourra jamais le faire.» De son côté, Marty Kohn, d’IBM, calme le jeu: «Watson ne se veut qu’un outil d’assistance. Il ne remplacera jamais le médecin.»Mais même en tant que simple assistant, le superdordinateur devrait redéfinir le rôle et les méthodes de travail du personnel médical. «Le médecin prendra moins de temps et d’énergie à diagnostiquer son patient et il pourra se concentrer sur son suivi psychologique», dit John Eric Jelovsek, le directeur

INNOVATION

du centre de simulation de la Cleveland Clinic. Une transformation qui aurait déjà été amorcée, selon Thomas Gauthier, spécialiste des nouvelles technologies en médecine de la Haute Ecole de gestion de Genève: «Le médecin entre de plus en plus souvent dans une logique de médiation ou de négociation. Fréquemment, le patient arrive vers son médecin avec une série de pages Wikipedia. Il a l’illusion de savoir ce qui lui arrive, et refuse parfois les traitements proposés par son docteur.» Pour Francesco Panese, professeur associé en sciences sociales et en médecine à l’Université de Lausanne, la culture médicale est en pleine transformation: «Le paradigme du médecin des années 1960, qui diagnostiquait son patient et lui imposait un traitement, n’existe plus. Nous allons entrer dans l’ère de la «clinique négociée.» Les patients ont de plus en plus accès à l’information. Ils veulent savoir ce qui advient de leurs corps.» Marty Kohn compte sur Watson pour faciliter cette transition vers la médecine négociée: «La machine pourra expliquer, en anglais, et précisément, de quoi le patient souffre et quelles

sont ses différentes options de traitement. Il est prouvé qu’un traitement choisi en accord avec le patient est plus efficace. Nous voulons encourager cela.» Mais une crainte subsiste: que Watson mette en danger la relation entre malades et soignants. «Le superordinateur pourrait briser la confiance placée dans le praticien, souligne Thomas Gauthier. Lorsque le champion du monde d’échecs Kasparov avait perdu contre l’ordinateur Deep Blue, l’humanité s’était rendu compte pour la première fois qu’une machine pouvait être plus performante qu’un être humain. C’était un choc. Le patient pourrait être tenté de se tourner vers la machine, ignorant le diagnostic du médecin, car considéré de moins bonne qualité.» L’arrivée de Watson sur le marché aura aussi un impact sur la formation des médecins. «Les compétences nécessaires aux futurs docteurs vont changer. La

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en millions, le nombre De pages que watson lit et comprenD par seconDe. —

11’520

le nombre De tÂches que watson peut traiter en parallèle. —

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en téraoctets, la mémoire vive De watson, ce qui équivaut à celle D’environ 3750 orDinateurs De bureau. 40


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mémorisation sera moins importante, les capacités d’analyse pour mieux comprendre les informations fournies par les ordinateurs le seront davantage, explique Daniel Kraft. L’ordinateur se chargera de mémoriser tous les effets secondaires des médicaments, trop nombreux pour qu’un médecin les connaisse dans leur totalité.» resPonsaBiLitÉs PartagÉes

Benoit Dubuis, président de l’association suisse BioAlps, redoute un autre effet: «Avec l’utilisation toujours plus répandue des nouvelles technologies, il y a de plus en plus d’acteurs au sein de la chaîne médicale. Des ingénieurs et des mathématiciens s’ajoutent aux médecins et biologistes. Il faudra

INNOVATION

faire attention à ne pas se retrouver dans une tour de Babel, où chaque acteur parle une langue particulière liée à sa spécialisation.» C’est d’ailleurs pour éviter ce problème que l’EPFL a ouvert une faculté des «Sciences de la vie», qui cherche à promouvoir la communication entre les ingénieurs et les biologistes. Cette multiplication d’acteurs remet en cause la responsabilité des médecins. «Aujourd’hui, le docteur porte la totalité de la responsabilité médicale. Mais qu’en sera-t-il dans quelques années? demande Francesco Panese. La responsabilité va aussi être portée par les personnes qui ont introduit les données dans le système informatique, ou par le créateur d’un algorithme.

big Data _ un Défi pour la méDecine _

l’explosion du nombre de données touche chaque recoin de notre société. dans le domaine de la santé, elle suscite des attentes très élevées: comment stocker, partager, analyser et visualiser cette masse d’informations (ou «big data»), pour améliorer la prise en charge des malades? le traitement informatique de gigantesques volumes de données présente plusieurs atouts. Selon la firme de consulting mckinsey, cette révolution de l’information permettrait d’économiser entre 300 et 450 milliards de dollars au système de santé américain, soit une baisse des coûts de 12 à 17%. mais les espoirs vont au-delà des avantages pécuniaires: «en combinant les données du dossier d’un patient aux informations médicales globales, les diagnostics ne cesseront de s’améliorer, explique Francesco Panese, professeur associé d’études sociales des sciences et de la médecine à l’Université de lausanne. a l’avenir, il sera possible de prédire quel type de maladie une personne pourrait contracter des années à l’avance.» revers de la médaille: «nous allons passer de l’ère de l’incertitude à celle de l’inquiétude. nous connaîtrons à l’avance nos affections, mais dans certains cas, la médecine ne saura pas comment les traiter.» 41

A l’avenir, il ne serait pas impossible de voir un mathématicien comparaître devant une cour de justice à la suite d’une erreur médicale.» Watson pourrait-il lui-même être incriminé? «Le médecin doit absolument garder le contrôle sur son diagnostic. Watson n’est là que pour l’aider. Il ne sera responsable de rien», insiste Marty Kohn. Pour Thomas Gauthier, le danger réside

ibm ≥ hal? l’écrivain britannique arthur C. Clarke, auteur de la saga «l’odyssée de l’espace», a eu du flair en imaginant, dans les années 1980, l’hôpital du futur: «il semble que les capacités de l’ordinateur soient pratiquement illimitées. Se pourrait-il alors qu’il remplace un jour le praticien? (…). il est plus probable que l’ordinateur joue le rôle de conseiller; c’est vers lui que le médecin se tournera pour avoir un autre avis.» le superordinateur de Clarke s’appelait hal – un sigle qui correspond à iBm par décalage d’un rang de chacune des lettres. Un lien que l’auteur a toujours désigné comme involontaire…

dans les formules mathématiques de ces nouveaux appareils: «Si des engins comme Watson se transforment en «boîte noire», et que personne ne connaît son fonctionnement, il y a clairement un problème de responsabilité. Les médecins et le reste de la société doivent réfléchir à l’importance des machines en médecine, et définir clairement leur rôle.» ⁄


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prospection

Les dangers du test ADN à 200 francs Faire analyser son patrimoine génétique pour détecter un risque de maladie: une pratique qui séduit les consommateurs, mais qui présente des risques. Les quatre raisons de s’en méfier.

Texte Sophie Gaitzsch

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L

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PROSPECTION

déterminer d’où viennent leurs ancêtres, s’ils ont des prédispositions à certaines maladies ou encore s’ils possèdent le «gène du guerrier», soit un goût plus marqué que la moyenne pour le risque et de meilleures chances de succès. Pour accéder à ces informations, le client ne doit pas se déplacer. Une fois le test commandé par internet, il reçoit un kit de prélèvement et fait parvenir par la poste l’échantillon de salive nécessaire aux analyses. Fondatrice de trois sociétés qui proposent ce type de tests en Suisse, la biologiste Joëlle Apter souligne le fort intérêt du public. «La demande augmente constamment. Actuellement, nous vendons 3’000 tests par an, dont une grande majorité concerne les origines. A mes yeux, chacun doit pouvoir choisir s’il veut avoir accès ou non à ces informations.» Cet engouement inquiète les professionnels de la santé.

es avancées technologiques et les découvertes génétiques des années 2000 ont entraîné l’essor d’un nouveau marché: celui des tests ADN directement destinés au consommateur. Plusieurs dizaines d’entreprises, principalement basées aux EtatsUnis, opèrent aujourd’hui dans le secteur. Pour des prix compris entre 200 et 1’000 francs, elles promettent à leurs clients de

1 LES ANALYSES SONT INCOMPLÈTES

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ANDREW KELLY / REUTERS

A New York, Jared Rosenthal sillonne la ville au volant de son camion et propose aux passants de se soumettre à différents tests génétiques pour quelques centaines de dollars. L’entrepreneur vend ainsi une centaine de tests par mois. Il dit vouloir aider les gens à définir leur identité. «Notre camion offre un cadre plus intimiste qu’une clinique, nos clients osent davantage s’exprimer. Nous sommes à leurs côtés pour vivre des moments clés de leur existence.»

«Ces entreprises – la plus connue se nomme 23andMe – analysent 1 ou 2 millions de variations qui sont relativement fréquentes dans le génome humain, explique Vincent Mooser, responsable du Département des laboratoires du CHUV. Il s’agit de variations qui, certes, sont informatives pour une personne qui s’intéresse à la généalogie, mais qui présentent une valeur prédictive restreinte en matière de santé. Par exemple, le risque élevé pour Angelina

UNE BASE DE DONNÉES GÉNÉTIQUES UNIQUE

Pour la recherche médicale, les informations génétiques sont d’une importance primordiale. Elles permettent de mieux comprendre les mécanismes d’une maladie et de développer de nouveaux traitements. Menant un projet unique en Suisse, le CHUV récolte depuis début 2013, auprès des patients qui y consentent, des données génétiques qui seront conservées et pourront être utilisées pour la recherche. Après huit mois d’existence, la Biobanque institutionnelle lausannoise disposait déjà de 4’500 échantillons. A long terme, elle compte en recueillir 15’000 par an.


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Jolie de souffrir un jour d’un cancer du sein, investigué de manière ciblée en milieu médical, n’aurait pas pu être détecté avec un test par internet. Ces analyses ne tiennent pas non plus compte de l’environnement dans lequel se trouve un individu, alors que les maladies découlent toujours de multiples facteurs.»

2 Les entrePrIses traVaILLent sans cOntrÔLe

Pour Vincent Mooser, l’absence de contrôle est également inquiétante. «Si certains laboratoires ont bonne réputation dans la communauté scientifique, comme 23andMe, nous n’avons aucune idée de la manière dont ils travaillent.» Pour Armand Bottani, généticien membre de la Commission fédérale d’experts pour l’analyse génétique humaine, l’essor de ce marché est inévitable. «Il s’agit d’une réalité contre laquelle nous ne pouvons plus vraiment lutter. Nous voulons donc un meilleur encadrement et que les entreprises jouent cartes sur table. Elles devraient obtenir une autorisation fédérale pour exercer et informer en détail les clients sur les produits, leurs limites et leurs conséquences potentielles.»

3 La PrOtectIOn des dOnnÉes n’est Pas garantIe

Certains experts soulignent aussi le manque de garanties en matière de protection des données.

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proSpEctioN

Les entreprises de la branche stockent les informations de leurs clients à grande échelle. En Suisse, la manipulation de matériel génétique, considérée comme sensible, demande des mesures organisationnelles et techniques très strictes. Mais de nombreux pays ne répondent pas aux mêmes exigences, notamment les Etats-Unis.

4 aucun encadreMent PsYcHOLOgIQue n’est PrOPOsÉ

Pour Ruth Baumann-Hölzle, directrice de l’Institut zurichois spécialisé dans l’éthique en santé publique Dialog Ethik et membre de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine, le phénomène soulève de nombreuses questions. Dans le cadre clinique, les médecins procèdent à des tests ADN pour confirmer un diagnostic. Les offres sur le web portent, en revanche, sur un grand nombre de maladies de manière arbitraire. «Les clients reçoivent des indications parfois inquiétantes qui peuvent avoir des conséquences sur leur équilibre et celui de leur entourage. Que fait un individu de telles informations? Qu’en fait la société? Que se passe-t-il si les assurances maladie et les employeurs en prennent connaissance?» Ces interrogations devraient se faire plus pressantes à mesure que la technique progresse. Les

entreprises de test génétique on line, qui auront certainement accès d’ici à quelques années au séquençage complet du génome, pourront livrer toujours davantage d’informations à leurs clients. ⁄

une InterdIctIOn cOntOurnÉe

en suisse, la loi interdit la vente de tests génétiques aux particuliers. mais les offres des sociétés étrangères sont très facilement accessibles en ligne. en dépit de la législation, trois entreprises basées à zurich – igenea, gentest et genepartner – commercialisent par ailleurs ce type de services. elles contournent l’interdiction en faisant réaliser les analyses dans des laboratoires étrangers et se chargent uniquement de l’explication des résultats et du contact avec les clients.

Face à un contexte en pleine évolution, la suisse tente de s’adapter. la commission fédérale d’experts pour l’analyse génétique humaine s’est prononcée en février 2013 pour une «ouverture prudente» du marché. elle recommande d’autoriser les tests lorsqu’ils ne concernent pas directement la santé, tout en déconseillant à la population d’y recourir. mais une révision de la loi pourrait bien se faire attendre. le parlement, qui tranche sur ces questions, observe toute libéralisation d’un œil critique. lors du dernier vote sur le sujet en 2012, il avait refusé à une très large majorité d’autoriser les tests adn sans encadrement médical.


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cHroNiQUE

luc montagnier Prix Nobel de physiologie ou médecine en 2008 pour ses découvertes sur le VIH

Un changement de mentalité s’impose, tant du côté des médecins que des patients, si l’on souhaite améliorer la prévention des maladies chroniques. L’espérance de vie humaine continue d’augmenter et les progrès de la médecine y sont pour beaucoup. Mais l’incidence des maladies chroniques liées au vieillissement augmente également. Nous approchons d’un monde où le nombre de personnes atteintes de ces maladies dépassera le nombre d’actifs en bonne santé. Or, les dépenses les plus importantes et les plus longues se font dans les dernières années de la vie et souvent les maladies chroniques, notamment les maladies neurodégénératives, deviennent incurables. Clairement, nous avons besoin d’une nouvelle approche de la médecine qui vise à maintenir nos concitoyens en bonne santé le plus longtemps possible et, dans ce contexte, je me suis joint à plusieurs voix venant d’outreAtlantique et du Japon pour proposer une nouvelle médecine, la médecine P4, qui s’appuie sur quatre colonnes principales: Préventive, Prédictive, Personnalisée et Participative.

toujours plus sensibles et précis, faisant appel à la biologie moléculaire et à la biophysique remplaçant ou complétant des tests sérologiques et biochimiques. Parmi ces tests, il en est qui détectent des situations acquises, telles des infections, où le ou les agents infectieux peuvent être supprimés. Bien que ces maladies soient multifactorielles, la détection d’agents infectieux permettrait d’agir précocement sur leur évolution et de prévenir une évolution irréversible.

Personnalisation et participation: chaque individu a un patrimoine génétique commun à toute l’espèce humaine, mais il possède aussi des variations qui sont transmises génétiquement ou sont acquises dans ses organes sous l’influence de son exposition aux facteurs d’environnement: pollution chimique, alimentaire, radiations de toute sorte. Il importe donc qu’un profond dialogue s’installe entre le patient et son médecin et d’abord que le patient ait la volonté Prévention et prédiction: bien sûr les de consulter son médecin, avant d’être profondécampagnes d’information actuelles (tabac, ment atteint, et cela périodiquement; ensuite que alcool, obésité) doivent être maintenues et le médecin s’aide des tests de laboratoire et de développées. Mais aussi, de plus en plus de tests son dialogue pour dessiner un profil global du de laboratoire vont permettre d’identifier des patient: une heure minimum par consultation facteurs de risque: ces tests vont être et pas seulement dix minutes expéditives! PrOfIL

Le virologue français, professeur émérite à l’Institut Pasteur, mène aujourd’hui des recherches sur l’ADN et les maladies chroniques en Europe et en Afrique.

Un changement de mentalité doit donc être favorisé. Il peut l’être par des mesures financières incitatives, mais c’est à chacun de prendre ses responsabilités, libre de choisir une vie au moindre risque – la vie en soi est un risque – ou au contraire conduire son corps à un rythme excessif et disparaître plus tôt que prévu! à LIre

dr

«les combats de la vie: mieux que guérir», luc montagnier, editions Jc lattès, 2008

luc montagnier développe cette chronique, réalisée pour «in Vivo», dans un texte publié sur www.invivomagazine.com


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COMA: PRÉDIRE LE RÉVEIL teXte GeneViÈVe rUiZ

Les médecins parviennent à prévoir avec toujours plus de précision si un patient comateux se réveillera un jour ou pas. plongée dans un monde qui comporte encore beaucoup d’inconnues.

S

e réveillera-t-il un jour du coma? répondre à cette question représente un défi de taille pour les médecins tant ce dysfonctionnement cérébral est complexe. Grâce à de nombreuses recherches et des appareils toujours plus précis, le coma se dévoile progressivement. «Depuis 2010, nous effectuons une batterie de tests à l’aide d’un électroencéphalogramme sophistiqué, qui nous permet d’établir une carte détaillée du cerveau, explique Mauro oddo, responsable de l’Unité de neuroréanimation du chUV. nous soumettons les patients à une série de stimulations sensorielles et observons leurs réactions. a partir de là, il est possible de prédire si un patient ne va pas se réveiller avec une probabilité de plus de 80%, notamment dans un coma post-arrêt cardiaque.»

banque au moyen d’un logiciel spécifique. Les prédictions du réveil ou des séquelles de patients ainsi obtenues se sont pour l’instant révélées fiables.

cette probabilité pourrait encore nettement s’améliorer suite aux progrès récents de la recherche. en france, à l’hôpital pitié-Salpêtrière de paris, une équipe a créé une banque contenant les données de centaines de personnes gravement accidentées et dont le pronostic à un an était connu. Lorsqu’un nouveau patient arrive en réanimation, les résultats de son irM sont comparés avec ceux de la

Le test consiste à soumettre les patients à divers stimuli auditifs, puis à observer la réaction de leur cerveau grâce à un électroencéphalogramme. «Dans la phase des soins intensifs, nous plaçons les patients en état d’hypothermie pendant douze heures et abaissons la température de leur corps à 33 °c, détaille Mauro oddo. ce traitement permet de préserver les fonctions cérébrales. c’est

corpore Sano

Mais la vraie révolution pourrait bien venir d’une étude récemment menée au centre d’imagerie biomédicale (cibM) de Lausanne, à laquelle Mauro oddo et andrea rossetti, médecin responsable de l’Unité d’épileptologie du chUV, ont collaboré. Les résultats, publiés dans le journal «brain», ont dépassé les attentes: «pour l’instant, nous avons obtenu des prédictions qui étaient de l’ordre de 100%, se réjouit Mauro oddo, qui précise: le 100% n’existant évidemment pas en médecine, nous allons devoir confirmer ces résultats avec une cohorte de patients plus grande.»

coMa Un patient dans le coma ne peut être réveillé par aucune stimulation, même douloureuse. Ses yeux restent fermés et il n’a pas de cycle veille-sommeil. Les seuls mouvements qu’il effectue sont de l’ordre du réflexe.


CORPORE SANO

DéCRYPTAGE

Zephyr / Science Photo Library

Le cerveau d’un patient de 42 ans plongé dans le coma. Cette image prise par tomographie et colorisée montre les lésions dues au manque d’oxygène: des points blancs localisés notamment dans le mésencéphale, une région qui contrôle des fonctions telles que l’attention, le sommeil, les mouvements de la tête et du cou.


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EntrE FiCtion Et EXCEPtion / israélien, ariel Sharon, se trouve dans un état végétatif depuis 7 ans.

à ce moment que nous commençons à observer le cerveau de la personne, en observant sa réaction à une série de sons monotones, qui varient dans leur intensité et leur durée. «24 heures plus tard, alors que le patient a été réchauffé et a retrouvé une température normale, l’équipe médicale répète le test. Lorsqu’elle a observé une amélioration entre la première et la seconde session, les comateux se sont pour l’instant toujours réveillés. DEs EnJEUX étHiQUEs iMPortants

«nous n’avons pour l’instant testé que 30 patients, ce n’est pas encore assez, estime Mauro oddo. nous sommes en train d’en tester d’autres, mais nous souhaiterions en tester des centaines pour confirmer nos résultats.» cette État VÉGÉtatif expérience prometteuse cet état se n’a été menée que sur caractérise par la des personnes dont la préservation de cause de coma est l’arrêt certaines fonctions: respiration, cardiaque prolongé. Les chercheurs souhaitethermorégularaient les appliquer égation et cycles lement aux victimes de éveil-sommeil. Le patient peut traumatismes crâniens: spontanément «nous commençons à ouvrir les yeux, étudier cette populamais ne commu- tion, car les personnes nique pas avec concernées ont souvent l’extérieur et ne moins de 40 ans. chez répond pas aux stimulations. Ses les jeunes adultes suisses, le traumatisme mouvements crânien représente la restent réflexes. cause première du handicap, il s’agit donc d’un enjeu de société important. D’autant plus que, même si les chances de réveil sont quasi nulles, il est toujours très douloureux de déconnecter un jeune dans le coma.» CORPORE SANO

sinGULiEr L’américain terry wallis a

prononcé le nom de sa mère après vingt ans passés dans le coma.

Les résultats de ces tests vont pouvoir faciliter des prises de décisions souvent très pénibles pour les familles et le personnel médical. car lorsqu’on est confronté à des patients comateux, les questions éthiques apparaissent fréquemment. «en Suisse, lorsque nous savons qu’un patient ne va pas se réveiller, nous ne le maintenons pas en vie artificiellement, commente andrea rossetti. Un cas comme ariel Sharon, l’ancien chef d’etat israélien, dans un état végétatif depuis 7 ans suite à un accident vasculaire, ne peut pas exister ici. ces questions sont très culturelles et dans des pays comme l’italie, le Japon ou israël, il est très compliqué d’arrêter les soins pour une personne, même s’il n’y a plus d’espoir.» avec des situations tragiques comme celle de terri Schiavo, dont le sort avait divisé l’amérique en 2005. alors que cette femme de 41 ans se trouvait dans un état végétatif depuis quinze ans suite à un accident cérébral, son mari s’était résigné à mettre un terme à ses souffrances. Ses parents n’étant pas d’accord, il s’en est suivi une série de décisions contradictoires de la justice. a deux reprises, le tube d’alimentation artificielle de terri Schiavo a été retiré, puis réinstallé, d’abord en 2001, puis en 2003, pour être définitivement débranché deux ans plus tard. ⁄

DéCRYPTAGE

État De conScience MiniMaLe (ecM) Le patient montre une certaine conscience de son environnement: il fixe un objet du regard, suit son reflet dans un miroir, réagit parfois à une stimulation émotionnelle (il peut pleurer ou sourire lorsqu’il voit un proche) et peut répondre – par exemple en bougeant – à des demandes. Mais ces comportements sont fugaces et instables. Le patient reste incapable de communiquer de façon constante.

eMiLio Morenatti / Upi / newScoM, ron phiLipS

MéDiatiQUE L’ancien chef d’etat


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IMPROBABLE Alicia, l’héroïne du film «Parle avec elle», est tombée enceinte pendant son coma.

Entre croyances et réalité Une patiente se trouve dans le coma depuis quatre ans et tombe enceinte. Elle se réveille suite à son accouchement d’un enfant mort-né et retrouve alors une vie totalement normale. Alicia, l’héroïne du film Parle avec elle (Hable con ella), de l’Espagnol Pedro Almodovar, ne connaîtrait certainement pas le même destin dans la vie réelle. «La plupart des patients ne restent pas dans le coma plus de quatre à six semaines, explique Mauro Oddo, responsable de l’Unité de neuroréanimation du CHUV. Et il paraît très peu probable qu’une femme dans le coma puisse tomber enceinte car ses cycles hormonaux sont perturbés.»

Comyper, Gilles Weber

Au-delà de la fiction, les croyances à propos du coma proviennent aussi des situations exceptionnelles rapportées par les médias, comme celle de l’Américain Terry Wallis en 2003, qui a prononcé le nom de sa mère après vingt ans passés dans le coma. Le terme «coma» est par ailleurs souvent maladroitement utilisé. Il existe effectivement différents stades de ce dysfonctionnement cérébral, caractérisés par des signes distincts. «Entre le coma et le réveil, le patient passe souvent par un état végétatif, puis vers un état de conscience minimale, précise Andrea Rossetti, médecin responsable de l’Unité d’épileptologie du CHUV. Dans ce dernier état, les patients réagissent davantage aux stimuli extérieurs. Ils sont, par exemple, capables de sourire ou de suivre leur image dans un miroir. Même s’ils ne peuvent pas communiquer avec leur entourage de façon continue, ils gardent une probabilité de sortir de leur état un jour. Mais plus les semaines passent, plus les chances se réduisent...» CORPORE SANO

«Il faut vouvoyer une personne dans le coma» interview Karin Diserens, responsable de l’Unité de neurorééducation aiguë du CHUV, s’exprime sur l’aspect éthique des soins donnés aux patients dans le coma.

Il est désormais possible de prédire l’évolution de certains comateux. Quelles sont les conséquences éthiques de ces découvertes? Ces nouveaux outils vont influencer la décision initiale de savoir s’il faut poursuivre ou non une thérapie pour un patient dans le coma. Une équipe multidisciplinaire discute de chaque cas. Elle intègre des intensivistes, des neurochirurgiens, des neurophysiologistes, des neurorééducateurs et si nécessaire d’autres consultants, selon la pathologie. Les familles sont-elles aussi intégrées à ce processus? Oui, leur point de vue est fondamental. Depuis début 2013, elles détiennent d’ailleurs un droit de décision absolu sur le devenir de leur proche. Est-ce que l’équipe soignante traite un patient dans le coma

DéCRYPTAGE

comme s’il était éveillé? C’est notre objectif, la principale difficulté résidant dans l’incapacité de communication du patient. Mais l’équipe est tenue de vouvoyer la personne et de lui parler comme si elle comprenait tout. Nous avons également mis en place une échelle d’évaluation de la douleur basée sur l’observation des patients. Nous pouvons repérer ceux qui souffrent et y remédier par une prise en charge de neurorééducation précoce. Ce dernier aspect est important: la recherche clinique a démontré l’effet bénéfique d’une prise en charge très précoce durant laquelle les patients bénéficient d’un programme comprenant de nombreuses stimulations neurosensorielles. Le CHUV est d’ailleurs le premier hôpital universitaire à prendre en charge ces patients aussi tôt dans une unité de neurorééducation.


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Mésylate d’imatinib C 29H 31N 7O

C 29H 31n 7 o unE MolÉCulE, unE HisToirE texte: bertrand taPPy

il s’appelle imatinib, mais on le connaît surtout sous son nom de marque glivec. ce médicament révolutionnaire stoppe la progression d’une forme rare de leucémie, la leucémie myéloïde chronique, en allant inhiber de manière très précise son mécanisme de reproduction. c’est le premier d’une série de nouveaux anticancéreux spécifiques en pleine expansion, dont les plus récents sont dirigés contre les cancers des reins, des poumons, du foie, etc. a son lancement en 2001, le glivec frappe par son prix de vente: 50’000 francs par année, pour un traitement à vie. l’argument du fabricant est que le développement du médicament a demandé un investissement considérable alors que le nombre de patients est très faible (50 cas diagnostiqués

Le Glivec, médicament contre une forme rare de leucémie, coûte 50’000 francs par année par patient. En adaptant le dosage à chacun, son prix peut baisser et son efficacité augmenter.

chaque année en suisse). «en une dizaine d’années cependant, grâce au cumul des patients traités avec succès, le glivec est devenu un produit extrêmement rentable, avec plus de 4 milliards de francs de revenus annuels dans le monde», explique thierry buclin, chef du service de pharmacologie clinique du chuv. et les espoirs financiers des producteurs ne sont pas moindres pour les autres nouveaux anticancéreux. un autre point particulier est que pour des médicaments comme le glivec, il n’y ait qu’une seule poso-

CORPORE SANO

lancer une recherche sur le sujet, parce que le manque de données sur une possible individualisation de ces traitements n’était simplement pas acceptable. tout médicament peut être inefficace, ou au contraire faire plus de dégâts que de bien, si le dosage n’est pas adéquat.»

logie recommandée. or les concentrations atteintes dans le sang varient largement d’un patient à l’autre. alors au chuv, on s’est très vite interrogé: serait-il possible d’améliorer le rapport coût/bénéfice de ces produits en établissant un dosage spécifique pour chaque patient? «on peut comprendre que les producteurs aient eu quelques réticences à financer des recherches aboutissant à baisser les doses de certains patients, et par conséquent les ventes, analyse thierry buclin. Mais nous devions

après plusieurs années de recherche sur la mesure des concentrations sanguines de glivec, l’utilité de celle-ci pour le patient semble confirmée, à condition que le prescripteur individualise les posologies en conséquence. Mais des travaux similaires restent maintenant à faire avec les autres anticancéreux de cette famille, eux aussi commercialisés à posologie uniforme alors qu’on se doute que différents patients ont besoin de doses différentes. ⁄

ZOOM


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Nouveaux

médias: Les échanges en ligne prennent une telle place dans nos vies qu’il devient presque absurde de les qualifier de virtuels. Ils peuvent enfermer l’individu dans diverses formes de dépendances.

nouvelles

addictions? Texte: Sylvain Menétrey Photos: Anthony Leuba CORPORE SANO

TENDANCE


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l y a quelque temps, Arnaud Cerutti, jeune journaliste genevois, se livrait dans la presse pour raconter comment Facebook lui avait «presque sauvé la vie». Alors qu’il était en grave dépression, l’inscription sur le réseau social lui avait permis de renouer avec d’anciennes amitiés, de se rendre compte qu’au fond de son sentiment de solitude, des gens lui témoignaient de l’intérêt. Mais c’est le jour où il a publié une image récente de lui, alors qu’il n’avait plus que la peau sur les os, que les relations en ligne ont fait irruption dans le réel. En voyant la photo, sa famille, avec qui il s’était brouillé, a pris conscience de la gravité de son état, a appelé le Conseil de surveillance psychiatrique et l’a fait soigner. Le journaliste déclare que depuis cet épisode, il a retrouvé la joie de vivre et qu’il a des relations en ligne et hors ligne. Pour le meilleur, comme dans cet exemple, mais aussi pour le pire, les nouvelles technologies ont pris une très grande place dans nos vies. A tel point qu’il devient presque absurde de parler CORPORE SANO

TENDANCE

de virtuel pour définir la vie sur le réseau. «Les relations qui s’établissent à travers internet sont vraies, elles appartiennent à la vie quotidienne, assure Yann Leroux, psychologue français, auteur de plusieurs ouvrages sur l’influence des nouveaux médias sur la psychologie. En consultation, les gens me parlent de ce qu’ils font sur Meetic ou sur Facebook, sans marquer de différence avec les autres domaines de leur vie.» Pour de nombreuses personnes qui souffrent de timidité, internet offre une fenêtre sur le monde et un moyen plus aisé d’interagir avec les autres. «Via internet on ne s’expose pas avec son corps, on peut jouer n’importe quel rôle, car l’autre ne nous voit pas. On peut s’y entraîner à acquérir de meilleures compétences avant de les exercer dans la vie réelle», confirme Sophia Achab, cheffe de clinique à l’unité d’addictologie aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).

«Les personnes dépendantes au jeu en ligne arrivent dans un profond état d’anxiété ou de dépression.» Olivier Simon, médecin associé du Centre du jeu excessif du CHUV

Désinhibantes pour certains, les nouvelles technologies possèdent également leur face sombre, lorsqu’elles emprisonnent les usagers dans la toile de la dépendance. Même si la bible de la psychiatrie, le «Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux» (DSM) ne répertorie pas encore la cyberdépendance comme une affection connue, de plus en plus de personnes consultent leurs médecins pour


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Les pathologies du net

des problèmes liés à l’usage excessif des nouveaux médias. «Nous nous occupons régulièrement de cas de ce genre, notamment pour des personnes dépendantes aux jeux qui impliquent plusieurs joueurs», dit Olivier Simon, médecin associé du Centre du jeu excessif du CHUV. La recherche sur ce type de troubles en est encore à ses débuts. Tous les psychiatres et psychologues ne s’accordent d’ailleurs pas encore sur la réalité de cette addiction. Yann Leroux fait partie des sceptiques: «C’est un Saint Graal que l’on cherche en vain depuis des années. A mon avis, la cyberaddiction n’existe pas. Des personnes souffrant de difficultés psychopathologiques les expriment à travers les réseaux sociaux et internet.» Autrement dit, les outils technologiques n’auraient pas de propriétés addictives en soi, contrairement, par exemple, à des substances comme la nicotine; ils seraient simplement les viatiques à travers lesquels des personnes présentant des troubles psychiques exprimeraient leurs problèmes. Ce psychologue prend l’exemple du syndrome FOMO, ou fear of missing out. Il s’agit de la peur de rater des événements importants. Les gens qui en souffrent ont l’impression que les autres s’amusent davantage qu’eux et sont angoissés à l’idée de manquer la fête où il fallait être. Cette peur, qui peut paralyser l’individu au moment d’affirmer une préférence, serait provoquée par la comparaison incessante entre les choix personnels et ceux des autres, rendus aisément comparables grâce aux publications sur les réseaux sociaux. «Il ne s’agit en réalité que du nouvel habillage d’anciennes angoisses: la peur de ne pas avoir acheté la plus belle voiture ou de ne pas avoir les meilleures notes. Aujourd’hui, comme tout le monde CORPORE SANO

Les nouvelles technologies peuvent exacerber certains traits de la personnalité et provoquer des comportements pernicieux pour soi et les autres.

Hikikomori «Tirer vers soi et demeurer» en japonais, le terme hikikomori désigne des adolescents ou de jeunes adultes, qui refusent tout contact sauf avec leurs amis en ligne, s’enferment dans leur chambre au milieu des cadavres de bouteilles, et n’en sortent que pour se ravitailler. FOMO Le syndrome de «fear of missing out» est la crainte constante de manquer des événements importants. Une crainte rendue plus patente lorsque les réseaux sociaux bourgeonnent de photos de soirées. Il dénote une anxiété et un complexe d’infériorité.

TENDANCE

est interconnecté, il suffit que les discussions s’enflamment sur un sujet qu’on n’a pas suivi de près pour qu’on se sente largué», tempère le psychologue bordelais. S’il faut rester prudent dans ce domaine avant de crier à l’apparition de nouveaux syndromes, plusieurs recherches tendent toutefois à établir un lien entre nouveaux médias et addiction. «Même si la causalité n’est pas encore formellement établie et si les échantillons tests demeurent restreints, des données issues de l’imagerie cérébrale montrent des similitudes entre addiction à internet et à une substance», note Sofia Achab. Cette psychiatre, responsable du programme NANT (nouvelle addiction, nouveau traitement) mis en place en 2007 à Genève, a participé à une étude qui trace un parallèle entre addiction à internet et à la nicotine. «L’usage d’internet active des zones rattachées à la récompense. On remarque ainsi la sécrétion de dopamine et de sérotonine. Comme dans le jeu d’argent, même en l’absence de substance, une addiction peut se développer.» De manière surprenante, les mêmes mécanismes entrent en jeu. «Par exemple, les jeux vidéo en ligne massivement multijoueurs délivrent une dose de bien-être récurrente et immédiate après le jeu. Un joueur qui monte dans les niveaux ressent un bénéfice supplémentaire; il a accès à de nouveaux objets et il est reconnu dans la communauté des joueurs.» Ces mécanismes, associés à l’accessibilité 24h/24 d’internet, son coût minime, son haut débit et son anonymat favorisent l’addiction. Celle-ci est diagnostiquée par les services psychiatriques à partir du moment où une souffrance est exprimée, non pas seulement par les proches, mais par les personnes concer-


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nées; celles-ci sont amenées à mettre entre parenthèses d’autres secteurs de leur vie, comme par exemple leur travail, ou leurs relations sociales, pour obtenir leur dose de satisfaction, à l’image de la souris cocaïnomane qui recherche sa substance et pédale éternellement pour l’atteindre. «Les personnes qui demandent de l’aide à ce niveau arrivent généralement dans un profond état d’anxiété ou de dépression», témoigne ainsi Olivier Simon.

Trolling Cette attitude consiste à provoquer les membres d’un forum de discussion par des injures ou des opinions à contre-courant, parfois par jalousie, parfois dans une croisade pour révéler l’hypocrisie des participants, et dans des cas plus rares dans un but de harcèlement.

Si l’accessibilité sans limite aux médias électroniques contribue à l’addiction, ce sont surtout leurs contenus spécifiques comme les tchats, les réseaux sociaux, les sites pornographiques ou les jeux qui les catalysent. «A l’époque préhistorique, plus le genre humain était groupé, plus il avait de chance de survie. Certains champs d’internet font appel à ces mêmes instincts primaires», analyse la psychiatre. En renforçant le sentiment d’appartenance à une communauté, les réseaux sociaux auraient un tel effet rassurant. «De plus, des sites aux stimuli saillants, très forts et très percutants, suscitent des réactions de l’ordre de la survie, du sexe et de l’interaction sociale.» En raison de la multiplicité des stimuli, les spécialistes parlent de cyberaddictions au pluriel. On retrouve également parmi les personnes cyberdépendantes des sous-groupes aux profils variés. «L’addiction aux réseaux sociaux serait plutôt féminine, le cyber porno concerne davantage les hommes mûrs, les jeux vidéo de jeunes adultes bien insérés, mais ces catégories évoluent avec les nouvelles technologies», relève Sophia Achab. La variation entre comportement en ligne et hors ligne constitue un autre élément à mettre au crédit de la reconCORPORE SANO

naissance de la cyberdépendance. «Je n’ai jamais rencontré dans ma pratique des gens qui cumulaient addiction au sexe et aux sites pornographiques, ni au poker en ligne et au jeu dans la vie réelle, poursuit la psychiatre. Les gens qui fréquentent les casinos virtuels cherchent des sensations différentes. La sociabilité et les échanges autour des machines à sous, qui peuvent avoir un rôle dans le maintien du jeu problématique, n’existent pas en ligne.» Traiter de telles addictions s’avère complexe car il n’est pas envisageable de prescrire un sevrage complet, contrairement aux substances addictives. Les traitements passent donc souvent par une psychothérapie individuelle ou en groupe. «L’idée est d’arriver avec la personne à un objectif de vie dans lequel elle peut s’inscrire. Il s’agit de réapprendre la manière de consommer du contenu multimédia. Nous cherchons également à déterminer dans quelle mesure l’addiction est liée à une dynamique familiale et comment l’évolution de l’addiction se répercute sur l’entourage.» Les experts se rejoignent pourtant pour ne pas diaboliser internet. «Cet outil de travail ne devient problématique que pour une petite minorité», assure Sophia Achab. Bouée de sauvetage pour certains, nouvelle manière assumée de vivre leur sexualité ou leur vie sociale pour d’autres, espace d’interactions positives, mais aussi parfois destructrices, En savoir plus internet nécessite une «Les jeux vidéo, forme d’éducation ça rend pas idiot!», qui limite les risques Yann Leroux, FYP éditions, 2012 de consommation «Mon psy problématique. ⁄ sur internet» Yann Leroux, FYP éditions, 2013

TENDANCE


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hélÈne brioschi levi Director of Healthcare, CHUV

la population active dans le secteur de la santé contribue à la réussite helvétique tant d’un point de vue économique qu’humain. il est donc nécessaire d’investir dans la formation du personnel soignant. l’éventail des déterminants de la santé nous invite ainsi à considérer aussi bien l’environnement social et physique des individus que leur niveau d’éducation, leur culture ou la possibilité qu’ils ont ou non d’accéder aux soins par exemple.

l’économie suisse est jugée la meilleure du monde pour la seconde année consécutive, titrait récemment la presse. le ranking émane du World economic forum et met en exergue les clés du succès: l’excellente capacité d’innovation nationale est portée par la qualité des instituts de recherche et la collaboration entre milieux académiques et économiques; les institutions publiques sont parmi les plus efficaces et transparentes du monde; enfin, la suisse figure en tête des 148 pays examinés en matière de qualité de la formation.

le secteur fournit donc non seulement des produits, mais aussi des prestations de service délivrées par les professionnels de la santé. or ce capital humain tend à se raréfier, sous l’effet de l’évolution démographique notamment. et sur le terrain les soignants font face à des mutations inédites comme le vieillissement, les phénomènes migratoires ou la transition épidémiologique vers les maladies chroniques et dégénératives. dans ce contexte et en tant que directrice des soins du chuv, la compétence professionnelle et l’attention portée à l’individu dans toute sa globalité et sa complexité m’apparaissent comme essentielles.

Matthieu Martin

la santé n’est pas en reste et contribue elle aussi à la réussite helvétique. elle constitue à la fois un secteur économique à part tout cela, la health valley l’a bien compris. entière – 8% de la population active suisse en s’associant pour donner naissance à l’institut exerce une profession dans le domaine universitaire de formation et de recherche en soins des soins ou de la thérapie – et un facteur lausannois, les hautes écoles et les partenaires impactant la bonne marche de l’ensemble. romands ont perpétué le cercle vertueux à l’origine les développements technologiques et du succès suisse. et je me réjouis que la filière unipharmaceutiques, du fait de leurs évidentes versitaire en sciences infirmières ainsi créée œuvre retombées commerciales, viennent immé- désormais en faveur d’innovations qui intègrent diatement à l’esprit. ces progrès n’expriment l’ensemble des déterminants de la santé humaine. ⁄ toutefois leur plein potentiel que lorsqu’ils sont accompagnés d’efforts au moins aussi importants dans d’autres domaines.

En savoir plus

www.unil.ch/sciences-infirmieres

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TENDANCE CHRONIQUE


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Congélation d’ovocytes: de 22 à -196 °C Fécondité Les cellules sexuelles de la femme peuvent être congelées pendant des années. Cette technique de pointe permet aux patientes dont la fertilité est menacée pour des raisons médicales d’espérer pouvoir tomber enceinte un jour. Texte: Melinda Marchese reportage pHOTO: Morgane Rossetti

Contrairement à la cryoconservation de sperme, qui est une procédure de routine depuis les années 1980, celle des ovocytes, plus complexe, est longtemps restée au stade expérimental. Aujourd’hui, la technique est maîtrisée: les spécialistes de la reproduction parviennent à congeler pendant plusieurs années les cellules sexuelles de la femme tout en préservant leurs propriétés. En Suisse, les femmes dont la fertilité est mise en péril par un traitement contre le cancer notamment, peuvent avoir recours à cette technique. Des ovocytes prélevés en vue d’une fécondation in vitro peuvent aussi être stockés de cette manière. Fécondés par des spermatozoïdes avant ou après leur plongée dans le grand froid, les cellules cryoconservées parviennent à générer des embryons capables de s’implanter dans l’utérus et donc d’aboutir à la naissance d’un enfant. Détails en images.

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Le prélèvement des ovocytes

Le prélèvement des ovocytes se déroule en salle opératoire, sous légère anesthésie générale. Lors des deux semaines précédant l’intervention, la patiente a suivi un traitement médicamenteux afin d’augmenter sa production d’ovocytes. A l’aide d’une fine aiguille introduite par voie vaginale sous contrôle échographique, un spécialiste de la médecine de reproduction aspire le liquide folliculaire qui contient les ovocytes.

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sous la loupe

Transférés au laboratoire, les ovocytes sont identifiés et extraits du liquide folliculaire sous une loupe binoculaire. Les biologistes doivent minutieusement les prélever et les placer dans un tube de culture contenant un milieu nutritif.

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dans l’incubateur

Les cellules se reposent toute une nuit dans un incubateur à 37 °C, température naturelle du corps humain.

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La fécondation in vitro

Pour la fécondation in vitro, deux techniques sont envisageables. La méthode conventionnelle consiste à mettre en contact des ovocytes et des spermatozoïdes dans une éprouvette. Le spermatozoïde doit parvenir par lui-même à entrer dans l’ovocyte. Dans le cas où les spermatozoïdes sont peu nombreux ou pas suffisamment vigoureux, le biologiste pratique manuellement une «ICSI» (intra-cytoplasmic sperm injection), qui consiste en l’injection du sperme dans l’ovocyte à l’aide d’une aiguille.


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/5

Le développement du pré-embryon Environ dix-sept à dix-huit heures après la fécondation in vitro, le résultat est évalué sous microscope. Ce processus a de 60 à 70% de chance de réussir. Comme on le voit sur l’écran, les deux noyaux sont bien visibles, mais n’ont pas encore fusionné. Ce pré-embryon doit être congelé sans attendre. Car après la fécondation, il deviendrait un embryon (les chromosomes maternels ou paternels sont réunis), un stade auquel il est légalement interdit de procéder à la congélation (lire encadré p. 65).

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dans le programmeur

Les pré-embryons sont imprégnés d’une substance cryoprotectrice (qui les protège contre le froid) et placés dans des petits tubes baptisés «paillettes». Ces dernières sont installées dans un appareil à congélation, programmé par un ordinateur, pour abaisser progressivement la température. De 22 °C, la température descend à -7 °C en quinze minutes, puis continue à diminuer de 1 degré chaque trois minutes jusqu’à rejoindre -150 °C. Une autre méthode, la vitrification, permet une congélation plus rapide, grâce à une descente de température de l’ordre de 2’000 à 20’000 °C par minute.

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Dans les deux cas, la gestion de la chute de la température vise à éviter l’apparition de cristaux de glace, qui risquent d’endommager l’ovocyte.

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dans l’azote liquide

A ce stade, les paillettes sont enfermées dans des étuis affichant la date de naissance de la patiente ainsi que la date de congélation. Ces derniers sont placés dans des containers remplis d’’azote liquide à -196 °C. Les pré-embryons peuvent ainsi être conservés pendant plusieurs années.

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Congélation de convenance: faut-il l’interdire? éthique Une Anglaise de 35 ans, ne sou­ haitant pas encore tomber enceinte, sans toutefois renoncer définitivement à la ma­ ternité, peut librement choisir de congeler ses ovocytes. Elle pourra ainsi entamer une grossesse après 40 ans, grâce à ses propres cellules reproductives dont le «vieillissement» a été stoppé pendant plusieurs années. Com­ me l’Angleterre, les Etats-Unis, le Canada, l’Italie et l’Espagne autorisent la congélation dite «de convenance».

Le sujet fait débat en France: le Collège natio­ nal des gynécologues et obstétriciens soutient la congélation de convenance, «car l’âge de la maternité ne cesse de reculer» et «l’autocon­ servation de convenance est possible pour les hommes. Il n’y a pas de raison particulière pour que cela ne soit pas autorisé aux femmes.» Les opposants craignent qu’une légalisation n’en­ courage les grossesses tardives et leurs éventuelles conséquences néfastes pour la mère et l’enfant, telles que l’hypertension, le diabète gestationnel ou les naissances prématurées.

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En Suisse, la procréation médicalement assistée n’est autorisée que «si elle permet de remédier à la stérilité d’un couple (…)» ou si «le risque de transmission d’une maladie grave et incurable aux descendants ne peut être écarté d’une autre manière». Lorsque sa fertilité est menacée par un traitement, comme la chimiothérapie ou la radio­ thérapie, une femme peut donc faire congeler ses cellules sexuelles. «La Loi fédérale sur la procréa­ tion médicalement assistée (LMPA) stipule que la congélation d’ovocytes non fécondés peut être maintenue jusqu’à ce que la maladie de la patiente soit considérée comme guérie, explique Dorothea Wunder, médecin-chef de l’Unité de médecine de reproduction du CHUV. En revanche, si un ovocyte a été inséminé, sa période de congélation est limitée à cinq ans.» Une éventuelle révision de la LPMA est actuellement discutée au Parlement, pouvant aboutir à une prolongation de ce délai.

Le transfert d’embryons

Lorsque la patiente souhaite tomber enceinte, les pré-embryons sont décongelés. Le processus de développement reprend: l’ovocyte inséminé devient un embryon dont les cellules commencent à se multiplier. Les jours suivants, le transfert d’un ou deux embryons peut avoir lieu: à l’aide d’un cathéter, ils sont déposés dans la cavité utérine de la patiente, sous contrôle échographique. Quatorze jours plus tard, une prise de sang permet de savoir si une grossesse a bel et bien démarré. ⁄ CORPORE SANO

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teXte: JuLie Zaugg

yles bartlett se souvient parfaitement de la réaction de sa fille Stella la première fois qu’elle a enfilé son WreX, un exosquelette en plastique fixé à ses membres supérieurs. «elle a eu un instant de choc, puis elle a saisi un pinceau et s’est mise à peindre durant plus d’une heure», raconte ce Canadien. La fillette de 3 ans est atteinte d’amyotrophie spinale, une maladie génétique qui affecte la façon dont son cerveau communique avec ses muscles. «elle est extrêmement faible, se fatigue vite et peine à lever les bras.» Le WreX lui permet de mouvoir la partie supérieure de son corps sans avoir à subir l’effet de la gravité. «elle peut aujourd’hui se nourrir toute seule, lever la main en classe et jouer avec ses camarades, décritil. Le WreX lui a changé la vie.» CORPORE SANO

L’impression sur mesure révolutionne déjà la production de prothèses et d’implants. utilisée avec du matériel biologique, cette technique laisse entrevoir la création d’organes artificiels.

Stella n’aurait jamais pu profiter de cet outil sans l’avènement d’une nouvelle technique, qui est en train de révolutionner la médecine: l’impression 3D. «La première version du WreX, que nous avons produite en 2005, était en métal, relate tariq rahman, ingénieur en mécanique qui a développé la structure à l’hôpital pour enfants alfred i. dupont de Wilmington, dans le Delaware (uSa). un enfant aussi jeune n’aurait jamais eu la force de la porter.» L’ingénieur a donc produit un WreX en plastique, une matière plus légère, avec une imprimante 3D, un appareil qui fabrique des objets en additionnant des couches de fines gouttelettes de un exosquelette fabriqué à l’aide d’une imprimante 3D permet à Stella de bouger ses bras. Cette fillette résidant au Canada, ici avec son père, est atteinte d’une maladie génétique qui affecte ses muscles. INNOVATION

plastique liquide. «Cette méthode nous a permis de personnaliser l’exosquelette pour qu’il soit parfaitement adapté à la taille du patient, poursuit-il. nous prenons ses mesures, les rentrons dans l’ordinateur et celui-ci génère un modèle informatique en 3D du WreX qui est ensuite fabriqué sur mesure par l’imprimante.» Lorsque Stella grandira, ses bras mécaniques pourront être adaptés en permanence. «Les nouvelles pièces nous seront envoyées par la poste et nous n’aurons qu’à les intégrer au WreX avec un tournevis», sourit myles bartlett. il y a quelques semaines, un morceau de l’exosquelette s’est cassé. J’ai averti l’hôpital le lundi et j’ai reçu la

Dr

la 3D Dans la peau


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nouvelle pièce le mercredi. Sans l’imprimante 3D, cela aurait pris des semaines.» un Corps entiÈrement reproDuCtiBle

Les industrie dentaire, des appareils auditifs et des prothèses orthopédiques ont été les premières à saisir le potentiel de cette nouvelle technique. elles produisent depuis plusieurs années des couronnes, des appareils orthodontiques, des audioprothèses ou des membres artificiels personnalisés, à partir d’un scan en 3D de l’anatomie du client. plus récemment, elle a servi à améliorer les implants. «on peut désormais produire des rotules de la hanche ou des disques vertébraux synthétiques sur mesure et d’une seule pièce CORPORE SANO

à partir des données du patient, relève tim Caffrey, un ingénieur et consultant spécialisé dans l’impression 3D. ils sont mieux adaptés à la morphologie, plus solides et moins chers.» un patient américain vient de se faire remplacer 75% de sa boîte crânienne par un implant en peKK, un polymère, fabriqué avec une imprimante 3D. «Ce matériaux est plus léger que les pièces métalliques normalement utilisées, qui pouvaient donner le tournis ou des maux de tête aux patients», détaille tim Caffrey. en 2012, une équipe de médecins néerlandais a implanté un os de la mâchoire en titane à une femme de 83 ans. Sa fine structure en treillis, qui imite celle de l’os et a permis de gagner INNOVATION

Des os et des tissus humains peuvent être fabriqués sur mesure grâce à l’impression 3D. Certains peuvent déjà être implantés chez des patients.


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Comment imprimer une artère

dépose 1. L’imprimante dans un gel des

gouttelettes contenant chacune des dizaines de milliers de cellules.

couches de gel 2. Les et de gouttelettes

sont ajoutées de manière successive pour former un tissu en trois dimensions.

quelques grammes, a été obtenue grâce à l’impression 3D. Cette technique facilite également la miniaturisation de certains processus. Kaiba Gionfriddo, un bambin âgé de 2 ans, lui doit la vie. Né avec une malformation de la trachée, il ne pouvait pas respirer tout seul. «Nous nous sommes servis d’une image de ses voies respiratoires pour produire une minuscule attelle avec une imprimante 3D, qui a été implantée dans sa trachée pour la maintenir ouverte, explique Scott Hollister, le médecin de l’Université de Michigan qui a réalisé la procédure en 2012. Elle est composée d’un polymère qui va se dissoudre dans son corps dans deux ans environ. D’ici là, sa trachée aura eu le temps de se développer suffisamment.» Des interventions simplifiées

Dans les hôpitaux de la chaîne Metrohealth, dans l’Ohio, l’impression 3D est mise à profit pour améliorer la sécurité des patients. La division de chirurgie reconstructive maxillo-faciale s’en sert pour produire un modèle en matière synthétique CORPORE SANO

gouttelettes 3. Les fusionnent et le gel

se résorbe. Ce processus se fait sans intervention humaine.

du visage des personnes qui doivent subir une opération. Cela permet aux chirurgiens de s’exercer en amont de l’intervention, de déterminer l’option la moins invasive et de prévoir à l’avance quels types d’implants osseux leur seront nécessaires. «Le patient passe ainsi moins de temps sous anesthésie», note Tim Caffrey. La méthode a été utilisée pour la première fois en 2002, avant une opération délicate destinée à séparer deux jumelles guatémaltèques reliées par le crâne. L’intervention a duré 22 heures «au lieu des 97 heures normalement requises par ce genre de procédure», selon Eitan Priluck, fondateur de Biomedical Modeling, la firme de Boston qui a fourni le modèle des crânes des deux fillettes. L’impression 3D pourrait servir d’ici peu à révolutionner la médecine de façon plus spectaculaire encore. La firme californienne Organovo, créée en 2008, a inventé une imprimante qui fonctionne avec de «l’encre» composée de matériel biologique, tel que des cellules. INNOVATION

tissu vivant 4.Leet fonctionnel

est obtenu après quelques semaines de maturation.

«Nous avons notamment pu produire des morceaux de tissu de foie, du muscle cardiaque et des artères, détaille Eric David, l’un des fondateurs d’Organovo. Nos clients sont des laboratoires de recherche ou des entreprises pharmaceutiques qui souhaitent tester l’efficacité ou la toxicité de nouveaux médicaments. Ces modèles reproduisent en effet parfaitement l’architecture des tissus humains, tels qu’on les trouve dans le corps, contrairement aux cultures de cellule en 2D utilisées normalement.» A terme, Organovo espère pouvoir imprimer un organe entier, comme un foie ou un rein, et l’implanter dans un patient. «Cela serait extrêmement précieux, au vu du manque de donateurs», estime Eric David. Il serait fabriqué à partir des cellules du patient qui va le recevoir. «On éviterait ainsi qu’il ne soit rejeté», précise-t-il. En avril, la firme a annoncé qu’elle avait réussi à produire un morceau de foie. Il est doté d’un réseau micro-vasculaire et est capable de répliquer une bonne partie des

infographie: Sebastian Gagin et Ale Román

La bio-impression 3D consiste à déposer des cellules couche après couche jusqu’à former un tissu vivant.


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fonctions de cet organe, comme la synthèse du cholestérol. Si les recherches se poursuivent de manière convaincante, il faudra néanmoins attendre plusieurs années pour obtenir un organe 100% fonctionnel. De premiers résultats prometteurs

Jeremy Mao, un chercheur de l’Université de Columbia, s’est pour sa part intéressé à l’impression de dents et d’os. «Nous avons fabriqué une structure en os ou en émail synthétique qui reproduit la forme du tissu qu’on veut régénérer et qu’on remplit de cellules souches du patient, explique ce spécialiste de la médecine reconstructive. Ces dernières vont ensuite se servir de ce moule pour reconstituer la dent ou l’os manquant.» Pour l’heure, la méthode n’a été testée que sur des rats ou des lapins, mais les premiers résultats sont prometteurs. «Avec le vieillissement de la population, les fractures et les remplacements d’articulations vont devenir toujours plus fréquents, note Jeremy Mao. Si le corps parvient à réparer ces tissus avec ses propres cellules souches, cela rendra le processus plus rapide et plus sûr pour le patient.» Les perspectives ouvertes par ces recherches suscitent de nombreux fantasmes. Certains imaginent qu’on pourra atteindre l’immortalité en remplaçant ses organes au fur et à mesure qu’ils vieillissent. D’autres pensent qu’on pourra effacer les effets de l’âge CORPORE SANO

en se faisant greffer une impression de son visage, tel qu’il était à l’adolescence. D’autres encore évoquent la possibilité de stocker sur un ordinateur un modèle 3D de l’ensemble de ses organes et membres, pour pouvoir les reproduire en cas d’accident ou de maladie. Lee Ann Laurent-Applegate, qui dirige l’Unité de thérapie régénérative du service de chirurgie plastique et reconstructive du CHUV, rappelle toutefois que l’impression en 3D de tissus vivants reste une technique expérimentale. «Si les cellules ne sont pas vascularisées, leur durée de vie ne dépasse pas quinze heures, souligne-t-elle. C’est le temps qu’il faut pour produire un morceau de peau de 9 cm sur 12 avec une imprimante 3D.» Pour un grand brûlé, recourir à cette méthode serait un luxe: «Il faudrait patienter quatre à cinq semaines pour avoir assez de peau pour une seule jambe.» Si l’impression de tissus en 3D ne représente pas une solution magique, elle n’en reste pas moins intéressante dans certains cas, notamment si on cherche à réparer une petite surface d’os, de cartilage ou de peau ou si on parvient un jour à reproduire des organes entiers, relativise Lee Ann Laurent-Applegate. «In fine, c’est au médecin de décider, au cas par cas, s’il est dans l’intérêt du patient de se servir de la 3D ou s’il vaut mieux s’en tenir aux méthodes classiques.» ⁄ INNOVATION

le versant suisse L’usage de la 3D en médecine est portée par quelques pionniers en Suisse. Phonak s’en sert depuis dix ans déjà pour produire les coques de ses appareils auditifs. «Nous réalisons un modèle informatique en 3D du canal auriculaire, à partir d’une empreinte en silicone, qui est ensuite envoyée à l’impression», détaille Stefan Launer, le vice-président de la firme en charge de la science et de la technologie. Cette «production sur mesure de masse», comme il l’appelle, garantit au client «une meilleure qualité de son et un plus grand confort». Autre application de la 3D, l’hôpital pour les enfants de Zurich développe actuellement des morceaux de peau à partir des cellules de grands brûlés, dans l’optique de les leur greffer. Il se sert pour cela de l’imprimante 3D développée par la société fribourgeoise RegenHU. Celle-ci va mettre sur le marché en février 2014 «un substitut osseux destiné à être greffé dans la mâchoire pour en augmenter la masse en amont d’un implant dentaire», indique Marc Thurner, son patron. Il sera en matière synthétique, mais «doté d’une microstructure biologique qui fonctionne comme des autoroutes pour permettre aux cellules du patient de le coloniser», ajoute-t-il. A terme, ces implants pourront être personnalisés en fonction des caractéristiques du patient: «Si celui-ci souffre de diabète ou d’ostéoporose, on pourra les infuser de substances médicales pour soigner ces maladies», note Marc Thurner.


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A

vez-vous une idée du nombre de pas que vous effectuez chaque jour? Connaissez-vous votre rythme cardiaque? Etes-vous au courant du temps que vous mettez en moyenne pour vous endormir chaque nuit? Savezvous la proportion de CO2 que contient l’air de votre domicile? A priori, non. A moins que vous ne fassiez partie du nombre croissant d’adeptes du «quantified self». Aussi appelée «auto-quantification» ou «automesure» en français, cette pratique consiste à récolter des données sur soimême ou sur son environnement à l’aide de capteurs ou d’applications mobiles. Le terme anglais a été popularisé dès 2007 par Gary Wolf et Kevin Kelly, deux collaborateurs du magazine «Wired», qui ont créé le site du même nom. Auparavant réservé aux sportifs ou aux personnes souffrant de problèmes de tension ou de diabète, le «quantified self» s’est démocratisé ces dernières années grâce notamment à la miniaturisation des puces électroniques et à la généralisation des dispositifs intelligents comme les smartphones. Balances connectées mesurant l’indice de masse corporelle et la masse graisseuse, bracelets compteurs de pas munis d’accéléromètres ou autres traqueurs d’activité accompagnés de leurs applications, font désormais fureur et s’achètent à CORPORE SANO

TENDANCE

Texte: Benjamin Keller

des prix de plus en plus abordables, auprès de fabricants comme Nike ou Jawbone. «La demande pour les technologies portables est en forte augmentation», confirme Christian Neuhaus, porte-parole de l’opérateur Swisscom, qui propose ce type de produits dans son assortiment. Organisé en réseau, le mouvement «quantified self» compte une centaine de communautés d’utilisateurs réparties sur les cinq continents. En Suisse, deux groupes ont été créés l’an passé à Zurich et à Genève, réunissant au total 150 membres. Lors de rencontres ou sur internet, ils discutent des dernières innovations et partagent conseils et expériences personnelles. Moins de place au hasard

«Les motivations peuvent être liées à des problèmes de santé, à l’envie d’améliorer ses performances ou encore à des objectifs précis, comme de regarder moins la télévision», explique Emmanuel Gadenne, auteur du «Guide pratique du Quantified Self» (2012) et responsable de l’antenne parisienne du mouvement. Certains vont jusqu’à commander des analyses sanguines ou des tests ADN pour prévenir ou détecter d’éventuelles maladies (lire l’article sur les tests génétiques en p. 42). Emmanuel Gadenne, qui s’est lui-même lancé dans l’auto-quantification en 2003 «pour retrouver un meilleur équilibre de


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TENDANCE

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Applications

vie», met en avant la valeur d’auto-coaching du «quantified self»: «J’ai commencé à porter le bracelet Fitbit pour me prouver que je pouvais marcher 2’500 km par an. Si je l’enlève, je sais que je redescendrai autour de 1’000-1’500 km.» Le Français met également en avant le fait que cette pratique permet de retracer l’historique de ses activités: «Mon médecin n’a aucune idée de l’évolution de mon poids ou de mon taux de cholestérol depuis vingt ans. Avec l’automesure, on peut facilement stocker n’importe quelle donnée pendant une durée indéterminée et la mettre à la disposition de son spécialiste.» Dans le sport, le «quantified self» s’est également généralisé depuis quelques années. «Comme les professionnels, les amateurs utilisent toujours plus d’instruments pour analyser leurs performances, observe Gérald Gremion, médecin-chef du Swiss Olympic Medical Center et médecin adjoint au Département de l’appareil locomoteur du CHUV. Ils veulent accorder moins de place au hasard.» Inquiétudes des médecins

L’autoquantification présente quelques dérives. Georges Conne, médecin généraliste qui exerce à Bussigny-prèsLausanne (VD), juge cette pratique potentiellement anxiogène. Il a fait part de ses craintes dans une chronique publiée récemment dans la «Revue médicale suisse.» «A moins de souffrir d’une maladie chronique nécessitant un suivi constant comme le diabète, le contrôle permanent a tendance à augmenter les inquiétudes des patients, estime-t-il. Ceux qui récoltent des données sur eux-mêmes comparent leurs résultats à une norme et considèrent que tout ce qui dépasse cette limite est pathologique. Mais qui définit la norme? C’est là que doit intervenir le filtre du médecin.» CORPORE SANO

TactioSanté Véritable minidossier médical, TactioSanté permet de suivre et de visualiser toutes sortes de données médicales comme la masse graisseuse, le cholestérol ou encore la glycémie.

cardiograph Cardiograph permet de suivre sa fréquence cardiaque en posant son doigt sur l’appareil photo du smartphone. Les mesures peuvent ensuite être imprimées ou partagées en ligne.

actipod Grâce au détecteur de mouvement du smartphone, Actipod compte le nombre de pas effectués, les kilomètres parcourus et la vitesse moyenne pour chaque trajet effectué.

TENDANCE

Un sentiment partagé par Lilli Herzig, responsable de la recherche à l’Institut universitaire de médecine générale du CHUV, pour qui la limite entre l’utilisation intelligente et pathologique des données issues du «quantified self» est floue et se définit au cas par cas: «Depuis peu, nous voyons arriver des patients en consultation avec leur propre diagnostic. Lorsque cela constitue une base de discussion avec le médecin, c’est positif. Si les données sont de bonne qualité, il n’y a pas de raison de ne pas les prendre en considération. Cependant, le dialogue est parfois difficile avec des patients qui veulent tout maîtriser. Il est alors nécessaire de vérifier s’il n’existe pas un diagnostic psychiatrique sous-jacent.» Pour Emmanuel Gadenne, les mesures doivent toujours être adaptées aux buts fixés. «Tout le monde n’est pas candidat à ces dynamiques d’auto-coaching. Par exemple, je n’ai personnellement aucune raison de mesurer mon taux de glucose dans le sang. Il faut cibler trois ou quatre objectifs à atteindre, par exemple arrêter de fumer. Ensuite, l’important est de bien discuter avec son médecin des résultats que l’on souhaite obtenir.» A l’extrême, certains adeptes du «quantified self» affirment être en mesure de se passer de leur médecin et espèrent pouvoir faire analyser un jour leurs données par des algorithmes, à l’image de l’Américain Chris Dancy (lire son interview ci-contre). Une vision futuriste qui laisse Lilli Herzig sceptique: «Il existe déjà des outils informatiques qui analysent ces données dans le but d’orienter le diagnostic. Mais ils sont réducteurs, car ils ne recherchent qu’une seule maladie à la fois, alors qu’il est fréquent que plusieurs pathologies cohabitent, ce qui complique les choses. Les patients ne sont pas des robots.» ⁄


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exemple remarqué que certaines émissions télévisées influent négativement sur mon sommeil.

Dr

«je porte une demi-douZaine de capteurs» L’Américain Chris Dancy s’est rendu célèbre outre-Atlantique en poussant l’automesure à l’extrême. il accumule énormément de données, notamment sur son état de santé. Avant 16h, Chris Dancy règle les lampes de son domicile sur le mode «study», la température sur 21,6 °C, l’humidité sur 31% et n’écoute pas de musique à plus de 71 battements par minute. Ces règles, ce consultant en technologies digitales de 44 ans les a établies sur la base de l’immense amas de données qu’il a récoltées sur lui-même depuis cinq ans. il a répondu aux questions de «in Vivo» depuis Denver, aux Etats-Unis, où il réside. iV Les médias anglo-saxons vous considèrent comme «l’homme le plus quantifié du monde». que mesurez-vous exactement? CHriS DANCY J’utilise plus de 300 systèmes distincts pour récolter des mesures qui se répartissent en dix catégories: santé, divertisseCORPORE SANO

ment, environnement domestique, réseaux sociaux, travail, voyages, opinions, création de contenu, argent et spiritualité. Je porte une demi-douzaine de capteurs en alternance pour mesurer mon rythme cardiaque, la température de ma peau ou mon sommeil. iV quelles sont vos motivations? CD il y a cinq ans, j’ai commencé

à sauvegarder mon activité sur les réseaux sociaux, pour conserver une trace de ce que je postais. Puis je me suis mis à récolter des données sur mon corps pour améliorer ma santé. J’ai alors réalisé que des facteurs évidents comme la durée du sommeil ou la nourriture ne sont pas les seuls à avoir des conséquences sur le bien-être. En réalité, la santé est corrélée aux neuf autres catégories que je quantifie. J’ai par TENDANCE

iV partagez-vous vos données avec votre médecin? CD Je me rends à son cabinet pour lui tenir compagnie (rires). Je doute de sa capacité à suivre l’évolution de mon état de santé. Je m’occupe donc au maximum de mon suivi, à l’aide de sites de conseils médicaux comme WebmD. Grâce à des outils comme le superordinateur Watson (lire p. 38), les patients pourront accumuler des connaissances de la même manière que les médecins. iV etes-vous en bonne santé? CD Oui, j’ai d’ailleurs perdu 27 kg

depuis que je me quantifie.

iV La protection de vos données vous inquiète-t-elle? CD Pas vraiment. il y a toujours un risque que ces informations tombent entre de mauvaises mains. Au moins, en me quantifiant, je sais ce que le gouvernement peut découvrir sur moi. iV avec ce monitoring permanent, vous sentez-vous encore libre? CD A l’heure actuelle, une grande partie de nos actions sont déterminées par notre environnement. Dans les magasins, les rayons ne sont pas disposés au hasard. Le parcours d’achat est établi en fonction de critères précis pour guider inconsciemment les consommateurs. Se quantifier permet justement d’éviter de se faire manipuler. ⁄


CURSUS

CHRONIQUE

et internationale. Un magazine qui souhaite défendre l’innovation de la place lémanique au niveau national et mondial. Prof. Pierre-François Leyvraz Les premières pages de Directeur général du CHUV In Vivo détaillent la formidable créativité des chercheurs et entrepreneurs de la région. Nous avons d’ailleurs la chance a médecine fait de collaborer avec Benoît Dubuis, nommé appel à des comdirecteur du nouveau Campus Biotech de pétences toujours Genève, qui nous fait le plaisir d’être l’un plus diversifiées. de nos chroniqueurs aux côtés du Prix De grands progrès Nobel Luc Montagnier. naissent de collaFace à la pénurie de professionnels en borations entre des domaines scientifiques santé, nous espérons que In Vivo saura aussi variés que la science des matériaux également éveiller les vocations de futurs et la chirurgie, l’informatique et les neumédecins ou soignants en mettant en rosciences, la génétique et les humanités. La médecine que pratique notre hôpital se lumière les parcours inédits de jeunes professionnels – c’est la vocation de la situe à la croisée de toutes ces disciplines. partie Cursus. Edité en version française et Le CHUV se situe également au centre anglaise, In Vivo est diffusé auprès des plus d’un vaste réseau: une Health Valley jouisgrandes universités mondiales, mais aussi sant d’une incroyable richesse en termes au sein de nos ambassades scientifiques d’hôpitaux, de laboratoires et de start-up de San Francisco, Boston ou Singapour et innovantes. Il entretient avec ces partedes hôpitaux ou laboratoires dans le monde naires des liens privilégiés et féconds. avec lesquels le CHUV collabore. De même, il travaille jour après jour à Enfin, il nous paraît important de améliorer les soins en collaboration avec les plus grandes universités dans le monde. souligner que, soucieux de la bonne Autant de raisons qui nous ont amenés gestion des fonds publics, nous avons pu faire aboutir ce projet grâce à un parteà décider que notre nouveau magazine, qui succède au CHUV Magazine, se devait nariat public-privé passé avec l’agence de presse LargeNetwork. Nous avons de dépasser les strictes limites de notre eu un immense plaisir à concevoir In Vivo institution. De journal d’entreprise, il et espérons que vous en aurez autant à devient une publication en phase avec la plonger, avec lui, au cœur du vivant. ⁄ médecine que nous pratiquons: ouverte

L

PHILIPPE GÉTAZ

CURSUS

UNE CARRIÈRE AU CHUV

In Vivo, une plongée au cœur du vivant

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CURSUS

Des structures pour les migrants Dans le cadre du projet «Migrant-Friendly Hospitals» de l’Office fédéral de la santé publique, un groupe d’établissements hospitaliers – dont le CHUV– a développé des structures adaptées aux besoins de la population migrante et fonctionnent comme centres de compétences. Ces structures ont été présentées pour la première fois à un large public professionnel le 19 septembre dernier à Berne. BT

SOCIÉTÉ

Chercheurs récompensés Quarante-six requêtes Sinergia ont été sélectionnées en 2013 par le Fonds national suisse pour un montant global de 54 millions de francs. Cinq subsides ont été attribués à des chercheurs. Parmi eux, Jardena Puder, PD & MER1 au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV et Amalio Telenti, directeur de l’Institut universitaire de microbiologie UNIL-CHUV. BT

BOURSES

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ACTUALITÉ

Distinguer la norme de la pathologie Philippe Conus, chef du Service de psychiatrie générale du CHUV, s’exprime sur le diagnostic de la schizophrénie. Pourquoi de nombreux professionnels se penchent aujourd’hui sur le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) et, de manière plus générale, sur ce qui distingue une pathologie d’une souffrance sociale? La crainte de bon nombre de professionnels est que la cinquième édition du DSM élargisse trop le champ des troubles psychiatriques et qu’y soient inclus des états qui sont en deçà de la limite entre les variations de la norme et la pathologie. On craint ainsi, par exemple, que ce manuel incite à diagnostiquer une dépression là où il n’y a en fait qu’un sentiment «normal» de tristesse.

PSYCHIATRIE

Dans cette grande réflexion, le cas de la schizophrénie est encore à déterminer. Pour quelle raison? La question du point à partir

duquel on peut considérer qu’un patient remplit les critères diagnostiques d’une schizophrénie est devenue cruciale depuis qu’on a cherché à élaborer des stratégies de prévention. Après avoir visé la diminution du délai entre l’apparition du premier épisode schizophrénique et l’instauration d’un traitement adapté par la mise sur pied de programmes spécialisés et d’équipes mobiles, on s’est orienté vers l’identification des sujets traversant la phase de prodrome de la schizophrénie marquée par la survenue de symptômes psychotiques atténués. La question de la définition d’un seuil pathologique s’est alors posée, sur le plan de la clinique et de l’éthique. Considérant le manque d’outils fiables pour identifier ces états qu’on qualifie actuellement de ultra haut risque (UHR), la décision a été prise de les considérer comme une entité nécessitant encore validation. BT EN SAVOIR PLUS

Les 22 et 28 novembre 2013, le Département de psychiatrie du CHUV organise deux conférences, respectivement sur le concept d’état à risque de psychose et sur la construction de la cinquième édition du DSM. La suite de l’interview et les informations sur les événements sur www.invivomagazine.com


CURSUS

PORTRAIT

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UNE CARRIÈRE AU CHUV

Le microbiologiste Onya Opota explique les raisons qui l’ont amené à choisir Lausanne pour mener sa carrière. TEXTE: BERTRAND TAPPY, PHOTOS: GILLES WEBER

ans les laboratoires de microbiologie du CHUV, la grande silhouette d’Onya Opota se remarque facilement au-dessus de la machinerie qui tourne 24h/24. Une carrure qu’il ne doit pas uniquement à son patrimoine génétique: ce docteur en biologie spécialisé en microbiologie, biologie cellulaire et biologie moléculaire est également un ancien volleyeur professionnel qui a connu les honneurs des sélections en équipe nationale française. Une carrière menée en parallèle à ses études, «sans que l’une ne porte préjudice à l’autre, grâce au soutien de mon entourage». Doctorat en poche, il s’agit ensuite d’intégrer un groupe de recherche. Une quête qui le mènera en Suisse, à l’EPFL. «J’étais déjà venu à Lausanne durant ma carrière sportive. J’avais eu un coup de cœur pour cette région au cadre de vie si agréable et où les gens sont faciles d’accès. Et la réputation scientifique du bassin

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lémanique avait déjà commencé à attirer bon nombre de personnes prestigieuses avec lesquelles j’avais envie de travailler. Alors quand l’opportunité d’intégrer l’Institut d’infectiologie de l’Ecole polytechnique s’est présentée, j’ai accepté sans hésitations!» Onya Opota commence donc son travail de post-doctorat consacré à l’étude de la virulence bactérienne. Des travaux qui le mèneront notamment à l’identification d’une nouvelle toxine bactérienne, la Monalysin. «Ensuite, comme j’avais toujours cette envie de revenir dans le domaine clinique, j’ai rejoint le laboratoire de diagnostic de l’Institut de microbiologie du CHUV pour y faire ma spécialisation en microbiologie médicale. J’y ai trouvé tout ce qui a de l’importance à mes yeux: un excellent esprit d’équipe, un mode de fonctionnement où chacun compte et un domaine sans cesse en mouvement. L’environnement de travail au

CHUV est vraiment idéal. La collaboration avec les autres spécialistes – notamment les médecins infectiologues – est une force de l’hôpital universitaire. C’est un atout essentiel pour prendre des mesures extrêmement rapides. Nous recevons en effet des patients dont les pathologies sont très diverses et toujours plus complexes, il n’y a pas de laisser-aller, la concentration et l’engagement sont maximals.» Outre la poursuite de ses recherches, Onya Opota est aujourd’hui l’un des responsables des différentes analyses du laboratoire, soit de l’arrivée de l’échantillon fourni par l’équipe médicale à la transmission du résultat des examens aux cliniciens. Et le sport? «J’avais décidé d’arrêter la compétition au moment du post-doctorat, qui marque la période de transition entre le statut d’étudiant et celui de chercheur. Mais après quelques mois, j’ai été contacté par le Lausanne Université Club qui évolue en Première Ligue suisse, et j’ai à nouveau foulé les terrains pour deux dernières saisons où nous sommes arrivés successivement en finale de la Coupe suisse, puis à la première place!» ⁄


CURSUS

UNE CARRIÈRE AU CHUV

Le microbiologiste observe des colonies bactériennes d’«Escherichia coli» provenant d’un échantillon clinique. Cette bactérie est responsable d’infections sévères chez l’homme.

DENNIS KUNKEL / NEWSCOM

Au sein du laboratoire de diagnostic moléculaire de l’Institut de microbiologie du CHUV, le spécialiste identifie notamment les microbes impliqués dans les maladies infectieuses.

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JEAN-FRANÇOIS BRUNET

TANDEM

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JOCELYNE BLOCH


CURSUS CURSUS

UNE CARRIÈRE AU CHUV

I

ls sont sur les chercher une solution Portrait d’un duo qui fait avancer starting-blocks. aux problèmes que la recherche. Jocelyne Bloch, Jocelyne Bloch, rencontrent mes paneurochirurgienne, et Jean-François tients, note Jocelyne médecin adjoint au Service de neuroBloch. Un scientifique Brunet, biologiste. chirurgie du CHUV, qui fait de la recherche TEXTE: BERTRAND TAPPY, PHOTOS: ERIC DÉROZE et Jean-François fondamentale ne Brunet, biologiste au sein du même établissement, peut pas raisonner comme cela: lui doit d’abord n’attendent plus que le feu vert des organismes réfléchir au problème, relever ses observations fédéraux pour entamer les tests cliniques, dernière puis interpréter les résultats qu’il a obtenus. Le fait étape de leur recherche. de pouvoir appliquer les fruits de la recherche ne vient que dans un second temps.» Ce ne sera pas encore tout à fait la fin du parcours, mais il s’agira déjà d’une concrétisation qu’ils Au fil des années et des publications, nos deux attendent impatiemment, tant l’enjeu est imporchercheurs ont donc noué une relation étroite, tant: le duo souhaite en effet pouvoir rendre sa faisant une force de leurs différences: «Si nous fonctionnalité optimale à un cerveau atteint d’un avions travaillé chacun de notre côté, c’était perdu accident vasculaire cérébral AVC, et cela grâce d’avance, assure Jean-François Brunet. Des projets à une greffe de ses propres cellules neurales. comme le nôtre marquent vraiment une nouvelle «Pour en arriver où nous sommes maintenant, il direction de la recherche, avec ce décloisonnea fallu d’abord découvrir quelles cellules étaient ment entre différentes professions qui doivent concernées parmi le véritable biotope qui existe apprendre à s’écouter. De plus, nous voulions dans le cerveau humain, explique Jean-François montrer que l’approche thérapeutique – par oppoBrunet. Nous avons ainsi testé plus d’une centaine sition à l’approche fondamentale – présentait de combinaisons avant de trouver la bonne. Une aussi des avantages.» fois la recette trouvée, il s’agissait de réunir les conditions nécessaires pour faire se multiplier ce «Nous pourrons commencer dès que l’autorisation «cocktail» en six semaines de culture, puis réinsera arrivée, se réjouit Jocelyne Bloch. Nous avons jecter le tout dans le cerveau sans dommage.» les fonds nécessaires grâce à l’association que nous avons créée (tous les frais – interventions, Mais on ne réunit pas deux spécialistes pointus hospitalisations – sont à la charge du projet).» En d’un claquement de doigts, même si l’objectif attendant, la neurochirurgienne continue à opérer est fantastique: il a fallu que le biologiste et la et à mener différents projets de recherche, tandis clinicienne définissent un langage, un terrain et que le biologiste mène un autre chantier: la créasurtout une vision commune pour trouver des tion d’un centre de production cellulaire. Parce solutions. Ce qui ne fut pas une mince affaire. que la recherche, ce n’est pas seulement un travail «En clinique, je suis habituée à systématiquement d’équipe. C’est aussi une course de fond.

EN SAVOIR PLUS

www.neurocellia.ch Site de l’association pour la thérapie cellulaire en neuroscience

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CURSUS

NOMINATIONS

L’hépatite au cœur des discussions Chaque année, le Service de gastroentérologie et d’hépatologie du CHUV organise un mini-symposium intitulé «Challenges in Viral Hepatitis», qui accueille de nombreux intervenants internationaux. L’événement aura lieu le 16 janvier 2014, avec comme nouveauté cette annnée la traduction simultanée des conférences en français (des casques audio seront mis à disposition). BT

KAISER MARIE-LAURE FONCTION Ergothérapeute NOM

PRÉNOM

SYMPOSIUM

Conférences multidisciplinaires Une journée consacrée aux dernières innovations techniques et scientifiques dans différents domaines chirurgicaux se tient le 22 novembre 2013 au CHUV, à l’auditoire César-Roux. Le Service de chirurgie viscérale offre ainsi l’opportunité de discussion et d’échanges multidisciplinaires à un public médical varié. BT

PRÉNOM

Le CHUV souhaite professionnaliser la fonction de l’accueil, considéré comme partie intégrante du traitement. La mission NOMINATIONS de Valérie Gaspoz sera de permettre à l’hôpital de conserNOM BEHAR COHEN ver, malgré sa taille et l’intensité de PRÉNOM FRANCINE ses activités, un certain humanisme FONCTION Cheffe du Service dans les soins qu’il prodigue et dans l’écoute qu’il accorde à ses universitaire d’ophtalmologie et différents interlocuteurs comme à directrice médicale de l’Hôpital la qualité de l’échange qu’il peut ophtalmique Jules-Gonin. avoir avec eux. Médecin ophtalmologiste et rétinologue, docteur en biologie, la Prof. Behar-Cohen travaille sur le développement de traitements innovants et de méthodes d’administration dans l’œil des médicaments, plus particulièrement pour les maladies de la rétine.

PHILIPPE GÉTAZ, ERIC DÉROZE , ISABEL DIOS

CHIRURGIE

GASPOZ VALÉRIE FONCTION Cheffe du projet institutionnel pour l’amélioration de la qualité de l’accueil au CHUV. NOM

C’est à l’occasion de la 10e Conférence internationale sur le trouble de l’acquisition de la coordination au Brésil que Marie-Laure Kaiser, ergothérapeute cheffe du CHUV, a été récemment nommée coprésidente de l’International Society for Research in Developmental Coordination Disorder. Cette société multidisciplinaire a pour objectifs l’encouragement des collaborations entre chercheurs, la diffusion des savoirs et leur intégration dans la pratique clinique.

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CURSUS

UNE CARRIÈRE AU CHUV

MIGRATION

Eric Albrecht a pu partir suivre une formation d’une année au Canada grâce au CHUV. Pourquoi avoir choisi de partir une année au Canada? Une fois devenu chef de clinique, je me suis intéressé à l’anesthésie loco-régionale et surtout sur la méthode – toute récente à ce moment-là – faisant appel à l’imagerie échographique. J’étais persuadé que cette technique représentait une foule d’avantages pour les patients du CHUV. Je savais qu’à Toronto, il y avait un grand centre de formation, à l’origine de très nombreuses publications, où je pouvais me perfectionner. Grâce au soutien immédiat de mon chef de service, je suis donc très vite parti une année, entre 2011 et 2012, au Toronto Western Hospital pour y faire ce que l’on appelle un «fellowship». Est-ce que tout le monde peut ainsi partir durant sa formation? Oui, à deux conditions: il faut d’abord que le projet de formation dans un domaine particulier corresponde à un besoin de l’institution. Il n’est pas utile d’avoir plusieurs spécialistes d’un sujet de pointe. Sans compter que le service, et l’hôpital, apportent un soutien financier lors du séjour à l’étranger. Ensuite, une fois que le projet est établi, il faut trouver un centre de compétences reconnu et susceptible de vous accepter.

CHRISTOPHE VOISIN

Quelles différences avez-vous relevées entre le Canada et la Suisse? La première différence est l’inversion de la

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NOM

Albrecht Eric

PRÉNOM

1999 Médecin associé au Service d’anesthésiologie AU CHUV DEPUIS TITRE

pyramide hiérarchique. Il y a beaucoup plus de médecins formés que de médecins en formation dans les hôpitaux universitaires. Par conséquent, les interventions chirurgicales sont beaucoup plus rapides et il est possible de s’occuper d’un plus grand nombre de patients par jour. Par exemple, j’avais la possibilité de faire entre 15 et 20 blocs nerveux par jour alors qu’au CHUV, nous avons l’occasion d’en faire deux à trois en moyenne. Et lorsque vous êtes en salle d’opération, vous vous retrouvez seul et non pas en binôme avec un collègue infirmier comme c’est le cas en Suisse. Si vous rajoutez le travail de recherche, vous obtenez un rythme effréné, mais aussi une superbe opportunité d’apprendre sur les plans clinique et académique. ⁄ BT


bacKstage

Cela fait plus de cinq ans que les deux équipes travaillent ensemble. Elles ont notamment réalisé la publication interne «CHUV Magazine» avec une vingtaine de numéros thématiques. La revue «In Vivo», qui la remplace, a une ambition plus large: raconter l’évolution de la médecine et des soins, avec un accent particulier sur les innovations qui caractérisent la «Health Valley» lémanique.

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La revue «In Vivo» est éditée en anglais et en français.

DAVID MAYENFISCH

Discussions, brainstorming, croquis, adaptations de maquette… «In Vivo» est le fruit d’un travail en commun. Les équipes de LargeNetwork (Melinda Marchese, Pierre Grosjean, Sandro Bacco, à gauche, Diana Bogsch, à droite) et du CHUV (Bertrand Tappy et Béatrice Schaad, à droite) finalisent le design du magazine et de son supplément infographique dans les locaux de l’agence le 2 septembre 2013.


CONTRIBUTEURS

BERTRAnD TAPPY MELInDA MARCHESE Melinda Marchese dirige la réalisation du magazine «In Vivo» au sein de LargeNetwork. Journaliste, elle se penche régulièrement sur des sujets liés à la santé pour des titres romands tels que «L’Hebdo», «Hémisphères» ou «Reflex». Elle a aussi recueilli le témoignage de l’américaine Yi Zuo (p. 19) et infiltré les laboratoires du CHUV pour le reportage sur la congélation des ovocytes (p. 56).

Bertrand Tappy coordonne l’ensemble du projet «In Vivo», qui réunit le magazine et sa version digitale, ainsi que l’interaction avec les acteurs de la «Health Valley». Responsable éditorial au Service de communication du CHUV, il a également interviewé l’ancien ministre de la Jeunesse, l’éducation nationale et de la recherche Luc Ferry (p. 26) et a donné la parole aux collaborateurs du CHUV qui interviennent dans la rubrique Cursus (p. 70).

SAnDRo BACCo ET DIAnA BoGSCH Graphistes chez LargeNetwork, Sandro Bacco et Diana Bogsch ont conçu l’identité visuelle de «In Vivo». A quatre mains, ils ont entièrement réalisé la maquette du magazine. Diplômés de la HEAD, le duo s’est inspiré de la précision du monde médical pour créer un univers minutieux, expressif et vivant.

MoRGAnE RoSSETTI Morgane Rossetti est photographe au CEMCAV, le Centre d’enseignement médical et de communication audiovisuelle du CHUV. A l’aide de son collègue Eric Déroze, elle a réalisé le reportage photo sur les différentes étapes du processus de congélation des ovocytes (p. 56).

PATRICK DUTOIT, DR

BEnJAMIn BoLLMAnn La réalisation du supplément infographique «In Extenso» a été dirigée par le journaliste Benjamin Bollmann. Titulaire d’un Master en génie biomédical de l’EPFZ et ancien assistant au MIT à Boston, il a cofondé à LargeNetwork la plateforme SwissInfographics, qui explore les nouvelles manières visuelles de représenter l’information.

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In Vivo

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse LargeNetwork www.invivomagazine.com

édition

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch redaction@invivomagazine.com Réalisation éditoriale et graphique LargeNetwork, rue Abraham-Gevray 6 1201 Genève, Suisse éditeurs responsables T. + 41 22 919 19 19, www.LargeNetwork.com Béatrice Schaad et Pierre-François Leyvraz Direction de projet et édition online

Bertrand Tappy remerciements

Responsables de la publication

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean Direction de projet

Melinda Marchese Alexandre Armand , Aline Hiroz, Anne-Renée Leyvraz, Anne-Marie Barrès, Annemarie Vuillaume, Cannelle Keller, Céline Vicario, Christian Sinobas, direction graphique Christine Geldhof, Dominique Gerardi, Elena Diana Bogsch et Sandro Bacco Teneriello, Elise Méan, Emilie Jendly, Enrico Ferrari, Fiona Amintrano, Francine Billotte, Gilles Bovay, Rédaction Jean-François Noble, Jeanne-Pascale Simon, LargeNetwork (Benjamin Bollmann, Clément Bürge, Sophie Gaitzsch, Katarzyna Gornik Verselle, Laurent Meier, Lauriane Benjamin Keller, Serge Maillard, Melinda Marchese, Sylvain Menétrey, Bartek Mudreki, Bridel, Manuela Palma de Figueiredo, Marie-CéGeneviève Ruiz, Barbara Santos, Daniel Saraga, Julie Zaugg), Bertrand Tappy cile Monin, Marie-Hélène Ros, Massimo Sandri, Mirela Caci, Muriel Cuendet Teurbane, Muriel Faienza, Nadine Haller De Crousaz, RECHERCHE iconographique Nathalie Jacquemont, Nicolas Jayet, Odile Sabrine Elias et Olivia de Quatrebarbes Pelletier, Pauline Horquin, Philippe Coste, Philippe Dosne, Serge Gallant, Sonia Images Ratel, Stéphane Coendoz, Stéphanie CEMCAV (Eric Déroze, Patrick Dutoit, Philippe Gétaz, Morgane Rossetti, Christophe Voisin, Dartevelle, Thuy Oettli, Valérie Blanc, Gilles Weber), Sébastien Fourtouill, Sebastian Gagin et Ale Román, Anthony Leuba, Virginie Bovet et le Service de David Mayenfish, Jérémie Mercier, Tang Yau Hoong communication du CHUV. Partenaire de distribution

BioAlps

mise en page

Diana Bogsch et Sandro Bacco TRADUCTION

Technicis IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA Les propos tenus par les intervenants dans «In Vivo» et «In Extenso» n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.




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