IN VIVO #13 FRA

Page 1

Penser la santé

N° 13 – DÉCEMBRE 2017

LES BACTÉRIES

NOS MEILLEURES ENNEMIES SYLVAIN TESSON «En marchant, j’ai semé ma douleur» TENDANCE Donner un surnom à sa maladie REPORTAGE Visite du jardin thérapeutique du CHUV Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LE CORPS AUX EXTRÊMES


«Les infographies sont rigoureuses, ingénieuses et plaisantes à regarder.»

«Félicitations pour votre magazine, qui est très intéressant et fort apprécié des professionnels de mon institution.» Johanna M., Carouge

Dominique G., Vufflens-la-Ville

«Chaque article est pertinent!» Béa B., Danemark

ABONNEZ-VOUS À IN VIVO «Un magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs.» Swissnex, Brésil

«Super mise en page!» Laure A., Lausanne

«Vos infographies sont géniales, faciles à comprendre et adaptées au public auquel j'enseigne.» Isabelle G., Lausanne

«Fort intéressant!» Hélène O., Lausanne

SUIVEZ-NOUS SUR: TWITTER: INVIVO_CHUV FACEBOOK: MAGAZINE.INVIVO

Recevez les 6 prochains numéros à votre domicile en vous inscrivant sur www.invivomagazine.com

Le magazine est gratuit. Seule une participation aux frais d’envoi est demandée (20 francs).


IN VIVO / N° 13 / DÉCEMBRE 2017

SOMMAIRE

FOCUS

19 / DOSSIER Les bactéries, nos meilleures ennemies PAR MARISOL HOFMANN ET STÉPHANIE DE ROGUIN

MENS SANA

30 / INTERVIEW Sylvain Tesson: «En marchant, j’ai semé ma douleur» PAR BÉATRICE SCHAAD

34 / TENDANCE Ma maladie bien nommée PAR PATRICIA MICHAUD

37 / PROSPECTION Les soins «mobiles»: partager pour économiser? PAR BLANDINE GUIGNIER

40 / DÉCRYPTAGE Attention, perturbateurs sur la ligne PAR YANN BERNARDINELLI

Derrière le trait d’union public-privé PAR CHARLOTTE MERMIER

Des centaines de bactéries et de microbes empruntent tous les jours les transports publics sans titre de transport valable. Heureusement, la plupart des espèces recensées sont inoffensives. Mais les transports en commun constituent un écosystème particulièrement intéressant pour identifier ces organismes et leurs moyens de diffusion. Ainsi, plus de la moitié des 562 espèces de bactéries répertoriées lors d’une étude menée il y a deux ans dans le métro newyorkais étaient inconnues jusque-là.

KEVIN JAAKO

44 / COULISSES


SOMMAIRE

61 37 CORPORE SANO

IN SITU

48 / TENDANCE

09 / HEALTH VALLEY

Plus dures sont les chutes!

Comment retenir les start-ups

PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

58

Quand l’hôpital fait la sourde oreille PAR SOPHIE GAITZSCH

54 /

INNOVATION

Biomimétisme: la nature copiée-collée PAR ANNE-SOPHIE DUBEY

58 / APERÇU La gale, une maladie qui gratte, encore et encore PAR LÉANDRE DUGGAN

61 / EN IMAGES Rééducation en plein air PAR STÉPHANIE DE ROGUIN

SUIVEZ-NOUS SUR: TWITTER: INVIVO_CHUV FACEBOOK: MAGAZINE.INVIVO

2

15 / AUTOUR DU GLOBE Peurs ancestrales

CURSUS

69 / CHRONIQUE Faites entrer les médecines complémentaires

72 / TANDEM L’historienne Aude Fauvel et le praticien Patrick Bodenmann

HEIDI DIAZ, SCIENCE PHOTO LIBRARY, TIM BEDDOW/SCIENCE PHOTO LIBRARY

52 / PROSPECTION


Éditorial

MEURTRIER INCOGNITO

BÉATRICE SCHAAD Responsable éditoriale

PATRICK DUTOIT

*CZURA CJ. «MERINOFF SYMPOSIUM 2010: SEPSIS – SPEAKING WITH ONE VOICE», MOL MED 2011;17:2-3. **FLEISCHMANN, SCHERAG, ADHIKARI, ET AL.: GLOBAL SEPSIS INCIDENCE AND MORTALITY. AM J RESPIR CRIT CARE MED VOL 193, ISS 3, PP 259–272, FEB 1, 2016

3

Que se passe-t-il quand rien ne va plus? Quand le corps se dérègle au point d’affronter une infection généralisée? Hippocrate, n’y allant pas par quatre chemins, avait baptisé le phénomène «sepsis», autrement dit «putréfaction». Voilà qui est dit. Depuis lors, le syndrome a tour à tour été baptisé «septicémie» ou syndrome du choc septique. Sont-ce ces balbutiements lexicaux qui ont participé au déficit de reconnaissance accordé au phénomène? Toujours est-il qu’aussi inquiétant soitil, le syndrome demeure dangereusement méconnu. Le sepsis frappe en effet à large échelle: aux États-Unis, les décès qui lui sont dus dépassent ceux consécutifs au cancer du côlon, à celui du sein et du VIH combinés*. Les estimations actuelles évaluent les épisodes à 31 millions et les décès à 6 millions dans les pays à hauts revenus**, autrement dit autant de morts que ceux entraînés par la cigarette. Progressivement cependant, ce fléau de santé publique commence à provoquer quelques sueurs froides auprès des autorités sanitaires. Fin mai, l’Organisation mondiale de la santé adoptait une nouvelle résolution incitant ses membres à développer des plans nationaux de lutte contre le «plus mortel des tueurs dont on n’entend jamais parler». Le problème le plus épineux semble-t-il, et qui a fini par ébranler les autorités sanitaires internationales, est que trop rares sont les cliniciens capables de diagnostiquer un patient à risque. Ainsi, il semble bien que la majorité des décès entraînés par le sepsis n’aient pas été correctement reportés. Le sepsis n’aurait même été mentionné que sur 40% des certificats de décès de patients qui en étaient effectivement morts, selon un récent article publié par «The Guardian». En Grande-Bretagne, le National Health Service a empoigné le problème en développant un vaste plan de formation de ses médecins. Résultat, et même si d’autres facteurs ont participé à cette évolution, le taux de mortalité de patients admis dans les soins intensifs des hôpitaux anglais a baissé en quelques mois de 35% à 27%. Et en Suisse? Plusieurs spécialistes à l’instar du Professeur Thierry Calandra, chef du Service des maladies infectieuses au CHUV et pionnier dans le domaine, militent de longue date pour la mise sur pied d’une filière de prise en charge et des campagnes publiques à large échelle (lire p. 21). Le but? Permettre une identification rapide des patients touchés. Ce n’est qu’à cette condition que ce meurtrier, jusqu’ici incognito ou presque, finira par tomber le masque. ⁄


POST-SCRIPTUM LA SUITE DES ARTICLES DE «IN VIVO» IL EST POSSIBLE DE S’ABONNER OU D’ACQUÉRIR LES ANCIENS NUMÉROS SUR LE SITE WWW.INVIVOMAGAZINE.COM

CANCER

CERVEAU

IV n° 1

p. 17

SCHIZOPHRÉNIE

IE n° 7

IV n° 3

Immunothérapie contre la leucémie

L’exercice physique, bon pour la mémoire

Certains patients atteints de leucémie lymphoïde chronique ne réagissent pas aux traitements standards. Une étude du centre de recherche Fred Hutchinson, à Seattle, montre que l’immunothérapie est efficace dans plus de 70% de ces cas. Le procédé consiste à prélever des cellules immunitaires (lymphocytes T) chez les malades, à les modifier, puis à les réinjecter dans le sang, où elles traquent et détruisent les cellules cancéreuses. /

La quantité d’activités physiques durant l’enfance pourrait avoir des implications sur le cerveau et sur la santé cognitive des décennies plus tard. Une étude de l’Université de Toronto, menée sur des rats, a montré que les sujets qui avaient fait davantage d’exercice dans leur jeunesse avaient une meilleure mémoire. Une précédente recherche avait déjà montré que l’exercice physique stimule la croissance de nouvelles cellules cérébrales chez les humains. /

RÊVES

p. 19

Perception temporelle altérée Certains patients schizophrènes ne parviennent pas à percevoir et à anticiper le temps qui passe. Une étude française de l’Inserm a mis en évidence un lien entre fragilité de la perception du temps et troubles de la perception de soi. Les chercheurs veulent maintenant déterminer quelles sont les bases neurologiques de la prédiction temporelle. «En étudiant la source du problème, nous pourrons mieux comprendre l’origine des symptômes cliniques de la schizophrénie», soulignent-ils. /

ALIMENTATION

IE n° 2

IV n° 6

Trop de sommeil donne des cauchemars

4

Revers de la médaille végétarienne

SCIENCE PHOTO LIBRARY

Il existe un lien entre les nuits de plus de neuf heures et l’apparition de mauvais rêves. C’est la conclusion d’une étude sur les cauchemars menée par l’Université d’Oxford. Car dormir longtemps augmente la quantité de mouvements oculaires rapides, qui se produisent durant la phase de sommeil paradoxal, le moment où les cauchemars ont lieu le plus souvent. Autre conclusion: l’exercice physique et l’alcool n’influencent pas l’apparition de cauchemars. /

p. 19

Manger végétarien peut être dangereux pour le cœur et les artères, selon une étude de l’Université Harvard. En cause: la consommation d’aliments végétaux ultratransformés par l’industrie alimentaire, qui augmentent fortement la fréquence de maladies cardiovasculaires. Les chercheurs ont mené une vaste étude statistique en se penchant sur divers types d’aliments végétaux et leurs effets sur la santé, une approche inédite. /


POST-SCRIPTUM

GÉNÉTIQUE IE n° 6

Modification d’embryons humains

Ces souriceaux ont été conçus à partir d’un ovule développé dans un ovaire artificiel.

NORTHWESTERN UNIVERSITY

Une équipe de scientifiques de l’Oregon Health and Science University, aux États-Unis, est parvenue à modifier un gène responsable d’une grave maladie cardiaque dans des embryons humains. Ils ont utilisé les «ciseaux génétiques» CRISPRCas9, un outil qui permet de changer le génome. Conformément à la réglementation, le développement des embryons a été interrompu. Cette expérience ouvre la voie à de futures utilisations cliniques de CRISPR. /

MALADIES RARES IV n° 12

p. 19

Création d’une coordination nationale En Suisse, les principaux acteurs de la santé ont fondé une Coordination nationale des maladies rares. Son objectif est d’améliorer la prise en charge des patients atteints de ces pathologies. La coordination favorisera le partage de connaissances et participera à la composition de nouveaux réseaux d’institutions spécialisées et de centres de référence. Son action se concentrera sur le développement d’offres pour faciliter le diagnostic des maladies rares. /

5

INFERTILITÉ IV n° 11

p. 21

Ovaires artificiels en 3D Des chercheurs de l’Université Northwestern, à Chicago, ont créé des ovaires de synthèse en utilisant une imprimante 3D. Ils ont ensuite ajouté des follicules ovariens à ces organes artificiels, avant de les implanter chez des souris stérilisées. Les follicules se sont développés correctement et les souris ont pu produire des ovules, puis donner naissance à des souriceaux. L’équipe travaille désormais à la transposition de ces travaux à l’homme. /


Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-ups qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de «Health Valley». Dans chaque numéro de «In Vivo», cette rubrique s’ouvre par une représentation de la région. Cette carte a été illustrée par l’artiste polonais Nikodem Pręgowski.

IN SITU

HEALTH VALLEY Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.

ÉPALINGES P. 08

La start-up ADC Therapeutics vient de réaliser la plus importante levée de fonds en Europe depuis 2015.

NYON P. 12

NIKODEM PRĘGOWSKI

L’entreprise Ixxéo Healthcare s’est fait une spécialité de trouver un nom aux médicaments.

6


NEUCHÂTEL P. 08

La start-up 1Drop Diagnostics a été récompensée lors du Swisscom StartUp Challenge.

LAUSANNE P. 08

Une application utilise la reconnaissance faciale pour identifier le niveau de douleur des patients.

LAUSANNE P. 10

Des étudiants de l’IMD développent une pince anti-tremblement destinée aux malades de Parkinson.

7


IN SITU

HEALTH VALLEY

START-UPS ANALYSE

La start-up neuchâteloise 1Drop Diagnostics fait partie des lauréats du Swisscom StartUp Challenge. Sa technique détectant les biomarqueurs contenus dans une seule goutte de sang pour fournir des diagnostics rapides et peu invasifs a séduit le jury. Quatre autres start-ups ont été primées et ont été invitées à rencontrer des mentors à la Silicon Valley.

STÉRILISATION

La solution de stérilisation mise au point par Sterilux vient à nouveau d’être primée à l’occasion du Design Preis Schweiz. Cette start-up fondée par des alumni de l’EPFL développe une technologie qui utilise 10’000 fois moins d’eau que le processus de stérilisation traditionnel.

CHIRURGIE

KB Medical a été rachetée par le groupe américain Globus Medical, spécialisé dans la fabrication d’instruments pour les chirurgiens. La start-up qui développe un robot pour assister les chirurgiens dans leurs opérations devrait toutefois rester à Lausanne. Le montant de la transaction n’a pas été dévoilé.

Nouveaux anticorps contre les maladies neurodégénératives BIOPHARMACEUTIQUE L’entreprise lausannoise AC Immune a découvert des anticorps de nouvelle génération contre deux protéines cibles de la lutte contre les maladies neurodégénératives. Il s’agit de la protéine alpha-synucléine, responsable de la maladie de Parkinson, et de TDP-43, responsable de maladies orphelines comme la dégénérescence lobaire fronto-temporale et jouant un rôle important dans la maladie d’Alzheimer. La société cotée au Nasdaq mise sur le traitement des protéinopathies à l’origine des maladies neurodégénératives et développe des anticorps, des molécules et des vaccins dans ce but.

L’APPLICATION

SCRUTER LE MAL AVEC UN SMARTPHONE Utiliser l’intelligence artificielle pour décrypter l’intensité d’une douleur chez des personnes incapables de la décrire elles-mêmes, comme des enfants ou des personnes atteintes de démence. C’est le principe de l’application développée par l’australien ePat, qui s’appuie sur des technologies de reconnaissance faciale mises au point par la start-up lausannoise nViso. L’application devrait être commercialisée à la fin de 2017. En millions de dollars, le montant que vient d’engranger la start-up ADC Therapeutics, ce qui représente la plus importante levée de fonds réalisée en Europe depuis 2015. Basée au Biopôle d’Épalinges, l’entreprise développe de nouveaux traitements pour soigner les cancers du sang et de la moelle. Elle prévoit de commercialiser ses deux premiers médicaments, visant les cancers du système lymphatique, d’ici à 2020.

DIAGNOSTIC

2 Linkage Biosciences, spécialisée dans les diagnostics moléculaires, a été rachetée par la multinationale américaine Thermo Fisher. La start-up, en partie basée à Genève, a été intégrée à la division «Transplant Diagnostics», s’occupant de déterminer la compatibilité des donneurs et des receveurs avant et après l’opération.

8

«À l’avenir, les algorithmes dicteront les protocoles médicaux, au profit du patient.» XAVIER COMTESSE LE SPÉCIALISTE DE L’INNOVATION S’EXPRIMAIT DANS «BILAN» EN SEPTEMBRE 2017 À L’OCCASION DE LA SORTIE DE SON LIVRE «SANTÉ 4.0» (ÉDITIONS GEORG). L’AUTEUR ESTIME QUE LA NUMÉRISATION EN COURS DU SECTEUR MÉDICAL VA CONTRIBUER À AMÉLIORER LA QUALITÉ DES SOINS, TOUT EN DIMINUANT LES COÛTS.


IN SITU

HEALTH VALLEY

Comment la «Health Valley» séduit les start-ups La région lémanique peut compter sur un écosystème dynamique pour garder ses meilleurs entrepreneurs. STRATÉGIE Sur les 909 millions de francs de capital-risque investis en Suisse en 2016, plus de la moitié a été investie dans la «Health Valley». Et contrairement aux start-ups actives dans les technologies informatiques, dont les meilleures quittent régulièrement la Suisse pour les États-Unis, elles se plaisent ici. «Les start-ups dans le domaine médical ont normalement un ancrage régional plus important, car il leur faut souvent des appareils très pointus. Une entreprise qui développe des applications digitales peut délocaliser plus facilement, car elle a recours à moins de matériel», dit Claude Joris, secrétaire général de BioAlps, un cluster des sciences de la vie basé à Genève. Ainsi, dans sa base de données, l’association regroupe presque 700 sociétés de la Health Valley et seulement 20 ont été rayées de la liste ces dernières années – faillites incluses. Pourtant, quelques départs, comme celui de Biocartis – un spécialiste de la médecine personnalisée, fondé en 2007 à Lausanne et parti en Belgique quelques années plus tard –, montrent que le secteur n’est pas totalement à l’abri. Par exemple, l’emprise de l’argent étranger est important: 87% du capital-risque investi en Suisse vient d’ailleurs. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, mais il ne faut pas sous-estimer l’influence que certains grands investisseurs peuvent avoir sur la structure d’une jeune entreprise, comme l’explique Claude Joris. Selon l’expert, deux facteurs majeurs peuvent faire rester les start-ups. Premièrement, les collaborations: «Plus elles sont liées à des partenariats avec des acteurs locaux comme l’EPFL ou le CHUV, moins il sera facile de partir.» Il précise que la région lémanique est bien armée pour ce défi. «Ici, il y a une vraie convergence entre les technologies informatiques et le domaine médical, créant un environnement très dynamique et compétitif.» 9

TEXTE ROBERT GLOY

CI-DESSUS: «MASK», LE CASQUE DE RÉALITÉ VIRTUELLE DE MINDMAZE, ET CLAUDE JORIS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE BIOALPS

Un marché de plus en plus mature Plus important encore, le financement: «Les start-ups actives dans la biotech ou la pharmaceutique doivent valider plusieurs étapes avant de pouvoir commercialiser une application médicale. Elles ont donc besoin de fonds, qui peuvent aller jusqu’à plusieurs millions de francs assez rapidement», dit-il. Le message a été entendu par le conseiller fédéral Johann Schneider-Amman. Il est à l’origine de la Swiss Entrepreneurs Foundation, lancée en juillet 2017. L’objectif est de récolter 500 millions de francs auprès du secteur privé pour soutenir les jeunes entrepreneurs. Actuellement, plus de 300 millions ont déjà été mis à disposition par UBS, Credit Suisse ou encore l’assurance Helvetia. Deux autres fonds de capital-risque à destination des jeunes pousses helvétiques s’ajoutent à cette initiative: NanoDimension 3, qui sera doté de plus de 200 millions de francs et soutenu par Patrick Aebischer (l’ex-président de l’EPFL) ainsi que la nouvelle société de capital-risque genevoise Medicxi, qui veut investir 300 millions de francs dans le secteur des sciences de la vie ici. Pour Claude Joris, les croissances fulgurantes d’entreprises comme AC Immune, Sophia Genetics ou MindMaze dans l’écosystème de la Health Valley sont des signes très positifs. La dernière, en utilisant la réalité virtuelle et augmentée pour la réhabilitation neurologique pour les victimes d’AVC, est une des sociétés les plus en vue en ce moment, puisqu’elle a le statut de licorne (une valorisation à plus d’un milliard de dollars) depuis l’année dernière. «Le fait que MindMaze ait racheté récemment une autre start-up vaudoise, Gait Up, montre son implication au niveau local et est un signe d’un marché mature», se réjouit-il. ⁄


IN SITU

HEALTH VALLEY

3 QUESTIONS À

SANDY WETZEL

FORTES DE LA TRADITION HORLOGÈRE DU CANTON, LES START-UPS NEUCHÂTELOISES SE PROFILENT AUJOURD’HUI DANS LES MICRO ET NANOTECHNOLOGIES.

1

QUEL EST LA SPÉCIFICITÉ DE L’ÉCOSYSTÈME START-UP LOCAL?

La première, c’est son orientation très industrielle, reflet du tissu économique cantonal. Bon nombre de start-ups trouvent leur origine dans l’économie privée. Deuxièmement, leur domaine de compétence repose fortement sur le savoir-faire microtechnique de la région. C’est donc un écosystème très cohérent par rapport à son environnement. Mais il lui manque encore un peu de liant et de visibilité.

2

QU’EN EST-IL DES START-UPS ACTIVES DANS LE DOMAINE MÉDICAL?

Elles ont une vraie carte à jouer dans le «medical device». On peut par exemple citer Coat-X, gagnant du prix Neode* en 2015, qui développe des solutions d’encapsulation de microcomposants, notamment pour des implants médicaux, ou encore Novostia, qui met au point des valves cardiaques artificielles de nouvelle génération.

3

QUELS SONT VOS OBJECTIFS POUR 2018?

Tout d’abord, nous souhaitons établir un dialogue plus étroit avec les partenaires de R&D et les entreprises industrielles de la région. Ensuite, nous allons développer notre offre et notre méthodologie d’accompagnement de start-ups. Enfin, nous avons un gros travail à effectuer sur l’image et la communication, de manière à mettre davantage en lumière les compétences en matière d’innovation high-tech du canton de Neuchâtel. / Après avoir dirigé Y-Parc à Yverdon-les-Bains, Sandy Wetzel a repris cette année la direction du parc technologique et industriel neuchâtelois Neode. *La cérémonie de remise du Prix Neode 2017 aura lieu le 7 décembre. Informations et inscription gratuite (mais obligatoire) sur www.neode.ch.

10

L’OBJET

PINCE ANTITREMBLEMENT Croisement entre un gyroscope de caméra GoPro et un endoscope, cette pince anti-tremblement est destinée aux malades de Parkinson à un stade précoce ou aux personnes âgées. Son but: leur permettre de saisir un verre et de boire sans renverser – une situation gênante qui pousse en général ces patients à renoncer à leur vie sociale. La pince au bout de l’endoscope s’ouvre avec une simple pression de la main et s’adapte à n’importe quel diamètre de récipient, tandis que le gyroscope absorbe les mouvements indésirables. L’objet a été conçu par une équipe d’étudiants en MBA de l’IMD de Lausanne et fait partie des six projets finalistes du Challenge Debiopharm-Inartis 2017.

En millions de francs, le montant du partenariat conclu par Roche avec l’Université de Lausanne, le CHUV et l’EPFL pour développer des thérapies innovantes contre le cancer. Les recherches se focaliseront notamment sur l’oncologie et l’immunothérapie, l’imagerie et la thérapie moléculaire, et mettront un accent sur le microenvironnement tumoral.


A

IN SITU

L’hépatite virale passe fréquemment inaperçue mais peut prendre une forme chronique, causer une cirrhose ou un cancer, voire nécessiter une greffe de foie. Dépistage, interpellation et appel à vaccination, plusieurs initiatives poussent la population et les autorités à mieux y faire face.

Flambée d’hépatite A

Sur les six premiers mois de l’année, le nombre de cas d’hépatites A en Suisse a triplé par rapport à la même période en 2015, passant de 13 à 41, selon un rapport de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). La plupart des personnes touchées ont entre 25 et 44 ans, et la proportion d’hommes est trois fois supérieure à celle des femmes. L’OFSP a recommandé aux homosexuels, qui constituent un groupe à risque, de se faire vacciner. L’hépatite A est causée par un virus, transmis par l’absorption de matières fécales dans l’organisme, généralement par le biais de l’eau, d’aliments ou de contacts interpersonnels. Chez les adultes, elle cause une jaunisse dans 70% des cas et guérit d’elle-même, mais peut durer jusqu’à six mois.

B

L’HÉPATITE SOUS HAUTE SURVEILLANCE Dépistage de l’hépatite B et C Un dépistage gratuit de l’hépatite B et C a eu lieu pour la première fois en Suisse cet été, sous l’impulsion du réseau Hépatite Suisse. Selon cette association, environ 80’000 personnes vivent dans le pays avec l’une ou l’autre maladie, mais seulement la moitié en est consciente. Une transfusion de sang avant 1990, l’injection de drogue ou la réalisation de tatouages dans des conditions d’hygiène insatisfaisantes représentent les principaux facteurs de risque. L’hépatite B peut aussi se transmettre par des rapports sexuels non protégés, tandis que l’hépatite C concerne plus particulièrement les personnes nées entre 1950 et 1985, lorsque ce virus n’était pas encore identifié.

E

L’hépatite E sous la loupe

Suite à une interpellation du conseiller national Ignazio Cassis se préoccupant de l’augmentation du nombre de cas d’hépatite E au Tessin, le Conseil fédéral s’est penché sur l’évolution de cette maladie en Suisse et sur une éventuelle campagne de vaccination. Il a conclu que, malgré une probable tendance à la hausse du nombre de cas, et une estimation de 1500 cas d’hépatite E aiguë par an dans le pays, il n’y avait pas lieu de recommander de vaccination. L’infection se révèle la plupart du temps asymptomatique ou bénigne. Le virus de l’hépatite E se transmet en général par de l’eau potable souillée par des matières fécales, mais pourrait également se trouver dans des produits à base de foie de porc cru, comme la mortadelle. Un vaccin a été mis au point en Chine, mais n’a pas encore été homologué en Suisse.

C

Un cœur virtuel pour améliorer les diagnostics CMCS (PROF A.QUARTERONI) - EPFL, LAUSANNE

MATHÉMATIQUES Une modélisation individuelle du cœur sur ordinateur pourrait un jour aider les médecins à mieux diagnostiquer ou prévenir les maladies cardiaques sans qu’il soit nécessaire de pratiquer une intervention chirurgicale ou des gestes cliniques invasifs. Le chercheur de l’EPFL Alfio Quarteroni conçoit des outils mathématiques – à partir des images IRM de patients – pour simuler la fonction cardiaque avec une précision croissante, et pouvant être individualisés pour chaque cœur. Le projet s’inscrit dans le cadre du projet européen iHeart, dont le but est de construire des modèles virtuels du système cardiovasculaire spécifique d’un patient donné.

11


IN SITU

HEALTH VALLEY

ÉTAPE N° 13

NYON

SUR LA ROUTE

IXXÉO HEALTHCARE

Dans chaque numéro, «In Vivo» part à la rencontre des acteurs de la Health Valley. Nyon est la destination de cette édition.

De l’art du nom Nommer les médicaments est une étape délicate et cruciale. Ixxéo Healthcare, basée à Nyon, s’en est fait une spécialité. TEXTE: LÉANDRE DUGGAN

Chaque médicament possède trois noms. Le premier désigne son nom chimique, utilisé par les chercheurs. Le deuxième indique sa dénomination commune internationale, son nom générique. Le troisième définit sa marque, celle écrite sur l’emballage. Le fabricant la choisit. Mais le nom doit être approuvé par les autorités sanitaires. Les règles sont complexes: pas de confusion possible, ni de fausse promesse. À Nyon, Denis Ezingeard, dans le domaine du naming depuis une vingtaine d’années, a fondé l’entreprise Ixxéo Healthcare en 2007. Chaque année, entre quatre et huit groupes pharmaceutiques se tournent vers lui pour nommer leur médicament. Le processus est un exercice long et délicat. Entre le début du projet et le lancement du produit, il peut s’écouler jusqu’à trois ans. La pilule bleue, par exemple. Son nom chimique n’est compréhensible que par les initiés. Sa dénomination générique est le «citrate de sildénafil». Il est pourtant 12

largement connu par son nom commercial, le Viagra. Il a été trouvé par Arlene Teck, associée à Ixxéo. «Le client voulait un symbole de la puissance masculine pour ce médicament destiné à contrer la dysfonction érectile», explique Denis Ezingeard. Une analogie d’une fonction masculine est faite avec les chutes du Niagara. Le mot ‘vigor’, ’énergie’ en latin, la virilise. Au ‘Viagara’ présenté en premier, les créatifs de l’entreprise ont décidé de supprimer le deuxième ‘a’. Pour faire plus dur. Moins harmonieux. Entre 2’000 et 4’000 noms sont candidats au départ du processus. «Une idée de nom peut créer une dizaine de clones.» Environ dix noms feront l’objet d’une étude de marché, et seulement trois ou quatre seront retenus pour le choix final. «Plus que de la création, mon métier consiste à éliminer ceux qui ne passeront pas la rampe, remarque Denis Ezingeard. Pour garantir qu’ils résisteront aux autorités sanitaires et leurs règles complexes.» Le naming, «une science et un art». ⁄


BENOÎT DUBUIS Ingénieur, entrepreneur, président de BioAlps et directeur du site Campus Biotech

Les programmes de soutien doivent s’adapter à la diversité des projets entrepreneuriaux.

La Suisse n’assumerait-elle plus sa diversité? À chaque fois qu’un jugement péremptoire est porté sur l’un ou l’autre des programmes de soutien à l’innovation ou que quelqu’un s’interroge sur la valeur de telle ou telle initiative, je suis surpris par la chétivité tant de l’argumentation que de la connaissance de ces programmes par mes interlocuteurs. Paresse, parti pris, absence de distance de jugement, volonté irréductible de défendre son «bébé»? Soyons clairs! La diversité est une chance tant pour notre pays que pour les entrepreneurs qui attendent de lui un soutien. Car la question est bien là: quels sont les véritables besoins des entrepreneurs suisses aujourd’hui? Par définition, les besoins sont aussi variés que les projets et que leurs porteurs ont des situations dissemblables. À vouloir trop calibrer l’offre, nous oublions la diversité des attentes et finalement nous ne nous adresserons qu’à une minorité d’initiatives ni plus ni moins adaptées à la réalité entrepreneuriale.

Qu’y a-t-il de résolument nouveau dans l’idée de chercher à répondre à un besoin de la manière la plus simple et efficiente possible en utilisant un minimum de moyens? N’est-ce pas la motivation première de tout entrepreneur, qui apprend à régater tout en cherchant du financement, et qui utilise son carburant avec la parcimonie la plus stricte? Une révolution? Non, tout au plus une idée fondamentale intéressante à remettre au centre du débat de l’innovation, dans la mesure où cela ne devient pas un cas général. Des propos illustrés avec brio par Carlos Ghosn avec le principe de l’automobile low cost, un concept proche du Jugaad indien intellectuellement attrayant. L’innovation frugale suffit-elle pourtant à justifier à elle seule l’avènement d’une nouvelle économie? Non! D’ailleurs en creusant le sujet avec son auteur Navi Radjou, il reconnaît lui-même qu’il s’agit d’une approche, une approche parmi tant d’autres qui font la diversité et la force de la nouvelle économie. Et ce qui est vrai pour les démarches liées à l’innovation l’est également pour les outils de soutien: incubateurs, accélérateurs, verticaux, horizontaux, de durées variables, de contenus différents, aucun ne répond aux attentes de toute la population entrepreneuriale, tous concourent à soutenir des besoins précis, incarnés par des entrepreneurs qui ont des capacités de financement, de disponibilité et des formations et expériences très variables.

Je m’amuse d’ailleurs à découvrir les dizaines de démarches qui s’efforcent de définir l’avenir de l’innovation, toutes aussi intéressantes prises individuellement et pourtant toutes aussi éloignées d’un cas général. Parmi elles, la nouvelle Plutôt que de formater ces aides, ne serait-il pas plus mode de «l’innovation frugale». Il s’agit d’une sage de promouvoir de véritables complémentarités et démarche consistant à répondre à un besoin de la synergies afin que chacun puisse choisir l’environnement manière la plus simple et efficace possible en qui lui permettra de s’épanouir et de réussir? Une utilisant un minimum de moyens. mosaïque est belle non parce que chacune des pièces est la même, mais parce que chacun de ses éléments est unique. ⁄ EN SAVOIR PLUS

DR

www.bioalps.org www.republic-of-innovation.ch

13


IN SITU

GLOBE

IN SITU

AUTOUR DU GLOBE Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales à travers le monde.

-52,4%

Chute de la concentration de spermatozoïdes chez les hommes occidentaux entre 1973 et 2011. Ce chiffre provient d’une méta-analyse de 185 études portant sur 43’000 hommes en Amérique du Nord, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

L’OBJET

PATCH CONTRE LA GRIPPE Des chercheurs de l’Institut de technologie de Géorgie et de l’Université Emory, aux États-Unis, ont développé un patch pour vacciner contre la grippe. De la taille d’une pièce de monnaie, il comprend un support adhésif et 100 micro-aiguilles de 650 micromètres de long. Les pointes, qui renferment le vaccin, se dissolvent sur la peau. Cette solution se profile comme alternative à la vaccination par injection intramusculaire. En 2012, une recherche canadienne avait révélé que les seringues effrayent deux tiers des enfants et un quart des adultes. Un adulte sur 12 ne respecterait pas les recommandations vaccinales en raison de cette crainte.

Détecter les cellules cancéreuses en temps réel ONCOLOGIE À l’heure actuelle, il faut souvent plusieurs jours aux laboratoires pour analyser la présence de cellules cancéreuses dans un échantillon prélevé pendant une intervention chirurgicale. Des ingénieurs de l’Université du Texas ont développé une sonde manuelle de petite taille, comparable à un stylo, qui permet de détecter les cellules cancéreuses dans les tissus en dix secondes. Grâce à cette innovation, les médecins peuvent savoir immédiatement s’ils ont bien enlevé la totalité d’une tumeur. Des tests en salle d’opération débuteront en 2018.

14

«Des adolescents en bonne santé sont la clé de sociétés durables.» TEDROS ADHANOM GHEBREYESUS LE NOUVEAU DIRECTEUR DE L’OMS EST ENTRÉ EN FONCTION ER LE 1 JUILLET 2017. IL A SUCCÉDÉ À MARGARET CHAN, QUI OCCUPAIT CE POSTE DEPUIS LE 1ER JANVIER 2007.


HEALTH GLOBE VALLEY

SCIENCE PHOTO LIBRARY

IN SITU

DES PEURS ANCESTRALES ÉTUDE La phobie des araignées et des serpents constitue un mécanisme de défense inné à l’homme. C’est la conclusion d’une étude menée par des chercheurs de l’Université de Vienne, de l’Institut Max-Planck (Leipzig) et de l’Université d’Uppsala (Suède). Au cours de leurs expériences, les scientifiques ont présenté des dessins de fleurs, de serpents et d’araignées à des enfants de 6 mois, tout en mesurant l’état de dilatation de leurs pupilles, révélateur de leur niveau de stress. Les auteurs estiment que cette réaction instinctive face à des animaux dangereux pourrait avoir été ancrée dans le cerveau humain il y a très longtemps.

IO CT

N

LE SÉ O LA VIV IN The Distracted Mind

30 histoires insolites qui ont fait la médecine

ADAM GAZZALEY ET LARRY ROSEN MIT PRESS, OCTOBRE 2017

JEAN-NOËL FABIANI PLON, 2017

Cet ouvrage se penche sur l’impact des nouvelles technologies sur le comportement. Il explique pourquoi le cerveau humain n’est pas conçu pour mener de nombreuses tâches en même temps – lire un e-mail, répondre à un sms, vérifier son Facebook. Et propose des pistes pour mieux vivre dans un monde en pleine digitalisation, sans abandonner les technologies modernes.

Le chirurgien et historien de la médecine Jean-Noël Fabiani raconte 30 histoires insolites qui ont marqué la discipline. On y rencontre le médecin Ignace Semmelweis vilipendé lorsqu’il supplie ses confrères de se laver les mains pour éviter les maladies contagieuses, ou encore Hippocrate écrivant une profession de foi que les médecins répètent encore plus de deux mille ans plus tard.

12 jours

Grand bien vous fasse

DOCUMENTAIRE DE RAYMOND DEPARDON EN SALLE EN NOVEMBRE 2017

FRANCE INTER DU LUNDI AU VENDREDI À 10H05

Le grand documentariste français Raymond Depardon suit les patients d’un hôpital psychiatrique internés sans leur consentement lors de leur confrontation avec le magistrat qui décidera de leur avenir. Présenté hors compétition au Festival de Cannes, le film a remporté les faveurs des critiques, qui le qualifient de «magnifique et implacable». LES LIE

15

Cette émission radiophonique quotidienne animée par Ali Rebeihi aborde des questions de société, de psychologie et de santé, avec la participation de spécialistes. Parmi les sujets traités récemment, on trouve les insomnies, la peur de l’avion ou encore les désillusions de la vie étudiante. Également disponible en podcast.

R OS S U S VIDÉ S E T LE OM 0 E .C U E IQ IN N Z CHRO MAGA S LE S NVIVO N S VE R WWW.I


IN SITU

LE CANCER DU SEIN VISUALISÉ SUR INTERNET Cette image a été créée à partir de messages contenant le mot clé #breastcancer (cancer du sein en anglais, ndlr) publiés sur le réseau social Twitter. Chaque auteur d’un «tweet» est identifié par un point, tandis que les lignes symbolisent les interactions entre les différents internautes. Au total, ce sont 92’915 tweets qui ont été compilés durant une période de huit semaines par trois scientifiques du Royal College of Surgeons (Irelande). Leur travail a été récompensé lors des Welcome Image Awards 2017, un concours consacré aux meilleures images issues du monde scientifique. WELLCOME IMAGES

16

GLOBE


IN SITU

17

GLOBE


L’INFORMATION EN CONTINU Tout savoir sur les Sciences de la vie et l’innovation. Des rubriques pour vous: Agenda, Innovation, People, Science, etc. L’actualité de nos entreprises, de nos hautes-écoles, de nos organismes de soutien à l’innovation sur un seul site.

D republic-of-innovation.ch

“The joys of discovery are made all the richer when shared. Learn about innovation and experience that goes beyond everyday lives.” BENOIT DUBUIs Founder BioAlps, Eclosion, Inartis

“Republic of Innovation, un site instructif, intelligent, ouvert et très facile à lire. C’est un vrai plaisir, en plus d’être une véritable aide.”

wzart consulting

ThIERRy MAUvERNAy Delegate of the Board Debiopharm Group

REPUBLIC OF INNOVATION


FOCUS

BACTÉRIES

LES BACTÉRIES, NOS MEILLEURES ENNEMIES /

Le corps humain contient 2 kilos de bactéries. Si la plupart ont un effet bénéfique pour la santé, certaines d’entre elles provoquent de graves infections pouvant conduire au sepsis, ou mutent en «superbactéries» résistantes aux antibiotiques. Amies ou ennemies: comment traiter les bactéries?

/ PAR

CRAIG WARD

MARISOL HOFMANN ET STÉPHANIE DE ROGUIN

L’artiste britannique Craig Ward a sillonné les 22 lignes de métro de la ville de New York durant l’été 2015 pour récolter des échantillons de bactéries. Il en a tiré une série d’images qui montrent la complexité de l’écosystème d’une ville comptant des millions d’habitants. 19


L

FOCUS

BACTÉRIES

es bactéries ont contribué à façonner notre planète telle qu’on la connaît. On les retrouve à peu près partout: sur les poignées de porte, dans les grands fonds marins et naturellement sur notre corps. Presque aussi nombreuses que nos cellules, elles se comptent par milliards dans l’organisme humain, fonctionnant comme un organe à part entière. Si la plupart sont essentielles pour la santé, toutes les bactéries ne sont pas nos alliées. Certaines, dites pathogènes, causent en effet des maladies infectieuses, qui peuvent aller de la simple angine au choc septique mortel.

Pendant longtemps, les antibiotiques ont représenté un moyen efficace de lutte contre les bactéries pathogènes. Leur utilisation abusive a toutefois contribué au développement de «superbactéries» multirésistantes. En début d’année, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a tiré la sonnette d’alarme: ces superbactéries pourraient tuer jusqu’à 10 millions de personnes par an d’ici à 2050, soit autant que le cancer. Face à cette urgence, plusieurs solutions alternatives intéressent les scientifiques, dont la phagothérapie. Découverte il y a un siècle, avant d’être délaissée au profit des antibiotiques, cette méthode semble à nouveau prometteuse (voir encadré en p. 27).

LES BACTÉRIES

«Les bactéries ont des fonctions métaboliques. Par exemple, elles dégradent par fermentation des résidus alimentaires non digestibles (fibres), de manière à Dès la naissance, les bactéries co- absorber les composants utiles à l’organisme. Elles lonisent notre corps, constituant peuvent également produire des substrats énergéce que l’on appelle le microbiote. tiques comme les acides gras ou les vitamines K et «La composition de la flore bacté- B12», détaille le chercheur. Les bactéries permettent rienne change passablement au également de stimuler le système immunitaire et cours des trois premières années. d’augmenter les résistances de l’organisme. Un microElle se stabilise ensuite jusqu’à organisme pathogène – champignon ou bactérie – devra lutter contre la flore locale ressembler au microbiote que pour coloniser le milieu. Ces bacl’on retrouve chez un adulte», CHIFFRES téries de la flore endogène sont, commente Vladimir Lazarevic, pour ainsi dire, nos alliées. du Laboratoire de recherche génomique des Hôpitaux universiMais il existe aussi des bactéries taires de Genève (HUG). Plus Le nombre de bactéries qualifiées de «pathogènes» pour tard, d’autres changements liés à présentes sur notre peau l’être humain, soit des bactéries l’affaiblissement du système im/ qui peuvent potentiellement démunitaire et aux modifications velopper une maladie. «Sur les d’habitudes alimentaires se pro13’000 espèces bactériennes scienduisent chez les personnes âgées. tifiquement reconnues, environ 150 ont été répertoriées comme Chaque individu possède son En pour-cent, la probabilité de nous pathogènes pour l’homme», relève propre microbiote, selon l’enviidentifier grâce à notre microbiote Vladimir Lazarevic. Les plus ronnement dans lequel il vit et intestinal, selon une étude de l’École connues sont les staphylocoques, de santé publique de Harvard son alimentation. Les bactéries les streptocoques, Clostridium corporelles se logent principa/ difficile, ou les entérobactéries lement sur la peau ou dans les comme les salmonelles ou Eschemuqueuses, soit dans l’appareil richia coli. digestif, respiratoire ou uro-génital. Ces hôtes du corps humain traC’est le nombre estimé «Si ces bactéries réussissent à vaillent en symbiose avec l’orgade bactéries existantes s’installer et à envahir le milieu, nisme, dans lequel elles trouvent elles vont causer des désordres des nutriments et un environnement favorable à leur croissance et à leur survie. Selon au sein de l’organisme, explique Thierry Calandra, Vladimir Lazarevic, le tissu intestinal et le système chef du Service des maladies infectieuses au immunitaire ne se développent pas normalement en CHUV. La maladie infectieuse est la manifestation de cette rencontre entre un agent pathogène et l’orl’absence de cette flore bactérienne.

AMIES OU ENNEMIES?

1’012

86

60’000

20


FOCUS

BACTÉRIES

«UN EFFORT D’INFORMATION RESTE À FAIRE» Le sepsis, anciennement appelé septicémie, est un dysfonctionnement de l’organisme en réponse à une infection. Thierry Calandra détaille les mesures nécessaires pour limiter les risques posés par cette affection aussi grave que méconnue. des campagnes d’information et de sensibilisation. La problématique des sepsis est devenue une priorité pour l’Organisation mondiale de la santé, qui a adopté une résolution pour favoriser sa reconnaissance.

P

PROPOS RECUEILLIS PAR

MARISOL HOFMANN

Quelles mesures peuvent être prises au niveau hospitalier? tc Il est essentiel d’éduquer les paramédicaux comme les ambulanciers ou autres services d’intervention afin qu’ils soient capables de reconnaître rapidement un état septique. Au CHUV, il existe des formations générales au niveau des différentes unités, mais ce point devrait être abordé de manière plus spécifique. Afin de réduire le risque de mortalité et de séquelles graves, il faudrait également mettre en place des centres ou des unités spécialisées pour la prise en charge rapide des patients. Le temps d’intervention à l’hôpital se compte en heures. La Surviving Sepsis Campaign a par ailleurs élaboré des recommandations de mesures à prendre dans les trois heures qui permettent de réduire le risque de mortalité.

rès de 31 millions de cas de sepsis sont dénombrés chaque année au niveau mondial. En Suisse, le Service d’urgence du CHUV a recensé près de 400 cas de sepsis lors d’un comptage effectué en 2012. Chef du Service des maladies infectieuses au CHUV, Thierry Calandra insiste sur l’importance d’améliorer les connaissances du public sur le sujet.

Le nombre de cas de sepsis augmente. Pourtant cette pathologie reste méconnue du public. Quelle est la situation en Suisse? thierry calandra Nous avons du retard par rapport à d’autres pays comme l’Allemagne, qui a mené de nombreuses campagnes d’information. Il est urgent de disséminer les notions de ce qu’est un sepsis pour identifier les symptômes plus précocement. Une étude concernant la connaissance du sepsis a été menée auprès de la population in vivo

21

de différents pays il y a quelques années. L’Allemagne arrive en tête avec 50% de personnes ayant entendu parler des sepsis. En Angleterre, ce taux s’élève à 40%, 20% en Suède et 7% au Brésil. En Suisse, la situation doit ressembler à celle en Suède. Un effort d’information doit être fait. Qu’est-il envisagé pour améliorer cette situation? tc Il faudrait mettre sur pied des structures adéquates comme des associations ou groupes, incluant des personnes ayant souffert de sepsis, pour mener iv

THIERRY CALANDRA EST CHEF DU SERVICE DES MALADIES INFECTIEUSES AU CHUV.

LAURIANNE AEBY

iv


BACTÉRIES LAURIANNE AEBY

FOCUS

«CHAQUE MINUTE COMPTE»

Dominique Loosli est rescapée d’un sepsis contracté il y a sept ans. Aujourd’hui, elle accompagne des malades dans leur processus de guérison. «En juillet 2010, je passais un week-end dans les Grisons avec mon mari. Le samedi soir, nous sommes allés manger dans un très bon restaurant. Je me suis réveillée à 5h du matin avec de la fièvre et des vomissements violents. Le médecin du village m’a donné de quoi me soulager pour rentrer à la maison. Lundi, la fièvre n’avait pas diminué. Mon mari a insisté pour qu’on se rende aux urgences, lui qui n’y avait jamais mis les pieds de sa vie! Là, on m’a fait une prise de sang. Le diagnostic est tombé: sepsis. On m’a placée en coma artificiel, j’y suis restée cinq semaines. On me donnait alors 20% de chances de survie. Je me suis réveillée aux soins intensifs avec une paralysie totale. Je ne reconnaissais pas mes enfants, l’anesthésie avait impacté ma

22

mémoire. C’était une période très dure. Pendant un mois, je me suis déplacée en fauteuil électrique. Je ne supportais pas les antibiotiques qu’on me donnait, j’ai fait une neutropénie (un trouble du système sanguin, ndlr). Je me trouvais toujours en danger de mort. C’est là que mon corps a commencé à reprendre le dessus: j’ai pu bouger un orteil, puis manger un peu. Il a fallu réapprendre chaque geste. Aujourd’hui encore, je n’ai pas complètement récupéré la motricité fine de la main droite. Le pire, c’est de lacer des chaussures! Au total, il m’a fallu trois mois pour retrouver mes fonctions majeures, cinq mois pour sortir de l’hôpital, deux ans pour me sentir bien. J’ai recommencé à travailler en janvier 2011. L’entreprise dans laquelle j’étais employée avait été totalement réorganisée. Je ne connaissais presque plus personne, il y avait peu d’égards pour moi. Et puis, après avoir vécu une pareille expérience, notre échelle de valeurs

change, les plaintes des autres nous paraissent futiles. Les démarches administratives étaient lourdes. J’avais tout le temps à rendre des comptes, à l’assurance maladie, à mon employeur ou à l’Assurance Invalidité. Le sepsis reste très peu connu. Je travaille depuis cinq ans maintenant au Centre de paraplégie, en tant que pharmacienne hospitalière. J’accompagne de plus des patients qui sortent d’un sepsis. Je collabore également avec un centre en Allemagne destiné aux survivants de la maladie, qui m’avait aidée à l’époque. Personne ne peut expliquer pourquoi certains s’en sortent et d’autres non. Le choc septique, stade ultime de la maladie, provoque une accélération du rythme cardiaque importante. Mon cœur a tenu à 260 battements par minute. J’ai également eu de la chance que le diagnostic ait été posé rapidement. Avec cette maladie, chaque minute compte.»


FOCUS

BACTÉRIES

ganisme de l’hôte.» Toutefois, la présence d’une bactérie pathogène dans le corps n’ implique pas forcément une réaction. «On trouve par exemple des staphylocoques dans le nasopharynx de certains hôtes sans qu’ils soient pour autant malades», note Vladimir Lazarevic.

LE SEPSIS

UNE AFFECTION GRAVE EN AUGMENTATION Les maladies infectieuses vont des petites infections bénignes localisées, comme la cystite ou l’angine, à des maux plus graves, voire mortels. Le degré d’infection le plus important est représenté par le sepsis. Il s’agit d’une réponse inflammatoire généralisée du malade à une infection sévère. Selon l’OMS, le sepsis est une cause majeure de morbidité et de mortalité maternelles et néonatales dans les pays à faible revenu. Mais il touche aussi des millions de patients dans les hôpitaux des pays à revenu élevé, où l’on observe un accroissement rapide du nombre de cas, lié au vieillissement de la population et à l’augmentation du nombre de patients immunodéficients. Les bactéries les plus connues provoquant les sepsis sont les streptocoques, les staphylocoques, les entérobactéries et les Pseudomonas. Un sepsis peut se développer à partir de n’importe quelle infection systémique sévère, et plusieurs schémas sont possibles. Le sepsis peut être dû à une réponse tardive de l’hôte à une infection que le système immunitaire n’a pas reconnu tout de suite. L’infection prend alors de telles proportions que l’organisme n’arrive plus à l’arrêter. Dans un autre cas de figure, «l’hôte peut produire une réaction si violente en présence d’une infection qu’elle devient délétère pour l’organisme», détaille Thierry Calandra. Ces réactions inflammatoires excessives peuvent entraîner des défaillances d’organes et provoquer de graves séquelles: perte de membres, lésions pulmonaires ou rénales et troubles neurologiques ou de motricité. Le choc septique constitue la manifestation la plus sévère d’un sepsis. Il est notamment caractérisé par une tension artérielle qui chute de manière importante et un arrêt de l’irrigation des organes par le 23

UN GRAND NOMBRE D’ENFANTS CONTRACTENT DES SEPSIS À L’HÔPITAL Plusieurs millions d’enfants dans le monde entier meurent chaque année de sepsis. En Suisse, un enfant par jour en moyenne contracte une infection potentiellement mortelle. C’est ce que révèle une étude nationale menée pendant quatre ans par les dix plus grands hôpitaux pédiatriques de Suisse, dont le CHUV. Les résultats ont été publiés le 20 juillet 2017 dans la revue spécialisée «The Lancet Child & Adolescent Health». Une grande partie de ces infections sont contractées à l’hôpital: «Suite à l’étude menée par le Swiss Pediatric Sepsis group, nous avons constaté que sur 1’181 cas d’infections du sang relevées, 32% ont affecté des enfants précédemment sains, 34% des nouveau-nés et 34% des enfants avec comorbidités sous-jacentes», commente Sandra Asner, responsable de l’Unité d’infectiologie et de vaccinologie pédiatrique au CHUV. La spécialiste a participé à l’enquête, pour la partie traitant des pneumocoques. «Le tiers des infections acquises à l’hôpital concernent principalement les enfants sous chimiothérapie dont le système immunitaire est atteint, ceux qui se trouvent aux soins intensifs ou encore les prématurés. Ces trois groupes sont particulièrement à risque d’un sepsis de par leurs séjours fréquents à l’hôpital et de par l’utilisation de cathéters, qui sont des facteurs de risque pour contracter une infection.»

LEXIQUE MICROBIOTE Ce terme désigne l’ensemble des micro-organismes (levures, bactéries, virus), non visibles à l’œil nu, situés dans un environnement spécifique (peau, intestins, bouche, etc.). MICROBE Il s’agit d’un organisme vivant invisible à l’œil nu. Le terme regroupe différentes formes de vie dont les bactéries, les champignons ou les algues unicellulaires. Certains y incluent également le virus, qui n’est cependant pas considéré comme vivant par l’ensemble de la communauté scientifique. BACTÉRIE Organisme vivant microscopique constitué d’une unique cellule et dépourvu de noyau. Les bactéries sont les premières formes de vie apparues sur Terre il y a près de 3,5 milliards d’années. VIRUS Cette particule microscopique infectieuse nécessite un hôte, en principe une cellule, pour se reproduire et survivre. Il peut ainsi être considéré comme parasite. Le débat sur la nature des virus, à savoir s’il est vivant ou non, reste ouvert.


FOCUS

BACTÉRIES

UNE BIOPUCE POUR DIAGNOSTIQUER LE SEPSIS Une équipe de l’Université de l’Illinois (USA) a mis au point une biopuce permettant, à partir d’une goutte de sang, de diagnostiquer un sepsis. Comme la maladie tarde souvent à être diagnostiquée, les chercheurs ont développé un dispositif permettant de compter les leucocytes et de mesurer la présence du marqueur CD64 à la surface des neutrophiles (un type de globule blanc). Ces deux éléments constituent en effet des signaux forts du sepsis. Le petit dispositif a été testé afin de vérifier sa fiabilité. Les résultats sont parus dans la revue «Nature Communications» cet été.

Les différents types de bactéries Les bactéries sont habituellement classées en fonction de deux caractéristiques: leur forme et l’épaisseur de leurs parois cellulaires. Les formes principales:

Coccus

Un streptocoque

est constitué d’une chaîne de cocci

Un staphylocoque est constitué d’un amas de cocci

Bacilli

Spirille

La borrelia, provoquant

la maladie de Lyme, est transmise par la morsure d’une tique infectée

Vibrion

24

PAROI CELLULAIRE ÉPAISSE OU MINCE? Pour déterminer ce paramètre, les scientifiques utilisent des colorants. Les bactéries à paroi épaisse deviennent alors bleues ou pourpres. On parlera de bactéries à Gram positif. En revanche, les bactéries à paroi mince deviennent roses ou rouges lorsqu’elles sont colorées, désignées alors comme bactéries à Gram négatif.

sang. Selon l’expert, 10% des patients atteints de sepsis en meurent, un taux de décès qui monte à près de 40% en cas de choc septique. Si les personnes immunodéficientes sont plus à même de développer un sepsis, Thierry Calandra avertit: «Le fait d’être jeune et en bonne santé ne protège pas des failles de notre système immunitaire. Si vous avez la malchance de croiser la bactérie qui est capable de passer au travers de votre bouclier, vous risquez de développer un sepsis.» Le spécialiste prévient en outre qu’il n’est pas toujours aisé de détecter les premiers symptômes de ce mal, qui peuvent ressembler au début à un état grippal. «Il faut rapidement consulter son médecin ou un service d’urgence lors de la survenue de gros frissons ou d’une fièvre élevée qui s’accompagnent d’un malaise général et d’une altération de l’état de conscience, car ce sont des signes évocateurs d’un sepsis.»

LES SUPERBACTÉRIES

UN PHÉNOMÈNE QUI INQUIÈTE LA PLANÈTE

De nos jours, le moyen le plus courant pour traiter les infections bactériennes demeure l’antibiotique. Généralisé après la Deuxième Guerre mondiale, il représente l’un des progrès thérapeutiques majeurs du XXe siècle. «Les antibiotiques possèdent un spectre d’action. Certains ont des “trous” dans leur spectre et ne se révèlent pas efficaces contre toutes les bactéries. Les antibiotiques à large spectre sont, quant à eux, capables de tuer la croissance d’un grand nombre de bactéries appartenant à différentes classes», explique le chef du Service des maladies infectieuses du CHUV. Les antibiotiques ne font donc pas la différence entre les bactéries bénéfiques et les néfastes. C’est la raison pour laquelle la prise d’antibiotiques peut mener à des effets secondaires. «Ils peuvent, par exemple, déséquilibrer la flore digestive et causer des diarrhées», remarque Thierry Calandra. Les antibiotiques ont permis de faire reculer considérablement la mortalité dans le monde entier. Sans eux, certaines opérations chirurgicales telles que les transplantations cardiaques ne seraient pas possibles. Mais leur succès s’accompagne aussi d’une augmentation des cas de résistance aux antibiotiques, observée depuis plusieurs années. Selon


FOCUS

BACTÉRIES

ANTIBIOTIQUES: DES ALLIÉS PRÉCIEUX CONTRE LES BACTÉRIES Fabrication d’antibiotiques Des champignons microscopiques sont soumis à un processus de fermentation.

Les antibiotiques détruisent ou bloquent la croissance des bactéries à travers quatre actions.

1

Paroi fragilisée

2

ADN déréglé

I

Sélection Une souche de microorganisme est placée dans un récipient contenant des nutriments favorisant sa croissance.

II

Fermentation Le résultat est ensuite placé dans un récipient plus grand qui est brassé et alimenté en air stérilisé pour garantir son développement.

Filtrage Après trois à cinq jours, le bouillon de culture est soumis à divers procédés pour isoler l’antibiotique, qui est récupéré sous une forme poudreuse.

3

Arrêt de la synthèse des protéines.

4 IV

Raffinage Pilules, gélules ou sérums: les antibiotiques peuvent être commercialisés sous une variété de formats. 25

Membrane perméable, dispersion des composés cellulaires.

INFOGRAPHIE: BENJAMIN SCHULTE

III


FOCUS

BACTÉRIES

«La phagothérapie peut être une solution quand on se trouve dans une impasse thérapeutique»

Christophe Novou a été sauvé de l’amputation grâce à une phagothérapie. Il raconte.

En 2011, les douleurs sont réapparues. Un staphylocoque a été à nouveau dépisté. Je suis tombé d’une échelle en aidant une amie à monter des étagères. Nouvelle fracture, qui s’infecte. J’ai alors subi sept opérations chirurgicales en deux ans et demi. En juin 2013, on m’annonce que la seule solution consiste en une amputation depuis la hanche. Je n’ai pas voulu m’y résigner.

26

Ma belle-sœur me signale alors un reportage télévisé qui évoque un traitement basé sur la phagothérapie s’étant montré efficace sur un malade dans une situation similaire à la mienne, Serge Fortuna. Cofondateur de l’association Les phages du futur, ce dernier organise alors un voyage en Géorgie pour faire soigner d’autres malades. Le départ est fixé un mois plus tard. En organisant un appel aux dons, je réunis 5’000 euros, sur les 8’000 nécessaires pour partir à Tbilissi. Là-bas, on me détecte cinq bactéries multirésistantes, et non pas deux comme en France. J’entame mon traitement de phages. Après quinze jours, le médecin me dit que je peux rentrer en France. J’ai pensé: ça ne sert à rien que je reste là plus

longtemps. Mais non, j’étais tout simplement guéri! La phagothérapie n’est pas un remède miracle, elle ne marche pas à chaque fois. Mais elle constitue une solution quand on se trouve dans une impasse thérapeutique, et elle ne présente pas d’effets secondaires. Avec mon association (www.phages-sans-frontieres.com, ndlr), nous avons déjà aidé et sauvé près de dix personnes. Je me bats et milite pour que la phagothérapie soit introduite en France. Personne n’y connaît ce terme, alors que la méthode a été inventée il y a un siècle. Ce n’est pas normal que l’on doive aller se faire soigner à l’étranger.»

LAURIANNE AEBY

«À l’âge de 10 ans, j’ai été renversé par une voiture. Cet accident a provoqué une fracture du fémur ainsi qu’un traumatisme crânien. Je vivais alors en Côte d’Ivoire. J’ai été opéré sur place, dans des conditions assez rudimentaires. Quand je suis rentré en France, on m’a détecté une infection due à un staphylocoque doré, ainsi que ce que l’on appelait la «maladie du verre»: les os décalcifiés, fragilisés. J’ai connu plusieurs curetages, j’étais sans cesse sous antibiotiques, avec des succès épisodiques. En 1998, après un dernier curetage, ma jambe s’est révélée assez solide. J’ai commencé à mener une vie normale, pratiquant la moto et des sports de combat.


FOCUS

BACTÉRIES

l’OMS, ce phénomène constitue même aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale. On estime ainsi à 700’000 le nombre de décès causés annuellement par des agents pathogènes résistants. En début d’année, une patiente est décédée aux États-Unis après avoir été infectée par une bactérie multi-résistante, et ce malgré la prise d’une vingtaine d’antibiotiques. La bactérie peut devenir résistante à un antibiotique par mutation dans son génome ou par acquisition de gènes de résistance provenant d’une autre bactérie. «Certaines mutations augmentent l’expression des pompes à efflux, soit un mécanisme par lequel les cellules rejettent à l’extérieur des composés toxiques comme les antibiotiques, précise Vladimir Lazarevic. D’autres mutations empêchent l’entrée de l’antibiotique dans la cellule ou encore changent la structure de la cible de l’antibiotique.» La pression sélective exercée par l’antibiotique administré conduit à la survie et à la multiplication de la souche résistante.

LES PHAGES

DES ALTERNATIVES AUX ANTIBIOTIQUES TESTÉES CLINIQUEMENT Que faire alors lorsque les antibiotiques ne se révèlent plus suffisants? «Lorsque l’infection est localisée, il est possible de recourir à une opération chirurgicale, remarque Thierry Calandra. Dans le cas d’une tuberculose résistante à tous les antibiotiques, par exemple, il est possible d’ôter la partie du poumon infectée.» Une autre alternative connue est la phagothérapie, qui consiste en l’utilisation de phages, des virus naturels qui n’infectent que les bactéries. «Le virus se fixe à la surface de la bactérie, y injecte son matériel génétique afin de se reproduire, explique Grégory Resch, directeur de projet au Département de microbiologie fondamentale de l’Université de Lausanne (UNIL). Puis, afin de pouvoir sortir, les nouveaux phages vont faire exploser la bactérie.» Ce traitement a été découvert il y a exactement un siècle par le Français Félix d’Hérelle et a été largement utilisé dans le monde avant la découverte des antibiotiques. Il est toujours utilisé couramment dans les pays de l’ancienne Union soviétique, comme la Géorgie, la Russie ou la Pologne. Pour chaque espèce de bactérie, il faut préparer un cocktail de phages spécifique. 27

Les utilisations insolites des bactéries Crèmes autobronzantes On trouve dans certaines crèmes auto-bronzantes un composé organique produit industriellement par fermentation bactérienne. Biogaz Dans certains pays comme la Chine sont collectés des excréments animaux ou humains afin de fabriquer, grâce à la fermentation des bactéries, du biogaz domestique. Art Les créations de l’artiste britannique Anna Dumitriu sont toutes cousues avec des souches de microbes. Ces derniers sont stérilisés avant d’être incorporés dans le tissu. L’artiste a par exemple imprégné une couverture d’une souche de staphylocoques dorés.

Les promesses de la phago­thérapie Le directeur de projet au Département de microbiologie fondamentale de l’UNIL Grégory Resch a participé au projet PhagoBurn. Ce premier essai clinique sur la phagothérapie, financé par l’Union européenne, visait à évaluer l’efficacité et la tolérance des bactériophages comme traitement des plaies infectées chez les grands brûlés. «Il s’agit d’une première mondiale. Les essais cliniques ont été réalisés en France, en Belgique et en Suisse selon les standards occidentaux de bonnes pratiques», souligne-t-il. PhagoBurn a pris fin en juin 2017 et ses résultats paraîtront d’ici à la fin de l’année. Grégory Resch espère que le bilan de cette expérience permettra à cette solution prometteuse de se démocratiser d’ici à quelques années. «La phagothérapie peut tout aussi bien être utilisée en complément aux antibiotiques, constate le chercheur. Nous avons observé une synergie entre les deux traitements.» La phagothérapie est en outre connue pour l’absence d’effets secondaires. «Nous sommes constamment en contact avec des bactériophages. Ils sont 10 à 100 fois plus nombreux que les bactéries. On en trouve, par exemple, des milliards dans le lac Léman», assure Grégory Resch. Le chercheur en microbiologie fondamentale s’apprête à participer à une nouvelle expérience clinique de phagothérapie. Soutenue par le CHUV et l’UNIL, elle se déroulera sur une période de cinq ans. Le traitement sera cette fois appliqué à des patients souffrant de mucoviscidose.

L’administration thérapeutique des bactériophages se fait le plus souvent localement sur des blessures infectées comme des plaies ou des brûlures. Ils peuvent également être administrés par inhalation, pour les formes pulmonaires, ou par instillation pour les infections des yeux. Ce type de traitement est en vente libre dans les pays susmentionnés. Dans les pays occidentaux, qui ont délaissé cette technique en faveur des antibiotiques, des essais cliniques sont en cours pour étudier leur validité. ⁄


FOCUS

PROPOS RECUEILLIS PAR

STÉPHANIE DE ROGUIN

BACTÉRIES

INTERVIEW «ON PEUT IDENTIFIER UN INDIVIDU GRÂCE AUX CARACTÉRISTIQUES UNIQUES DE SON MICROBIOTE»

Le philosophe des sciences français Thomas Pradeu expose le rôle que jouent les bactéries dans la constitution de notre être. in vivo

La science dit que les bactéries présentes dans l’intestin, par exemple, sont spécifiques à chacun et constituent l’un des moyens les plus sûrs pour identifier quelqu’un. Est-ce une méthode plus précise que l'analyse de gènes?

C’est ça le gros changement, l’enrichissement de notre connaissance des facteurs qui, ensemble, contribuent à définir notre identité et notre unicité.

thomas pradeu

Depuis une quinzaine d’années, le monde scientifique observe que d’autres éléments que les gènes contribuent à nous définir. C’est le cas du microbiote intestinal, mais également de celui du poumon ou de la peau. Dès le début des années 2010, beaucoup d’applications utilisant le caractère unique à chacun du microbiote ont été évoquées. Celle de la police scientifique notamment a beaucoup fait parler d’elle; elle consiste à identifier un individu grâce aux caractéristiques uniques de son microbiote. Entre de vrais jumeaux, le code génétique est identique (à quelques mutations près), mais leurs deux microbiotes peuvent révéler de nombreuses différences, en fonction du milieu dans lequel ils vivent, de leur histoire personnelle... Mais attention, cela ne veut pas dire que les gènes n’ont pas d’importance pour comprendre l’individualité humaine. Les découvertes récentes viennent s’ajouter à ce que l’on savait déjà, constituant une diversité incroyable d’éléments qui forment ce qui se passe en nous.

iv

Biographie Thomas Pradeu est directeur de recherche au CNRS à Bordeaux, où il mène des recherches en philosophie des sciences dans le laboratoire ImmunoConcept (UMR5164). Il a publié en 2010 «L’identité, la part de l’autre», en collabo­ration avec l’immuno­ logiste Edgardo D. Carosella. 28

Quels autres éléments participent à nous définir et à faire de nous un être unique?

En plus du microbiote et des gènes, on peut citer l’épigénétique, les systèmes nerveux et immunitaires. Le premier élément est vu comme extérieur à l’organisme, tandis que les quatre autres sont considérés comme étant propres à l’organisme. On peut alors se demander, et des recherches sur ces questions sont menées, comment opérer de manière objective cette distinction, qui reste souvent intuitive, entre un «intérieur» et un «extérieur»? L’organisme peut-il dans certains cas intérioriser cet extérieur, en intégrant en son sein des éléments qui, au départ, apparaissaient comme «étrangers»? On en vient à la notion d’individu au sens philosophique du terme, en le délimitant du point de vue temporel mais surtout spatial.

tp

Est-ce que les notions d’inné et d’acquis s’utilisent encore?

iv

Dans les années 1970 déjà, des voix s’élevaient pour affirmer que cette distinction n’avait plus de sens. Cependant, dans les travaux actuels, cette idée revient sans cesse. On dit généralement qu’il y a, dans la plupart des phénomènes biologiques, un peu d’inné et un peu d’acquis. La distinction entre inné et acquis est en réalité très fragile, même si notre éducation fait qu’il est difficile de s’en défaire. Dans un très beau livre, la psychologue américaine Susan Oyama a décrit «l’ontogénie de l’information», soulignant que même l’information génétique se construit au travers d’un contexte, d’un environnement. La biologie du développement étudie aujourd’hui comment, par exemple, le

tp


FOCUS

BACTÉRIES

microbiote peut être responsable de l’activation de certains gènes qui jouent un rôle important dans le développement de l’organisme. Il existe une transmission verticale du microbiote entre la mère et l’enfant, très forte chez les insectes par exemple. Chez l’homme, après dix-huit mois environ, le bébé possède son propre microbiote, distinct de celui de la mère, mais on observe néanmoins que le microbiote de la mère influence le fœtus pendant une période décisive de son développement.

Thomas Pradeu s’intéresse de longue date à la construction de l’identité des individus.

L’identité de chacun serait formée d’altérité, de partage et de permanence du soi, c’est cela?

iv

Notre identité se nourrit des contacts que l’on a avec l’extérieur. Quand quelqu’un se fait vacciner ou interagit avec un micro-organisme, son système immunitaire va s’adapter et se construire en fonction de ce nouvel élément. La construction de notre personne se fait également au travers de nos influences sociales, d’amis, de professeurs… C’est là que la psychologie et la sociologie rencontrent la biologie, ce qui est rare. L’autre peut aussi devenir constitutif de vous: dans certains cas, par exemple, un composant du microbiote (bactérie, virus) est reconnu, puis toléré par le système immunitaire de l’organisme et il peut même parfois jouer un rôle fonctionnel essentiel dans l’organisme.

Pourquoi est-ce si important pour chacun de nous de savoir «qui l’on est»?

iv

Cette question est fondamentale en philosophie, qui se découpe entre savoir ce qui fait l’espèce humaine, d’une part, et découvrir ce qui me différencie des autres êtres humains, ce qui fait mon unicité, d’autre part. Selon les auteurs et les époques, on a considéré que le propre de l’Homme était de rire, de raisonner, ou encore

tp

29

DR

tp

la faculté du langage. La question de l’unicité de chacun existait déjà dans l’Antiquité, puis est revenue en force avec les philosophes des XVIe et XVIIe siècles. L’Homme a toujours eu besoin de se comprendre, de donner une direction à sa vie, de réaliser qu’il fait partie de la Nature. Toutes les questions écologiques en vogue actuellement vont dans ce sens… Ce que l’homme fait endurer à son environnement ne va-t-il pas bientôt se retourner contre lui? L’idée de donner un sens à sa vie, que l’on sait éphémère, tout en n’allant pas tout à fait dans le même sens que nos semblables, s’observe notamment dans les traditions, des signes d’une identité de groupe avec cependant une distinction propre. C’est dans cette voie étroite, entre la revendication de l’appartenance à un collectif et le souhait de se différencier d’autrui, que se construit l’identité de tout être humain. ⁄


MENS SANA

«La souffrance est un rappel à l’ordre qu’il ne faut pas gâcher sa part de temps sur Terre.» SYLVAIN TESSON

30


MENS SANA

INTERVIEW

SYLVAIN TESSON L’auteur parisien avait fait du voyage, sa vie,

jusqu’au jour où une chute le cloue sur un lit d’hôpital. Il se fait alors la promesse de traverser la France à pied s’il a la chance de se remettre. Hôpital, apprentissage de la faiblesse et chemins de la rémission: Sylvain Tesson évoque tour à tour chacun de ces thèmes. INTERVIEW: BÉATRICE SCHAAD PHOTO: DANIEL BERES

«En marchant, j’ai semé ma douleur» rendu compte que tout le monde court après la En 2014, vous faites une chute, vous souffrez de définition du bonheur, or après avoir été 20 fractures et restez alité pour deux mois à l’hôpital de confronté à ces problèmes on se rend compte la Pitié Salpêtrière, à Paris. Vous dites avoir frôlé «l’exque la douleur physique est la pire de toutes les tinction des feux». Trois ans plus tard, quel souvenir douleurs. Je ne peux plus fermer l’œil à cause gardez-vous de l’hôpital? SYLVAIN TESSON J’en garde un soud’une fracture au crâne, ça fait très mal parce que venir amputé, j’y suis resté deux mois, mais j’ai quasiment ce nerf est directement connecté au cerveau. On quatre semaines d’amnésie partielle. Cela dit, le goût que m’a greffé une feuille d’or qui me permet d’abaisser je conserve de l’hôpital est excellent, j’ai été beaucoup plus la paupière: 18 carats à l’intérieur de la paupière, car sujet à la douleur en sortant. Il est vrai qu’il ne m’est pas c’est le seul métal que l’organisme humain supporte. arrivé des choses très graves par rapport à certains. J’ai En somme, maintenant que j’y pense, je me suis pervécu des fractures, des morceaux de côtes dans le cœur, mis de passer de l’or en Suisse hier, incognito. des vis dans le crâne: c’est embêtant, mais il y a pire. Et je n’ai jamais souffert parce qu’il y avait les antalgiques. L’intervention médicale dans le champ de la IV Vous dites avoir commencé à souffrir en sortant douleur, de l’anesthésie, me semble bien supérieure de l’hôpital? ST En sortant, j’ai passé une année diffià la création de la machine à vapeur ou l’invention cile. D’autant qu’après je suis parti faire une traversée du sèche-linge ou de tous ces trucs modernes. de la France à pied. Un an, jour pour jour après ma Quand on essaie de définir la modernité sur un chute, alors que c’était beaucoup trop tôt. J’avais mal parplan philosophique, on parle généralement de l’actout, j’étais enflammé en permanence quand je marchais. célération numérique, or, la modernité, la vraie, Si j’étais tombé à l’eau, pendant cette marche, j’aurais polc’est cela: permettre à un certain nombre de palué chimiquement la rivière, j’étais un laboratoire ambulant. tients de moins souffrir. À l’occasion de ce voyage dans le tunnel de Jérôme Bosch (référence à une IV Vous aviez besoin de ce défi: traverser la France à œuvre du peintre néerlandais, ndlr), je me suis pied? ST Je voulais absolument mettre un point final à tous IN VIVO

31


MENS SANA

INTERVIEW

ces petits malheurs par une marche. Je voulais ça, c’était une obligation pour moi.

tence, mon thermostat d’intensité d’appréciation des choses a monté.

Est-ce que l’on se soigne par la marche? ST On se soigne IV Vous écrivez que face, à l’accident, il physiquement déjà parce qu’on s’assèche, on se remuscle. Il y faut n’exprimer ni révolte ni résignation. a un bénéfice physiologique et un bénéfice moral. Qu’est-ce Il conviendrait plutôt d’«inventer un nouque la marche? C’est une petite conquête de quelques kiloveau solfège de l’existence, une manière de mètres, de basse intensité. Et vous ne nuisez pas. Vous ne continuer le voyage en compagnie d’une remportez pas une victoire en mettant un coup de massue deuxième personne, la faiblesse». C’est ce sur la tête de votre voisin, vous ne volez rien, vous ne prenez que vous avez fait? ST Je n’ai pas acquis de sarien. Cela vous permet de ne pas subir, car vous êtes libre. gesse, j’aurais aimé. En revanche, ma vie a chanLibre de votre temps, de votre direction. Pour moi, ça a été gé, l’accident m’a déterminé biologiquement, je merveilleux et je me suis relevé comme ça. vais moins vite, j’ai moins de souffle, mes poumons sont moins en forme, je ne peux plus boire une goutte d’alcool, je suis épileptique donc je dois IV Vous dites aussi qu’il vous a fallu un accident pour faire très attention à la régularité du sommeil. prendre conscience de ce dont vous disposiez. N’estTout cela fait que je n’ai plus le même rythme de ce pas une position très morale: pas de conscience vie que j’aimais bien, une vie de mauvais garçon sans souffrance? ST Pourquoi n’est-on pas en ce moment noctambule parisien. C’est un assagissement qui ne près du lac en train de fermer les yeux, de se laisser caresvient pas de la sagesse mais de l’obligation bioloser par le vent et le soleil? Parce que nous pensons que gique à des fins médicales. nous allons vivre éternellement. Sinon nous serions ailleurs à jouir du soleil, du vent, de l’eau. Nous sommes fous, en fait. Quand vous êtes alité, vous vous dites: IV Accepter sa propre faiblesse, c’est une forme de «Mais mon Dieu, comment ai-je pu laisser passer tous sagesse, non? ST Non, vous confondez une contrainte ces instants, j’aurais dû jouir de tout ça en permaavec un choix. La sagesse, c’est d’aller tout à coup vers nence.» La souffrance est un rappel à l’ordre. Il ne faut une modification de vous-même et une métamorpas gâcher votre part de temps, rapide, sur Terre. Il ne phose parce que vous avez tiré une conclusion. Moi, je faut pas gâcher ce que vous avez et notamment vos suis obligé de composer avec un nouveau rythme. Je ne proches, le penchant de l’homme est de mépriser ce suis pas révolté parce que je suis le seul responsable de qu’il a, et de vouloir ce qu’il n’a pas. J’enfonce des ce qui m’est arrivé. Je suis tombé d’un toit alors que portes ouvertes: mais le fait est que tout à coup vous j’étais ivre. Mais je ne me suis pas résigné, j’ai réinventé avez cette chance d’avoir un chiffon rouge qui vous un rythme, j’accepte parfois qu’on m’aide, j’accepte d’être est agité devant les yeux et qui vous dit «n’oublie pas en queue de colonne, en 2e de cordée, d’être le dernier que tu as ces gens près de toi, n’oublie pas que tu dans la troupe, chose que j’ai toujours détestée. Jusqu’à possèdes le soleil, n’oublie pas que tu possèdes le mon accident, j’avais un côté un peu chien fou. C’est ça vent, n’oublie pas de vivre». que j’appelle l’acceptation. J’ai beaucoup de douleurs avec lesquelles j’apprends à vivre. BIOGRAPHIE Alphonse Daudet avait donné un nom à sa IV Et depuis que vous êtes rétabli, avezSylvain Tesson douleur, il l’appelait «la Doulou», il avait vous réussi à préserver cette conscience? est un écrivain voyageur attrapé sa maladie – la siphyllis – agréableST C’est tout le problème: la vie hors de l’hôfrançais, né à ment et il la mettait à distance en la nompital consiste à tenir les serments qu’on s’est Paris en 1972. mant comme on le fait d’un objet (voir aussi faits dans son lit de malade. Il faut être digne Prix Goncourt p. 34, ndlr). Moi, je crois à la vertu de l’oubli. de la personne que l’on fut alité, sinon c’est pour Une vie à C’est par exemple la 1e fois depuis trois ans une trahison après la chute. J’essaie en tous coucher dehors, Prix Médicis pour les cas de tenir les promesses que je me suis Dans les forêts que je me confie à ce point. Je déteste l’idée faites à l’époque. Je jouis davantage de l’exis- de Sibérie, il est de s’installer dans l’observation de soi. IV

l’auteur de livres enchanteurs comme Berezina et Sur les chemins noirs, récit de son tour de la France rurale entrepris une année après un grave accident.

32


MENS SANA

INTERVIEW

L’obsession, l’exposition, l’explication permanente de sa maladie est très mauvaise, c’est un entretien de la douleur. D’où la volonté de faire de la marche. Cela n’était pas du tout une bonne idée de partir à peine un an après mon accident et de dormir dehors sur un tapis à même le sol, c’était idiot mais en un sens salvateur. En marchant, j’ai semé ma douleur.

«L’INSTALLATION DE LA TÉLÉVISION DANS LES CHAMBRES D’HÔPITAL EST UNE Vous décririez-vous comme un résilient? FOLIE MÉDICALE.» Qu’est-ce que c’est que la résilience, j’entends ce IV

ST

mot partout… je ne l’utilise jamais. Il m’énerve un lire, mais mon cerveau n’était encore que dans une capapeu ce mot, parce que j’ai l’impression qu’il apparcité de jouissance immédiate, c’est-à-dire médullaire, ortient à l’arsenal managérial, global, digital. Des ganique. C’était comme si tout à coup les anémones de mots marqués «bling bling» qui font mine d’incarmer étaient capables de lire. J’éprouvais un petit contenner des concepts. Aujourd’hui, vous vous faites une tement, je filtrais le plancton. Mais il ne m’en restait rien. entorse à la cheville, vous vous retournez un ongle Et puis, tout à coup, mon cerveau s’est souvenu. ou vous devez être amputé de la jambe: on vous parle de résilience. Il n’y a plus de degré dans l’utilisation de ce mot, et on ne sait plus de quoi il s’agit. IV Les livres comme la marche, écrivez-vous, vous ont permis de «rester debout»? ST Bien sûr, c’est merveilleux, quel bonheur… recommencer à imaginer IV Vous préférez celui de rémission? Quels en la beauté de la langue, de la musique, voyager, partir, sont les indices? Quand sait-on que l’on rec’est tellement merveilleux, et parallèlement, pardon, monte? ST Un indice me semble flagrant: c’est quand je vais être très dur, mais je trouve abominable l’instout à coup le monde cesse d’être enclos dans votre lit. tallation de la télévision dans les chambres d’hôpital, Pour le malade, le monde commence à son oreiller et c’est même une folie médicale. Moi, j’étais dans une s’arrête à ses pieds. Et puis tout à coup, un jour, vous chambre à deux, avec un camarade, il voulait regarentendez une autre souffrance que la vôtre. Cela peut der la télévision, moi je ne voulais pas. Or, c’est celui être un indice de la rémission. Dans mon cas, je me souqui veut la télévision qui obtient le droit, en France. viens qu’on était en plein mouvement de déchaînement Du coup, moi je subissais la télévision alors que lui des musulmans radicaux de Daech, de l’État islamique, n’a jamais à subir le silence. Vous voyez qui c’est quand ils ont montré leur effroyable cruauté. Le courage Nabilla? J’ai eu pendant deux jours à la subir, car de ceux qui leur résistaient était fantastique, ils mouelle avait fait des frasques quelque part. Je me raient en nombre, lâchés par l’Occident, par le double jeu disais: c’est terrible j’ai vu la nuit, je suis en train turc, enfin l’horreur. À partir du moment où vous apercede revoir la lumière du jour, je suis en train de vez qu’il y a un échelonnement dans la douleur, et que la revenir à la vie, et voilà que… je me mettais des vôtre n’est pas au pinacle, c’est un indice qu’une rémission boules quiès jusqu’à la glotte à cause de Nabilla. a commencé. IV C’est une accumulation d’indices qui constituent une IV Vous avez écrit cet aphorisme: il faut touforme de guérison? ST J’ai eu de la chance d’avoir un autre jours demander à une situation l’autorisation de la retourner. ST J’aime bien jouer avec indice de rémission, moins intérieur, moins frappant, moins solennel que celui de la prise en compte de la douleur des les mots. On a subi une adversité, maintenant autres, qui était la lecture. J’aime beaucoup les livres, je suis on va lui faire une prise de judo. Oui, ce n’est un grand lecteur, les livres m’ont beaucoup aidé quand j’étais pas faux, j’ai retourné le sort. Mais sans deà l’hôpital. Je lisais, je lisais, je lisais… J’éprouvais un plaisir à mander l’autorisation. ⁄

33


TEXTE PATRICIA MICHAUD ILLUSTRATION MARCO MELGRATI

MENS SANA

TENDANCE

MA MALADIE BIEN NOMMÉE

«Rosy», «La dame verte», «Mon meilleur copain»: pour certains patients chroniques, donner un surnom à leur maladie permet de mieux cohabiter avec elle.

«P

amela, j’ai parfois l’impression de mieux la connaître que ma mère!» En écoutant Éric (prénom d’emprunt), 23 ans, prononcer cette phrase, on peine à deviner s’il plaisante ou pas. Atteint de mucoviscidose, il vit depuis l’enfance au rythme de la maladie, à laquelle il a fini par donner ce prénom féminin, qui évoque les plages californiennes et les cheveux péroxydés. «Il y a cinq ans, je suis tombé par hasard à la télé sur une émission qui présentait des séries des années 1990. Quand cette fille blonde en maillot de bain rouge s’est mise à courir sur le sable (Pamela Anderson, l’actrice phare de la série Alerte à Malibu, ndlr), cela a provoqué comme un déclic. Allez savoir pourquoi…» Depuis, le jeune homme n’utilise presque plus que ce surnom lorsqu’il fait référence à sa maladie, du moins dans son cercle familial. «Au début, mes parents et amis me regardaient un peu bizarrement quand je disais “Pam dort encore ce matin” ou “Pamela n’est vraiment pas contente aujourd’hui”. Mais ils s’y sont faits et aujourd’hui, ils sont les premiers à prendre des nouvelles de ma “copine”!»

34

Prénoms courants

Les prénoms systématiquement associés à certains troubles du comportement

ANOREXIE Ana/Rex BOULIMIE Mia/Bill DÉPRESSION Deb/Dan AUTO­ MUTILATION Cat/Sam PARANOÏA Perry/Pat INSOMNIE Izzy/Isaiah SCHIZOPHRÉNIE Sophie/Skip ANXIÉTÉ Annie/Max SUICIDE Sue/Dallas TOC Olive/Owen

En donnant un surnom à sa mucoviscidose, Éric est parvenu à surmonter un obstacle auquel sont confrontés de nombreux patients atteints d’une affection grave: quel qualificatif associer à un état qui les accompagne durant des mois, des années, voire toute une vie? Comment s’approprier une réalité si bouleversante? Le cas du jeune Français n’est pas isolé. Sur la Toile, les forums santé regorgent de témoignages de personnes atteintes d’un cancer, d’une sclérose en plaques ou encore d’un diabète sévère, qui évoquent leur quotidien avec «Marc», «La dame verte», «Mon fidèle compagnon»... «Cette conception profane de la maladie, qui consiste à la personnifier pour entrer en relation avec elle, s’observe essentiellement chez les patients chroniques», relève Francesco Panese. Selon le professeur d’études sociales de la médecine à l’Université de Lausanne (UNIL), il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau: «De tout temps, vraisemblablement, les cultures ont considéré des maladies comme des entités dotées de personnalités et d’intentions, une conception mise à mal par la médecine moderne occidentale née au XIXe siècle.» LES TRAITEMENTS AUSSI

«Les anthropologues constatent pourtant régulièrement que cette conception profane de la maladie résiste jusqu’à aujourd’hui.


MENS SANA

35

TENDANCE


MENS SANA

TENDANCE

On peut y voir une manière subjective de tenter de cohabiter avec elle», explique le sociologue. Les patients confient d’ailleurs souvent qu’afin que cette cohabitation soit la plus harmonieuse possible, leur maladie doit à la fois être soignée et respectée. Lui donner un surnom participe à la création de ces liens pacifiques, tout en permettant au malade de donner du sens au traumatisme qu’il doit surmonter. Par ricochet, la qualité de vie du patient peut s’en trouver améliorée, car «généralement, on se porte mieux lorsque l’on donne du sens à sa maladie». Chez certains patients, ce besoin se manifeste aussi sous d’autres formes, par exemple en «cherchant à tout savoir sur leur maladie afin de domestiquer leurs inquiétudes». Francesco Panese constate que la société contemporaine est plus ouverte à cette complémentarité des sens entre le médical et le profane: «Dans les années 1960, un médecin aurait peut-être ricané si un patient lui avait parlé de sa maladie en lui donnant un surnom…» Les maladies ne sont pas les seules à se voir attribuer des surnoms par les patients. Il en va de même pour les éléments périphériques, traitements et matériel médical en tête. Sur son blog «Ma vie de sediste», une jeune femme belge atteinte du Syndrome d’Ehlens-Danlos (SED) explique qu’elle appelle le Lévocarnil «Mon petit Lévovo» et le Baclofène, «Bacloclo». Lorsqu’elle a une séance de kinésithérapie, elle dit «J’ai Harry», et pour une séance d’hydrothérapie, c’est plutôt «Je vais à la piscine». Quant à son dévisse-bouchon, elle l’a baptisé «Canari». La blogeuse précise que ce recours aux surnoms «s’est fait plutôt naturellement», sans qu’elle s’en rende compte, et confie trouver le quotidien «tellement plus agréable» ainsi. Dans le cadre de ses travaux de recherche sur l’impact du traitement anti-VIH sur la

36

Les aventures de «Rosy» En 2015, on diagnostique à Marine Barnérias – alors âgée de 21 ans – une sclérose en plaques (SEP). Plutôt que de s’apitoyer sur son sort, l’étudiante décide de réaliser un rêve: faire un long et lointain voyage. Seule et sac au dos, elle parcourt pendant huit mois trois pays: la NouvelleZélande, la Birmanie et la Mongolie. Durant la première étape de ce périple, la jeune Française baptise sa SEP «Rosy», une manière selon elle de mettre un joli mot sur quelque chose de très laid. Libérée d’une partie du poids de sa maladie, Marine Barnérias décide d’apprivoiser Rosy et de partir avec elle vers de nouvelles aventures. L’une d’entre elles est un livre, Seper Hero, publié cette année aux éditions Flammarion.

vie des patients, Noëllie Genre a, elle aussi, observé une forte propension à la personnification du traitement: «Alors qu’au début de leur traitement, certains patients qualifient leurs médicaments de bombes, ils établissent ensuite une relation avec eux, en créant un cadre de référence plus familier.» La doctorante de l’Institut des sciences sociales de l’UNIL cite quelques termes entendus durant ses entretiens: «Mon ami que je vois tous les jours», «Mon copain», voire «Mon meilleur copain». MIA, ANA, SKIP ET AUTRES NOMS DE CODE

Il existe aussi une catégorie de surnoms utilisés de façon beaucoup plus systématique, au point d’en être codifiés: ceux liés à certains troubles du comportement, alimentaire en tête. Pour la grande majorité des jeunes femmes anorexiques de la génération Y et Z, le prénom «Ana» renvoie en effet automatiquement à leur maladie, alors que leurs contemporaines boulimiques lui préfèrent «Mia». Côté masculin, on peut citer «Skip» pour la schizophrénie ou encore «Owen» pour les TOC (voir encadré). Une standardisation qui remonte à la fin des années 1990 et au début des années 2000, lorsque se forment sur Internet de gigantesques communautés liées aux troubles du comportement alimentaire. Les grands portails comme Yahoo! et AOL se mettent à censurer l’utilisation des termes «anorexie» et «boulimie». Naissent alors «Ana» et «Mia», destinées à contourner la censure. Aujourd’hui, quand on fait une recherche sur la Toile avec ces prénoms, on tombe sur des centaines de blogs et forums consacrés à ces troubles. «Il est parfois plus simple de dire “Ana me fait chier, j’aimerais bien lui foutre mon pied au cul” que “Je veux m’en sortir ”, parce qu’il est plus simple d’agir sur les autres que sur soi», commente l’auteure du blog «Mia-solitude». ⁄


MENS SANA

PROSPECTION

LES SOINS «MOBILES»: PARTAGER POUR ÉCONOMISER? LE PARTAGE DE PERSONNEL ET DE MATÉRIEL ENTRE LIEUX DE SOINS SE DÉVELOPPE EN SUISSE ROMANDE, SOUVENT MOTIVÉ PAR DES INTÉRÊTS FINANCIERS. AVANTAGES ET LIMITES DE CETTE PRATIQUE.

FLORIDA PHOTOGRAPHIC COLLECTION

TEXTE BLANDINE GUIGNIER

Camion équipé d’un appareil à rayons X pour une campagne de dépistage de la tuberculose menée en Floride dans les années 1950.

37


A

MENS SANA

vec ses 52 tonnes, du fait de son lourd blindage de radioprotection, le camion d’imagerie médicale des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) bat des records. Tout comme son prix: il a fallu débourser 960’000 francs pour la remorque équipée et encore 2 millions pour le scanner dernier cri. Mais cette unité mobile bénéficiera à d’autres régions de Suisse romande, en se déplaçant à l’hôpital de La Chaux-de-Fonds et au Centre d’imagerie du Nord vaudois, et devrait ainsi être rentabilisé en quelques années seulement. Grâce à ce poids lourd de 13,5 mètres de long, les HUG sont passés à la vitesse supérieure. «La première unité mobile, qui a fonctionné durant neuf ans, était saturée, indique Jean-Pierre Willi, médecin-chef du Service de médecine nucléaire et imagerie moléculaire. Aujourd’hui, nous avons doublé la capacité d’accueil et nous pouvons recevoir deux patients simultanément.» Le scanner est trois fois plus performant que l’ancien, grâce à une plus grande précision des images produites. «Cela aidera

38

PROSPECTION

les médecins à évaluer avec finesse l’efficacité des traitements de nombreuses tumeurs.» Lors de l’inauguration du nouveau camion en juin, les HUG n’ont pas hésité à qualifier leur unité de «success story». D’autres systèmes de partage de personnel et de matériel entre lieux de soins semblent eux aussi bien fonctionner en Suisse romande. Pourquoi ce succès? Est-il applicable partout?

INTÉRÊT FINANCIER L’attrait pour ce type d’unité mobile tient d’abord au fait que certaines technologies sont difficiles à acquérir seul. Reto Meuli a suivi avec intérêt le développement du camion scanner des HUG. «Dans ce cas précis, Genève a aidé l’hôpital de La Chaux-de-Fonds, explique le chef du Département de radiologie médicale du CHUV. Le projet d’installation d’un nouveau scanner PET-CT était au point mort dans le canton de Neuchâtel, à la suite de la votation de division des deux hôpitaux neuchâtelois. Or, il y avait un réel besoin dans la région pour ce type d’examens, de même que de radiologues compétents sur place.» L’intérêt financier et la volonté de proposer une offre plus large aux usagers d’un lieu de soin expliquent également la mise en place d’équipes et de machines itinérantes. Le camion des HUG est ainsi stationné une ou deux fois par semaine au Centre

d’imagerie du Nord vaudois, un cabinet privé. L’entreprise fribourgeoise Mobile Anesthesia Care, installée à Marsens, constitue un autre exemple. Son équipe mobile se rend depuis 2012 dans divers lieux de soins pour pratiquer des anesthésies ambulatoires. Autrement dit, le personnel détaché par la société prépare le patient, l’endort et surveille son état de santé au réveil. Le tout en emmenant le matériel nécessaire à l’intervention. «La moyenne est de 6’000 actes anesthésiques par année, ce qui constitue un niveau équivalent à celui de nombreux hôpitaux périphériques, et ce chiffre ne cesse d’augmenter», explique l’un des deux médecins fondateurs, Nicolas Vasey. Quinze employés travaillent de manière fixe pour Mobile Anesthesia Care, une vingtaine d’autres de façon plus ponctuelle. Parmi les clients de l’entreprise figurent des cliniques et cabinets médicaux privés. Ces derniers souhaitent généralement pratiquer entre leurs murs des chirurgies peu invasives sous anesthésie générale. Il s’agira par exemple d’un dentiste voulant arracher quatre dents de sagesse depuis son cabinet, sans se rendre au bloc opératoire, ou d’un gynécologue devant procéder à un curetage à la suite d’une fausse couche. «Tout le monde est gagnant, souligne Nicolas Vasey. Le spécialiste peut effectuer des actes qu’il pratiquerait quasiment à perte s’il devait se déplacer dans le bloc opératoire d’un hôpital, et du côté du patient,


MENS SANA

la proximité et le confort du cabinet sont des points jugés positifs, par rapport à l’hôpital.» Mobile Anesthesia Care propose aussi ses services à des hôpitaux publics, mais de manière plus marginale, souvent pour mandater des anesthésistes remplaçants. Des évolutions technologiques ont rendu possibles et attractifs ces soins itinérants. «Les machines utilisées lors d’une anesthésie se sont miniaturisées, tout en fonctionnant sur des batteries aux durées nettement plus longues, explique le cofondateur de Mobile Anesthesia Care. Les délais d’évacuation des produits pharmacologiques sont aussi beaucoup plus rapides, ce qui permet de réduire la phase de réveil.»

SOIGNER DES PATIENTS IMMOBILES Pour Nicolas Senn, directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille à Lausanne, il y a deux stratégies qui cohabitent sur cette question des soins mobiles. «L’une est une logique

Scanner mobile

PROSPECTION

de marché, d’augmentation de la demande par l’offre. L’autre, adoptée par les autorités sanitaires, s’intéresse aux besoins sanitaires globaux.» Dans cette dernière perspective, la mise en place de soins mobiles s’avère pertinente pour se rendre auprès des patients qui, dans le cas contraire, ne se déplaceraient pas d’eux-mêmes et ne seraient pas correctement traités. C’est le cas, par exemple, pour l’itinérance d’équipes spécialisées vaudoises dans le domaine des soins palliatifs et de la psychiatrie. «Pour ce qui est de ma branche, la médecine de premier recours, il existe également une unité mobile vaudoise se rendant dans les centres de requérants d’asile. Des infirmiers et infirmières y assurent des consultations et apportent des soins de base.»

PARFAIT AUX ÉTATS-UNIS, MOINS EN SUISSE La généralisation des soins mobiles en Suisse, Reto Meuli n’y croit pas. «Le partage

d’équipements lourds dans des camions énormes, cela a du sens au Midwest, aux États-Unis. Ils font des centaines de kilomètres durant la nuit et se trouvent chaque jour dans une nouvelle ville. C’est intéressant du point de vue économique et pour la santé du patient. En Suisse par contre, cela restera à mon avis anecdotique.» La raison avancée par le médecin du CHUV: un territoire et des besoins trop petits. «Quand le nouvel Hôpital Riviera-Chablais et sa machine PET-CT verront le jour, je pense que l’offre des médecins privés dans ce domaine tendra à disparaître, car les patients seront prêts à faire quelques kilomètres de plus pour avoir les équipements modernes.» Nicolas Vasey reconnaît lui aussi des limites à l’anesthésie mobile. «Des cas lourds polypathologiques ne peuvent être traités qu’à l’hôpital. Et nous sommes dépendants des tarifications et des décisions politiques. Nous n’existerons plus si les actes réalisés sous anesthésie par nos clients – cabinets et cliniques privés – ne leur rapportent plus rien.» Les frontières cantonales pourraient constituer un autre obstacle. «Les questions de remboursement des soins ou de droit de pratique sont encore réglées dans le cadre des cantons, rappelle ainsi Nicolas Senn. Même s’il y a des systèmes de péréquation, il n’est pas évident de développer ce type de partage sur plusieurs cantons. Ces initiatives sont soumises au respect de la gouvernance locale.» /

HUG

Le camion dernier cri des Hôpitaux universitaires de Genève est équipé d’un scanner PET-CT, une méthode d’imagerie médicale qui permet de mesurer en trois dimensions l’activité d’un organe.

39


MENS SANA

DÉCRYPTAGE

ATTENTION, PERTURBATEURS SUR LA LIGNE Les perturbateurs endocriniens sont aujourd’hui accusés de nombreux maux, même si les preuves restent difficiles à établir. TEXTE: YANN BERNARDINELLI

UNE VOIE DE SIGNALISATION FRAGILE

Un perturbateur endocrinien est «une substance ou un

40

Les produits qui contiennent le plus de perturbateurs endocriniens

LES PLASTIQUES Les plastiques contiennent plusieurs additifs répertoriés comme perturbateurs endocriniens. Les phtalates sont ajoutés au polychlorure de vinyle (PVC) pour augmenter la souplesse des objets. Les alkyphénols comme le Bisphénol A les rendent transparents. Ils contiennent également des retardateurs de flamme: PCB, PPDE et organophosphates. La plupart de ces composés sont délétères pour la reproduction humaine, cancérigènes et peuvent causer des troubles du comportement. Ils ne se lient pas aux polymères des plastiques et se détachent au simple contact. Biberon, jouets, tuyaux, emballages, bouteilles en PET en contiennent.

mélange exogène altérant les fonctions du système endocrinien et induisant de ce fait des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou au niveau de sous-populations entières», selon une définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiée en 2002. Pour bien comprendre le fonctionnement de ces perturbateurs, il faut donc connaître notre système endocrinien. Nos organes se doivent de bien communiquer pour fonctionner. Pour ce faire, ils disposent de deux grandes voies de transmission: le système nerveux et le système endocrinien. Le second est constitué d’organes – les glandes endocrines – qui sécrètent des hormones dans le sang à destination d’organes distants. Ces glandes comprennent notamment l’hypothalamus, les surrénales, la thy-

BERTRAND GUAY / AFP

O

mniprésents dans l’environnement sous forme de micropolluants, les perturbateurs endocriniens, ces substances capables d’interférer avec le système hormonal de nombreuses espèces, se retrouvent aussi dans notre chaîne alimentaire. De plus, ils se trouvent en nombre dans nos placards: de l’armoire de la salle de bains au garde-manger, dans les contenants comme dans les contenus. L’abondante diversité des substances défie la toxicologie et ses protocoles, si bien qu’ils sont difficilement identifiables. État des lieux sur ces substances qui questionnent notre rapport aux produits issus de la chimie de synthèse industrielle.


MENS SANA

LES PESTICIDES

DÉCRYPTAGE

roïde, les ovaires et testicules. Mais le système endocrinien ne s’arrête pas là: des cellules réparties dans certains de nos organes ont aussi des propriétés endocrines. C’est le cas, entre autres, du pancréas, de l’estomac et du placenta. Pour compliquer le tout, nos deux voies de signalisation sont interconnectées. Les possibilités de perturbation sont donc nombreuses, de même que leurs effets délétères, car toutes nos fonctions vitales dépendent du travail hormonal. Il régule notre développement, notre sexuation, notre comportement ou encore le fonctionnement du système cardiovasculaire et digestif.

Suivant la mise à jour de la définition européenne sur les perturbateurs endocriniens, les insecticides sont désormais pointés du doigt. Le glyphosate, présent dans l’herbicide Roundup de la société Monsanto, serait cancérigène. Les pyréthrinoïdes, qui représentent 30% des insecticides dans le monde, induiraient une puberté précoce. De plus, l’État français vient de publier une liste d’environ 1’500 produits susceptibles de LA PREUVE IMPOSSIBLE contenir des perturba- Pour les scientifiques, l’identification teurs endocriniens. des substances perturbatrices n’est

pas aisée, ce qui rend délicate l’interdiction des produits mis en cause. Thierry Buclin, médecin-chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV, indique qu’environ 900 substances sont actuellement répertoriées comme perturbateurs endocriniens. Les premières ont été repérées à la suite de désastres écologiques. «Leur découverte provient de l’observation du changement de sexes d’amphibiens, d’alligators et de poissons aux États-Unis», précise Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne (UNIL). À la fin des années 1990, des études ont pu démontrer que ces anomalies étaient dues à des substances ayant une action œstrogénique (l’hormone sexuelle femelle). Elles induisent une féminisation des mâles qui mène à la stérilité. Mais pour la plupart de ces substances, aucun lien de cause à effet n’a pu être démontré chez l’homme. Les autorités

Manifestation devant un supermarché à Paris en mars 2014 pour dénoncer l’usage de pesticides contenant des substances nocives.

41


MENS SANA

DÉCRYPTAGE

concernées ont alors reconnu que le phénomène était potentiellement dangereux et ont fini par trancher pour une interdiction selon le principe de précaution. Aujourd’hui, les données épidémiologiques sont plus parlantes: le spermogramme moyen dans la population masculine, une analyse qui renseigne sur la fertilité, est en déclin. «Il a baissé d’un tiers en cinquante ans», indique Thierry Buclin. Ces données ne se limitent pas à la fertilité: les cancers, l’autisme, la puberté précoce, le diabète ou encore l’obésité sont en augmentation. Pour ces pathologies, des hypothèses mettant en cause des perturbateurs endocriniens existent et les mécanismes correspondants sont largement confirmés en laboratoire. Comme elles restent vierges de démonstrations chez l’homme, les interdictions tardent pourtant à venir.

relation dose-réponse, ce qui signifie qu’il faut atteindre une certaine concentration pour obtenir un effet décelable. Nathalie Chèvre mentionne que nous avons affaire à des doses infinitésimales de millions de substances, celles connues, mais aussi leurs produits de dégradation. Pris séparément, les composés ne sont jamais assez abondants pour être toxiques. «Mais c’est sans compter que sur des millions de substances, il y en a forcément plusieurs qui vont agir sur la même cible.» L’experte ajoute qu’en additionnant simplement leurs concentrations, le risque d’atteindre des doses biologiquement actives existe. C’est l’effet cocktail.

Alors, comment aborder la question des mélanges? De nouvelles techniques d’analyse semblent prometteuses, comme celle de la société française WatchFrog. Plutôt que de chercher à mettre le doigt sur la toxicité d’une substance donnée, la Pourquoi cette difficulté, alors que «dans société a développé un système utilisant pareille situation, face à un faisceau d’argudes larves de batraciens pour déterminer ments indirects, le principe de précaution si une solution a le pouvoir de modifier devrait prévaloir et faire réglementer l’utilile système hormonal. «Notre procédé sation d’un produit»? Il est difficile utilise le système endocrinien de recueillir des preuves des larves comme senseur, ces incontestables, explique Thierry LES portent un marqueur Buclin, car l’effet des perturCOSMÉTIQUES dernières génétique qui révèle une perbateurs endocriniens devrait Notre salle de bains turbation par une émission être démontré cliniquement, recèle 400 à 500 subsde fluorescence», précise c’est-à-dire par le biais d’essais tances chimiques. Les sur l’homme. Or, il faudrait cosmétiques en font par- Gregory Lemkine, directeur administrer une molécule tie et contiennent un joli de WatchFrog. Le procédé potentiellement toxique pencocktail de perturbateurs est actuellement testé par le reconnus. Par exemple, Service des eaux de Lausanne. dant plusieurs années, ce qui les parabènes possèdent est éthiquement inacceptable. LA TOXICOLOGIE DÉFIÉE

«En toxicologie classique, c’est la dose qui fait le poison», précise Thierry Buclin. Un composé actif, comme un perturbateur endocrinien, se lie à son récepteur cible selon une

42

des propriétés antibactérienne et antimycosique: ils sont utilisés comme conservateurs dans les shampoings, crèmes, mousses et dentifrices. Ils sont reconnus pour provoquer une baisse de la fertilité masculine et favoriser la croissance de certaines tumeurs. Les filtres UV présents dans les crèmes ou les baumes sont également dangereux pour la reproduction humaine. Les phtalates (voir plastiques) sont omniprésents dans les parfums.

NON À LA SUBSTITUTION, OUI AU PRAGMATISME

Lorsqu’une substance est reconnue comme nocive, elle est substituée dans les procédés de fabrication industriels. Ce fut le cas des biphényles chlorés (PCB), utilisés comme isolants


MENS SANA

DÉCRYPTAGE

électriques: lorsque leurs effets néfastes pour la reproduction ont été découverts, ils ont été remplacés par les polybromodiphényléthers (PBDE), qui se sont avérés tout aussi nocifs et qui ont été substitués par des organophosphates, à leur tour reconnus pour leurs effets délétères sur le développement neuronal. Nathalie Chèvre s’indigne: «La substitution n’a aucun rôle à jouer dans la lutte contre les perturbateurs.» Du point de vue de la santé publique, il est bien difficile de dire si les observations actuelles ne sont que la pointe d’un iceberg redoutable ou si leur portée est destinée à rester limitée. En l’absence de consensus et de preuves formelles sur ces substances, Thierry Buclin suggère que la manière d’avancer la plus pragmatique est de s’attaquer d’abord aux sources les plus significatives de polluants. Alors, avant que nos réseaux de communication interne soient totalement perturbés, nos organes de communication externe peuvent être utilisés pour informer: le risque actuel provient des substances que nous ingérons, respirons ou appliquons sur notre peau. Comme les perturbateurs agissent sur le long terme, les populations les plus à risque sont les femmes LES enceintes, les fœtus MÉDICAMENTS et les enfants, qui devraient éviter les Les principes actifs de certains médicaments ont principales sources évidemment été créés de toxines que sont dans le but de perturber les plastiques, les le système hormonal à insecticides, les des fins thérapeutiques. vernis et les laques C’est notamment le cas de la pilule contraceptive à bois, les médicaments de confort, et de son composant principal, l’ethinyl-estra- et particulièrement diol. Son action est dix les cosmétiques. ⁄ fois plus puissante que les œstrogènes féminins et il se dégrade plus lentement. Il s’accumule donc dans l’environnement jusqu’à finir dans nos assiettes. La plupart des médicaments contiennent également des parabènes pour leur conservation (voir encadré sur les cosmétiques).

43

«faire peur ne sert à rien» Pour Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne, on doit mieux expliquer les enjeux liés à une exposition répétée à des substances problématiques. Où en est la législation concernant les perturbateurs endocriniens?

iv

Il existe un réel enjeu de définition, pour l’industrie comme pour la protection des citoyens. L’Europe a accepté le 4 juillet dernier une définition qui ne concerne que les substances chimiques identifiées comme perturbateurs endocriniens. Le texte indique qu’un lien de causalité évident chez l’homme doit exister pour pouvoir parler de perturbateurs endocriniens. Les ONG décrient cette définition, car ce lien est infaisable pour la plupart des substances. Il faudrait y inscrire la notion de perturbateur potentiel pour augmenter son efficacité.

nc

iv

Quels sont les plus gros pollueurs?

L’être humain, dans sa vie de tous les jours, est le plus grand pollueur des eaux, pas l’agriculture. Par exemple, sur le plan des médicaments présents dans le lac Léman, le plus important actuellement connu est la metformine, un antidiabétique issu de la consommation humaine. Après le marathon de Lausanne, un pic d’anti-inflammatoires est clairement mesurable dans les eaux de la station d’épuration.

nc

iv

Comment sensibiliser la population?

C’est un problème épineux. Il faut rendre les gens critiques, mais leur faire peur ne sert à rien! La peur rend paranoïaque ou fataliste et dans les deux cas les gens ne font rien de concret. Le grand public n’a pas de notion de dose, c’est certainement là que nous pouvons les informer. C’est la répétition des expositions et l’addition des substances qui jouent un rôle critique. Il faut donc se méfier des gestes répétitifs: mieux vaut éviter le soleil que de se tartiner tout l’été avec de la crème solaire.

nc


MENS SANA

COULISSES

DERRIÈRE LE TRAIT D’UNION PUBLIC-PRIVÉ TEXTE

Les partenariats entre les secteurs public et privé jouent un rôle crucial pour la recherche et l’innovation. Zoom sur les enjeux de ces collaborations en plein essor.

CHARLOTTE MERMIER

L

a Suisse investit 3% de son produit intérieur brut dans la recherche et l’innovation, l’un des taux les plus élevés parmi les pays occidentaux. Son système de recherche est très productif, et peut s’appuyer sur ses nombreux instituts publics d’excellence. Reste que deux tiers des efforts de recherche et développement (R&D) sont assurés par le secteur privé, selon le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation. Toujours plus fréquentes, les aides du secteur privé peuvent prendre des formes diverses, du financement d’un projet de doctorat à la collaboration totale des équipes, en passant par la création d’une chaire. La récente alliance pour la recherche et le développement de thérapies oncologiques conclue entre l’Université de Lausanne (UNIL), le CHUV et l’EPFL avec Roche en est un exemple. La participa-

44

tion financière du groupe pharmaceutique s’élève à 6 millions de francs et devrait s’étendre sur au moins trois ans.

«Avec beaucoup de partenaires, la philosophie est que chaque côté apporte son expertise, on collabore pour avancer ensemble, détaille Stefan Kohler, directeur du bureau de transfert de technologies du CHUV et de l’UNIL. Nos deux institutions lausannoises coopèrent aussi avec des acteurs privés sous forme de collaboration de recherche, de services ou encore des mandats de conseil.»

Décloisonner les compétences Tout le monde y trouve son compte, estime Jean-Philippe Lallement, directeur du Parc scientifique de l’EPFL. «Les entreprises recherchent dans le monde académique des technologies qui pourraient générer des innovations majeures. Quant aux instituts de recherche, ces partenariats leur permettent d’avoir un lien avec le marché et d’effectuer des tests directement avec l’industrie. Lorsqu’elle est développée avec un partenaire industriel, la technologie atteint déjà un certain degré de maturité et nécessite un temps d’adaptation plus faible pour être amenée sur le marché.»


MENS SANA

COULISSES

Pour les entreprises, un partenariat avec le public est un moyen de choix pour accéder aux compétences des chercheurs académiques et à leurs installations, et pour augmenter leur crédibilité au passage en bénéficiant de la réputation d’institutions de renom. Par ce biais, le secteur public, en plus de profiter d’une source de financement non négligeable, s’ouvre au monde économique et peut développer des technologies ayant une application concrète pour les utilisateurs finaux. Les retombées pour les deux parties peuvent prendre différentes formes, entre autres l’exploitation de brevets, la publication, le recrutement ou l’accès facilité à l’emploi.

61

EN POURCENTAGE, LA PART DES ÉTUDES CLINIQUES SOUMISES ANNUELLEMENT À L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS QUI SONT FINANCÉES PAR LE PRIVÉ. (SOURCE AEM 2015)

Écueils potentiels

Intérêts synchronisés

Pourtant, ces partenariats ne se font pas toujours sans difficultés ou désaccords. Les objectifs, les cultures, les habitudes de travail et les modes de communication ne sont pas nécessairement les mêmes entre les acteurs privés et publics: les uns garderont par exemple leurs résultats confidentiels jusqu’à ce qu’ils soient protégés par des brevets, tandis que les autres voudront rendre leurs résultats visibles en les publiant. La protection des données, la confidentialité et la propriété intellectuelle sont donc des sujets particulièrement sensibles. «Toute collaboration public-privé présente des risques de conflits d’intérêts, remarque Vincent Mooser, chef du Service de Chimie clinique au CHUV. Mais le danger le plus sournois concerne l’intérêt scientifique d’un projet. Avant de s’engager dans une collaboration, il faut que le chercheur se demande s’il va vraiment contribuer à faire avancer le savoir et le progrès médical.»

Une fois envisagée, comment faire en sorte qu’une collaboration se construise et se déroule de manière saine? Une vision et des objectifs partagés, un périmètre d’action clairement défini et une répartition claire des responsabilités sont les prérequis essentiels, estime Vincent Mooser, prenant l’exemple du projet CoLaus, une étude de cohorte menée à Lausanne pour mieux comprendre les facteurs à risque de certaines maladies cardiovasculaires et leurs liens avec la santé psychique. «Ce projet n’aurait jamais pu être lancé sans le financement du groupe GlaxoSmithKline. Mais si cette collaboration a bien fonctionné, c’est parce que dès le départ, les parties ont mené des discussions franches et transparentes, lors desquelles les points essentiels ont été définis.»

45

Concrètement, les contrats sont gérés par l’office de transfert de technologies de l’institut concerné, qui


MENS SANA

COULISSES

22,06 EN MILLIARDS DE FRANCS, LE MONTANT DES DÉPENSES EN MATIÈRE DE RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT INTRA-MUROS EN SUISSE EN 2015.

(SOURCE: OFS 2017)

les négocie et fait en sorte qu’ils respectent les règles institutionnelles et les lois applicables. «Par exemple, nous sommes particulièrement sensibles à l’absence de censure, précise Stefan Kohler. Le droit du chercheur à publier ses résultats est un droit fondamental. Il doit cependant parfois être restreint de manière très légère: la publication peut être retardée pour une période limitée afin de permettre la protection des résultats, sous forme de brevet par exemple, pour qu’ils puissent être exploités commercialement. On pondère au mieux les intérêts de chacun des partenaires.» Le travail de ces offices du transfert des technologies consiste donc à trouver le juste milieu. «Les missions principales de nos institutions sont la recherche et l’enseignement – et évidemment les soins pour le CHUV – mais aussi la valorisation des résultats de la recherche. Il s’agit donc d’équilibrer les droits fondamentaux, d’un coté la liberté de la science et la liberté économique de l’autre. Il faut faire preuve de bon sens, ne pas mettre les affaires du partenaire en danger en publiant par exemple des informations confidentielles de l’entreprise. Nous faisons aussi attention à ne pas créer une distorsion de la concurrence en mettant à disposition des moyens publics pour une entreprise en particulier.»

46

Ces collaborations sont-elles régies par des règles claires? «Absolument. L’accord est précisément défini dans le contrat: des clauses de publication, de confidentialité, de droit de propriété intellectuelle et d’exploitation ainsi que des compensations y sont incluses. Ces compensations associées doivent être équitables, tant au niveau des moyens déployés pour la recherche que de la propriété intellectuelle qui pourrait être créée. Cependant, légalement, il n’y a pas une seule règle que l’on pourrait simplement citer, continue Stefan Kohler. Le cadre légal est entre autre déterminé par la Constitution, le droit privé et pénal, le droit cantonal, les directives institutionnelles, les recommandations de l’Académie Suisse des Sciences, la jurisprudence…» Ce cadre est donc relativement complexe mais il définit de nombreux garde-fous. Le CSSI, organe consultatif du Conseil fédéral, a formulé en 2013 certaines recommandations afin de clarifier les règles du jeu: il proposait, entre autres, que les clauses des contrats soient transparentes et accessibles au public, que la liberté de la recherche et de la communication scientifique des résultats soit expressément garantie en n’importe quelle circonstance. La Conférence des recteurs des universités avait toutefois rejeté cet appel, avec le soutien de la Confédération.

Au final, si le bon fonctionnement des partenariats public-privé repose en grande partie sur les offices de transfert des technologies, la vigilance des principaux acteurs concernés, des médias et du public permet aussi, parfois, de soulever les bonnes questions. ⁄


MENS SANA

CHRONIQUE

MAËL LEMOINE Maître de conférences à l’Université de Tours

La médecine vue sous l’angle de la philosophie Dans leur propre domaine ensuite, les philosophes ont développé une véritable discipline, la «philosophie de la médecine», dont les questions principales sont la nature du phénomène pathologique, les classifications des maladies, le concept de santé des populations, la nature des explications médicales, le pouvoir et les limites de la prédiction, le fonctionnement des preuves en médecine, les difficultés de la décision médicale, la notion de causalité en médecine et, bien entendu, l’ensemble des problèmes spécifiques soulevés par la psychiatrie.

Comme leurs contemporains, les philosophes s’inquiètent de souffrir, de vieillir, de mourir, et de voir souffrir, vieillir et mourir. Depuis le début des années 2000, des philosophes en nombre croissant se sont interrogés sur la médecine, avec l’effet soit d’enseigner la philosophie à des médecins, soit d’étudier les sciences et les pratiques médicales, soit de contribuer au mouvement des connaissances médicales.

Une poignée de philosophes enfin se sont intégrés aux équipes de recherche, tentant Dans l’enseignement d’abord, c’est l’éthique, une par-là de contribuer à l’évolution des discipline philosophique par tradition, qui tient connaissances médicales. Les avancées le haut du pavé. Sous la pression de l’opinion et technologiques entraînent en effet des défis de la souffrance des soignants eux-mêmes, on a conceptuels. Spécialiste, pour ainsi dire, appelé les philosophes à la rescousse pour des situations confuses où un raisonnement «remettre du sens» dans le soin et éclairer les questions auxquelles la loi ne suffit pas rigoureux peut dissiper les ambiguïtés et toujours à répondre. Ni censeurs ni maîtres à proposer des visions d’ensemble éclairantes, penser, ils sont désormais les compagnons le philosophe s’est intéressé récemment à ce de route des professionnels de la santé pour que l’on appelle la «médecine personnalisée» clarifier les problèmes de la fin de vie, de ou parfois la «médecine de précision», mais aussi l’accompagnement des personnes vulnérables, aux modélisations du développement du cancer des choix cornéliens opposant les aspirations ou du système immunitaire. Par exemple, les à la bienfaisance, à l’autonomie et à la justice. possibilités offertes par le séquençage à haut débit et les données massives dépassent de loin les modes de raisonnement traditionnels et nécessitent d’imaginer de nouvelles manières d’exploiter l’information. Il n’est pas incongru de faire appel à un philosophe, aux côtés du mathématicien PROFIL Maître de conférences et du biologiste.

DR

au sein de la faculté de médecine de l’Université de Tours et auteur ou coauteur de nombreux articles et ouvrages, Maël Lemoine vient de publier ce printemps une Introduction à la philosophie des sciences médicales.

47

Nul doute que la philosophie de la médecine a devant elle un avenir radieux. La dernière étape est peut-être, pour les philosophes de la médecine, de faire connaître ces manières de travailler au public le plus large. ⁄ À LIRE

«Introduction à la philosophie des sciences médicales», Hermann, 2017


TEXTE ANDRÉE-MARIE DUSSAULT ILLUSTRATION LINDA ROBERTS MATZINGER

48

PLUS DURES SONT LES CHUTES! Avec le vieillissement de la population, les chutes et leurs conséquences deviennent un vrai problème de santé publique. Si la clé pour éviter le pire est souvent de savoir se rattraper, de nouveaux outils technologiques permettent aussi de mieux les anticiper.

À

88 ans, Berthe vivait seule avec son chat, en pleine forme et de manière totalement autonome. Jusqu’à ce qu’elle trébuche chez elle et se fracture une hanche en se heurtant contre un meuble. L’ancienne bibliothécaire fait partie des 30% de personnes âgées de 65 ans et plus qui tombent chaque année dans le pays, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Les chutes représentent aujourd’hui la deuxième cause de décès accidentels ou par traumatisme involontaire, après les accidents de la route. Outre les souffrances qu’elles causent, les arrêts IN CORPORE SANO

de travail, les prises en charge chirurgicales et les hospitalisations qu’elles entraînent, les chutes engendrent annuellement des frais de santé se comptant en millions de francs.

«CHEZ LES AÎNÉS, UNE CHUTE PEUT REPRÉSENTER LE DÉBUT DE LA FIN.» OLIVIER BORENS, médecin chef de l’Unité de traumatologie et de chirurgie septique du CHUV

INÉVITABLES, MAIS RATTRAPABLES

Si chez un enfant, une fracture consécutive à une chute est guérie en quelques semaines, pour les aînés, par contre, elle peut représenter le début de la fin, remarque Olivier Borens, médecin-chef de l’Unité de traumatologie et de chirurgie septique du CHUV: «La victime âgée peut dès lors commencer à perdre son indépendance, et sa qualité de vie peut s’en trouver significativement réduite.»


49

CORPORE SANO

TENDANCE


50

DES CHUTES ET DES CHIFFRES

Les enfants possèdent des os plus élastiques, moins frêles et ont l’habitude de se protéger, explique le médecin. «En tombant, ils ont tendance à se fracturer davantage un membre supérieur, tandis que les gens de 65 ans et plus se cassent tant des os des membres inférieurs (cheville, rotule, fémur...) que supérieurs (poignet, radius, humérus...).» Deux groupes sont plus vulnérables aux blessures résultant d’une chute. Les hommes âgés entre 20 et 30 ans sont les plus exposés, avec des chutes souvent liées à des activités à haute énergie, intervenant par exemple lors d’accidents de la route ou sur le lieu de travail. Mais les femmes âgées de 70 à 80 ans le sont tout autant, parce qu’elles souffrent davantage d’ostéoporose, qui réduit la densité et la masse des os, explique Olivier Borens. «Dans cette tranche d’âge, en nombre absolu, les femmes sont trois fois plus susceptibles que les hommes de se casser un os en tombant.» À partir d’un certain âge, la chute devient donc quasiment inévitable. «Nous sommes plus facilement déstabilisés, nous avons moins d’équilibre, nous réagissons plus lentement», détaille le spécialiste. «Naturellement, si un patient a été sportif toute sa vie, il aura des os et des muscles plus forts, il sera plus vif. À l’opposé, s’il est sédentaire, qu’il se nourrit mal, manque de calcium et de vitamine D, ses os seront plus fragiles.»

280’000: c’est le nombre moyen de victimes de chutes en Suisse entre 2010 et 2014. Parmi elles, près de 1400 succombent à leurs lésions. Les personnes âgées comptent pour 96% de ces décès. Un tiers des individus de 65 ans et plus tombent chaque année. Une écrasante majorité des chutes – 94% – surviennent à domicile. Neuf fractures de la hanche sur dix sont imputables à des chutes. Dans un rapport publié cette année, l’Organisation mondiale de la santé estime que chaque année près de 37,3 millions de chutes sont suffisamment graves pour nécessiter des soins médicaux, et que 424’000 d’entre elles s’avèrent mortelles.

En suivant des séances de physiothérapie, certaines personnes âgées peuvent toutefois devenir plus alertes, adopter une meilleure posture et apprendre à mieux se protéger, et surtout à mieux se rattraper. La gravité d’une chute dépend en effet souvent de la manière avec laquelle on se rattrape. CORPORE SANO

TENDANCE

UN OUTIL POUR METTRE LES CHUTES AU PAS

Incontestablement, avec une population qui prend de l’âge et qui est plus prompte aux chutes, la géronto-traumatologie est donc appelée à se développer énormément, souligne Olivier Borens. «Dans un avenir proche, il faudra investir dans la prévention des chutes, la fortification de l’os porotique, les techniques chirurgicales, ainsi que les structures d’accueil et de rééducation postfracture.»

LA GRAVITÉ D’UNE CHUTE DÉPEND SOUVENT DE LA MANIÈRE AVEC LAQUELLE ON SE RATTRAPE Des solutions technologiques pourraient aussi contribuer à mieux les voir venir, à l’instar de l’exosquelette intelligent mis au point par des chercheurs de l’EPFL et de la Scuola Sant’Anna en Italie, consistant en une combinaison robotique permettant d’éviter les pertes d’équilibre. Ou encore, du dispositif d’analyse de la marche conçu par la start-up vaudoise Gait Up, à l’origine d’une petite révolution. «Il s’agit d’un “thermomètre” de la mobilité, destiné notamment aux professionnels de la santé, cliniciens, physiothérapeutes et chercheurs», explique Cléo Moulin, responsable des ventes. Grâce à un boîtier de 3x1 centimètres placé sur la chaussure du patient,


51

Comment réduire les risques?

différents paramètres comme la vitesse de la marche, la symétrie et la hauteur des pieds peuvent être mesurés. La marche est un bon indicateur de l’état de santé général d’une personne, fait valoir la jeune femme. «La fonction mobile est le résultat des conditions cardiaque, pulmonaire, musculaire et osseuse. En l’analysant, on peut prédire précisément les risques de morbidité et de chute. Il est démontré, par exemple, qu’une vitesse de marche de 1,2 mètre par seconde est nécessaire pour traverser la route sans danger et que marcher à 0,6 mètre par seconde présage des risques de chute et d’hospitalisation», affirme-t-elle. Le suivi de l’évolution des paramètres dans le temps permet d’anticiper les risques, avant même que les premiers signes de déclin de la fonction mobile ne soient visibles. Au même titre que la mesure de la pression artérielle ou de la température corporelle, le dispositif fait désormais partie de la routine de nombreux gérontologues. Ses principaux intérêts? La vitesse, la précision et la facilité d’utilisation. Le test qui consiste à faire marcher le patient 10 mètres aller-retour est ainsi effectué en deux minutes. L’analyse des résultats peut ensuite être consultée via une tablette ou un ordinateur. «Le système remplace un laboratoire équipé de matériel sophistiqué avec du personnel formé.»

Bien s’alimenter et s’entraîner physiquement pour augmenter la force et l’équilibre. Passer au crible son lieu de résidence et ses comportements, notamment en éliminant les câbles traînant au sol, les coins de tapis qui se dressent, les mauvais éclairages. Porter des chaussettes et des souliers antidérapants, mettre un tapis antidérapant et des poignées dans la baignoire, et tenir la rampe en montant et en descendant les escaliers. Enfin, éviter la consommation abusive d’alcool, de drogues et de médicaments.

Vendu entre 3’000 et 7’000 francs, le dispositif permet aussi d’apprécier comment un patient récupère à la suite de la pose d’une prothèse, de contrôler si un traitement est efficace, et même de diagnostiquer des troubles neurologiques comme la maladie de Parkinson. «Dans une société où il faut toujours CORPORE SANO

TENDANCE

DES SOLUTIONS TECHNOLOGIQUES POURRAIENT PERMETTRE D’ÉVITER LES PERTES D’ÉQUILIBRE davantage justifier une intervention ou son absence, cette précision, chiffrée, est appréciable, d’autant qu’elle permet de prescrire une thérapie adaptée.» Le Service de gériatrie du CHUV utilise le dispositif commercialisé par Gait-Up depuis une quinzaine d’années. «Il s’est beaucoup perfectionné avec le temps. Aujourd’hui, il est gros comme une boîte d’allumettes et permet d’extraire beaucoup plus de données qu’à l’époque», note Christophe Büla, chef du Service de gériatrie et de réadaptation gériatrique, qui se félicite de son usage toujours plus répandu. /


52

TEXTE SOPHIE GAITZSCH

QUAND L’HÔPITAL FAIT LA SOURDE OREILLE CONSULTATION POUR LES FEMMES ENCEINTES MALENTENDANTES, RECOURS À DES INTERPRÈTES, SENSIBILISATION DES SOIGNANTS: LES HÔPITAUX SUISSES COMMENCENT À COMBLER LEUR RETARD EN MATIÈRE D’ACCÈS AUX SOINS DES PERSONNES ATTEINTES DE SURDITÉ.

L

a scène se passe chez nos voisins français. Dès son arrivée à l’hôpital, le patient est dirigé vers un accueil spécifique. Il est reçu par un médecin qui évalue ses besoins en communication, puis l’oriente. L’équipe est composée de personnel médical qui maîtrise la langue des signes française (LSF), de travailleurs sociaux et d’interprètes. En France, il existe désormais 26 de ces dispositifs bien huilés, appelés «Unités d’accueil et de soins des sourds» et répartis dans tout le pays. L’Hexagone se trouve en effet à la pointe en matière d’accès aux soins pour les sourds. Une prise de conscience qui date du début des années 1990, lorsqu’il apparaît que le VIH se répand dans la population sourde alors qu’elle est en régression dans la population générale. La première consultation ouvre à Paris en 1996. Elle anticipe 200 CORPORE SANO

patients, mais en reçoit rapidement 2000, révélant l’ampleur des besoins. Parmi les voisins de la Suisse, l’Autriche est aussi souvent citée en exemple pour ses unités dédiées. On ne trouve à l’heure actuelle rien de tel dans les hôpitaux helvétiques. Les 10’000 personnes atteintes de surdité profonde, selon les estimations de la Fédération suisse des sourds (FSS), sont confrontées à de nombreux obstacles lorsqu’elles doivent se faire soigner. En Suisse romande, il existe un service d’interprètes professionnels, mais ils sont peu nombreux et aucune présence permanente n’est assurée dans les hôpitaux. Pour un patient sourd, se faire accompagner par un proche qui maîtrise la LSF peut par ailleurs poser problème, par exemple s’il est amené à parler de sujets intimes. Au final, notamment en cas d’urgence, il n’est pas rare que les patients se retrouvent à l’hôpital sans interprète. «Dans PROSPECTION

une telle situation, une personne sourde aura de grandes difficultés à comprendre ce que dit le médecin et à expliquer de quoi elle souffre, souligne Sandrine Burger, porte-parole de la FSS. Et l’idée que l’on peut simplement communiquer par écrit est fausse: des générations entières de sourds ont été mal formées et éprouvent des difficultés à lire et écrire.» Quant à la lecture sur les lèvres, elle permet une compréhension entre 30% et 60%. En cas de stress et de souffrance, le niveau de compréhension est encore plus bas. La lecture labiale demande par ailleurs un effort de la part du soignant: se placer en face de la personne, être attentif à la lumière, articuler, mimer, montrer, ne pas mâcher de chewing-gum ou porter une moustache… «Un séjour à l’hôpital génère une grande anxiété pour les personnes sourdes, constate Françoise Esen, sage-femme au CHUV, qui maîtrise la langue des signes et connaît bien la surdité.


53

FÉDÉRATION SUISSE DES SOURDS

Lexique médical en langue des signes française: ambulatoire, accoucher, médecin, douleur, mal à la tête, saigner, bandage, désinfecter.

Il s’agit de patients vulnérables. Sans interprète, pour ne pas gêner, il arrive souvent qu’ils disent ’oui, oui’ alors qu’ils n’ont pas vraiment compris.» Un décalage qui peut avoir un impact important sur la qualité des soins. En 2011, le CHUV a mis en place une consultation de gynécoobstétrique pour femmes sourdes et malentendantes, une première en Suisse. Elle est assurée par la gynécologue Martine Jacot-Guillarmod et la sage-femme Françoise Esen. «L’objectif de la consultation est d’instaurer un climat de confiance, en proposant un accueil en langue des signes dans un même lieu, avec les mêmes personnes», indique CORPORE SANO

Martine Jacot-Guillarmod. Le temps de consultation, deux fois ou trois fois plus long, constitue une autre spécificité. «J’adapte le discours pour qu’il ne soit pas trop académique, je reformule et je vérifie la compréhension du message, détaille Françoise Esen. Il y a toujours un décalage entre ce qui est dit et compris.» Pour les suivis de grossesse, la sage-femme est présente à tous les rendez-vous, mais aussi lors du travail et de l’accouchement. Elle propose par ailleurs un cours de préparation à la naissance et des visites de la maternité spécifiques. «La population sourde consulte très peu, d’autant plus dans un domaine intime tel que la gynécologie, constate Martine PROSPECTION

Jacot-Guillarmod. Aujourd’hui, l’enjeu consiste aussi à montrer que nous sommes à disposition, également hors grossesse, pour toute question gynécologique.» Autre témoin de l’intérêt croissant pour répondre aux besoins spécifiques des patients sourds: le succès des cours de sensibilisation à la langue des signes destinés au personnel soignant. Auteur d’un mémoire sur le sujet, le Genevois Valentin Marti a initié en 2015 le projet Medsigne, qui propose des cours à l’intention des étudiants en médecine. À Lausanne, le projet Breaking the Silence organise régulièrement des formations destinées aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels du domaine de la santé. ⁄


54

BIOMIMÉTISME: LA NATURE COPIÉE-COLLÉE De nombreux chercheurs se tournent vers la nature pour innover dans le domaine médical. Tour d’horizon de projets «bio-inspirés». TEXTE: ANNE-SOPHIE DUBEY

a peau de requin présente des nanostructures dentelées empêchant le dépôt de mollusques, d’algues et même de bactéries. L’entreprise américaine Sharklet s’en est inspirée pour développer des revêtements de surface diminuant la prolifération bactérienne dans les hôpitaux. Le tout, sans recourir à des antibiotiques ni à des produits désinfectants. Déjà commercialisé, ce film protecteur s’est imposé comme l’un des meilleurs exemples concrets de «biomimétisme» dans le monde médical: une discipline qui consiste à imiter des solutions trouvées dans la nature pour les adapter aux problèmes humains. En Suisse romande aussi, certaines innovations médicales s’inspirent de la nature. À l’EPFL, CORPORE SANO

par exemple, une plateforme interdisciplinaire s’intéresse à ce phénomène depuis deux ans: elle regroupe 33 laboratoires et compte une soixantaine de projets dits «bio-inspirés», dans des domaines aussi variés que la robotique, la mécanique ou la bio-ingénierie. «Notre programme rassemble des chercheurs d’horizons divers, mais tous partagent ce sentiment d’émerveillement face au monde naturel, souligne Darja Dubravcic, coordinatrice de la plateforme. Dans une vision à long terme surtout, il ne peut y avoir de meilleur modèle que le vivant. Car les procédés qui fonctionnent dans la nature sont le fruit d’un long processus d’évolution.» «Mimer la nature s’avère particulièrement utile lorsque INNOVATION

l’on n’arrive à aucune solution autrement», précise Dominique Pioletti, directeur du laboratoire de biomécanique en orthopédie (LBO) de l’EPFL. En collaboration avec Pierre-Étienne Bourban, du laboratoire de mise en œuvre de composites à haute performance (LPAC), il développe des implants bio-compatibles copiant la structure du cartilage. «Contrairement à l’os, le cartilage n’est pas du tout vascularisé, ce qui rend sa guérison d’autant plus difficile», détaille Dominique Pioletti. Il n’existe pour l’instant que deux traitements contre l’usure du cartilage articulaire, situé aux extrémités des os longs: la réinjection de cellules cultivées in vitro à partir de tissu cartilagineux sain, d’une part, et la réalisation de micro-


55

LA BAVE DE LIMACE, SI PROMETTEUSE

LA PEAU DE REQUIN, MULTI-USAGES

La peau de requin inspire les chercheurs en raison de ses propriétés anti-salissures et anti-turbulences.

CORPORE SANO

INNOVATION

EYE OF SCIENCE/SCIENCE PHOTO LIBRARY

IAN GOWLAND/SCIENCE PHOTO LIBRARY

Le mucus des limaces est à la fois collant et élastique. S’en inspirant, des chercheurs de l’Université Harvard ont développé une nouvelle colle chirurgicale ultrarésistante pour réparer les tissus. Après des essais sur des cœurs et des artères de porc et de rat, les scientifiques préparent les premiers essais cliniques sur des humains.


56

UNE PHILOSOPHIE INTEMPORELLE Le terme «biomimétisme», du grec «bios» vie et «mimèsis» imitation, est apparu pour la première fois en 1969, dans un article du biophysicien Otto H. Schmitt. Dans le secteur de la santé, il s’agit pourtant d’une pratique qui s’est développée sur trois niveaux, depuis l’Antiquité:

fractures dans la partie osseuse sous-jacente, pour mettre en contact des cellules souches et sanguines avec le cartilage dégénéré, d’autre part. «On a choisi l’approche biomimétique, car les deux moyens thérapeutiques existants ne procurent pas de résultats satisfaisants.» Avec son équipe, le chercheur s’est ainsi donné pour mission de synthétiser des matrices poreuses qui reproduiraient les propriétés mécaniques respectives des trois zones du cartilage: un tissu mou en surface pour favoriser le glissement entre les os, une zone médiane plus dure permettant au tissu cartilagineux de supporter de lourdes charges et enfin, un réseau de fibres encore plus rigide dans la région profonde, afin d’ancrer le cartilage à l’os. «Plus on augmente la densité fibreuse, plus on accroît la résistance du tissu, remarque Dominique Pioletti. Dans un premier temps, on utilise un principe similaire à l’impression 3D pour superposer des fibres, tout en veillant à changer leur

BIOMIMÉTISME FORMEL

Les Égyptiens déjà cherchaient à imiter les formes de la nature pour innover dans le monde médical. Les premières prothèses identifiées comme fonctionnelles dateraient d’il y a presque 3000 ans. Fabriquées en bois, elles servaient de substitut au gros orteil.

densité – l’idée et le défi étant de reproduire la variation mécanique du cartilage naturel. Dans un second temps, on ajoute des cellules spécialisées, appelées chondrocytes, pour que la matrice ressemble vraiment à la structure du cartilage naturel et qu’elle puisse ainsi se résorber une fois la guérison stimulée.» Si les deux associés

«LES INGÉNIEURS PEUVENT AUSSI S’INSPIRER DE LA NATURE DANS L’OPTIQUE DE LA DÉCRYPTER PUIS DE L’AMÉLIORER» CORPORE SANO

INNOVATION

BIOMIMÉTISME FONCTIONNEL

Grâce aux microet nanotechnologies, les scientifiques peuvent désormais se concentrer sur la fonction. En 2015, une équipe suédoise a conçu le premier prototype d’un neurone biomimétique, consistant en une pompe à ions et un biocapteur artificiels, reliés par un fil électrique qui pourrait aider les patients atteints de maladies neurodégénératives.

BIOMIMÉTISME SYSTÉMIQUE

L’étude des systèmes reste un volet important du biomimétisme. Depuis les années 1960, ingénieurs et biologistes essaient de développer des exosquelettes imitant le système nerveux humain, pour aider les paraplégiques à marcher à nouveau.

ont déjà obtenu des résultats prometteurs sur des modèles expérimentaux, leur cartilage biomimétique doit encore passer de nombreux tests avant de pouvoir être implanté un jour sur des patients. QUAND LA ROBOTIQUE S’ALLIE À LA BIOLOGIE

Le biomimétisme ne se limite toutefois pas à la reproduction de structures biologiques. La chercheuse Jamie Paik, directrice du laboratoire de robotique reconfigurable (RRL) de l’EPFL, applique cette même philosophie pour imiter, plus que reproduire à proprement parler, des phénomènes naturels. «Je consacre une partie de mes recherches au développement de robots mous en caoutchouc, qui


57

NAGER COMME UN POISSON, VOLER COMME UN OISEAU Plantes, insectes ou oiseaux inspirent de longue date les chercheurs. Revue de quelques projets emblématiques.

imitent la fonction des muscles humains, sans pour autant en avoir l’apparence, explique-t-elle. Le robot doit pouvoir suivre les mouvements naturels du corps, ne pas être désagréable à porter et, à la fois, être suffisamment rigide pour générer un minimum de force. Il faut donc maîtriser la biomécanique des muscles pour trouver cet équilibre entre mollesse et rigidité.» À l’instar des muscles, qui fonctionnent comme des ballons remplis de sang, ces robots mous, en forme de tubes allongés contenant de l’air, se dilatent et changent de direction en fonction de la pression exercée. Une fois perfectionnée, cette technologie pourrait notamment être utilisée dans la région des muscles obliques et du bas du dos pour aider les personnes souffrant de raideurs. «Les ingénieurs peuvent aussi s’inspirer de la nature dans l’optique de la décrypter puis de l’améliorer», remarque Selman Sakar, directeur du laboratoire des systèmes micro-bio-robotiques (MICROBS) de l’EPFL. Selman Sakar travaille justement à l’élaboration de robots microscopiques mimant les mouvements et les propriétés des microorganismes et des cellules eucaryotes, dans le but de les faire interagir avec l’environnement cellulaire et de comprendre comment les cellules communiquent par signaux mécaniques. «Quels stimuli engendrent la formation de tissus? Qu’est-ce qui dysfonctionne en cas de maladie? Et comment peutCORPORE SANO

AILES D’OISEAU

En 1903, les Américains Orville et Wilbur Wright effectuent le premier vol à bord d’un avion motorisé. Le système de contrôle de leur engin s’inspire de la manière dont les oiseaux utilisent les courants d’air pour gagner de l’altitude. GRANDE BARDANE

Rentré d’une partie de chasse, l’ingénieur suisse George de Mestral remarque que les épines des fruits de bardane qui se sont accrochés à ses vêtements sont munies de petits crochets élastiques. En 1955, il en conçoit le système de fermeture auto-agrippant «Velcro». PEAU DE REQUIN

La peau de requin est composée de denticules dont la forme empêche la fixation de bactéries ou de parasites. En 1986, l’entreprise 3M et la NASA en tirent un revêtement qui permet d’améliorer l’aérodynamisme des aéronefs. TERMITIÈRES AFRICAINES

Inauguré en 1996, le complexe administratif et commercial Eastgate Centre à Harare (Zimbabwe) présente la particularité de ne pas posséder de système d’air conditionné traditionnel. Son architecte a imaginé un système de régulation de la chaleur basé sur les termitières. CHAUVES-SOURIS

Ces animaux nocturnes utilisent l’écholocation pour s’orienter dans l’obscurité. Des chercheurs de l’Université de Wake Forest, en Caroline du Nord, développent depuis 2014 un système de navigation similaire, pour permettre à terme aux personnes aveugles de se déplacer plus facilement.

on stimuler la régénération cellulaire? Voilà le genre de questions auxquelles nos machines biomimétiques pourraient apporter des réponses», explique le roboticien. Le biomimétisme invite donc parfois à reproduire la nature le plus exactement possible, à imiter l’un de ses mécanismes, INNOVATION

ou simplement à mieux la comprendre dans le but d’optimiser certains de ses procédés, portant un message idéologique fort: «Le biomimétisme nous aide en effet à trouver des solutions à nos problèmes en travaillant avec la nature et non plus en nous distinguant d’elle», résume la biologiste Darja Dubravcic. ⁄


58

LA GALE, UNE MALADIE QUI GRATTE, ENCORE ET ENCORE Associée au Moyen Âge, la gale refait parler d’elle en Suisse. À quoi est dû le retour de cette infection parasitaire hautement contagieuse, et comment limiter sa propagation? TEXTE: LÉANDRE DUGGAN

l creuse un tunnel dans la couche cornée de l’épiderme de l’homme. Dans son petit sillon, le sarcopte avance d’1 à 2 millimètres par jour. À l’intérieur de ces galeries, le minuscule acarien pond alors entre trois et cinq œufs par jour. Une fois écloses, les larves s’accouplent. Le mâle meurt, tandis que la femelle reprend sa balade. S’il n’est pas visible à l’œil nu, ce curieux manège provoque des démangeaisons bien réelles, souvent insoutenables.

Objet de nombreux traités médicaux au Moyen Âge, la gale est de retour sur la scène médiatique depuis quelques mois. Elle toucherait actuellement 300 millions de personnes dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé. CORPORE SANO

Faute d’obligation de la déclarer, des chiffres précis manquent pour la Suisse. Au CHUV, on estime que quelques cas surviennent chaque semaine, et à Genève, les affections auraient été multipliées par trois ces quatre dernières années. En 2016, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) dénombraient en moyenne 13 cas par mois, touchant une personne, une famille ou un groupe de personnes vivant sous le même toit.

O

utre des démangeaisons insupportables, la gale a en effet la fâcheuse particularité d’être hautement contagieuse en cas de contact peau à peau prolongé. Le parasite ne vit pas longtemps en dehors du corps humain et «se serrer la main ne APERCU

représente aucun risque», indique Olivier Gaide, médecin adjoint en dermatologie au CHUV, mais il peut se transmettre de manière indirecte, par les linges ou la literie. Les EMS, les crèches ou les centres pour requérants sont particulièrement susceptibles d’être touchés en raison de la promiscuité qui peut y régner. Aux HUG, Emmanuel Laffitte, médecin adjoint au Service de dermatologie, a vu le nombre de cas augmenter ces dernières années, mais n’attribue pas cette LE PRURIT Du latin pruritus, le prurit désigne la sensation de démangeaison. Il constitue le principal symptôme en cas de gale et il est provoqué par les déjections et les œufs du sarcopte. Les démangeaisons peuvent être si féroces qu’elles sont susceptibles de conduire les malades à l’épuisement, les empêchant de dormir. Chez les enfants, de rares cas peuvent mener les lésions cutanées à se surinfecter.

SCIEPRO/SCIENCE PHOTO LIBRARY, JOHN RADCLIFFE HOSPITAL/SCIENCE PHOTO LIBRARY, MORGANE ROSSETTI

I

LA GALE La gale est une maladie infectieuse de la peau. Son agent est le sarcopte, un minuscule acarien. Il en existe des variétés spécifiques à certains mammifères, mais celui qui attaque l’homme se nomme le Sarcoptes scabiei var hominis. Entre la gale commune de l’adulte, celle du nourrisson, la profuse, ou encore l’hyperkératosique, ce sont les deux dernières qui sont les plus contagieuses. La plus difficile à diagnostiquer est la gale dite des «gens propres».


59

OLIVIER GAIDE

PEAU INFECTÉE

SARCOPTE

recrudescence aux seuls migrants. La maladie touche aussi les personnes revenues d’un séjour à l’étranger. Dans une colocation d’étudiants ou une grande maisonnée, une fois une personne infectée, la gale peut vite en atteindre une dizaine, «y compris celles qui affichent une hygiène irréprochable». DIAGNOSTIC À L’ENCRE DE CHINE

«Pas grave, mais embêtante», la gale est une affection bégnine, explique Olivier Gaide. En cas de doute, et pour éviter de consulter à chaque prurit, on peut examiner plus particulièrement deux parties du corps: en effet, le sarcopte ne s’attaque ni au visage ni au cuir chevelu (excepté chez les patients immunosupprimés), et si le doute subsiste, par exemple après un voyage, c’est le fait que d’autres membres du cercle familial se grattent qui devrait mettre la puce à l’oreille. Lorsque la consultation s’impose, plusieurs moyens sont utilisés CORPORE SANO

pour poser le diagnostic. Le test à l’encre de Chine, qui consiste à appliquer de l’encre – de nos jours un stylo chirurgical – sur la peau, est une première étape. Après l’avoir essuyé avec un coton imbibé d’alcool, le liquide restant fait apparaître le canal creusé par le parasite.

C

e procédé est désormais complété par le dermatoscope. Il permet de trouver la forme d’aile delta, dessinée par la tête et les quatre pattes avant du sarcopte. De nouveaux microscopes indolores, que l’on peut poser à même la peau, permettent aussi d’observer des détails de la peau sans effectuer de biopsie. Un seul sarcopte trouvé est suffisant pour prouver l’infection. Le traitement, enfin, est réalisé à l’aide d’ivermectine. La voie orale est la plus efficace. Mais comme le médicament n’est plus produit en Suisse, il peut être APERCU

LE DERMATOSCOPE Il s’agit d’un appareil comportant des lentilles grossissantes. Cette loupe médicale dotée d’un système d’éclairage sert à observer la peau. Dans le cas de la gale, l’instrument permet de constater, dans 80% des cas, l’aile delta du sarcopte.

difficile à trouver. À Lausanne, les patients peuvent se le procurer à la Pharmacie Internationale. «Comme le médicament doit être importé, il n’est pas remboursé par l’assurance maladie», précise toutefois Emmanuel Laffitte.

A

u traitement médicamenteux s’ajoute un lavage à 60 °C de tout textile qui a été en contact avec la peau du patient, de manière à réduire les risques de transmission du parasite. Plus ennuyeuse que grave, la gale se soigne bien, conclut Olivier Gaide: «Pas besoin, donc, d’en faire une psychose!» ⁄


60 RECHERCHE

«In Vivo» vous fait découvrir dans chaque numéro les travaux d’une équipe de chercheurs de la Faculté de biologie et médecine de Lausanne

DANIEL MARBACH

Chercheur au Département de biologie computationnelle de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

Les réseaux de gènes pour décrypter les maladies complexes TEXTE: WILLIAM TÜRLER

L

es variants génétiques, ces «lettres» qui composent la séquence de notre ADN et qui diffèrent d’une personne à l’autre, ont une influence sur la probabilité de développer une maladie dite complexe comme le diabète, le cancer ou la dépression. À Lausanne, des travaux menés par des chercheurs du Département de biologie computationnelle (DBC) de la Faculté de biologie et de Ils ont réussi à en constituer pour environ 400 types médecine de l’UNIL montrent différents de cellules et tissus humains, soit la plus comment ces variants ont la large collection à ce jour. Chacun de ces réseaux capacité de désorganiser des décrit des centaines de milliers d’interactions réseaux de gènes dans divers régulatrices parmi plus de 19’000 gènes, ce qui tissus de notre corps. donne, pour la première fois, une vision globale du «système de contrôle» de ces cellules et tissus. «Le défi réside dans le fait que plus de 90% des variants professeur Sven Bergmann, génétiques sont situés en dehors «Nous avons pu démontrer, responsable du DBC, ces par exemple, que des patients des gènes, dans des régions travaux permettront de mieux souffrant de schizophrénie ont du génome qui restent encore comprendre le démarrage et mal comprises», souligne Daniel des variants génétiques qui la progression des maladies Marbach, chercheur au DBC. Les perturbent des gènes du tissu complexes, et par conséquent scientifiques lausannois ont donc cérébral, alors que des variants d’élaborer des traitements plus associés à l’obésité interfèrent créé des «cartes» précises des efficaces et plus ciblés, présenréseaux de régulation contrôlant avec des gènes qui interagissent tant par ailleurs moins d’effets dans les tissus du système l’activité des gènes dans une secondaires pour le patient. ⁄ intestinal.» Dirigés par le cellule ou un tissu donné.

CORPORE SANO

LABO


61

RÉÉDUCATION EN PLEIN AIR PROJET PILOTE Depuis 2014, le jardin thérapeutique du CHUV contribue à favoriser l’éveil des patients sortant d’un coma. Visite des lieux. TEXTE: STÉPHANIE DE ROGUIN, REPORTAGE PHOTO: HEIDI DIAZ

CORPORE SANO

EN IMAGES


62

En annexe du bâtiment principal du CHUV, un espace vert de rééducation équipé de plusieurs dispositifs est destiné aux patients neurolésés. Le jardin thérapeutique est le fruit d’une réflexion interdisciplinaire au sein de l’Unité de neuro-rééducation transversale aiguë (NRA) initiée par la Dr Karin Diserens, médecin responsable de cette unité faisant partie du Département des neurosciences cliniques du CHUV. «Des patients en soins aigus restent confinés à l’intérieur pendant de nombreuses semaines, voire des mois. Plus ils peuvent avoir accès à un environnement stimulant, plus leur rétablissement en bénéficiera.» Inauguré officiellement en 2015, ce jardin constitue un projet pilote en Suisse, de par son approche de rééducation par objectifs, adaptés individuellement à chaque patient. Un suivi rigoureux des neurolésés montre une amélioration de leur capacité de perception de leur environnement, de communication par la parole et de leurs gestes lorsqu’ils s’exercent en extérieur. «Toutes ces informations neurosensorielles favorisent le processus de récupération.»

1/

PREMIERS PAS

La verticalisation par le robot stimule l’éveil des patients sortant d’une phase de coma et les sensibilise à la position debout.

CORPORE SANO

EN IMAGES


2/

63

STIMULATIONS

Chaque module a une vocation particulière: favoriser l’émergence du coma et la capacité de bouger, travailler son équilibre, rétablir le sens du toucher, appréhender différents types de sols. Le parcours entre les poteaux aide le patient à ne pas se heurter en cas de champ de vision réduit, par exemple à la suite d’un accident vasculaire cérébral.

3/

COMPLÉMENTARITÉ

«En se trouvant à l’extérieur, le patient est plus réveillé, plus présent, il interagit plus», constate la Dr Karin Diserens. Dans le cadre d’une étude, un exercice déjà effectué en intérieur est reproduit à l’identique en plein air. Les résultats montrent que cette approche améliore l’interaction du patient au niveau de l’éveil, cognitif et moteur. Les collaborateurs de l’Unité NRA se retrouvent en binôme interdisciplinaire, mêlant ergothérapeutes, physiothérapeutes, neuropsychologues, logopédistes et infirmières spécialisées.

CORPORE SANO

EN IMAGES


64

CORPORE SANO

EN IMAGES


65

4/

CINQ SENS

La jardinière a été dessinée par un patient neurolésé, de façon à ce qu’elle soit accessible en fauteuil roulant. Lors de l’hospitalisation en soins aigus, ce dispositif permet déjà de renouer avec ses sens: vue, toucher, odorat…

CORPORE SANO

EN IMAGES


66

Malgré la volonté de réduire au minimum l’utilisation d’animaux de laboratoire, les souris demeurent irremplaçables. «Le mot clé est mammifère, poursuit le spécialiste. La souris représente le compromis idéal d’un organisme qui se prête aux manipulations et se reproduit rapidement, tout en comportant des similarités avec l’humain.» En effet, les branchies des poissons ne conviennent pas pour des études respiratoires, tandis que CORPORE SANO

NOM MUS MUSCULUS (SOURIS) ET RATTUS NORVEGICUS (RAT BRUN OU RAT D’ÉGOÛT) TAILLE 7 CM SANS LA QUEUE ET 12-15 CM AVEC LA QUEUE CARACTÉRISTIQUES MAMMIFÈRES

La souris et le rat Ces deux rongeurs restent indispensables pour la recherche médicale. TEXTE: MARTINE BROCARD

FAUNE & FLORE

le système nerveux du ver n’a pas la complexité de celui du rongeur. Les souris se prêtent particulièrement bien à la transgénèse, notamment pour l’étude des maladies. «Cancer, diabète, sommeil, tout le monde a sa souris transgénique, dit le professeur. On peut reproduire des modèles de pathologies sur des rongeurs pour ensuite tester des traitements.» Luc Pellerin a par exemple développé une souris qui résiste à l’obésité. En général, pour des questions de taille et de coûts, les scientifiques préfèrent la souris au rat. Mais dans certains domaines des neurosciences comme les études comportementales, ce dernier tient toujours la vedette. «Il possède un répertoire plus élaboré que sa cousine, explique Luc Pellerin. Comme l’humain, il s’agit d’un prédateur alors que la souris est plutôt proie.» ⁄

CONEYL JAY/SCIENCE PHOTO LIBRARY

P

as de mort-aux-rats pour ces rongeurs-là. Un couple de souris transgéniques peut coûter jusqu’à 25’000 francs, rien que pour sa conception. Et 1’000 francs s’il s’agit d’un couple issu de sa descendance. «Nos souris et nos rats sont des animaux très précieux», souligne Luc Pellerin, professeur associé et directeur du Département de physiologie à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne.


67

VALÉRIE GARDAZ Directrice des soins de département au CHUV

La lutte contre les infections en milieu hospitalier demande une vigilance de tous les jours.

Plus personne n’ignore aujourd’hui le phénomène d’émergence des bactéries résistantes aux antibiotiques usuels et les défis adressés en termes de santé publique et de sécurité des soins. L’hôpital est un environnement particulièrement sensible dans la mesure où sont regroupées en un même lieu des personnes affaiblies – donc vulnérables – et des personnes souffrant d’infections. Si l’isolement dans une chambre individuelle des patients contagieux a été pratiqué jusqu’à présent, cette simple mesure ne suffit plus aujourd’hui à protéger les uns et les autres de la transmission croisée d’agents pathogènes. Nous parlons alors d’infections contractées au cours d’une hospitalisation ou d’infections acquises aux soins.

Nous pouvons également citer le suivi étroit des personnes porteuses ou exposées à ces micro-organismes problématiques, désormais identifiées dès leur entrée à l’hôpital grâce à une nouvelle génération de tests rapides de dépistage. D’autres mesures plus standards sont poursuivies telles que la formation continue des professionnels. De nombreux efforts et initiatives sont déployés, mais tout cela ne saurait porter ses fruits si l’on omettait de considérer un facteur-clé: le comportement humain. En milieu hospitalier, l’hygiène des mains est la mesure la plus emblématique et la plus reconnue, mais aussi la plus problématique. S’assurer que chacune et chacun pratique avec rigueur les gestes de désinfection plusieurs dizaines de fois par jour relève du challenge. Cette vigilance requiert à la fois une parfaite collaboration entre les différents corps de métiers actifs auprès des patients, la coopération des proches qui viennent les visiter, de solides bases scientifiques afin de mettre en œuvre des stratégies éprouvées et, enfin, l’engagement quotidien des cadres et cliniciens en faveur de la prévention.

DR

Des actions d’un type nouveau sont donc nécessaires. Il s’agit par exemple de la mise Comme dans bien d’autres domaines en place de mesures architecturales, dont d’application, le progrès technique et scientifique le regroupement en période d’épidémie permet de grandes avancées. Mais il ne faut des patients porteurs d’une même bactérie pas oublier de le recentrer sur l’humain. ⁄ résistante au sein d’une partie unique de l’hôpital, ou la suppression progressive des chambres à plusieurs lits lors de la construction ou de la rénovation de bâtiments.

CORPORE SANO

CHRONIQUE


68

PÉNICILLINE C 9H 11O 4S

C 9H 11O4S UNE MOLÉCULE, UNE HISTOIRE TEXTE: GARY DRECHOU

– Je vais fabriquer de la pénicilline! – Tu te prends pour le père Fleming… – Pas du tout, je dirais plutôt le capitaine Duchesne, car c’est lui qui a pratiquement inventé la pénicilline, bien avant le toubib d’Oxford. Cet échange entre deux médecins français date d’octobre 1944*, mais il pose le débat en paternité autour de la pénicilline, une substance sécrétée par un champignon, dont la découverte est à l’origine du concept d’antibiotique. Si l’histoire bat la charade, c’est que notre jeune premier – le «capitaine» Ernest Duchesne – mit en lumière dès 1897, dans sa thèse de médecine, les propriétés curatives d’une moisissure au doux nom de «Penicillum glaucum», préfigurant de ce qui deviendrait l’antibiothérapie. Malheureusement

Pénicilline: du «miracle» à la pénurie

pour lui, cette thèse sombra dans l’oubli et son importance ne fut reconnue qu’un demi-siècle plus tard. Quant au second, Alexander Fleming, il oublia en 1928 une boîte de Petri dans son laboratoire, et, à son retour de vacances, constata qu’une moisissure du type de celle décrite par Duchesne avait empêché la croissance de ses cultures de staphylocoques. Par la grâce de cette erreur, mais fort inspiré, il isola une souche encore plus efficace, «Penicillium notatum», qu’il baptisa simplement «pénicilline». Aux yeux du monde, il en devint ainsi le découvreur, mais ne parvint pas à stabiliser cette souche, à la produire et à la purifier en quantité, conditions né-

CORPORE SANO

ZOOM

cessaires pour développer ses propriétés. Ce n’est donc qu’une dizaine d’années plus tard que la pénicilline entra réellement dans l’arsenal thérapeutique. Après avoir fait l’objet d’essais cliniques sur des soldats britanniques blessés, la pénicilline fut utilisée pour soigner les plaies des Alliés. Puis, à partir de 1946, l’antibiotique fut disponible en pharmacie et systématiquement prescrit pour traiter syphilis, méningites et pneumonies. «En dehors du fait que certaines moisissures étaient utilisées dès l’Antiquité pour prévenir l’infection des plaies, ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est qu’il ait fallu plus de 60 ans et une récupération militaire dans un contexte de guerre mondiale pour parvenir au

concept d’antibiotique», observe Thierry Buclin, chef de la division de pharmacologie clinique du CHUV. Aujourd’hui, seuls quatre groupes pharmaceutiques produisent encore sa substance active, alors que 18 pays ont connu une pénurie ces trois dernières années, d’après l’OMS. C’est que les premières résistances à la «bonne vieille pénicilline» sont apparues dès les années 1950, entraînant la création d’une multitude de substituts semi-synthétiques. Dans cette lutte entre champignons et bactéries, la «miraculeuse» pénicilline est devenue courante, perdant de sa superbe monétaire aux yeux des fabricants. ⁄ *ÉCHANGE ENTRE LE DOCTEUR CHAULIAC ET LE DOCTEUR BROCH, CAPITAINES DE LA 2E D.B. DU GÉNÉRAL LECLERC, RAPPORTÉ DANS L’OUVRAGE «MÉDECINS AU COMBAT» DE MARC FLAMENT (ED PYGMALION, PAGES 35, 36, 37).


CURSUS

CHRONIQUE

CURSUS

Impensable il n’y a pas si longtemps, ce projet pilote d’intégration de certaines médecines complémentaires Pierre-Yves Rodondi en milieu hospitalier est une Responsable du Centre première en Suisse romande. de médecine intégrative et C’est un petit pas pour ces complémentaire du CHUV médecines, mais un grand saut pour un hôpital universitaire. Pendant deux ans, il s’agira de achez ces mieux considérer et soulager des symptômes traitements que je ne saurais tels que les nausées, la fatigue, l’anxiété et la voir»: en forçant douleur et de rendre les traitements lourds plus tolérables. Les effets de cette intégration un peu le trait, à l’hôpital pourront ainsi être documentés, telle semble en vue de décrire l’impact sur la qualité de avoir longtemps été la position officielle vie et la sécurité des patients. d’une partie du corps médical vis-à-vis des Pour revenir un peu en arrière, la médecines complémentaires. Du côté des position du peuple, manifestée lors de la patients, nombreux sont ceux qui, dans le votation fédérale de 2009, avait déjà ouvert même temps, avaient recours à ces traitetout grand la voie: 78% des Vaudois avaient ments sans oser en glisser mot à leur alors plébiscité l’article constitutionnel pour médecin. On estime ainsi que plus d’un tiers des personnes traitées pour un cancer avaient la prise en compte des médecines complémentaires. En 2010, un pas académique recours aux médecines complémentaires, avait été franchi avec l’intégration de cours avec les risques que cela peut comporter, notamment d’interactions médicamenteuses. de médecines complémentaires pour tous les étudiants en médecine. Cinq ans plus Le passé est employé ici à dessein, car tard, le Centre de médecine intégrative et les choses pourraient bien changer. Depuis complémentaire voyait le jour au CHUV, octobre 2017, dans le cadre d’un projet pilote avec trois missions claires: poursuivre soutenu par la Direction générale du CHUV, les patients hospitalisés en oncologie se voient la recherche et l’enseignement déjà initiés en effet proposer une consultation de conseils et considérer l’intégration de certaines sur les médecines complémentaires, ainsi que médecines complémentaires en respectant la possibilité de faire appel à l’acupuncture, au les règles d’un hôpital universitaire. ⁄ massage thérapeutique, à l’hypnose ou à l’artthérapie pour soulager certains symptômes liés au cancer ou à son traitement.

«C

SAM

UNE CARRIÈRE AU CHUV

Faites entrer les médecines complémentaires

69


AUDE FAUVEL

TANDEM

PATRICK BODENMANN


CURSUS CURSUS

A

UNE CARRIÈRE AU CHUV

priori, sur concrètement, L’historienne Aude Fauvel le plan à quel point les préside, avec le praticien Patrick professionquestions de santé Bodenmann, la commission nel, difficile de voir peuvent bénéficier ce qui peut rapprode ces éclairages «Dialogue Santé et Société». cher le patricien et regards pluriels: TEXTE: WILLIAM TÜRLER, PHOTOS: ÉRIC DÉROZE Patrick Bodenmann celui du médecin, et l’historienne Aude mais aussi des autres Fauvel, si ce n’est une même exigence intellecprofessions de soin, des spécialistes des sciences tuelle. Pourtant, depuis fin 2016, tous deux sociales, des patients ou des populations. «Patrick président ensemble la commission «Dialogue me force à voir ce qui, dans le passé, peut éclairer Santé et Société», rattachée au Département le présent, indique Aude Fauvel. Durant notre universitaire de médecine et de santé communauformation d’historien, on nous apprend à nous taires du CHUV. Cette commission a pour objectif méfier de la tentation de l’anachronisme. Je d’organiser des événements permettant à des découvre avec Patrick que l’anachronisme n’est en représentants de la société au sens large et à des fait pas forcément un péché capital. Au contraire: professionnels de la santé de se rencontrer pour si l’histoire médicale peut être réactualisée pour échanger de façon approfondie. On y encourage servir le présent, c’est plutôt une vertu.» un dialogue nourri, sans raccourcis. De son côté, en tant que spécialiste des soins «Dans l’arène publique, les propos des spécialistes destinés aux populations vulnérables, Patrick sont souvent caricaturés, voire instrumentalisés», Bodenmann se montre particulièrement attentif souligne Patrick Bodenmann, médecin-adjoint aux dynamiques socioculturelles qui influencent à la Policlinique médicale universitaire (PMU) de les variables de santé: «Travailler avec Aude Lausanne et titulaire de la Chaire de médecine me permet de mieux prendre la mesure des des populations vulnérables en Suisse à l’UNIL. pesanteurs historiques. Nos patients sont souvent «On trouve peu d’espaces où peuvent s’exprimer prisonniers de dynamiques héritées du passé. la nuance et la multiplicité des points de vue sur Il faut en avoir conscience pour pouvoir mieux les questions qui touchent au corps ou au soin, les soigner.» On ne peut pas uniquement se relève pour sa part Aude Fauvel, spécialiste des satisfaire «d’experts» ou de contenus univoques, humanités en médecine et Maître d’enseignement insistent-ils tous deux. Les défis posés par les et de recherche à la Faculté de biologie et de évolutions de la médecine doivent impérativement médecine de l’UNIL. Il existe cependant une forte être appréhendés dans leur complexité. ⁄ demande en ce sens, tant chez les professionnels que dans la population. C’est ce besoin que nous souhaitons modestement contribuer à combler.» Leur travail en duo permet de montrer, très

71


CURSUS

La néonatologie fête ses 50 ans Après la Maternité qui a fêté ses 100 ans l’an dernier, c’est au tour du Service de néonatologie de souffler sa 50e bougie. C’est en effet le 2 mars 1967 que l’Hôpital inaugurait son «pavillon des prématurés», un projet initié par le professeur Louis-Samuel Prod’Hom. Pour marquer l’événement, une exposition de photos est organisée dans le hall de la Maternité jusqu’au 5 janvier prochain. JUBILÉ

Direction des soins: nouveau site web Le nouveau site web de la Direction des soins (DSO) est désormais disponible sur chuv.ch/soins. Il s’adresse prioritairement aux institutions partenaires, aux milieux académiques et aux communautés de professionnels, aussi bien au niveau local qu’international. Des thématiques telles que la pratique clinique, la formation, la recherche ou encore la vision stratégique de la DSO y sont développées. ORGANISATION

72

ACTUALITÉ

Succès pour l’expérience lausannoise L’antibiothérapie parentérale ambulatoire (APA) permet d’administrer des médicaments de manière intraveineuse en dehors d’une structure hospitalière. Le premier service de ce genre de Suisse a été mis en place en 2013 sous la forme d’un projet pilote au sein de la Policlinique médicale universitaire, en collaboration avec le Service des maladies infectieuses du CHUV. Il a depuis été pérennisé grâce à des résultats dépassant les attentes initiales. Le nombre de patients accueillis a plus que doublé depuis son lancement, passant de 120 à 300 personnes suivies par an. Le service APA propose des méthodes innovantes telles que la pompe élastomérique, un dispositif destiné à la perfusion de médicaments en continu. «Ce système a pour avantage d’offrir au patient une capacité de mobilité et d’être moins couteux que des soins à domicile», explique le Dr Serge De Vallière.

ANTIBIOTHÉRAPIE

Pluie de récompenses Plusieurs collaborateurs du CHUV ont été couronnés d’un prix. La Dre Rachida Marir a reçu l’un des ISFM-Awards 2017. L’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue a voulu, par cette nomination, saluer son engagement en faveur de la formation des médecins. Sébastien Urben a, quant à lui, obtenu le prix Frutiger pour ses travaux menés dans le domaine de la neuropsychiatrie et de la neuropsychologie et le Professeur Friedrich Stiefel le prix de la Ligue suisse contre le cancer pour son rôle déterminant dans l’élaboration et l’organisation d’une formation en communication. La société suisse de médecine interne générale a en outre décerné, pour la première fois, ses «Teaching Awards», dont un est revenu au duo d’enseignants, Matteo Monti et David Gachoud. Enfin, le Prof. Philippe Conus, chef du service de psychiatrie générale, est lauréat du prix Philippe et Maria Halphen 2017, remis par l’Académie des sciences.

DISTINCTIONS


CURSUS

Nouvelle technique d’édition génétique La professeure NEUROLOGIE Nicole Déglon en collaboration avec le professeur Renaud Du Pasquier et deux équipes françaises ont développé une nouvelle méthode d’édition du génome. Celle-ci permet de cibler et d’inactiver des gènes mutés directement impliqués dans des formes familiales de maladies du cerveau. Les résultats de leurs travaux viennent d’être publiés dans le magazine Cell Reports.

«Urgences Lausanne» s’étend Les urgences pédiatriques de l’Hôpital de l’enfance, de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, du Centre de la main et de la Maternité du CHUV présentent désormais leurs disponibilités dans l’application «Urgences Lausanne». Destinée aux urgences non vitales, cette dernière permet aux Lausannoises et Lausannois de trouver via leur smartphone le centre le plus proche et le moins engorgé. INNOVATION

73

ACTUALITÉ

Un espace pour les adolescents Adapter l’accueil hospitalier aux besoins des adolescents, c’est le projet initié au CHUV par Anne-Emmanuelle Ambresin.

ORGANISATION

Médecin-cheffe de la Division interdisciplinaire de santé des adolescents, Anne-Emmanuelle Ambresin raconte la mise en place d’un espace dédié aux adolescents. Pourquoi ce projet? Des espaces dédiés aux adolescents existent, notamment à Melbourne (Australie) ainsi qu’à Copenhague (Danemark) sous la forme d’un «café-ados». L’expérience y est fascinante: les adolescents hospitalisés s’y sentent à l’aise, leur état moral s’améliore. Il était ainsi important de pouvoir réaliser un même projet au sein du CHUV. L’espace éducatif installé au 11e étage est ouvert à tous les enfants hospitalisés, avec des décorations et des animations davantage adaptées aux moins de 12 ans. Il n’attirait donc pas les adolescents qui restaient ainsi isolés dans leur chambre.

Comment a-t-il évolué? Barbara Tarditi, responsable des Espaces éducatifs du CHUV et de l’Hôpital de l’enfance (HEL), a eu à cœur de mettre cette idée en place. Depuis le mois de juillet 2016, les espaces éducatifs du CHUV et de l’HEL sont désormais ouverts seulement aux plus de 12 ans deux aprèsmidi par semaine. Et les animations sont adaptées à leurs envies. Des soirées leurs ont aussi organisées. Ces plages horaires sont devenus de vrais rendez-vous! Ils se sentent valorisés, font des rencontres et discutent entre eux. Quels sont les prochaines étapes? Un espace de 34 m2 sur le modèle de Copenhague sera construit dans le futur hôpital unique qui verra le jour à côté du CHUV. Ce projet vise à ramener de la normalité aux adolescents hospitalisés en leur offrant la possibilité d’échanger avec leurs pairs, de communiquer, de jouer et de créer ensemble.


BACKSTAGE

HEIDI DIAZ

EN IMAGES L’équipe de Karin Dizerens chargée de l’encadrement des patients accueillis au sein du jardin thérapeutique du CHUV.

MA MALADIE BIEN NOMMÉE L’illustrateur italien Marco Melgrati a exploré diverses pistes pour mettre en images le sujet consacré aux surnoms donnés aux maladies (p. 34).

74


CONTRIBUTEURS

GARY DRECHOU «Papillon touche-à-tout», Gary Drechou a plus de dix ans d’expérience dans le domaine de la presse et des nouveaux médias, entre la Suisse et le Canada. Responsable éditorial d’«In Vivo», mais aussi responsable des réseaux sociaux du CHUV, il signe dans ce numéro la chronique «Une molécule, une histoire» (p. 68).

DR

MARISOL HOFMANN Journaliste stagiaire chez LargeNetwork, Marisol Hofmann a coréalisé le dossier consacré aux bactéries (p. 19). Elle s’est notamment entretenue avec le professeur Thierry Calandra au sujet du sepsis, une infection bactérienne grave.

75

LINDA ROBERTS MATZINGER Graphiste basée à Genève, Linda Roberts Matzinger a participé à la mise en page et à la recherche iconographique de ce numéro. Elle a apprécié tout particulièrement de retranscrire le monde médical par le biais d’illustrations, à l’instar de l’article consacré aux réseaux de gènes (p. 60).


IN VIVO

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse LargeNetwork www.invivomagazine.com

ÉDITION

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch LargeNetwork, rue Abraham-Gevray 6 redaction@invivomagazine.com 1201 Genève, Suisse T. + 41 22 919 19 19, www.LargeNetwork.com ÉDITEURS RESPONSABLES Béatrice Schaad et Pierre-François Leyvraz DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE

Gary Drechou REMERCIEMENTS

RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean DIRECTION DE PROJET

Melinda Marchese Erik Freudenreich (ad interim)

Francine Billote, Valérie Blanc, Gilles Bovay, Virginie Bovet, Darcy Christen, Muriel Cuendet Teurbane, Jelena Cvetanovic, DIRECTION GRAPHIQUE Stéphanie Dartevelle, Diane De Saab, Diana Bogsch et Sandro Bacco Frédérique Décaillet, Muriel Faienza, Marisa Figueiredo, Pierre Fournier, RÉDACTION Katarzyna Gornik-Verselle, Aline Hiroz, Joëlle Isler, LargeNetwork (Yann Bernadinelli, Martine Brocard, Anne-Sophie Dubey, Nicolas Jayet, Émilie Jendly, Éric Joye, Léandre Duggan, Andrée-Marie Dussault, Erik Freudenreich, Sophie Gaitzsch, Cannelle Keller, Simone Kühner, Robert Gloy, Blandine Guignier, Marisol Hofmann, Charlotte Mermier, Patricia Michaud, Anne-Renée Leyvraz, Élise Méan, Laurent Meier, Stéphanie de Roguin, William Türler), Gary Drechou, Béatrice Schaad Éric Monnard, Brigitte Morel, Manuela Palma de Figueiredo, Odile Pelletier, Isabel Prata, Sonia Ratel, Myriam Rege, RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE Marite Sauser, Dominique Savoia Diss, Bogsch & Bacco, Sabrine Elias Ducret Jeanne-Pascale Simon, Elena Teneriello, Aziza Touel, Vladimir Zohil et le Service de COUVERTURE communication du CHUV. Tal Danino “Microuniverse serie”, photographie: Soonhee Moon PARTENAIRE DE DISTRIBUTION

BioAlps

IMAGES

SAM (Laurianne Aeby, Éric Déroze, Heidi Diaz, Patrick Dutoit), Linda Roberts Matzinger, Marco Melgrati, Nikodem Pręgowski, Benjamin Schulte

MISE EN PAGE

Bogsch & Bacco pour LargeNetwork TRADUCTION

Technicis IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA TIRAGE

18’000 exemplaires en français 2’000 exemplaires en anglais Les propos tenus par les intervenants dans «In Vivo» et «In Extenso» n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.

SUIVEZ-NOUS SUR: TWITTER: INVIVO_CHUV FACEBOOK: MAGAZINE.INVIVO



IN EXTENSO

Le corps humain face aux situations extrĂŞmes


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.