Une vie de sirène

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CAUSETTE Hors-série #2 Été 2014

hors-série

Les Ig Nobel La sérendipité Les hétéros inversés La reine de la quéquette La vraie vie de Mr. Propre Le tourisme expérimental Les dernières sirènes L’autre Kama-sutra Le quidditch La zététique…

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l’anormal Hors-série - Juillet-août 2014


C

PHOTOS : 2014, Katy Grannan/ Redux Pictures/ The New York Times Syndicate

Quel est le lien entre un ancien militaire des commandos de marine, des sirènes et un amphithéâtre ? Le Weeki Wachee, parc aquatique présentant des ballets sous l’eau ! Après plus de soixante ans d’existence, le spectacle continue.

En coulisses, les artistes s’échauffent, s’étirent, revêtent leur habit de sirène et leur maquillage fluo résistant à l’eau avant de plonger en scène.

Les nageuses embouchent un long tuyau relié à une réserve d’oxygène, sorte de narguilé sous-marin, pour évoluer librement, sans bouteille.

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’est une histoire comme on les aime, un concentré de bonne « Ce système serait totalement impensable aujourd’hui. Ce que nous humeur, de kitsch et de poésie. Ça se passe aux États-Unis, avons là est unique ! » s’enthousiasme John Athanason, en charge de évidemment. En Floride, plus précisément. C’est l’histoire d’un la communication du parc, faisant défiler sous nos yeux des images parc à sirènes. Pour la raconter, pas le choix, il faut s’y rendre. Direc- d’archives. Car soixante-sept ans plus tard, les mécanismes pensés tion Tampa, donc, puis sa grande banlieue. Nous voici à Weeki Wachee, par Newton Perry sont intacts et les sirènes de Weeki Wachee sont un confetti urbain posé le long d’une route nationale composé d’un entrées dans la légende. Ce sont aujourd’hui de jeunes blondes motel, d’une pharmacie et d’un petit parc naturel. Une rivière y prend ­pulpeuses dont le capital séduction n’a pas échappé au chargé de sa source, dans une large et profonde cavité d’où jaillit une eau tur- communication. Tout en nous assurant qu’il est là pour « entretenir quoise, serpentant ensuite vers le golfe du Mexique. Cette piscine l’histoire », John bombarde les réseaux sociaux de photos de ses naturelle est un lieu de baignade familial, mais aussi et surtout une sirènes en petite tenue. « Mais rien de provocant, Weeki Wachee est aire de jeu pour sirènes d’eau douce, les fameuses sirènes de Weeki un lieu familial. Nous tentons de conserver cette petite bulle de Wachee. Elles sont venues au monde en 1947, magie », poursuit Robyn Anderson, ancienne quand un certain Newton Perry, ancien militaire sirène devenue gestionnaire du parc et maire de “Après le lycée, américain passé par les commandos d’action on avait le choix entre Weeki Wachee. « On m’appelle “Mairemaid” », sous-marine, a eu une idée délirante : installer un s’amuse-t‑elle (jeu de mots entre maire et merse marier ou devenir maid, « sirène »). amphithéâtre au cœur de la source pour y créer sirène. J’ai choisi une sorte d’aquarium à jolies filles… la seconde option, Sans oublier les tritons S’inspirant de la natation synchronisée, il imabien plus fun” gine des ballets se déroulant entièrement sous En coulisses, les créatures mythiques étirent Vicky, ancienne sirène l’eau, que le public pourrait observer en restant leurs jambes, répètent en peignoir, étalent des au sec, de l’autre côté d’une vitre. Il met alors au couches de maquillage fluo résistant à l’eau. Une point une technologie permettant aux artistes d’évoluer sous l’eau vingtaine de personnes se partage les trois shows quotidiens, dont sans bouteille, en installant dans les profondeurs un genre de nar- deux tritons (hommes avec une queue de poisson), James et Dennis, guilé sous-marin : de longs tuyaux reliés à une réserve d’oxygène car les ballets comptent leur lot de rôles masculins. L’indémodable ­invisible, que les nageuses peuvent emboucher dès qu’elles en ont Petite Sirène et son prince, par exemple. Ces jeunes sont en majorité besoin. Encore mieux, suivant le principe des forces de pression des locaux, ayant rejoint l’aventure parce que c’est tout bonnement (renversez un verre rempli d’eau et créez une bulle d’air au sommet), une évidence quand on grandit dans le coin, qu’on y reste et qu’on a la cavité dispose d’un abri où il est possible de se reposer, tête hors l’honneur d’être sélectionné. « Après le lycée, on avait le choix entre de l’eau, avant de reprendre le show. Des shows où, vous l’aurez se marier ou devenir sirène. J’ai choisi la seconde option, bien plus compris, les jeunes femmes apparaissent déguisées en sirènes. fun », témoigne Vicky, 74 ans. Elle prend encore plaisir à plonger L’idée tombait sous le sens. dans l’eau turquoise. « Mais ça n’a absolument pas aidé ma carrière ! »

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PHOTOS : 2014, Katy Grannan/ Redux Pictures/ The New York Times Syndicate

C’est dans l’amphithéâtre d’une centaine de places, installé au cœur d’une source, que se trouve l’aquarium. Le public assiste, derrière la vitre, aux ballets des naïades.

ajoute en riant celle qui fut sirène dans les sixties, du temps où Elvis faisait parfois un détour par Weeki Wachee pour assister au spectacle. Aujourd’hui, la relève prend les choses plus sérieusement. S­tacey – pardon, Sirène Stacey de son nom de scène – a 35 ans, dont treize avec une queue de sirène. C’est la doyenne. « C’est un métier difficile, on apprend à repousser ses limites. Quand on y prend goût, c’est pour la vie », tranche-t‑elle, expliquant qu’il n’est pas évident de nager dans une eau à 20 degrés toute l’année, les yeux ouverts, sans poids pour se maintenir vers le bas, en évitant de cogner un lamantin, une tortue ou un poisson passant par là.

poétique, hypnotique Techniquement, c’est impressionnant. Mais le plus fascinant, étrangement, c’est moins la performance que l’incroyable poésie de ­l’ensemble, presque accidentelle, le charme désuet des lieux, ses couleurs tropicales délavées. Le parc est en effet passé par toutes les couleurs de l’arc‑en-ciel. Weeki Wachee connut son âge d’or dans les années 60 avant

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d­ ’entamer un sérieux déclin dans les années 70. La faute à Disney World et SeaWorld, poids lourds du divertissement ouvrant à quelques kilomètres de là, à Orlando. Ils drainent alors des hordes de visiteurs, tandis que le parc à sirènes tombe en désuétude, change de mains plusieurs fois, puis devient finalement un parc d’État en 2008, à peu près sauvé. Car c’est sûrement ce qui pouvait lui arriver de mieux : être conservé tel quel. Petit, fragile, plein d’histoires et terriblement humain. Lors de notre séjour, l’amphithéâtre de quelque cent places fait salle comble à chaque représentation. Les petites filles sont hypnotisées, les ados ont les hormones en feu, les adultes sourient. Magie. Iris Derœux, à New York

À voir Weeki Wachee Springs State Park, Floride (États-Unis). www.weekiwachee.com


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