N+1, revue d'affectif de la gauche américaine.

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ECRANS&MEDIAS

LIBÉRATION LUNDI 28 AVRIL 2014

PRESSE Dix ans après sa création par six jeunes New-Yorkais anti-Bush, la revue

quadrimestrielle politico-littéraire, pourtant confidentielle, est devenue une référence.

«n+1», revue d’affectif de la gauche américaine l’anonymat grâce à un article très élogieux décrivant «une plateforme littéraire radicale au service de jeunes intellectuels en exil volontaire du milieu académique». Depuis lors, n+1 fait partie du décor. On y trouve, souvent avant l’heure, des analyses fouillées de phénomènes de société, de névroses américaines, de la pop culture : l’hyper sexualisation des ados, la manière dont Hollywood s’est emparé de la guerre contre la terreur, les bizarreries du phénomène hipster… «Nous n’avons pas les moyens de retenir les talents, mais nous les découvrons. C’est bon pour eux et pour nous, ça nous oblige à nous renouveler sans cesse», résume Benjamin Kunkel. Si les fondateurs sont toujours impliqués, ils ont confié la gestion de la revue à trois jeunes éditeurs, Dayna Tortorici, Carla Blumenkranz et Nikil Saval, de 25, 30 et 31 ans. A eux de choisir les contributeurs et de gérer la structure, une association qui compte désormais six employés et dont le budget repose à 40% sur les dons, à 60% sur les abonnements, les ventes à l’unité et la publication d’ouvrages.

Les bureaux de la rédaction de n+1, à Brooklyn, mercredi. L’association compte six employés, son budget repose à 40% sur les dons.

Par IRIS DERŒUX Correspondante à New York Photo ALEX TROESCH

N

ous voilà assis au beau milieu d’un petit open space, dans un vieil immeuble industriel rénové du quartier de Dumbo, à Brooklyn. La scène a quelque chose de comique. Le métro aérien passe toutes les cinq minutes sur le pont de Manhattan, juste là, derrière la fenêtre. Les murs tremblent, on s’entend à peine, mais ça ne dérange personne. L’équipe de la revue n+1 est imperturbable, ravie de faire découvrir son univers : celui d’une publication littéraire et politique new-yorkaise qui fête ses dix ans. Un titre quadrimestriel fabriqué avec de petits moyens, revendiquant seulement 10 000 lecteurs, mais dont la qualité et la réputation n’en finissent pas de surprendre. «Tant de bons écrivains sortent de ce petit journal que ça commence à res-

sembler à une version intellectuelle de la voiture de clowns [un classique américain: une toute petite voiture dont sortent plein de clowns, ndlr]», résumait le New York Times la semaine dernière. n+1 est en effet un vivier de jeunes intellectuels américains et permet à ce titre de prendre la température des idées politiques et des goûts littéraires de ces nouvelles générations. Numéro après numéro et sur son site web, n+1 pose un regard original sur les Etats-Unis. Ancrés à gauche, ses essais, fictions et longs articles à l’écriture léchée mêlent l’analyse politique et la critique sociale, la philosophie et l’humour, une bonne dose de colère, d’utopie et un zeste de pessimisme. «SAY WHAT YOU MEAN». Dans le dernier numéro, on trouve ainsi une analyse de la crise en Ukraine, qui revient au long sur le nationalisme ukrainien, et sur la manie qu’ont les médias américains de présenter sans nuance le

président russe, Vladimir Poutine, comme le grand méchant loup. On y lit aussi un essai signé du polémiste Jedediah Purdy, le Néolibéral accidentel, sur le besoin de faire des idées de gauche «des choses vivan-

digne de ce nom n’offre de critique assez construite et efficace à leur goût. Keith Gessen, Mark Greif, Marco Roth, Benjamin Kunkel, Allison Lorentzen, Chad Harbach ont à peine quelques milliers de dollars, mais beaucoup d’ambition, voire d’arrogance: «Une plateforme littéraire «Il fallait bien, personne radicale, au service de jeunes ne nous connaissait !» intellectuels en exil volontaire glisse Benjamin Kundu milieu académique.» kel. Le slogan, «say Le New York Times à propos de n+1 what you mean» («dis ce que tu penses vraites», puis une parodie poétique des ment»), indique leur rejet du poli«réponses du docteur» aux ques- tiquement correct et le titre, leur tions des lecteurs par l’essayiste humour d’intellos. C’est une réféKristin Dombek. rence au terme informatique de L’histoire de n+1 commence «redondance n+1», «qu’on a choisi fin 2003, quand cinq trentenaires pour se moquer du discours ambiant mi-journalistes mi-écrivains, for- sur la fin de l’histoire, la fin du promés par les départements «littéra- grès… Pour nous, il y a toujours une ture» d’universités prestigieuses, possibilité», raconte Marco Roth. Le décident que trop, c’est trop: l’ère résultat est un magazine sobre, faiBush est entrée dans sa phase la sant la part belle aux mots, et plus violente, la guerre contre le payant, même sur le Web. terrorisme bat son plein, celle en En 2005, un an après son lanceIrak commence, et aucun média ment, le New York Times les sort de

RÉSURRECTION. Cette génération est arrivée avec de nouvelles préoccupations en pleine crise financière, sous un président «sympathique mais très décevant», nous dit Dayna, un Barack Obama qui ne leur inspire finalement pas grandchose. Ils ont tendance à zapper Washington pour s’intéresser à des enjeux internationaux plus globaux ou à des luttes et mouvements sociaux plus locaux. «Le mouvement Occupy a marqué un tournant pour nous, quelque chose qui nous a formés politiquement», résument-ils. Ainsi, n+1 participe à l’engouement d’une partie de la jeunesse américaine pour les idées de gauche, la social-démocratie, la critique du néolibéralisme. Un phénomène à la fois palpable et difficilement quantifiable, si ce n’est à observer le succès actuel de revues du même ordre, que ce soit le magazine Jacobin né en 2010, plus politique que littéraire, ou Dissent, publication ancienne en pleine résurrection. «Karl Marx est de retour», titrait ainsi l’éditorialiste du New York Times Ross Douthat, mi-avril, un poil ironique et sceptique : il ne l’avait pas vu venir. • http://nplusonemag.com


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