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TRANSPORT RÉGIONAL Le legs de la pandémie Pourquoi pas une stratégie de transport régional
GARE DE VIA RAIL À SENNETERRE
LE LEGS DE LA PANDÉMIE POURQUOI PAS UNE STRATÉGIE DE TRANSPORT RÉGIONAL?
PAR GILBERT LEDUC, JOURNALISTE
La pandémie a exacerbé l’isolement des régions du Québec. Les consignes visant à restreindre les déplacements des personnes aux quatre coins de la province ont contribué à cette claustration quasi générale.
P
endant plusieurs semaines, les avions ont cessé de voler au-dessus des chefs-lieux régionaux. Les transporteurs interurbains Intercar et Keolis ont été forcés de suspendre temporairement plusieurs liaisons vers les régions les plus éloignées en raison de la baisse catastrophique de l’achalandage. De son côté, Via Rail a réduit à une seule navette par semaine son service entre Jonquière et Senneterre. un contexte sociosanitaire tout à fait anormal, notamment avec la reprise graduelle des liaisons aériennes et du transport interurbain par autobus.
Ottawa a annoncé du soutien financier pour Air Canada, en l’obligeant par ailleurs à rétablir ses liaisons régionales, mais le problème demeure entier. Les régions sont chroniquement mal desservies, et lorsque le service existe, les coûts s’avèrent souvent prohibitifs pour les clients.
LA RÉALITÉ DES RÉGIONS
Parler de l’enclavement de la Gaspésie, de la Côte-Nord, de l’Abitibi-Témiscamingue et d’autres régions éloignées des grandes agglomérations urbaines n’a rien de bien nouveau. Ce sujet revient fréquemment dans l’actualité.
JONATHAN LAPIERRE
Maire des Îles-de-la Madeleine
MUNICIPALITÉ DES ÎLES-DE-LA MADELEINE
Pour le maire de la municipalité des Îles-de-la Madeleine, Jonathan Lapierre, la pandémie a exposé au grand jour le problème de «l’absence totale de vision du développement du transport régional» au Québec. «Personne ne se questionne sur les façons de maintenir des services de transport en commun à Montréal, Québec ou Gatineau. Au contraire, on se demande comment on va les développer, avec de nouvelles lignes de métro ou un tramway, dit-il. Et pendant ce temps, le reste du Québec peine à trouver des moyens de transport efficaces qui permettent de relier les régions entre elles.»
Le maire en rajoute: «Puisque le gouvernement du Québec n’a aucune stratégie de transport régional, nous revivons le jour de la marmotte chaque fois qu’une crise frappe, que ce soit dans les secteurs ferroviaire, aérien, maritime ou terrestre. Il faut profiter de la pandémie afin de revoir les modèles d’affaires avec les gouvernements et les partenaires privés pour se doter d’une vision, d’une stratégie et y injecter les fonds nécessaires.» En outre, M. Lapierre croit que la relance de l’économie, après le douloureux épisode de la COVID-19, ne devrait pas se limiter aux investissements dans le béton, mais aussi assurer la pérennité du transport régional.
«L’occupation du territoire, c’est l’affaire de tous les Québécois et non pas seulement de ceux qui habitent dans les régions éloignées, intervient le maire de Senneterre, Jean-Maurice Matte. Le gouvernement du Québec doit assumer le leadership, et le secteur privé, lui, doit s’impliquer et non pas seulement ramasser le cash puis lever les pattes quand ça va mal.»
JEAN-MAURICE MATTE
Maire de Senneterre
VILLE DE SENNETERRE
LE TRAVERSIER-RAIL
CHARLES MILLIARD
Président-directeur général Fédération des chambres de commerce du Québec
FCCQ
Les élus locaux ne sont pas seuls à monter aux barricades. «Il faut que le gouvernement soit ouvert à l’idée de faire les choses différemment, renchérit le pdg de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Charles Milliard. On se retrouve aujourd’hui dans une situation où les régions doivent constamment aller quêter l’aide, et où les gouvernements, eux, doivent jouer au pompier. Oui, ça peut être rentable de faire du transport régional. Mais des modèles d’affaires plus coopératifs et moins axés sur la recherche de profits à tout prix doivent être mis de l’avant.»
DANIEL CÔTÉ Maire de Gaspé
VILLE DE GASPÉ
DANS LES AIRS
En réponse à la décision prise en juin 2020 par Air Canada d’abandonner, entre autres, ses escales dans huit aéroports régionaux, dont ceux de Baie-Comeau, Gaspé, Mont-Joli et Val-d’Or, le ministre des Transports, François Bonnardel, a créé le Groupe d’intervention sur la relance des services aériens régionaux. Le rapport de cette «cellule de crise», dont le mandat est de proposer un nouveau modèle d’affaires pour tenter de résoudre les problèmes récurrents du transport aérien en région, se fait attendre.
«Le transport aérien régional doit être régi», tranche le maire de Gaspé, Daniel Côté, qui est aussi le président du comité sur le transport aérien de l’Union des municipalités du Québec. «Les services doivent être disponibles là où il y a des besoins et des clients. Tous les transporteurs ont droit à leur place au soleil, mais il ne doit pas y avoir de compétition déloyale. Et le prix des billets doit être contrôlé», affirme-t-il.
Même si le nombre de vols demeure peu élevé et que les passagers se pointent au compte-gouttes dans les aéroports régionaux en raison des restrictions sanitaires, des édiles commencent enfin à voir un peu de lumière au bout du tunnel. Des transporteurs régionaux se manifestent et prennent la relève d’Air Canada. Parmi eux: Pascan Aviation, Air Creebec, PAL, Air Inuit et Air Liaison.
De l’avis du maire des Îles-de-la-Madeleine, des partenariats prometteurs se dessinent avec ces acteurs régionaux. «Évidemment, ils sont là pour faire des sous, mais les transporteurs régionaux savent mieux que quiconque qu’un partenariat d’affaires, ça se bâtit en collaboration avec les communautés locales», précise Jonathan Lapierre.
«À compter du 31 mai, PAL Airlines desservira notre aéroport trois fois par semaine, annonce le maire de Gaspé, Daniel Côté. C’est le troisième ou le quatrième transporteur en importance au Canada. Ces gens-là ont les reins solides. On ne peut que se réjouir du retour d’une saine compétition sur le marché avec une pression à la baisse sur le prix des billets.»
Pour sortir Air Canada du pétrin, Ottawa a annoncé, à la mi-avril, un coup de pouce de 5,9 G$. Ce plan de sauvetage oblige le transporteur à reprendre une partie de son service régional. Pour ce faire, Air Canada devra conclure des ententes d’interconnexion avec des transporteurs régionaux qui assureront les liens entre les régions et les aéroports de Québec et de Montréal. «Chose certaine, nous ne voulons pas revoir Air Canada chez nous, fulmine le maire de Baie-Comeau, Yves Montigny. Nous avons été servis de façon exécrable par ce transporteur. Sa stratégie visant à tuer la concurrence en jouant au yo-yo avec le prix des billets a fait fondre de moitié le nombre de passagers à notre aéroport. Les gens préfèrent prendre leur véhicule et rouler cinq ou huit heures vers Québec ou Montréal au lieu de payer un billet aller-retour de 800 ou 900$», explique-t-il en indiquant que trois transporteurs régionaux ont déjà annoncé leur intention de desservir l’aéroport de Baie-Comeau.
THOMAS FULCHIRON
SUR LES ROUTES
En Abitibi-Témiscamingue, le ministère des Transports vient de créer un bureau de projet en prévision de la réfection et de l’amélioration de la sécurité sur la route 117, notamment par l’ajout des voies de dépassement. «Ça presse, exige le maire de Senneterre, Jean-Maurice Matte. Sur une distance de 50 km, après la municipalité de Grand-Remous, la route est dans un état tellement lamentable que vous avez juste envie de virer de bord!»
En avril, Québec annonçait un investissement de 660 M$ pour le réseau routier de la Côte-Nord. «Un sérieux rattrapage reste à faire sur la route 138», plaide le maire de Baie-Comeau, Yves Montigny. Il voit évidemment d’un bon œil l’aide de 185 M$ du fédéral pour le prolongement d’environ 80 km de la route 138 qui s’arrête actuellement à Kegaska à une quarantaine de kilomètres à l’est de Natashquan. Il est prévu que la 138 pourrait se rendre, et c’est un vieux rêve, jusqu’à la frontière du Labrador.
Quant à la construction d’un pont sur la rivière Saguenay pour remplacer le service de traversiers entre Tadoussac et Baie-Sainte-Catherine, Yves Montigny garde espoir même si le premier ministre François Legault a déjà qualifié le projet d’«irréaliste».
Par ailleurs, l’enthousiasme est grand pour le projet de train à grande fréquence de Via Rail entre Québec et Toronto. «Il y a un réel potentiel de croissance, notamment pour les régions de la Mauricie et du Centre-duQuébec où VIA implantera de nouvelles installations», fait valoir Charles Milliard. Le dernier budget fédéral continue d’entretenir l’espoir, même s’il ne réserve cette année que quelques millions de dollars pour poursuivre l’étude du projet.
ET D’AILLEURS, SUR LES RAILS
À Gaspé, c’est un véritable branle-bas de combat chaque fois que LM Wind Power livre, par camion, les gigantesques pales d’éoliennes jusqu’au site de transbordement de New Richmond situé 325 km plus loin. Des routes sont bloquées. Un convoi d’escortes est appelé en renfort. L’opération impose des coûts importants à l’entreprise, qui produit 90 pales d’éoliennes par mois, indique le maire de Gaspé, Daniel Côté: «Ça serait tellement moins compliqué si le train pouvait s’arrêter chez nous.»
Depuis longtemps, la région mène une bataille pour la réhabilitation du chemin de fer de la Gaspésie qui s’étend sur 325 km entre Matapédia et Gaspé. Actuellement, le transport de marchandises est possible seulement entre Matapédia et Caplan. Des travaux évalués à 280 M$ sont en cours pour la mise en service complète du chemin de fer de la Gaspésie en 2025.
YVES MONTIGNY
Maire de Baie-Comeau
VILLE DE BAIE-COMEAU
Mené par Innovation et Développement Manicouagan, le projet Qc Rail permettrait, selon Yves Montigny, un nouvel accès aux marchés internationaux à partir du port en eau profonde de Baie-Comeau.
Ce projet est de taille. Une affaire de 1,6 G$. «Il s’agirait de relier le réseau ferroviaire actuellement en service à Dolbeau-Mistassini au terminal portuaire de Baie-Comeau. La nouvelle ligne de chemin de fer serait d’environ 370 km», indique M. Montigny en signalant que Québec et Ottawa ont accordé 15 M$ pour la réalisation d’une étude de faisabilité.
Le projet ne fait pas l’unanimité. Des voix s’élèvent au Saguenay–Lac-Saint-Jean affirmant que Qc Rail grugerait des parts de marché au port de Saguenay. «Faux. Nous apportons plutôt une complémentarité à ce qui se fait là-bas», réplique le maire de Baie-Comeau, soutenant que le maritime doit être un maillon fort du transport régional.
À cet égard, il signale la popularité du traversier-rail Georges-Alexandre-Lebel qui fait la navette entre Baie-Comeau et Matane. Il s’agit de la seule liaison ferrière entre les deux rives du Saint-Laurent à l’est de Québec. En outre, Yves Montigny fait une constatation: «Un jour, soit dit en passant, il faudra régler une fois pour toutes les problèmes de conception du traversier F.-A.-Gauthier qui se retrouve encore une fois sur la touche!»
MARC-ALEXANDRE BROUSSEAU
Maire de Thetford Mines
VILLE DE THETFORD MINES
«Nous devons être la seule place au monde où il n’y a pas de chemin de fer!», ironise le maire de Thetford Mines, Marc-Alexandre Brousseau. Jusqu’en 1994, le Québec Central desservait Lévis, la Beauce et la région de l’Amiante. Aujourd’hui, il n’est exploité que sur le tronçon reliant Lévis et Scott en Beauce. «Sans aucun service ferroviaire sur notre territoire, nos entreprises doivent utiliser le transport routier pour livrer leurs produits directement à leurs clients les plus près ou encore les acheminer vers un site de transbordement. La situation s’est compliquée, au cours des dernières années, en raison des restrictions environnementales imposées à l’industrie du camionnage. Des manufacturiers nous disent qu’ils ne peuvent plus soumissionner certains contrats en raison de ces restrictions. La solution, pour eux, c’est l’accessibilité à un service de transport de marchandises par train», indique M. Brousseau. Le ministère des Transports du Québec est propriétaire du chemin de fer Québec Central depuis 2007. Il s’est engagé à maintenir et à réhabiliter la voie ferrée entre Vallée-Jonction et Black Lake.
La réduction des émissions de gaz à effet de serre demeure un beau principe, mais il reste encore à ajouter à l’équation l’amélioration de l’offre de transport collectif au Québec…