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Éther, atomes et quanta

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La vie américaine

La vie américaine

À la fin du XIX e siècle, plusieurs questions aiguillonnent les physiciens : comment les ondes électromagnétiques se propagent-elles? Les atomes existent-ils? Qu’est-ce qu’un rayonnement? Le jeune Einstein est fasciné.

MANUEL GARCIA DONCEL

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Heinrich Hertz (1857-1894)

Hertz prouva l’existence des ondes électromagnétiques de Maxwell en mettant en évidence leur action à distance : il inventa un oscillateur qui lui permit de créer des courants alternatifs de haute fréquence, et observa que ceux-ci induisaient à leur tour des courants dans un conducteur éloigné de quelques mètres. Ci-contre, le premier oscillateur de Hertz, dans le laboratoire de son inventeur, à Karlsruhe : deux sphères de cuivre (flèches rouges) accumulent des charges. Le conducteur rectiligne qui les relie est coupé en son milieu par un «éclateur», petit intervalle d’air entre deux petites sphères (flèche jaune) où la décharge crée une étincelle. Des étincelles apparaissent alors dans l’éclateur du circuit voisin (flèche verte) : le courant créé dans l’oscillateur induit à distance un courant dans un circuit voisin.

Durant les années passées à l’Institut Polytechnique de Zurich, Einstein étudie assidûment les ouvrages de physiciens, tels Boltzmann, Kirchhoff, Helmholtz et Hertz, découvrant ainsi les grandes énigmes de la physique de cette fin du XIX e siècle.

Einstein est particulièrement fasciné par la théorie de l’électromagnétisme de Maxwell qui, à l’époque, ne fait pas partie du programme d’enseignement traditionnel des universités. Elle apporte d’importantes innovations telles que, selon les termes d’Einstein, «le choix, comme grandeurs fondamentales, des champs à la place des forces exercées à distance» ou «l’introduction de l’optique dans la théorie de l’électromagnétisme». Cependant, la prévision principale de la théorie électromagnétique de Maxwell – la lumière se propage sous la forme d’ondes électromagnétiques – pose un problème : si ces ondes ont été mises en évidence par Heinrich Hertz en 1886, leur mode de propagation n’est pas élucidé. D’après Maxwell, cette propagation se fait dans un milieu qui remplit tout l’espace, même les régions interstellaires. Ce milieu est nommé «éther».

Le concept d’éther, fort ancien, est imposé ici par une exigence : les phénomènes électromagnétiques doivent avoir une nature fondamentalement mécanique et, par conséquent, les ondes électromagnétiques se propageraient dans l’éther comme les vagues sur l’eau ou les ondes sonores dans l’air.

L’on sait, à cette époque, que la vitesse des ondes acoustiques est déterminée par le milieu où elles se propagent et qu’elle dépend de certaines de ses caractéristiques physiques. Ainsi, l’intensité et la direction de la vitesse de propagation du son dans l’air dépendent de la vitesse du vent, c’est-à-dire du mouvement du milieu par rapport à l’observateur : si v est la vitesse du son que perçoit un observateur en absence de vent et w la vitesse du vent, alors la

vitesse du son est égale à v + w ou v – w, selon que le son se propage dans le sens du vent ou en sens contraire. En revanche, elle ne dépend pas du mouvement éventuel de la source sonore : la vitesse de propagation du son dans l’air est indépendante de la vitesse de sa source.

Où mène cette considération? S’il existe un éther qui remplit tout l’univers, l’hypothèse la plus simple est que ses différentes parties sont au repos les unes par rapport aux autres. L’éther serait ainsi un référentiel absolu pour la vitesse de propagation de toutes les ondes électromagnétiques. Cette supposition semble en total accord avec les équations de Maxwell : lorsque l’on déduit des équations de Maxwel les équations de propagation des ondes dans le vide, il apparaît un paramètre qui possède la dimension physique d’une vitesse. Ce paramètre, une constante universelle exprimée à l’aide de deux constantes caractéristiques du vide, est la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques, et sa valeur coïncide avec celle de la vitesse de la lumière dans le vide. Ainsi, les équations de Maxwell dévoilent non seulement la nature électromagnétique de la lumière, mais aussi le caractère fondamental de la vitesse de la lumière (c’est-à-dire des ondes électromagnétiques) dans le vide. Toute vitesse étant définie par rapport à un référentiel, il paraît légitime de penser, Le physicien néerlandais devant l’omniprésence de l’éther, que la vitesse des ondes électromagnétiques Hendrik Lorentz (1853-1928), dans le vide est donnée par rapport au référentiel de l’éther. qu’Einstein tenait en haute estime,

a développé la théorie classique L’énigme de l’éther des électrons et créé, avec

Après l’abandon, depuis des siècles, de la représentation d’une Terre immobile au milieu de l’Univers, il faut désormais imaginer notre planète en mouvement dans l’éther : la Terre, en se déplaçant autour du Soleil, pourrait traverser la transformation qui porte son nom, un important outil mathématique pour la théorie de la relativité restreinte. l’éther sans le perturber. Voyons où cette hypothèse nous mène : si la Terre se trouve à un instant donné en mouvement dans l’éther à une vitesse v, il souffle alors dans tout laboratoire ce que l’on pourrait appeler un «vent d’éther», qui James Maxwell (1831-1879), a précisément cette vitesse v et le sens opposé. Ainsi, puisque la vitesse de la mort l’année même lumière est définie par rapport à l’éther – de même que celle du son par rapoù naquit Einstein. port au milieu dans lequel il se propage –, chaque détermination de la vitesse de la lumière faite sur Terre devrait être modifiée par ce «vent d’éther». Comme dans l’exemple emprunté à l’acoustique, si l’on désigne par c la vitesse de la lumière par rapport au référentiel de l’éther et par v celle du «vent d’éther», la vitesse de la lumière varierait entre c – v et c + v selon sa direction par rapport au «vent d’éther». Maxwell montre ainsi en 1878 qu’un terme en (v/c) 2 doit moduler la vitesse de la lumière en fonction de sa direction de propagation (il calcule le temps mis par la lumière pour faire un aller-retour dans la direction du vent d’éther, comme dans l’expérience de Michelson présentée page 14). Sur la base d’hypothèses plausibles relatives au vent d’éther produit par le mouvement de la Terre, cet effet est estimé à 10 -8 .

Trois ans plus tard, le physicien américain Albert Michelson montre que l’on peut mesurer cet effet en dépit de sa petitesse : il compare, par interférométrie, les valeurs de la vitesse de la lumière le long de deux trajets perpendiculaires (voir le schéma page 14).

En 1881, alors qu’il séjourne en Allemagne dans le cadre de recherches, Michelson réalise une première expérience à Potsdam : bien que son dispositif expérimental soit suffisamment sensible pour détecter l’éventuel effet du vent d’éther, Michelson ne détecte rien. On ne peut bien sûr ignorer ce résultat. Le physicien théoricien Hendrik Lorentz, qui suit attentivement ces recherches, est alors convaincu que le vent d’éther modifie aussi la propagation de la lumière dans la direction perpendiculaire à celle du vent d’éther.

Ainsi, les résultats de Michelson écartent l’hypothèse d’une Terre se déplaçant par rapport à l’éther sans le perturber. Toutefois, la Terre INSTITUTE OF ELECTRICAL ENGINEERS, LONDON

À gauche, l’interféromètre utilisé par Michelson en 1881 pour mettre en évidence l’effet du vent d’éther sur la vitesse de la lumière : l’un des bras de l’interféromètre est orienté dans la direction du vent d’éther (c’est-à-dire parallèlement au mouvement de la Terre sur son orbite), et l’autre dans la direction perpendiculaire. À droite, le trajet des rayons lumineux dans l’interféromètre vu de dessus. Un rayon lumineux émis par une source est dédoublé par une lame semi-réfléchissante (C). Un des rayons continue dans la même direction, et l’autre dans la direction perpendiculaire, pour se réfléchir chacun sur un miroir (A et B) et se réassembler sur la lame C. Si l’hypothèse du «vent d’éther» est vraie, la vitesse de la lumière dans l’appareil varie selon sa direction de propagation par rapport au mouvement de la Terre. Les deux rayons devraient parcourir leurs trajets dans des temps différents, et être déphasés à l’arrivée, créant des franges d’interférence (voir page ci-contre) : le rayon qui part de la lame C vers le miroir A voit le miroir s’éloigner à une vitesse v, vitesse de déplacement de la Terre. Il atteint donc le miroir avec une vitesse c–v, où c est la vitesse de la lumière dans l’éther. À l’inverse, lorsqu’il revient vers la lame C, celle-ci se rapproche à la vitesse v. Il l’atteint donc avec une vitesse c+v. Le second rayon part de la lame C vers le miroir B, qui avance à une vitesse v vers la droite. Il parcourt donc l’hypoténuse CB’ du triangle rectangle CBB’, puis le segment symétrique B’C’ pour retourner à la lame. On déduit ainsi les temps d’aller-retour des deux rayons, (2L/c)/(1 – v 2 /c 2 )

et (2L/c)/ √(1 – v 2 /c 2 ). Afin de s’assurer que

les franges d’interférence qu’il observe ne sont pas dues à une imperfection des bras de l’interféromètre, Michelson tourne l’appareil de 90° : le vent d’éther devrait alors décaler les franges. Cependant, Michelson ne détecte aucun décalage, malgré la précision de son interféromètre.

pourrait, dans son mouvement autour du Soleil, entraîner avec elle, en partie ou en totalité, les couches de l’éther proches de sa surface, comme un corps qui se déplace dans un liquide. En 1887, Michelson répète donc son expérience, en collaboration avec Edward Morley à Cleveland aux États-Unis.

Cette deuxième expérience est sans conteste plus ingénieuse et précise que la première. L’appareil est orienté de telle sorte que le bras CA soit pratiquement parallèle au mouvement de la Terre sur son orbite (voir la figure ci-dessus). Ainsi, la lumière se propage dans la direction du vent d’éther le long du bras CA, et perpendiculairement au vent d’éther le long du bras CB. Les deux chercheurs effectuent des mesures toujours aux mêmes heures du jour, 12 et 18 heures (pour s’affranchir de la rotation diurne de la Terre) et, dans cet intervalle de six heures, tournent l’appareil de 90° pour échanger le rôle des deux bras de l’interféromètre. Afin d’éviter toute perturbation pendant la rotation de l’appareil, ils installent le montage optique sur un bloc massif de grès, flottant sur une couche de mercure. En outre, ils allongent le trajet des rayons lumineux au moyen de multiples réflexions, afin d’augmenter l’effet recherché (voir le schéma page 17). Pourtant, là non plus, aucun effet n’est mis en évidence.

Contraction de Lorentz et temps local

Les résultats négatifs de Michelson et de Morley remettent en question les théories de l’éther : existe-t-il un éther servant de support à la propagation de la lumière? La théorie de l’éther mise en péril, les propositions de nouvelles théories se multiplient entre 1887 et l’année fatidique de 1905. Ainsi, le physicien irlandais George Fitzgerald (en 1892) et, indépendamment de lui, Lorentz élaborent, après l’échec de l’expérience, une hypothèse subtile, qui s’avérera plus qu’une simple élucubration. Tous deux supposent les distances des objets se déplaçant dans l’éther à une vitesse v contractées dans la direction de leur mouvement, d’un facteur √(1 –v 2 /c 2 ). On vérifie alors que les temps de parcours le long des deux bras de l’interféromètre sont égaux.

Cette hypothèse de contraction paraît, en dehors des recherches de Lorentz sur cette thématique, quelque peu artificielle, donnant l’impression d’une explication ad hoc. Lorentz l’intègre pourtant dès le début dans sa conception générale de la matière : selon lui, la matière forme des corps solides grâce à des forces électriques. La contraction des longueurs pourrait correspondre à la modification de ces forces lorsque le système est en mouvement par rapport au référentiel de l’éther. L’approche de Fitzgerald est similaire. La «contraction de

À gauche, Albert Michelson (1852- 1931). Il procéda, à partir de 1881, à plusieurs mesures de la vitesse de la lumière dans différentes directions, afin de déterminer la vitesse du mouvement de la Terre par rapport à l’hypothétique éther. À partir de 1887, Michelson, aidé d’Edward Morley (1838-1923, à droite), répéta son expérience avec plus de précision.

Fitzgerald et de Lorentz» est assez vite acceptée par la plupart des physiciens qui s’interrogeaient sur les résultats négatifs de l’expérience de Michelson et de Morley.

Afin de situer la portée et la qualité des travaux d’Einstein dans ce domaine, examinons l’apport de Lorentz. Lorentz tente de relier la théorie électromagnétique de Maxwell au postulat selon lequel des particules (qui seront nommées «électrons») transporteraient des unités de charge électrique. Ainsi, lorsque, en 1896, Pieter Zeeman découvre que les raies spectrales caractéristiques des éléments chimiques se décomposent selon plusieurs raies en présence d’un champ magnétique, Lorentz interprète cet effet (nommé effet Zeeman) sur la base de sa théorie des particules chargées : il doit exister, à l’intérieur de l’atome, des particules dont les propriétés sont modifiées par un champ magnétique. Les deux chercheurs obtiennent, pour ces travaux, le prix Nobel de physique en 1902.

Une idée de Lorentz et du physicien Abraham (1875-1922) sur la nature de ces particules est particulièrement intéressante : leur inertie serait due, en partie ou en totalité, à l’effet de la réaction, sur la charge des particules, du champ électromagnétique qui apparaît lorsque l’on modifie leur mouvement. Ainsi naît le concept de «masse électromagnétique», masse créée par le couplage de la particule chargée et du champ électromagnétique qu’elle engendre. En outre, Lorentz et Abraham montreront que, si cette masse existe, elle dépend de la vitesse de la particule chargée ; Lorentz expliquera la masse entière de l’électron de cette façon.

La position générale de Lorentz sur la question de l’éther est la suivante : si les phénomènes sont identiques dans le référentiel terrestre et dans l’éther, alors les équations de Maxwell qui décrivent ces phénomènes doivent avoir la même forme dans les deux référentiels. Lorentz comprend alors que le problème est insoluble, à moins de transformer, du moins de façon formelle, les coordonnées de temps d’un référentiel à un autre.

C’est ainsi qu’il introduit, outre la contraction des longueurs, une notion contredisant toutes les idées antérieures : le concept de «temps local». Si l’on considère un référentiel soumis à un déplacement de translation uniforme à la vitesse v par rapport à l’éther dans la direction des coordonnées x d’un système de coordonnées cartésiennes, il faut utiliser pour le système en mouvement une nouvelle coordonnée de temps (c’est-à-dire le «temps local»): (1) t’ = t – vx/c 2 .

Lorentz n’attribue à cette coordonnée aucune signification physique particulière: il s’agit d’un paramètre purement formel, destiné à simplifier le calcul.

Lorentz élabore cette théorie dès 1895. Le mathématicien français Henri Poincaré suit avec attention cet important développement en physique. Une nouvelle fois, il exprime à Lorentz son insatisfaction concernant la manière dont on traite depuis des années les problèmes posés par le mouvement de la Terre à travers l’éther, mouvement qui n’a toujours pas été

Lorsque l’on superpose deux ondes, leurs amplitudes s’additionnent. À gauche, deux exemples de superposition d’ondes. (a) Les ondes noires, légèrement décalées, s’additionnent pour former une onde de plus grande amplitude (interférences constructives, en rouge). (b) Les ondes noires sont déphasées de telle façon qu’elles s’annulent (interférences destructives). Observées à l’aide d’un téléscope, les superpositions d’ondes donnent, selon le déphasage de ces dernières, des franges d’interférence caractéristiques, telle celle présentée à droite, photographiée en 1964 par R. Shankland de l’Institut de technologie de Californie sur l’interféromètre originel de

Michelson.

a

b

Deux systèmes de coordonnées cartésiennes, (O, x, y, z) et (O’, x’, y’, z’), représentant les référentiels S et S’. Les origines O et O’ sont confondues aux temps t = 0 et t’= 0 définis pour chaque référentiel. Le référentiel S’ se déplace par rapport au référentiel S à la vitesse v dans le sens positif de l’axe des x. À l’inverse, S se déplace par rapport à S’ dans le sens négatif à la même vitesse. Le point P représente un mobile, dont les coordonnées sont mesurables dans chaque référentiel.

PRINCIPE D’INERTIE

ET PRINCIPE DE RELATIVITÉ

Imaginons un corps en mouvement sous l’action d’une force. Aristote pensait que le mouvement s’arrêtait lorsque la force s’arrêtait. Galilée s’opposa à cette vision de la mécanique et énonça le principe d’inertie, qui deviendra plus tard la première loi de la mécanique newtonienne : tout corps demeure dans un état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme tant qu’il n’est soumis à aucune force extérieure. Ainsi, un corps en mouvement sous l’action d’une force reste en mouvement lorsque la force n’agit plus, et ce tant qu’aucune force ne le perturbe. Galilée énonça aussi le principe de relativité : les lois sont les mêmes dans deux référentiels en translation uniforme l’un par rapport à l’autre. Si Galilée formula ce principe dans le cadre de la mécanique, il proposa de le généraliser à l’ensemble des lois physiques. Einstein confirmera l’intuition de Galilée. y S

z O vt y' S' v

z'

O'

x' P

x x x'

prouvé ; Poincaré critique la multiplication des hypothèses ad hoc, telle celle de la contraction, proposées pour expliquer le résultat négatif de chaque nouvelle expérience. En réponse implicite à la critique de Poincaré, Lorentz publie, en 1904, un article dans lequel il tente de construire une théorie globale, qui permettrait d’interpréter les résultats expérimentaux selon une conception unifiée.

La transformation de Lorentz

Le problème consiste désormais à trouver les transformations des grandeurs physiques qui, lors du passage du référentiel de l’éther à un autre référentiel animé d’un mouvement rectiligne uniforme par rapport au premier, laisseraient les équations de Maxwell inchangées. Lorentz a compris depuis un certain temps qu’il faut modifier les relations qui, en physique traditionnelle, relient les coordonnées d’un point de l’espace dans divers référentiels.

À quoi ressemblent les nouvelles relations établies par Lorentz? Par souci de simplification, nous admettrons que nous avons affaire à deux référentiels d’inertie S et S’, dont les origines coïncident à l’instant initial t = 0 (un référentiel d’inertie est un référentiel dans lequel le principe d’inertie –voir cicontre – est vérifié). Nous considérerons le cas simple d’un déplacement de S’ à une vitesse v dans le sens des valeurs positives de l’axe des x du référentiel S. Les deux autres coordonnées y et z restent alors inchangées d’un référentiel à l’autre. Si nous prenons maintenant un événement de coordonnées (x, y, z) dans le référentiel S, ses coordonnées dans le référentiel S’ (voir le schéma ci-dessus) se calculent simplement à l’aide des formules suivantes : (2a) x’ = x – vt (2b) y’ = y (2c) z’ = z

Ces équations sont nommées transformations de Galilée, en l’honneur de Galileo Galilei (1564-1642), qui comprit l’importance du principe de relativité : les lois sont les mêmes dans deux systèmes en translation uniforme l’un par rapport à l’autre. Lorentz obtient un nouveau système d’équations en remplaçant l’équation (2a) par l’équation (3) et en proposant la transformation (4) des coordonnées de temps : (3) x' = x – v t 1 –c 2 v 2 (4) t' = t –c 2 vx 1 –c v 2 2

L’équation (1) résulte en première approximation de l’équation (4). Les équations (3) et (4), associées aux transformations (identiques) des coordonnées y et z, sont les «équations de transformation de Lorentz» ou plus simplement la «transformation de Lorentz».

Entre temps, Poincaré énonce un principe général : lors d’une conférence donnée en 1904 au Congrès international des arts et des sciences à Saint-Louis

aux États-Unis, il décrit «le principe de la relativité, d'après lequel les lois des phénomènes physiques doivent être les mêmes, soit pour un observateur fixe, soit pour un observateur entraîné dans un mouvement de translation uniforme ; de sorte que nous n'avons et ne pouvons avoir aucun moyen de discerner si nous sommes, oui ou non, emportés dans un pareil mouvement».

S’il n’attribuait pas un rôle particulier au référentiel de l’éther, il formulerait ainsi exactement «le principe de relativité» qu’Einstein énoncera. Il est alors aussi sur le point de livrer une interprétation physique du temps local de Lorentz ; nous y reviendrons, lors de l’examen des liens entre les travaux d’Einstein et ceux de ses prédécesseurs. Notons également ici que Lorentz a remplacé le concept de Maxwell d’espace «vide» empli d’éther par celui d’espace réellement vide, où les ondes électromagnétiques se propagent sans support aucun pseudo-matériel.

Telles sont les conditions initiales des problèmes abordés par Einstein dans son quatrième et célèbre article de 1905, qu’il annonce dans sa lettre à son ami Habicht. Qu’en est-il maintenant de sa connaissance d’autres développements contemporains en physique?

Les atomes : fiction ou réalité?

Au moment où Einstein commence ses études à l’université, les scientifiques s’interrogent sur la réalité des atomes : la physique en a-t-elle besoin?

En chimie, John Dalton (1766-1844) utilise l’hypothèse atomique pour interpréter les phénomènes quantitatifs de la chimie : il a en effet observé que les éléments chimiques se combinent dans des proportions simples. Les règles de combinaison qu’il détermine s’expliquent particulièrement bien si l’on considère que les éléments chimiques sont des atomes qui peuvent former divers composés chimiques en s’unissant dans diverses proportions (le carbone C et l’oxygène O peuvent former du monoxyde de carbone CO ou du dioxyde de carbone CO2, par exemple). L’hypothèse atomique semble donc fondée. Néanmoins, la chimie ne donne que peu d’indications sur les dimensions et la masse des atomes individuels. Bien entendu, ces grandeurs doivent être suffisamment petites pour garantir l’apparence continue de la matière, telle qu’elle se manifeste au quotidien ou aux échelles des expériences de laboratoire effectuées à cette époque. Benjamin Franklin avait eu l’idée d’estimer les limites supérieures des dimensions des atomes en mesurant l’épaisseur de la plus fine pellicule obtenue avec diverses substances, par exemple en déposant un film de liquide organique sur une surface d’eau : connaissant le volume de liquide utilisé et l’aire de la surface observée, Franklin en déduit l’épaisseur du film monomoléculaire, donc la dimension d’une molécule. Cependant, on est encore loin d’une véritable mesure de la taille des atomes. Un autre procédé couramment employé consiste à déterminer la masse des atomes et non leurs dimensions.

Étant donné le nombre énorme de molécules contenues dans les volumes de gaz manipulés, les chimistes ont défini, à la fin du XIX e siècle, une unité intermédiaire, la mole, déterminée par rapport à l’hydrogène : un gramme d’hydrogène représente une mole d’atomes d’hydrogène. Une mole d’un autre composé est sa masse en gramme lorsqu’il est combiné avec l’hydrogène. Ainsi, deux grammes d’hydrogène se combinent avec de l’oxygène et donnent 18 grammes d’eau H 2 O : une mole d’atomes d’oxygène est donc égale à 16 grammes d’oxygène. Il est clair, 1 selon la définition, que les moles des différents gaz contiennent le même nombre d’atomes. En hommage au chimiste italien Amadeo Avogadro qui, en 1811, proposa que des volumes de gaz contiennent, à la même température et à la même pression, le même nombre de molécules, les chimistes nomment

En 1887, Michelson et Morley améliorent l’expérience initiale de Michelson : afin d’augmenter leur chance de détecter l’effet du «vent d’éther» sur la vitesse de la lumière, ils disposent leur montage optique sur un bloc de grès qui flotte sur du mercure (ci-dessous). Ils peuvent ainsi tourner l’ensemble de l’appareil sans créer de secousses. En outre, pour amplifier le phénomène, ils allongent le trajet de la lumière par de multiples réflexions (voir ci-dessus en jaune le trajet des rayons lumineux vus de dessus).

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DEUTSCHES MUSEUM, MUNICH/L. PIZZI

Gustav Robert Kirchhoff (1824-1887) reconnut le lien entre l’émission et l’absorption de lumière par les corps incandescents et introduisit le concept du corps noir.

Wilhelm Wien (1864-1928) fit, en 1893, un premier pas vers la caractérisation du rayonnement du corps noir.

«nombre d’Avogadro N» le nombre de molécules dans une mole. Une détermination du nombre d’Avogadro conduit ainsi à la masse d’une seule molécule. Le problème de la détermination de Nne prendra forme que dans le cadre de la théorie cinétique des gaz. En 1865, le physicien autrichien Joseph Loschmidt réussit, avec certaines hypothèses sur le comportement de la matière de taille microscopique, à donner une première approximation de ce nombre (N ≅ 6,05 ± 10 23 atomes par mole).

En 1899, Lord Rayleigh procède à une deuxième détermination de N, dans le cadre de ses recherches sur la diffusion de la lumière dans les gaz pour expliquer, par exemple, la couleur bleue du ciel. De ces travaux émerge une représentation physique de l’atome. En 1897, J. J. Thomson apporte une contribution décisive : il découvre que les rayons cathodiques sont constitués de particules chargées négativement, qui seront nommées «électrons». Thomson s’interroge alors sur la cohésion des électrons dans un atome. Il développe un modèle où l’atome est une sphère de charge positive dans laquelle circulent des électrons de petite taille.

Une grande partie –germanophone – de la communauté scientifique, sous la direction du chimiste et philosophe Wilhelm Ostwald considère, non sans quelques solides arguments, que le concept d’atome est parfaitement inutile et superflu en physique. Cette opinion est celle du physicien Ernst Mach : selon lui, une affirmation est soit démontrable empiriquement, soit purement «métaphysique», c’est-à-dire sans fondement. Ainsi, toute déclaration non vérifiable par des expériences sensorielles n’a aucun sens. Mach pense qu’il faut tenir le concept d’atome à l’écart de l’édifice de la physique, en tant qu’extrapolation illicite de faits purement expérimentaux, sorte de vermine métaphysique dans le corps sain de la connaissance physique. Il convient, prône Mach, d’appliquer la règle de Guillaume d’Ockham, théologien et philosophe anglais du XIV e siècle, même si son emploi est ici douteux : Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem. En d’autres termes, la physique doit renoncer à tout ce à quoi elle peut renoncer.

Ces résistances ne disparaîtront que lentement. La seule détermination du nombre d’Avogadro ne suffit pas, d’autant plus qu’elle dépend d’hypothèses spécifiques sur le comportement de la matière microscopique. Au cours de la première moitié du XX e siècle, le nombre d’Avogadro sera évalué dans les contextes les plus variés (l’approximation faite par Rayleigh n’en est qu’un exemple). La concordance de ces résultats numériques obtenus par différentes méthodes parviendra, enfin, à convaincre les physiciens de la réalité des atomes.

Le mouvement brownien

Einstein créera un contexte favorable à l’une de ces estimations, peut-être la plus convaincante. Un aspect intéressant de sa démarche est que, dans les phénomènes qu’il considère, la structure atomique de la matière transparaît plus directement qu’auparavant. Ces phénomènes, découverts, décrits et étudiés sous certains aspects depuis bien longtemps, sont connus sous le nom de «mouvement brownien», en l’honneur de leur découvreur, le botaniste anglais Robert Brown.

En 1827, Brown découvrit par hasard (au microscope) que des grains de pollen en suspension dans un liquide étaient animés d’un mouvement permanent non coordonné. Les analyses suivantes de Brown et d’autres montrèrent que ce mouvement n’était pas un phénomène passager dû, par exemple, à des oscillations transmises initialement au récipient ; les scientifiques prouvèrent ensuite que le comportement de la suspension variait en fonction de la température. Longtemps, des chercheurs attribueront ce mouvement à un «principe vital». Malgré de nombreuses tentatives d’interprétation physique, personne ne sera en mesure de fournir une explication théorique complète du phénomène, jusqu’à Einstein, qui supposera que les particules en suspension entrent en collision avec les molécules du liquide. Jean Perrin exploitera cette

explication du phénomène pour mesurer le nombre d’Avogadro et, plus tard, la taille de l’atome.

Du rayonnement du corps noir à l’hypothèse quantique

En 1860, le physicien Kirchhoff soumet à ses collègues une autre énigme : il s’interroge sur les propriétés du spectre du rayonnement thermique. On sait, depuis l’invention du feu, que les métaux chauffés jusqu’à incandescence passent par différentes couleurs: d’abord rouges, ils deviennent blancs lorsque la température augmente. Le rayonnement émis est, en fait, toujours constitué d’un ensemble continu de fréquences qui s’étendent de l’infrarouge à l’ultraviolet. Comment varie le rayonnement émis en fonction de la fréquence, et de quels facteurs dépend cette «distribution spectrale»?

Pour étudier le rayonnement thermique, Kirchhoff crée le concept de «corps noir», corps idéal qui absorbe la totalité du rayonnement qu’il reçoit. Ainsi, une cavité fermée chauffée à une température T est un «corps noir». Un petit trou percé dans l’une des parois permet d’analyser le spectre du rayonnement émis par le corps noir. Kirchhoff montre que la densité d’énergie et la composition spectrale d’un rayonnement électromagnétique émis par un tel corps noir sont indépendantes de la nature de ses parois. En d’autres termes, la densité de rayonnement ρ est une fonction universelle de la fréquence ν et de la température T. Reste cependant à déterminer la fonction ρ(ν,T)!

De nombreux scientifiques relèvent le défi. En 1879, Josef Stefan propose, en s’appuyant sur des données expérimentales, que l’énergie totale rayonnée par un corps chaud varie comme la quatrième puissance de la température absolue T et, en 1884, Ludwig Boltzmann démontre que cette loi (nommée loi de Stefan-Boltzmann par la suite) ne vaut que pour les corps noirs. En 1893, le physicien allemand Wilhelm Wien fait un pas important dans la théorie du corps noir. Il obtient, sur la base de la thermodynamique classique, une forme générale de la fonction ρ : ρ est du type ρ(ν,T) = ν 3 f(ν/T). Grâce à cette formule, il démontre par le calcul la loi de Stefan-Boltzmann, et remarque que le produit de la température par la longueur d’onde d’amplitude maximale du rayonnement reste constant (loi du déplacement de Wien).

Si ces deux lois ont été vérifiées par des expériences, il reste cependant à expliciter la fonction f(ν/T). En 1896, Wien propose une formule qui paraît en accord avec les données expérimentales. Cependant, en 1899, de nouvelles expériences, réalisées par Otto Lummer et Ernst Pringsheim révèlent que la loi de Wien n’est pas valable pour les faibles fréquences.

Il faudra attendre Max Planck pour que le problème soit résolu. La formule du rayonnement, qu’il présente le 14 décembre 1900 au cours d’une séance de la Société allemande de physique, n’apporte pas seulement la solution à un vieux problème, mais marque la naissance de la physique quantique. Planck qualifie lui-même son hypothèse «d’acte de désespoir» : il postule qu’un rayonnement de fréquence νest émis par des «oscillateurs harmoniques» de fréquence ν, systèmes dont l’énergie ne peut être qu’un multiple entier de hν, où h est la «constante de Planck». Une telle représentation des phénomènes de rayonnement déplaît à Planck ; il essayera, dans une Seconde théorie, de l’accorder avec la représentation ondulatoire du rayonnement émis et absorbé.

Contrairement à ce que nombre de personnes pensent, Planck n’est pas l’auteur du concept de «photons» en tant que particules de lumière (le terme de «photon» ne sera créé qu’en 1926 par le physico-chimiste américain Gilbert Lewis). Planck sera même, pendant plus de quinze ans, un ardent défenseur de la nature purement ondulatoire de la lumière. L’élaboration du concept de photons sera un long processus, œuvre d’une nouvelle génération de physiciens. Nous verrons dans le chapitre suivant la contribution décisive d’Albert Einstein dans ce domaine. Nous essayerons de dépeindre une version des faits proche de la réalité, en nous fondant simplement sur la lecture de l’article d’Einstein. ■

UNIVERSITÉ DE CAMBRIDGE

En 1899, Lord John Rayleigh (1842-1919), grâce à ses travaux sur la diffusion de la lumière dans les gaz, proposa une représentation physique de l’atome et donna une nouvelle estimation du nombre d’Avogadro.

Le chimiste et philosophe Wilhelm Ostwald (1853-1932), refusa farouchement le concept d’atome.

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