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La cosmologie

En décrivant un Univers compatible avec sa théorie de la gravitation, Einstein ébauche, en 1917, la cosmologie moderne. La question se pose : l’Univers est-il infini? Est-il stationnaire?

Einstein a toujours reconnu l’influence d’Ernst Mach sur sa conception de l’inertie: il nomme «principe de Mach» l’idée selon laquelle l’inertie d’un corps dépend de la répartition des masses dans l’Univers. Les interprétations de ce principe sont multiples. La plus large considère que l’inertie n’est pas une propriété inhérente d’un corps, mais est complètement déterminée par l’ensemble des masses présentes dans l’Univers. Cette conception, longtemps défendue par Einstein, est exposée de manière précise et concise dans l’un de ses articles de 1917, qui fait l’objet du présent chapitre: «Donc, si j’éloigne suffisamment une masse de toutes les autres masses de l’Univers, son inertie doit s’annuler.» Une vérification de cette affirmation nécessite de prendre en compte la totalité de l’Univers.

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L’étude des propriétés générales de l’Univers se nomme la cosmologie. La description aristotélicienne de l’Univers – le cosmos des Grecs –, constitué de sphères centrées sur une Terre immobile est déjà un exemple d’étude cosmologique ; il en est de même de la proposition de Copernic, selon laquelle la Terre et les planètes tournent autour du Soleil sur des orbites, tandis que les étoiles, situées à grande distance, constituent la frontière fixe du Système solaire. Outre la cosmologie théorique, représentée par de telles tentatives, il existe une cosmologie empirique, constituée par l’ensemble des observations astronomiques, auxquelles les théories sont confrontées. L’article d’Einstein fonde la cosmologie théorique du XX e siècle. Nous évoquerons son développement, ainsi que celui de la cosmologie d’observation contemporaine. La cosmologie théorique moderne débute et prospérera sous le signe d’une forte imprégnation mathématique.

L’Univers est-il fini ou infini?

Comment se manifeste l’effet exercé par la matière sur un corps? Il correspond, nous l’avons vu, à une modification de la géométrie de l’espace-temps. Cependant, l’action des corps formant la matière de l’Univers disparaît lorsque le corps étudié est à une distance infinie de tous ces corps. Ainsi, la matière de l’Univers étant supposée circonscrite à un domaine fini d’un espace infini, l’annulation de son effet à une distance infinie se traduit par le fait que, à l’infini (spatial), l’espace-temps est plat, minkowskien. Einstein qualifie cette hypothèse de «condition aux limites à l’infini spatial».

Je ne restituerai pas ici la critique einsteinienne de cette règle, mais vous en présenterai une autre, qui conduit aux mêmes conclusions et qui semble plausible de nos jours. Pourquoi la matière serait-elle concentrée dans une région finie d’un espace infini? Si nous regardons de plus près notre concept d’espace infini, notre représentation de la matière, distribuée dans cet espace plus ou moins uniformément, a-t-elle encore un sens? Et, dans ce cas, que signifie la disparition de son effet à une distance infinie?

Einstein conclut qu’il lui est impossible de formuler des conditions aux limites satisfaisantes pour l’infini spatial. Il voit néanmoins une issue : «S’il

The British Library, Londres

La création du monde d’après une édition anglaise de Image du monde de Gautier de Metz ( XIII e siècle, British Library, London).

Les surfaces sont caractérisées par leur courbure. Celle du plan est nulle, celle de la sphère est positive et celle du cornet ou du creux d’une selle de cheval est négative. Selon la courbure, la somme des angles d’un triangle est égale, supérieure ou inférieure à 180 degrés. De même, une «surface» à trois dimensions plongée dans un espace à quatre dimensions est caractérisée par une courbure nulle (espace euclidien), positive ou négative, et la somme des angles d’un triangle est déterminée par cette courbure.

Nous ne pouvons nous représenter un espace à quatre dimensions. Toutefois, de même que l’on représente la projection d’un cube sur un plan (a), il est possible de calculer la projection d’une hypersurface – ici un hypercube – dans un espace à trois dimensions. La séquence (b), page ci-contre, montre la projection, dans un espace à trois dimensions (projeté lui-même dans le plan de la feuille!), d’un hypercube en rotation.

était possible de considérer l’Univers comme un continuum fermé [fini] selon ses dimensions spatiales, l’on n’aurait d’ailleurs pas besoin de telles conditions aux limites.»

Quand Einstein s’intéresse à la cosmologie empirique, c’est plus pour rechercher ce que l’Univers dévoile sur sa théorie ou, plus précisément, sur le principe de Mach, que pour déterminer ce que sa théorie apporte à la compréhension de l’Univers. D’une certaine façon, la théorie cosmologique moderne est un sous-produit des perfectionnements apportés par Einstein à sa théorie de la gravitation. Einstein élabore ainsi un modèle géométrique de l’Univers qui répond à une question aussi ancienne que la pensée occidentale : un Univers fini est-il imaginable? La réponse d’Einstein – positive – est un autre sous-produit de ses travaux.

Si l’Univers était une hypersphère

Essayons de comprendre la réponse d’Einstein. Comment devons-nous interpréter son allusion à «un continuum fermé selon ses dimensions spatiales»?

Considérons une sphère : son aire est finie et, pourtant, sa surface ne présente ni limite, ni frontière. Une sphère est donc un continuum fermé selon ses dimensions spatiales. L’équation d’une sphère de rayon R, dans un système tridimensionnel de coordonnées cartésiennes dont l’origine correspond au centre de la sphère, s’écrit : x 2 + y 2 + z 2 = R 2 .

La surface de la sphère est un espace à deux dimensions (en mathématiques, la généralisation d’une surface à un nombre supérieur de dimensions est nommée «variété»), que l’équation ci-dessus décrit comme un espace plongé dans un espace euclidien tridimensionnel. Pour déterminer un point de cette surface, il suffit de deux coordonnées (telles, par exemple, la latitude et la longitude sur le globe terrestre). Mathématiquement, nous pouvons de même définir une construction géométrique que nous appellerons «hypersphère», c’est-à-dire une «sphère», dont la surface à trois dimensions est plongée dans un espace à quatre dimensions, et qui est décrite par l’équation: x 2 + y 2 + z 2 + w 2 = R 2 .

Bien sûr, nous ne pouvons nous représenter mentalement ni l’hypersphère, ni l’espace quadridimensionnel où elle se trouve, ni même les axes de coordonnées cartésiennes à partir desquels son équation est calculée. La «surface» de l’hypersphère n’est, en fait, pas une surface telle que nous les appréhendons : pour en définir un point, il faut à présent non pas deux, mais trois coordonnées. Une telle «surface» est un espace à trois dimensions analogue, de ce point de vue, à l’espace dans lequel nous sommes immergés (ou dans lequel nous pensons l’être). Si le rayon d’une sphère est suffisamment grand, nous pouvons assimiler une petite portion de sa surface à une portion d’un plan. Aussi, ne nous étonnons pas que l’humanité ait longtemps cru que la Terre était plate. De même, si le rayon d’une hypersphère est suffisamment grand, une portion de sa «surface» est assimilable à une portion d’espace euclidien tridimensionnel. La «surface» de l’hypersphère définit un espace de volume fini,

a

tout comme la surface de la sphère qui détermine un «espace» d’aire finie. En outre, la «surface» de l’hypersphère est un espace sans limite, ni frontière, tel «l’espace» que forme la surface de la sphère.

Et si l’Univers était ainsi? À l’instar de la forme sphérique de la Terre qui ne fut pas reconnue immédiatement, nous ne percevrions pas sa courbure tant que nous n’aurions pas exploré la géométrie de l’Univers à une plus grande échelle. Remarquons que si tel était le cas, nous ne devrions plus parler de la «surface» d’une hypersphère plongée dans un espace quadridimensionnel, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, car seule existerait cette «surface» : s’interroger sur l’existence d’espaces de dimension supérieure qui engloberaient cette «surface» n’aurait aucun sens. L’écart éventuel de l’Univers par rapport aux propriétés de l’espace euclidien se manifesterait de façon intrinsèque, de la même manière que se manifestent les propriétés non euclidiennes de la surface d’une sphère lorsque, par exemple, on calcule la somme des angles d’un triangle : cette somme sur une surface courbe est différente de 180 degrés, contrairement à celle mesurée dans un espace euclidien.

Einstein propose précisément ce modèle géométrico-mathématique de l’Univers, modèle spatial qui offre, grâce à la géométrie riemannienne, une solution à un problème déjà soulevé par Archytas de Tarente, de l’école pythagoricienne: comment le monde peut-il être fini, puisque, dans ce cas, il devrait avoir une frontière? Et s’il a une frontière, qu’y a-t-il au-delà? L’Univers d’Einstein est fini, mais sans frontière…

Que devient l’hypersphère einsteinienne au fil du temps?

Einstein a construit un modèle spatial de l’Univers. Toutefois, l’action gravitationnelle de la matière ne se manifeste-t-elle pas par une modification de l’espace-temps? Dans l’Univers d’Einstein, cette modification n’affecte pas l’espace-temps, mais l’espace au sens restreint. Parlons-nous dans les deux cas de la même chose? Oui, dans le sens où, d’une façon générale, une courbure de l’espace-temps se traduit par une courbure de l’espace lui-même. Allons plus loin: que devient l’hypersphère einsteinienne au fil du temps (en supposant que l’on peut déterminer un temps)?

Einstein considère que l’Univers est stationnaire: il est inchangé (du moins à grande échelle) depuis une éternité. Pour Einstein, les étoiles constituent les composants fondamentaux de l’Univers. Il faudra attendre la découverte, en 1924, que les galaxies spirales (nommées alors «nébuleuses spirales») se situent en dehors de notre Voie Lactée et forment des îlots de mondes autonomes pour que cette conception évolue; en quelques années, les constituants fondamentaux de l’Univers deviennent les galaxies et non plus les étoiles, ces objets que les hommes croyaient, depuis les temps les plus anciens, solidement fixés à la voûte céleste. Encore imprégné de la représentation traditionnelle, Einstein attribue aux étoiles (les constituants de son Univers) des vitesses relatives infimes, si bien que l’Univers semble immuable lorsque l’on considère leurs positions relatives. Certes, il reste les mouvements des planètes, mais ceux-ci, très localisés, ne réfutent pas le concept général d’Univers stationnaire.

b

1 2

4

3

Une façon d’appréhender l’hypercube est de le «déplier» en trois dimensions, comme on déplierait un cube pour en faire un patron à deux dimensions. L’on obtient une figure à huit cubes, qui inspira le peintre espagnol José Yturralde (ci-dessus). Rappelons cependant que l’espace-temps est un espace quadridimensionnel particulier: l’une de ses dimensions n’est pas spatiale, et ne peut être traitée comme telle. Nous ne percevons que le présent…

Alexandre Friedmann (1888-1925) élabora les fondements mathématiques d’un Univers en expansion.

Einstein n’est bien sûr pas le seul à défendre une telle conception; on retrouve ce point de vue presque partout. L’ensemble des constituants fondamentaux de l’Univers forment, en quelque sorte, un nouveau système au repos – un système universel au repos – auquel on attribue une coordonnée de temps unique et universelle. Einstein introduit ainsi un «temps cosmique», le temps propre de l’observateur au repos sur les constituants élémentaires de l’Univers. Que devient l’hypersphère einsteinienne au cours du temps cosmique? Rien. Son rayon reste inchangé, ce qui entraîne que, mis à part quelques mouvements locaux négligeables, la distance entre les étoiles reste constante.

Puisque le ciel ne nous tombe pas sur la tête…

Nous avons ainsi répondu à la question posée plus haut. Toutefois, une autre interrogation s’impose immédiatement: un tel Univers peut-il «rester entier» tout en étant compatible avec une théorie acceptable de la gravitation?

Nous ne pouvons nous représenter une variété tridimensionnelle. Afin de comprendre où mène cette question et de rassembler les bases nécessaires pour y répondre, nous réduirons l’hypersphère einsteinienne d’une dimension et considérerons une variété bidimensionnelle : la sphère. Les objets spatiaux que nous rencontrons dans l’Univers, les galaxies, seront représentés en deux dimensions, comme sur l’illustration en bas de cette page. Eddington va plus loin : il compare l’image bidimensionnelle de l’Univers-hypersphère à un ballon gonflable conservant sa forme grâce à deux effets qui s’équilibrent, d’une part la pression de l’air à l’intérieur du ballon, qui a tendance à le dilater, et, d’autre part, la tension élastique existant à la surface du ballon, qui s’oppose à la pression de l’air.

De même, entre les composants de «l’Univers-ballon» que sont les galaxies s’exerce une attraction, la gravitation, qui tend à rétracter l’Univers. Toutefois, où est l’équivalent de la pression du gaz contenu dans le ballon? Nous sommes contraints de conclure que cet équivalent n’existe pas et qu’un Univers stationnaire, où s’exercent uniquement des forces de gravitation, s’effondre sur lui-même. Ce problème est aussi vieux que la théorie newtonienne de la gravitation universelle, peut-être même davantage. Ne devrions-nous alors pas craindre, tels les Gaulois, que «le ciel nous tombe sur la tête»? Ils ne furent pas les seuls, ni les premiers, à exprimer cette angoisse : en Chine, l’on raconte que les «gens inquiets de Qi» oubliaient même de manger, tant ils avaient peur que le ciel tombe.

Einstein est, bien sûr, parfaitement conscient du problème et sait qu’il ne peut le résoudre en remplaçant la théorie de la gravitation de Newton par la sienne : la gravitation est une force d’attraction que sa théorie ne contrebalance pas. Or, l’Univers doit être stationnaire ; puisqu’il ne s’effondre pas, il faut donc modifier la théorie de la gravitation. Einstein corrige ainsi sa propre théorie gravitationnelle en introduisant, dans les équations de champ, un terme constant supplémentaire.

Le modèle de «l’univers-ballon» permet de représenter l’expansion uniforme de l’Univers. Chaque point à la surface du ballon représente une galaxie. Lorsque l’on gonfle le ballon, la distance entre deux points donnés s’accroît proportionnellement à leur distance initiale. Vues des galaxies a) ou b), toutes les autres galaxies s’éloignent uniformément dans toutes les directions: l’expansion n’a pas de centre défini.

Pour comprendre la signification de cette modification, suivons le «chemin plutôt rude et tortueux» emprunté par Einstein. Nous avons exposé la réponse d’Einstein à la question de la géométrie spatiale de l’Univers, car ce fut probablement la première question qu’il se posa. L’article de 1917 entreprend, pour la première fois dans les temps modernes, de décrire l’Univers comme une entité globale ayant une existence propre; les réponses d’Einstein guideront la théorie cosmologique du XX e siècle. On n’étudie plus le devenir des objets dans l’Univers, mais l’Univers lui-même.

Dans le concept de gravitation propre à la relativité générale, la géométrie de l’espace est, outre celle de l’espace-temps, «façonnée» par la gravitation. Comme dans le cas des planètes, les équations de champ relient les sources de la gravitation (les masses) à la géométrie, en l’occurrence la géométrie de l’espace. Toutefois, la détermination de la géométrie par la matière prend une nouvelle forme dans le contexte cosmologique. En raison de l’extrême complexité de la distribution de la matière dans l’Univers, apporter une solution précise, point par point, est impensable, voire impossible. Elle serait d’ailleurs inutile. En revanche, une solution globale qui fournit localement des propriétés moyennes de la géométrie est intéressante. Ainsi, l’on recherche une solution à une échelle suffisamment grande pour ignorer les «événements locaux» tels les corps célestes ou même les galaxies. En cosmologie, l’on conçoit donc nécessairement la matière comme un fluide homogène, dont chaque point aura une densité égale à la densité de matière moyenne de l’Univers. Cette hypothèse est devenue un raisonnement standard de la cosmologie. «Nous procédons, écrit Einstein, comme les géophysiciens, qui assimilent la surface terrestre, extrêmement complexe dans ses détails, à un ellipsoïde.»

Einstein découvre ainsi que les équations de sa théorie gravitationnelle, modifiées par l’introduction d’une «constante cosmologique» Λ, fournissent une solution de la forme souhaitée (hypersphère de rayon R) pour la géométrie spatiale de l’Univers, dans la mesure où Λ est liée dans un rapport précis (fonction des seules grandeurs fondamentales G, la constante de gravitation, et c, la vitesse de la lumière dans le vide) à la densité moyenne ρ de la matière existant dans l’Univers. Ce résultat n’est pas surprenant: la constante cosmologique Λ mesure une sorte de force de répulsion cosmique universelle, qui compenserait globalement l’attraction gravitationnelle; cette compensation doit être efficace dans l’hypothèse d’un Univers parfaitement stationnaire, et un tel résultat n’est atteint qu’avec une valeur de Λ définie avec précision et déterminée de façon univoque par la densité de la matière.

L’Univers est en expansion

Einstein fait ainsi les premiers pas vers une théorie cosmologique globale. Ensuite, les événements se précipitent. Moins de deux mois après la parution de l’article d’Einstein, l’astronome et mathématicien hollandais Willem de Sitter publie un modèle géométrico-mathématique de l’Univers totalement différent, que nous ne détaillerons pas ici. Ce modèle montre toutefois qu’il existe des solutions de la théorie gravitationnelle d’Einstein qui ne concordent pas avec le principe de Mach (l’inertie d’un corps est complètement déterminée par les masses de l’Univers) : de Sitter trouve une solution pour laquelle un objet massif a une inertie, même s’il est très éloigné des autres masses de l’Univers. Dans les années 1922 et 1924, le mathématicien russe Alexandre Friedmann publie ensuite deux articles où il analyse des solutions non statiques des équations d’Einstein, solutions qui décrivent un Univers en expansion. Friedmann, en pur mathématicien, n’envisage même pas une éventuelle vérification physique de ses résultats. Einstein réagit brièvement à l’article publié par de Sitter et au premier article de Friedmann par quelques remarques qu’il retirera plus tard. Il gardera le silence sur ce sujet pendant huit longues années, jusqu’à ce qu’il publie, en 1931, un article où il examine la possibilité d’un Univers spatialement infini. Parallèlement, au cours de ces années, la représentation d’un Univers en expansion s’imposera, à la suite des observations d’Edwin Hubble.

L’astronome Willem de Sitter (1872-1934) développa un modèle d’Univers stationnaire différent de celui d’Einstein, où le principe de Mach n’est pas vérifié.

Le mathématicien Georg Riemann (1826-1866); sa géométrie des espaces courbes prit une grande importance en physique lorsqu’elle fut utilisée dans la théorie de la relativité.

Edwin Hubble (1889-1953), photographié au début des années 1950, à l’intérieur de la structure d’observation du télescope Hale installé sur le Mont Palomar, en Californie. Ce télescope possède un miroir de cinq mètres de diamètre. En 1929, Hubble observa que les galaxies s’éloignaient de nous à une vitesse proportionnelle à leur éloignement, prouvant ainsi que l’Univers est en expansion.

La galaxie spirale M31 fut l’un des premiers objets extragalactiques observés par Hubble.

Einstein n’imagine pas encore, à l’époque, que la physique empruntera la voie ouverte par Alexandre Friedmann. Plus tard, Einstein écrira qu’il n’avait entrevu aucune raison de douter de la nature statique de l’espace.

Pourtant, l’hypothèse de l’expansion de l’Univers est tout à fait appropriée. Un ciel stationnaire, pour reprendre la formule des Gaulois et des habitants de Qi, nous tomberait inévitablement sur la tête s’il n’existait pas une poutre idéale pour le soutenir. En d’autres termes, plus physiques : seul le mouvement empêche, à tous les niveaux, un effondrement rapide. Cela vaut pour le mouvement de la Lune autour de la Terre, pour le mouvement de la Terre autour du Soleil et pour celui des étoiles autour du centre de masse d’une galaxie. Ainsi, le système céleste, peu importe l’immensité de sa taille, est un système mécanique, dont les éléments sont animés de mouvements causés par des forces et qui dépendent de conditions initiales. Une conception statique est simplement contraire à la physique. Elle n’a d’ailleurs pu être introduite qu’à l’aide de l’hypothèse artificielle de la constante cosmologique, qui fournit un support à la voûte céleste.

Considérons «l’Univers-hypersphère» en tant que système mécanique, avec toutefois une restriction: laissons de côté ses éléments et leurs mouvements individuels et voyons cet «Univers-hypersphère» comme un objet unique, dont le mouvement global nous intéresse. L’état normal du système «Univers-hypersphère», tel celui de ses composants, est l’état de mouvement, c’est-à-dire une contraction ou une expansion. Il va de soi que le modèle du ballon gonflable, introduit pour montrer la nécessité d’une pression interne dans l’hypothèse d’un Univers stationnaire, devient obsolète; nous abandonnerons aussi l’équivalent de cette pression, la constante cosmologique. Le mouvement de contraction ou d’expansion est un mouvement collectif, qui concerne tous les objets élémentaires de la même manière, même si ce mouvement collectif s’accompagne généralement de mouvements locaux des corps individuels, du à l’action des corps à proximité. La gravitation accélère un mouvement de contraction et retarde un mouvement d’expansion.

Le modèle dynamique de l’Univers a une particularité. En effet, il existe au moins une raison qui en fait aussi, intrinsèquement, un modèle de l’évolution de l’Univers : au cours d’une contraction ou d’une expansion, la densité de matière moyenne ne peut rester constante. Cette évolution entraîne immédiatement la question de l’existence d’un «début» et d’une «fin» de l’Univers. Si l’on considère un moment donné dans l’évolution passée de l’Univers, le rayon de l’hypersphère et sa variation en fonction du temps fournissent des données qui, en combinaison avec les forces en présence, permettent de prévoir l’évolution future de l’Univers. L’Univers devient alors, de façon surprenante, semblable à un système mécanique à un degré de liberté, soumis à une force, et dont l’évolution dépendrait, outre de la force elle-même, de sa «position» et de sa «vitesse» initiales.

Friedmann remarque ainsi que, sans constante cosmologique, les équations de champ appliquées à l’Univers-hypersphère ressemblent à une loi de gravité appliquée à un système à un degré de liberté. En outre, avec un instinct sûr, il choisit parmi les deux possibilités, contraction ou expansion, celle qui semble s’être réalisée dans la nature, l’expansion. Einstein ne voit cependant pas tout de suite l’importance de cette découverte pour la physique. Des années plus tard, il qualifiera cette occasion manquée de la plus grande erreur de sa vie. D’après ce que l’on sait d’Einstein, il est vraisemblable qu’il s’en voulut bien plus de ne pas avoir raisonné en termes de validité physique que d’avoir manqué l’occasion unique de «prédire» l’expansion de l’Univers.

Le retour de la constante cosmologique

Einstein change d’avis sur l’expansion de l’Univers lorsqu’il se rend en Californie, en 1930, et discute avec Hubble en personne des résultats des observations de l’astronome : les autres galaxies semblent s’éloigner de nous à une vitesse proportionnelle à leur éloignement. Certains objecteront qu’une

telle considération conduit à un nouveau géocentrisme, mais leur raisonnement est vite écarté si l’on remarque, à l’aide de l’image bidimensionnelle de l’Univers-hypersphère, que nous ne sommes pas des observateurs privilégiés, et qu’un observateur dans n’importe quelle autre galaxie percevrait le même mouvement d’expansion que nous. La même image nous permet d’expliquer un second point : l’expansion cosmique est l’expansion de l’espace lui-même, qui entraîne les constituants élémentaires de l’Univers (les galaxies), et non un mouvement des galaxies à travers l’espace (tel le mouvement d’un nuage de débris produit par l’explosion d’un objet). Dans cette représentation, le décalage cosmologique vers le rouge du spectre des étoiles et des galaxies, dû à l’effet Doppler, peut s’interpréter comme un allongement des longueurs d’ondes causé par l’expansion de l’espace. Toutes ces caractéristiques essentielles ne dépendent pas de l’hypothèse d’un Univers en forme d’hypersphère. Mathématiquement, l’hypersphère est une variété qui présente une courbure constante positive. Cependant, des variétés plates ou de courbure constante négative conviendraient aussi.

Ces réflexions, amorcées par Friedmann, sont mises en forme par H. Robertson et A. Walker entre 1928 et 1935. Grâce aux travaux de ces chercheurs et d’autres scientifiques, l’on parvient pas à pas, au fil du siècle, à une vision cosmologique globale : des disciplines physiques complémentaires, notamment la thermodynamique et la physique nucléaire, permettent d’élaborer une représentation d’un Univers en expansion et en évolution à partir d’une phase initiale extrêmement chaude et dense (théorie du Big Bang).

Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des différentes orientations de la recherche (nous en aborderons certains aspects dans le dernier chapitre sur l’héritage d’Einstein). Nous nous contenterons de déterminer avec précision l’importance de la contribution d’Einstein. Son apport consiste, nous l’avons déjà mentionné, en l’élaboration d’une théorie cosmologique empreinte de mathématiques et de géométrie. De cette approche, il reste surtout ce qu’Einstein nomme le «procédé des géophysiciens», le concept d’un temps universel ou cosmique et, naturellement, l’utilisation de la relativité générale en tant que théorie gravitationnelle applicable à l’Univers dans sa globalité. En revanche, il ne reste rien des hypothèses initiales d’Einstein : ni l’Univers stationnaire, ni ses limites spatiales. La question «l’Univers est-il fini ou infini?» est d’ailleurs toujours d’actualité.

Nous avons évoqué la conversion d’Einstein à l’expansion de l’Univers: elle fut rapide et sans appel. Fait curieux: pendant que les données de Hubble appuyaient indiscutablement pour Einstein la théorie de l’expansion, Hubble luimême voyait sa découverte comme une confirmation de l’Univers stationnaire conçu par de Sitter. En 1932, Einstein et de Sitter, qui ont formulé quelques années plus tôt des modèles de l’Univers opposés, publient ensemble un article, dans lequel ils présentent un modèle d’Univers qui se dilate de façon particulièrement simple: l’Univers est un espace de courbure nulle, c’est-à-dire un espace plat (et donc infini). En d’autres termes, les sections de l’espace à temps cosmique constant sont euclidiennes; la constante cosmologique est nulle et l’Univers en expansion.

Si le modèle d’Einstein-de Sitter a longtemps été l’un des favoris des cosmologistes, les observations actuelles remettent au goût du jour la constante cosmologique: les mesures récentes du décalage vers le rouge des supernovae lointaines semblent indiquer que l’expansion de l’Univers s’accélère. Il existe donc une force qui s’oppose à la gravitation, c’est-à-dire une constante cosmologique. Selon certains cosmologistes, cette force serait liée à une forme d’énergie du vide (dans les équations d’Einstein, la constante cosmologique est en effet homogène à une densité d’énergie). En revanche, le calcul de la densité de matière dans l’Univers, l’analyse du fond diffus cosmologique (rayonnement micro-ondes émis environ 500000 ans après le Big Bang) et l’étude de la vitesse de formation des amas de galaxies suggèrent tous trois que l’espace est plat, comme dans le modèle d’Einstein-de Sitter. ■

Le décalage cosmologique vers le rouge, illustré sur trois galaxies distantes de la Terre de 22 millions (en haut), 400 millions (au centre) et 700 millions d’années-lumière (en bas). Les raies d’émission des spectres (structures horizontales au milieu des images) sont d’autant plus décalées vers la droite – qui correspond aux longueurs d’onde plus élevées, c’est-àdire à l’extrémité rouge du spectre visible – que la distance est grande; les cercles en jaune indiquent deux raies spectrales de l’élément calcium. Aux différents décalages vers le rouge correspondent respectivement des vitesses de fuite de 1200, 21500 et 39300 kilomètres par seconde.

Interrogé par George Gamow, Einstein lui avoua que «l’introduction de la constante cosmologique avait été la plus grande erreur de sa vie». Einstein se trompait, son erreur n’en était pas une...

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