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Einstein n’accepte pas la mécanique quantique

La mécanique quantique développée dans les années 1920 se révèle fructueuse ; son interprétation en termes de probabilités se heurte cependant à la résistance acharnée d’Einstein.

Au début du XX e siècle, les indices en faveur de phénomènes quantiques s’accumulent et les physiciens s’efforcent d’élaborer une théorie générale de ces phénomènes. Ils n’aboutissent pas immédiatement. Les progrès se précipitent en 1925-1926, selon deux directions privilégiées. L’une s’appuie sur l’idée de Louis de Broglie, selon laquelle les particules présentent des propriétés ondulatoires; l’autre, initialement indépendante de la première, s’inspire des recherches sur les spectres des atomes et de la démonstration d’Einstein (celle de 1916) de la loi du rayonnement. D’un rôle de participant actif au développement de la théorie quantique, Einstein passe graduellement à celui de commentateur critique, souvent même entêté, de celle-ci.

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Comment formaliser la dualité onde-corpuscule?

Nous avons déjà évoqué l’apport des travaux de Louis de Broglie à la théorie quantique des gaz d’Einstein. Le second article d’Einstein sur cette théorie conduit le physicien autrichien Erwin Schrödinger à approfondir et formaliser les travaux précurseurs du physicien français, et à publier sa propre version de la mécanique quantique, la Mécanique ondulatoire. Les particules sont désormais des ondes. Plus précisément, à chaque particule on associe un paquet d’ondes, c’est-à-dire un ensemble d’ondes concentrées dans l’espace, et se propageant dans celui-ci. Par exemple, un électron dans un atome est assimilé à une onde stationnaire. Ainsi, curieusement, la physique mathématique classique apporte une solution au principal problème que la Mécanique quantique – théorie de la dynamique des systèmes quantiques – devait résoudre : la détermination des niveaux d’énergie de l’atome d’hydrogène (constitué d’un noyau et d’un électron). Les niveaux d’énergie possibles (les niveaux de Bohr) sont, dans la formulation de Schrödinger, les solutions d’une équation qui ressemble étrangement à l’équation classique de propagation des ondes. Toutefois, la nature de ces nouvelles «ondes» est encore énigmatique.

Indépendamment, le jeune physicien allemand Werner Heisenberg, persuadé que la fugacité des phénomènes quantiques empêche de les comprendre à l’aide des modèles mécaniques traditionnels, insiste, dans son premier article fondamental, sur la nécessité de partir de résultats simples, exclusivement expérimentaux. Il se réfère en particulier aux spectres des éléments chimiques, qui donnent la fréquence et l’intensité des raies lumineuses correspondant aux niveaux d’énergie des éléments ; Einstein a en effet donné, dans son article de 1916, des indications pour leur calcul.

Selon Heisenberg, ces données peuvent être interprétées de façon générale au moyen d’une mécanique newtonienne modifiée : aux variables classiques de la dynamique (position et quantité de mouvement) sont substitués des éléments mathématiques régis par les lois de la théorie mathématique des

Le physicien autrichien Erwin Schrödinger (1887-1961).

Werner Heisenberg (1901-1976)

Dans les années 1920, Schrödinger fonde la Mécanique ondulatoire: il associe à chaque particule se déplaçant à une vitesse v un paquet d’ondes, c’est-à-dire une superposition d’ondes concentrées dans l’espace, se propageant dans celui-ci. Une particule est ainsi représentée par une fonction d’onde dans la théorie de Schrödinger. Heisenberg, de son côté, élabore avec Born et Jordan la Mécanique des matrices: l’état d’une particule (l’équivalent de la fonction d’onde de Schrödinger) est décrit par un vecteur dans un espace abstrait (l’espace des états) de dimension infinie.

v groupes. En particulier, l’ordre dans lequel on effectue deux mesures physiques devient tout à coup important. Grâce à ce nouveau formalisme mathématique, l’on connaît désormais les règles de quantification des systèmes physiques, règles où la constante de Planck joue un rôle primordial. Heisenberg niera plus tard avoir été influencé, comme l’avait été Einstein, par la pensée de Mach, tout en soulignant par ailleurs que la relativité restreinte d’Einstein l’a marqué. Einstein ne voit cependant pas d’un très bon œil ce lien entre ses propres travaux et la nouvelle mécanique.

Max Born découvre bientôt que les variables dynamiques de la mécanique quantique peuvent être décrites à l’aide d’entités mathématiques connues, les matrices. Peu après, Born et Heisenberg publient, en collaboration avec un autre physicien théoricien allemand, Pascual Jordan, un article dans lequel ils présentent la nouvelle mécanique, la Mécanique des matrices.

Ainsi, les physiciens disposent soudain non pas d’une, mais de deux mécaniques quantiques. Schrödinger est le premier à montrer que les deux formulations, du moins sur le plan mathématique, sont équivalentes. Paul Dirac, puis John von Neumann, à l’aide d’outils mathématiques plus adéquats, entérinent cette proposition : les deux mécaniques sont unifiées à l’aide d’un formalisme plus général. Les états et les variables de la dynamique quantique sont définis respectivement par des vecteurs unitaires et des opérateurs linéaires dans un espace abstrait de dimension infinie, connu sous le nom d’espace de Hilbert. Les éléments de cet espace (les états) et les opérateurs linéaires agissant sur eux (les variables dynamiques) sont représentés par des suites de nombres complexes et de matrices de dimension infinie : tel est l’héritage de Born, Heisenberg et Jordan. Nommez ces éléments fonctions d’ondes (à valeurs complexes) et opérateurs différentiels, vous obtiendrez la formulation de Schrödinger. Tout ceci doit paraître terriblement hermétique et abstrait au lecteur qui n’a pas reçu d’enseignement préalable sur le sujet (et, naturellement, imprécis et incomplet au lecteur averti). Nous voulons simplement montrer ici quel niveau d’abstraction il faut atteindre pour comprendre le monde des phénomènes quantiques.

L’interprétation probabiliste des fonctions d’onde

L’élaboration du formalisme mathématique décrivant les résultats expérimentaux n’est qu’une première étape; il reste encore beaucoup à faire avant d’obtenir une interprétation cohérente et satisfaisante de ces résultats. Schrödinger pense au début que ses fonctions d’onde fournissent une description complète des particules. Sa vision de la mécanique quantique est ainsi réaliste (au sens philosophique) et unitaire (il attribue une nature unique – ondulatoire – aux ultimes constituants de la matière). Il considère en outre que les fonctions d’onde décrivent la distribution de la charge électrique des particules dans l’espace. Le point de vue unitaire de Schrödinger est cependant abandonné peu après, lorsque l’on découvre, par le calcul, que ses paquets d’ondes se dispersent lors de leur propagation de façon telle que l’on ne peut plus leur attribuer les propriétés de particules, entités concentrées dans de petites régions de l’espace.

Born donne, en 1926, la clé de l’interprétation des fonctions d’onde : le carré de la fonction d’onde en un point donné représente la densité de probabilité de trouver la particule en ce point. En proposant cette interprétation, Born explique en outre comment concilier le caractère essentiellement corpusculaire de la mécanique des matrices (dont les objets élémentaires sont des particules de la mécanique newtonienne, soumises cependant à une nouvelle dynamique) avec l’interprétation ondulatoire de la mécanique de Schrödinger : les ondes ne sont rien d’autre que l’expression probabiliste de la position des particules. La nature des ondes est enfin comprise, mais peu concrète : il s’agit d’ondes de probabilité.

Cette interprétation déplaît profondément à Einstein. Dès 1924, alors qu’il prépare le terrain pour un bouleversement imminent de la physique statistique, il écrit à Born :

L’avis de Bohr sur le rayonnement m’intéresse fort, mais je ne voudrais pas me laisser entraîner à renoncer à la causalité stricte tant qu’on ne s’en sera pas défendu de toute autre façon que jusqu’à présent. L’idée qu’un électron exposé à un rayonnement choisit en toute liberté le moment et la direction où il veut sauter m’est insupportable. S’il en était ainsi, j’aimerais mieux être cordonnier, ou même employé dans un tripot, que physicien. Mes tentatives pour donner aux quanta une forme concevable ont, à vrai dire, toujours échoué, mais je n’abandonnerai pas tout espoir avant longtemps. Et si rien ne marche, je pourrai toujours me dire, pour me consoler, que l’échec ne tient qu’à moi.

Bien des années plus tard, en 1944, il résumera une nouvelle fois ses convictions sur ce sujet en écrivant, dans une lettre à Born:

Nos espérances scientifiques nous ont conduits chacun aux antipodes de l’autre. Tu crois au Dieu qui joue aux dés, et moi à la seule valeur des lois dans un univers où quelque chose existe objectivement, que je cherche à saisir d’une manière sauvagement spéculative. Je crois fermement, mais j’espère que quelqu’un trouvera une manière plus réaliste ou une base plus concrète que celles qui me sont données. Le grand succès de la théorie des quanta dès son début ne peut pas m’amener à croire à ce jeu de dés fondamental, bien que je sache que mes confrères plus jeunes voient là un effet de la fossilisation. On découvrira un jour laquelle de ces deux attitudes instinctives était la bonne.

Toutefois, l’interprétation probabiliste des fonctions d’onde énoncée par Born ne marque pas encore la fin des recherches visant à comprendre la nouvelle mécanique: malgré les ondes de probabilité, l’on utilise encore des notions qui n’ont plus beaucoup de sens, telle par exemple celle de trajectoire d’une particule.

La touche finale: principe d’incertitude et complémentarité

Dans un article de 1927, Heisenberg donne un nouvel élan aux recherches sur la théorie quantique. Se référant une fois de plus à des méthodes chères à Einstein, il s’appuie sur des expériences de pensée et démontre, sur la base des propriétés générales de la nouvelle mécanique, que le produit des incertitudes affectant la position et la quantité de mouvement d’une particule ne peut être inférieur à une certaine valeur, qui n’est autre que la constante de Planck. Remarquons que cela ne signifie pas qu’il est impossible de localiser une particule avec précision, ni de déterminer la quantité de mouvement d’une particule; les deux opérations sont cependant incompatibles.

En outre, puisqu’il faut connaître la position et la vitesse (et, par conséquent, la quantité de mouvement) d’une particule pour déterminer sa trajectoire, le concept de trajectoire d’une particule perd son sens. Heisenberg donne à ces conclusions le nom pertinent de «principe d’incertitude».

Plusieurs chercheurs verront dans ce principe l’apparition d’un nouvel aspect dans les rapports entre l’homme et le monde physique: pour explorer le monde microscopique, l’homme utilise des outils qui sont, comme lui, macroscopiques. Toute tentative d’approcher une vérité du monde microscopique conduit donc inévitablement à une modification de celui-ci: en cherchant à déterminer, avec une précision donnée, la position d’une particule, nos mesures lui communiquent

Solvay Institute, Bruxelles

Paul Dirac (1902-1984)

Le cinquième Congrès Solvay, en 1927. Au premier rang de gauche à droite: I. Langmuir, M. Planck, M. Curie, H. Lorentz, A. Einstein, P. Langevin, C. Guye, C. Wilson et O. Richardson. Au deuxième rang: P. Debye, M. Knudsen, W. Bragg, H. Kramers, P. Dirac, A. Compton, L. de Broglie, M. Born et N. Bohr. Debout: A. Piccard, E. Henriot, P. Ehrenfest, E. Herzen, T. de Donder, E. Schrödinger, E. Verschaffelt, W. Pauli, W. Heisenberg, R. Fowler, L. Brillouin.

G R

C A nécessairement une quantité de mouvement, et nous perdons ainsi de la précision sur son éventuelle quantité de mouvement réelle.

En septembre 1927, lors d’un congrès à Côme pour la célébration du centenaire de la mort d’Alessandro Volta, Bohr apporte un élément supplémentaire en faveur d’une interprétation globale. Comment doit-on gérer le dualisme apparent des ondes et des particules? Ou, en d’autres termes, comment un objet peutil être à la fois onde et particule? Bohr introduit un nouvel outil logique, qu’il nomme «complémentarité».

Ce terme désigne une manière de considérer sans contradiction deux ensembles de concepts qui s’excluent mutuellement, mais qui sont tous deux nécessaires. Des propriétés sont complémentaires lorsqu’elles concourent à définir entièrement une entité, tout en restant dans des contextes distincts. Les aspects ondulatoire et corpusculaire sont de cette nature: le comportement ondulatoire du rayonnement électromagnétique, par exemple, se vérifie à l’aide d’un interféromètre, tel l’interféromètre à deux fentes de Young; en revanche, si nous voulons déterminer, d’un point de vue corpusculaire, à travers quelle fente est passé un photon, nous perturbons inévitablement la figure d’interférence. Le dispositif expérimental est alors transformé en un nouvel instrument de mesure, destiné à étudier les propriétés corpusculaires de la lumière. Et les deux appareils s’excluent mutuellement (c’est-à-dire ne peuvent fonctionner simultanément), comme s’excluent les langages ondulatoire et corpusculaire. Les objets décrits par la mécanique quantique sont, du point de vue logique, ondes ou corpuscules, mais aussi ondes et corpuscules. Ces deux aspects sont complémentaires. T Parler d’ondes ou de corpuscules lors de la description d’expériences est néanmoins inévitable pour Bohr: selon lui, l’intersubjectivité de cette description n’est possible que par le biais d’un langage clair, et donc classique.

Les débats Bohr-Einstein

Einstein ne participe pas au congrès de Côme. Cependant, à peine un mois plus tard, se tient à Bruxelles le cinquième Congrès Solvay. Bohr laissera, dans l’ouvrage Einstein, philosopher-scientist, un compte rendu vivant de la discussion qui l’opposera à Einstein lors de ce congrès. Nombre d’entre nous, écrira Bohr, se sont rendus «à cette séance […] très impatients de connaître la réaction d’Einstein envers les derniers développements qui, selon nous, clarifiaient de façon satisfaisante des problèmes que lui-même avait été le premier à soulever avec tant de perspicacité».

L’expérience de pensée opposée par Einstein au principe d’incertitude lors du Congrès Solvay de 1930 (d’après un dessin de Bohr). Einstein considère une boîte percée d’un trou T, que l’on peut ouvrir ou fermer à l’aide d’un obturateur A contrôlé par une horloge, placée dans la boîte. Celle-ci, fermée et contenant un rayonnement, est pesée avec le ressort R servant de balance au moyen de la graduation G. Puis l’obturateur est ouvert, le temps de laisser sortir un seul photon. La boîte est alors pesée à nouveau. L’on mesurerait ainsi l’énergie du photon et l’instant exact de son passage à travers le trou, ce qui est en contradiction avec le principe d’incertitude. Bohr démontrera que les mesures de l’énergie et du temps introduisent une incertitude sur le résultat en accord avec le principe d’incertitude : la première pesée est effectuée en notant la position, sur la graduation G, d’un curseur fixé à la boîte. La perte de poids due au départ du photon est compensée par une charge C, qui ramène le

curseur à sa position initiale avec une incertitude ∆ q. Cette incertitude induit une incertitude ∆ m sur la deuxième pesée.

Lorsque le photon s’échappe, la charge C fait osciller la boîte avec une quantité de mouvement p que l’on ne peut mesurer

qu’avec une incertitude ∆ p vérifiant le principe d’incertitude : ∆ p ∆ q ≥ h (où h est la constante de Planck). La boîte étant

retenue par un ressort, la quantité de mouvement de la boîte est inférieure à celle que lui aurait communiqué la charge C si aucun ressort n’avait entravé son mouvement. Il en est de même pour les incertitudes liées à ces deux grandeurs :

∆ p < (t × g) ∆ m, où t est le temps mis par le curseur pour

retrouver sa position initiale, et g est l’accélération de la pesanteur. Ainsi, en combinant les deux inégalités, on a

tg ∆ m ∆ q > h. En outre, d’après la théorie de la relativité, le

temps mesuré sur l’horloge diffère de celui qui serait mesuré sur une horloge extérieure à la boîte : la boîte s’est déplacée par rapport au champ gravitationnel de la Terre, modifiant le rythme de l’horloge. L’incertitude sur le temps mesuré sera

donc ∆ t = c –2 gt ∆ q (voir page 90). Ainsi, en remplaçant gt ∆ q

par cette formule dans l’inégalité précédente, on obtient

c 2 ∆ m ∆ t > h. Or, c 2 ∆ m est l’incertitude ∆ E sur l’énergie du photon. Ainsi, ∆ E ∆ t > h : la précision avec laquelle on mesure

l’énergie du photon restreint la précision avec laquelle on peut déterminer l’instant de son départ. Le principe d’incertitude n’est donc pas violé dans l’expérience de pensée d’Einstein… Comble de l’épisode, Bohr utilise la propre théorie d’Einstein pour contrer les arguments de ce dernier!

American Institute of Physics, Niels Bohr Library, New York

Durant le congrès, Einstein s’attaque à la conclusion selon laquelle on ne peut plus rien prédire sur l’état des particules au-delà des limites apparemment imposées par le principe d’incertitude. À cette fin, il utilise une expérience de pensée qui, selon lui, lui permettra de déterminer le chemin d’une particule lors d’une expérience d’interférences, tout en mesurant sa quantité de mouvement lorsqu’elle frappe l’écran d’observation.

Afin de montrer qu’une telle expérience ne réfute pas le principe d’incertitude pour la position et la quantité de mouvement, Bohr objecte que l’appareillage de mesure est aussi soumis aux lois quantiques; cette remarque n’arrange en rien le conflit (une telle hypothèse est, du moins en partie, en contradiction avec le point de vue préalablement défendu par Bohr, selon lequel les expériences et, notamment, les appareils macroscopiques peuvent être décrits à l’aide de concepts classiques). Néanmoins, la discussion raffinée entre Einstein et Bohr sur les expériences d’interférences fait depuis partie de l’enseignement en physique.

La discussion entre Einstein et Bohr se poursuit lors du Congrès Solvay suivant, en 1930. Einstein propose alors une autre expérience de pensée qui, cette fois-ci, devrait infirmer le principe d’incertitude. À l’époque, écrit Bohr, «nos discussions prenaient une tournure vraiment dramatique». Selon Leon Rosenfeld, un collaborateur de Bohr qui participe au congrès:

Ce fut un véritable choc pour Bohr [... ] Il ne vit pas immédiatement la solution. Durant toute la soirée, il fut extrêmement malheureux, allant de l’un à l’autre pour les convaincre que ce ne pouvait être vrai, que ce serait la fin de la physique si Einstein avait raison; mais il ne put trouver aucune réfutation. [...] Le lendemain, ce fut le triomphe de Bohr.

En décrivant précisément, illustration à l’appui (voir l’illustration page 74), le dispositif nécessaire pour réaliser l’expérience de pensée d’Einstein, Bohr montre que, même dans ce cas, le principe d’incertitude est respecté car les instruments macroscopiques – en l’occurrence une balance et une horloge – imposent aussi des contraintes physiques, qu’il faut prendre en compte. Cette «seconde phase des débats entre Einstein et Bohr» prend ainsi fin sur une victoire du second, d’autant plus que Bohr s’appuie sur la théorie de la relativité générale: Bohr oppose en quelque sorte les propres arguments d’Einstein à leur auteur. Plus tard, des physiciens remarqueront que la réplique de Bohr est logiquement peu satisfaisante, notamment parce que l’argumentation d’Einstein ne s’appuie pas sur la théorie de la relativité: sa réfutation devrait rester dans le même cadre.

La photographie ci-dessus, prise par Ehrenfest, l’un des témoins les plus assidus des démêlés qui animèrent les deux congrès, nous permet d’imaginer l’un des plus grands débats de la physique du XX e siècle. Nous y découvrons une alchimie unique de comportements: le sentiment d’appartenir à un groupe qui s’occupe de sujets importants et une attitude entre interlocuteurs empreinte d’une certaine bonhomie civilisée, bien intentionnée et réservée. ■

Niels Bohr et Albert Einstein perdus dans leur discussion, photographiés par Paul Ehrenfest au Congrès Solvay de 1930.

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