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L ’hu M eur d’antoine : L es adu Ltes P ersonnes

Les adultes

de personne

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P ar antoine bertra M

Rentre le ventre, lève la tête, donne-toi l’air. Baisse la tête, courbe-toi, surtout ne dis rien. C’est l’urgence, la fuite, la rage, le tout mélangé, nous n’avons le temps de rien, ni de nous tromper ni de réfléchir, il faut agir, agir, agir plus, plus loin plus vite, dépêche-toi c’est pour hier. Quand je pense aux enfants, je retrouve la peur, ils sont si fragiles, disponibles et faibles. La nature est dégueulasse, c’est un sordide enfer où le lion bouffe inéluctablement le zèbre, où le rire sadique de la mort contemple le carnage perpétuel du faible torturé par le fort, je tuerai Dieu je le jure.

À tout prendre je veux qu’on m’aime sinon tant pis, à tout faire pour aimer, ou essayer au moins. Le premier soir on donne beaucoup d’amour, on donne tout, mais au bout d’un an il ne reste rien. Pour tenir on se moque, on se masque par l’humour, on ment nos folles terreurs, on rit plus fort pour écraser les larmes des enfants abandonnés, on se ment pour te plaire un soir de pleine lune, quand le loup pernicieux gronde dans nos êtres. Attends ! Toi la grande que je n’ose nommer, je voudrais t’aimer, encore peut-être, peut-être encore demain, je voudrais y croire parce que tu es douce et je pourrais te regarder vieillir dans cette grâce, avec tes traits fins, avec tes yeux éveillés à la rigueur sans pour autant être méchants, ton harmonie perdurera et j’aurais vu cela pendant des siècles.

Futile mon existence, terrifiante l’expérience du quotidien, et je vois au bord de tes yeux tes rides naissantes, toi petite fille dans le corps d’une femme, je vois tes yeux espiègles et tes lèvres sans mansuétude, je vois ton corps gracieux bien entretenu par tous ces kilomètres courus pour le respect de ton miroir, je vois tes seins hauts et tes beaux cheveux blonds… Et ce que je vois au-dessus n’est ni ça ni autre chose, je vois un refuge où m’apaiser, je vois ta gentillesse non feinte cette source de promesse, faisant de toi la petite fille qui sauverait les restes d’un gavroche abîmé. Rentre le ventre lève la tête, elle ne voudra pas de toi t’es trop bête, courbé gauche t’es trop moche, romantique psychopathe tu n’as pas assez de tout, tu connais pleins de choses ne servant à rien, minable, minable, minable frimeur, mâche la limaille et saigne par dedans. Le monde ne supporte ni la médiocrité ni la laideur, ni l’infirmité ni la vieillesse, le monde est une guerre ouverte pour la survie et au fond de ses yeux de biche elle ne se verra pas s’enlaidir par toi.

Rentre le ventre lève la tête, elle ne voudra pas de toi t’es trop bête, courbé gauche t’es trop moche, romantique psychopathe tu n’as pas assez de tout (…).

Demain ça recommence. Toujours à tailler mon cercueil dans ce monde faiblard, guerrier s’affrontant lui-même faute d’Idéal, expérience de la douleur mêlée d’échecs, vas-y plus fort, le masochisme de mes pensées, cette douce torture ne tenant pas en place, un pas en avant dans chaque seconde, un pas en arrière dans celle passée. C’est une danse macabre écrasant l’existence, car on voit bien ce qu’on rate mais il ne faut pas le dire, on voit bien ce que l’on possède mais il faut le taire. Le partage et la noblesse de l’âme sont des concepts inventés par les poètes pour asservir les porcs, pour mentir le monde en se crevant les yeux.

On survivra je survivrais, à la brûlure d’un soleil, toute façon j’en ai rien à foutre, peur de rien élevé dans une cave, amassé plus de colère que la chute d’un empire, entendu plus d’histoires que les grecs. Je rirais de mes dents aiguisées assis à côté de la mort en regardant mes mômes cadavériques. L’enfer s’il y en a un est ici, les pauvres pleurent, les riches s’acharnent, la blonde me fuit elle a raison, à mon tour je fuis la brune trop possessive. Je fuis la vie et sa bêtise, je fuis le temps ce trou noir. Nous nous pensions ambitieux là où nous ne sommes que des barbares dans le désert conscient, personne ne domine ses instincts, les robes cachent les meurtrissures et la mort putride recouvre tout.

Retour de l’urgence, de l’urgence, de l’urgence, baisse la tête n’en fais pas trop tu vas trop loin, reste en arrière travaille plus, travaille obéis respecte, excuse-toi, excuse-toi tu as été méchant, pardonne-leur travaille un peu, travaille ou on te vire, travaille sinon tu les tueras en leur glaçant le sang, tu finiras la guerre.

Attends ! Une minute, une minute, une minute ma respiration, mon souffle ma beauté ma prison, j’aurais essayé de te prendre dans mes bras, abandonnant mon sabre et mon armure, glissant un chuchotement doux t’invitant loin du monde. Le creux de nos âmes enfin retrouvé, nous aurions fui pour nous, pour notre beau refuge où nous ne serions les adultes de personne. Tes yeux délicats plissés dans la joie pourraient s’envoler partout, convaincus pacifiés et libres. Alors ce ne serait plus ma faute quelque part, ni ici ni là-bas ni jamais, j’aurais été avec toi. ‘‘

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