Dionysiaques - livret de visite

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diony siaques



Dans le sens commun, l’écologie correspond à la science des milieux naturels; par extension, elle s’associe aujourd’hui avec les démarches de développement durable, ou de développement supportable. Cependant, il est évident que la question écologique est éminemment culturelle, c’est pourquoi l’écologie naturelle n’est qu’une part de l’étude du milieu culturel qui est le nôtre. Ce milieu, déformé par l’irrationalité du capitalisme qui le dirige, est celui de l’esprit; l’esprit qui s’est développé, qui se développe et qui va se développer dans un environnement culturel pollué, détruit et prolétarisé par la consommation de masse et la désensibilisation. Disparition des savoirs (faire, vivre, conceptualiser), «barbarie»1. , terreur sont des émergences de l’entropie systémique d’un Anthropocène accéléré par l’automatisation. Ce milieu industriel est donc celui qui doit être premier dans l’étude des écologies, car il comprend toutes les autres formes de milieux (techniques, sociaux, politiques, naturels...). La consommation de masse, issue de la prolétarisation des sensibilités et des savoirvivre, ne peut que voir sa fin dans l’évolution du milieu de l’esprit du consommateur, qui, en changeant et en s’individuant, en différenciant des savoirs, est dans la mesure de prendre conscience de l’urgence pragmatique de la situation. L’épuisement des ressources naturelles, de l’«énergie de subsistance» 2., est donc, par extension, le corrélat de l’épuisement de l’énergie libidinale, des désirs, qui permettent d’individuer et de différencier les esprits. Cette disparition progressive des désirs est la crise majeure qui articule toutes les crises de l’Anthropocène, et elle correspond donc au premier milieu d’action que nous allons essayer de mettre à jour dans ce travail. Dans l’ouvrage La société automatique, Bernard Stiegler appelle le «prendre soin»3., un retour à une forme de «consumation»4. , c’est à dire, un érotisme, une tentative de mise en continuité avec autrui (une communication), qui en tant que dépense improductive, permet l’individuation de désirs, et donc une réactivation de la «machine désirante» 5. que nous sommes. C’est dans cette démarche seulement que nous pouvons envisager la sortie de l’Anthropocène, grâce et à travers un développement durable du milieu libidinal de l’esprit humain, moteur d’une économie de l’esprit.

STIEGLER Bernard, Dans la disruption, Lonray, LLL - Les liens qui libèrent, 2016 Vocabulaire d’Ars Instustrialis, définition de «écologie (de l’esprit)» (http://arsindustrialis.org/vocabulaire-ecologiede-l-esprit) 3. STIEGLER Bernard, La société automatique, Tome I, L’avenir du travail, Domont, Fayard, 2015, p.381-384 4. Voir BATAILLE Georges, La part maudite, Paris, Éditions de Minuit, 1949 5. DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Anti-Oedipe, Capitalisme et schizophrénie, Lonray, Les éditions de Minuit, 1972, p. 348 1.

2.


Cet épuisement de l’énergie d’existence, de l’énergie solaire dont nous parle Bataille dans La part maudite, est issu de la rétention de nos désirs, de notre part dionysiaque; il n’y a plus de tragique dans un mode de vie accommodé d’une consommation pré-digérée, véhiculant le «vide»6. qui définit notre ère, et désormais, nos individualités. Comme Nietzsche le dit dans La naissance de la tragédie, «la nature trouve cet indescriptible plaisir à l’artiste naïf et à l’œuvre d’art naïve, qui n’est semblablement, «qu’apparence de l’apparence»»7.. C’est ainsi que pourrait se définir l’esthétique contemporaine, une esthétique de complaisance devant le sublime de l’apparence de l’apparence, privé de savoirs et désirs. Les fluides qui nous habitent sont canalisés par le cadre du système. «En dépit de toutes les «idées modernes» et de tous les préjugés du goût démocratique, ne se pourrait-il pas que la victoire de l’optimisme, la prédominance de la rationalité, de l’utilitarisme théorique et pratique (avec la démocratie qui lui est contemporaine) soient un symptôme de force déclinante, de proche vieillesse, d’épuisement physiologique ?» 7. L’urgence écologique actuelle est d’établir un réel constat de cette rétention dionysiaque, et de la désensibilisation qui en est issue, et, de proposer une intervention renouant avec une esthétique tragique, non nihiliste ou hédoniste. Proposer un milieu de l’esprit territorialisé, mettant à jour la prolétarisation 8. généralisée en cours, et donnant à pratiquer des processus d’individuation psychique et collectif 9.. Cette forme d’érotisme, comme mise en continuité avec le territoire, se veut comme choc éthique, esthétique face à la réalité de l’épuisement libidinal. Et c’est ce désir de choc, qui explique le choix

LIPOVESTKY Gilles, L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Folio essais, 1989 NIETZSCHE Friedrich, La naissance de la tragédie, La Flèche, folio essais, 1986, p. 16 8. La prolétarisation est définie dans Le manifeste du Parti Communiste de Marx et Engels, comme privation de savoir. Le terme est employé pour caractériser la perte (de savoir, de savoir-faire) qui a lieu lorsque la machine prend la place de l’homme dans la réalisation d’une tâche. Elle est donc la dépendance de l’homme à un système. Elle s’étend avec la prolifération de la machine, pour atteindre une «hyperprolétarisation» avec le contrôle exercé sur les esprits par les organes de pouvoirs (étatiques et financiers) avec les mass médias aujourd’hui; cette privation de savoir est à l’origine d’une homogénéisation de plus en plus importante des comportements et des pensées. 9. Le processus d’individuation développé par Simondon dans L’individuation psychique et collective, propose une théorie de la différenciation à partir d’une double in-formation (comme processus); une trans-individuation (donc collective) puis une individuation (psychique), grâce et à travers la technique notamment. Simondon utilise le rapport des différents objets techniques dans un système machinique pour comprendre à quel degré et à quel moment la pièce existe en tant qu’individualité, puis comme partie d’une individuation multiple à travers l’apparition d’une pièce dans laquelle elle est comprise. Cette étude lui permet de proposer une théorie de la différenciation des individuations entre elles, d’abord à travers les objets techniques, puis appliquée à l’individuation subjective. Ce processus de différenciation est producteur de néguanthropie, car il produit de l’hétérogène (une multiplicité d’individuation distincte). Il faut cependant noter que la trans-individuation est indispensable à l’individuation. La prolétarisation tend donc à appauvrir ces processus (contrôle et homologie) car le système est fermé et empêche la production de néguanthropie. C’est cette dernière que nous pouvons, suite à l’étude menée en mémoire (entropie / néguanthropie, L’architecture peut-elle / doit-elle survivre à la société automatique), définir comme valeur des valeurs, au centre du nouveau régime de valeur en devenir dans une société désautomatisée. 6. 7.


du site (une banlieue commerciale et industrielle, émergence d’un espace déterritorialisé et prolétarisé, à Clermont-Ferrand, Auvergne), et aussi l’esthétique qui en subsume. De manière élargie, nous cherchons à expérimenter la possibilité d’une architecture néguanthropique10. , une architecture détachée de la symbolique systémique qui lui est liée par métaphore, et qui en fait une «chiourne architecturale»11.; cette expérimentation est également issue d’une recherche préalable, qui établit comme seule issue pour l’architecture dans une société désautomatisée, la production néguanthropique. Les Dionysiaques sont une étude du milieu libidinal de l’architecture, à la recherche d’une écologie de la culture architecturale, pour dépasser l’automatisation et le générique. C’est avant tout la capacité de différencier et de singulariser des savoirs-habiter (en tant que savoir-vivre) qui peuvent permettre à l’architecture de militer pour une sortie de l’Anthropocène, et ainsi lutter contre l’épuisement de «l’énergie d’existence». Il s’agit donc bien d’un «prendre soin» des individus à travers la construction de leur habitat, mais aussi, de leur regard et de leurs désirs, dans un environnement et une territorialité singulière, au delà d’une compétitivité et d’une normativité systémique. Aussi, c’est chacun en tant que singulier ou multitude qui peut, va, doit, durant les dionysiaques, exprimer son vécu, son ressenti, ses expériences, et individuer la problématique de l’automatisation en tant que sienne. Il s’agit là d’affirmer son existence dans un milieu industriel qui la nie.

L’entropie est à l’origine un facteur de l’équation qui forme la seconde règle fondamentale de la thermodynamique,qui introduit un principe d’irréversibilité des phénomènes physiques, et donc, l’introduction de la valeur du temps. L’entropie comme état le plus probable, est la mesure de désorganisation d’un système, en tant que tout système fermé tend à l’homogénéité, et donc à une forme de chaos. «Au fur et à mesure que l’entropie augmente, l’univers et tous les systèmes clos qui existent en son sein tendent à perdre leurs caractères distinctifs, et à aller de l’état le moins probable, vers l’état le plus probable, à avancer d’un état d’organisation et de différenciation, dans lequel les distinctions et les formes existent, vers un état de chaos uniforme» (WIENER Robert, Cybernétique et société, L’usage humain des êtres humains, Paris, Seuil, 2014 (traduction de l’original de 1954, par Pierre-Yves Mistoulon et revu par Ronan Le Roux), p. 46). Si le phénomène d’entropie concerne l’inerte, la matière non-vivante, les êtres vivants, au contraire, témoigne d’une organisation interne, et se voit donc qualifié de «poches d’entropie décroissante»(Ibid, p.64).On définit ce phénomène de plusieurs façons, notamment au regard de la science que l’on choisit pour le décrire. En biologie par exemple, on explique ce paradoxe de la vie par la consommation d’énergie pour le maintien de la forme. En mathématique, le paradoxe néguentropique de la vie s’explique par la capacité informative des êtres vivants. En effet, l’information, comme «mesure d’organisation» (Ibid, p.53) d’un système, produit, de part sa quantité et son enchaînement, une organisation, un état non probable, une poche d’entropie négative. La néguentropie est donc un phénomène qui mène à un état peu probable. Bernard Stiegler décrit alors comme néguanthropie, la capacité humaine à produire de la néguentropie; c’est à dire à produire des savoirs, des relations, des éléments... qui sont des états peu probables (innovations). La déprolétarisation est donc un phénomène néguanthropique, car il permet la différenciation / l’individuation des sujets vers des états peu probables. 11. BATAILLE Georges, «Architecture, Dictionnaire critique», Documents, 1929, n° 1, p.117 10.



Le premier parcours a lieu à Aubière, au Sud-Est de Clermont-Ferrand. On y retrouve la zone commerciale de La Pardieu, et d’Aubière sud. Pour cette première expérimentation, nous déambulerons autour d’un itinéraire préétabli, mais qui n’existe que pour être transgressé.

par cours


The players (1.2.3.4) pace the given area, each following his particular course. Area : Square. Lenght of side: 6 paces. A

B

A

B 3 2

E

4 2

4 1

C

D

C

4 3

E 1

1 3

2

D

Course 1 : AC, CB, BA, AD, DB, BC, CD, DA Course 2 : BA, AD, DB, BC, CD, DA, AC, CB Course 3 : CD, DA, AC, CB, BA, AD, DB, BC Course 4 : DB, BC, CD, DA, AC, CB, BA, AD Samuel Beckett, Quad, pièces pour la télévision


pro gra mme


consommation / consumation capitaliser / dépenser immobile / mobile productif / improductif urbaine / inurbaine inerte / alerte gravité / légèreté immeuble / meuble extensif / intensif permanent / impermanent générique / singulier privé-public / intime-collectif réalité / rêve virtuel / actuel exotérique / isotérique idéologie / pratique théorie idéelle / praxis théorique hylémorphisme / hydraulique (modèle) stratégie / maladie comme subversion projet / expérience projection / injection homogène / hétérogène homologique / hétérologique perception / affect inertie / vitesse patent / secret institution / machine de guerre


para digme


Stalker, Transurbance, 1995, Rome

Collectif Rivages, folie kilomètre, 2016

Giovanni Anselmo, Particolare, 1972, projection de diapositives, dimensions variables

Bruce Nauman, Walk with Contrapposto, 1968, Film, son 60’

David Lynch, Man walking from dream, Lithography, 66x89cm

Didier Fiuza Faustino, this is not a love song, 2016

Samuel Beckett Quad, pièces pour la télévision

David Lynch, Mulholland Drive, 2001


réfé rences



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