Les périphéries de villes moyennes en France sont aujourd'hui peuplées d'objets autistes au fonctionnement strictement interne. Boîte en tôle,
autoroute, usine, hangar désaffecté, terrains vague, station d'épuration, déchetterie, incinérateur, centre commercial, casse automobile, zone d'activité... constituent le paysage de ce qui n'est déjà plus la ville.
Paysages de l’absurde, ils sont la figure d’un inconscient urbain. Logique chaotique d'aménagement de ces territoires limites, elle témoigne d'un système inhérent à notre société : le refoulement vers l'extérieur, vers la périphérie, dans l'insconcient de ce que l'on ne veut pas voir. Dans ces
territoires, spécifiquement la périphérie de Clermont-Ferrand, s’observent les traces de cet inconscient, une écologie complexe, où les dialectiques
qui construisent les tissus classiques (ville/nature) se trouvent annulées,
déplacées. Dans ces lieux même d'une périphérie désabusée se formulent les questions essentielles de la contemporanéité ; loin de la nature
archaïque. Ici s’écrit le scénario pour une alternative éco-logique de nos périphéries entropiques.
Ce paysage alternatif existe à travers la création de temporalités autres à celle, polarisées et monofonctionnelles des zones industrielles et
théâtre est littéralement le projet, dans toutes ces lectures. Une nouvelle forme de théâtre périphérique , commerciales. Art du temps, le
représentation d'un décor déjà constitué, qui engage une r-évolution écologique.
ThéÂtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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julien lafontaine
théories
Marc ARMENGAUD
Yves BéLORGEY
Pierre DAVID
Loïse LENNE
Mémoire de diplôme - 2017 - Ville, architecture et territoire
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Mémoire de diplôme - 2017 - Ville, architecture et territoire
Les périphéries de villes moyennes en France sont aujourd'hui peuplées d'objets autistes au fonctionnement strictement interne. Boîte en tolle,
autoroutes, usines, hangars désaffectés, terrain vague, station d'épuration, déchetterie, incinérateur, centre commercial, casse automobile, zones d'activités... constituent le paysage de ce qui n'est déjà plus la ville.
Paysages de l’absurde, ils sont la figure d’un inconscient urbain Logique chaotique d'aménagement de ces territoires limites, elle témoigne d'un système inhérent à notre société : le refoulement vers l'extérieur, vers la périphérie, dans l'insconcient de ce que l'on ne veut pas voir. Dans ces
territoires, spécifiquement la périphérie de Clermont-Ferrand, s’observent les traces de cet inconscient, une écologie complexe, où les dialectiques
qui construisent les tissus classiques (ville/nature) se trouvent annulées,
déplacées. Dans ces lieux même d'une périphérie désabusée se formulent les questions essentielles de la contemporanéité ; loin de la nature
archaïque. Ici s’écrit le scénario pour une alternative éco-logique de nos périphéries entropiques.
Ce paysage alternatif existe à travers la création de temporalités autres à celle, polarisées et monofonctionnelles des zones industrielles et
théâtre est littéralement le projet, dans toutes ces lectures. Une nouvelle forme de théâtre périphérique , commerciales. Art du temps, le
représentation d'un décor déjà constitué, qui engage une r-évolution écologique.
« Et nous voici comme dans un pays tout inconnu au sein même du réel pur. » Valéry Paul.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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MĂŠmoire de diplĂ´me - 2017 - Ville, architecture et territoire
in-définition éco-logique
l'entropie comme nouvelle valeur crises de l'Anthropocène
l'espace d'une révolution
un inconscient périphérique l'annulation des dialectiques émergence d'un paysage alternatif
un théâtre périphérique
l'avant et l'après un théâtre à-venir événement – non-événement
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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La périphérie urbaine de nos villes moyennes n’a pas de formes. Ce manque de forme n’est pas issu d’un développement anarchique ou incontrôlé ; au contraire, une logique claire et définie, exprimant la structure de nos sociétés, est à l’œuvre. Non, cette périphérie n’a pas de forme ; elle n’a ni image, ni représentation. Perceptivement, elle est un liquide qui n’a ni clairement de début, ni de fin ; depuis l’intérieur, nous nous y trouvons, mais nous ne savons pas depuis quand. Ce modèle de ville, importé des États-Unis pendant les Trente Glorieuses et rendu possible par la libération automobile, s’est inséré non sans mal sur nos territoires -nous pouvons sans difficultés prouver que la périphérie clermontoise n’est pas une Grande Plaine. Contradictions et non-sens paysagers ont été mis à l’œuvre pour accomplir l’expansion de nos villes. Cette périphérie n’est pas concernée par la dialectique classique de la ville, ici, parler de ville ou de nature n’a pas de sens ; la périphérie serait un troisième terme, un troisième pôle, qui ne s’oppose pas clairement au premier, ni au deuxième ; elle n’est pas un neutre pour autant. Non, la périphérie, est un troisième pôle étranger, qui par truchement, annule les catégories classiques de ville et de nature, les aplatit et déplace le couple vers de nouvelles oppositions. Ce que nous observons ici, est une nouvelle écologie hybride, fondée sur la monumentalité et le banal, la rationalité et la ruine, l’expansion et la décrépitude, la tension et le non-événement, le jour et la nuit. C’est une écologie singulière, extrêmement polarisée, capable de nous donner à voir des ruines en expansion, des non-événements monumentaux, ou encore, des tensions banales... Dans le sens commun, l’écologie correspond la science des milieux naturels; par extension, elle s’associe aujourd’hui avec les démarches de développement durable, ou de développement supportable. Cependant, il est évident que la question écologique est éminemment culturelle, c’est pourquoi l’écologie naturelle n’est qu’une part de l’étude du milieu culturel qui est le nôtre. Ce milieu, déforme par l’irrationalité du capitalisme qui le dirige, est celui de l’esprit; l’esprit qui s’est développé, qui se développe et qui va se développer dans un environnement culturel pollué, détruit et prolétarisé par la consommation de masse et la désensibilisation. Disparition des savoirs (faire, vivre, conceptualiser), «barbarie»1 , terreur sont des émergences de l’entropie systémique d’un Anthropocène accéléré par l’automatisation. Ce milieu industriel est donc celui qui doit être premier dans l’étude des écologies, car il comprend toutes les autres formes de milieux (techniques, sociaux, politiques, naturels...).
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STIEGLER Bernard, Dans la disruption, Lonray, LLL - Les liens qui libèrent, 2016
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La périphérie aujourd’hui incarne ce que nous rejetons ; un modèle consumériste, qui n’établit aucun rapport avec sa localité, une banalisation de l’exclusion sociale et spatiale, une technicisation des rapports, et une commercialisation des relations. Lieu de tous les refoulés, elle incarne spatialement les contradictions de notre société ; cette incarnation transforme les catégories esthétiques de ces lieux, en questionnement métaphysique. Cette dialectique catégorie esthétique / philosophique-métaphysique, nous allons d’ailleurs tenter de la reconstituer au cours de cette recherche ; à travers un dialogue constant entre parcours narratif d’une part, mis en confrontation avec un discours plus théorique qui en est issu d’autre part. Les pièces inurbaines qui constituent la périphérie de nos villes sont des émergences de logique contemporaine ; sous la forme d’un chaos apparent, des objets autistes, parfois hors d’échelles, mais surtout hors de l’histoire manifestent leur présence dans un rapport souvent violent avec leurs localités. Cette objéité étouffante (ou objectité : Caractère de ce qui est chose en soi, indépendante du sujet) fabrique, et nous allons tenter de le prouver, le décor d’un théâtre toujours en mutation, théâtre de l’insconcient périphérique, théâtre d’une révolution éco-logique.
Pourquoi cette révolution éco-logique est une mise en performance d’un décor constitué à priori par une objéité périphérique ? Cette problématique se décompose selon trois axes : Comment définir une écologie qui dépasse les termes de la subsistance et de la biologie ? - Pourquoi peut-on parler d’un inconscient périphérique, et pourquoi est il le milieu d’action vers une sortie de l’Anthropocène ? - Pourquoi cette révolution est une forme de performance – un théâtre périphérique ? L’hypothèse première est que c’est dans le rapport au temps que nous instaurons avec cette objéité et cette écologie que se trouve l’espace d’une révolution. C’est pourquoi nous allons confronter plusieurs outils qui permettent d’instaurer une temporalité alternative avec cette périphérie pour tenter de vérifier notre hypothèse. Aussi, le terme de théâtre est utilisé dans sa littéralité la plus grande, c’est à dire, un art de donner à voir dans un cadre temporel déterminé, une succession d’événement ou de choses, proposant l’instauration de relations entres objets, personnages, musiques, textes, discours...
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MĂŠmoire de diplĂ´me - 2017 - Ville, architecture et territoire
in-définition éco-logique
penser les énergies d’existence.
« La discipline nommée « écologie » n’est pas tant la science du milieu que celle des relations d’un être vivant à son milieu. L’écologie, telle que nous la définissons, n’est ni la science d’un environnement objectif, ni la protection de ressources quantifiables, ni même la question de la nature, car la question de l’écologie est celle de la culture avant d’être celle de la nature. » Vocabulaire d’Ars Industrialis, définition de « écologie (de l’esprit) ».
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L’entropie comme nouvelle valeur
l’entropie comme nouvelle valeur.
« Au fur et à mesure que l’entropie augmente, l’univers et tous les systèmes clos qui existent en son sein tendent à perdre leurs caractères distinctifs, et à aller de l’état le moins probable, vers l’état le plus probable, à avancer d’un état d’organisation et de différenciation, dans lequel les distinctions et les formes existent, vers un état de chaos uniforme. » WIENER Robert, Cybernétique et société, L’usage humain des êtres humains, Paris, Seuil, 2014 (traduction de l’original de 1954, par Pierre-Yves Mistoulon et revu par Ronan Le Roux), p. 46.
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Dans La Part Maudite, Georges Bataille prolonge le travail qu’il a auparavant réalisé avec l’article «La notion de Dépense», c’est à dire, une théorie générale de l’économie retraçant l’histoire de la valeur, de l’énergie, et de la manière dont elle est utilisée, dépensée. Renversant toutes les notions pré-conçues d’économie capitaliste, Bataille place au centre des systèmes économiques la dépense, le luxe, la dilapidation, (dans lequel nous retrouvons la manducation, la mort, et la reproduction sexuée, ainsi que la technique et les savoirs, les religions... chez les hommes). Le constat cosmologique, que, toute forme d’énergie sur Terre est surabondante, de par l’apport sans réserve d’énergie par le Soleil, permet d’avancer que l’«excédent», est ce qui a permis d’abord à la vie de se développer sur Terre, et, par la suite, aux sociétés humaines de croître. Dans la vie animale, avec l’apparition de la reproduction sexuée, nous pouvons observer l’excentricité de la vie, et le luxe que l’excédent engendre. En effet, la majeure partie de l’énergie consommée par l’animal est une dépense improductive. Se déplacer, se reproduire, la manducation des espèces les unes par les autres : «L’histoire de la vie sur Terre est principalement l’effet d’une folle exubérance : l’événement dominant est le développement du luxe, la production de formes de vie de plus en plus onéreuses.»1. Cette consommation d’énergie en pure perte est ce qui permet aux êtres et aux sociétés, au delà de s’in-former, de se trans-former, c’est à dire de s’individuer et de se définir en tant qu’individu ou communauté. L’entropie est à l’origine un facteur de l’équation qui forme la seconde règle fondamentale de la thermodynamique, qui introduit un principe d’irréversibilité des phénomènes physiques, et donc, l’introduction de la valeur du temps. L’entropie comme état le plus probable, est la mesure de désorganisation d’un système, en tant que tout système fermé tend à l’homogénéité, et donc à une forme de chaos. Si le phénomène d’entropie concerne l’inerte, la matière non-vivante, les êtres vivants, au contraire, témoigne d’une organisation interne, et se voit donc qualifié de « poches . d’entropie décroissante »2 .On définit ce phénomène de plusieurs façons, notamment au regard de la science que l’on choisit pour le décrire. En biologie par exemple, on explique ce paradoxe de la vie par la consommation d’énergie pour le maintien de la forme. En mathématique, le paradoxe néguentropique de la vie s’explique par la capacité informative des êtres vivants. En effet, l’information, comme « mesure d’organisation »3.. d’un système, produit, de part sa quantité et son enchaînement, une organisation, un état non probable, 1 BATAILLE Georges, La part maudite, Paris, éditions de Minuit, 1949, p. 37. 2 WIENER Robert, Cybernétique et société, L’usage humain des êtres humains, Paris, Seuil, 2014 (traduction de l’original de 1954, par Pierre-Yves Mistoulon et revu par Ronan Le Roux), p. 64 -53. 3 Pour la théorie des systèmes, voir VON BERTALANFFY Ludwig, Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1973.
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une poche d’entropie négative. Dans la théorie des systèmes, l’entropie est donc l’horizon, l’à-venir de tout système fermé, dissipation de l’énergie et uniformisation totale. L’entropie est l’état de le plus probable de la matière. Si la dépense improductive d’énergie peut être perçue comme créatrice d’entropie, c’est justement au travers d’une lecture capitalistique et systématique, du filtre de la valeur d’usage et de la sphère de l’utilité, qu’elle apparait comme entropique; cette consommation d’énergie en pure perte permettant la mise en place d’un système d’individuation psychique et collective4., elle permet en réalité de créer différence et particularité, milieu hétérogène, dans la continuité de la vie qui se constitue comme poche d’entropie négative. Le système capitaliste glorifiant dans un premier temps, la sphère de l’utilité, puis, aujourd’hui, prolongeant une économie politique de la moyenne, basée sur le big data et le mediamass, brise le cercle vertueux de l’excès et de la consumation, vers une consommation, détruisant par ce biais, les systèmes d’individuation et de trans-individuation. L’hétérogène produit par la diversité des consumations et alors décentrée,vers la production d’une culture de masse, caractéristique d’une société devenue automatique et en système fermé. La néguanthropie, comme valeur de désautomatisation, mise à jour dans les sciences humaines par Bernard Stiegler dans ces derniers ouvrages et recherches, serait ainsi une nouvelle valeur capable de rendre en compte, hors de la sphère de l'utilité, d'une création « réelle » de valeur comme production d'individuation.
4 Nous y reviendrons plus tard, travers l’étude notamment de SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958.
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crises de l’Anthropocène
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crises libidinales, crises perceptives.
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Le terme Anthropocène est introduit par le météorologue et chimiste Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995, pour désigner une nouvelle ère géologique qui débuterait en 1784, avec le dépôt de brevet de la machine à vapeur par James Watt, et donc le début de la Révolution Industrielle en Angleterre, où l’humain devient l’influence dominante sur la biosphère et devient une force géologique majeure capable de modifier la structure lithosphérique. En 1945 débute ainsi l’âge II de l’ère de l’Anthropocène, appelée « La grande accélération », puisque 60% des écosystèmes terrestres sont dégradés. La destruction des milieux naturels, et donc l’accélération du processus d’entropie de la planète (réduction du nombres de formes de vie, homogénéisation ou destruction des milieux naturels vers des états probables...), produit par le système, s’accompagne -et ce phénomène s’étend avec l’automatisation de la société- d’une entropisation des sociétés humaines (produite par la disparition des systèmes d’individuation). L’Anthropocène est donc synonyme de l’entrée dans une Entropocène, c’est à dire, une ère sociologique d’homogénéisation et de probabilisation des comportements et des pensées. La consommation de masse, issue de la prolétarisation des sensibilités et des savoir-vivre, ne peut que voir sa fin dans l’évolution du milieu de l’esprit du consommateur, qui, en changeant et en s’individuant, en différenciant des savoirs, est dans la mesure de prendre conscience de l’urgence pragmatique de la situation. L’épuisement des ressources naturelles, de l’« énergie de subsistance » 1., est donc, par extension, le corrélat de l’épuisement de l’énergie libidinale, des désirs, qui permettent d’individuer et de différencier les esprits. Cette disparition progressive des désirs est la crise majeure qui articule toutes les crises de l’Anthropocène, et elle correspond donc au premier milieu d’action que nous allons essayer de mettre à jour dans ce travail. Cet épuisement de l’énergie d’existence, de l’énergie solaire dont nous parle Bataille dans La part maudite, est issu de la rétention de nos désirs, de notre part dionysiaque; il n’y a plus de tragique dans un mode de vie accommodé d’une consommation pré-digérée, véhiculant le « vide »2. qui définit notre ère, et désormais, nos individualités. Comme Nietzsche le dit dans La naissance de la tragédie, « la nature trouve cet indescriptible plaisir à l’artiste naïf et à l’œuvre d’art naïve, qui n’est semblablement, "qu’apparence de l’apparence" »3.. C’est ainsi que pourrait se définir l’esthétique contemporaine, une esthétique de complaisance devant le sublime de l’apparence de l’apparence. L’urgence écologique actuelle est d’établir un réel constat de cette rétention dionysiaque, et de la désensibilisation qui en est issue, et, en tant qu’architecte, de 1 Vocabulaire d’Ars Industrialis, définition de écologie (de l’esprit) (http://arsindustrialis.org/vocabulaire-ecologie-de-l-esprit). 2 LIPOVESTKY Gilles, L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Folio essais, 1989. 3 NIETZSCHE Friedrich, La naissance de la tragédie, La Flèche, folio essais, 1986, p. 16.
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éco-logique perceptive.
« En dépit de toutes les «idées modernes» et de tous les préjugés du goût démocratique, ne se pourraitil pas que la victoire de l’optimisme, la prédominance de la rationalité, de l’utilitarisme théorique et pratique (avec la démocratie qui lui est contemporaine) soient un symptôme de force déclinante, de proche vieillesse, d’épuisement physiologique ? » NIETZSCHE Friedrich, La naissance de la tragédie, La Flèche, folio essais, 1986, p. 16.
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proposer une intervention renouant avec une esthétique tragique, non nihiliste ou hédoniste. Proposer un milieu de l’esprit territorialisé, et donnant à pratiquer des processus d’individuation psychique et collectif. Cette forme d’érotisme, comme mise en continuité avec le territoire, se veut comme choc éthique, esthétique face à la réalité de l’épuisement libidinal. Et c’est ce désir de choc, qui explique le choix du site (une banlieue commerciale et industrielle, émergence d’un espace déterritorialisé, à Clermont-Ferrand, Auvergne), et aussi l’esthétique qui en subsume. Les crises éco-logiques contemporaines sont définies comme des crises libidinales et ainsi, perceptive, c'est à dire que nous fabriquons dans notre regard des refoulements capables de biaiser la vue, et de prolonger l'épuisement des énergies d'existence. Les notions d’écologie se trouvent donc bouleversées par un retour violent vers l’individu et le milieu de son esprit. Les crises actuelles ne correspondent donc plus à un épuisement naturel de la planète, mais à un épuisement ontologique d’énergie d’existence. Une action éco-logique ne correspond plus à une réhabilitation biologique d’une nature archaïque rêvée, mais bien à la révolution du milieu de l’esprit. C’est à travers la perception que nous pouvons la penser, à travers ce que Foucault appelle la parrêsia - «La parrêsia consiste à dire, sans dissimulation ni réserve ni clause de style ni ornement rhétorique qui pourrait la chiffrer et la masquer, la vérité. Le “tout-dire” est à ce moment-là : dire la vérité sans rien en cacher, sans la cacher par quoi que ce soit.» 4. . Approcher donc, d’un courage de la perception serait le premier exercice nous permettant de penser la désautomatisation et la sortie de l’Anthropocène. Bernard Stiegler parle de « Prendre-soin » pour exprimer une capacité humaine à porter de l’attention à quelque chose. Le mouvement éco-logique primordial devient ce « prendresoin » -tant des personnes, des objets, de l’histoire, du savoir, que des territoires, et de la vie. Nous pouvons dès lors revenir au sujet de notre étude, la périphérie urbaine. En effet, elle constitue l’un stigmate des plus visibles d’une logique entropique. En regardant particulièrement celle de Clermont-Ferrand, nous nous apercevons rapidement que les caractéristiques du milieu naturel précédent, et celle du milieu rural qui y fut également présent, n’ont été pris en compte que pour les risques qu’ils génèrent (catastrophes naturelles ou dissident de propriété foncière). Témoin d’un urbanisme qui ne prend soin que de lui-même, il accélère l’épuisement des énergies de subsistance dans un premier lieu, mais aussi, et surtout, celui des énergies d’existence. Elle semble s’être développée, et se développe encore aujourd’hui, comme une part inconsciente ; une périphérie urbaine comme périphérie de l’esprit. 1 FOUCAULT Michel, «Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres», Cours au collège de France, Paris, Gallimard, Seuil, 1984.
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En psychanalyse, l’inconscient est quelque chose qui existe sans que l’on ne s’en rende compte. Proposer l’hypothèse d’un inconscient urbain, périphérique, serait donc imaginer qu’il existe des territoires qui ont lieu sans que l’on ai conscience de leur existence. Et cette hypothèse, loin de rêver à des natures sauvages et archaïques jamais foulées par l’homme, décrit au contraire des territoires qui nous sont banals. Les surréalistes sont les premiers à proposer cette vision d’une ville qui nous donne à voir une exploration psychologique. A cette occasion, ils proposent des dérives urbaines, utilisant la marche pour « explorer et dévoiler les zones inconscientes de la ville, ces parties qui échappent au projet et qui constituent l’inexprimé et l’intraduisible des représentations traditionnelles. »1. Aujourd’hui, marcher dans une périphérie urbaine, constituée de zones commerciales, industrielles, de quelques parcelles agricoles, de grandes infrastructures nous donne un sentiment de surréalité. En fait, comme le dit Smithson, « Peut-être avais-je glissé à un niveau inférieur de l’avenir – avais-je laissé le futur réel derrière moi. »2. ; peut-être avons nous glissé dans un niveau inférieur de réalité – une réalité inconsciente.
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l’espace d’une révolution
milieux de l’esprit, espace de projet.
« Inconscient : 1. Qui a lieu sans que le sujet s’en rende compte. 2. Ensemble d’images, d’idées inconscientes (archétypes), communes à un groupe humain, transmises héréditairement et qui règlent les réactions de l’homme non pas en tant qu’individu mais en tant qu’être social. » Définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
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un inconscient périphérique
symptôme et psychanalyse.
« Refouler : Interdire inconsciemment l’accès de la conscience à des souvenirs, à des pensées, à des sentiments ou à des désirs en désaccord avec ses aspirations profondes ou avec les exigences du surmoi. » Définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
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Pourquoi ces périphéries se développeraient-elles alors de manière inconsciente, quelles sont les raisons de ce refoulement perceptif ? Francesco Careri, dans la définition des transurbances, parle d’une « mer des refoulés urbains, […] une mer formée de plusieurs mers, d’un ensemble de territoires hétérogènes les uns aux autres »1.. Ce mouvement d’inclusion / exclusion propre à la formation des périphéries existe par un refoulement. La modernité origine d’une série de « rétentions »2., ce territoire s’est constitué sans être perçu, mais surtout pour ne pas être perçu. Tel un phénomène naturel d’expansion, ce désaccord « avec ses aspirations profondes ou avec les exigences du surmoi » de la ville avec les objets qu’elle dispose plus loin, en fait un territoire de plus en plus obscur. Chez l’humain, la fabrication inconsciente d’elle-même correspond à un processus similaire; un manque perceptif. Cette réalité non-visible est issue du refoulement dans l’inconscient de certaines fonctions, désirs, pensées... Si elle est construite sans être perçue, c’est parce que la société exprime un manque d’attention à ces espaces qu’elles dévalorisent; elle aspire à une autre forme d’existence. S’y développent en nombre tous les non-dits, prolifèrent les déchets, les infrastructures gênantes, les pratiques alternatives, mais aussi, les pratiques les plus standardisées -consommation et travail de masse. Contrairement à un espace de centre-ville qui cherche une image saine, représentative d’un état et d’une société propre, organisée, clairement hiérarchisée, l’espace de la périphérie est constitué d’une série d’objets et d’espaces dont on ne veut pas connaître la réalité. Ces territoires échappent à la représentation, à l’image. Ils sont hétérogènes, multiples ; les objets qui y sont disposés n’ont pas nécessairement besoin de l’attention du contexte. Cependant, il est certain qu’un phénomène augmente l’autre ; et à l’instar de sa représentation populaire, ces territoires s’étendent et produisent nécessairement plus encore de rétentions. Mais comment opère alors ce manque perceptif ? Est-il vraiment envisageable de percevoir une réalité diminuée ? Nous le voyons, très vite la question périphérique nous ramène dans des champs métaphysiques. Avant de tomber dans ce premier piège tendu de la tangibilité du réel, reposons-nous la question de la tangibilité de la perception. Car si nous ne pouvons pas prouvez l’existence d’un réel diminué, nous pouvons prouver que les formes de temporalités proposées par la périphérie, elles, opèrent un truchement perceptif, voire un mensonge sur la nature intrinsèque des lieux.
1 Ibid, CARERI Francesco, p.185. 2 Voir l’article “Attention, rétention, protention” vocabulaire d'Ars Industrialis, association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit , (http://arsindustrialis.org/vocabulaire-attention-retention-protention).
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l’annulation des dialectiques
liminalité des perceptions.
« Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. » BRETON André, Second Manifeste du Surréalisme .
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L'indistinction entre passé et futur, leur continuité construit un des particularismes inhérents à la périphérie urbaine ; l'annulation des dialectiques traditionnelles. Le refoulement premier de la matérialité périphérique abandonne le lexique de la ville classique : plus de distinction entre ville et nature, entre culture et nature, entre ancien et nouveau, entre ruine et construction... un état de stase qui génère aux vues des catégories d'analyse de l'urbain des confrontations fortes, et des non-sens multiples. Alors que de nombreux architectes radicaux rêvaient d'une ville où cohabitent logements, industries, événements, ruralités... - par exemple, Agronica, projet de André Branzi- la contradiction dans laquelle réside la périphérie nous amène à voir un jardin ouvrier juxtaposé à un parking de centre commercial, des logements sociaux au milieu de champs... Dans l'imaginaire commun, c'est face à une nature sauvage, archaïque, première, que l'homme se remet en question, et par métonymie se sent appartenir au monde et à un « ordre des choses » -pour ne pas dire, à une cosmologie. Mais dans cette acception, exit la construction culturelle de l'image de nature. Au contraire, le plus primaire des espaces, c'est celui de l'inconscient, le refoulé, le territoire qui ne reconstruit pas les prédispositions culturelles et fait émerger un archaïsme, plus naturel car impensé. L'écologie singulière des périphéries, où s'opère à la fois une régression des espaces naturels à travers l'expansion industrielle, et dans le même mouvement, une progression « naturelle » vers de nombreux espaces à l'abandon, témoigne d'une sédimentation en cours, une écologie sans distinction claire, sans limite fixe. Au cœur de ce territoire, le corps de l'individu se trouve face à sa fragilité première ; lorsqu'il porte attention aux situations qui l'entourent, il est projeté dans un état limite. Une prise de conscience qui le mène à chercher un habitat qui n'existe pas, un refuge qu'on ne lui donne pas. Comment alors se rassurer lorsque aucun des repères traditionnels de l'espace n'existent, où les seules limites perceptibles sont les limites charnelles. Ce corps ramené à sa fragilité exprime le « malaise métaphysique » d'un lieu tout à la fois surdéterminé, et profondément indéterminé – un espace à priori inhabitable. L'effort de conscience que demande la périphérie est trop important ; la diagonale nous permettra de l'amener. Dans la liminalité entre perception du territoire et « réalité », des espaces mous, indistincts – et c'est alors que la figure hydraulique utilisée par Carreri prend ton son sens- nous offrent à la fois un imaginaire riche, et des possibilités multiples. Dans ces lieux hors du temps et des choses, nous pouvons poser les questions essentielles de notre contemporanéité, face à une dramaturgie réaliste de l'inconscient périphérique.
Théâtres périphériques
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émergence d’un paysage alternatif
l’alternative par le paysage.
« Les vides de l’archipel constituent le dernier lieu où il est possible de se perdre à l’intérieur de la ville, le dernier lieu où on peut se sentir hors de tout contrôle dans des espaces dilatés et étrangers, un parc spontané qui n’est ni la reproduction environnementale d’une fausse nature archaïque ni l’exploitation consumériste du temps libre. » CARERI Francesco, Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, Arles, Éditions Jacqueline Chambon, 2013, pp.183-4.
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La périphérie serait donc le lieu d'une r-évolution ; ici, nous pouvons observer à l’œuvre les logiques de refoulement, de rétention, qui nous amène à l'Anthropocène et à l'épuisement de l'énergie d'existence. Non, le propos n'est pas qu'il faut simplement bannir l'existence de ces territoires comme des corrélats obscurs et bas de nos sociétés. Au contraire, cette périphérie nous permet de tracer une archéologie des logiques contemporaines, de les donner à voir, et d'opérer une bifurcation néguanthropique de territoire fortement entropique. Par quels moyens, quelles méthodes ? L'objet de cette étude est de montrer que c'est d'abord, et surtout dans l'esprit que s'opère les r-évolutions éco-logiques. Il ne s'agit donc pas de faire de la périphérie une ville, mais plutôt, de faire de la périphérie inconsciente, un objet conscient, un objet qui existe comme tel. Construire un regard, c'est construire une alternative ; construire un regard, c'est construire un paysage ; construire une alternative, c'est construire un paysage. Une alternative par le paysage, ou un paysage alternatif. Le « double sans modèle »1. propose une esthétique, une technique et un rapport au corps que nous proposons d'explorer comme l’émergence d'un paysage alternatif, en créant d'abord une représentation de ce territoire singulier. La périphérie clermontoise n'est pas toutes les périphéries. Par métonymie encore, elle les exprime ; mais nous cherchons alors dans la relation des objets périphériques entre eux, des négations, des conjonctions, des disjonctions qui fabriquent une singularité à cet espace. Décors absurdes, violents, abstraits, en décomposition, nous cherchons une réalité attentive à la périphérie, un « prendre-soin »dont l'outil est la création de temporalités alternatives au sein même d'un territoire dépourvu de temps. Des chronotopies, des performances. Un théâtre.
1 SMITHSON Robert,« A tour of the monuments of Passaic, New Jersey » (1967), extrait de Robert Smithson, the collected writings, Los Angeles, Jack Flam – University of California Press, 1996.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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Un théâtre dans sa littéralité la plus grande, nous l’avons signalé. Le théâtre est la définition exacte du processus de projet. Se développe alors deux outils qui se nourrissent l’un et l’autre : théâtre comme structure théâtrale, un lieu, des lieux qui utilisent la périphérie comme décor, et, un théâtre comme temps théâtral, une temporalité alternative, soit l’adaptation d’une pièce dans ces lieux. L’un et l’autre s’enrichissent ; la scénographie de l’un correspond au décor de l’autre, les liens entre les parties du théâtre sont les temps, les actes et les scènes de son corrélat. La qualité et la pertinence d’un théâtre périphérique émergent de ces constats : la présence d’une scénographie déjà là et pourtant toujours à-venir, toujours en mutation ; des relations entre objets déjà en performance ; une co-réalisation du regard et du discours dans le même espace-temps, dans un procès ontologique ; une annihilation des dialectiques traditionnelles ; un espace pertinent vers une nouvelle éco-logique au regard de la valeur néguanthropique.
En attendant Godot de Samuel Beckett sera adaptée au territoire. Éternel retour dans un cycle infini que nous projetons, nous allons prévoir un épuisement du territoire, penser toutes les dispositions possibles de la pièce, épuiser tous les décors. Épuiser comme « l’épuisé » de Deleuze à propos de Quad, pièces pour la télévision.
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un théâtre périphérique
milieux de l’esprit, espace de projet.
« Théâtre : Art dont le but est de produire des représentations (régies par certaines conventions) devant un public, de donner à voir, à entendre une suite d’événements, d’actions, par le biais d’acteurs – ou d’objets qui se déplacent sur la scène et qui utilisent ou peuvent utiliser le discours, l’expression corporelle, la musique. » Définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
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l’avant et l’après
vers un performance des objets.
« Le croire serait s’illusionner encore, et confondre objectité avec objectivité, littéralité avec matérialité. Non, la littéralité du minimal, dont nous avons vu qu’elle obligeait le spectateur à produire a posteriori les conditions d’une expérience déjà effectuée, brise la contiguïté de l’avant et de l’après. L’avenir ne s’écoule plus dans le passé via l’instant présent qui les noue. Chaque instant est seul, surtout s’il se répète . » E DUVE Thierry, «Performance ici et maintenant : L’art minimal, un plaidoyer pour un nouveau D théâtre», Écrits datés I, Paris, Les presses du réel, 1980.
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La sculpture minimaliste n'offre rien à voir de plus que sa simple et littérale objectité. Elle est présente. A la différence de la sculpture moderne, elle ne cherche pas la suspension du temps et de l'espace, le sublime, qui transcende le spectateur, et lui offre un supplément d'espace. Non, la sculpture minimaliste fait acte de présence, elle est une installation. Créant un réseau de relations entre ces parties, et avec la complicité de l'architecture qui l'entoure, l'installation minimaliste est un art du temps, et non un art de l'espace ; « du simple fait que son corps n'occupe pas deux fois le même espace dans le même temps »1., le spectateur entre dans l'exploration d'un espace concret dans une durée déterminée. Thierry De Duve dira qu'elle oblige le spectateur « à produire à posteriori les conditions d'une expérience déjà effectuée ». En explorant l'histoire du minimalisme, on observe que la seconde loi fondamentale de la thermodynamique joue un rôle clé. Robert Smithson a beaucoup écrit sur l'entropie ; le temps qui passe, les formes qui s'érodent... « l'entropie est la cause du temps chez l'homme »2.. En ce sens, l'art minimal est un art du temps, car il cherche à briser l'a-priori d'un temps stable. L'avant et l'après ne sont pas contigu. Et c'est aussi pour ces raisons que l'installation minimaliste est une forme de théâtre, « un nouveau genre de théâtre ». Le temps lui-même est l'objet de l’œuvre.
Le mensonge périphérique consiste en l'illusoire contiguïté de l'avant et de l'après dans les perceptions. Le temps n'y est pas irréversible, il en est absent. Les objets dont nous avons parlé, objets autistes, dans le même mouvement que la sculpture littérale ne témoigne cependant pas de supplément. Ils sont présents, littéralement. « Absence d’œuvre » foucaldienne, doubles sans-modèles, leurs conditions absurdes demandent une « exploration dans l'espace concret ». Une mise en scène de cette objectité, parcours / événement / expérience, la mise à jour de leur appartenance à un inconscient urbain, appartient donc également au domaine du théâtre. Art du temps, la révélation d'une entropie inhérente à la périphérie -appartenance cosmologique-, brise à nouveau la contiguïté de l'avant et de l'après. Il s'agit donc de produire les conditions d'observation d'une performance de ces objets, un cadre temporel, sans supplément d'espace ou sublimation, théâtre minimum, depuis la liminalité entre perception et réalité.
1 DE DUVE Thierry, "Performance ici et maintenant : L'art minimal, un plaidoyer pour un nouveau théâtre", écrits datés I, Paris, Les presses du réel, 1980. 2 SMITHSON Robert,« Quasi-infinities and the waning of space » (1967), op. Cit., p.34.
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un théâtre à-venir
une architecture pas encore présente.
« Dire que l’architecture n’est pas, c’est peut-être sous-entendre qu’elle arrive. Elle donne lieu sans revenir. » DERRIDA Jacques, « 52 aphorismes pour un avant-propos », Cahiers du CCI, Mesure pour Mesure, numéro Hors-série, Paris, éditions du Centre Georges Pompidou, 1997, p.11.
« Que voulez vous, il faut spéculer, spéculer, jusqu’à ce qu’on tombe sur la spéculation qui est la bonne. » BECKETT Samuel, L’innommable, Paris, Les éditions de Minuit, 1953-2004, p.138.
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Mais quelle est la forme d'un théâtre dont l'espace se situe entre la perception et la réalité d'un territoire, inconscient d'une périphérie. Quelle est l'architecture qui réunit les conditions de la performance, sans rentrer dans l'autisme de la Black Box. Hors de « la dernière forteresse métaphysique »1. , c'est une architecture fragile, instable, et mouvante. Non une architecture refuge de la présence, contraire à l'événement, elle doit être violence - « Il n'y a pas d'architecture sans violence »2.. Architecture qui place l'homme face à une « violente demande d'espace »3., à sa fragilité propre, et l'oblige à prendre conscience de ce qui l'entoure, à la recherche d'une projection. Ce projet est « du théâtre », qui produit « un théâtre » au sens littéral. Fragile et incertain, toujours en évolution. Il présente le temps. Ce qui est présent est minimum, une présence minimum réunissant les conditions d'une architecture à-venir. Elle n'existe que dans l'expérience, dans sa transgression permanente par les individus, et c'est là que se trouve son origine incertaine, son étrangéité. Elle est donc toujours identique, mais jamais entièrement la même, toujours en projet – elle produit à posteriori les conditions d'une expérience déjà effectuée. Son langage est celui du détournement. Elle utilise ce qui l'entoure immédiatement. Tout ce qui est déjà présent mais qui n'est pas perçu, et fabrique avec cela, un décalage, une incohérence, qui remet en cause la stabilité et le sens premier de son milieu. Elle est multiple, partout et nulle part, elle se développe, régresse, s'étend, infecte ou se résorbe à tout moment, elle est parallèle et parfaitement perpendiculaire. Elle est à la fois toutes les architectures possibles, en puissance, et aucune d'entre elles à la fois. Cette absence de présence cherche alors à manifester l'excès de présence de ce qui l'entoure. Cette demande d'espace, nous la retrouvons partout dans l’œuvre de Beckett. Dans l'Innommable, Le dépeupleur... Ces « architectures fragiles »4. positionnent ces personnages dans une demande d'abri. Ils sont toujours à la recherche d'une architecture, toujours en devenir, toujours incertaine. Prenant la même identité, ce théâtre refuse d'exister totalement, et prend alors toujours une forme différente, mais identique. Les spectateurs sont obligés de réinterroger leur rapport à la représentation en cours, tout autant qu'à sa raison d'être. « Privé de toute procuration le spectateur est renvoyé à sa présence suspecte. Suspecte parce que tout à coup justifiée par rien... Or s'il éprouve des difficultés à comprendre le pourquoi de sa présence, le spectateur doit désormais chercher à la justifier. Il n'est plus là pour regarder et entendre, mais il doit entendre et regarder afin de comprendre pourquoi il est là. Il doit se plonger au cœur du sujet, il s'anime du soucis de comprendre. Il entre soudain dans un rapport actif avec un théâtre qui est passé de l'état de sommeil à l'état de veille. »5.. 1 DERRIDA Jacques, « Point de folie maintenant l’architecture », La Case vide, Londres, Architectural Association, Folio VIII, 1986. 2 TSCHUMI Bernard, Architecture et disjonction, Orléans, Editions HYX, 2014. 3 DE DUVE Thierry, op. Cit. 5 RESTREPO RESTREPO Esteban, (Anti) chambres, les architectures fragiles dans l'oeuvre de Beckett, Paris, Les presses du réel, 2014. 5 ENGEL André, “ Réflexions d'un metteur en scène sur un public au dessus de tout soupçons ” , Sur les pas de Serge Eddénine, TNS, 1977.
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évènement - nonévènement
et après ?
« La « ville-immeuble » doit s’effacer pour laisser place à la « ville-meuble » ville changeante à géométrie variable. Parrallèlement, la « ville-mouvante » doit s’imposer à la « ville-passante » et faire à nouveau surgir la pause et l’errance, la réflexion et la divagation, la fête et le partage. […]. Laissons à tous le choix de recomposer une urbanité au gré du désir. » FAUSTINO Didier, « Manifesto », Evento, Intime-Collectif, Blou, monografik éditions, 2010.
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33 sites, 33 lieux, feront l’objet d’une mise en scène. 33 lieux où le temps passera en brisant la contiguïté d’un avant et d’un après. 33 performances qui ont lieu, encore et encore, toujours de la même façon, mais jamais identiques. Ce théâtre des objets et du temps peut donc disparaître à tout moment. Il est fondamentalement fragile et se construit sur cette instabilité essentielle. Cette « nonperennité » ne peut-elle pas être perçue comme anti-écologique, de par l'énergie qu'elle demande. Reprenons alors l'argumentaire de Georges Bataille : « L’histoire de la vie sur Terre est principalement l’effet d’une folle exubérance : l’événement dominant est le développement du luxe, la production de formes de vie de plus en plus onéreuses. ». Chercher à produire ce théâtre, c'est d'abord tenter de créer une nouvelle forme de rite, de renouer avec une énergie solaire, l'énergie d'existence. Le luxe de l'apparition de ce théâtre, dépense improductive, renie l'utilitarisme théorique et la rationalité, pour entrer dans le champ d'une écologie libidinale. Une action éco-logique, selon la définition que nous avons apporté en première partie, est « une localité qu’elle produit comme telle, et qu’elle différencie dans un espace plus ou moins homogène»1.. Elle a une durée et un espace, elle n'est pas une permanence. C'est dans la possibilité de l'événement, mais aussi, dans celle du non-événement que se trouve une telle éco-logique. L'événement permet la production d'une perception alternative, vers une conscience de l'espace. Au contraire, le non-événement permet l'émergence du souvenir et de la mémoire, c'est à dire, une forme de conscience dans l'après. Dans le non-événement existe le paysage alternatif du théâtre, lorsque à posteriori, la spectateur reproduit les conditions de l'expérience qui a déjà eu lieu. A posteriori se construit un lien intime avec le territoire, et ce lien permet alors de transformer un espace de l'inconscient en une place du souvenir conscient. La périphérie semble alors être devenue un espace en tant que tel, un objet réel de la perception. Le terme de r-évolution devient adéquat ; il s'agit de bousculer la perception d'un espace, et de traduire un autre mode de pensée, une autre logique. Nécessairement, l'avènement de cette nouvelle éco-logique bouscule les systèmes d'aménagement existant et pousse à l'existence d'un prendre-soin périphérique, s'appuyant sur la dramaturgie interne à cet espace aujourd'hui inconscient de lui-même.
1 STIEGLER Bernard, «Sortir de l’anthropocène», Multitudes, n° 60, 2015.
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Sources secondaires :
-BATAILLE Georges, « Architecture », Documents, 1929-300. -BATAILLE Georges, L’expérience intérieure, Paris, Gallimard, 1977 (Revue et corrigée de l’édition originale publiée en 1943). -BLANCHOT Maurice, L’espace littéraire, Paris, Folio, 1988. -DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Anti-Oedipe, Capitalisme et schizophrénie, Lonray, Les éditions de Minuit, 1972. -DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Mille Plateaux, Capitalisme et schizophrénie 2, Lonray, Les éditions de Minuit, 1980. -Foucault Michel, «Des espaces autres», conférence prononcée au Cercle d’études architecturales en 1967, dont le texte a été repris dans le tome IV des Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, pp. 752762. -Foucault Michel, «La folie, l’absence d’œuvre», La table ronde, n°196 : Situation de la psychiatrie, mais 1964, p11-21, dont le texte a été repris dans le tome I des Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, pp. 440-448. -FOUCAULT Michel, «Préface à la transgression», Critique, numéro 195-196, septembre 1963, pp.751769. -HOLLIER Denis, La prise de la Concorde : essais sur Georges Bataille, Paris, Gallimard, 1974. -NIETZSCHE Friedrich, La naissance de la tragédie, La Flèche, folio essais, 1986. -NIETZSCHE Friedrich, Le gai savoir, Paris, Classiques, 1972. -NIETZSCHE Friedrich, Ainsi parlais Zarahoustra, Paris, Classiques, 1972. -PRELI Georges, La force du dehors, extériorité, limite et non-pouvoir à partir de Maurice Blanchot, Paris, Éditions encres, 1977. -SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958. -STIEGLER Bernard, Dans la disruption, Lonray, LLL - Les liens qui libèrent, 2016. -TSCHUMI Bernard, Architecture et disjonction, Orléans, Éditions HYX, 2014
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Source primaire : -ANTONIOLI Manola (sous la direction de), Machines de guerre urbaines, Paris, Éditions Loco, novembre 2015. -BATAILLE Georges, La part maudite, Paris, Éditions de Minuit, 1949. -BECKETT Samuel, En attendant Godot , Paris, Les éditions de Minuit, 1952. -BECKETT Samuel, Quad et autres pièces pour la télévision, suivi de, DELEUZE Gilles L'épuisé, Paris, Les éditions de Minuit, 1992. -CARERI Francesco, Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, Arles, Éditions Jacqueline Chambon, 2013. -DEBORD Guy, « Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action de la tendance situationniste internationale », Inter
: art actuel, n° 44, 1989, pp. 1-11. La société du spectacle -DEBORD Guy, La société du spectacle, Paris, Buchet-Chastel, 1967. -FAUSTINO Didier Fiuza, Evento, Intime-Collectif, Blou, monografik éditions, 2010. -SMITHSON Robert, Robert Smithson, the collected writings, Los Angeles, Jack Flam – University of California Press, 1996, en particulier, les textes : « Entropy and the new monuments » (1966), « A tour of the monuments of Passaic, New Jersey » (1967), « Strata, a geophotographic fiction » (1970), « A museum of language in the vicinity of art » (1968) -STIEGLER Bernard, «Sortir de l’anthropocène», Multitudes, n° 60, 2015. -STIEGLER Bernard, La société automatique, Tome I, L’avenir du travail, Domont, Fayard, 2015. -TIBERGHIEN Gilles A., Land Art Travelling, Valence, École des Beaux-arts, 1996. -TEYSSOT Georges, Topologie du quotidien, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016. -WAGSTAFF Samuel, « Talking with Tony Smith », Artforum, décembre 66.
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ESTRAGON. - Les mêmes ? Je ne sais pas. Silence. VLADIMIR. - Quand j’y pense .. . depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans moi... (Avec décision.) Tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est, pas d’erreur. ESTRAGON (piqué au vif). - Et après ? VLADIMIR (accablé). - C’est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D’un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 1900. ESTRAGON. - Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie. VLADIMIR. - La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Estragon s’acharne sur sa chaussure.) Qu’est-ce que tu fais? ESTRAGON. - Je me déchausse. Ça ne t’est jamais arrivé, à toi ? VLADIMIR. - Depuis le temps que je te dis qu’il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m’écouter. ESTRAGON (faiblement). - Aide-moi ! VLADIMIR. - Tu as mal? ESTRAGON. - Mal ! Il me demande si j’ai mal ! VLADIMIR (avec emportement). - Il n’y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles. ESTRAGON. - Tu as eu mal? VLADIMIR. - Mal! II me demande si j’ai eu mal ! ESTRAGON (pointant l’index). - Ce n’est pas une raison pour ne pas te boutonner. VLADIMIR (se penchant). - C’est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses. ESTRAGON. - Qu’est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment. VLADIMIR (rêveusement). - Le dernier moment ... (Il médite.) C’est long, mais ce sera bon. Qui disait ça ? ESTRAGON. - Tu ne veux pas m’aider? VLADIMIR. - Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il ôte son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment dire? Soulagé et en même temps... (il cherche) ... épouvanté. (Avec emphase.) E-POU-VAN-TÉ. (Il ôte à nouveau son chapeau, regarde dedans.) Ça alors! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau dedans, le remet.) Enfin . . . (Estragon, au prix d’un suprême effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y promène sa main, la retourne, la secoue, cherche par terre s’il n’en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau dans sa chaussure, les yeux vagues.) - Alors? ESTRAGON. - Rien. VLADIMIR. - Fais voir. ESTRAGON. - Il n’y a rien à voir. VLADIMIR. - Essaie de la remettre. ESTRAGON (ayant examiné son pied). - Je vais le laisser respirer un peu. VLADIMIR. - Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à sa chaussure alors que c’est son pied le coupable. (Il enlève encore une fois son chapeau, regarde dedans, y passe la main, le secoue, tape dessus, souffle dedans, le remet.) Ça devient inquiétant. (Silence. Estragon agite son pied, en faisant jouer les orteils, afin que l’air y circule mieux.) Un des larons fut sauvé. (Un temps.) C’est un pourcentage honnête. (Un temps.) Gogo ...
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ESTRAGON. - Qu’est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment. VLADIMIR (rêveusement). - Le dernier moment ... (Il médite.) C’est long, mais ce sera bon. VLADIMIR. - Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il ôte son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment dire? Soulagé et en même temps... (il cherche) ... épouvanté. (Avec emphase.) E-POU-VAN-TÉ. (Il ôte à nouveau son chapeau, regarde dedans.) Ça alors! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau dedans, le remet.) Enfin . . . (Estragon, au prix d’un suprême effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y promène sa main, la retourne, la secoue, cherche par terre s’il n’en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau dans sa chaussure, les yeux vagues.) - Alors?
Version 3 : Route à la campagne, avec arbre. L’arbre est un élément mobile que les acteurs emmèneront avec eux au fil des scènes. Les différents obstacles naturels ou infrastructurels que les personnages vont rencontrer feront l’objet d’une mise en avant, comme s’il s’agissait de partie intégrante de la mise en scène. Ceci permet d’étendre la fiction aux parcours entre les différents lieux de la pièce. Soir. Estragon, assis sur une pierre, essaie d’enlever sa chaussure. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu. Estragon est assis parmi le public au premier rang depuis qu’il est arrivé, Vladimir aussi, mais plus loin. Le temps est long entre le début du silence et l’entrée de Vladimir. Entre Vladimir. ESTRAGON (renonçant à nouveau). - Rien à faire. VLADIMIR (s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées). - Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) - Alors, te revoilà, toi. ESTRAGON. - Tu crois ? VLADIMIR. - Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours. ESTRAGON. - Moi aussi. VLADIMIR. - Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t’embrasse. (Il tend la main à Estragon.) ESTRAGON (avec irritation). - Tout à l’heure, tout à l’heure. Silence. VLADIMIR (froissé. froidement). Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit? EsTRAGON. - Dans un fossé. VLADIMIR (épaté). - Un fossé! Où ça ? ESTRAGON (sans geste). - Par là. VLADIMIR. - Et on ne t’a pas battu? ESTRAGON. - Si... Pas trop. VLADIMIR. - Toujours les mêmes?
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acte I partie I
version 3.
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Route à la campagne, avec arbre. L’arbre est un élément mobile que les acteurs emmèneront avec eux au fil des scènes. Les différents obstacles naturels ou infrastructurels que les personnages vont rencontrer feront l’objet d’une mise en avant, comme s’il s’agissait de partie intégrante de la mise en scène. Ceci permet d’étendre la fiction aux parcours entre les différents lieux de la pièce. Soir. Estragon, assis sur une pierre, essaie d’enlever sa chaussure. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu. Estragon est assis parmi le public au premier rang depuis qu’il est arrivé, Vladimir aussi, mais plus loin. Le temps est long entre le début du silence et l’entrée de Vladimir. Entre Vladimir. ESTRAGON (renonçant à nouveau). - Rien à faire. VLADIMIR (s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées). - Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) - Alors, te revoilà, toi. ESTRAGON. - Tu crois ? VLADIMIR. - Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) (Il tend la main à Estragon.) ESTRAGON (avec irritation). - Tout à l’heure, tout à l’heure. Silence. VLADIMIR (froissé. froidement). Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit? ESTRAGON. - Dans un fossé. VLADIMIR (épaté) ESTRAGON (sans geste) VLADIMIR. - Toujours les mêmes? ESTRAGON. - Les mêmes ? Je ne sais pas. Silence. VLADIMIR. - Quand j’y pense .. . depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans moi... (Avec décision.) ESTRAGON (piqué au vif). - Et après ? VLADIMIR (accablé). (Un temps. Avec vivacité.) Il fallait y penser il y a une éternité, vers 1900. VLADIMIR. - Maintenant il est trop tard. (Estragon s’acharne sur sa chaussure.) Qu’est-ce que tu fais? ESTRAGON. - Je me déchausse. Ça ne t’est jamais arrivé, à toi ? VLADIMIR. - Depuis le temps que je te dis qu’il faut les enlever tous les jours. ESTRAGON (faiblement). - Aide-moi ! VLADIMIR (avec emportement) VLADIMIR. - Mal! II me demande si j’ai eu mal ! ESTRAGON (pointant l’index) VLADIMIR (se penchant). (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses.
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acte I partie I
version 2.
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Route à la campagne, avec arbre. L’arbre est un élément mobile que les acteurs emmèneront avec eux au fil des scènes. Les différents obstacles naturels ou infrastructurels que les personnages vont rencontrer feront l’objet d’une mise en avant, comme s’il s’agissait de partie intégrante de la mise en scène. Ceci permet d’étendre la fiction aux parcours entre les différents lieux de la pièce. Soir. Estragon, assis sur une pierre, essaie d’enlever sa chaussure. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu. Estragon est assis parmi le public au premier rang depuis qu’il est arrivé, Vladimir aussi, mais plus loin. Le temps est long entre le début du silence et l’entrée de Vladimir. Entre Vladimir. ESTRAGON. -(renonçant à nouveau). VLADIMIR. -(s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées). (Il s’immobilise.) (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) VLADIMIR. -(Il réfléchit.) (Il tend la main à Estragon.) ESTRAGON. - (avec irritation). Silence. VLADIMIR. -(froissé. froidement). VLADIMIR. -(épaté) ESTRAGON. -(sans geste) Silence. VLADIMIR. (Avec décision.) ESTRAGON. - (piqué au vif). VLADIMIR. - (accablé). (Un temps. Avec vivacité.) VLADIMIR. - (Estragon s’acharne sur sa chaussure.) ESTRAGON. - (faiblement) VLADIMIR. - (avec emportement) ESTRAGON. - (pointant l’index) VLADIMIR . -(se penchant). (Il se boutonne.) VLADIMIR . -(rêveusement)(Il médite.) VLADIMIR. - (Il ôte son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) (il cherche) (Avec emphase.) (Il ôte à nouveau son chapeau, regarde dedans.) (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau dedans, le remet.) (Estragon, au prix d’un suprême effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y promène sa main, la retourne, la secoue, cherche par terre s’il n’en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau dans sa chaussure, les yeux vagues.) -
Théâtres périphériques
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acte I partie I
version 1.
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Estragon et Vladimir attendent Godot. Éternellement, ils l’attendent. Chaque jour est le même, et pourtant, il est quand même différent. Et si cela devait recommencer encore, le feriez vous de la même façon. Et si tout recommençait inexorablement. Il n’y a pas de fin et donc pas vraiment de début, la pièce débute avant l’acte I et finit bien après l’acte II. En attendant Godot, pièce majeure du XXIe siècle, nous raconte cette attente, infini, cet éternel retour nietzschéen. Cette existence minimum de l’acte théâtral met en scène le temps lui même, il met en scène la représentation elle-même. Le théâtre se présente. Par ce truchement, le spectateur met en doute sa propre présence, il se remet en question. L’absurdité de l’action opère le décalage que nous cherchons à produire, un décalage perceptif. En attendant Godot a lieu dans un espace inconscient. Expression minimum du théâtre donc, qui cherche à produire les conditions du théâtre, c’est à dire le temps. Mise en scène durant 900 jours, la pièce voit son texte construit, déconstruit, reconstruit, déstructuré et réarrangé selon le site ou il prend place. Durant ces temps, la même pièce sera jouée ; toujours la même et pourtant toujours différente. En proposant trois variations du texte, les combinaisons sont multiples. Ainsi, l’absurdité du texte se voit augmentée, tant par son traitement, que par les lieux qu’il traverse, les décors qu’il donne à voir. Le parcours cherche à épuiser toutes les combinaisons possibles de textes et décors. La répétition à l’infini de la représentation prolonge l’éternel retour proposé par Beckett. C’est ainsi que nous ne jouerons pas 1350 fois la pièce, mais plutôt, nous jouerons une pièce en 2700 actes. A chaque parcours, nous chercherons par l’absurdité à attirer le regard des consommateurs, travailleurs, habitants et usagers de la périphérie. La récurrence des passages a pour but de faire exister la pièce et le territoire dans le même mouvement. Le spectateur cesse d’être passif, et doit justifier, comprendre les raisons de sa présence. Un rapport actif qui le mène à exister. Exister. Il regarde ce qui l’entoure, le dé-réalise pour le re-réaliser, il re-construit son rapport à l’espace, au lieu, au temps ; c’est à dire qu’il se produit chez le spectateur ce que nous appelons une révolution. La tragédie automatique, variations à partir d’En attendant Godot, force le spectateur à deconstruire et à reconstruire le temps, l’espace et le paysage, dans l’épuisement de toutes les solutions, vers une alternative ; scénario pour une périphérie qui existe en tant qu’elle-même.
Théâtres périphériques
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49 En attendant Godot
Acte I
Acte II
Partie 1 Partie 2 Partie 3 Partie 4 Partie 5 Partie 6 Partie 7 Partie 8 Partie 9 Partie 10 Partie 11 Partie 12 Partie 13 Partie 14 Partie 15 Partie 16 Partie 17 Partie 18 Partie 19
Partie 1 Partie 2 Partie 3 Partie 4 Partie 5 Partie 6 Partie 7 Partie 8 Partie 9 Partie 10 Partie 11 Partie 12 Partie 13 Partie 14 Partie 15 Partie 16
Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3
Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3 Version 1 Version 2 Version 3
Texte #254
Stade de Foot - Les Vegnes Rond Point ZI Ladoux ZI Ladoux Parking Auchan Nord La Plaine (Place) Château des Vergnes/ Tour Zone de destockage trains Déchetterie Hangar et circulaire SNCF Parking de Leclerc Parking de Casino Les Pistes Michelin Parking extérieur militaire Parc militaire (ouverture) Ancienne sucrière Station d’épuration/ Bassin Puy de Goudron Menhir de Beaulieu Carrière de Gandaillat Limite Lempdes - Puy
ZAC Cournon
Plateau de Cournon
Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 4 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 4 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2 Décor 1 Décor 1 Décor 2
Bout de ville Parking de Auchan
Décor 1
Parcours # 101
Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2 Décor 1
Décor 1 Décor 2
Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2 Décor 3 Décor 1 Décor 2
Décor 1 Décor 2
Décor 1 Décor 2
Mehnir Parking de Leclerq Parking de Décathlon Puy de Crouël La Pardieu (Tramway)
Mise en scène # 434
Col de Bancillon
Déchargement trains
Sanatorium - école d’archi
Stade de Foot - Les Vegnes
ZI Ladoux
Rond Point ZI Ladoux
La Plaine (Place)
Parking Auchan Nord
Château des Vergnes/ Tour
Déchetterie
Zone de destockage trains
Parking de Leclerc
Hangar et circulaire SNCF
Parking de Casino
Les Pistes Michelin
Parking extérieur militaire
Parc militaire (ouverture)
Ancienne sucrière
Station d’épuration/ Bassin
Puy de Goudron
Menhir de Beaulieu
Carrière de Gandaillat
Plateau de Cournon
Limite Lempdes - Puy
Bout de ville
ZAC Cournon
Mehnir
Parking de Auchan
Parking de Leclerq
Puy de Crouël
Parking de Décathlon
La Pardieu (Tramway)
Vignobles d’Aubière
Autoroute - Zénith
Incinérateur
Plateau d’Aubière
Rond Point Cournon
Interventions structurelles
Interventions paysagères
Interventions éphèmères
Périphérie clermontoise
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les tragédies automatiques
Variations sur En attendant Godot.
« Il y a donc quatre façon d’épuiser le possible : -former des séries exhaustives de choses, -tarir le flux des voix, -exténuer les potentialités de l’espace, -dissiper la puissance de l’image. » DELEUZE Gilles, L’épuisé, dans, BECKETT Samuel, Quad et autres pièces pour la télévision, Paris, Les éditions de Minuit, 1992.
Théâtres périphériques
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« Nous saisissons tout à coup, en regardant Didi et Gogo, cette fonction majeure de la représentation théâtrale : montrer en quoi consiste le fait d’être là. Car c’est cela, précisément, que nous n’avions pas encore vu sur une scène […]. Le personnage de théâtre, le plus souvent, ne fait que jouer un rôle, comme le font autour de nous ceux qui se dérobent à leur propre existence. Dans la pièce de Beckett, au contraire, tout se passe comme si les deux vagabonds se trouvaient en scène sans avoir de rôle. Ils sont là ; il faut qu’ils s’expliquent. Mais ils ne semblent pas avoir de texte tout préparé et soigneusement appris par cœur, pour les soutenir. Ils doivent inventer. Ils sont libres. » ROBBE-GRILLET Alain, Pour un nouveau roman, Paris, Les éditions de Minuit, 1963.
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Les architectures qui permettent la révélation des décors périphériques utilisent le langage de ce qui les entoure. Elles possèdent les mêmes matériaux, trames, formes, symboles, tout en les détournant et en en proposant une transgression. Elles appuient ainsi l’existence d’un langage propre à la périphérie, mais propose aux usagers de constater une étrangéité, un certain décalage avec la réalité, qui oblige à la réflexion. Ces architecture se veulent «fragiles», c’est à dire que dans un double mouvement, elle remette en cause la réalité de ce qui l’entoure, ainsi sa propre matérialité, et ne sont jamais réellement finies, elles changent à travers le temps ; certaines se montent et se démontent, certaines sont modulables, certaines sont réorientables... Ces objets sont toujours les mêmes et pourtant à chaque fois différents. Ces architectures sont des évènements et se veulent autant de procès à la réalité périphérique. Leurs emplacements sont nécessairement liés aux décors qu’elles mettent en scène, mais aussi, elles cherchent à investir ou réinvestir des lieux que le public doit conquérir, des lieux en proie à la spéculation, à la fermeture, à l’appropriation privée, alors qu’ils sont tant de biens communs à mettre à la disposition de tous. C’est ainsi qu’elles vont subvertir certains espaces et créer des parcs dans une ancienne carrière, un parc militaire fermé, une ancienne station d’épuration et ces bassins de décantation.... La subversion que le temps du théâtre cherche à apporter se retrouve donc également dans la matérialité même des architectures. Pragmatiquement ces structures possèdent des usages multiples, et peuvent être utilisées pour les autres manifestations culturelles clermontoises (le festival de court-métrage, les transurbances, vidéformes...). Elles sont l’occasion de porter un critique sur le théâtre en construction dans le centre de Clermont-Ferrand, sur le théâtre et son attachement à la Black Box, sur la manière dont sont équipés les villes moyennes en France aujourd’hui, mais aussi, sur les non-sens que provoquent les règlements d’urbanisme dans ces périphéries. Tant de critiques qui rejoignent une critique plus générale développée dans le cadre de la définition de l’éco-logique apportée par la relecture du concept d’entropie et de néguanthropie dans la partie «théories». Seules les fondations de ces machines sont permanentes, et ces fondations permettent l’installation de mobilier éphémère, autant qu’elles sont des mobiliers elles-même. Ainsi, sur des lieux scéniques éphémères, les fondations seules peuvent former un espace public, et servent de support à un «souvenir» de l’événement. Chaque architecture se veut donc un petit manifeste : manifeste de ce qui l’entoure, manifeste d’un paysage alternatif.
Théâtres périphériques
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machines
langage, du pareil au mĂŞme.
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Théâtres périphériques, c’est aussi le nom d’un festival qui est programmé chaque été, et qui permettra aux résidents de donner à voir leurs travaux en cours. Ce festival est aussi l’occasion d’investir des lieux qui ne peuvent être occupé de manière permanente. Proposant de nouveaux usages toujours grâce aux mobiliers, de nombreux parcours d’expressions libres et de découverte des paysages périphériques y seront proposés.
En amont, dans le cadre du projet de diplôme, ont été organisée à ce jour deux visites nocturnes de la périphérie clermontoise. Nommée dionysiaque, elles ont été l’occasion d’une plateforme de libre expression sur les thématiques de l’écologie, de la périphérie, de la culture alternative... au long de marches dans les zones désertes d’une nuit épaisse. Les thématiques annoncées auparavant, chacun des participants a pu amener une lecture, une musique, un film ou une vidéo... pour développer ensemble une réflexion sur le paysage que nous traversons, et en faire une expérience autre. Ces visites sont les premières représentations du théâtre périphérique.
Extrait du livret de parcours : «Parcours nocturnes de banlieues industrielles et commerciales, les dionysiaques sont une tentative de révélation de la dramaturgie interne à ces lieux d’un inconscient urbain. En parcourant une série de site, en dérive, nous nous approprions un territoire inhospitalier par la danse, la lecture, la projection de vidéo... Les Dionysiaques sont une étude du milieu libidinal de l’architecture, à la recherche d’une écologie de la culture architecturale, pour dépasser l’automatisation et le générique. C’est avant tout la capacité de différencier et de singulariser des savoirs-habiter (en tant que savoir-vivre) qui peuvent permettre à l’architecture de militer pour une sortie de l’Anthropocène, et ainsi lutter contre l’épuisement de «l’énergie d’existence». Il s’agit donc bien d’un «prendre soin» des individus à travers la construction de leur habitat, mais aussi, de leur regard et de leurs désirs, dans un environnement et une territorialité singulière, au delà d’une compétitivité et d’une normativité systémique. Aussi, c’est chacun en tant que singulier ou multitude qui peut, va, doit, durant les dionysiaques, exprimer son vécu, son ressenti, ses expériences, et individuer la problématique de l’automatisation en tant que sienne. Il s’agit là d’affirmer son existence dans un milieu industriel qui la nie.»
Théâtres périphériques
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dionysiaque (s).
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Le théâtre prend donc la forme d’une résidence artistique déployée sur le territoire qui instaure des dialogues multiples avec les écologiques en place. La plupart des machines sont installées dans des espaces qui appartiennent à l’état ou la ville, et qui sont aujourd’hui fermés au public à défaut de reconversions. La plupart des machines permet donc une mise à disposition de biens communs pour de nouveaux usages. Le théâtre accueille dans un premier temps la performance de la tragédie automatique dont nous développerons le propos, et est en mesure d’accueillir à plein temps trois troupes de théâtre en résidence, grâce à trois bases de vies qui constituent les salles fermées et habilitées (aux formes plus «institutionnelles») qui servent dans le dernier temps de préfiguration de point d’ancrage permanent du théâtre périphérique. Ces troupes de théâtres sont ainsi invitées à proposer des interventions à travers les machines et décors présents, mais aussi, à en donner d’autre à voir, pour pérenniser la démarche première de création de temporalités alternatives. Aussi, les logements mis à disposition pour les résidents sont l’occasion de réinvestir temporairement des dents creuses dans la ville, et d’augmenter le rapport de la périphérie avec la ville. Les logements sont des structures semi-temporaires qui permettent dans leur installation de donner aux habitants des quartiers alentours des occupations communautaires des lieux en attente, par la mise en place de mobiliers appartenant au théâtre. Le festival du court métrage est l’occasion de délocaliser certaines programmations dans les lieux périphériques, et de proposer un «court-périphérique», mais c’est aussi un temps où le théâtre périphérique peut proposer des investissements temporaires en centre-ville, en utilisant les mobiliers temporaires dont il dispose pour créer de nouveaux évènements et usages. Une des deux machines mobiles est donc montée sur la place de Jaude (place centrale de clermont-ferrand). Le projet propose à l’image de la tragédie automatique une programmation de «préfiguration» qui dure trois ans environ. Tous les montages de machines, les aménagements d’accessibilités, les extensions de festival sont intégrés à la démarche et permettent la mise en place du théâtre périphérique. Tous les chantiers sont l’occasion de donner à voir un décor en mouvement. Une logique d’expansion rationnelle a été mise en place, ce qui permet d’étendre de façon croissante les périmètres accessibles, tant de jour que de nuit. Une stratégie d’éclairage a été pensée pour permettre à ce territoire de vivre la nuit à travers tous les modes de transport.
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Ces territoires ont été conçus par et pour la voiture. Il n’existe pas ou peu de cheminements piétons, et les infrastructures dont les échelles peuvent être très importantes, marquent des ruptures infranchissables. Un travail d’état de l’art sur les cheminements existants entre les sites repérés auparavant est nécessaire, et il nous permettra de projeter de nouvelles structures piétonnes ou de franchissement. Il s’agit là, au lieu de créer seulement partiellement des points de vue sur un nouveau territoire, de créer un réseau de cheminement qui permettent son appropriation. L’objectif n’est pas nécessairement de les institutionnaliser, mais de donner à voir ceux qui existent, parfois les rendre praticables, de les suggérer. Ainsi, ce territoire pourra aussi être, au-delà d’un lieu de théâtre, un lieu de promenade et de dérive hors des champs du projet. Les conditions techniques et infrastructurelles réunies, il s’agit alors de créer des temporalités alternatives dans ces zones mono-fonctionnelles. Tout d’abord, le temps du parcours et de la marche sont une première forme de mise en performance du territoire. Comme décrit dans la partie «théories», cette création de temporalités est nécessairement une forme de théâtre, dont les acteurs et le décors sont déjà présents à priori. C’est pourquoi, au delà d’une série de cheminements, d’architectures, d’espaces publics, de parcs périphériques, ce projet est une performance dont la durée est estimée à environ 900 jours. Une pièce de théâtre qui dans cette durée, propose de nouvelles temporalités. Un théâtre,occasion du théâtre, question de temps, observation du décor, performance des objets, vers une r-évolution perceptive d’un inconscient urbain. Il existe donc un nombre important de dispositions possibles pour effectuer le parcours, car chaque lieu possède plusieurs décors, et les liaisons entre chaque scènes sont multiples. Cette diversité ajoutée à la diversité de traitement du texte est ainsi l’occasion de proposer un épuisement, dans le même mouvement, du territoire et du paysage, des objets qui le peuplent, mais aussi, du texte En attendant Godot, de Samuel Beckett. Tant le théâtre veut exister dans une grande littéralité, tous les parcours, toutes les machines, tous les espaces créés cherchent à mettre à jour de réelles qualités périphériques: parfois l’espace, le calme, la distance, la présence de «nature», parfois la souplesse et la mutabilité, l’accessibilité, l’esthétique... Chaque machine cherche à proposer de nouveaux usages et d’autres manières d’habiter la périphérie, en repérant des potentiels en intégrant d’autres programmes aux structures qui permettent d’instaurer un dialogue avec ce qui les entourent. Des terrains de sports et jeux pour enfants près de logements en construction, une aire d’autoroute...
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parcours et temporalités
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Repérer les lieux d’un décor constitué à priori. Il faut dès lors, dans une démarche éco-logique, être exhaustif dans la recherche de points de vue, de sites, de parcours qui permettent la mise en place d’un regard alternatif, dans l’objectif de créer un nouveau paysage à travers une représentation. Cette dramaturgie périphérique, nous l’avons cherché à l’aide de plusieurs outils. Tout d’abord, la marche est le véhicule de l’expérience. Ensuite, la photo de le moyen de le restituer. Les critères établis pour la recherche d’espaces de r-évolution sont des facteurs esthétiques d’incohérence spatiale ou objectale. Nous sommes à la recherche de décors absurdes. La recherche de ces paysages permet de mettre à jour une écologie complexe des milieux périphériques, des relations entre objets et milieux que l’on ne peut observer nulle part ailleurs, et qui nous permet de confirmer l’hypothèse de l’existence de la périphérie comme espace distinct, à la fois de la ville, et de la campagne. Dans ces contradictions, ces abstractions et ces complexités, ce paysage devient à la fois l’incarnation et l’alternative d’une logique contemporaine étouffante. Capable de rendre compte d’une réalité inconsciente de la ville, ces lieux sont l’occasion de poser les questions essentielles de la post-modernité. Leurs révélations, à travers leurs mises en scène, permet à tous d’accéder à de nouveaux espaces inconnus et pourtant extrêmement proche et quotidien. Le projet n’est pas de construire de nouveau décors, mais bien de trouver et de proposer un regard alternatif sur ces espaces, en acceptant de fait, que les objets mis en scène rentreront à priori en performance grâce à l’évolution du milieu perceptif du spectateur/marcheur. L’observation de ces espaces permet à tous de se rendre compte de la complexité du lieu, et dans un mouvement d’évolution des milieux perceptifs, donne à la périphérie l’occasion d’exister en tant que telle, d’entrer dans le champ de la conscience. Placer ce territoire dans un espace conscient et citoyen, c’est lui permettre à l’avenir, d’être développé et construit au regard de ces qualités, vers une inurbanité à l’intérêt de tous. Première étape donc, de la mise à jour d’un territoire aux identités et richesses multiples, que nous imaginons irrigué au futur d’espaces publics, d’événements,de lieu de vie, dans le paysage d’une alternative périphérique.
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objets et décors
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Théâtres périphériques
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objets, parcours, machines
protocole.
The players (1.2.3.4) pace the given area, each following his particular course. Area : Square. Lenght of side: 6 paces. A
B
A 3 2
E
4
4 2
E
D
B 4 3 1
1
C
1 3
2
C
D
Course 1 : AC, CB, BA, AD, DB, BC, CD, DA Course 2 : BA, AD, DB, BC, CD, DA, AC, CB Course 3 : CD, DA, AC, CB, BA, AD, DB, BC Course 4 : DB, BC, CD, DA, AC, CB, BA, AD BECKETT Samuel, Quad et autres pièces pour la télévision, suivi de, DELEUZE Gilles, L’épuisé, Paris, Les éditions de Minuit, 1992.
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Les logiques algorithmiques abstraites du système en place déforment nos territoires. La périphérie de nos villes est peuplée d’objets probables, émergence de la démesure. Répétition sans différence, nos périphéries désabusées sont déterritorialisées. Les objets y sont génériques, tant que nos comportements face à eux ; crise de l’attention. Incapable d’improvisation, les périphéries sont l’épicentre de la démesure automatique. Émerge notre hypothèse : c’est dans un théâtre de la répétition, où le texte est décor, que le territoire improvise. Les tragédies automatiques participent du même processus que le théâtre périphérique. Les variations à partir d’En attendant Godot épuisent les possibilités du théâtre. Dans l’automatisation extrême du texte, dans sa répétition presque infinie, nous cherchons l’apparition de la différence. Improvisation de l’acteur, différence du territoire, les tragédies automatiques proposent une nouvelle mesure. Rythmique commune, le paysage créé par le temps est le texte dont l’acteur est le décor. Inséparable de la répétition, et donc de l’improvisation, ce théâtre de la territorialité propose un nouveau rapport à l’espace et au spectateur. Théâtre maladif, proliférant à travers la périphérie, infectant lieux de consommations, infrastructures refoulées, espaces délaissés, il se veut thérapie de lui-même, du territoire, du spectateur et de sa perception. Structure de la répétition, de l’épuisement, l’automatisation est utilisée, instrumentalisée, pour la définir comme un remède ; structure de la différence.
Théâtres périphériques
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Le théâtre est né dans la ville antique en guerre civile. L’écriture permet aux rituels de devenir théâtre, hors du champ de la religion. La philosophie et le théâtre sont nés pour soigner la polis malade, une société en crise. Dans l’étouffant sans issue du tragique, le théâtre soigne. Il prend soin de l’acteur, qui y trouve sa cure, et aussi des spectateurs, de la ville et du théâtre lui même. Dans la polis, il est thérapie, de lui-même et de la cité. Le vers, le metron, est la mesure de la vie et de la ville. Le théâtre soigne la démesure. L’automatisation est aujourd’hui, l’horizon de notre société. L’invention de la machine à vapeur a fait basculer le monde dans une nouvelle ère géologique ; l’Anthropocène, où l’homme est le facteur principal d’altération du manteau lithosphérique, définit le cadre de l’épuisement de nos énergies de subsistance. L’automatisation, étendue aux paysages, aux villes, et aux esprits, définit le cadre de l’épuisement de nos énergies d’existence. L’automatisation se définit comme un poison ; disparition des savoirs (vivre, faire, penser), barbarie, terreur, nos esprits et nos territoires sont l’objet d’une probabilisation des formes et des interactions. L’accélération de toutes les révolutions techniques, et la primauté des sphères de la rationalité et de l’utile nous projette dans la disruption, articulation de toutes les crises de notre époque ; crise biologique, informationnelle, politique, d’existence, celles-ci sont des crises de mesure. Le théâtre en est partie. Le temps du théâtre est profondément autre de la télévision ou du cinéma. A l’heure d’un montage serré aux plans courts et actions multipliées, stimulation visuelle continue, il ne répond plus aux conditions de l’attention ; première origine de la perte du rôle thérapeutique du théâtre. Le théâtre a oublié son rôle dans la ville ; constamment, il doit se définir comme un soin, de lui-même, de la mesure. Après une première sortie de ces terres traditionnelles vers le territoire ( à travers le théâtre de la cruauté d’Artaud, Brecht, Engel... ) le rapport à la mémoire l’a rattrapé, revenu au centre, dans sa permanence ; peur de sa propre disparition, crise de son existence. L’art du temps, de la mesure, ne mesure aujourd’hui plus que luimême. C’est pourtant dans la crise, que le théâtre se définit comme soin. L’histoire du théâtre est une histoire de la répétition. Le texte s’intériorise, et se répète, encore et encore ; automatisation, intériorisation du texte, c’est dans la répétition que l’acteur trouve la mesure qui permet la différence. L’histoire du théâtre est une histoire de l’automatisation ; mais surtout de la désautomatisation, du soin par la différence dans la répétition. En ce sens, le théâtre est un espace propice à la pensée de la démesure automatique de l’Anthropocène. Dans l’automatisation extrême de l’acteur, existe l’improbable, c’est à dire, l’improvisation.
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le théâtre et l’automatisation
penser la répétition et la différence.
pour un nouveau théâtre de la territorialité
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A la limite entre Clermont Nord ( Croix de Neyrat et les Vergnes ) avec Gerzat et Cébazat, à l'est de la route de Riom, et à l'Ouest de l'autoroute de Paris, se situe un grand espace en attente. Un peu plus au Nord, les nouvelles pistes Michelin, qui délaisse son emprise en centre-ville, car les structures ne correspondent plus aux normes modernes. Avec elle, une zone d'activité entre champ et entreprises du tertiaire, sous-traitant de Michelin. Au sud donc, les hautes tours des Vergnes et de Croix de Neyrat, où se répand aujourd'hui à leurs pieds, d'une part une zone commerciale en construction, et la banlieue pavillonnaire aux maisons identiques construites par Michelin à la moitié du Xxème siècle. Là où nous nous situons, au bord des voies SNCF qui fabriquent le port d'importation pour la région clermontoise, nous observons une grande surface, auparavant agricole (nous distinguons encore la trace des parcelles dont la végétation est plus dense que sur le cœur de parcelle, où les friches végétales sont encore basses), qui est en attente. Nous observons la zone d'activité au Nord, et la zone commerciale au Sud se rejoignent, opérations immobilières successives. Nous voyons les panneaux devant champ : ici, votre nouvelle zone d'activité tertiaire. Quelques anciennes exploitations agricoles sont encore habitées, sur le terrain, des carcasses de véhicules, des tas d'ordures diverses, une piscine en plastique, une collection d'enseignes publicitaires, un charme désuet et intemporel se dégage de cette bâtisse qui semble résister aux mutations alentours.
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Au croisement du chemin de Beaulieu, de la rue Elisée Reclus, et de la route du Brézet, à l'Est de Clermont-Ferrand se situe une des intersections les plus empruntées, et pourtant, elle semble être au cœur de rien. Au nord, l'accès à l'autoroute vers Paris et Montpellier, à l'est, l'accès à l'aéroport, à la base militaire, et à la ville satellite de Lempdes, à l'ouest, un des accès stratégiques au centre par le Brézet et la gare SNCF. Autour de ce rond-point, un espace très ouvert : d'un côté, les pistes d'atterrissage et de décollage de l'aéroport, en arrière-plan, les monts du Forez. De l'autre coté de la route, des jardins ouvriers, un camp de gens du voyage, la carrière abandonnée de Gandaillat, en fond, l'incinérateur et le plateau de Cournon, sur le coté Est du rond point, un terrain d'expérimentation de l'INRA, vaste champ hautement technologique, où l'on observe des serres aux toits de panneaux photovoltaïques, qui se déplacent seules sur des rails durant la journée, une vingtaine d’entre elles forment un ballet mécanique ; à l'arrière plan, l'autoroute, le Puy de Crouël, on aperçoit la cathédrale, et la Chaîne des Puys. Un peu plus au nord, de l'autre côté de la route du Brézet, une exploitation agricole historique, équipée du Pigeonnier Saint-Anne, un des plus vieux et des plus imposants d'Auvergne. C'est ici, au bord du rond-point, que nous observons la présence d'un menhir vieux de 40000 ans, disposé dans une parcelle non définie entre les jardins ouvriers et la route. Les contes racontent que les assises de Justice d'Auvergne siégeait ici au XIV ème siècle, et que les enfants venaient, au Printemps, écouter ce que les entrailles de la Terre avaient à leur dire.
De la nouvelle gare de la Pardieu dans la zone d'activité éponyme, jusqu'à l'embranchement de l'autoroute qui sépare le flux en direction de Lyon et de Paris depuis Montpellier et Bordeaux, à côté de la nouvelle station d'épuration, se trouve, dans un corridor d'épaisse végétation, les anciens rails qui mènent à la Sucrerie Bourbon, aujourd'hui fermée, sur la parcelle juste au Nord de la station. L'ancienne sucrerie était formée de quatre corps de bâtiment en brique, aux dimensions variables (de l'administration, au stockage), organisés autour d'une cour centrale où se termine les rails aujourd'hui rouillés. La situation de la manufacture est due à la présence d'un cours d'eau qui lui a permis d'éviter un forage coûteux. Sur deux kilomètres environs, à travers champs et sous-bois, nous pouvons voir émerger de temps à autres des traces de l'infrastructure disparue. Bordure en ciment, morceau de rail, grillage pris dans les ronces, feux de signalisations rouillés. Aujourd'hui, rien n'indique plus la présence aux passants de cet ancien trafic fabriqué par la Sucrerie.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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Il fait nuit au bord de la route départementale 722. Située entre à l’ouest la zone d’activité de la pardieu, et à l’est de le plateau basaltique de Cournon, cette départementale est inhabitée dans ces bordures. Seuls quelques champs restent encore cultivés, ce sont probablement des champs de tournesol. Les véhicules y circulent au rythme d’environ deux véhicules par minute dans chaque sens. Le territoire est ici noyé dans un noir épais, car il n’existe aucun éclairage public, mais la lumière de la ville illumine le ciel d’un rouge, qui nous permet de distinguer primairement les formes de l’environnement. A une centaine de mètre à l’ouest, nous observons le ballet d’une fête foraine, ces couleurs criantes, et les cris qui accompagnent les machines à sensations. Les cris sont, avec le rythme irrégulier des automobiles les seuls sons que nous pouvons distinguer. Toutes les dix minutes environ, l’incinérateur dégage un son grave et sourd pour une dizaine de seconde. A une centaine de mètre à l’est, l’incinérateur dégage une épaisse fumée, accompagnée d’une odeur d’ordures. A l’occasion de sa construction, le plateau de Cournon a été amputé d’une grande partie de son volume, dans l’objectif d’y enfouir les résidus de déchets, pour recréer in fine, la topographie naturelle. L’incinérateur, un bâtiment composé d’un grand volume carré d’une trentaine de mètre d’arête au moins, et de plusieurs pavillons, est habillé d’une tolle métallique mate, qui reçoit parfaitement l’illumination nocturne qui lui est attribuée. La brume légère formée par l’humidité nocturne s’éclaire également, et forme un halo autour de l’incinérateur, qui nous permet de lire clairement la topographie artificielle amputée dans le plateau.
Dans la zone d’activité de Gerzat Sud, au Nord de Clermont-Ferrand, s’est installée la déchetterie des services publics. On y retrouve alors des montagnes artificielles issues de déchets de chantier. Entourée de champs en friche sur ces bordures, la déchetterie s’est mise à distance des voies utilisées par les habitants. L’entrée, située au bout d’une route de goudron flambant neuve, ne possède ni bordure, ni trottoir. Ce recul de la structure et le « vide » formé par les champs alentours permettent aux montagnes de bitume brisé d’entrer dans le champ du paysage formé par la chaîne des puys en arrière plan. Le ballet des camions entrants et sortants, accompagnés des pelleteuses et autres véhicules qui permettent le « tri » des déchets, font grandir, de minutes en minutes les topographies de bitume, de sable, de béton, de ferrailles...
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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MĂŠmoire de diplĂ´me - 2017 - Ville, architecture et territoire
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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écologie (s)
images de singularités.
« A tout moment, mes pieds auraient pu traverser le sol en carton. Je suis convaincu que le futur est perdu quelque part dans les décharges du passé non historique : il est dans les journaux d’hier, dans les ennuyeuses publicités des films de science-fiction, dans le faux miroir de nos rêves rejetés. Le temps transforme les métaphores en choses et les enferme dans des chambres froides, ou les place dans les aires de jeux célestes des banlieues. » SMITHSON Robert, « A tour of the monuments of Passaic, New Jersey » (1967).
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Mémoire de diplôme - 2017 - Ville, architecture et territoire
territoires périphériques
panser un inconscient.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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La périphérie clermontoise est un territoire complexe, aux écologies multiples et singulières. La multiplication des objets autistes, des infrastructures de grandes échelles, et autres pièces inurbaines refoulées hors de la ville ont fabriqué autant de procès aux paysages, aux éco-logiques et aux projections des habitants. Dans ces décors souvent absurdes, toujours inconscient, et par celà complexe, est donné à voir une multiplicité de lieux des-affectés par la ville, qui n’existent pas aux yeux des habitants et passant ; ils sont construit sans être perçus, et sans vouloir l’être, refoulés car ils sont l’expression de logiques que l’ont rejettent. Pourtant, ces paysages apparemment déterritorialisés, possèdent de nombreuses qualités qui leurs sont propres, et en font un territoire singulier, ni ville ni rural, troisième pôle d’une équation qui se déplace aujourd’hui. Dans l’expression absurde des logiques contemporaines sur ces territoires, nous trouvons la ressource de leur observation et de leur critique, mais aussi, une alternative à leur modèle. Dans la partie «théories», nous avons cherché à démontrer que c’est par la création de temporalités qu’émerge le scénario pour une alternative écologique par le paysage, dont le théâtre littéral était un des outils. Aujourd’hui, la ville de Clermont-Ferrand s’équipe d’une nouvelle scène nationale. Construite au cœur du centre-ville, sur la même parcelle que la Maison de la culture, elle sera équipée d’une salle de 900 places et d’une autre de 350 ; la maison de la culture propose le même équipement. Sur la même parcelle, en centre-ville, 2600 places de théâtre dans 4 salles différentes, dans une ville dont la population est d’environ 470.000 habitants, agglomération comprise. Le théâtre périphérique propose donc une alternative par le paysage ou un paysage alternatif, en portant une critique du projet actuel de scène nationale et du peu d’intérêt qu’il porte au territoire et à ces enjeux ; à travers celle-ci, nous commentons la manière dont sont équipées les villes moyennes aujourd’hui, et la forme que prend le théâtre aujourd’hui («Black box» ou autres retours aux formes traditionnelles). Dans la périphérie clermontoise, existent les ressources pour un théâtre situé et situant, dont les décors questionnent les logiques contemporaines, lien entre paysage, territoire et objet. Par le déploiement d’un théâtre périphérique, incarné dans sa matérialité par une succession de «machines» comme scénographies éphémères, paysagères, permanentes, dans sa temporalité par une programmation intégrant le montage des structures, l’intervention de troupes résidentes, une performance durant 900 jours à travers les décors, et un festival, nous cherchons à proposer l’émergence d’une perception et d’un paysage ; mise en valeur d’éco-logiques complexes, des lieux auparavant fermés, discrédités, oubliés, sont tant d’occasion d’initier l’existence de la périphérie comme territoire à parts entières.
Mémoire de diplôme - 2017 - Ville, architecture et territoire
La culture est avant tout un otium, un loisir ; elle n’appartient pas au domaine de l’utilité. Folie dans un système de l’efficience reine, son irrationalité première en fait pourtant aujourd’hui une nécessité. A travers la redéfinition des systèmes de valeurs apportée par l’éco-logie (définie dans la partie « théories », selon le régime de l’entropie et de la néguanthropie), la culture doit porter le discours de la désautomatisation de notre société, de l’émergence de différence dans les répétitions de notre système. Elle doit alors se penser dans l’espace et dans le temps ; c’est en donnant une mesure, mesure de la démesure, qu’elle répond à une nouvelle rationalité, celle de la sortie de l’Anthropocène. à partir même des poisons d’un territoire, la culture peut émerger, et proposer un remède. Force d’institutionnalisation, elle a perdu son rôle, non pas de contrepouvoir, mais de pouvoir-penser, ou de pouvoir-panser ; la démocratisation de la culture dans ce cadre, ne se définit ni par le choc esthétique malrussien pour tous, ni par l’accès à la formation artistique, mais par un troisième pôle ni médium, ni neutre ; le territoire, dans ces accidents et ces inconscients est source de problématiques esthétiques et politiques, à la rencontre de ces deux termes se situent une localité temporelle et spatiale dans laquelle, la culture peut jouer le rôle de révélateur, de catalyseur temporaire d’une mise en débat. Elle n’est donc pas un contre-pouvoir, mais propose un cadre qui peut faire émerger une alternative. La politique culturelle devient l’occasion d’un prendre soin du territoire, des habitants et de la démocratie, en devenant le cadre d’émergence d’un intérêt général. Pour ces raisons, le théâtre - les théâtres périphériques - est l’occasion de proposer une nouvelle forme d’organisme d’aménagement du territoire ; il peut être le lieu depuis lequel on observe la cité, et qui en fait apparaître les différences, et à travers lequel se formulent des savoirhabiter.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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vers une politique de la différence construire une politique culturelle du prendre-soin et du savoir-habiter singulière.
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Progressivement, et jusqu’à aujourd’hui, les politiques culturelles se lient intimement à une forme de marketing urbain, et elles visent une apparence plutôt qu’une démocratisation. L’augmentation du patrimoine à entretenir provoque une réduction progressive des budgets allouées aux politiques culturelles ambitieuses, et elles sombrent aujourd’hui dans le domaine de l’acupuncture. Si les politiques culturelles sous la Ve République ont été ambitieuses, et ont réussi une désacralisation et une décentralisation de la culture, la démocratisation de la culture l’a institué en tant qu’appareil d’état, et par extension, du système économique. Les dissonances politiques issues des milieux artistiques se retrouvent affiliées à un discours alternatif comme intériorité du système. Aussi, les modalités d’équipements et de décentralisation physique de la culture témoigne toujours d’une forme de sacralité et de mise à distance de la banalité ; les singularités territoriales ne sont pas intégrées aux politiques culturelles, et ainsi, elles ne sont ni un prendre soin du territoire et des habitants, ni un outil ou une arme de remise en question de nos modes d’existence.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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La décentralisation des politiques culturelles a été réussie en grande partie, à travers toutes les politiques menées. Aujourd’hui, les municipalités font de la culture un outil de valorisation de leur patrimoine, de leur ville, et d’un mode de vie. Les différentes politiques ont même intégré au sein du système les contre-pouvoirs artistiques dissonants, qui formulaient une critique du système en place. La vision malrussienne d’une culture élitiste à la portée de tous a été démontée, la théorie du choc esthétique de Kant portant un discours trop moderniste et avant-gardiste. Les ministères de Pompidou et Giscard ont porté des politiques de décentralisation non dirigiste et concertée avec les communes, qui ont lancé le mouvement de municipalisation de la culture. Alors, les maisons de la culture, voulue cathédrale moderne par Malraux, s’hybrident et accueillent une plus grande variété d’événement. La crise pétrolière et l’inflation ont porté atteinte à cette politique étatique de « développement culturel », les budgets revus à la baisse. La large victoire du PS dans les mairies en 1977, élu sur un programme où l’axe culturel était majeur, renforce la municipalisation. La réelle mutation des politiques culturelles a lieu avec l’élection de Mitterrand, et la nomination de Jack Lang au ministère de la culture. Le budget est doublé, portant ainsi le pouvoir d’action du ministère à son apogée. Jack Lang propose une politique basée sur une culture par tous et pour tous ; la formation artistique est mise en avant, et les loisirs sont intégrés aux politiques locales. Progressivement, les pratiques amateurs prennent autant d’importance que les pratiques professionnelles ; c’est la fin du «ministère des artistes» qui était tant décrié avec Malraux. Jack Lang crée les FRAC, les maisons de la culture deviennent des scènes nationales pour intégrer les centres d’animation et les centres de développement culturel ; la pluridisciplinarité devient le mot d’ordre, culture et loisirs s’assimilent. Les FRAC sont conçus comme des structures locales semi-privées, chargées de constituer un patrimoine d’œuvres contemporaines dans les villes moyennes et de diffuser largement l’art contemporain ( cependant, l’indéfinition du statut des FRAC les ont progressivement mené à devenir des lieux de haute culture, reniant l’ambition démocratique première ). Cette désacralisation de l’art, et la forte décentralisation des décisions culturelles sont accompagnées d’une dédiabolisation de l’association économie et culture ; les budgets culturels sont justifiés par les retombées économiques, et plusieurs lois de soutien au mécénat ( création de l’institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, exclusion des œuvres d’arts de l’impôt sur la fortune...) sont votées.
Mémoire de diplôme - 2017 - Ville, architecture et territoire
politique culturelle retour sur les politiques culturelles depuis malraux.
« La mission du ministère est de rendre accessible les oeuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de français. » MALRAUX André, discours d’investiture au ministère pour les arts et la culture.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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« Le ministère a pour mission de permettre à tous les français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leur talent et de recevoir la formation artistique de leur choix. » LANG Jack, discours d’investiture au ministère de la culture.
Mémoire de diplôme - 2017 - Ville, architecture et territoire
politique culturelle
retour sur les politiques culturelles depuis malraux vers une politique de la différence
territoire (s) périphérique (s)
écologie (s), images le théâtre et l’automatisation objets, parcours, machines
les tragédies automatiques
variation à partir d’En attendant Godot, de Beckett Acte I scène 1, version 1 Acte I scène 1, version 2 Acte I scène 1, version 3
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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violente, envers la tradition paysagère. C’est dans cette périphérie qui a oublié son lien avec le paysage, et dans les objets génériques qui la composent, que l’on peut distinguer des espaces liquides, des interstices qui ne sont « pas encore en mutation ». Des espaces aux qualités multiples car très malléables, « faibles », dans leurs capacités tout d’abord à accueillir certaines pratiques informelles, mais aussi, à fabriquer un imaginaire, une mythologie périphérique, qui permet à ces objets « génériques », de changer de statut. De l’espace de consommation en habit de tolle, s’émanent un poésie sans pareille, où les non-sens et l’absurdité de certains modes de villes s’alignent avec le grand paysage, et les replacent dans un temps plus long, comme des symboles d’un changement en devenir, ou d’une disparition à-venir. Ces espaces multiples de la périphérie clermontoise, espaces refoulés d’un inconscient urbain et donc, humain, sont scénographiés à priori. A l’image des futurs à l’abandon observés par Smithson, ou de l’autoroute de Tony Smith, ces lieux métamorphosent les architectures environnantes en une succession de sculpture qui n’expriment que l’absence d’une œuvre, et dont l’expérience forme une œuvre. Il nous apparaît alors une seconde explication du choix de sujet ; le travail de mémoire réalisé sous la direction de Dominique Rouillard, qui s’articule autour de la définition d’un nouveau régime de valeur, celui de l’entropie et de la néguanthropie à l’aube d’une société automatique, et ainsi, de l’à-venir et du devenir de l’architecture dans cette même société. A cette occasion, j’ai pu constituer un corpus de référence qui m’amènent aujourd’hui à proposer une définition autre de l’écologie. Cette définition, élaborée à partir d’auteurs qui sont aujourd’hui centraux dans mon travail (Nietzsche, Bataille, Blanchot, Foucault, Stiegler...), m’amène à une forme de fascination pour certaines pratiques artistiques et/ou architecturales, car elles se placent comme procédés à forts potentiels néguanthropique (créateur de valeur dans une société automatique) ; à commencer par Duchamp et le ready-made, l’Anti-Walk Dada, les dérives situtationnistes, Tony Smith, que l’on peut esquisser comme l’instigateur de l’art minimal américain et du Land Art, Robert Smithson, Michael Haezer, et plus récemment Stalker, puis les collectifs Voyages métropolitains, Le bruit du frigo, ou La folie kilomètre. Toutes ces références dont je me nourri aujourd’hui, grâce à leur relecture dans le régime de valeur de l’entropie et de la néguanthropie, je cherche aujourd’hui dans mon choix de sujet à les comprendre, les articuler, à construire mon intérêt pour elle, à expliquer leur lien avec ce travail de recherche, et maintenant, à les dépasser, ou du moins à les transformer, vers ce que sera, à la jonction entre une connaissance profane du territoire clermontois et un apport théorique, ma pratique de diplôme.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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Plusieurs raisons articulent mon choix de sujet de diplôme. Tout d’abord, pragmatiquement, mon origine peut expliquer le site ; une grande partie de ma vie a pris cours à Clermont-Ferrand, c’est un territoire que je connais, tant dans ses qualités exceptionnelles, que dans sa quotidienneté ; j’y ai fréquenté tous les événements culturels ; je connais les politiques de la ville et ces échecs ; j’ai conscience des différents groupes sociaux qui habitent ces lieux, des quartiers qu’ils fréquentent, et de certaines habitudes qui marquent le territoire ; j’ai pu assister à une partie du développement urbain récent de la banlieue de Clermont-Ferrand, dans laquelle j’ai grandit, et de tous les espaces qui y sont associés. A travers ce vécu quotidien, et grâce aux premières années d’étude en architecture que j’ai effectué à Clermont-Ferrand, j’ai pu lire comment s’est constitué son tissu, comment ont évolué certaines pratiques, mais aussi, et surtout, quels inconscients des habitants et des politiques étaient rejetés, refoulés au loin, en périphérie. Clermont-Ferrand, capitale du territoire rural d’Auvergne, a connu, pour plusieurs raisons, certains retards à l’urbanisation dans la seconde moitié du XXe siècle. Son industrie, menée par Michelin, est un capital identitaire fort de la région, et de fait, à toujours gardé dans sa manière d’influer sur la ville (le lien entre les politiciens et la famille Michelin a toujours été fort), un désir d’ancrage dans le territoire. Ce lien au paysage et aux formes géologiques marquantes est donc un élément structurant de la vie et de la ville clermontoise. Le retard à l’urbanisation commerciale et industrielle, a provoqué, a posteriori, une urbanisation rapide, parfois irréfléchie, et même
Mémoire de diplôme - 2017 - Ville, architecture et territoire
Les périphéries de villes moyennes en France sont aujourd'hui peuplées d'objets autistes au fonctionnement strictement interne. Boîte en tolle,
autoroutes, usines, hangars désaffectés, terrain vague, station d'épuration, déchetterie, incinérateur, centre commercial, casse automobile, zones d'activités... constituent le paysage de ce qui n'est déjà plus la ville.
Paysages de l’absurde, ils sont la figure d’un inconscient urbain Logique chaotique d'aménagement de ces territoires limites, elle témoigne d'un système inhérent à notre société : le refoulement vers l'extérieur, vers la périphérie, dans l'insconcient de ce que l'on ne veut pas voir. Dans ces
territoires, spécifiquement la périphérie de Clermont-Ferrand, s’observent les traces de cet inconscient, une écologie complexe, où les dialectiques
qui construisent les tissus classiques (ville/nature) se trouvent annulées,
déplacées. Dans ces lieux même d'une périphérie désabusée se formulent les questions essentielles de la contemporanéité ; loin de la nature
archaïque. Ici s’écrit le scénario pour une alternative éco-logique de nos périphéries entropiques.
Ce paysage alternatif existe à travers la création de temporalités autres à celle, polarisées et monofonctionnelles des zones industrielles et commerciales. Art du temps, le
théâtre est littéralement le projet, dans
toutes ces lectures. Une nouvelle forme de théâtre
périphérique,
représentation d'un décor déjà constitué, qui engage une r-évolution écologique.
« Et nous voici comme dans un pays tout inconnu au sein même du réel pur. » Valéry Paul.
Théâtres périphériques
Paysages de l’absurde et inconscient urbain à Clermont-Ferrand, scénario pour une alternative éco-logique
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Marc ARMENGAUD
julien lafontaine
pratiques
Yves BéLORGEY
Pierre DAVID
Loïse LENNE
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Les périphéries de villes moyennes en France sont aujourd'hui peuplées d'objets autistes au fonctionnement strictement interne. Boîte en tolle,
autoroutes, usines, hangars désaffectés, terrain vague, station d'épuration, déchetterie, incinérateur, centre commercial, casse automobile, zones d'activités... constituent le paysage de ce qui n'est déjà plus la ville.
Paysages de l’absurde, ils sont la figure d’un inconscient urbain. Logique chaotique d'aménagement de ces territoires limites, elle témoigne d'un système inhérent à notre société : le refoulement vers l'extérieur, vers la périphérie, dans l'insconcient de ce que l'on ne veut pas voir. Dans ces
territoires, spécifiquement la périphérie de Clermont-Ferrand, s’observent les traces de cet inconscient, une écologie complexe, où les dialectiques
qui construisent les tissus classiques (ville/nature) se trouvent annulées,
déplacées. Dans ces lieux même d'une périphérie désabusée se formulent les questions essentielles de la contemporanéité ; loin de la nature
archaïque. Ici s’écrit le scénario pour une alternative éco-logique de nos périphéries entropiques.
Ce paysage alternatif existe à travers la création de temporalités autres à celle, polarisées et monofonctionnelles des zones industrielles et commerciales. Art du temps, le
théâtre est littéralement le projet, dans
toutes ces lectures. Une nouvelle forme de théâtre
périphérique,
représentation d'un décor déjà constitué, qui engage une r-évolution écologique.