EN QUÊTE DE SENS ?
ELLES, ILS SONT PASSÉS À L'ACTE, ET VOUS MONTRENT LE CHEMIN. — PORTRAITS & EXERCICES PRATIQUES
TROUVER UN TRAVAIL, UNE ACTIVITÉ QUI CORRESPOND À VOS VALEURS
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EDITO
Hors-série En quête de sens Juillet-août 2020 Imprimé sur papier certifié PEFC Fondateurs Cyril Dion, Yvan Saint-Jours, Patrick Baldassari et Pascal Greboval Directeur de la publication Patrick Baldassari
DANS LE MÊME SENS !
Rédacteur en chef Pascal Greboval Rédactrice en chef adjointe Sabah Rahmani Secrétaire de rédaction Emmanuelle Painvin Delphine Dias Audrey Robin Journaliste multimédia Maëlys Vésir Community manager Faustine Lobbé Stagiaires pour ce numéro Charlène Dosio Clara Jaeger Marius Matty Laure du Mesnildot Directrice administrative et financière Céline Pageot Gestionnaire service abonnements Cyrielle Bulgheroni Abonnements et commandes 74A, rue de Paris - 35000 Rennes abonnement@kaizen-magazine.fr Tél. 02 23 24 26 40 Direction artistique, maquette et mise en pages • www.hobo.paris hobo.paris - hobo@hobo.paris Tél. 06 12 17 87 33 Photo de couverture © Stephan Gladieu Prépresse Schuller-Graphic 18, rue de l’Artisanat 14500 Vire Tél. 02 31 66 29 29 Impression Via Schuller-Graphic Corlet Roto (Imprim’Vert) ZA Les Vallées 53300 Ambrières-les-Vallées SIRET : 539 732 990 000 38 • APE : 5814Z Commission paritaire : 0322 K 91284 Numéro ISSN : 2258-4676 Dépôt légal à parution
Pascal G rebova l R édacteu r en c h ef
J
«
e te conseille de faire des études si tu veux réussir et bien gagner ta vie. » Combien de fois a-t-on entendu cette phrase ? Et surtout, que signifie « réussir et bien gagner sa vie » ? Dans notre société occidentale, cette expression sous-entend avoir un bon salaire, une belle situation, de la reconnaissance… bref, avoir plutôt qu’être ! Mais cette course à l’avoir semble se fissurer, le rêve de réussite se déliter. Aujourd’hui, en effet, nombreux sont celles, ceux qui souhaitent avoir une activité professionnelle en cohérence, en harmonie avec les valeurs personnelles qui les animent. Qu’il n’y ait plus de dissonance entre leurs jobs et leurs convictions. Car bonne nouvelle, la prise de conscience de l’urgence de changer de modèle sociétal s’étend, la communauté de celles, ceux qui « font leur part », mangent bio, local, donnent de l’argent à Colibris ou d’autres ONG, achètent en vrac, vont au boulot à vélo… s’accroît. Mais pour quelques-uns le dilemme les taraude et ça sent le claquage quand elles, ils donnent huit heures de leur temps quotidien à des entreprises peu vertueuses. Bref, l’envie de congruence entre nos convictions et notre activité professionnelle s’accentue. Selon de récentes études, 90 % des salariés français pensent à changer de travail, se reconvertir 1. Mais reste le passage à l’acte. Souvent, il est difficile, il fait peur, car nous sommes « drogués » au confort. Et c’est compréhensible, il n’y a pas à juger, à disqualifier celles, ceux qui hésitent à franchir le pas. Nous n’avons pas de solutions clés en main à offrir, car, oui, changer, c’est difficile… et la capacité à le faire est propre à chacun.e : elle ne se décrète pas. Nous suggérons donc simplement dans ce hors-série des pistes, des réflexions, pour accompagner celles et ceux qui le désirent dans cette quête de sens. Ce que nous espérons cependant, c’est qu’en accordant nos convictions et nos pratiques ou, dit autrement, en étant plus nombreux à « tirer dans le même sens », nous soyons plus nombreux à être en paix, individuellement et collectivement. En paix avec la nature, en paix avec notre nature. 1 Source : étude nouvelleviepro.fr, mai 2019.
Régie de publicité et distribution dans magasins spécialisés AlterreNat Presse • Tél. 05 63 94 15 50 Distribution MLP Vente au numéro pour les diffuseurs Destination Média • Tél. 01 56 82 12 00 contact@destinationmedia.fr Aucun texte ni aucune illustration ne peuvent être reproduits sans l’autorisation du magazine. Merci.
E N QUÊ TE DE SE NS
3
E n q uEte d e s e ns
S
ouvent, un film est une adaptation d’un livre, d’un roman. Cependant, il y a parfois des exceptions : certaines histoires sont d’abord projetées sur les écrans, puis, dans un second temps, rejoignent les rayons des librairies. Ce hors-série Kaizen s’inscrit plutôt dans cette démarche. Inspiré par le film et le projet éponyme de Marc de La Ménardière et Nathanaël Coste – un road-movie à la rencontre de ceux qui construisent le monde de demain – « En quête de sens » est initialement un sommet en ligne publié sur kaizen-magazine.com : à travers des interviews vidéo, une vingtaine de personnes témoignent de leur parcours et donnent des pistes à tous ceux – et ils sont nombreux aujourd’hui – qui cherchent à conjuguer valeurs personnelles et activité professionnelle. Ce premier sommet en ligne, organisé à l’aube de cette historique année 2020, a été un succès. Forts de ce constat, nous avons eu envie de prolonger l’aventure et de rassembler sur un support imprimé la copieuse somme d’informations partagées par nos témoins afin que vous, amie lectrice, ami lecteur en quête de sens, puissiez les lire et relire posément, et ainsi mûrir votre réflexion. Nous avons donc retranscrit dans cet opus la substantifique moelle des entretiens réalisés par Cypriane El-Chami, journaliste, et Pascal Greboval, rédacteur en chef. Pour vous donner à voir les multiples champs des possibles et nourrir votre inspiration, nous y avons ajouté des reportages sur des projets issus de ces changements de vie. Enfin, pour vous aider à progresser dans votre nouvelle voie, nous avons conçu, avec Gaëlle Baldassari, coach, des exercices pratiques. Les entretiens vidéo sont accessibles ici, en intégralité. ou ici : www.kaizen-magazine.com/participer-a-nos-evenements/ Pour vous remercier de votre fidélité, nous sommes heureux de vous offrir une remise exceptionnelle de 50 % sur ce sommet vidéo en ligne grâce au code promo KSENS, valable jusqu'au 31/12/2020. Dans ce hors-série vous trouverez aussi des haïkus, une forme japonaise de poésie permettant de noter les émotions, et de célébrer l’évanescence des choses. Bonne lecture, bon visionnage et bonne « quête de sens » !
4
K AIZEN -HORS-SÉRIE
sommai r e ÉDITO 3
Interview
Exercice 3
PRÉSENTATION 4
“MA DÉFINITION DU SENS, C’EST GÉNÉRER DE LA VIE.″ 12
Interview
PRÉFACE, MARC DE LA MÉNARDIÈRE & NATHANAËL COSTE 8
BORIS AUBLIGINE
CE QUE JE JALOUSE
45
EMMANUEL DRUON
Portrait
SANDRA DARTEVEL
D’INGÉNIEURE EN BÉTON ARMÉ À CONFÉRENCIÈRE ET COACH 18
“L’IDÉE D’ENTREPRENDRE SANS DÉTRUIRE.″ 46 Portrait
SANDRINE MORISSON
Exercice 1
CE QUI M’ANIME PROFONDÉMENT
21
DE L’INDUSTRIE DU LUXE À LA PEINTURE ET AU MONDE ASSOCIATIF 52
Interview
Exercice 4
“LA BONNE DÉCISION, C’EST LA MANIÈRE DONT JE L’INCARNE.″ 22
Interview
CLOTILDE DUSOULIER
CE QUE JE FAIS BIEN AVEC AISANCE
55
AGATHE PEYRE
Portrait
LINDA BEDOUET
DU COMMERCE ET DE L’IMMOBILIER À LA NÉOPAYSANNERIE 28
“SE DEMANDER QUEL EST LE LIEN ENTRE SES PRATIQUES ET SES VALEURS.″ 56 Reportage
Exercice 2
CE QUI ME FAIT ENVIE
31
OSEZD
PORTER À PLUSIEURS UN IDÉAL COMMUN 62
Interview
MAXIME DE ROSTOLAN
“DANS LA QUÊTE DE SENS, L’HARMONIE DANS LE COUPLE EST UNE COMPOSANTE.″ 32
Portrait
PIERRE-JULIEN BOUNIOL
DU JOURNALISME À LA BOULANGERIE BIO « UTOPISTE » 66
Reportage
LES CLANDESTINES UN TANDEM DE SENS 38
Exercice 5
Portrait
Interview
DE LA BANQUE À CONSULTANTE EN CYCLE MENSTRUEL 42
“LE SEUL MOYEN DE LE FAIRE, C’EST DE LE FAIRE.″ 70
GAËLLE BALDASSARI Provenance du papier : HELSINSKI en Finlande Ptot : 0.01 kg/ tonne Fibre : 0%
6
K AIZEN -HORS-SÉRIE
CE QUI ME REND UTILE KARINE SABATIER
69
Portrait
Interview
DE L’INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE À LA LIBRAIRIE DE VOYAGE 76
“OSEZ ALLER AU BOUT DE VOS RÊVES.″ 100
LUDOVIC IRIBARNE
Exerci ce 6
CE QUI ME FAIT PLAISIR
79
WALTER BOUVAIS
Portrait
SOLVEIG ANREP
D’INGÉNIEURE À COMÉDIENNE 106
Interview
MARINA BARREAU
Exercice 9
“COMMENCER PAR UN PETIT PAS ET OSER.″ 80
CE QUI M’ENTOURE
109
Interview
ÉLODIE FLORANTI
Portrait
NATHALIE MARTIN
DE PROFESSEURE DE PHYSIQUE-CHIMIE À COACH EN ÉVEIL DE CONSCIENCE 84
“FAITES-VOUS JUSTE CONFIANCE.″ 110 Portrait
Exerci ce 7
CE QUI ME FAIT PEUR
87
CLÉMENCE DEBORD DES LIVRES À LA VIGNE 114
Interview
Exercice 10
“LA CONFIANCE EST UN MUSCLE QUI S’ENTRAÎNE.″ 88
CE QUI FAIT SENS POUR MES CHOIX PROFESSIONNELS 116
MAI-LAN RIPOCHE
VOTRE SYNTHÈSE IKIGAI
Reportage
Interview
UN COLLECTIF CONSTRUIT GRÂCE AUX COMPÉTENCES DE CHACUN. 92
“ÊTRE EN QUÊTE DE SENS, C’EST RETROUVER LA VIE EN SOI.″ 118
LE CHAMP DES POSSIBLES
ÉRIC JULIEN
Portrait
NATHALIE GIZARD
Portrait
GENEVIÈVE LANDSMANN
DU CABINET D’EXPERTISE COMPTABLE AU CÉRAMICAFÉ 96
DE LA FONCTION PUBLIQUE AUX CRÊPES BIO 124 Fiche pratique
Exerci ce 8
CE QUI SE PASSE DANS L’OMBRE
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RECONVERSION. QUELS SONT VOS DROITS ?
E N QUÊ TE DE SE NS
7
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ABONNEMENT 130
PrEface
MARC DE LA MÉNARDIÈRE ET NATHANAËL COSTE LA QUÊTE DE SENS NOUS SAISIT
E
par Marc de la Ménardière et Nathanaël Coste
n 2020, la quête de sens n’est plus vue comme l’apanage de privilégiés ou comme une marotte pour illuminés décroissants. La question du sens est devenue le point de bascule pour notre société humaine qui doit choisir plus ou moins consciemment entre évoluer et disparaître. Beaucoup d’individus et d’organisations se posent ainsi ces questions : comment équilibrer le plus et le mieux, le plaisir immédiat et l’épanouissement à long terme ? Le temps passé à « prendre soin » et l’impératif d’efficacité ? Après deux mois et demi de confinement, beaucoup ont pris la résolution de ne pas retomber dans d’anciens travers et de mettre en œuvre leurs rêves pour cette vie. La période actuelle a alors valeur de test, car nous sommes aussi très doués pour remettre à plus tard l’essentiel. Le film En quête de sens, sorti il y a plus de cinq ans, montre comment nous avons été happés par ce voyage initiatique au sortir de la crise financière de 2008. Nous avions alors 27 ans, une grande soif de découverte et l’intuition que quelque chose d’immense restait à découvrir au-delà des perspectives économiques funestes et de la rumeur médiatique. Abreuvés de documentaires anxiogènes, nous faisions le constat de la marchandisation du monde et prenions conscience de l’inexorable destruction des écosystèmes et de l’aliénation des humains. En regardant cette réalité en face, il nous a bien fallu admettre que nous contribuions à ce cirque mortifère. Comme beaucoup, derrière l’illusion de liberté que procure notre société, nous nous sentions conditionnés à accepter cette réalité sans nous poser de questions, à nous conformer aux normes définies par la société, par « ceux qui savent ».
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K AIZEN -HORS-SÉRIE
Ce qui s’est réveillé en nous à ce moment doit être un système de sauvetage mystérieux que nous pensons enfoui au plus profond de chaque humain. Le besoin de sens émerge, comme le souvenir d’un ordre naturel harmonieux préexistant, en opposition au chaos ambiant. Une petite voix intérieure nous chuchote à l’oreille que l’humain n’est pas, par essence, destructeur et que la vie ne se limite pas à naître, jouir, souffrir, polluer et disparaître… Dans un instant très bref, quelque chose se fissure et l’on distingue clairement cette vision d’un monde meilleur où notre contribution pourrait être tout autre. Saisir cet instant qui survient à la suite d’une rencontre, d’un accident, ou d’un confinement et lui donner la possibilité de s’épanouir en nous comme une graine en terre, c’est le premier acte de la révolution intérieure. Après ce moment, tel Indiana Jones dans La Dernière Croisade, on se rend compte que le chemin s’ouvre tandis que nous marchons : comme si la vie attendait qu’on lui fasse confiance pour faire apparaître la prochaine marche et la nouvelle prise de conscience qui nous rapproche de son mystère… Celui ou celle qui part en quête de sens fait donc le pari que la vie n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt celui d’un grand mystère que nous avons la possibilité d’apprivoiser. Et cette posture change toute la saveur de l’expérience humaine. Voici comment nous avons tous les deux vécu ce voyage initiatique et comment il résonne pour nous dans le présent. n
in t erview
Pascal Greboval
M i c h e l C a la s
BORIS
AUBLIGINE
Certains mettent la nature à distance ou, au mieux, la considèrent comme un espace à utiliser. Boris Aubligine a aboli les frontières, il est la nature. Pour aider ses contemporains à se reconnecter au vivant, il a créé Etika Mondo, un incubateur où l’on réapprend à faire corps avec les écosystèmes. Une rééducation qui questionne le sens de la vie. Quel est votre parcours ? Jusqu’à maintenant, j’ai la chance de faire ce que j’aime et ce qui me semble faire sens. Avec comme indicateur non négociable la nature. J’ai commencé par aider ma mère à s’occuper de ses chevaux et je curais les box. Puis, à 22 ans, j’ai eu un rejet de la ville, de la société de consommation, du capitalisme. En 2006, je suis parti vivre dans la nature, en montagne, en forêt, avec le fameux adage de Gandhi : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » Celui-ci faisait écho à ce que j’entendais quand j’étais adolescent : « Si tu n’es pas content, ne cherche pas à changer les autres, change-toi, et deviens ermite si tu aimes la nature et que tu ne supportes plus la ville ! » J’étais bien, j’avais quelques chèvres, mais un jour, je me suis dit : « Il y a un truc qui ne va pas ! » Certes, je me suis trouvé, mais je ne suis pas Gandhi, ni Pierre Rabhi, et à bien y regarder, Gandhi s’est fait assassiner. Aujourd’hui, des billets de banque ont été imprimés à son effigie, il a mis en place quelques
ashrams, mais à côté de tous ceux qui spéculent à la bourse, on ne peut pas dire que l’impact de Gandhi soit si grand, malheureusement. Voilà la belle victoire ! J’ai envie de changer le monde, mais force est de constater que le monde, c’est Bill Gates, Mark Zuckerberg, Steve Jobs. Après avoir longuement hésité, j’ai fini par pousser la porte d’un Master of Business Administration (MBA) avec cette intention : « Je viens faire la révolution, de manière pacifique, mais pour ce faire, j’ai besoin d’apprendre votre culture pour utiliser vos propres mots et tenter de faire changer la direction, puisqu’on est déjà dans le mur (c’était en 2009, juste après la crise des subprimes). Et aussi parce que je suis fasciné par le fait que Coca-Cola, qui est quand même une boisson néfaste pour la santé, se vende toujours aussi bien alors que toutes les coopératives de l’économie sociale et solidaire, qui proposent des produits nobles, galèrent. Je suis donc entré en MBA, à 33 ans, non pas pour devenir un as de la finance, mais pour bien comprendre le fonctionnement du système et tenter, à ma modeste échelle, de faire bouger les lignes. Que vous a apporté ce MBA ? Je dirais une ouverture d’esprit. Le plus intéressant fut la rencontre avec les autres étudiants en MBA,
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K AIZEN -HORS-SÉRIE
“ M A DÉFINITION DU SENS, C’EST GÉNÉRER “MA DÉFINITION DU SENS, DE LA VIE." C’EST GÉNÉRER DE LA VIE."
E N QUÊ TE DE SE NS
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PORT RAIT
Cypr ian e El - Ch am i
R o ge r S av r y
SANDRA DARTEVEL
D’INGÉNIEURE EN BÉTON ARMÉ À CONFÉRENCIÈRE ET COACH
I
Après plus de dix ans dans le bâtiment, Sandra voit sa carrière s’arrêter. L’ingénieure y trouve l’opportunité de rebondir et, par sa reconstruction personnelle, elle se découvre un nouvel intérêt : le développement personnel.
l est des passions curieuses mais qui, pourtant, font briller les yeux, au point de vouloir y consacrer sa vie. Pour Sandra Dartevel, c’est le béton. Le béton précontraint – celui qu’on utilise notamment pour les ouvrages d’art – et le béton armé. C’est au cours de ses études d’ingénieure que Sandra découvre cette spécialité. Aujourd’hui, elle ne sait toujours pas expliquer son intérêt pour les calculs de béton, mais elle affirme que ce sujet l’a toujours fait vibrer : « Je suivais ces études avec ce qui portait mon cœur et mon être », se souvient-elle. Deux diplômes en poche (l’un en géotechnique, l’autre en béton), la jeune femme fait alors ses armes dans le milieu du bâtiment. « Je viens du BTP ! », se présente-t-elle fièrement. Et ce n’est pas anodin. Sandra reconnaît qu’inconsciemment, avoir évolué dans un milieu à plus de 95 % masculin l’a poussée à faire des sacrifices, à mettre une partie d’elle de côté. Au fur et à mesure des postes qu’on lui propose, Sandra gagne en responsabilités. Elle fait du chantier, devient ingénieure contrôle de la construction dans un grand groupe de bureau de contrôle, jusqu’à être appelée au sommet de la pyramide par une entreprise de promotion immobilière, où elle exercera en tant que directrice développement. Une position de rêve, dans laquelle Sandra se rappelle s’être « régalée ». Mais là encore, on lui demande de faire des compromis avec une partie de son identité – et plus particulièrement, son tempérament. Elle raconte : « J’ai été coupée de ce qui m’animait profondément. […] On m’a attaquée sur ma valeur première : ma joie de
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vivre, mon humour. On m’a demandé d’arrêter de rire. » Finis, les éclats de rire dans les couloirs, ou les remarques amusantes en réunion, aux collègues. Et ce, alors même que le credo de Sandra est de « savoir faire un travail sérieux sans me prendre au sérieux ». En réalité, ces remontrances sont un prétexte pour ne plus garder l’ingénieure au sein de l’équipe. Sans se démonter, Sandra tente alors de traverser la situation avec humour. Mais tous les matins, pendant un an et demi, elle est convoquée par son supérieur hiérarchique pour être rappelée à l’ordre. « Forcément, la petite flamme s’éteint au fur et à mesure », se désole-t-elle, jusqu’à tomber en syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out. Son mal-être au travail se traduit par des blessures physiques. Elle qui pratique la danse depuis l’âge de 2 ans, qui enseigne ce sport depuis ses 18 ans sans s’être jamais blessée, enchaîne les entorses. « Tout mon corps se met en alerte pour me dire : il faut arrêter d’y aller ! » Immobilisée, Sandra n’a d’autre choix que de faire un point sur elle-même. Surtout, elle veut déterminer ses marges d’action. Que peut-elle faire ? Résister aux consignes et continuer de rire au travail s’est soldé par un échec. La seule solution : partir. « Non sans mal, j’ai pris la décision de quitter le job de ma vie », résume l’ingénieure qui se résout alors à mettre un terme à une carrière de douze ans. Pour autant, Sandra décide de vivre cet événement comme un « cadeau mal emballé, mais bel et bien un cadeau de la vie ». Elle veut considérer son départ
K AIZEN -HORS-SÉRIE
e xc e r c i c e # 1
Ce qui m’anime profondément Souvent, nous sommes parasités par les peurs, les croyances et, pourtant, la quête de sens devrait commencer par l’exonération des schémas pour revenir à l’essentiel : qu’est-ce que je veux vraiment ? Au fil de ces quelques pages d’exercices, renouez avec votre propre sens. La vie n’a pas le même sens pour tous et c’est heureux. La quête de sens est une aventure à l’intérieur de soi qui pourra s’exprimer ensuite au monde.
Commençons par votre carburant : ce qui vous anime. C’est aussi ce qui vous donne de l’énergie. Pensez à une fin de soirée, vous êtes fatigué.e mais l’un des convives lance un sujet ou propose une activité qui vous remet immédiatement en énergie. Notez ici ce qui vous redonne du pep : Activités
Sujets de conversation
À présent, remontons le fil des années, revenez à l’enfant que vous étiez. Qu’est-ce qui vous donnait de l’énergie, une vraie motivation lorsque vous étiez jeune ?
Prenez un instant pour relire vos réponses ci-dessus, munissez-vous de trois feuilles (ou d’un cahier disposant de trois pages vierges) et écrivez (à la main de préférence) tout ce qui vous vient à l’esprit à la lecture de vos réponses aux deux questions ci-dessus. Couchez-y les émotions qui viennent, les réflexions aussi. Ne cherchez pas à écrire quelque chose de cohérent, mais juste à laisser sortir sur le papier tout ce qui vient. Les trois pages sont importante,s car chacune va vous amener vers un niveau de relation à soi différent. Notez ensuite en une phrase ce que vous retenez de cet exercice.
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Pascal Greboval
Fabi e n Co urm o n t
CLOTILDE DUSOULIER
Coach certifiée, Clotilde Dusoulier produit un podcast, « Change ma vie, Outils pour l’esprit ». De sa voix douce, elle distille des clés concrètes et accessibles pour mieux comprendre son propre fonctionnement, dénouer ses difficultés, et se sentir mieux durablement. Concentrons-nous sur la prise de décision.
Quel est votre parcours ? Enfant, puis adolescente, je voulais être comédienne. J’ai changé d’avis au moment de m’orienter vers mes études supérieures. En 2000, j’ai décidé de travailler dans l’informatique parce que j’ai senti que c’était l’aube d’Internet et qu’il allait se passer quelque chose autour de la Toile. Je me suis lancée dans des études d’informatique de gestion, qui m’ont amenée en Californie, où j’ai travaillé dans la Silicon Valley quelques années, à l’époque du boom des start-up. Une fois aux États-Unis, ma passion pour la cuisine a commencé à prendre de plus en plus de place. En rentrant en France, en 2008, j’ai fait le choix de ne plus être ingénieure, mais autrice culinaire. J’ai créé un blog autour de la cuisine, puis j'ai écrit des livres, des articles. Quand j’ai eu des enfants, ils m’ont mise face à mes limites émotionnelles, physiques, d’identité. Cela m’a contrainte à trouver des réponses à des questions que je me posais depuis très longtemps. Pourquoi est-ce que je pensais ça ? Pourquoi est-ce que je me sentais ainsi ? Avec des outils et une certaine approche, j’ai trouvé des réponses qui ont métamorphosé ma vie, et je me suis dit que si cette méthode produisait un tel effet sur moi, il y avait des chances qu’elle fonctionne avec d’autres. J’ai décidé de créer un podcast en 2017, « Change ma vie, Outils pour l’esprit », à travers lequel je partage ces
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enseignements, ces outils. Comme le podcast a rencontré un public très enthousiaste, j’ai envisagé cette activité en tant que métier, afin d’accompagner des gens dans cette transformation intérieure et extérieure. C’est ainsi que je me suis formée au coaching, pour aider spécifiquement des femmes qui ont du mal à trouver le sens et leur épanouissement. C’est quoi, pour vous, être « en quête de sens » ? Si on le définit en creux, c’est ne pas se trouver dans une situation dans laquelle on a l’impression de passer ses journées et ses nuits, à laisser passer le temps et le fil de sa vie sans qu’il y ait un début, un milieu et une fin, sans savoir où l’on va ou à quoi ça sert. J’ai l’impression que cela s’inscrit à la suite du vide laissé par le retrait des religions de nos vies et d’un manque de spiritualité. Pendant longtemps, ces croyances donnaient un sens à la vie : il faut être bon, suivre les règles pendant la vie et après, le sens, ce sera le paradis. On a aussi cherché le sens dans la possession, la consommation : « Quand j’aurai une grande télé, une belle cuisine, une grosse voiture… » On s’aperçoit pourtant des limites de ces attentes, parce que rien d’extérieur à soi ne donne du sens à notre vie. Et si la religion, la consommation et la science n’ont pas donné de sens à notre vie, on se retrouve tout seul avec nos interrogations. Nous en sommes là !
K AIZEN -HORS-SÉRIE
“ LA BONNE DÉCISION, C’EST LA MANIÈRE DONT JE L’INCARNE."
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Pascal Greboval
DR
MAXIME DE ROSTOLAN Ingénieur de formation, Maxime de Rostolan, après avoir constaté la dégradation de la planète lors d’un tour du monde, s’est engagé pour la défense de l’environnement. Il est devenu à la fois créateur de contenu pédagogique, payculteur et lobbyiste. Dans sa quête de sens, l’équilibre avec sa famille est une composante majeure. Quel est votre parcours ? J’ai 38 ans, je suis marié et j’ai deux enfants, cela fait maintenant quinze ans que je m’engage sur l’écologie et la solidarité. Je suis ingénieur de formation, et à la fin de mes études en 2005, j’ai fait un tour du monde de deux ans avec deux amis en camion, animé par les questions de l’eau dans le monde. J’ai pu me rendre compte à quel point les sociétés émergentes plongeaient tête baissée dans le système consumériste, dans le capitalisme forcené, qui provoque la destruction des écosystèmes. J’avais voyagé par le passé et j’ai pu retourner à des endroits où je m’étais rendu cinq ou dix ans avant, et clairement, on voit la Terre se dégrader à grande vitesse… l’échelle d’une vie ! Au retour, je ne voulais plus être ingénieur, travailler dans une usine – j’étais ingénieur chimiste – et j’ai eu l’idée de me lancer dans la sensibilisation. En 2007, avec Louis Albert de Broglie, connu sous le nom de « Prince Jardinier », qui est propriétaire de la maison Deyrolle, j’ai développé une collection de panneaux pédagogiques sur le développement durable, avec plus de deux cents affiches sur des sujets très variés. J’ai rencontré beaucoup d’experts, de directeurs Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), d’institutionnels, pour monter cette collection d’affiches, que nous distribuions dans les écoles. J’ai appris énormément.
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Mais j’ai aussi perçu la limite de l’exercice de la RSE, avec une marge de manœuvre relativement mince, in fine. Les arbitrages se font rarement au profit de la RSE, c’est généralement le côté financier qui gagne. Sur ce constat, j’ai donc essayé de trouver des solutions. En 2008, je rencontre l’économiste belge Gunter Pauli, l’ingénieur agronome et docteur en biologie Gauthier Chapelle, je lis les écrits de la scientifique américaine Janine Benyus, qui me font découvrir le biomimétisme. Je prends conscience que toutes les solutions se trouvent dans la nature, et en créant l’association Biomimicry France, je commence à découvrir la permaculture. J’ai creusé la question et je me suis rendu dans la ferme biologique du Bec Hellouin1 dès 20102011.J’y allais régulièrement pour comprendre ce qui s’y passait. Petit à petit, j’ai voulu passer à l’action, et l’alimentation m’a semblé être la première brique, le socle sur lequel ériger un nouveau modèle. J’ai beaucoup échangé avec François Léger, le directeur de recherches de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)/AgroParisTech. Je lui ai demandé : « Comment fait-on pour transformer la Beauce en Bec Hellouin ? » Il s’est moqué de moi et m’a répondu : « Bon courage ! », ajoutant : « Le Bec Hellouin est une ferme qu’il convient de prendre en référence, il faudrait que des néoruraux s’essaient à l’exercice et s’en inspirent. Et si c’est un urbain qui peut faire ça, c’est encore mieux ! » La perche qu’il me tendait était trop belle.
K AIZEN -HORS-SÉRIE
“DANS LA QUÊTE DE SENS, L’HARMONIE DANS LE COUPLE EST UNE COMPOSANTE."
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Reportage
Cypr ian e El - Ch am i
Ingri d Ba i lle ul
Les Clandestines un tandem de sens
D’abord collègues, puis amies dans un grand groupe de BTP, Gaëlle et Manuella aspirent à un autre projet professionnel en commun. Elles rêvent d’un lieu de vie, de rencontres et de sens, d’un restaurant de quartier où l’on se sentirait comme chez soi. En janvier 2019, elles ouvrent Les Clandestines à Rennes et aujourd’hui, elles sont comblées.
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onjour mesdames ! » Depuis ses fourneaux, la silhouette salle de réunion. L’ambiance est joyeuse, des rires fusent parfois. à demi floutée par une verrière, Manuella nous salue avec La plupart des clients tutoient les deux jeunes femmes. Les enfants bonne humeur, alors que nous poussons la porte du petit ne sont pas en reste : au moment des récréations, des élèves de restaurant. Une louche à la main, la néocuisinière dévoile avec l’école privée Saint-Vincent Providence voisine viennent y dégusenthousiasme sa dernière création : une soupe aux carottes, ter un cookie ou un muffin aux pépites de chocolat ! ananas et gingembre. Une recette surprenante, mais à l’odeur Petit à petit, ce QG de détente devient un endroit incontournable alléchante à laquelle il est difficile de résister. pour le voisinage et ressemble à un petit commerce de quartier. La Très vite, Gaëlle se faufile derrière le bar et nous présente l’ardoise : plus grande fierté des Clandestines, ce sont leurs voisins, comme François. Ce jour-là, alors que la salle est calme après le « coup de bagels, plat du jour, tarte, salade ou soupe. Tout est fait maison, avec des produits bio et locaux feu de midi », cet homme vient autant que possible. Le sourire déposer des crêpes sur le comptoir, « Même si c’est parfois stressant, franc des deux femmes témoigne entre la tarte poire-chocolat et les de leur bien-être au travail, malgré muffins pavot-citron présentés je me sens à ma place. » le rythme soutenu propre au secsous une cloche en verre. « Ici, ce teur de la restauration. « Même si c’est parfois stressant, je me n’est pas nous qui servons nos clients, ce sont eux qui nous noursens à ma place, témoigne Gaëlle. Le relationnel me manquait rissent ! », commente Manuella avec humour. dans mon ancien job. Ici, je suis dans mon élément, dans un esprit de service. C’est une évidence. » « DANS MA FAMILLE, LE BUT ÉTAIT DE DÉCROCHER UN CDI » Ces « clandestines », qui sont désormais bien installées au UN COCON DE BIEN-ÊTRE 36, rue de Paris, à Rennes, ce sont Manuella Douard (37 ans) et Cette sérénité des fondatrices de l’établissement se retrouve Gaëlle Visdeloup (29 ans). Malgré leur franche complicité, les dans tous les aspects du projet. Aux Clandestines, on se sent deux femmes ne se connaissaient pas il y a un peu plus de trois ans. Et c’est dans un tout autre contexte professionnel, loin des « comme à la maison ». Le décor, en grande partie chiné ou tout muffins et des smoothies, plus proche du béton et des tableaux droit sorti du salon de Manuella, est doux et chaleureux : petites tables à pois colorées, lampes de chevet à franges, livres de l’indéExcel, qu’elles se sont rencontrées en 2016. Elles sont alors toutes modable collection « J’aime lire », bijoux d’une artiste rennaise deux cadres dans une grande entreprise du BTP. joliment présentés à la vente. Un cocon de bien-être, enveloppé Gaëlle avait intégré le groupe huit ans plus tôt, d’abord en alterde musiques hétéroclites mais où chacun trouvera son compte, nance puis comme salariée, une fois son diplôme de comptabilité jusqu’à se laisser aller à pousser la chansonnette. et de gestion en poche. Au bout de deux ans, la jeune femme est Ce lieu de vie et de charme enchante les clients. Déjà, les salariés mutée à Rennes et accède au poste de responsable administrative du quartier y réservent leur table pour le déjeuner ou pour des et financière. « Je pense que c’est le job rêvé des personnes qui rencontres professionnelles dans un cadre plus détendu qu’une suivent le même cursus que moi », explique Gaëlle.
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Gaelle et Manuella s’affairent à préparer la salle. Aux Clandestines, c’est un peu comme à la maison, les clients prennent plaisir à prendre du temps.
Avec des recettes à base de produits de saison et bio, le plaisir est aussi dans l’assiette. Quant au petit coin épicerie, il met en avant des produits de qualité.
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Pascal Greboval
L a ure Gra ti a s
EMMANUEL DRUON
Pocheco fabrique deux milliards d’enveloppes chaque année. À la tête de cette entreprise, Emmanuel Druon a mis en place, avec son équipe, un processus industriel qui respecte l’environnement à toutes les étapes de fabrication. De même, il s’efforce à ce que chacun au sein de la firme trouve du sens dans son travail. Fort de cette expérience, il a créé une structure qui accompagne les sociétés en transition. Il livre ici un « petit manuel de ménagement ». Comment vous définissez-vous ? Je travaille avec soixante-trois collègues dans une entreprise industrielle du Nord de la France qui fabrique des enveloppes et des produits dérivés en papier. Depuis maintenant bientôt vingt-cinq ans, nous avons décidé d’entreprendre sans détruire, que ce soit au niveau des matières premières, des ressources, mais aussi des méthodes de travail. Elles nous permettent de tenir compte de la réalité sociétale et de la réalité écologique. Nous travaillons dans l’industrie, mais aujourd’hui, elle est zéro déchet, autosuffisante en électricité ainsi qu’en ressources hydriques. Elle est également engagée dans une démarche zéro fossile et zéro plastique. Par l’analyse du cycle de vie, nous avons cherché la compréhension, la connaissance de tout ce qui constitue les ressources avec lesquelles nous travaillons. Ceci avec l’idée qu’il fallait que ces ressources soient renouvelables à l’échelle du temps humain, qu’elles soient biodégradables et que les recettes utilisées ne laissent pas de traces toxiques à leur fin de vie. Elles doivent donc être recyclables et biodégradables. Pourquoi ce choix ? C’est parti d’une intuition, d’une envie également. Nous venions, les uns et les autres, de domaines
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professionnels assez variés dans lesquels nous avions tous rencontré à peu près les mêmes difficultés. Ce que nous faisions le jour ne correspondait pas à ce que nous pensions le soir, nos convictions étaient heurtées, se trouvaient en contradiction avec nos valeurs dans notre travail. Notre projet, « l’écolonomie », tel que nous l’avons qualifié, consistant à entreprendre sans détruire, est une manière de travailler sans nous départir de nos convictions ni de nos besoins fondamentaux qui sont de faire société sans faire prédation. Nous fabriquons jusqu’à deux milliards d’enveloppes par an. Et quand j’ai pris mes fonctions, un des problèmes majeurs était que pour produire ces enveloppes, on ruinait la forêt. Or, si nous souhaitions développer cette activité, nous ne voulions pas massacrer les arbres. Comme beaucoup, nous avions plutôt l’intention de protéger l’environnement. Chez nous, pour le papier, à chaque fois qu’un arbre est coupé, dix sont replantés. Et on n’utilise que les copeaux de découpe des arbres. Ainsi, étape par étape, jusqu’à la fabrication de l’enveloppe dans notre usine, nous avons tout regardé de très près. Nous avons changé les encres utilisées qui, à l’origine, étaient composées de produits solvants. Nous sommes passés sur des encres à base d’eau, de
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Ce que je fais bien avec aisance Les facilités, ce pour quoi les autres vous reconnaissent car vous faites bien ces actions, sont aussi des indicateurs intéressants dans votre quête de sens.
Quelles sont vos zones de facilité, ce qui vous demande peu d’effort alors que d’autres semblent en fournir pour accomplir la même tâche :
Listez maintenant ce pour quoi vous pensez être vraiment bon.ne :
Notez ce pour quoi vous avez été dinstigué.e à un moment ou à un autre de votre vie (enfant ou adulte) :
Prenez un instant pour relire vos réponses, qu’est-ce que cela vous inspire ? Y a-t-il eu plusieurs périodes différentes ou est-ce une continuité ?
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Reportage
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Ingri d Ba i lle ul
OseZD
Porter à plusieurs un idéal commun
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Et si la reconversion professionnelle était l’occasion d’embarquer dans une aventure collective ? Un projet reliant préoccupation écologique, partage de talents et épanouissement personnel ? C’est le pari fait par Géraldine, Julie, Gaëlle, Céline et Dona, les cinq fondatrices de l’association OseZD, qui propose des ateliers zéro déchet en banlieue parisienne depuis 2016.
Géraldine est ravie. Ce soir, cinq personnes ont bravé la Une effusion de discussions émane ensuite, chacune partageant pluie pour venir à la Recyclerie sportive, à Massy-Palailes astuces qu’elle a adoptées, les lectures qui l’ont inspirée. seau (lire Kaizen 50), en banlieue parisienne, où elle anime Géraldine a comme un sentiment de déjà-vu en écoutant ces un atelier sur le zéro déchet. Thème du jour : la salle de bains. femmes se préoccuper du gaspillage alimentaire, de l’obsolesLa jeune femme, qui est l’une des fondatrices de l’association cence programmée et rechercher des solutions zéro déchet appliOseZD et organise l’atelier, commence par en expliquer le cables pour elles et à plus grande échelle ici, à la Recyclerie déroulé. La session devrait durer une sportive. C’est en effet dans l’espace heure et demie et se décline en trois de restauration de ce lieu associatif étapes. Comme à chaque fois, Géralœuvrant pour l’accès au sport pour « L’idée est de porter l’idéal dine est accompagnée d’une bénétous qu’elle avait rencontré Gaëlle, vole. Ce soir-là, il s’agit de Ludivine, une autre cofondatrice d’OseZD, zéro déchet partout, elle-même très engagée dans la il y a un peu plus de deux ans. Le y compris au bureau ! » démarche zéro déchet. Elle suit projet n’en était alors qu’à ses ball’association depuis plusieurs mois butiements. Les jeunes femmes ne maintenant, et a déjà donné un coup de main pendant les ateliers. se doutaient pas qu’elles allaient créer ensemble une association La première étape de l’atelier est rapidement lancée. Chaque centrée sur la pratique du zéro déchet, en animant des ateliers ouverts aux particuliers. Désormais, ce projet est concrétisé en participante se présente et évalue son avancement dans la démarche visant le zéro déchet dans son quotidien. Pour cela, Julie une association, OseZD, qui rassemble une cinquantaine d’adhé– une autre fondatrice de l’association, absente ce jour-là – a rents et une dizaine de bénévoles autour du zéro déchet. imaginé un tableau de visualisation interactif avec des bouchons de bouteilles en plastique et un grand arbre dessiné sur une UNIES POUR L’ÉCOLOGIE feuille. Chacune place son bouchon sur l’arbre en fonction de Aucun prérequis n’est demandé pour intégrer les ateliers d’OseZD. son état d’avancement, en autoévaluation. S’ensuit une conver« On a toutes commencé à zéro », rassure Géraldine. Elle-même sation de présentation. « Je sais que j’ai des progrès à faire », s’est penchée sur le zéro déchet quelques années seulement soupire une première participante, qui s’est placée sur une avant la fondation de l’association. Elle est alors éducatrice en branche assez basse de l’arbre. « Dans ma famille, on avance. prévention spécialisée. « Je travaillais dans la rue avec des Mais mon mari oublie encore de peser les poubelles ! », s’agace jeunes », décrit-elle sobrement. Bien que passionnée par son une deuxième en souriant. « Je suis assez fière de ce que j’ai travail, Géraldine doit se résoudre à changer de voie. Les assoaccompli pour le moment. Par exemple, je fabrique mon shamciations pour lesquelles elle œuvre mettent la clé sous la porte, pooing solide ! Je cherche de nouveaux objectifs, d’autres paliers faute de financements. C’était fin 2015. Début 2016, Géraldine à franchir », témoigne une troisième. ne travaille plus, mais elle réfléchit à créer sa propre structure.
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Gaëlle et Géraldine, deux des cinq fondatrices de l’association OseZD.
Ludivine rappelle les règles de ce jeu de l’oie sur le thème des déchets.
Par un bouchon coloré, les participantes ont indiqué leur niveau d’avancée dans la démarche zéro déchet.
Au local de l’association, la récup’ et le réemploi sont de mise.
Les idées ne manquent pas à OseZD pour parler du zéro déchet au plus grand nombre.
La Recyclerie Sportive accueille régulièrement les ateliers d’OseZD.
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M a ë lys Vés i r
PIERRE-JULIEN BOUNIOL
DU JOURNALISME À LA BOULANGERIE BIO « UTOPISTE »
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Après une désillusion dans l’exercice de son métier de journaliste, Pierre-Julien décide de passer des mots aux actes. À la recherche d’un émerveillement indispensable, il change de vie pour créer du « pain politique » au sein de sa boulangerie bio, plus en harmonie avec ses convictions.
a voie, Pierre-Julien Bouniol pensait l’avoir trouvée. Très jeune, il savait déjà : son rêve était de devenir journaliste. Être « témoin de son temps », se disait-il. Pour y parvenir, il suit un parcours à Sciences Po, à Aix-en-Provence, qu’il termine en 2004, à l’âge de 24 ans. Il rejoint ensuite une émission télévisée sur France 5, en tant que stagiaire d’abord, puis pigiste, pendant quelques mois. Il accuse alors le coup d’une première déception : son travail consiste davantage à rester derrière son bureau au téléphone qu’à être sur le terrain. Cela, pour un salaire peu élevé. Alors, Pierre-Julien se tourne vers le milieu de la communication. En 2007, il rejoint l’agence Esprit Libre où, pendant quatre ans, il travaille auprès d’élus communistes, dans les environs de Marseille. Mais, en 2012, il décide de tout arrêter et de revenir à ses premières amours : le journalisme. Il se lance en indépendant dans une enquête sur le président du conseil général des Bouches-du-Rhône. Parallèlement, il écrit quelques articles pour Mediapart et pour Le Ravi, un média satirique marseillais. Mais, à nouveau, la précarité de sa situation le pousse à chercher un poste ailleurs. Engagé, Pierre-Julien ne peut se résigner à retourner dans le milieu de la communication – plus lucratif – sans que son travail ait du sens. En 2013, il rejoint ainsi l’Agence provençale pour une économie alternative et solidaire, une association aux missions concrètes qui lui conviennent. Mais, faute de financements, il s’accorde avec son employeur
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pour un licenciement économique qui arrange les deux parties. « Ma responsabilité était de m’en aller », explique celui qui allait devenir papa peu de temps après.
PASSER DU « DIRE » AU « FAIRE » Rétrospectivement, et malgré une carrière semée d’embûches et de rebondissements, Pierre-Julien est reconnaissant de ce chemin parcouru. « Tout cela m’a nourri, j’ai rencontré plein de gens qui ont osé faire des choses, qui étaient passés à l’action avant moi », se souvient-il avec humilité. Et puis, une réalité s’impose à lui : il ne peut plus rester derrière un ordinateur. « J’ai passé trop d’années à raconter ce qu’il fallait faire en sachant que ça n’arriverait jamais. Alors j’ai décidé de le faire moi-même ! » En quittant l’association, Pierre-Julien n’est pas pour autant désemparé. Une idée lui trotte déjà dans la tête. Lors d’un précédent passage à Marseille, l’Avignonnais rencontre Manu, un boulanger bio animé par un concept différent. Le Bar à Pain, logé dans un quartier peu prisé, inspire l’ex-journaliste. « Manu tire le fil d’un pain politique, [un pain] qui a des choses à raconter aux gens de la cité », s’enthousiasme Pierre-Julien. Lui qui fait déjà son levain tous les matins, son pain tous les soirs, commence à percevoir un nouvel horizon possible, cette rencontre lui donne envie d’oser. Alors, il fait des tests, il observe comment « [sa] main fait réagir la pâte ».
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“ DANS NOTRE MONDE, TOUTES LES CARTES PEUVENT ÊTRE REBATTUES." « ON NE CHANGE PAS DE VIE EN ÉTANT FRILEUX ! » Manu accueille Pierre-Julien en stage d’une semaine « pour valider le fait que rester debout était possible », ironise-t-il. Être boulanger impose en effet des contraintes physiques importantes, telles que ne pas s’asseoir ou être actif en permanence. De nouvelles conditions de travail auxquelles il faut s’adapter, après plusieurs années assis derrière un bureau. Sur les traces de son mentor marseillais, l’apprenti boulanger s’inscrit ensuite à l’École internationale de boulangerie dans les hauteurs de Sisteron, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Nous sommes alors en milieu d’année 2014. La décision est importante, et constitue un défi pour sa famille, qu’il doit quitter le temps de sa formation. Même si des aides de l’État prennent en charge la moitié des frais d’inscription dans cette école, Pierre-Julien
puise dans ses économies pour le reste. Il le reconnaît, changer de vie peut demander une mise en danger, y compris financière. Mais il tranche, sourire aux lèvres : « On ne change pas de vie en étant frileux ! » Pendant trois mois et avec neuf autres apprenti.e.s, Pierre-Julien apprend les fondamentaux du métier. Il effectue également quatre stages d’une semaine, et trois mini-stages de deux jours, au sein de boulangeries réparties partout dans la moitié sud de la France. Marseille, Grenoble, Toulouse… Pierre-Julien explore la multitude de manières de faire du pain. En conventionnel, en bio, en coopération avec des Amap, au sein de fermes communautaires, pétri à la main, en cuisson au feu de bois… Il apprend également dans cette école à monter un commerce, à rationaliser le travail de sa boulangerie. Destinée à des personnes en reconversion, cette formation permet de se lancer avec un concept réalisable. « Mais le sens, c’est nous qui le trouvons »,
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MAI-LAN RIPOCHE
Le Guerrier pacifique, de Dan Millman, est une fiction autobiographique qui a montré le chemin de vie à Mai-Lan Ripoche. Depuis, elle s’est mise en quête d’accompagner les personnes sur le chemin de la cohérence et de l’harmonie. Un parcours initiatique. Quel est votre parcours ? Depuis toute petite, j’ai cette inspiration de vouloir aider les autres à être plus heureux parce qu’autour de moi, cela ne rayonnait pas la joie et je me posais souvent la question du sens de la vie. Je ne comprenais pas pourquoi les adultes souffraient autant. Et je me disais que si la vie, c’était ce que je voyais, à savoir de grands moments de souffrance et de brefs instants de plaisir, cela ne présentait pas trop d’intérêt. Mais j’ai toujours pressenti que la vie, ce n’était pas cela, et j’étais persuadée que si je cherchais, je découvrirais ce qu’elle représente vraiment. Pendant plusieurs années, j’ai essayé de trouver des pistes à mes questionnements, pour soulager ma propre souffrance, mais sans jamais vraiment trouver de réponses. Ceci dit, souvent, quand l’élève est prêt, le maître apparaît. Pour ma part, il est apparu quand j’ai eu 19 ans. J’ai commencé le kung-fu de Shaolin. Un soir, à la fin d’un cours, mon enseignant me tend un livre : « Tiens, je te prête mon exemplaire. Cet ouvrage a changé ma vie quand j’avais 20 ans, lis-le et tu me diras ce que tu en penses. » C’était Le Guerrier pacifique, de Dan Millman, un roman initiatique. Ce livre fut un déclencheur et a confirmé ce que je pressentais au sujet du sens de la vie, il m’a donné une voie à suivre. En résumé, Le Guerrier pacifique donne les clés pour être heureux sans raison, indépendamment des conditions extérieures. J’avais trouvé un
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objectif dans la vie : devenir une « guerrière pacifique » et transmettre cette sagesse universelle. Ensuite, comme je me cherchais un peu, j’ai suivi des études dans la communication, parce qu’il fallait bien prendre une voie… À la fin de mon parcours universitaire, j’ai fait la rencontre d’un intervenant extérieur qui nous donnait des cours en ressources humaines. Il était médecin et coach. Je n’avais jamais entendu parler de ce métier ! Ce fut une deuxième révélation ! J’avais 22 ans et j’ai eu le sentiment que c’était ce que je voulais faire. Je ne désirais pas être assistante sociale ou travailleuse humanitaire, je voulais être coach, j’avais trouvé le métier de mes rêves. Mais mes études en communication n’étaient pas vraiment en adéquation avec cette profession. J’ai d’abord décroché mon premier CDI – et mon dernier d’ailleurs – en tant que chargée d’études RH. Mais comme je voulais être coach, j’ai commencé à me former en parallèle à plusieurs méthodes, dont la PNL, la communication non violente. Pendant six ans, je me suis formée, et j’ai pratiqué le métier de coach en plus de mon travail. Aujourd’hui, j’accompagne des personnes à être maîtres de leur vie, en étant libres, en paix, sans faire de compromis avec leur bonheur. Pourquoi six ans ? J’ai vécu plusieurs étapes et c’est ce que je tiens à partager. Comme j’étais jeune, je me suis pris pas mal
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“ LA CONFIANCE EST UN MUSCLE QUI S’ENTRAÎNE."
de bâtons dans les roues. J’ai été certifiée coach à seulement 25 ans. Très vite, on m’a fait comprendre que j’étais trop jeune, et que je devrais revenir dix ans plus tard. J’ai alors cherché un poste de salariée en tant que formatrice pour des instituts de formation, en lien avec la gestion du stress. Un jour, je passe un entretien. Nous étions dix candidats et je devais présenter une simulation de formation devant le groupe de recruteurs. J’en vois un pleurer, hyper ému par ma prestation. Je me dis : « Il va me prendre, c’est obligé ! » Il me rappelle une semaine plus tard : « Mai-Lan, je suis très embêté parce que pour moi, tu es faite pour ce métier. Malheureusement, je ne vais pas pouvoir te prendre, tu es trop bienveillante pour le milieu de l’entreprise. Mes clients ne sont pas forcément faciles. Ils occupent des postes de managers, de dirigeants, et tu es encore jeune. On préfère prendre des gens plus requins que toi. En revanche, ne lâche pas ton rêve, et surtout ne baisse pas les bras. » Je me suis alors demandé comment on pouvait être trop bienveillant. Quelque
temps plus tard, il m’arrive à nouveau la même mésaventure. J’en ai pleuré pendant trois jours. Je suis ensuite partie en vacances et j’ai vécu une expérience un peu étrange, mystique, suite à laquelle toutes mes peurs se sont envolées. Ma décision était devenue limpide. En rentrant, j’ai démissionné. Alors que je savais que beaucoup de coachs galéraient. Mais j’ai décidé d’écouter mon intuition, mon âme : « Fais ce saut dans le vide ! » Comment arrive-t-on à percevoir ce que nous dit notre âme ? J’ai envie de dire, c’est ce qui nous apporte de la joie. C’est cette petite voix souvent très étouffée qui nous dit : « Ah ! j’aimerais trop le faire ! » Cette petite voix qu’on a du mal à écouter. Qui nous susurre : « Est-ce qu’au fond, ce n’est pas ça que j’aimerais faire ? » C’est très subtil car les peurs provoquent le doute : « Mais pour qui te prends-tu ? Tu n’y arriveras jamais ! » Pour
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REPORTAGE
La coopérative fabrique certains de ses outils, comme le tracteur à assistance électrique, appelé l’AgrozoukÐet, imaginé par l’Atelier Paysan.
créée en novembre 2016 : « Les statuts habituels ne collaient pas à notre projet politique, se souvient Mathieu Lersteau. Nous ne voulions pas nous endetter, tirer un trait sur nos vacances et nos week-ends, ni devoir capitaliser sur le foncier pour assurer notre retraite. » Les cinq coopérateurs sont à la fois asso-
« Il est possible d’imaginer des fermes qui correspondent aux envies de chacun. » ciés, cogérants et salariés. Ils ont investi chacun 3 000 euros, se versent un salaire équivalent au SMIC. Ils bénéficient des avantages du salariat (meilleure retraite, couverture santé, chômage en cas de rupture) tout en étant leur propre patron. « L’intérêt de la Scop est aussi d’expérimenter l’autogestion », ajoute notre hôte. Soit l’abolition de la hiérarchie et la volonté de « faire ensemble » : « Nous prenons des décisions et nous en assumons les conséquences collectivement. »
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SE DÉTACHER DE LA TERRE « S’installer à plusieurs, sur des exploitations qui étaient tenues par une ou deux personnes seulement, est commun à de nombreux néo-paysans, note Philippe Pointereau, agronome, spécialiste de l’agroécologie. Cela consolide le projet agricole et y apporte des compétences complémentaires. De plus, les néo-paysans créent souvent des réseaux d’échange et de partage, comme les Amap. » D’ailleurs, à l’agenda de la ferme de Belêtre demain, mission betterave, vendredi, cueillette : « Nous récoltons les fruits et légumes pour fournir les soixante-dix paniers hebdomadaires », explique Mathieu Lersteau. Les Amapiens récupèrent leur panier chaque vendredi soir, dans une salle attenante au fournil : « Nous y organisons aussi des projections, des pièces de théâtre, des conférences… » Plus loin, une grange décorée de guirlandes lumineuses sert de salle des fêtes et un jardin pédagogique confirme la volonté de la ferme de rester d’être un lieu de vie, ouvert sur l’extérieur : « Nous accueillons des bénévoles dans le cadre de compagnonnages, de stages agricoles et des woofers. » Tomates de toutes variétés, courges jaunes, noires, orange, fenouils, salades… « Ce jardin, présente Mathieu Lersteau, est aussi le jardin des Amapiens. » Nos coopérateurs ne se disent pas attachés à leur terrain, un état d’esprit qu’ils partagent avec de nombreux autres néo-paysans, comme Guillaume Stevan, maraîcher en Dordogne : « Le paysan historique serait capable de mourir avec sa terre. Je vais tout faire pour que mon entreprise soit viable, mais si cela ne fonctionne pas, je
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SOLVEIG ANREP D’INGÉNIEURE À COMÉDIENNE
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À 28 ans, Solveig décide d’abandonner sa carrière d’ingénieure pour devenir comédienne. Au-delà de sa reconversion professionnelle, la jeune femme décrit une victoire contre des diktats sociaux qui l’ont bridée depuis son enfance.
’il fallait décrire les premiers cheminements de Solveig Anrep dans le monde du travail, ils ressembleraient à un vol de papillon, qui se pose sur une fleur qui le séduit, avant de s’envoler vers une autre. Tout a commencé après deux ans de classe préparatoire et un diplôme d’ingénieure avec spécialisation en télécommunications et transports obtenu à l’école Télécom ParisTech en 2012. Solveig passe ensuite quatre ans à butiner çà et là, à des postes qui lui plaisent mais auxquels elle ne s’attache qu’un temps, avant de s’y ennuyer. Direction de l’ingénierie sur la signalisation ferroviaire à la SNCF, marketing produit sur les mobiles et portails web chez Orange, conseil en marketing et stratégie pour un grand groupe de consulting… « J’ai eu quatre ou cinq boulots en quatre ans et à chaque fois, c’était le même scénario : je prends un poste qui m’amuse pendant six mois, puis je me rends compte que ça ne me plaît pas tant que ça, je ne comprends pas ce que je fais là. Alors, je commence un peu à déprimer, à avoir moins envie d’aller travailler et au bout d’un an, je pose ma démission et je cherche autre chose », témoigne-t-elle. À chaque fois, Solveig se souvient d’avoir senti comme un « besoin vital de partir », de telle sorte qu’elle n’a jamais tenté de négocier avec ses employeurs. De plus, gênée de devoir quitter l’entreprise, l’ingénieure ne veut pas déranger davantage en demandant une rupture conventionnelle – chose qu’elle regrette aujourd’hui, admettant qu’elle aurait pu s’affirmer un peu plus, et que négocier ses départs plutôt que de démissionner aurait pu lui être d’une
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grande aide, financièrement. Elle enchaîne donc les démissions jusqu’à la prise de conscience, à 28 ans, grâce à plusieurs déclics, que le problème ne venait pas tant des postes, mais d’un mal-être plus profond. Accompagnée en psychothérapie, l’ingénieure en questionnement retrace son parcours pour mieux le comprendre. Une véritable libération, explique-t-elle : « Cela a été un travail de fond qui m’a vraiment aidée à mieux accepter ce que j’étais et ce que j’avais envie de faire, à me débarrasser de beaucoup d’a priori que j’avais sur le monde du travail, sur les attentes que ma famille, mes amis et la société avaient de moi. » En parallèle, Solveig se rend à un premier cours de théâtre « par accident ». Elle accompagne alors un collègue, l’idée l’amuse. Après une première séance réussie, elle décide de s’inscrire aux cours. L’aventure est lancée. Pendant un an et demi encore, Solveig se prépare, petit à petit, à quitter son emploi du moment. Elle dépose finalement sa démission en juin 2016.
(RÉ)APPRENDRE À SE REPOSER Alors, Solveig décide de s’arrêter. Pendant trois ou quatre mois, elle cherche. Cette fois-ci, pas de CDI promis dans une autre entreprise ou de contrat signé, elle part « à l’aventure complète ». En septembre 2016, pour occuper ses journées et par curiosité, elle s’inscrit à l’université, en licence 3 de philosophie. Mais elle profite surtout de cette trêve pour se reposer, elle se rend compte qu’elle est très fatiguée. « Je me suis dit que, pour la première fois, j’allais me donner du temps, chez moi », se
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souvient-elle. Solveig se rend compte aussi qu’on ne fait jamais « rien ». Elle rencontre de nouvelles personnes, elle lit, elle se répare. Elle poursuit ses cours de théâtre, mais à ce momentlà, elle n’envisage pas que cela puisse être un travail. « Je ne viens pas du milieu artistique, toute ma famille pratique des métiers dits traditionnels, avec un emploi en CDI, un salaire à la fin du mois, en bureau… » Quelle surprise alors, lorsque son professeur de théâtre lui demande pourquoi elle ne deviendrait pas comédienne. Nouveau déclic pour la jeune femme : d’autres formes de travail sont possibles ! « Et puis,
“ I L NE FAUT PAS CHERCHER À ÊTRE DÉJÀ UN PRODUIT FINI, ON EST TOUJOURS EN PROGRESSION."
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Votre synthèse Ikigai Ce que vous AIMEZ
L’Ikigai est un mot japonais qui désigne la joie de vivre ou la raison de se lever le matin. Il se trouve à la croisée de ce que vous aimez, de ce pour quoi vous êtes bon.ne, de ce pour quoi vous pouvez être payé.e et de ce dont le monde a besoin.
PASSION Ce en quoi vous êtes DOUÉ
MISSION
PROFESSION
À partir des pages de vos exercices précédents,
Ce dont le monde à BESOIN
Ikigai VOCATION
Ce pour quoi vousêtes PAYÉ
prenez le temps de remplir votre propre schéma :
Qu’est-ce que vous inspire cette cartographie ?
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ÉRIC JULIEN
Depuis trente ans, Éric Julien travaille avec les Indiens Kogis, en Colombie. Sur la base de ces échanges, il propose un autre regard au monde où les valeurs et les principes du vivant sont au cœur d’une nouvelle société. Il accompagne entreprises et particuliers dans cette approche. Quel est votre parcours ? Je suis géographe de formation et ce n’est pas anodin. Lorsque je me suis engagé dans cette voie, j’avais envie de contact avec la nature. J’ai aussi été guide de montagne. Aujourd’hui, je me présente comme « explorateur d’interstices ». Je vais chercher ce que les philosophes Michel Foucault et Platon ont présenté comme les grandes zones de richesse, c’est-à-dire les zones « entre ». Entre des domaines d’activité, entre des réflexions, entre des philosophies, entre des cultures. Cet « entre-là », je l’explore à travers des communautés dites « racines traditionnelles autochtones », les Indiens Kogis, en Colombie. Je les suis depuis trente ans maintenant, dans le cadre d’un travail de conseil et d’accompagnement des organisations dans leur transformation au regard des grands enjeux qui se posent à elles. J’ai mis en place un laboratoire [l’École pratique de la nature et des savoirs (EPNS)] dans la Drôme, qui essaie de remettre du sens, de l’enthousiasme, qui nous réaligne avec les grands principes de la vie, parce que notre principal souci, à mon avis, c’est d’être coupés de la nature, de la vie. Nous habitons aujourd’hui à 80 % en ville, la nature est donc devenue un concept, un terrain de sport, une esthétique, mais plus du tout un univers avec lequel nous dialoguons.
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Explorateur d’interstices, cela signifie qu’il faut être en posture de pionnier quand on est en quête de sens ? Quand on est dans cette quête, on accepte la transformation à laquelle la vie nous invite. L’exploration d’interstices est multiple. Quand on sort d’une – grande – école où l’on nous a répété qu’on allait « faire partie de l’élite de la France », le chemin est tout tracé, et l’interstice se trouve alors dans le « pas de côté », dans l’audace de contourner l’évidence et d’aller regarder par un autre angle. Cela peut commencer au bas de sa rue, en s’asseyant à côté d’une personne qui fait la manche et en observant la façon dont les gens vous regardent et ce que vient provoquer chez vous ce « pas de côté », cette audace que vous avez eue de nouer un contact avec un « exclu ». Inutile, pour vivre cette expérience, d’aller à l’autre bout du monde. Sur un plan plus formel, quand vous êtes en quête de sens, vous vous demandez si vous allez être capable de tendre vers ce qui a du sens pour vous, malgré les pressions d’un corps social, qu’il soit familial, professionnel ou institutionnel, qui n’autorise ou qui n’entend pas les discours du type : « J’ai fait telle grande école, j’ai occupé un poste très bien rémunéré, mais ce n’est pas ce que je cherche. Je voudrais maintenant, même si je gagne beaucoup moins, devenir boulanger… »
K AIZEN -HORS-SÉRIE
EN QUÊTE DE SENS ? ENVIE DE CHANGER DE TRAVAIL, D’ACCORDER VOS VALEURS PERSONNELLES ET VOTRE ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE ? Comme 90 % des Français, vous envisagez une reconversion ou voulez (re)mettre du sens dans votre job ? Ce hors-série vous guide dans votre réflexion et vous donne les clés pour passer à l’acte, avec : • Des portraits et des témoignages de femmes et d’hommes qui ont fait le grand saut vers cette quête de sens en devenant boulanger, maraîchère, viticultrice, libraire… • Des conseils d’experts en accompagnement au changement, pour répondre à vos questions récurrentes : - Comment prendre les bonnes décisions ? - Comment savoir ce qui vous motive ? - Comment trouver un équilibre financier ? - Quels sont vos droits pour vous former ? • Des exercices pratiques pour expérimenter vos champs des possibles.
9-791-093-452-524
« Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. » Confucius.