Kaizen hors-série 6 : Je suis heureux et sobre

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kaizen

construire un autre monde , pas à pas…

Je suis heureux et sobre

La joie de vivre

«

HOMMES

IÉT LEUR SOBR

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JE SUIS HEUREUX ET SOBRE

Éclairé par les visions de Christophe André, Patrick Viveret, Cynthia Fleury, Serge Mongeau ou Serge Latouche et enrichi de fiches pratiques pour cultiver la simplicité, ce hors-série est une invitation à profiter de la vie… tout simplement !

HEUREUX TÉMOIGNAGES SUR L’ABONDANCE D’UNE VIE PLUS SOBRE

HORS-SÉRIE no 6

-AVEC MOINS-

979-10-93452-05-0

10 €

6

REOINUSXHEVU EC M -A

SUR L’ABO

GES TÉMOIGNA VIE PLUS SOBRE D’UNE NDANCE

10 €

DVD INCLUS

LES ÉCLAIRAGES DE : CHRISTOPHE ANDRÉ, CYNTHIA FLEURY, SERGE MONGEAU, PATRICK VIVERET, SERGE LATOUCHE, GILLES FARCET...

` CEUX QUI CULTIVENT LE PEU LE BONHEUR APPARTIENT À

À chacun-e sa recette pour avancer vers sa sobriété heureuse, car il n’y a pas d’autoroute balisée vers la joie de vivre…

kaizen

DES FICHES PRATIQUES : SE NOURRIR, SE VÊTIR, SE LOGER, ETC.

Parce que dans ce monde qui a ses limites, le temps est venu de passer du rêve d’une croissance infinie à la joie de l’abondance partagée, l’abondance de la nature.

DVD INCLUS

SE.

HORSSÉRIE

50 TÉMOIGNAGES

Nous avons tout à portée de main pour être heureux et nous courons… Mais après quoi ? Dans ce hors-série et son DVD, 50 sobres et heureux donnent à voir leur joie de vivre. En nous racontant leur histoire, elles et ils nous invitent à les accompagner sur la voie de la sobriété heureuse et à nous libérer du stress et de la peur, les deux avatars de la consommation et de la croissance.

Derrière ces témoignages, une invitation à ralentir, repenser son présent, et revoir ses modes de pensée. Et donc à vivre plus simplement.

É HEUREU

s, témoignage Derrière ces , repenser . ion à ralentir de pensée une invitat ses modes t, et revoir ent. s simplem son présen plu e vivr à Et donc

Pierre Rabhi

RACONTENT LEUR SOBRIÉTÉ HEUREUSE.

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construire un autre monde, pas à pas…

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est une valeur suprême à laquelle nous aspirons tous. »

34 FEMMES & HOMMES

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Je suis heureux et sobre M 04150 - 6H - F: 15,00 E - RD


Éditeur SARL EKO LIBRIS au capital de 142 720 € Siège social 95, rue du Faubourg-Saint-Antoine 75011 Paris www.kaizen-magazine.com

Édito

Hors-série numéro 6 Novembre 2015 Imprimé sur papier certifié PEFC Fondateurs Cyril Dion et Yvan Saint-Jours Directeur de la publication Patrick Oudin Directrice d’EKO LIBRIS Françoise Vernet Rédacteur en chef Pascal Greboval Secrétariat de rédaction Diane Routex (1re SR) Sophie de Mazenod Dennis Crowch Éditeur Web Simon Beyrand Direction artistique, maquette et mise en pages Guillaume Leynaert guillaume.leynaert@sfr.fr Contact info@kaizen-magazine.fr Tél. 01 56 03 54 71 Abonnements et commandes camille@kaizen-magazine.fr 19, rue Martel 75010 Paris Photo de couverture Alexandre Sattler Prépresse Schuller-Graphic 18, rue de l’Artisanat 14500 Vire Tél. 02 31 66 29 29 Impression Via Schuller-Graphic Corlet Roto (imprim’Vert) ZA Les Vallées 53300 Ambrières-les-Vallées SIREN : 539 732 990 • APE : 5814Z Commission paritaire : 0317 k 92284 Numéro ISSN : 2258-4676 Dépôt légal à parution

Soyons fous, soyons sobres Le bonheur est dans le peu, nous répètent depuis des siècles des femmes et des hommes. La (sur)consommation et la croissance étant devenues le moteur de nos sociétés contemporaines, est-ce à dire que ces figures pensantes ne parlent pas assez clairement ou qu’elles se trompent ? Ainsi Épicure, François d’Assise, Illich, Thoreau, Ellul, Giono, Tolstoï, Gandhi et Rabhi sont devenus des produits que l’on place en tête de gondole, en haut de la pyramide de la pensée, mais dont on achète peu les propos ! Est-ce de la schizophrénie ou de la fainéantise ? Le peu demandant beaucoup, on peut espérer que c’est davantage par négligence. L’homme et la femme modernes préfèrent la facilité à l’effort, quel qu’en soit le prix à payer… Mais, il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. Voici donc l’invitation de ce hors-série : alléger nos vies, les rendre joyeuses de simplicité. Et, derrière son air d’oxymore, la sobriété heureuse offre même l’opportunité de réconcilier l’être et l’avoir, d’en finir avec la dualité de ces auxiliaires. C’est bien parce qu’on manque d’être que l’on comble nos vies d’avoir. Mais, ce n’est pas une ascèse, un retour à la caverne : la sobriété heureuse est une porte ouverte à la joie et l’abondance. Loin de nous l’envie de proposer un modèle, car la sobriété heureuse est moins un dessein qu’un destin. Elle est polymorphe et vivante, comme en témoignent tous ces sobres et heureux que vous allez découvrir au fil des pages. À chacun-e de choisir son destin, pour que notre destinée commune retrouve sa vraie richesse. Pascal Greboval, rédacteur en chef

Régie de publicité et distribution dans magasins spécialisés AlterreNat Presse Tél. 05 63 94 15 50 Distribution Presstalis Vente au n° pour les diffuseurs : Groupe HOMMELL Tél. 01 47 11 20 12 diffusion-hommell@sfep.fr Aucun texte ni aucune illustration ne peut être reproduit-e sans l’autorisation du magazine. Merci.

Kaizen, késako ? Kaizen est un mot japonais signifiant littéralement « changement bon ». Mais c’est également une méthode : celle du changement par les petits pas. La perspective de changer brutalement, de passer du tout au tout, réveille nos peurs et attise nos résistances. Commencer par un petit pas, prendre courage, en faire un deuxième puis toute une multitude, chaque jour, avec régularité, peut nous conduire aux plus grandes transformations. Cela s’est déjà vu dans l’histoire et c’est ce que nous espérons, à nouveau.

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Des femmes, un homme, heureux d’avoir collaboré sobrement… Prises de son, textes, photos : Caroline Audibert : Journaliste freelance, photographe, auteur façonnée par une enfance dans les montagnes et une jeunesse au beau milieu de la philosophie, je trouve dans la rencontre et la parole donnée matière à penser et à rêver. Réaliser des portraits, en mots comme en images, est devenu une vraie passion. Nelly Pons : Auteur rédactrice, après

quelques années à œuvrer dans le sillage de Pierre Rabhi, je poursuis mon parcours d’engagement en proposant ma plume et ma créativité au service de projets porteurs de sens, de joie et d’espoir.

Aude Raux : Journaliste rédactrice presse,

je suis membre, depuis 2005, du collectif Argos. Des histoires porteuses d’espoir : tel est mon axe documentaire. J’ai été lauréate du Prix Jacques Moreau du meilleur reportage en économie sociale 2015 pour mon article sur les Repair cafés paru dans Kaizen.

Lucile Vannier : Écouter les mots de

chacun, les transcrire, les lire, relire, relier... Colibris ou autres oiseaux de passage, les plumes s’envolent et leurs écrits inspirent. De temps en temps, je rejoins leur vol dans les pages de Kaizen, pour découvrir le monde à travers leur regard et pour faire découvrir leurs idées.

Cécilia Pepper : Je suis née à Paris en

1987. Je commence à dessiner deux ou trois ans plus tard. Après un diplôme de sculpture à l’école Olivier de Serres, je suis partie en Norvège poursuivre mes études en cinéma d’animation. En attendant un nouveau séjour en Scandinavie, je vis à présent à Angoulême où je travaille pour des studios d’animation et comme illustratrice indépendante.

Alexandre Sattler : Le voyage et

l’immersion culturelle occupent une place déterminante dans les photographies et les documentaires sonores que je réalise. En 2006, j’ai fondé l’association Regard’Ailleurs, toujours dans l’idée de partager les différences qui nous éloignent et nous unissent. Crédits photos

Caroline Audibert : Pages 76, 77,

78,79, 80, 81, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 102, 103, 104, 105, 120, 121, 122, 123

Alexandre Sattler :

Pages 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 40, 41, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 64, 65, 74, 75, 88, 89, 100, 101, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119

Martin Hill : Pages 35, 58, 59, 60, 83,

99, 124, 125

Pascal Greboval : Pages 66, 67, 68, 69 4 - KAIZEN - HORS-SÉRIE NO 6 - JE SUIS HEUREUX ET SOBRE

Sommaire 3 Édito

66

Fernand Pena

4

70

Point de vue : Cynthia Fleury

6 Préface

74

Denise et Cyril

10

La sobriété en quelques mots d’auteurs

76

Théo Thouvet

14

Lotti et Marc Bösch

82

Expertise : Christophe André

16

Évelyne Adam

86

Fiche pratique : se déplacer

22

Point de vue : Patrick Viveret

88

Jérôme Thomas

26

Fiche pratique : se loger

90

Thibault Coppin

28

Hélène Legay et Benoit Cassegrain

96

Expertise : Émeline de Bouver

32

Yves Gillen

100

Nans Thomassey

34

Expertise : Serge Mongeau

102

Alan Carter

38

Fiche pratique : se nourrir

106

Point de vue : Marc de Basquiat

40

Alexis Robert

110

Fiche pratique : se cultiver

42

Anaïs Kerhoas

112

Barbara Maisonnier & Djalla-Maria

46

Point de vue : Gilles Farcet

116

Georges et Nolween

50

Fiche pratique : se vêtir et meubler sa maison

120

Antoine Labeyrie

52

Laëtitia Dupé

126

Bibliographie

56

Pat Thiébaut

58

Expertise : Serge Latouche

62

Fiche pratique : s’autonomiser

64

La Demeure Notre Père

Présentation des auteurs

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RÉCIT

Et l’argent dans tout ça

LOTTI & MARC BÖSCH

?

Le budget nourriture de la famille est de 150 euros par mois. Ils se font livrer à domicile par des producteurs du coin les denrées qu’ils ne produisent pas eux-mêmes – blé, huile, etc. L’eau du puits est filtrée pour la consommation et celle du ruisseau utilisée pour les besoins de la maison et du jardin. Pas de facture de téléphone ni d’électricité... La grande dépense du foyer correspond aux charges de la mutualité agricole – 4 500 euros par an –, qui leur confère un véritable statut d’agriculteurs et leur permet de ne pas dépendre des aides sociales. Leurs revenus proviennent essentiellement des herbes aromatiques qu’ils vendent en magasin, à des restaurants, à la ferme et par correspondance. En parallèle, Marc et Lotti louent un gîte et organisent des stages de teinture végétale de la laine. Une fois les besoins couverts, il leur reste même un petit bénéfice mis de côté pour plus tard, ou pour la gestion des imprévus.

FAIRE AVEC CE QUE L’ON A

Pour contacter Marc et Lotti, c’est toute une aventure. Sans possibilité de les joindre par téléphone ou par courriel, le mieux est de se rendre directement sur place, près d’Auch. Dans leur « petite maison dans la prairie », sans électricité ni voiture, ils nous ont conté leur histoire : celle d’une vie simple au rythme des saisons.

S

uisses d’origine, Lotti et Marc sont arrivés dans le Gers voilà dix-huit ans. Basé sur le « faire avec ce que l’on a », leur mode de vie ne les exclut pas pour autant de la société. Lors de leurs deux premiers hivers dans le Gers, ils ont dû repartir travailler en Suisse pour pouvoir financer la maison et les terres. Depuis, leur quotidien oscille entre la vente de plantes aromatiques transfor« Ne pas avoir d’électricité mées, la production fruits et légumes oblige à s’organiser de pour la famille et les différemment. » autres activités du quotidien : lavage du linge à la main, confection de conserves, fabrication du pain, etc. Compte tenu de leur niveau d’autonomie alimentaire, le couple n’a pas besoin de travailler à temps plein. La voiture ne semble pas leur manquer. Pour 14 - KAIZEN - HORS-SÉRIE NO 6 - JE SUIS HEUREUX ET SOBRE

téléphoner à la cabine du village, ils parcourent 3 kilomètres à vélo. Ils confient leurs colis de plantes aromatiques commandés par courrier à la factrice quand elle passe. Et pour livrer les magasins d’Auch toutes les trois semaines environ, ils font leur tournée à vélo : deux heures aller-retour. Lotti n’envisage pas le temps passé dans les trajets à bicyclette comme du temps perdu : « En comptant ce que coûte une voiture : achat, entretien, essence, etc., mieux vaut prendre son vélo et partir livrer ! Et si l’on considère le temps de trajet comme du temps de travail effectif, alors, faire du vélo, je trouve que c’est un travail plutôt agréable ! » Dans leur recherche d’autonomie, Marc et Lotti ont fait le choix de vivre sans électricité. Une décision qui peut sembler radicale, mais qui prend sens dans le regard de Marc : « Ne pas avoir d’électricité oblige à s’organiser différem-

ment. Quand la journée se termine, il n’y a plus assez de lumière pour travailler. Il est parfois difficile d’accepter de ne pas aller plus loin, mais ça donne de bonnes limites. Cela apporte du calme et rend certaines choses plus précieuses. » Ne pouvant écouter de la musique chez lui, il apprécie davantage en jouer lui-même, ou bien assister à des concerts.

Un rapport au temps différent

La clef de voûte de leur bonheur semble résider dans ce rapport au temps bien différent de celui de la plupart de leurs contemporains : avoir la possibilité de s’écouter dans les élans d’énergie comme dans les fatigues, être son propre chef, sentir chaque jour la tranquillité, le silence, l’espace, la liberté… S’ils se protègent de la société de consommation et de ce qu’elle génère, Lotti et Marc ne rechignent pas à faire des exceptions de temps en temps, car, pour eux, « tout est une question de mesure. En soi, ce n’est pas mauvais d’acheter quelque chose. » Ils font notamment très attention à ne pas marginaliser leurs enfants, Helena et Moana, et à ce qu’elles

ne pâtissent pas de leur choix de vie. Elles suivent une scolarité normale dans les établissements des environs, ont des relations sociales et amicales qui correspondent à celles des enfants de leur âge, et Lotti fait bien attention à ce qu’elles soient habillées comme tout le monde. Moana, la plus grande, va maintenant au collège, et ses parents savent bien, qu’un jour, le téléphone portable arrivera probablement à la maison… Mais ce sera pour les enfants seulement ! Leur vie faite de peu de besoins et de simplicité ne s’inscrit pas dans la démarche de dire non à quelque chose, mais plutôt de dire oui : « En faisant ce choix, nous avons beaucoup de liberté, nous mangeons sain et nous satisfaisons tous nos besoins. Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir s’organiser comme cela dans la vie : c’est un privilège ! », se réjouit Lotti.

La gestion du temps…  La répartition du temps dépend beaucoup des saisons, et Marc et Lotti aiment ça. Le printemps appelle davantage à travailler dehors et, comme la récolte de l’année se fait entre mi-avril et mi-juillet, il ne s’agit pas de la rater ! Si leur mode de vie leur permet de dégager du temps pour lire, faire de la musique, profiter des enfants, etc., pour Marc, ce qui est le plus précieux, c’est de pouvoir faire son travail à un rythme choisi, et non imposé.

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ENTRETIEN

ÉVELYNE ADAM ` L’ABONDANCE LE RETOUR À Quand certains prônent la sobriété, la simplicité ou la décroissance, Évelyne Adam, 56 ans, parle de retour à l’abondance ! Dans un petit bois près de la commune de Plomeur, dans le Finistère, elle nous raconte son histoire et celle des kerterres, petites maisons rondes en chanvre et chaux, qu’elle sculpte de ses mains, dans une démarche artistique et profondément poétique.

« La nature nous donne tout ce dont nous avons besoin. »

16 - KAIZEN - HORS-SÉRIE NO 6 - JE SUIS HEUREUX ET SOBRE

Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre maison ? C’est rond, et c’est bon ! La kerterre est un lieu agréable à vivre, entièrement écologique, avec des murs en chaux et en chanvre. Je n’ai pas utilisé d’arbre mort pour la construction, car il n’y a pas d’armature. J’ai choisi une architecture ronde – à la manière des clefs de voûte d’une cathédrale –, pour la solidité que cela induit : le poids est réparti sur chaque millimètre de la construction. Le principe est de prendre les matériaux les plus proches possible de nous, pour

leurs qualités écologiques et leur faible coût, puis de réaliser avec les mains des formes organiques. Quant à moi, je dirais que je suis une chercheuse en abondance ! La nature nous donne tout ce dont nous avons besoin : l’eau, le bois des arbres morts, le soleil, les plantes, etc. L’idée est de vivre l’abondance sous une forme nouvelle, qui pourrait être une des pistes du changement humain : parce que je suis là, ce terrain est beaucoup plus beau, fructueux, et comme il est abondant en ressources, je vis dans l’abondance !

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POINT DE VUE DE PATRICK VIVERET

LE BUEN VIVIR, UN ENJEU POLITIQUE La sobriété heureuse est aussi un appel à changer le vivre-ensemble. C’est ce que met en lumière Patrick Viveret avec le concept de Buen vivir (le « bien vivre »), notion venue des peuples autochtones d’Amérique du Sud. Ce texte est inspiré de son livre Fraternité, j’écris ton

nom, aux éditions Les Liens qui libèrent. Philosophe, Patrick Viveret fut magistrat à la Cour des comptes. Il est cofondateur du collectif Roosevelt et des rencontres internationales Dialogues en humanité

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Le choix d’une transition vers des sociétés du buen vivir, très proche de ce que Pierre Rabhi nomme la sobriété heureuse, rencontre un écho important auprès de nombreux mouvements écologistes, sociaux et citoyens. Il constitue une référence théorique qui permet, comme l’affirme le projet des Dialogues en humanité, de considérer la question humaine, et sa difficulté, comme la première question politique. C’est bien en effet la difficulté de vivre ensemble la condition humaine, donc du con-vivere, qui conduit aux formes multiples de maltraitance par lesquelles l’humanité se mutile elle-même, et entretient un rapport guerrier à la nature et aux autres êtres vivants. Il existe en effet un lien étroit entre les logiques de captation – captation de richesses, de pouvoir et de sens – et les logiques de mal-être. On retrouve au cœur des trois grandes fractures de nos sociétés – écologique, sociale et financière – le couple formé par la démesure et le mal-être. Le Wall Street Journal reconnaît que la Bourse ne connaît que deux sentiments : l’euphorie et

la panique. C’est à peu près la définition de la psychose maniaco-dépressive. On observe le même rapport démesure-mal-être sur le plan collectif que sur le plan personnel. L’alternative consiste à lutter contre les différentes formes de démesure et de mal-être en assurant une justice sociale pour combattre les inégalités, en régulant la vie financière pour mettre fin à la folie de l’économie spéculative et à sortir de la logique de l’hyperproductivisme. Il s’agit de s’attaquer à la racine de la démesure qui réside dans le mal-être, la maltraitance, le mal de vivre. C’est ici que le bien vivre, le buen vivir, devient un enjeu politique. Et cet enjeu ne peut être porté que par des acteurs qui ont suffisamment tra-

vaillé intérieurement leur propre alternative aux logiques de mal-être.

LA DYNAMIQUE DU REVE Ainsi, pour apporter une réponse systémique aux différentes formes de maltraitance que représentent les captations de richesse (par le capitalisme financier), de pouvoir (par les oligarchies et les despotismes) et de sens (par les fondamentalismes), il est nécessaire de construire ce que les États généraux de l’économie sociale et solidaire en France ont appelé la dynamique du REVE : REsistance créatrice, Vision transformatrice, Expérimentation anticipatrice. KAIZEN - HORS-SÉRIE NO 6 - JE SUIS HEUREUX ET SOBRE - 23


FICHE PRATIQUE

Se loger Le logement est le premier poste budgétaire des Français, selon l’Insee. Pour en atténuer le coût, on ouvre les portes en grand : différentes formules de colocation permettent ainsi de partager le loyer. Une fois dans son nid, on veille à faire des économies d’énergie pour réduire notre impact climatique et nos factures. Dans son logement, de nombreux petits gestes de la vie quotidienne permettent, au bout du compte, de réaliser de grandes économies d’énergie.

É L EC T R IC IT É

CHAUF FAG E

Au rayon électricité, favorisons les négawatts. Grâce à l’association éponyme, on se met en quête des économies possibles. Exemple : on branche tous ses appareils – télévision, chaîne Hi-Fi, etc. – sur une multiprise disposant d’un interrupteur. À noter que le site Energie-info.fr permet de comparer les offres d’électricité vertes d’un fournisseur à l’autre.

Pour stabiliser la température idéale dans un logement autour de 19 °C – 16 °C dans les chambres –, le mieux est d’installer un thermostat programmable. Par ailleurs, veiller à ne pas obstruer les radiateurs et à les dépoussiérer. Penser aussi à bien calfeutrer les portes et, le soir, à fermer volets et rideaux afin d’éviter les déperditions de chauffage. Pour aérer, dix minutes une fois par jour suffisent à renouveler l’air. Enfin, saviez-vous que le moyen le plus économique pour se chauffer est le poêle à bois ?

E AU Dans la salle de bains, outre la préférence des douches aux bains, installer des réducteurs sur les robinets permet de diviser par deux le débit et ainsi réduire sa facture sensiblement. Penser à relever de temps en temps le compteur d’eau avant d’aller dormir et de le comparer avec le relevé effectué le lendemain matin. Cela permet de détecter les fuites. Ceux qui habitent une maison penseront à aménager un récupérateur d’eau de pluie pour arroser leur jardin ou alimenter lave-linge et WC. Dans les toilettes, justement, tentez l’expérience toilettes sèches, car ⅓ de la consommation d’eau d’un foyer est due aux chasses d’eau, soit environ 56 m 3 d’eau par an pour un foyer de quatre personnes. Voici une économie potentielle de 240 euros – prix de l’eau moyen : 3,78 euros/m3.

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CUISIN E Quand on cuit un plat, on dépose un couvercle sur la casserole et on éteint les plaques quelques minutes avant la fin de la cuisson puisqu’elles continuent à chauffer. Pour lutter contre les déperditions d’énergie du réfrigérateur, celui-là doit être installé loin d’une source de chaleur. Ne pas y mettre des plats chauds. À faire régulièrement : vérifier si les joints de la porte sont toujours bien étanches, dépoussiérer la grille arrière, nettoyer et dégivrer l’intérieur. Enfin, régler les appareils à la bonne température : 5 °C pour le réfrigérateur et - 18 °C pour le congélateur.

HABIT ER ENSEMBLE Face à la hausse des prix de l’immobilier, rien de plus économique que de partager son habitat. De nombreux sites permettent la rencontre entre colocataires. Tout aussi insolite : la cohabitation intergénérationnelle. Selon le site Reseaucosi.com, il s’agit de « réunir sous le même toit des jeunes de 18 à 30 ans en quête d’un logement et des seniors à la recherche d’une compagnie ou d’un complément de revenu ». En savoir plus : www.appartager.com www.bewelcome.org www.trocmaison.com www.reseau-cosi.com www.habitatgroupe.org

ÉLEC T RO MÉNAGER TOPTE N Les lave-vaisselle et lave-linge sont de gros consommateurs d’électricité. Avant d’investir, on se renseigne sur leur performance énergétique – privilégier l’étiquette-énergie A +++. Pour s’y retrouver, le site Guidetopten.fr propose un classement écologique des produits et appareils économes et efficaces en énergie. Du côté des applications, on télécharge ecoGator qui permet de calculer le coût énergétique sur un an, simplement en scannant le code du modèle en magasin. Parmi les astuces : on lave son linge à 30 °C, 40 °C maximum s’il est très sale, et on l’étend à l’air : c’est gratuit. On presse sur le bouton « éco » avant de lancer sa machine, uniquement quand elle est pleine, et de préférence la nuit pour bénéficier des heures creuses. En savoir plus : www.ademe.fr/particuliers-eco-citoyens/habitation www.familles-a-energie-positive.fr www.negawatt.org guidetopten.fr www.negawatt.org

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AUTOPORTRAIT

La gestion du temps…

YVES GILLEN

Yves jardine tous les jours, toute l’année, en suivant le rythme du soleil et des saisons. Au printemps et en été, il ouvre son jardin aux visiteurs. Son luxe est de faire ce qu’il lui plaît, et de « n’être pas réveillé par des armes automatiques le matin ». Sa pendule reste à l’heure d’hiver toute l’année. Le soir, il lit des livres sur le jardin et note dans son agenda ce qu’il a fait de sa journée, qui il a rencontré, le temps qu’il a fait, la température, les précipitations, la direction du vent…

L’AFFRANCHI JARDINIER Si vous vous promenez en Loire-Atlantique, poussez la balade jusqu’au cœur du marais de la Brière. Vous y trouverez le jardin biologique d’Yves Gillen, écologiste et anarchiste, septuagénaire énergique et généreux qui, de mai à septembre, fait visiter l’univers qu’il a créé il y a quarante ans avec son épouse.

« Mon pays natal, c’est le marais briéron, l’estuaire de la Loire, où je suis né en 1945 et où j’ai passé mon enfance. À l’école primaire, puis dans mon adolescence, j’étais plutôt une graine de bagne. De 1970 à 1975, j’ai vécu en roulotte avec ma compagne, Annick. Elle écrivait, et, moi, je peignais. Pendant ces cinq ans, nous avons fait le tour de France. En 1975, nous sommes revenus au marais où je suis devenu coupeur de roseaux, sans sécu, sans cotiser pour la retraite, sans congés payés. On a vécu avec un Et l’argent tout petit budget, et dans tout ça   c’était un choix. J’ai toujours senti que le Yves touche 470 euros de retraite par capitalisme était un mois. Généralement, il ne les utilise pas. n o n - s e n s . Ap r è s Bien qu’il possède une voiture, il se notre vie en roulotte, déplace la plupart du temps à vélo. Il n’a nous avions envie de pas de facture d’eau, puisqu’il utilise celle devenir jardiniers. de la fontaine. Nous avons donc

?

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acheté un petit lopin de terre près de la fontaine communale. Faire un potager, produire notre nourriture, c’était un acte politique. Nous avions bien compris que la course au dollar n’avait pas d’issue, alors qu’en faisant machine arrière, on avait du temps de libre, on pouvait exister dans le présent. La roulotte nous a sûrement appris à aller à l’essentiel. Quand on vit dans un si petit espace, on comprend que les maisons sont toujours trop grandes. La redingote de sapin n’est-elle pas exactement à notre pointure ? J’ai donc gardé notre roulotte que j’ai un peu agrandie et réaménagée. Je vis donc dans une cabane de 15 m2 qui ne m’a coûté que 17 000 francs [environ 3 200 euros]. En matière d’énergie, je n’accepterai jamais de raccord avec la bombe atomique. Les gens qui me disaient autrefois que ce n’était pas une bombe, mais une centrale, je voudrais bien les voir me tenir tête aujourd’hui après

Tchernobyl ou Fukushima. Bombe ou centrale, je ne vois pas la différence. Pour moi, militer, c’est faire autrement.

Décroissance

En 1979, nous avons installé un petit aérogénérateur, nous nous sommes tournés vers l’énergie éolienne, et, en 1980, j’ai posé mes premiers panneaux solaires. J’ai gardé mon éolienne, elle fait partie de ma panoplie. Quand je n’en ai plus besoin, je l’arrête, même si j’aime bien la voir tourner au vent en permanence. Maintenant, je l’économise. Chez moi, il y a une télévision. Souvent, les gens s’étonnent que j’en aie une, mais je leur explique que je ne veux pas voyager, que j’ai horreur de ça : je voyage avec les gens qui passent par ici, avec les livres et avec les documentaires de la télévision. J’ai un réfrigérateur aussi, mais il est en panne. De toute façon, il est toujours débranché en hiver, donc ça ne change donc pas grand-chose. Je possède également une machine à laver, un modèle bas de gamme qui a des dizaines d’années et que j’ai bricolé. Je ne vois pas l’intérêt des machines perfectionnées : elles sont des archétypes de l’obsolescence programmée. Je pense que l’être humain n’est pas fait pour manger de la viande tous les jours ; les céréales

et les légumes devraient lui suffire. Aujourd’hui, même si je mange un peu de viande de temps en temps, le potager me fournit la plus grande partie de ma nourriture. Ma femme Annick, bien qu’ayant mangé bio pendant quarante‑deux ans, a souffert d’un cancer, ce qui montre bien qu’il n’y a pas de règle… On n’est pas très nombreux à appliquer la décroissance, et je doute qu’on le soit un jour. Pour moi, la pauvreté, c’est une liberté – quand elle est choisie en tout cas. Ceux qui jouent au loto ne peuvent pas défendre leur cause « Le bonheur, fort s’ils passent leur temps à rêver d’autre heureusement, ça se chose… Moi, je n’ai fabrique, sinon, les riches jamais joué, et j’ai l’impression d’avoir auraient déjà tout raflé ! » gagné. La seule chose qui vaille la peine d’être vécue, c’est la création artistique. Le bonheur, fort heureusement, ça se fabrique, sinon, les riches auraient déjà tout raflé ! » Pour aller plus loin : Le Jardin du Marais est ouvert tous les jours, de 15 heures à 20 heures, de mai à septembre. Hoscas 44410 Herbignac - Tél. 02 40 91 47 44

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EXPERTISE

SERGE MONGEAU

OU LA SIMPLICITÉ VOLONTAIRE Serge Mongeau vit à Montréal. Écrivain et éditeur, autrefois médecin, il est reconnu comme étant le père de la simplicité volontaire au Québec. Il est l’auteur de plus de 25 ouvrages, dont La Simplicité volontaire, plus que jamais…

Quand avez-vous « débarqué du train », pour reprendre votre expression, afin de vous engager dans la simplicité volontaire ? En fait, je n’ai jamais embarqué ! Je n’ai ainsi pas eu besoin de prendre mes distances par rapport au système, c’est-à-dire à la société de consommation ostentatoire dans laquelle je vis. Deux influences ont été dominantes : ma mère qui, ayant été marquée par la crise des années 1930, vivait de manière très économe et le scoutisme, qui m’a appris à me débrouiller avec le peu que je trouvais autour de moi. Mon engagement a d’abord été pragmatique. Cela me paraissait la chose la plus normale à faire. Du simple bon sens. Il n’y avait pas d’orientation idéologique. C’est par la suite que j’ai théorisé ma façon de vivre. Quel a été votre cheminement ? Je suis arrivé à la simplicité volontaire au terme de ma réflexion sur la santé lorsque j’étais médecin. J’ai constaté que, dans nos sociétés industrialisées, nous vivions dans des environnements totalement différents de ceux dans lesquels nous

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« La simplicité volontaire est un instrument essentiel pour nous libérer du système capitaliste basé sur la croissance économique à tout prix. » avons évolué depuis des milliers d’années. Nos organismes s’y sont progressivement adaptés : pas étonnant que les gens soient malades. Par exemple, puisque nous nous sommes sédentarisés, il nous faut trouver des occasions de faire de l’exercice dans notre vie de tous les jours. Pour ma part, depuis que je suis retourné vivre à Montréal, en 2008, je ne me déplace plus qu’à vélo. Quand je résidais sur l’île d’Orléans, pendant vingt ans, j’ai chauffé notre maison au bois que je coupais en grande partie moi-même avec une scie ordinaire. Autre exemple : au lieu de prendre les escaliers mécaniques, je monte les marches à pied. Surtout, j’ai toujours cultivé

mon potager. Cela me permet de faire de l’exercice et de manger des légumes frais, non transformés et issus de milieux organiquement sains. C’est de ce constat « santé » qu’est née la simplicité volontaire. À vous lire, ce mouvement consisterait à passer de l’avoir à l’être… Il s’agit d’avoir du temps pour vivre en orientant sa consommation vers la réponse à ses besoins, et ce, de manière réfléchie. À partir du moment où l’on choisit soi-même, sans pression de la télévision ou sans l’influence de la mode, on laisse beaucoup de choses de côté que l’on

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construire un autre monde , pas à pas…

Je suis heureux et sobre

La joie de vivre

«

HOMMES

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JE SUIS HEUREUX ET SOBRE

Éclairé par les visions de Christophe André, Patrick Viveret, Cynthia Fleury, Serge Mongeau ou Serge Latouche et enrichi de fiches pratiques pour cultiver la simplicité, ce hors-série est une invitation à profiter de la vie… tout simplement !

HEUREUX TÉMOIGNAGES SUR L’ABONDANCE D’UNE VIE PLUS SOBRE

HORS-SÉRIE no 6

-AVEC MOINS-

979-10-93452-05-0

10 €

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LES ÉCLAIRAGES DE : CHRISTOPHE ANDRÉ, CYNTHIA FLEURY, SERGE MONGEAU, PATRICK VIVERET, SERGE LATOUCHE, GILLES FARCET...

` CEUX QUI CULTIVENT LE PEU LE BONHEUR APPARTIENT À

À chacun-e sa recette pour avancer vers sa sobriété heureuse, car il n’y a pas d’autoroute balisée vers la joie de vivre…

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DES FICHES PRATIQUES : SE NOURRIR, SE VÊTIR, SE LOGER, ETC.

Parce que dans ce monde qui a ses limites, le temps est venu de passer du rêve d’une croissance infinie à la joie de l’abondance partagée, l’abondance de la nature.

DVD INCLUS

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HORSSÉRIE

50 TÉMOIGNAGES

Nous avons tout à portée de main pour être heureux et nous courons… Mais après quoi ? Dans ce hors-série et son DVD, 50 sobres et heureux donnent à voir leur joie de vivre. En nous racontant leur histoire, elles et ils nous invitent à les accompagner sur la voie de la sobriété heureuse et à nous libérer du stress et de la peur, les deux avatars de la consommation et de la croissance.

Derrière ces témoignages, une invitation à ralentir, repenser son présent, et revoir ses modes de pensée. Et donc à vivre plus simplement.

É HEUREU

s, témoignage Derrière ces , repenser . ion à ralentir de pensée une invitat ses modes t, et revoir ent. s simplem son présen plu e vivr à Et donc

Pierre Rabhi

RACONTENT LEUR SOBRIÉTÉ HEUREUSE.

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construire un autre monde, pas à pas…

ES & 34 FEMM T RACONTEN

est une valeur suprême à laquelle nous aspirons tous. »

34 FEMMES & HOMMES

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Je suis heureux et sobre M 04150 - 6H - F: 15,00 E - RD


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