NUMÉRO 10 SEPT. - OCTOBRE 2013
LE MAGAZINE DES INITIATIVES POSITIVES
POUR CONSTRUIRE UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ
ivre racorni que celui du po Son grain, plus petit et d’huiles essentielles. indien, est un concentré laissent paraître tout de Là où d’autres poivres ci développe tout d’abord suite leur piquant, celui- de fraîcheur, avec une en bouche une sensationeur de mangue verte ou touche citronné, une od un petit côté acidulé. suite et reste longtemps en Le piquant vient par la bouche. est Madagascar d’Arcadie La filière poivre noir de itable qui rassemble 1092 Équ Bio s une filière certifiée . Un lien historique de plu urs producteurs de la côte Est cte du pro de es up gro ces de 10 ans relie Arcadie à ille Bio Équitable et le clou qui produisent aussi la van pour Arcadie. de girofle Bio Équitable e t les grappes de poivr à en olt réc Les producteurs rfois pa t en uss po i qu es à maturité sur des lian , puis les égrainent pour plusieurs mètres du sol t ensuite mis à séchés sur séparer les grains qui son des claies au soleil. el, opération de tri manu Après le séchage, une réalisée par les femmes longue et délicate, est tenaire à Madagascar. Puis employées par notre par stocké dans des entrepôts le poivre est mis en sac etson départ en container. propres et aérés jusqu’à
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NUMÉRO 10 8 - -MAI SEPT. - JUIN - OCTOBRE 2013 2013
DOSSIER POURQUOI A-T-ON BESOIN DES ARBRES ?
INTERVIEW
LE BON PLAN
L’ AGRICULTURE BIO
LUC JACQUET FRANCIS HALLÉ
LYON
MOINS PRODUCTIVE ?
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Editeur SARL EKO LIBRIS au capital de 59 000 €. 95, rue du Faubourg-Saint-Antoine 75011 Paris www.kaizen-magazine.com Magazine bimestriel numéro 10 Septembre - octobre 2013 Imprimé sur papier recyclé blanchi sans chlore Directeur de la publication Patrick Oudin Directeur de la rédaction Cyril Dion Rédacteur en chef Pascal Greboval Directeur Artistique Yvan Saint-Jours Secrétaire de rédaction Lucile Vannier Contact contact@kaizen-magazine.fr Abonnements abonnement@kaizen-magazine.fr Comptabilité et administration administration@kaizen-magazine.fr Rédaction redaction@kaizen-magazine.fr Couverture Lars Van de Goor Maquette et mise en page Schuller-Graphic SIREN : 539 732 990 APE : 5814Z Commission paritaire : 0317 k 92284 Numéro ISSN : 2258-4676 Dépôt légal à parution Impression Via Schuller-Graphic Corlet Roto (imprim’Vert) ZA Les Vallées 53300 Ambrières les vallées
Régie de Publicité et distribution dans magasins spécialisés AlterreNat Presse, Sandrine Novarino Tél. 05 63 94 15 50 Distribution Presstalis Aucun texte et illustration ne peuvent être reproduits sans autorisation du magazine. Merci.
NOUS AVONS BESOIN DES ARBRES
B
ien sûr, parce qu’ils contribuent à réguler notre climat. Parce qu’ils sont un élément essentiel et trop longtemps oublié de notre agriculture. Parce que le bois, bien géré, est sans doute l’une des ressources que nous allons redécouvrir pour construire nos maisons, nous chauffer, produire de l’énergie... Parce qu’ils sont beaux et que leur contact, depuis la nuit des temps, nourrit notre imaginaire, notre sensibilité. Parce qu’ils nous font du bien d’une façon étrange et quelque peu magique. Jim Harrison, grand écrivain américain, raconte dans son autobiographie En marge, qu’il part marcher dans les bois lorsque l’angoisse devient intolérable à l’intérieur de lui. Et qu’en quelques heures à peine, il a la sensation que les arbres ont absorbé le mal, l’ont dissous, l’ont guéri. Nous vous invitons en cette fin d’été à aller à la rencontre des arbres, nos totems et nos compagnons. Dans ce numéro dix, nous vous proposons aussi une toute nouvelle maquette. Nous avons voulu donner à votre magazine encore plus de caractère et d’esthétisme, considérant que la forme et le fond sont indissociables et que la beauté contribue à toucher autant, sinon plus, que les idées. Belle rentrée, Cyril Dion Directeur de la rédaction
ÉDITO
KAIZEN “Changer le monde pas à pas”
Kaizen késaco ? Kaizen est un mot japonais qui signifie littéralement “changement bon”. Mais c’est également une méthode : celle du changement par les petits pas. La perspective de changer brutalement, de passer du tout au tout, réveille nos peurs et attise nos résistances. Commencer par un petit pas, prendre courage, en faire un second puis toute une multitude, chaque jour, avec régularité, peut nous conduire aux plus grandes transformations. Cela s’est déjà vu dans l’histoire et c’est ce que nous espérons, à nouveau. | SEPT.SE EP PT P T.- OCTOBRE OC CTOBR CTOB RE E |
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SOMMAIRE
é ge
10 septembre-octobre 2013 03 Édito 05 Sommaire 06 Manifeste
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Portfolio
Voyage d’un carnet, Patrick Evesque
07 Ils sont Kaizen
61 Changeons l’éco L’écolonomie
66 Yes they can Faire du yoga et de la méditation pour éviter la prison
68 Créateurs
de Culture
08 Colibris reporters
Interview de Luc Jacquet
11 Le meilleur du web 12 Désenfumage
52 Portraits
L’agriculture bio moins productive ?
Deux enseignants
16 Si on le faisait
54 DIY
On éteint la lumière
L’argile
20 Ensemble on va plus loin
58 Infographie Coût de l’électricité
Faut qu’on sème tous !
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Dossier
Pourquoi a-t-on besoin des arbres ?
73 Le sourire d’Yvan Je suis smart
74 Le bon plan Lyon, les pentes de la Croix-Rtousse
78 Sauvage et délicieux La mûre
85 Les Rendez-vous Kaizen 90 Chronique de Pierre Rabhi | SEPT.- OCTOBRE |
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L
’humanité se trouve aujourd’hui face à un ultimatum, qui nous oblige à changer pour ne pas disparaître. La logique du progrès, qui aspirait à libérer l’être humain et à améliorer sa condition, est à l’évidence en train de l’incarcérer encore d’avantage. Dans un monde où l’indigence côtoie un superflu sans limite et où toute puissance est donnée à l’argent, les déflagrations sociales ne peuvent que s’amplifier et convulser l’ensemble de la société. L’ère de la technologie fondée sur les combustions énergétiques a relégué la nature, pourtant seule garante de notre survie, à un simple gisement de ressources à piller indéfiniment. Ce faisant, elle lui inflige des dommages considérables. Face à cet implacable constat nous aurions toutes les raisons de désespérer et pourtant, silencieusement, un nouveau monde est en marche. Tandis que la politique exerce une sorte d’acharnement thérapeutique sur un modèle obsolète, la société civile fait preuve d’un génie extraordinaire. Aux quatre coins du monde, des femmes et des hommes inventent une agriculture abondante, sans pétrole, fondée sur la diversité et l’interdépendance des espèces ; des modèles énergétiques utilisant les forces inépuisables de l’eau, du soleil et du vent ; des bâtiments ultra-économes, faits de matériaux sains et locaux, produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment ; des économies locales qui organisent une répartition équitable de nos richesses et encouragent l’autonomie du plus grand nombre ; des modèles industriels zéro déchet, utilisant les rebuts pour créer des produits nouveaux ; des lieux où chaque enfant peut s’épanouir et découvrir qui il est… Ces initiatives sont la preuve de vitalité de la vie qui veut vivre.
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C’est à ce monde que nous choisissons de donner la parole aujourd’hui, à ces personnes qui portent les (r) évolutions que nous attendons, à ces initiatives pionnières qui, par leur simplicité et leur bon sens, nous offrent de nouveaux horizons, de véritables raisons de croire en l’avenir. Pourtant, il ne s’agit pas de proposer ici un énième catalogue de solutions. Les initiatives, pour elles-mêmes, nous intéressent moins que l’esprit qui les porte. Car au-delà de remplacer les énergies fossiles par les renouvelables ou l’agriculture chimique par la bio, c’est à l’âme humaine que nous nous intéressons. Au sens que nous donnons à nos vies, à nos capacités d’empathie et d’émerveillement, à notre profond désir d’être libres. Plus que tout, nous croyons qu’il ne peut y avoir de réelle métamorphose de nos sociétés sans un profond changement de ceux qui la composent : chacune et chacun d’entre nous. Avec créativité, humour, légèreté et rigueur, nous nous engageons, au fil des pages de Kaizen, à inventer un nouveau rêve, et à le concrétiser en même temps. Plus que jamais nous avons soif d’inspiration et de reliance, pour construire dès à présent ce monde nouveau, dans lequel vivront demain nos enfants, leurs enfants et les enfants de leurs enfants… Le temps est venu de placer l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations et de nous appuyer sur la puissance de la modération pour un vivre ensemble apaisé et heureux. L’argent peut acheter beaucoup de choses, mais pas la joie à laquelle chacune et chacun d’entre nous aspire de tout son être.
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1 Pierre Rabhi Agriculteur, écrivain et penseur français d’origine algérienne, il défend un mode de société plus respectueux de l’homme et de la nature. Il soutient le développement de l’agroécologie à travers le monde pour contribuer à l’autonomisation, la sécurité et la salubrité alimentaire des populations. 2 Patrick Oudin Dirigeant d'entreprises, entrepreneur. Amoureux des grands espaces, de la nature et de la terre. Voyageur infatigable. Homme de conviction, depuis trois ans entièrement tourné vers l'économie sociale et solidaire, le développement durable et la transition en cours. Enthousiaste, vouloir donner du sens à cette nouvelle période de ma vie. 3 Cyril Dion Depuis que j’ai douze ans, je n’ai eu qu’une idée en tête : écrire. A dix-huit ans, je voulais créer la nouvelle revue “Les Temps Modernes” qui parlerait de notre temps, avec des penseurs, des artistes, qui nous aideraient à regarder le monde dans lequel nous vivons. Et écrire dedans. Aujourd’hui je fais beaucoup de choses passionnantes, parmi lesquelles : Kaizen ! 4 Yvan Saint-Jours Objecteur de conscience, journaliste, fondateur du magazine La Maison écologique, je suis investi dans Colibris depuis quelques années. Si les questions d’habitat et d’énergie sont ma passion, je m’intéresse fortement à la place de l’enfant dans notre société. J’aime me promener au grand air souvent humide en Normandie. 5 Pascal Greboval Né en Haute-Normandie, j’ai croisé Yvan en
Bretagne, qui m’a invité à rencontrer Cyril à Paris, qui venait de créer Colibris avec Pierre qui vit en Ardèche, qui travaillait déjà avec Françoise pourtant originaire du Gers comme Sandrine. Rencontrée en Mayenne, Lucile qui vit en BasseNormandie a rapidement rejoint le navire. Et depuis des gens de tous les horizons donnent leur force pour le faire avancer… C’est enrichissant de ramer avec tous ces êtres pour Kaizen. 6 Lucile Vannier Si vous saviez tout ce qui se passe dans les coulisses d'un texte… 7 Françoise Vernet Originaire du Gers, fille d’agriculteur, longtemps passionnée par le monde de l’entreprise, je mets désormais mon énergie au service de mes convictions chez Terre & Humanisme, Colibris et plus récemment Kaizen. Très mobilisée par la phrase gandhienne “Be the change you want to see”, je fais ma part quotidienne dans mon village et je m’intéresse particulièrement à la naturopathie : elle m’éclaire sur nos fonctionnements et nos interactions avec la nature.
pour mes kids, chiner de la vaisselle kitsch, boire des kirs berrichons avec mes amis (et le lendemain du kéfir), bref ma spécialité, c’est la kuisine ! Julie Graux A Bruxelles, le jardin d’enfants où j’ai passé mes trois premières années d’école s’appelait Le colibri... Après j’ai butiné, comme lui, partout. Me voilà illustratrice et paysanne-boulangère bio dans le Perche avec Erik et nos trois filles.
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Le Cil Vert Dessinateur de BD perdant inexorablement ses cheveux. Dans son panier : des strips dans les magazines Esprit Village, Macadam, des dessins pour le CCFD-Terre Solidaire, les presses d’Île de France, prochainement pour le CFSI... Et une BD écolo écrite avec Jean-Fred Cambianica : Braillane, on est tous des jambons.
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Christelle Gérand J’ai pour l’instant posé mes valises et mon dictaphone à New York, où j’ai trouvé le meilleur et le pire, pas grand-chose au milieu. Assez vite, j’ai aussi eu envie de parler du meilleur.
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8 Sandrine Novarino Fille de paysans, de formation agricole, passionnée de nature et de grands espaces, de lecture et de liberté… Je n’ai qu’un seul amour : Celui de la Terre ! Mon utopie, construire un monde meilleur où règnent beauté, harmonie et sagesse. Devant les causes défendues par Kaizen, Alterrenat Presse a rejoint le navire, avec un grand enthousiasme !
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Linda Louis Épikurienne dans l’âme, je vois toujours la vie en Kaizen : préparer des boulettes de kasha, des cuirs de kiwi, du ketchup
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Marie Laure Fauquet Après 12 ans de communication d’entreprise, j’ai bifurqué vers l’enseignement destiné aux enfants avec le désir de développer leur esprit critique, leur capacité à s’émerveiller, le respect de soi et de l’environnement. Musicienne, passionnée de photo, de montagnes et d’actualités scientifiques, je continue d’écrire (histoires, contes, articles …).
Sylvie Hampikian De formation scientifique (vétérinaire et pharmacologue), Sylvie Hampikian est passionnée par les plantes et actifs
naturels, et surtout par leurs usages au quotidien, pour la beauté, le bien-être, la santé. Carole Testa Quand mon goût pour le jardinage, la radio, la danse et les amis m'en laissent le temps, je refais dans mon métier de journaliste ce que je vis dans mes passions : j'écoute les gens, je cherche quelle flamme les anime et comment la diffuser. Mon moteur, c'est la joie de participer à un grand mouvement de solidarité et de conscience.
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Jérômine Derigny, photographe, et Aude Raux, rédactrice, sont membres du collectif Argos. Des sujets porteurs d’espoir, tel est l’axe documentaire de ces deux journalistes qui témoignent des difficultés de la vie en France et à l’étranger tout en mettant en avant des solutions. www.collectifargos.com
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Stéphane Perraud Journaliste pour La Maison Ecologique, l’Esprit Village, Les 4 Saisons du jardin bio et aujourd’hui Kaizen, je m’intéresse à l’agriculture, à l’habitat et aux transports. Ou comment se nourrir, se loger et se déplacer de façon écologique. J’aime les reportages à forte dimension humaine. A titre personnel, j’adore faire du vélo, jardiner, cuisiner et danser, danser, danser…
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Laure Gratias Journaliste, auteur de plusieurs essais chez Albin Michel et réalisatrice de films documentaires. Elle est spécialisée dans les sujets de société, notamment les questions environnementales.
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Pollution lumineuse
ON ÉTEINT LA
LA LUMIÈRE
!
TEXTE CAROLE TESTA DESSIN LE CIL VERT
Observer les étoiles, protéger la faune nocturne et la santé humaine, économiser l'énergie : éteignons les lumières et ouvrons l’œil sur la nuit...
S
i la nuit est poétique, c'est parce qu'elle est obscure. Si la nuit est vivante, bruissante d'insectes, de crapauds et d'étoiles, c'est parce qu'elle n'est pas polluée par des taches de lumière artificielle. En dix ans, le nombre de points lumineux (lampadaires, vitrines et monuments éclairés)
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a augmenté de 30% en France. Pourtant il existe encore quelques endroits protégés comme les causses du Quercy, surnommés par la revue Ciel et Espace le Triangle Noir du Quercy en 2002. « On évalue la pollution lumineuse en comptant les étoiles dans un secteur déterminé. L'été à Paris, on observe 15 étoiles à l'œil nu, contre 2000
dans notre triangle », estime Philippe Canceil, le président du club d'astronomie de Gigouzac, dans le Lot. Ce sont les astronomes qui ont lancé l'alerte les premiers, inquiets de voir de moins en moins d'étoiles dans un ciel de plus en plus luminescent. Depuis, de nombreux scientifiques se sont emparés de la question.
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ce qui perturbe la chaîne alimentaire globale. « Toutes ces modifications du comportement fragilisent les espèces et diminuent leurs chances de survie », s'inquiète Agathe. Cette pollution atteint bien sûr les insectes, très sensibles à la lumière : « Ils utilisent l'éclairage artificiel comme point de mire, comme ils le font pour se repérer avec la lune, explique Philippe Canceil, qui se passionne aussi pour l'entomologie. Mais quand ils se rapprochent du point lumineux, ils tournent en spirale pour garder un angle constant avec lui. Ainsi piégés, 150 à 200 papillons meurent chaque nuit d’été sous chaque lampadaire». C'est particulièrement grave pour les insectes qui ne vivent qu'une nuit et doivent se reproduire rapidement. Cette hécatombe a bien sûr un impact sur la pollinisation, déjà mise à mal le jour par l'extinction des abeilles. Forte de ces observations, l'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturne (ANPCEN) propose une charte pour la protection de l'environnement nocturne. Le Parc Naturel Régional des Causses du Quercy est devenu partenaire en l’adaptant à la spécificité locale : des communes très rurales aux faibles capacités d'investissement. On y donne
Question santé, les mammifères ont besoin du noir absolu la nuit
LA LUMIÈRE ARTIFICIELLE, UNE VRAIE POLLUTION
Les effets de la pollution lumineuse nocturne sont aussi flagrants sur la biodiversité. Agathe Khünel est chargée de mission Environnement au Parc Naturel Régional des Causses du Quercy. Elle explique que les chauvessouris sont extrêmement sensibles à la lumière, au point (pour certaines) de ne pas pouvoir s'approcher d'un point lumineux ni le survoler. La lumière perturbe la carte de migration des oiseaux nocturnes et oblige les batraciens à réduire leurs déplacements et leurs actes de reproduction pour ne pas être repérés par leurs prédateurs. Quant aux rapaces diurnes, ils profitent de la lumière artificielle pour chasser de nuit,
priorité à l'extinction des feux plutôt qu'à la rénovation des éclairages. Depuis 2010, sept communes du territoire ont signé la charte (bientôt neuf) et éteint les lampadaires entre minuit et 6 heures du matin (sauf une). Quatre communes ont rénové tout ou partie de leur éclairage.
ET LA SÉCURITÉ ?
À Limogne-en-Quercy, le maire Francis Mercadier et son adjoint Alex Morfoise ont inscrit ce projet dans une démarche environnementale globale mais peinent à convaincre les autres élus. Selon Henri Longdot, de l'ANPCEN, les élus locaux sont trop souvent réticents et craignent de heurter leurs électeurs. « Quand nous animons des réunions d'information, la question qui revient c'est : Et l'insécurité ? Or, les méfaits sont généralement commis entre 17h et 19h, expliquet-il, et lorsque les lampadaires sont éteints, les malfaiteurs n'agissent plus car ils seraient vite repérés par leur lampe de poche ». Ce que confirme Jacques Mione, premier adjoint au maire de Ballancourt (Essonne) où les lampadaires sont éteints de minuit à 5h depuis avril 2012 : « Lors de notre réunion publique en octobre dernier, le colonel de gendarmerie a indiqué que les vols et cambriolages avaient stagné, voire un peu baissé, depuis l'extinction, et aucune agression dans la rue n'a été signalée. De plus, les nuisances •
Aucune agression dans la rue n'a été signalée
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ET SI ON LE FAISAIT ?
Question santé, les mammifères ont besoin du noir absolu la nuit pour fabriquer la mélatonine, une hormone produite dans le cerveau, qui agit comme un antioxydant, stimule nos défenses immunitaires et régule notre cycle de sommeil. « C'est notre hormone anticancer, plaide Henri Longdot, délégué de l'ANPCEN (association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturne). Deux agences de l'Institut américain de la Santé ont publié en 2005 une étude montrant que les femmes qui travaillent la nuit ont un taux de cancer du sein plus élevé.
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FAUT QU'ON SÈME Objectif de l’opération « Un autre pain est possible » : sensibiliser les citadins aux enjeux de l’agriculture urbaine, à la sauvegarde des semences paysannes et au plaisir de faire ensemble. TEXTE AUDE RAUX PHOTOS JÉRÔMINE DERIGNY
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ENSEMBLE ON VA PLUS LOIN
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rédéric Géral sème le blé et récolte… le plaisir du pain partagé. Coordinateur de l’association « Le sens de l’humus », basée à Montreuil (93), il est l’initiateur de l’opération « Un autre pain est possible ». A l’hiver 2011-2012, Fred propose à des jardiniers citadins de participer à son projet. Plusieurs étapes au programme : semer, moissonner, battre, vanner et moudre du blé. Enfin, mettre la main à la pâte pour façonner un pain 100 % urbain ! Au mois de mars, environ 25 kilos d'un blé issu de semences anciennes sont semés dans une vingtaine de jardins partagés et dans quelques jardins privés, situés à Montreuil, Bagnolet (93) ainsi que dans le nord-est de Paris. Soit, au total, un « champ » de 250 m2. On est loin des hectares cultivés à perte de vue dans la Beauce, mais aux yeux de Fred, « ce qui compte, c’est la forte valeur symbolique du pain ». Lors d’une journée ensoleillée au printemps se tient la ronde du blé : les participants visitent les parcelles dorées par les épis. La moisson a lieu en août, puis le blé est stocké jusqu’au battage et au vannage organisés lors de l’événement citoyen « La voie est libre » sur un tronçon de l’A186, fermée pour l’occasion à la circulation.
sauvegarder la biodiversité cultivée
LE PAIN, UNE FORTE VALEUR SYMBOLIQUE Le 20 octobre 2012, direction le Vexin, à une heure de route de Paris, chez un polyculteur et éleveur bio qui possède un moulin en pierre. Olivier Ranke observe le blé apporté dans un sac par les céréaliers en herbe. Verdict : le vannage n’a pas été assez précis. Une fois le bon grain et l’ivraie triés d’une main •
Le blé, issu de semences paysannes, pousse au pied des immeubles ou sur les toits, dans une vingtaine de jardins partagés | SEPT.- OCTOBRE |
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Dossier
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POURQUOI A-T-ON
besoin des
ARBRES
La forêt offre de jolis paysages et de belles balades. Mais son rôle va bien au delà. Source de biodiversité, elle participe à la régulation du climat. Indispensable à la vie sur terre, elle se retrouve sous la menace d’une exploitation industrielle à grande échelle totalement dévastatrice. Pourquoi a-t-on besoin des arbres ? Comment l’homme peut-il les protéger et se protéger lui-même ? Des scientifiques, des propriétaires forestiers et des sylviculteurs qui pratiquent une gestion alternative de la forêt livrent leur point de vue et nous invitent à agir pour sauvegarder ce patrimoine naturel. Aux arbres citoyens !
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DOSSIER RÉALISÉ PAR STÉPHANE PERRAUD
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DOSSIER
L’HOMME NE POURRAIT PAS VIVRE SANS arbres RENCONTRE AVEC FRANCIE HALLÉ
Botaniste, spécialiste des forêts primaires, Francis Hallé s’est fait connaître par ses expéditions sur le Radeau des cimes à bord duquel il a pu explorer la canopée des forêts tropicales. Auteur de nombreux ouvrages sur l’arbre, il vient de tourner avec Luc Jacquet le documentaire Il était une forêt. Pour Kaizen, il revient sur le rôle essentiel que jouent les arbres à l’échelle de la planète. STÉPHANE PERRAUD : DANS QUEL ÉTAT SE TROUVENT LES FORÊTS PRIMAIRES AUJOURD’HUI ? Francis Hallé : Il n’y en a quasiment plus ! Les forêts sont dites primaires quand elles n’ont jamais subi la moindre destruction humaine. Il y a quarante ans on en trouvait encore beaucoup à la surface du globe. Aujourd’hui, il n’en subsiste que des lambeaux, dans la boucle du fleuve Congo, en Australie, dans le Grand Nord canadien, en Sibérie… Seuls le climat très difficile ou l’absence totale d’accès les protègent encore de la folie destructrice des hommes. En Amazonie, c’est trop tard. On rase les arbres pour les remplacer par du soja transgénique et de l’élevage.
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STÉPHANE : POURQUOI EST-CE SI INQUIÉTANT ?
STÉPHANE : QUE PENSEZ-VOUS DE LA FORÊT FRANÇAISE ?
Francis : La forêt joue un rôle déterminant pour la survie de l’humanité. Les arbres purifient l’atmosphère en absorbant du gaz carbonique et en rejetant de l’oxygène1. Couper un arbre revient à détruire une usine d’épuration naturelle. Les arbres attirent la pluie. Leur feuillage et leur système racinaire filtrent l’eau. Ils jouent également un rôle de stabilisateurs pour les sols. Et bien sûr, ils abritent une flore et une faune exceptionnelles. Ce sont nos alliés, nos protecteurs. La disparition des forêts primaires n’est pas irréversible, mais pour passer d’une forêt secondaire (qui a repoussé après exploitation) à une forêt primaire, il faudrait la laisser tranquille pendant sept siècles !
Francis : Elle est encore en relativement bon état. Mais elle ne joue pas du tout le même rôle que la forêt tropicale qui fonctionne douze mois sur douze et qui concentre un maximum de biodiversité. En France, nous avons une forêt jardinée. Globalement, les gens qui s’en occupent sont compétents. Même si je constate que l’ONF (Office national des forêts) qui gère la forêt publique a désormais pour ambition de faire de l’argent, comme dans le privé. Beaucoup d’agents de l’ONF ont une sensibilité écologique, mais la politique nationale leur impose d’exploiter la forêt avec une vision plus mercantile qu’avant.
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A L E D s e h c û b N I A DES M N À LA
MAI
Tisser un lien direct entre propriétaires forestiers, sylviculteurs et consommateurs, voilà l’objectif d’une AMAP bois bûche. Reportage dans la Drôme.
O
n sait le rôle précieux que jouent les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) dans le soutien à une agriculture de proximité. Un groupe de consommateurs signe un contrat avec un producteur. Chacun achète une part de la future récolte en début de saison et reçoit ensuite un panier de légumes hebdomadaire. Le travail du producteur est payé au prix juste et les amapiens ont accès à des produits locaux de qualité. Pourquoi ne pas procéder de même avec le bois ? C’est le pari lancé par Pascale Laussel, qui a créé l’association Dryade1 en 2011 dans la Drôme. A l’origine, un constat : « La forêt occupe la moitié de la vallée de la Drôme. Pourtant 80 % du bois bûche est acheté dans d’autres régions. Nous n’avons aucune autonomie énergétique alors que nous possédons la ressource, explique-t-elle. Pour la reconquérir et surtout redynamiser la filière bois locale, il faut impliquer le citoyen et ne pas laisser la forêt aux seuls forestiers. » Car aujourd’hui dans ce département, des parcelles sont encore coupées à blanc pour vendre du bois à l’extérieur qui finit soit en combustible, soit en pâte à papier. Il devient nécessaire de repenser toute la gestion de la forêt. Dryade cherche à réunir des micro-propriétaires qui pour
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reportage photo Eleonore de Frahan / collectif argos
l’instant ne s’occupent pas de leurs parcelles ou laissent le champ libre à des industriels peu scrupuleux. L’association prône les coupes sélectives permettant de conserver les arbres d’avenir et donnant à terme du « gros bois » pour la construction. Pour le chauffage, il faut se limiter aux bois d’éclaircie ou issus d’arbres en mauvaise santé.
BOIS BIO
Deux AMAP bois bûche ont vu le jour, à Crest et à Die. Elles impliquent au total 200 personnes, propriétaires forestiers, sylviculteurs et consommateurs. « Sur le plan financier, chacun accepte de faire des efforts pour que le système devienne pérenne. Le propriétaire vend son bois moins cher, mais en échange sa parcelle est valorisée grâce à la gestion douce. Les amapiens en revanche le payent plus cher, mais la différence permet de rémunérer des sylviculteurs respectueux de la forêt. Quand le stère s’élève à 30 euros en coupe rase, il vaudra 50 euros chez nous. Malgré tout, il trouve facilement preneur. Ceux qui se chauffent avec un poêle sont prêts à mettre le prix s’ils ont l’assurance de recevoir au début de l’hiver un bois de qualité. Lors de la première coupe, les consommateurs se sont impliqués. Ils ont sorti le bois
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AU CHAMP L’agroforesterie consiste à associer sur une même surface des arbres et une production agricole. Un système mixte qui donne de très bons résultats, en rupture avec l’agriculture productiviste.
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our créer une parcelle agroforestière, deux solutions : éclaircir une surface boisée pour y installer des légumes ou des céréales, ou planter des arbres sur une surface déjà cultivée. Cette seconde option est la plus répandue sous nos latitudes, mais dans les deux cas, ça marche ! D’après Christian Dupraz, chercheur à l’INRA, la productivité globale d’une parcelle de deux hectares en agroforesterie est supérieure d’au moins 30 % à celle d’un hectare de forêt additionnée à celle d’un hectare de cultures. A la production agricole annuelle s’ajoute la production différée de bois. Et quand on sait que l’association des deux donne à la fois de plus beaux légumes et des arbres plus vigoureux, le résultat est forcément positif. C’est aussi une autre façon d’envisager l’agriculture, en protégeant la biodiversité, les sols et les nappes phréatiques.
COUVERT VÉGÉTAL
Voilà trois ans que Virginie et Denis Florès, maraîchers bio dans le Gard, 36
ont opté pour cette technique associée. Leurs légumes s’épanouissent sous des noyers plantés en carré tous les dix mètres. Radis, oignons, tomates, courgettes, aubergines, poivrons, salades, céleri, mais aussi fraises et aromatiques bénéficient ainsi d’un toit végétal. Les rangs sont orientés sur un axe nord-sud : ils sont ainsi exposés au soleil du matin et du soir et restent à l’ombre aux heures chaudes. « Les racines des arbres enrichissent la terre, qui grouille de vers. Ceux-ci aèrent et travaillent le sol en douceur. On en a compté 200 au m2 sur notre ligne d’arbres, 150 dans nos cultures et trois seulement chez notre voisin qui travaille en conventionnel sur une terre nue, témoigne Denis. Les arbres favorisent la biodiversité. Les coccinelles mangent les pucerons. Comme tous les auxiliaires, elles sont venues spontanément », poursuit-il. Les oiseaux n’ont pas tardé à repérer le lieu qui leur fournit le gîte et le couvert. En été, les arbres apportent un vrai confort pour travailler ; en hiver, ils protègent du vent et du froid. Côté culture,
les résultats sont très probants : l’été dernier, les tomates pesaient 800 grammes sans autre arrosage que les pluies, grâce aux arbres qui conservent l’humidité dans le sol et la font remonter. Cet automne, Denis laissera les feuilles tomber et se dégrader sur ses cultures, elles formeront un compost naturel et un couvert antigel. Pour boucler la boucle, il ajoutera un broyat fait des branches issues de la taille.
SAVOIR-FAIRE ANCESTRAL
Ce couple de maraîchers fait partie des 50 000 agriculteurs français qui associent arbres et cultures, comme autrefois. « Les arbres ont disparu des champs français il y a un demi-siècle seulement. Les agriculteurs les ont coupés pour faire de la place, artificialisant le sol à grands renforts d’engrais et de pesticides, avec les résultats que l’on sait en termes de pollution de l’eau, d’appauvrissement de la terre et d’érosion des sols », explique Daniele Ori, de la société coopérative spécialisée Agroof. Curieuse décision quand
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PORTFOLIO
VOYAGE
D’UN CARNET Le carnet de voyage est le lieu de mille histoires, celui où l’on dépose ses valises de souvenirs. Delphine et Patrick Evesque nous invitent à découvrir la fabrication de carnets népalais, remplis de sagesse dès leur conception. | SEPT.- OCTOBRE |
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CHANGEONS L'ÉCO
L
OU COMMENT PRODUIRE PLUS
PROPRE ET MOINS CHER TEXTE ET PHOTOS LAURE GRATIAS
Une entreprise peut-elle concilier respect de l’environnement et rationalisation des dépenses ? Petite démonstration chez Pocheco, leader français de l’enveloppe professionnelle.
S
’il existe des néologismes obscurs, celui-ci a le mérite d’être parlant : l’écolonomie, c’est le mariage de l’écologie et des économies, l’art de dépenser moins en adoptant des comportements plus verts. Un concept qui va à l’encontre des idées préconçues puisqu’on considère généralement que ce qui est écologique coûte nécessairement plus cher. Le créateur du terme « écolonomie », c’est Emmanuel Druon, président de Pocheco. « Je le dis haut et fort, clamet-il à qui veut l’entendre : il est plus économique de produire de manière écologique. Ce qui coûte cher, ce n’est pas l’écologie. C’est l’impensé. Le vite fait. Les petites économies de bout de chandelle sans recul, sans réflexion, sans courage, sans inventivité. » De fait, le pilier de l’écolonomie, c’est la cohérence. Plus la démarche est globale, plus les gains de productivité seront au rendez-vous. Chez Pocheco le défi était de taille, l’activité de l’entreprise est particulièrement gourmande en matières premières. En effet, pour produire 2 milliards d’enveloppes, l’usine de Forest-sur-Marque, dans le Nord, utilise chaque année 10 500 tonnes de papier. « Pour moi il était inacceptable
de tuer un arbre à chaque fois que nous fabriquions deux cent mille enveloppes », explique son président. D’autant que s’il faut un arbre pour deux cent mille enveloppes, il en faut cent mille pour assurer la production annuelle de Pocheco. Un calcul qui fait froid dans le dos. Emmanuel Druon cherche alors une solution. Ses investigations finissent par l’emmener en Finlande où il découvre un fabriquant de papier particulièrement soucieux de son impact écologique. Pour chaque arbre abattu, il en replante trois, choisis parmi des espèces variées et locales, afin de contribuer au développement de la biodiversité sur le site. Les engins qui coupent les arbres sont alimentés par du biocarburant produit à partir de matériaux organiques, notamment des débris de bois. De plus, ces machines ont été spécialement conçues avec des pattes pour ne pas écraser les jeunes pousses. En s’approvisionnant chez ce papetier depuis dix ans, Pocheco a contribué à la plantation de plus de deux millions d’arbres. Voilà qui entre en résonance avec les idées d’Emmanuel Druon. Ses convictions écologiques sont profondes et il n’entend pas les laisser à la porte de l’usine quand il y arrive •
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DU CÔTÉ DES s a l a r i é s Avant de devenir régleur chez Pocheco il y a un an et demi, Mehdi Zehr n’était pas particulièrement sensibilisé à l’environnement. « Comme j’ai pris l’habitude de faire attention sur mon lieu de travail, je me mets à changer mon comportement chez moi. Je trie mes déchets, je ne jette plus les papiers n’importe où... je n’y pense même pas, ça vient tout seul... ». Pour lui, l’usine est radicalement différente des autres lieux où il a travaillé. « Ici, conclut-il, c’est beaucoup plus agréable, c’est propre, il y a de la lumière, des plantes, c’est vivant. Je n’arriverais plus à travailler dans une usine classique. »
le matin. Au contraire, l’entreprise est pour lui un lieu des possibles, un théâtre idéal pour contribuer, à son échelle, à changer le monde. « Je ne vois pas d’autre moyen que de micro-agir, explique-t-il. Je ne peux pas régler les problèmes de la terre entière, mais en tant qu’entrepreneur, dans mon secteur, avec cent vingt personnes, je peux agir. »
PLUS PROPRE ET PLUS AUTONOME Chez Pocheco tout est donc repensé pour plus de cohérence. Les encres d’impression, par exemple, contiennent traditionnellement des produits toxiques. Ici, on utilise celles qui comportent moins de 2 % de COV (composés organiques volatils) alors que la loi préconise seulement d’être en dessous de 5 %. Leurs pigments sont naturels et les teintes fabriquées sur place, en fonction des besoins, pour éviter tout gaspillage. Les colles sont produites à base d’eau et ne contiennent aucun COV. Un bon point pour l’environnement, mais également pour la santé des salariés qui manipulent ces produits à longueur de journée. Ici on s’efforce de réduire au maximum les dépenses d’énergie de l’usine. Première étape : récupération et chasse au gaspi. La chaleur produite par les pompes à vide est réutilisée pour chauffer l’atelier. L’isolation des bâtiments a été refaite, du sol au plafond. L’une des grandes fiertés d’Emmanuel Druon, c’est la toiture végétalisée qui recouvre aujourd’hui toute l’usine. Elle est non seulement belle mais utile puisqu’elle permet de réguler naturellement la température du bâtiment. Il y a ajouté un récupérateur d’eau de pluie, 600 m2 de panneaux solaires générant de l’électricité, 62
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POUR
ÉVITER LA
A New York et en Califo Californie, ornie, des mineurs déclarés coupables de crimes bénéficient d’un programme unique. Le juge peut les condamner… à prendre part à des sessions de méditation. Reportage. TEXTE ET PHOTOS CHRISTELLE GERAND
« Retirez votre casquette c et vos écouteurs et remontez votre pantalon », indique le panneau à l’entrée de Fortune, un centre d’aide à la réinsertion. Situé sous un entrelacs de routes aériennes et de rames de métro du Queens, ce centre a mis en place en programme novateur, Lineage. L’idée est simple : apprendre à des mineurs déclarés coupables de crimes à gérer leur stress et maîtriser leur colère. Les juges new-yorkais envoient 1400 jeunes par an s’initier aux techniques de relaxation au lieu de les condamner à croupir derrière les barreaux. Seuls seront sélectionnés ceux dont ils pensent que cette initiative leur sera profitable. La sentence a été prononcée, les ados connaissent le nombre d’années qu’ils auraient à passer en prison s’ils ne respectaient pas toutes les composantes du programme de la seconde chance. Aussi tous sont-ils volontaires pour accepter cette option… « Je ne sais pas ce qu’ils ont fait, déclare Jade, l’une des professeurs de yoga. Je ne me permettrais pas de demander et je ne le croirais certainement pas. C’est du passé. » A., [la loi américaine n’autorise à divulguer ni le nom ni le visage des jeunes, ndlr] un Latino timide, confirme : « Je m’énerve moins vite qu’avant. Une fois dans le métro quelqu’un m’a poussé : j’ai inspiré, expiré, puis l’énervement était passé. J’ai appris à réfléchir avant d’agir ». Une capacité qui, gagent les juges, les tiendra à l’écart du système judiciaire à l’avenir. Lorsqu’ils arrivent dans les locaux, beaucoup ne tiennent pas en place, tapotent frénétiquement sur leur smartphone et agitent compulsivement les genoux. Si tous sont - ou du moins étaient - des caïds
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YES WE CAN des quartiers les plus difficiles de New York, ils ont aussi cette allure propre aux ados. Dos voûté, regard fuyant. Après une heure de yoga, ils sont visiblement plus calmes.
ÉCOUTER. PRENDRE CONSCIENCE. PROPOSER. Le bol chantant annonce le début de la session de méditation de Pleine conscience (mindfulness). Thème du jour : le stress. « Où le ressentez-vous ? » En cercle, ils prennent la parole un à un, globalement attentifs. Les joues, le torse, le dos. Chacun y va de son témoignage. « C’est génial que vous soyez déjà conscients de ça ! » ponctue la prof, toujours encourageante. « Et que faites-vous pour aller mieux ? » Réponse unanime : « Fumer un joint ». La prof Chia-Ti s’en amuse : « Effectivement, c’est efficace, mais vous verrez qu’on peut arriver quasiment aux mêmes sensations en exerçant son souffle. » Toute la philosophie des sessions est là : écouter. Prendre conscience. Proposer. Ne jamais juger. V., 19 ans, a appris beaucoup : « Les gens nomment les choses différemment, réagissent différemment. Avant, je ne faisais pas attention à ce que les autres disaient », résume t-il.
des analyses chaque semaine) ou encore ne pas sortir après 21 heures. Outre le yoga, ils suivent des cours de nutrition et d’aide à la recherche d’emploi. Il faut à A. trois heures de transport pour se rendre à Fortune chaque jour. Parallèlement à cette astreinte, il reprend ses études - il aimerait se lancer dans le business. Pour les financer en partie, il travaille également en tant que serveur. « Tout ça n’est pas si terrible », relativise-t-il lorsqu’on le questionne sur son emploi du temps chargé.
LA POSITION DU CADAVRE Avant de l’expérimenter, tous ces jeunes voyaient dans le yoga « un truc de meuf ». Un hobby certainement plus approprié aux riches des quartiers aisés qu’à eux. De fait leurs sessions n’ont pas grand-chose à voir avec les cours branchés de Manhattan : ils tiennent les poses dans leurs habits de ville - jean taille très basse ou survêt, sweat à capuche et ponctuent chaque exercice d’un « Oh my God » ou « ça tire ! ». Ici il n’y a pas de musique, ils ont déjà bien assez de mal à se concentrer. Le śavāsana, littéralement position du cadavre, allongé sur le sol les yeux fermés, semble la plus difficile pour eux. Beaucoup ne peuvent s’empêcher de lancer des coups d’œil furtifs alentour ou de parler, quand d’autres s’endorment.
Toute la philosophie des sessions est là : Ne jamais juger
Le programme de réinsertion soumet les jeunes à d’autres obligations : voir leur conseiller chaque jour et le juge a chaque mois, ne pas boire une goutte d’alcool ni consommer de drogue (ils sont soumis à
Carla Barrett, professeur de sociologie au département Justice pénale de la NYU, étudie l’impact du programme sur ces
jeunes. « Au fil des sessions, leur définition de mindful (être conscient) évolue. Initialement, ils parlent de savoir qui est derrière soi, être sur ses gardes. Puis ils élargissent à être attentif à son état émotionnel ». Si son étude n’en est qu’à ses débuts, elle a déjà pu constater les bienfaits de Lineage, qui apprend à « gérer un niveau de stress assez inimaginable : la majeure partie d’entre eux sont épuisés, ont des soucis familiaux, certains sont sans-abri, presque tous doivent composer avec des difficultés financières, des problèmes de dépendance à la drogue, de dépression à des niveaux variables. Leurs quartiers sont des endroits stressants où ils se font régulièrement fouiller par les policiers, et sont toujours susceptibles d’y croiser quelqu’un qui pense (ou qui sait) qu’ils sont membres d’un gang », poursuit t-elle. Carla Barrett note que seule une minorité des jeunes manquent au règlement ; à moins d’une exceptionnelle troisième chance, ceux-là seront envoyés en prison. Ce jour là, S. vient dire bonjour à la fin du cours. Il y a six mois il découvrait le yoga grâce à Lineage. Une fois, il y a remplacé la prof. « J’ai aimé, et les gens ont aimé aussi », explique t-il sobrement. Il sort d’un entretien d’embauche. En veste de costume, la voix grave, assurée, personne ne croirait qu’il faisait partie du programme il y a si peu. Dorénavant, il suit les stages de formation des professeurs de Fortune. Il est encore en mise à l'épreuve mais d’ici quelques mois, il devrait pouvoir aider d’autres jeunes à s’en sortir.
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LYON
les pentes de la Croix Rousse TEXTE ET PHOTOS PASCAL GREBOVAL
Heureux les habitants des pentes qui peuvent se rendre partout à pied ! Tout est bas de chez eux. Alors touristes ou Lyonnais des autres arrondissements, venez découvrir ce quartier riche en diversité. BIEN CHAUSSER, BIEN SAPER
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ans un coin propice à la marche, mieux vaut bien se chausser. Justement, en bas des pentes, vous tomberez sur Exshoes. Candice n'avait « plus envie de travailler, mais de se faire plaisir », de prendre son pied dans son métier. Pour atteindre son but, elle a choisi depuis 2007 de distribuer des chaussures fabriquées essentiellement avec des matériaux écologiques. Vous trouverez des marques telles que Natura Vista, Loints, Snipe, Bobux. Enfin les végans, trouveront sûrement chaussures à leurs pieds, …. sans cuir.
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Dans ce quartier de créateurs, chic peut rimer avec éthique. Laspid propose ainsi de beaux et bios vêtements pour femmes, hommes et bébés. Seb et Baj, deux amis d'enfance habitués à concevoir des teeshirts lors des événements festifs de leur jeunesse, en sont les sympathiques créateurs. En 2006, traversant une période de chômage, ils décident de transformer leur hobby en métier. Sensibles à l’écologie et au commerce équitable, ils trouvent en Ideo (marque qui n’existe plus actuellement, ndlr) un partenaire bienveillant pour lancer leur première collection. Suivant le rythme Kaizen, où l'on avance pas à pas, ils commencent par fabriquer 50 modèles qu’ils vendent exclusivement par internet. La qualité des tee-shirts et les visuels originaux leur a apporté le succès : « Nous
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LE BON PLAN
avons dépassé le seuil de pauvreté et espérons atteindre le smic cette année » admet Baj dans un large sourire. Pour autant ils maintiennent leur une petite collection (100 pièces maximum). A 50 mètres, c’est Kult & co. A l'origine du magasin, Annette et Nadège décident en 2009 de promouvoir les créateurs inscrits dans une démarche écologique et solidaire et organisent un festival autour de la mode éthique. L’évènement trouvant son public, elles se lancent en 2011 dans la création d’une entreprise inspirée de ce mouvement : le but sera de proposer un lieu de vente à des créateurs engagés dans une voie éthique. Entre marques permanentes et éphémères, un vaste choix s’offre ici à vous. Une fois par mois Kult & co organise des soirées troc, où les clientes (ce sont majoritairement des femmes) peuvent à loisir s’échanger les vêtements qu’elles ne portent plus. Et si la mode vous tente, Annette et Nadège proposent également des ateliers de couture hebdomadaires (25 € la séance). Pour parfaire votre look filez chez Rootsabaga. Toute petite, Mathilde « bricolait déjà les choses de la nature ». Plus tard, après le temps de réflexion d’un long voyage en Afrique de l’Ouest, elle décide de retourner à ses premières passions. Avec la fabrication de bijoux en pommes de pin, elle a désormais lancé un concept : « récupérer les belles choses de la nature pour en faire des bijoux, sans les dénaturer ». Proposant une gamme de bijoux 100 % naturels et très colorés, cette jeune créatrice ouvre de nouvelles possibilités aux femmes soucieuses de l’environnement autant que des belles choses. Vous voilà maintenant beaux et belles, prêts à déambuler dans les célèbres traboules. Mais à force de monter et descendre les escaliers du quartier l’envie vous viendra de vous reposer. Voici quelques adresses où il fait bon s’asseoir…
Laspid
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Cuisine SAUVAGE &DÉLICIEUX !
La mûre C’est le premier fruit d’automne que l’on aime picorer dans les haies. Durant tout l’été, le soleil aura permis de le gorger de sucre et d’arômes boisés ! TEXTE ET PHOTOS LINDA LOUIS
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Les ronces ne forment pas qu’un rempart visuel dans les campagnes et les forêts, ce sont de vraies haies défensives, parfois impénétrables. Elles sauvent bien souvent la mise aux mammifères comme les sangliers, les renards, les blaireaux et les lièvres lorsqu’ils se sentent acculés par l’homme, notamment en période de chasse. Les oiseaux s’y cachent aussi pour se protéger, faire leur nid, se nourrir ou conserver leurs proies, comme la pie grièche écorcheur qui empale ses trophées sur les aiguillons crochus. Les ronces représentent et font partie d’un véritable petit écosystème, riche en biodiversité, qu’il conviendrait de laisser s’installer dans son jardin (taillez le massif épineux en hiver). Sur le plan botanique, la mûre n’est pas une baie mais une polydrupe, comme la framboise, qui fait d’ailleurs partie de la même famille botanique, les rubus. Toutes deux sont composées d’un agglomérat de drupéoles (petites billes gorgées de jus sucré et contenant une graine), accroché à un pédoncule. Une différence toutefois permet de les distinguer (car il existe des variétés de framboises noires) : la mûre n’est pas creuse, contrairement à la framboise dans laquelle on peut glisser le petit doigt ! La reconnaissance des rubus est tellement complexe qu’une discipline de classification spécifique a vu le jour, la batologie.
IDENTIFICATION DE RubusFruticosus L. (ROSACÉES)
RECETTES
F
in d’été. On voit sur les chemins de campagne ou en lisière des bois, des cueilleurs, paniers aux bras. C’est la saison de la mûre et souvent, la famille complète est au rendezvous pour glaner ce petit fruit sauvage reconnaissable à tous les coups. Bien entendu, il faudra y laisser quelques brins de peau, à cause des aiguillons acérés placés tout le long des grandes tiges arquées !
• Sous-arbrisseau moyennement touffu, de 1 à 3 m de haut, composé de grandes tiges ourlées d’aiguillons crochus, arquées et se marcottant dans le sol. • Feuilles moyennes, coriaces, ovales et pointues, dentées sur les bords, épineuses sur la nervure intérieure, vert foncé. • Fleurs assez petites, blanches à rosées, composées de 5 pétales. • Fruits composés de drupéoles noires et brillantes, de 1 à 2 cm de long, juteux, sucrés et moyennement acides • Récolte des jeunes feuilles en mai/juin, des fruits d’août à octobre. Confusion possible avec le fruit du mûrier noir (Morus nigra), arbre originaire d’Asie occidentale, implanté dans les jardins ou naturalisé dans les régions du Sud de la France.
La couleur noire de la mûre est due à la présence d’anthocyanes, puissants antioxydants pigmentés permettant de lutter contre le vieillissement cellulaire (on les retrouve également dans la myrtille, le cassis ou tout autre fruit sombre, bleuté et/ou rouge). Elle regorge d’une multitude de bienfaits thérapeutiques, se cuisine à toutes les sauces et fait partie de nos meilleurs fruits sauvages. Bref, avec elle, le début de l’automne nous semble tellement plus doux…
VERTUS ET USAGES THÉRAPEUTIQUES Riche en vitamines (A, B, C et E) et en oligo-éléments (phosphore, magnésium, potassium, fer, manganèse), la mûre est un ingrédient de premier choix pour les personnes convalescentes, âgées ou les étudiants (de quoi bien attaquer la rentrée). Elle est connue pour ses vertus astringentes, toniques et antiseptiques, mais aussi pour son action sur le transit. • Constipation passagère : cure de mûres fraiches, à volonté. • Piqûres d’insecte ou d’ortie : quelques feuilles froissées et frottées à l’endroit de la piqûre, pour calmer les démangeaisons. • Digestion : 1 c. à c. de feuilles sèches (cueillies jeunes, avant la floraison) diluée dans 200 ml d’eau bouillante. • Infection urinaires : tisane, 4 à 5 fois par jour.
• Infections buccales, maux de gorge et toux : décoction de feuilles (100 g de feuilles fraîches pour 1 litre, laisser bouillir pendant 10 minutes puis filtrer), en gargarisme, 3 fois par jour.
EN CUISINE Bien entendu, on aime avant tout la mûre fraîche, tout juste cueillie ! En cuisine, tout lui va. Elle excelle dans les tartes, les gâteaux, les crêpes (mélangez-les à la pâte) ou une simple compote de pommes. Pour la conserver, préparez-la en confiture, en pâte de fruit, en chutney, en sirop, en crème alcoolisée, en sorbet… Elle se congèle également très bien : posée en couche sur un plateau, puis une fois surgelée, mélangée en vrac dans un sac ; en bouteille, après avoir extrait son jus à l’extracteur.
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olter et cuisiner les cadeaux de la l nature | SEPT.- OCTOBRE |
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La Chronique de Pierre Rabhi
LE VIRTUEL
MANQUE DE
O
naturel
ù que l’on aille aujourd’hui, on constate la prolifération des écrans. Le citoyen moderne ne peut plus se déplacer nulle part sans un appareil où se concentrent une multitude d’informations, une sorte de mémoire encyclopédique permanente à laquelle il peut recourir à tout moment. Ainsi, la notion de temps et d’espace déjà bien modifiée
durée de vie, très éphémère à l’échelle des millénaires, exigeait qu’on la rentabilise par l’accélération. C’est peutêtre ce qui fait de la hâte comme système d’existence le moyen d’accéder à tout avant que le rideau ne tombe pour chacune et chacun d’entre nous. Il y a quelques jours, j’ai pris le TGV pour me rendre à Paris. L’ambiance du compartiment complet ce jour-là ressemblait à
par la vitesse des transports se retrouvet-elle d’autant plus perturbée par l’instantanéité des ondes. Si l’on est un peu affranchi de l’effet soporifique de toutes ces magies, on est en droit de se demander si les outils destinés à nous libérer ne sont pas en train de nous asservir. Les personnes devenues « addicts » pourraient réagir avec indignation face à ces considérations, mais je reste seulement dans le questionnement. Personne ne peut nier que le temps-argent est à la source de la frénésie universelle dont est affectée la planète, comme si notre
celle d’une chapelle : une grande partie des passagers était en prière devant le dieu écran. Mon jeune voisin de siège portait des écouteurs et tripotait son portable de ses doigts agiles, j’osais à peine le déranger pour me lever. Nous étions dans l’apothéose de la communication, mais moi j’aurais aimé cette relation simple et chaleureuse qui établit entre les êtres humains la sensation d’être ensemble sur notre merveilleuse planète. Au sein de cette pénurie de convivialité, il faut ajouter la laisse électronique qui à tout moment peut vous
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interpeller et provoquer une soudaine otite. Vous êtes alors en connexion avec un interlocuteur parfois localisé à des milliers de kilomètres, cependant vous demeurez à des années-lumière de celui avec qui vous partagez un même accoudoir. En observant l’irruption de ce phénomène absolument inédit dans l’histoire connue, on peut s’interroger sur l’effet qu’il aura sur l’évolution globale de l’humanité. Allons-nous vers l’avènement de sous-hommes munis de super machines ? Vers une connexion de cerveaux sans un projet commun pour vraiment redonner cohésion et cohérence au monde et abolir les fragmentations fondées sur la peur et la recherche éperdue de sécurité ? Doter les enfants de plus en plus jeunes d’outils de diversion et de virtualisation, les déconnecter du réel, est-ce bien raisonnable ? Ne faudrait-il pas maintenir comme un impératif majeur leurs apprentissages et leurs expériences du tangible au lieu de les laisser absorbés et fascinés par l’univers virtuel où règnent les chimères ? Comment ne pas rêver d’une éducation des enfants où connaissance de la nature, ateliers, exercices de l’habileté manuelle et monde virtuel seraient harmonisés… Il est vraiment réjouissant de voir la société civile se transformer peu à peu en un laboratoire où s’élaborent, en dépit de tout, les solutions pour un meilleur avenir possible. C’est dans la contribution à cette mutation que nous souhaitons mettre le plus d’énergie réelle.
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