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société
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santé
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gouvernance
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cHanger le monde Pas À Pas
DOSSIER LES DESSOuS Du vêtEmEnt éthIquE pORtfOLIO patRIck DE WILDE facE au mOnDE écOnOmIE un REvEnu DE baSE pOuR tOuS ScIEncE paRtIcIpatIvE DES cItOyEnS chERchEuRS numéro 7 mars - avril 2013
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KAIZEN «Changer le monde pas à pas» Editeur SARL EKo LIBRIS au capital de 10 000 €. 95, rue du Faubourg Saint Antoine 75011 Paris www.kaizen-magazine.com Magazine bimestriel numéro 7 mars-avril 2013 Imprimé sur papier recyclé blanchi sans chlore Directeur de la publication Yvan Saint-Jours Directeur de la rédaction Cyril Dion Rédacteur en chef Pascal greboval Secrétaire de rédaction Lucile Vannier Contact contact@kaizen-magazine.fr Abonnements abonnement@kaizen-magazine.fr Comptabilité et administration administration@kaizen-magazine.fr Rédaction redaction@kaizen-magazine.fr Couverture Patrick de Wilde Maquette et mise en page Agence Saluces Avignon SIREN : 539 732 990 APE : 5814Z Commission paritaire : 0317 k 92284 Numéro ISSN : 2258-4676 Dépôt légal à parution Impression Via Schuller-graphic Corlet Roto (imprim’Vert) ZA Les Vallées 53300 Ambrières les vallées
D
epuis de nombreux mois, une part des lecteurs de Kaizen nous interpelle : « Et l’art ? Et la culture dans vos pages ? » Cet appel devenant récurrent, il nous a paru incontournable d’y répondre. D’abord pour affirmer que Kaizen est déjà un magazine culturel, au sens premier du terme. Les initiatives que nous mettons en avant sont, chacune dans leur domaine, créatrices d’une nouvelle culture, dans l’acception qu’en donne par exemple l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Jusqu’ici nous n’abordions pas les arts, qui sont un élément fondamental permettant à une culture de se définir et de se transformer. L’un des lieux privilégiés pour explorer un nouvel imaginaire ; de nouvelles visions du monde, susceptibles de se matérialiser en nouvelles pratiques, en nouvelles structures. Nous réparons donc cette omission avec « Créateurs de cultures », rubrique où nous entendons donner la parole à ces artistes qui nous aident, eux aussi, à changer d’ère. Nous espérons qu’elle vous plaira ainsi que l’ensemble de Kaizen 7. Bon mois de mars et bon début de printemps à tous !
édito
Cyril Dion DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Régie de Publicité et distribution dans magasins spécialisés AlterreNat Presse, Sandrine Novarino tél. 05 63 94 15 50
Aucun texte et illustration ne peuvent être reproduits sans autorisation du magazine. Merci
© M. Leynaud
Distribution Presstalis
kaizen 7 mars avril 2013
sommaire 3
Édito
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Sommaire
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Manifeste
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ils sont Kaizen
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Actus des réseaux
Kaizen késaco ?
Kaizen est un mot japonais qui signifie littéralement «changement bon». Mais c’est également une méthode : celle du changement par les petits pas. La perspective de changer brutalement, de passer du tout au tout, réveille nos peurs et attise nos résistances. Commencer par un petit pas, prendre courage, en faire un second puis toute une multitude, chaque jour, avec régularité, peut nous conduire aux plus grandes transformations. Cela s’est déjà vu dans l’histoire et c’est ce que nous espérons, à nouveau.
10 Désenfumage : Une bonne idée peut-elle résister à la croissance ? 14 Si on le faisait : Créer un marché bio et local 18 Ensemble on va plus loin : Vigie nature 23 Dossier : Les dessous de la mode éthique 39 Portfolio : Patrick Dewilde, Face au monde 48 Portraits : Deux libraires défendent la liberté de pensée 50 Créateur de culture : Rufus Wainwright 54 Infographie : Les céréales sont essentielles 56 Roue libre : Le fleuve, la route du futur 60 Yes they can : SA VA, la mode locale 61 Idée remuante : Un revenu de base pour tous 8
Le sourire d’Yvan
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Le bon plan : Bordeaux
75 Sauvage et délicieux : Le pissenlit 82 Chronique de Pierre Rabhi : La mode, haut indice de consommation
KAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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Une bonne idée peut-elle résister à la croissance ? Texte CYRIL DION et dessin Julie Graux
A écouter nos responsables politiques, on pourrait croire que la croissance doit être l’alpha et l’oméga des entreprises. Mais croître sans cesse est-il vraiment bon pour la santé et pour les idées ?
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L’EXEMPLE DE BODY SHOP Anita Roddick, fondatrice de Body Shop, a symbolisé pendant plusieurs années la réussite d’une entrepreneuse pionnière, inspirante, imposant dans les cosmétiques de nouvelles normes respectueuses de l’environnement. Body Shop fut l’une des premières marques à refuser les tests sur les animaux, à mettre en place des démarches de commerce équitable et à soutenir les droits des peuples premiers d’Amérique et d’Afrique (contre Shell, notamment, au Nigéria). Roddick fut, parallèlement, une formidable activiste. Mais en 2006, trente ans après l’ouverture de sa première boutique, Body Shop - qui en comptait alors 2 055 dans 55 pays était revendue à L’Oréal pour 765 millions d’euros. Stupeur parmi les plus fervents admirateurs de la marque. Pourquoi Anita Roddick avait-elle fait ce choix, elle qui avait jadis déclaré : « Je hais l’industrie de la beauté. C’est un monstre vendant des rêves inaccessibles. Qui ment, qui triche, qui exploite les femmes » ?
Le bio sur la place du marché Texte Jean Claude Mengoni Photo Eléonore Henry de Frahan
Le marché a toujours occupé une place centrale dans l’approvisionnent des familles. Et si les producteurs bio investissaient aussi la place du marché ?
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'axolotl est un animal qui conserve des caractères juvéniles à l’âge adulte. « Le bio est parfois associé à un certain rigorisme de vie, voire à une démarche élitiste. Nous voulions montrer que produire et consommer bio est synonyme de plaisir ». C’est pendant l’hiver 2011 que Florence, Nathalie et Mehdi créent Axolotl, une association dont l’objectif est d’organiser des marchés bio esti-
vaux et festifs sur la place de SainteCroix, petit village du Diois, au centre de la Drôme. Florence précise : « Notre action s’inscrit dans une volonté de mise en liens joyeuse. Nous voulions attirer une population plus large que le cercle des convaincus du bio. Nous avons sollicité des musiciens, des artisans, des circassiens, à qui nous avons expliqué notre projet, nos valeurs, notre envie de donner un air de
Nous voulions montrer que produire et consommer bio est synonyme de plaisir
La science du climat près de chez vous Texte Pierre Lefèvre
Comment recueillir un maximum de données concernant les impacts du changement climatique sur les plantes et les animaux ? En proposant au grand public de participer à une vaste opération de collecte d’observations. C’est le propos d’un programme de sciences participatives, l’Observatoire des saisons.
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es hirondelles qui arrivent plus tôt dans la saison, des arbres tardant à changer de couleur à l’automne, des fleurs précocement écloses... Le changement climatique est devenu une réalité de plus en plus sensible aujourd’hui. Chacun peut désormais l’observer depuis sa fenêtre. C’est pourquoi Isabelle Chuine, directrice du groupement de recherche sur les systèmes d’informations phénologiques pour la gestion et l’étude des changements climatiques au sein du centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE, CNRS) à Montpellier, a entrepris de collecter ces observations auprès des amateurs. En 2005 elle crée l’ODS, « Observatoire des saisons », un programme scientifique qui invite chacun d’entre nous à mesurer l’impact du changement climatique
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sur la faune et la flore. Cela s’appelle de la science collaborative, citoyenne ou participative. Peu importe le vocabulaire, l’idée est toujours la même : faire de chaque citoyen un acteur bénévole de la recherche. L’engouement pour ce type de science en France ne date réellement que d’une dizaine d’année et l’ODS fait figure de précurseur, même si le programme STOC (Suivi temporels des oiseaux communs) mis en place par le Muséum national d’Histoire Naturelle est arrivé plus tôt encore, en 1989. Les ornithologues sont déjà de vieux routiers de la science participative puisque la plupart d’entre eux consignent scrupuleusement à chacune de leurs sor-
Faire de chaque citoyen un acteur bénévole de la recherche. ties la liste des oiseaux qu’ils ont pu observer. Mais STOC n’est pas destiné au premier observateur d’hirondelles venu ! Contrairement à l’ODS, il reste réservé aux amateurs avertis. UNE ORIGINE ANGLO-SAXONNE Dans le monde anglo-saxon, la pratique des sciences participatives est plus ancienne. Le premier programme, Christmas Bird Count – encore les oiseaux – est piloté depuis 1900 par la société
Dossier
Nos vêtements sont une seconde peau. On aimerait, avant de les porter, mieux connaître leur passé : comment produit-on les textiles dits « naturels » et lesquels sont les plus vertueux ? À l’étape suivante, celle de la transformation, les ouvriers et les couturières travaillent-ils dans de bonnes conditions sanitaires, sociales et écologiques ? Ces informations s’avèrent essentielles tant nos pratiques vestimentaires (achats, récupération etc.) reflètent nos valeurs et dépendent des rapports complexes qui relient consommation et image de soi.
DoSSIER RÉALISÉ PAR LIONEL ASTRuC, TExTE ET PHOTO SAUF MENtIoNS CoNtRAIRES
© Laure Maud pour GREEN IS BEAUTFUL®
Les vêtements propres de la mode éthique
De la fleur au fil
Contrairement aux dérivés du pétrole, les fibres naturelles se composent de matières renouvelables. Mais cette vertu se trouve souvent noyée dans les pesticides. La production bio apporte pourtant de solides garanties. SANS IRRIGATION NI PESTICIDE
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ertaines matières premières parviennent à séduire l’espèce humaine au point de s’immiscer dans les foyers des quatre coins du monde. C’est notamment le cas du coton, qui règne sans partage sur les autres fibres naturelles (soie, lin, chanvre, laine, ortie etc.). À la fois doux, souple et solide il reste – comme les maisons bioclimatiques – frais en été, chaud en hiver et respire quelle que soit la saison. Mais la caresse de cette fibre masque une réalité moins douce : la culture intensive du coton provoque autant de ravages écologiques que de drames humains dans les pays du Sud (voir encadré). Les méthodes culturales basées sur l’usage d’engrais et de pesticides chimiques représentent toujours 99% de la production mondiale malgré une progression importante du bio chaque année. Cette domination écrasante laisse Subhash Lohiya perplexe : « La culture biologique du coton offre le même rendement que les méthodes intensives, s’étonne ce fermier bio du Maharastra
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(Inde). Et la rotation des cultures nous permet de cultiver alternativement des produits d’alimentation sur les mêmes terres, pour notre propre consommation. Cela nous met à l’abri du besoin lorsque les conditions météo compromettent les récoltes de coton » ajoutet-il. Comme lui, les 500 autres membres de la coopérative ASSISI pratiquent une rotation des cultures sur 4 ans, plantant tour à tour du soja, des haricots mungo (deux véritables sources d’engrais qui apportent à la terre tous les micronutriments et l’azote dont elle a besoin), des légumes et du coton. Travaillé de la sorte le sol est suffisamment riche et ses besoins en eau diminuent considérablement : 75% des champs alentour ne sont absolument pas irrigués. Pour les 25% restants, la structure initiale des sols ne leur permet pas de se passer d’eau, celle-ci étant bloquée par l’absence de capillarité dans cette zone. « Quant aux pesticides, nous les fabriquons avec des végétaux » précise un fermier voisin, expliquant comment il hache une dizaine de plantes différentes (feuilles de margousier, de papaye, de datura etc.) avant de laisser le tout fermenter dans de l’urine de vache. « Le résultat constitue un concentré de pesticide naturel, qui sera dilué dans de l’eau avant d’être pulvérisé directement sur les arbustes ». Notons que la présence ou l’absence de produits chimiques dans le processus de production se répercute directement sur le produit fini. En d’autres termes, les fibres bio évitent le contact entre la peau et les produits toxiques détectés dans les vêtements conventionnels (voir page 27) qui peuvent favoriser les allergies.
Reconnaître et porter
les vêtements (vraiment) éthiques Comment comparer des marques qui se présentent toutes comme les héroïnes du développement durable ? Voici quelques critères essentiels. Mais attention : l’impact écologique de nos vêtements intervient surtout après l’achat. UN ENGAGEMENT GLOBAL
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es labels écologiques et équitables sont souvent présentés comme des gages incontournables pour être certain d’acheter des vêtements éthiques, avec la garantie d’une démarche écologique et/ou sociale sérieuse et ancrée dans le long terme. Certes, la présence d’un label atteste d’un engagement concret (voir encadré). Mais une certification n’est jamais suffisante.
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Les grands distributeurs utilisent par exemple un peu de coton certifié bio pour l’une de leurs collections et laissent le reste de leur gamme inchangé, tout en tirant les bénéfices d’une image citoyenne. Plus grave, ces marques maintiennent une stratégie marketing selon laquelle à chaque saison, elles exhortent le public à se conformer aux dernières tendances via le matraquage publicitaire. L’obsolescence programmée (que les géants de l’informatique s’évertuent à dissimuler) reste le cœur même du modèle économique dans le secteur de l’habillement. Les gages écologiques saupoudrés d’une main sont bien souvent effacés par l’autre. Les labels ne sont donc que l’un des critères de choix pour le consommateur, l’idéal reste de se tourner vers les marques qui présentent une démarche globale et cohérente (voir l’interview de Marguerite Lacoste p. 35). Faire ses achats demande un minimum d’anticipation, par exemple en consultant les sites internet des marques. En principe, une entreprise qui place la Res-
faire ses achats demande un minimum d’anticipation
Dossier
ponsabilité Sociale et Environnementale (RSE) parmi ses priorités affiche clairement ses engagements. Mais les onglets « développement durable » font florès sans forcément traduire une réelle implication. Posons-nous surtout les questions suivantes : Les engagements sont-ils précis et étayés de données brutes (quantités, pourcentages, certifications) ? Concernent-ils toutes les étapes du cycle de vie du produit ou seulement quelques-unes ? Si la marque affiche une certification, s’agitil d’un véritable label contrôlé par des acteurs indépendants ou d’un vague signe de qualité créé par un service marketing interne ? La confiance pourra s’établir ou non selon les réponses à ces questions Trouver ces informations suppose de se préparer un minimum avant de faire ses courses : ceux qui attendent de se trouver dans une boutique au hasard pour se renseigner ont très peu de chance de mener à bien cette démarche. Mieux vaut anticiper et profiter d’internet pour sélectionner vos futures magasins préférés. Surveiller ses achats vestimentaires reste donc une démarche compliquée – en particulier pour les hommes - autant
l’admettre. Pour la faciliter, nous avons dressé une liste de marques attentives aux aspects sociaux et environnementaux (voir encadré).
Au Cambodge, récolte de feuilles de mûrier qui nourriront les chenilles de bombyx. Elles formeront ensuite de petits cocons pelucheux à cuire pour en extraire le fil, qui sera finalement séché puis tissé dans le village même où poussent les mûriers.
DES BASIQUES SANS PUB Outre les déclarations des entreprises, certains choix en disent parfois long, en particulier la stratégie de communication. De plus en plus de marques choisissent aujourd’hui de prendre le contrepied de la politique marketing habituelle décrite plus haut. Certaines renoncent complètement à la publicité traditionnelle, considérant les consommateurs comme des citoyens dotés de sens critique qu’il est inutile d’infantiliser ou de frustrer – c’est par exemple le cas de Do you green, ou encore Veja (voir Kaizen n°4). Cette orientation leur permet de réaliser des économies qui peuvent ensuite consolider l’entreprise et ses engagements. D’autres tentent de sensibiliser leurs clients, comme Patagonia qui a diffusé un visuel aux Etats-Unis dont le slogan était : « N’achetez pas cette veste à moins d’en avoir vraiment besoin » et listé les impacts écologiques découlant de
la production de cet article. Une bonne opération pour l’image de marque, diront certains, mais Patagonia se sert de la tribune que lui offre la publicité pour propager largement des valeurs écologiques nouvelles dans ce secteur. Autre signe révélateur : la coupe des vêtements, leur style. Comme les objets éco-designs qui se distinguent par une conception épurée axée sur l’efficacité et la durabilité, les produits de la mode éthique se reconnaissent souvent à leur ligne minimale et intemporelle. Leur matière est robuste et leur coupe traverse les années sans se démoder. Malheureusement, les pionniers de la mode éthique ont souvent abusé de ce concept, proposant des vêtements austères et sans saveur sous prétexte de refuser les diktats. En réalité, la mode n’a rien de répréhensible dès lors KAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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© Laure Maud pour GREEN IS BEAUTFUL®
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Portfolio
Face au monde par Patrick De Wilde
Après s’être intéressé aux religions de l’Asie puis aux espaces naturels sauvages, Patrick de Wilde s’est consacré à l'étude des croyances chamaniques et animistes. Il n'a cependant jamais cessé de réaliser des portraits, tous conçus de la même manière, avec le même fond noir figurant le mystère des origines. Ses photographies expriment aussi bien la diversité que l'unicité.
Pascal Greboval : Comment est né ce besoin de réaliser des portraits? Comment choisissez-vous les peuples, les individus ? Patrick de Wilde : J’ai réalisé ces portraits en marge de mes travaux de commande, par pur désir personnel d’accéder à l’autre. Ainsi, chaque portrait, avant d’être un tirage, est une rencontre, un partage, une complicité. Ils sont nés au hasard des chemins, des milieux les plus reculés, des villages les plus inaccessibles, des endroits les moins visités. J’ai cherché à voir tous les aspects du monde. Le visage est un paysage. J’y perçois la marque d’un scintillement que certains ont nommé l’âme. En dressant les sujets devant le même drap noir, neutre, sans autre décor, j’ai voulu dépasser les attributs manifestes pour toucher aux facteurs fondamentaux. Qu’il soit guerrier Naga, pâtre grec ou chef d’état américain, l’homme répond à des pulsions communes, il est animé de mêmes émotions. Sous les signes culturels d’appartenance — qui captent d’abord notre attention 40
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par leur charge d’étrangeté — se manifeste une forme d’unité. Au delà des apparences se tient une constante, comme s’il existait un accord par lequel tout semble relié. Pascal : Vos portraits donnent un aperçu de la [bio]diversité humaine. Que révèle cette diversité? Patrick : La diversité est, d’évidence, nécessaire à l’existence. Elle ne serait jamais remise en question si l’individu n’avait pour travers de regarder le monde du haut de son clocher, de juger l’autre à l’aune de sa propre vérité. Mais l’humain éprouve autant de curiosité que de peur envers ce qui ne lui ressemble pas. C’est ainsi que la différence peut être perçue comme une richesse aussi bien que comme un risque. Ce paradoxe conditionne les rapports sociaux. La diversité sera vécue positivement si elle est comprise comme un apport, négativement si elle est ressentie comme une agression. Or nous sommes tous, depuis la nuit des temps, des métis singuliers et pluriels issus d’amours croisées. Le principe de la di-
versité suppose deux aspects : nous sommes un produit biologique, le résultat d’un croisement chromosomique entre des géniteurs particuliers, mais aussi un produit culturel, le résultat d’une éducation qui nous inscrit dans une appartenance régionale, sociale, clanique. Chacun vaut par ses différences, ou mieux par ses singularités. La diversité est aussi et peut-être essentiellement une question de regard, une posture. Si l’on nous apprend à compter, à parler, à écrire, etc., on ne nous apprend pas à voir. Et par paresse ou par peur, nous nous recroquevillons sur nos certitudes et nous retrouvons vite aveugles à l’autre. Pascal : Comment accepter ces différences ? Patrick : L’acceptation de l’autre exige une certaine remise en question de soimême. La question du vivre ensemble ne va pas de soi. Elle nécessite éducation, ouverture, dialogue, générosité, intelligence… Nous sommes ancrés dans des stéréotypes qui nous rassurent. La qualité du regard porté demande
Les libraires défendent
Frédérique Massot Dreux (Eure et Loire)
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e voue aux librairies une véritable passion, j’ai découvert ce monde durant mes jobs d’été et je suis littéralement tombée dedans. Tout me plait dans ce métier, il existe autant de raisons de l’aimer que de livres, tous les horizons y sont permis ! Après avoir repris mon premier fonds de commerce, et travaillé pour une équipe éditoriale où je me suis ennuyée, j’ai racheté une librairie de quartier à Fontenaysous-Bois. Pignon sur rue, échelle modeste, j’y ai trouvé avec bonheur ce que je cherchais : un lien intellectuel, social 48
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et commercial dans la ville. Aller à l’encontre de la pensée unique, se positionner au cœur de la chaîne du livre d’un point de vue économique, jouer un rôle social au quotidien, être parfois l’unique contact humain qui conduira un lecteur à pousser la porte de la librairie, accueillir les mômes qui viennent lire ici parce qu’ils ont oublié la clef de chez eux, c’est tout ça le métier. Tous les milieux, toutes les générations s’y retrouvent. Plus tard j’ai atterri à Dreux, où j’ai repris un fonds cinq fois plus grand, passant de la librairie de quartier à la librairie dite « de province ». Il m’a fallu plus de temps pour retisser des liens sociaux, une structure plus grande change beaucoup de choses, mais j’ai finalement trouvé mes marques. Si j’ai racheté plusieurs librairies durant ma carrière c’est par goût pour le commerce et les livres, mais c’est avant tout l’engagement social qui m’anime. Il m’importe de créer des liens sociaux au sein de la ville, liens avec les lecteurs et entre les institutions (écoles, bibliothèques, services culturels) avec qui nos contacts dépassent largement la
les librairies sont un atout essentiel dans les villes, un remède contre l’individualisation, un terrain d’échanges et d’écoute.
sphère mercantile. Comme les espaces verts, les librairies sont un atout essentiel dans les villes, un remède contre l’individualisation, un terrain d’échanges et d’écoute. Aujourd’hui je suis syndiquée, je travaille à améliorer la vie économique, juridique et sociale des librairies indépendantes bien mises à mal de nos jours. Il nous faut composer avec la vente en ligne, notamment Amazon, qui par l’absence totale de liens humains qui le caractérise ne s’apparente en rien à une librairie. Au sein du SLF (Syndicat de la librairie française), j’apporte mon expérience aux nouvelles générations de libraires et m’enrichis de leur point de vue. Nous avons établi une nouvelle convention collective et mis en place des formations. Désormais il existe une multitude d’associations régionales où les professionnels parviennent à créer des réseaux. Elles aussi proposent l’achat en ligne, mais le lecteur a l’opportunité, s’il le souhaite, de récupérer son livre en librairie, ça maintient l’échange ! Dans nos boutiques, on propose des nouveautés dont on sait que la vente marchera bien, mais on défend aussi les petites maisons d’éditions, plus atypiques mais qu’il est important pour nous de faire découvrir… et qu’on ne trouvera jamais dans les rayons des grandes surfaces !
www.librairielarosedesvents.com
la place des céréales
tExtE JEAN-PAuL COLLAERT AUtEUR DE CÉRÉALES. LA PLUS GRANDE SAGA QUE LE MONDE AIT VÉCUE, ED RUE DE L’ÉChIQUIER
Les céréales sont essentielles pour notre alimentation, elles assurent le tiers de nos apports caloriques quotidiens. Les céréales occupent 690 millions d’hectares, soit 4,6 % de la surface des terres émergées. 1m2 sur 22 est occupé par des céréales.
Surfaces des terres émergentes 29,4 %
Partie du globe occupée par les océans 70,6%
Terres concernées par l’agriculture 33 % Terres non cultivables 67 %
Céréales Prairies 39 % et autres cultures 61 %
Orge 133 - 152 Sorgho 58 - 66 Mil 30 - 35 La récolte mondiale de grains dépasse 2,3 milliards de tonnes. La surface agricole utile mondiale est estimée à près de 5 milliards d’hectares, soit un tiers des surfaces émergées dont 1,5 milliards d’hectares de terres arables.
Blé 610 - 680 Riz 660 - 690
© P. greboval
Maïs 710 - 813 (en million de tonnes)
Le fleuve, la route du futur ? Texte Pascal Greboval photos Anne-Lore MESNAGE
Détrôné par la route dans les années 70, le transport fluvial renaît aujourd’hui de ses cendres : ses vertus écologiques et son faible coût attirent de nouveaux clients.
D
e mémoire de parisien, il faut remonter au Moyen Age pour voir les produits alimentaires arriver au cœur de Lutèce par la Seine. Quelle mouche a donc bien pu piquer un groupe comme Casino (12 000 magasins dans le monde) et son enseigne Franprix pour qu’ils remettent au goût du jour des pratiques moyenâgeuses ? Comme le concède un acteur du transport fluvial en France, « ce n'est pas par philanthropie ». Il faut remonter au début des années 2000 pour comprendre ce qui a poussé cette entreprise de grande distribution à acheminer une partie de ses marchandises par voie fluviale. L’enseigne parisienne constate à cette époque que l’approvi-
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sionnement des magasins en centreville pose de plus en plus problèmes : des temps de livraison aléatoires en raison des embouteillages, une flambée des coûts et, accessoirement, un bilan carbone loin d'être satisfaisant. Or, le volume de marchandises acheminé en Ile-de-France ne cesse de croître, et rien ne laisse prévoir une inversion de tendance dans le domaine… Il faut trouver des solutions. Une idée émerge : Pourquoi ne pas suivre la piste de la Seine ? « Nous avons été invités à une réunion où siégeaient les différents acteurs publics et privés concernés : le groupe Casino, le port de Paris, l’Ademe, la région Ile-de-France et les Voies Navigables de France (VNF), se souvient Jean-Yves Marie-Rose, chargé du secteur transport et mobilité à l’Ademe Ile-de-France. Une étude portant sur les avantages envisageables du transport fluvial, à laquelle participait l'Ademe, a démontré la pertinence d’un tel choix ». Courant 2012 le projet devient réalité. Les marchandises sont acheminées par containers sur une barge affrétée par Franprix depuis le
Pour re-faire société : un revenu de base PAR MARC DE BASQuIAT, DESSIN LE CIL VERT
Depuis des années, l’état providence distribue sous diverses formes des « aides » qui ont pour objectif de gommer les inégalités. Le résultat est mitigé. Et si chacun percevait un revenu de base sans condition ?
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Idée remuante
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osez la question à l’homme de la rue : « Est-il normal que dans un pays comme la France, des gens soient obligés de mendier pour survivre, ou n’aient pas de toit ? ». Les réponses sont sans équivoque, signifiant une incompréhension massive devant cette détresse humaine, particulièrement choquante dans une société capable de produire tant de richesses. L’éradication de la misère est un souci largement partagé. Etudions comment atteindre cet objectif, au prix d’une remise en question de nos conditionnements sociologiques. Dès sa naissance, l’enfant ne doit sa survie qu’aux soins que lui apportent ses parents. Une fois adulte, la situation est-elle si différente ? Combien d’entre nous vivent réellement « de leur travail » ? La vie en autarcie est le fait de quelques individus, subvenant à leurs besoins élémentaires grâce au soin qu’ils apportent à un jardin ou à un petit élevage. Mais cette forme de production pour emploi final propre est négligeable pour la comptabilité nationale. En règle générale, l’adulte comme le bébé consomment ce qui est produit par d’autres. Et pour l’adulte, l’accès à
ces produits nécessite un revenu. Cela s’apparente à une banalité, mais en réalité c’est fondamental : c’est bien la perception d’un revenu qui permet la survie, pas l’exercice d’un travail. A l’inverse, tout travail est-il rémunérateur ? Non, nous rappelle l’INSEE qui évalue à 38 milliards le nombre d’heures de travail rémunérées en France pour l’année 2010, chiffre nettement inférieur à la fourchette des 42 à 77 milliards d’heures de travail domestique. Allons plus loin : tout revenu estil la contrepartie d’un travail ? Pas davantage. Les revenus de remplacement (retraite, chômage), les prestations sociales et familiales, les revenus fonciers et financiers constituent environ 40% des revenus disponibles des ménages. Le lien entre revenu et travail est donc très distendu.
ductif. tout revenu non produit par la sueur est suspect. Un RSA modique versé à une personne en difficulté suscite parfois des interrogations quant à la réalité des « efforts » qu’elle manifeste pour s’insérer. A l’inverse, les revenus extravagants de certains artistes et sportifs paraissent légitimes, du fait qu’ils ont souvent travaillé dur pour les « mériter ». Disons-le tout net : quelle que soit la richesse de notre pays, nous ne mettrons pas fin à la misère tant que nous n’aurons pas opéré une dissociation mentale entre les processus de production (où le libéralisme économique excelle à optimiser la productivité du facteur travail) et les processus de distribution du revenu (où la dynamique du marché mène naturellement à l’accumulation chez certains et au manque chez d’autres). Une première étape dans cette thérapie consiste à inverser la proposition « je travaille pour gagner un revenu ». Il serait plus exact de dire que « je travaille parce que je perçois un revenu », car s’il
« je travaille parce que je perçois un revenu »
PENSONS AuTREMENT Pourtant, l’imaginaire collectif nous porte à considérer le revenu comme la « juste » contrepartie d’un effort pro-
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le bon plan
Les bonnes adresses bio débordent de la Garonne
Le bon plan Bordeaux TEXTE ET PHOTO PASCAL GREBOVAL
CHIC ET BIO
Le tisanier d’Oc : des tisanes pour tous
Recup’R : en bas les vélos, en haut les machines à coudre
Le Bistrot, un bar ouvert à tous
Après la lecture de notre dossier vêtements, une petite envie d’essayer des fringues chics et éthiques ? A Bordeaux c’est facile ! Deux marques se démarquent : Monsieur Poulet et Ekyog. La première s’adresse plutôt aux hommes, conjuguant produits sains et démarches artistiques : ses tee-shirts en coton bio, dessinés par des graphistes et des illustrateurs, sont produits en édition limitée. La seconde est une marque de prêt-à-porter pour la femme et le bébé, qui privilégie les matières biologiques et équitables. La boutique Ex Aequo dans le quartier historique Saint-Pierre propose également un choix de vêtements et de chaussures issus du commerce équitable. Romain, le tout jeune patron, complète son offre avec des bijoux, des accessoires et de la déco qui respectent cette même règle : « Que l’impact social et écologique des produits vendus ici soit positif pour ceux qui les fabriquent ». C’est une démarche similaire qui a poussé Alice à créer Beauty Bike : elle a choisi pour réduire les émissions de CO2 de se déplacer en triporteur avec son matériel d’esthéticienne, et propose à domicile des soins à base de produits bio.
CULTURE ET SOCIAL Quand Isabelle apprend en 2008 que le propriétaire de la Machine à Lire, son libraire exclusif depuis de nombreuses années, doit vendre, elle perçoit rapidement qu’il y a là un sanctuaire à sauvegarder : un lieu de rencontres, de culture, d’émancipation démocratique. Sans expérience dans le domaine, elle se lance dans l’aventure avec pour leitmotiv de préserver « l’esprit humaniste, l’exigence éditoriale du lieu, tout en l’ouvrant à d’autres dimensions ». Cinq ans plus tard, place du Parlement, la Machine à Lire est plus que jamais un lieu « où la défense de l’homme est au centre du débat ». Et il suffit de passer un moment avec Isabelle pour constater qu’elle et son équipe savent bien conseiller le livre qui captivera le futur lecteur. A quelques rues de là, se tient le Réseau Paul Bert. Ouvert à tous, accueillant familles, enfants et personnes seules, c’est un espace de parole, de socialisation, d’échanges, proposant une brasserie, un cybercafé, un hammam, des salles d’eau, une laverie et même des logements. Une oasis pour ceux qui traversent des périodes de précarité. Des animations sont aussi au programme : café philo, soirées concerts, ateliers créatifs y sont organisés régulièrement. Dans le même esprit d’ouverture sociale, le Bistrot GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle), porté par le mouvement Asaïs, offre la possibilité aux personnes en difficultés psychosociales d’échanger, de trouver une attention et des outils (ateliers d’écriture, cybercafé) pour élargir leurs horizons. L’ART DU RECYCLAGE RécupR, un atelier vélo ? Certes. Mais celui-ci a pour particularité de cohabiter avec un atelier couture ! Le vélo en bas, la couture en haut - le contraire eût été risqué... Au rez-de-chaussée, selon les principes des ateliers du réseau « heureux cyclage », des professionnels KAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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Le pissenlit Texte et photo Linda Louis
Son nom, propice à un jeu de mots amusant, nous renvoie à l’une de ses vertus thérapeutiques : diurétique, le pissenlit permet de faire une vraie cure détox de printemps, tout en nous régalant ! Au début du printemps dans la campagne, la nature offre l’un des plus beaux spectacles qu’il nous soit donné de contempler : celui des vertes prairies constellées de milliers de fleurs de pissenlit. Au-delà de cette connotation féérique, la plante comporte bien des avantages. Facile à reconnaître, abondante, présente sur une grande période de l’année (de mars à novembre), sur tout notre territoire, elle fait partie des sauvageonnes les plus réputées. Ses multiples noms vernaculaires nous aiguillent sur ses caractéristiques botaniques. Dent-de-lion (ou liondent) fait allusion à ses feuilles profondément divisées et dentées ; couronne de moine évoque la petite tête blanche et « rasée » qui reste une fois les graines envolées ; chandelle renvoie justement à la boule plumeuse sur laquelle on souffle, comme une bougie. 74
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Il est également intéressant de se pencher sur le nom latin du pissenlit, taraxacum, venant du grec « tarachê » (trouble) et « akôs » (remède). On peut ainsi le traduire littéralement par « remède au(x) trouble(s) ». Comme l’ortie, le pissenlit est une plante qui agit sur une multitude de maux et joue un rôle de régulateur pour notre organisme. Depuis des lustres, on consomme ses jeunes feuilles en salade, avec des croûtons et une vinaigrette bien relevée, ou cuites comme des épinards. Avec ses fleurs jaune d’or, on réalise une délicieuse confiture, la cramaillotte, dont la texture et la couleur rappellent celles du miel d’acacia. Elles décorent également les pâtisseries et donnent aux biscuits un délicieux goût de pollen (à déconseiller aux personnes allergiques au pollen de pissenlit). Ses boutons floraux, situés à la base de la rosette de feuilles, forment des petites « câpres » tendres et aromatiques que l’on prépare avec du vinaigre et du sel. Enfin, ses racines, récoltées à l’automne, sont surtout utilisées à des fins thérapeutiques, sous forme de décoction. Et l’amertume ? Comment l’apprivoiser ? Il suffit de cueillir spécifiquement les jeunes feuilles, avant que le bouton floral n’ait éclos (principe valable pour toutes les plantes), et de les accompagner de sauce à base de vinaigre balsamique ou de les faire cuire avec un soupçon de sucre. De toute façon, l’amertume est aussi un goût à découvrir et à apprécier… comme nous l’apprennent les Japonais qui raffolent de la racine de pissenlit à la sauce soja !
MIJOTÉ DE FEUILLES DE PISSENLIT À L’INDIENNE
SALADE DE PISSENLIT Temps de préparation : 30 min Cuisson : 30 min Conservation : aucune Pour 4 personnes
Temps de préparation : 30 min Cuisson : 30 min Conservation : 3 jours Pour 4/6 personnes 200 g de feuilles de pissenlit - 2 oignons - 2 carottes - 2 piments verts - 300 g de champignons frais - 150 g de lentilles corail - 2 c. à soupe de ghee (beurre clarifié indien) ou d’huile d’arachide - 1 c. à soupe de curry en poudre - 1 litre d’eau - sel 1. Lavez les feuilles de pissenlit. Coupez-les en tronçons de 3 cm à l’aide de ciseaux. 2. Pelez et émincez les oignons. 3. Épluchez et râpez (grosse grille) les carottes. 4. Lavez les piments verts, fendez-les en deux, retirez leur pédoncule et les graines. 5. Lavez et coupez les champignons en quatre. 6. Hachez finement les piments et les champignons. 7. Rincez abondamment les lentilles corail. 76
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8. Faites fondre le ghee dans une sauteuse. Ajoutez les oignons et faites-les revenir à feu modéré pendant 5 minutes, jusqu’à ce qu’ils soient dorés. 9. Ajoutez le curry et poursuivez la cuisson pendant 1 minute en mélangeant régulièrement. 10. Mettez ensuite les feuilles de pissenlit, les carottes, les piments, les champignons et laissez cuire pendant 2 minutes. 11. Versez l’eau, puis les lentilles corail. Laissez mijoter à feu doux et à découvert pendant 25 minutes. 12. Salez, goûtez et dégustez avec des chapatis (pains traditionnels indiens sans levain)
1. Portez une casserole d’eau à ébullition, ajoutez les pommes de terre et laissez bouillir pendant 15/20 minutes. 2. Faites cuire les œufs dans une autre casserole d’eau bouillante pendant 9 minutes. 3. Pendant ce temps, lavez abondamment les feuilles de pissenlit à l’eau vinaigrée. 4. Toastez le pain une minute. Frottez-le recto-verso avec les gousses d’ail pelées. Détaillez-le en dés et faites-le dorer au four pendant quelques minutes. 5. Préparez la vinaigrette en émulsionnant le vinaigre balsamique, l’huile de noix, la moutarde, les échalotes, le sel et le poivre. 6. Écalez les œufs et fendez-les en 4. Pelez les pommes de terre et détaillez-les en cubes. 7. Répartissez le pissenlit dans 4 assiettes. Ajoutez les œufs, les pommes de terre, les croûtons, la vinaigrette et les noisettes.
Par PIERRE RABHI
©P. Lazic
La mode, haut indice de consommation
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ans le lieu de ma naissance et de mon enfance aux portes du grand désert, en Algérie, le rapport des humains à la vie était très différent de celui qui prévaut aujourd’hui. Nous n’étions pas « hors sol », nous survivions grâce à ce que nous donnaient les lopins de terre des oasis, les troupeaux de moutons et de chèvres, l’endurance extraordinaire des dromadaires, comme moyen de transport pour les échanges, les dattes de nos généreux palmiers et bien sûr, l’habileté de nos mains et la créativité qu’exigeait la précarité de notre condition. Nos savoirs et savoir-faire étaient issus du patrimoine séculaire transmis de génération en génération, à travers le temps et l’espace. En ce temps qui n’est pas si lointain, on commençait à peine à acheter ce qui était nécessaire à la vie. Un processus magique semblait intervenir de la tonte des animaux par exemple jusqu’au vêtement accompli. Avec des briques de terre crue, les maisons émergeaient du sol. Il y a là une leçon magistrale de cette autonomie que tous les peuples avaient su réa82
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liser et que nous aurions tort de considérer comme surannée. Il est évident aujourd’hui qu’à la modernité arrogante, créatrice de dépendance et d’illusion hautement vulnérables, la créativité vernaculaire devra succéder, surtout dans les pays dits « avancés » mais comme vers le précipice. Le lucre qui détermine le vivre ensemble est en réalité au-delà d’une matière sonnante et trébuchante, car il ne sonne plus guère et trébuche encore moins. Il hante les âmes au plus profond de leurs songes et peut désormais être gagné en dormant. Et pourtant il pourrait faire tant de bien, si sa véritable finalité lui était restituée. Dans le contexte d’une machinerie financière de plus en plus complexe est née la consommation dont le rôle est de stimuler un système qui prétend procurer du bonheur, par la frustration injustifiée, sans cesse activée par les simagrées, les simulacres et les mensonges subliminaux que la publicité accomplit avec talent. Elle le fait sans être accusée par la loi de manipulations mentales à l’instar des sectes. On voit bien la complaisance
de la politique à l’égard d’une multitude de poules aux œufs d’or dont l’état lui-même dépend pour sa propre survie. On voit là combien l’être humain est empêtré dans des représentations signifiantes, expressives et révélatrices de son état psychique. Tout est donc très relatif, il suffit de s’intéresser à l’élégance à travers le monde pour s’en convaincre. Dans cet état paradoxal, on constate que le luxe comme expression de la vanité ne subit pas les effets de la crise générale. Bien au contraire, l’indice de progression du superflu et de l’inutile a pour corollaire l’augmentation des besoins aussi essentiels que la nourriture pour des millions voire des milliards d’êtres humains. Le phénomène de « mode » que l’on connait aujourd’hui est quant à lui symptomatique de ce très haut indice de consommation réservé aux bourses pleines, minoritaires. La mode éveille, au-delà des simples besoins élémentaires à satisfaire, une sorte de mimétisme que la majorité s’applique à suivre, pour exister dans le champ social, soucieuse de se maintenir « à la page ». Elle exclut ainsi de fait la singularité, au profit de l’uniformisation de l’ensemble. Lorsque je donne une conférence, par respect pour mes semblables, je prends soin de ma tenue, mais cela est inspiré par de la bienséance ordinaire. Il y a cependant un attribut vestimentaire auquel je n’ai jamais pu m’habituer, c’est la cravate. Ce nœud coulant que l’on se passe autour du cou, pour le travail ou en diverses occasions, m’a toujours intrigué… Ce nœud que l’on resserre pour plus de sérieux, que l’on desserre pour être plus à l’aise…alors qu’il serait tellement simple de s’en passer, cet instrument d’auto-strangulation n’est-il pas révélateur de l’absurdité véhiculée parfois par le vêtement ? ◗