Coffiotts dans la Ville Close

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Coffiots dans la Ä Ville Close Å


Bruno Leclerc du Sablon

Coffiots dans la Ä Ville Close Å €Les Le Menech•–2ƒme „pisode Com„die policiƒre


€ Bruno Leclerc du Sablon – 2007 bruno.lds@free.fr http://blog.bebook.fr/jardinier

… Les †ditions Keraban – 2008 ISBN 978-2-917899-02-4 contact@keraban.fr http://www.keraban.fr

* Les †ditions Keraban sont une maison fond„e en avril 2008 sous forme d'une association d„clar„e Loi de 1901 sans but lucratif. Elles „ditent des romans, des polars, des ouvrages de fiction ou de fantaisie, des nouvelles, des autobiographies et r„cits de vie, des œuvres po„tiques ou th„ˆtrales et des livres pour enfants. Le comit„ de lecture et la direction „ditoriale pr‰tent une attention particuliƒre aux ouvrages pr„sent„s par des auteurs „cart„s de la vie ordinaire par la maladie, le handicap physique ou mental et l'exclusion sous toutes ses formes

* La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alin„as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement r„serv„es ‹ l’usage priv„ du copiste et non destin„es ‹ une utilisation collective et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute repr„sentation ou reproduction int„grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alin„a 1er de l’article 40). Cette repr„sentation ou reproduction, par quelque proc„d„ que ce soit, constituerait donc une contrefaŒon sanctionn„e par les articles 425 et suivants du Code p„nal. Image de couverture : Rempart et beffroi de la Ville Close ‹ Concarneau


Voler, c'est trouver un objet avant qu'il soit perdu. COLUCHE

D'un lecteur J'ai lu ce deuxiƒme volet des tribulations de la famille Le Menech avec un plaisir au moins aussi grand que pour le premier. J'ai envie de dire qu'il s'agit l‹ d'un divertissement efficace et complet : mise en place d'une intrigue qui d„marre pratiquement in medias res et qui ne s'essouffle jamais ; „vasion (toute une th„matique de la Mer et des bateaux) ; l„gƒret„ de ton, humour ; suspens habilement soutenu. Au niveau de la narration (et peut-‰tre est-ce l‹ ce qui m'attire le plus), je remarque une particularit„ plus subtile : ce que Kundera appelle le € franchissement des barriƒres du vraisemblable •, une € esth„tique du non-s„rieux •. C'est que ces Coffiots dans la Ville Close sont construits sur un encha•nement de retournements de situation ‹ l'imagination d„brid„e ; ici plus de contraintes, mais une libert„ totale qui permet tout ; on est du cŽt„ du vaudeville, de la com„die, comme une sorte de r„volte contre l'esprit de s„rieux qui domine le monde. M‰me esth„tique que dans le premier tome, d'ailleurs, qui passerait mal dans certains cas mais qui ici, peut-‰tre parce que nous ne sommes pas loin de la parodie, participe ‹ ce plaisir dont j'essaye de parler. € Si tu ne vas pas aux coffiots, c'est les coffiots qui viennent ‹ toi • : telle est en substance (ou litt„ralement) la devise de Le Menech (‹ noter : trƒs en forme avec son Odile dans ce deuxiƒme volet !), tout aussi immorale ici que dans le premier tome, et cela continue de nous plaire de faŒon jubilatoire. • lire avec d„lectation.



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MAURICE LE MENECH, Odile – sa femme –, leur fils Alain – quatre ans – et le jeune S„bastien Bouchetard– neuf ans, leur fils adoptif –, ne sont finalement rest„s que quelques jours de plus ‹ l'H‚tel de la Poste de Brigneau-Mo•lan, dans le sud du Finistƒre. Passant leurs journ„es en tournois sur Omaha Beach, ce jeu du dƒbarquement de Normandie qu'ils ont r„install„s dans le hangar de leur ami Fernand dƒs que celui-ci „tait reparti ‹ Paris pour „couler ses deux caisses de poisson au march„ Edgar Quinet, ils allaient, chaque soir, dans un des ports o‘ se donnait une f„te de la mer. C'est ainsi qu'ils se trouvent, ce mardi 1er ao’t, ‹ Concarneau. La f‰te, dans ce grand port am„nag„ autour de la Ville Close et de son mur d'enceinte, avait commenc„ le samedi 29 juillet et toute la ville s'„tait embras„e. Des feux d'artifice avaient „t„ tir„s chaque soir, soit ‹ partir de barges install„es ‹ une encablure de la jet„e qui ferme le port de plaisance, soit depuis les remparts de la vieille cit„. Et les quelques 30 000 concarnois comptaient pour peu dans la foule rassembl„e pour cette occasion : les organisateurs estimaient le nombre ‹ plus de 200 000. De m‰me pour les bateaux : c'„tait comme si tous les p‰cheurs bretons s'„taient donn„ rendez-vous. Et pas seulement ceux du sud, et pas seulement les p‰cheurs. 8


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • Le spectacle est partout, et on se demande ce qu'il serait si le cidre „tait aussi alcoolis„ que le vin ! Il est 11 heures 30. Les derniƒres fus„es viennent d'‰tre tir„es. La police, les pompiers et des „quipes de la Croix-Rouge ramassent ceux qui ont roul„ par terre. Maurice n'imagine pas repartir ‹ Brigneau sans avoir revu au moins un de ses anciens collƒgues de la Royale. C'est pourquoi, malgr„ l'heure avanc„e, il promƒne encore sa petite „quipe le long des quais et sur les pontons, saluant au passage les „quipages ou les patrons p‰cheurs rest„s ‹ bord de leur bateau. Ils entrent sur le ponton A, le dernier ponton avant le quai nord qui fait face ‹ la cri„e. Odile, d„j‹ un peu lasse de marcher avec ses talons mi-hauts sur ces planches plus ou moins bien jointoy„es, tente de convaincre son mari de rentrer ‹ l'hŽtel lorsque le bruit d'un pas rapide r„sonne sur les planches, derriƒre eux. Maurice n'a pas m‰me le temps de se retourner qu'un homme, barbu, coiff„ d'une vieille casquette qui le ferait ressembler ‹ un capitaine au long cours lui envoie une grande claque sur l'„paule. ─ Alors, Maurice, on promƒne la p'tite famille ? ─ Ah Œa ! Boris ! Salut le moco ! Et en pacha on dirait ! C'est-y pour la f‰te que tu t'es fait r'linguer ? ─ Ben mon Maurice, tu crois pas si bien dire. La f‰te, tu vas pouvoir la faire sur le yacht ‹ Boris, le pacha comme tu dis. Et tu viens avec ta tribu, y a d'la place pour tout l'monde. ─ OK Boris, tu vas nous l'montrer ton rafiot, et j'espƒre qu'y sont pas tous bourr„s tes lampions pass'que les jeunes y z'aiment pas trop r'nifler vot'picole. ─ T'inquiƒte, Maurice, on a tout s'qu'y faut pour eux, et pour ta dame aussi. D'ailleurs, que si tu m'pr„sentais, je s'rais pas contre. Allez v'nez donc par l‹ vous autres ! 9


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • Odile n'attend pas d'‰tre pr„sent„e. ─ Dites, Monsieur Boris, ah, au fait, vous permettez que je vous appelle Monsieur Boris ? ─ Appelez-moi seulement Boris, on est entre nous, pas vrai Maurice ? ─ Bon, alors dites, Boris, vous ne croyez pas que nous serions mieux ‹ l'int„rieur pour les pr„sentations ? ─ Comme vous voudrez chƒre petite dame, suivez-moi. Le barlu est amarr„ au bout du ponton B, l‹-bas, ‹ cŽt„ de la vedette de la SNSM. C'est le Guilvinec, le grand bateau vert et blanc qu'on voit d'ici. ─ Ben mon salaud, c'est-y k'tu t'es fait des couilles en or, c'est pas un marsouin ton rafiot, s't'un paquebot. C'est kek bˆtons k'tas douill„s, tu m'racont'ras Œa hein p'tit pƒre ! ─ J'te racont'rai Œa l‹-bas Maurice, mais rappelle vite tes lardons qu'y sont en train d'se faire la malle. S„bastien avait pris Alain par la main. Tous les deux „taient remont„s sur le quai en courant et avaient d„j‹ rejoint l'avenue Pierre Gu„guin, au bout de la cri„e. De nombreux touristes „taient encore attabl„s aux terrasses des bars. Mais pas seulement des touristes. Jean Le Bertrand, de l'Armorique libre et son confrƒre Lionel Micoulin, pigiste pour Ouest France, enfilent les derniers verres. ─ Tu vois ces mŽmes Lionel ? dit Le Bertrand ‹ son ami. ─ Et quoi ? ”a t'„tonne qu'y soient pas encore au lit ? Mais c'est leur f‰te aux gamins. ─ J'te dis pas, mais ceux-l‹, attends, c'est un scoop que j'm'en vais leur faire au bahut ! Jean Le Bertrand sort discrƒtement son appareil photo de sa sacoche. 10


COFFIOTS DE LA € VILLE CLOSE • ─ J'attends qu'ils s'approchent un peu et j't'expliquerai. S„bastien et Alain ne sont qu'‹ une dizaine de mƒtres quand le journaleux appuie sur le bouton. Au flash, S„bastien lˆche la main d'Alain, se pr„cipite vers la table, arrache l'appareil des mains du photographe et repart en courant vers le ponton B. ─ Viens, suis-moi Alain, allez cours ! Quelques secondes s'„coulent avant que Jean L.B. et Lionel M. r„agissent. Les deux gamins sont d„j‹ hors de vue. ─ T'inquiƒte pas Jean, y peuvent pas aller loin sur ce ponton. On n'a qu'‹ y aller tranquillement et on les choppe sans problƒme. ─ Attends Lionel, c'est qu'y sont capables de s'planquer sur un bateau. Mais je sais lequel, c'est le Keraban. C'est un p'tit chalutier blanc. On peut pas l'manquer. Ah, je sens que j'vais leur pondre un sacr„ jus pour demain. Et m‰me sans la photo. ─ Note que si tu veux t'servir de mon appareil, il est ‹ ta disposition. Mais j'voudrais bien conna•tre l'histoire. ”a serait pas l'affaire du joueur de bridge que tu racontais l'autre jour dans ta feuille de chou. ─ J't'en prie Lionel, c'est pas l'moment d'te foutre de moi. J'te raconterai, c'est promis, mais maint'nant ouvre l'œil. Les deux reporters marchent jusqu'au bout du ponton. ─ Merde ! fait Jean, pas de Keraban ! O‘ est-ce qu'y sont partis ces mŽmes. Y a plus un chat ici. Maurice, Odile et Boris ont saisi les deux fuyards dans leur course et les ont tir„s manu militari ‹ bord du Guilvinec. Ils n'„taient d'ailleurs pas trop de trois pour les ma•triser.


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SON APPAREIL PHOTO – un Nikon num„rique ‹ 3 000 euros –, c'est une part importante de son outil de travail. Et il appartient ‹ sa bo•te. Jean ne peut pas s'en s„parer comme Œa. Il doit porter plainte, et tout faire pour retrouver le gamin. Il s'en souvient maintenant. Il s'appelle S„bastien, et c'est le fils adoptif de Monsieur et Madame Le Menech. Il n'a jamais trƒs bien compris les dessous de l'histoire, mais il est s’r que la Police, elle, sait de quoi il retourne. ─ Laisse tomber, Lionel, on l'retrouvera pas comme Œa ce p'tit voleur. J'ai vu qu'il y avait plusieurs voitures de flics ‹ l'entr„e du parking. Allons-y, j'vais d„poser une plainte. ─ Attends, Jean, tu crois quand m‰me pas qu'y vont prendre ta plainte dans leur voiture. Et il est bientŽt minuit en plus ! T'iras d'main au commissariat d'Concarneau. ─ Bon, „coute, on verra bien, mais je s'rais pas „tonn„ que cette affaire les int„resse et qu'y s'y mettent tout de suite. T'aurais vu l'cin„ma l'aut'jour, ‹ Brigneau. Et puis Œa co’te rien d'leur poser la question. ─ OK, Jean, j'te suis, mais c'est ma bergƒre qui va commencer ‹ s'poser des questions. C'est k'jai encore cent bornes ‹ m'farcir ! 12


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ Tu vas pas m'dire k'tu t'inquiƒtes pour elle ! Cinq minutes plus tard, les deux journaleux frappent ‹ la vitre du conducteur de la voiture de Police gar„e ‹ l'extr„mit„ ouest du parking, en face du beffroi, un endroit peu „clair„. Un brigadier entrouvre la portiƒre. • l'odeur qui se d„gage aussitŽt de la cabine, on sent tout de suite que la surveillance ne peut plus ‰tre aussi active qu'elle pouvait l'‰tre une paire d'heures plus tŽt. ─ C'est pourquoi messieurs ? ─ C'est pour un vol, je voudrais d„poser une plainte, r„pond Jean L.B. ─ Et c'est tout ? ─ Ben, c'est que, non, c'est pas tout, c'est toute une histoire. Vot' chef est-il l‹ ? ─ †coutez Monsieur, pour la plainte et pour votre histoire, vous pourrez venir demain au commissariat. ─ C'est qu'il s'agit d'une histoire avec le petit S„bastien, celui des Le Menech, ‹ Brigneau, vous savez peut-‰tre... Le grad„ assis ‹ l'avant, ‹ la place du passager, remet sa casquette et sort de la voiture... ─ Vous avez dit Le Menech, c'est bien Œa, j'ai bien entendu ? ─ Oui monsieur l'agent, enfin, le fils adoptif, le petit S„bastien. Pourquoi ? Vous ‰tes au courant ? D'une voix forte, le grad„ se retourne vers l'int„rieur de la cabine et hurle : ─ Dehors vous autres, et vite ! Pendant ce temps Maurice, Odile et les deux enfants, accompagn„s par le capitaine Boris, ont eu le temps de monter ‹ bord du Guilvinec. ─ Vous n'avez qu'‹ poser l‹ vos affaires, j'vais vous faire 13


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • visiter l'bateau. J'suis tout seul ce soir, l'„quipage est sorti. On n'embarque personne avant d'main matin. Ils suspendent parkas et sacs aux patƒres, dans un hall jouxtant un grand salon. Tous, sauf S„bastien. ─ S„bastien, enlƒve ton parka et accroche-le l‹ toi aussi, lui dit Odile. ─ Non, j'le garde. J'ai froid. ─ C'est comme tu veux. S„bastien, qui tient son bras droit serr„ contre lui, fait semblant de trembler de froid. Tous entrent dans le salon, une immense cabine tout ‹ fait dans le style bar am„ricain des ann„es 60 : tapis „pais, nombreuses et magnifiques marines suspendues aux boiseries finement travaill„es, fauteuils et canap„s de cuir, tables basses, larges hublots. ─ J'vous fais d'abord visiter ? On r'viendra ici aprƒs pour prendre un verre si vous voulez. ─ C'est Œa Boris, fais-nous faire le tour du propri„taire. Maurice, qui n'a jamais cess„ de surveiller S„bastien, a d„j‹ pr„par„ son plan. ─ Mais dis-moi, Boris, j'm'„tais pas gour„, c'est vraiment un paquebot ton bateau. ─ Bon, y a un peu d'vrai. Faut dire k'la p‰che hauturiƒre, comme y disait l'aut'Fernand, …a a eu payƒ, mais …a paye plus. ─ Ah, mais l‹ Boris, tu fais erreur, pass'que le Fernand, j'peux t'dire qu'y s'plaint pas. ─ Mais j'te parle de Fernand Raynaud, l'aut'chansonnier qu'on avait, dans l'temps. ─ Ah bon, j'pr„fƒre comme Œa. Alors tu dis k'c'„tait un barlu pour la p‰che hauturiƒre ? 14


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ Ou„, et on f'sait des mar„es d'une ou deux s'maines. Du cŽt„ irlandais par l‹-haut. Faut dire que moi j'lai pas vraiment connu comme Œa. C'„tait du temps d'l'ancien patron. ─ Mais o‘ c'est qu'y mettait son poiscaille ? Y a k'des cabines ! ─ Et ben l‹ o‘ tu vois des cabines, avant c'„tait la cale, c'est l‹ d'dans qu'on versait l'chalut. Moi, j'ai gard„ l'chalut, mais c'est pour la photo. Les touristes, si t'as pas des trucs pour leurs bo•tes ‹ images, y viennent pas chez toi. ─ C'est qu'y en a dans l'citron ‹ Boris. Tu commences ‹ m'int„resser mon fils. Minuit a d„j‹ sonn„ ‹ l'horloge du beffroi, ce monument centenaire qui marque l'entr„e de la Ville Close. Sur l'insistance de Boris, les Le Menech se sont laiss„s convaincre de finir la nuit ‹ bord. Les parents se sont vus attribuer la cabine de l'armateur – une des deux cabines ‹ large hublot lat„ral ouvrant sur le pont, l'autre „tant celle de Boris, le Pacha –, trƒs confortablement am„nag„e, avec salle de bains et WC attenants, tandis que les enfants ont „t„ conduits dans une cabine ‹ deux lits superpos„s, une des quatre cabines identiques, situ„s vers l'avant du bateau, avec ouverture au plafond, douche et WC communs. (Il reste encore, en plus des cabines occup„es par l'„quipage, deux cabines d'hŽtes ‹ lits doubles accessibles de la plage arriƒre.) Ils ne se sont d'ailleurs pas fait prier pour aller se coucher, les enfants, surtout S„bastien. Lui qui, tout au long de la visite, avait gard„ l'avant bras serr„ contre son son parka, sitŽt entr„ dans la cabine, choisit imm„diatement la couchette sup„rieure, se jette dessus, enlƒve son parka en tournant le dos et l'enfouit vite fait sous le traversin. 15


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • Les parents et Boris, eux, sont remont„s dans le salon. Boris a ouvert une bouteille et les deux marins commencent ‹ se raconter leur vie depuis qu'ils s'„taient s„par„s aprƒs leur affectation sur l'Origny, ce vieux dragueur de mines tout en bois o‘ Maurice „tait serrurier et Boris ‹ la cuisine. Ils avaient dixhuit ans tous les deux. Maurice interrompt la conversation. ─ Attends, Boris, je r'viens dans une minute. ─ Mais mon ch„ri, o‘ vas-tu ? ─ T'inquiƒte pas ma puce, je r'viens tout d'suite. Maurice descend sur le pont des cabines avant, s'approche de celle des enfants, colle son oreille contre la porte et, n'entendant que le l„ger ronflement des dormeurs, entre sans bruit. Il soulƒve d„licatement le traversin sous la t‰te de S„bastien, saisit l'appareil photo et revient au salon, le Nikon ‹ la main. ─ Qu'est-ce que t'as encore trouv„ ? Demande Odile. ─ Ma puce, tu crois k'c'est en courant comme Œa qu'il avait attrap„ froid, l'gamin ? ─ Alors Maurice, c'est Œa l'„ducation k'tu leur donnes ? ─ Attends Boris, on n'en est pas encore l‹. O‘ k'ten „tais ? Tu la continues ton histoire ?



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LE LIEUTENANT LE GOFF avait rassembl„ toute son „quipe de nuit – sept hommes et trois femmes – sur le quai, au bout du ponton o‘ le Guilvinec est amarr„. Il avait donn„ ses instructions et attendait dans une voiture les appels des uns et des autres. Il avait gard„ prƒs de lui Mademoiselle Florence Guguen, une stagiaire. Le premier appel ne se fit pas attendre. ─ Lieutenant de Louis Hamon vous m'entendez ? ─ J'„coute Lulu, ‹ toi. ─ Vous aviez pas parl„ d'une Blue Star ? ─ J'ai parl„ d'un bateau, le Keraban, qu'est-ce que tu m'chantes ? ─ L‹, chef, il s'agit d'une voiture, dans le grand parking qu'est d'vant la cri„e. ─ Merde, mais t'as raison Lulu, c'est quoi l'num„ro. ─ Attendez, avec ces foutus num„ros, on n'est plus habitu„. Heuh... kilo yankee, et puis mille deux cent vingt-six, et tango zoulou., elle est bleue. ─ Du con, et tu crois qu'une Blue Star Œa peut ‰tre jaune ? Tu bouges plus, tu restes sur zone avec Yann, vous vous planquez et vous agissez dƒs que quelqu'un s'approche de la tire. ─ Compris chef. ─ Florence, t'appelles Lorient et tu d'mandes le num„ro d'la 18


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • tire dans l'affaire ‹ Declain, tu sais tout l'tintouin qu'y z'ont fait dans l'port de Brigneau. Tu d'mandes pour la Blue Star bien s’r, pas la vieille deuche. ─ Bien patron. ─ Et si l'commandant Maradec est encore l‹, tu d'mandes qu'on m'le passe. ─ Bien patron. ─ Bon Dieu, des Blue Star, j'en ai encore jamais vues dans s'd„partement. Ah, ce sacr„ Declain qui veut jouer les vedettes ! J'te dis pas, Florence, mais y s'ra plus tout seul. Et l'Keraban, j'te dis pas non plus, mais on va s'faire une petite fouille que s'te nuit on s'en souviendra. ─ Pardon patron, c'est pas la Gendarmerie Maritime, pour les bateaux ? ─ On est dans l'port de Concarneau, oui ou merde ? C'est pas nous, Concarneau ? Le radio-t„l„phone cr„pite. ─ Allo, parlez ! ─ Ici Lucas pour le lieutenant Le Goff. ─ Alors Jo•l, vous l'avez trouv„ le Keraban ? ─ Non chef, pas de Keraban dans l'port. ─ Merde ! ─ Comment chef ? ─ Non, c'est pas pour toi Jo•l. T'appelles les autres et vous rentrez ‹ la maison. ─ Bien compris chef. Jean Le Bertrand et Lionel Micoulin se sont r„sign„s. Ils ont pris un dernier verre – d'ailleurs le bar fermait – et regagnent leur voitures respectives, toutes les deux au bout du grand parking du quai nord, devant la cri„e. 19


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ Dis-donc, Lionel, vise un peu cette voiture l‹-bas, la Blue Star. ─ La quoi ? ─ Blue Star, comme 'ƒtoile bleue'. ─ Merci, Œa va, j'comprends quand m‰me trois mots d'anglais. ─ Ou„, mais celle-ci, attends, c'est l‹ qu'on l'tient not gamin. Viens donc par l‹. Tous les deux se d„tournent pour s'approcher de la voiture. Ils sont maintenant tout contre la voiture et s'arr‰tent. ─ Attends Lionel, j'avais not„ l'num„ro dans mon carnet. Laisse-moi v„rifier. Jean met sa main dans sa poche. ─ Police ! Messieurs, contrŽle, vos papiers s'il vous pla•t. ─ Vous ! Ah Œa, c'est la meilleure, on m'l'avait encore jamais faite, dit Jean sur un ton mi moqueur, mi courrouc„. J'viens vous voir pour porter plainte, vous m'jetez comme un mal-propre et maint'nant vous nous sautez d'sus ! C'est quoi ce cin„ma ? ─ Mon collƒgue vous a d'mand„ vos papiers, r„pƒte le brigadier Briand, l'„quipier de Louis Hamon. ─ Bon Œa va, Œa va, on va vous les montrer nos papiers. Et nos cartes de presse, Œa vous int„resse ? ─ Et puis on va vous d'mander d'souffler dans s'ballon, si c'est comme Œa k'vous l'prenez. J'ai bien peur que vous partiez pas ce soir avec vot'belle voiture. Qu'est-ce que t'en penses Lulu ? ─ Il a raison mon collƒgue. Dans s'pays, vous comprenez, on n'aime pas beaucoup les noctambules qu'ont un peu trop carbur„ et qui s'prennent pour El Kabach. V'nez avec nous ! Lionel Micoulin s'insurge : 20


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ Mais vous avez pas l'droit. On n'„tait venus l‹ uniquement pour la r'garder cette voiture. Et Jean Le Bertrand en rajoute : ─ J'peux m‰me vous dire ‹ qui elle est, si vous voulez tout savoir. Mais les deux reporters sont maintenant tenus chacun par un bras et tir„s vers la voiture des keufs. ─ C'est la Blue Star de Brigneau, l'affaire o‘ il y avait l'directeur de cabinet du pr„fet et vot'chef de Lorient, le Commandant Maradec. Et j'peux m‰me vous dire que c'est le m‰me gamin qui... Le radio-t„l„phone du brigadier interrompt l'explication. ─ Hamon, vous me recevez ? ─ Oui chef, on a deux lascars qui s'pr„paraient ‹ partir avec la voiture, on les emmƒne au... ─ Mais pas du tout ! hurle Lionel Micouleau, on n'faisait k's'en approcher. On la conna•t cette tire, mon collƒgue vient d'vous l'expliquer. Merde ! ─ Hamon, r„pondez ! crie le lieutenant. ─ Oui chef, mais c'est qu'on a ces deux l‹ qui gueulent comme des cochons. ─ Hamon, serrez-les et restez o‘ vous ‰tes, j'amƒne du renfort. ─ Bien reŒu chef. En quelques secondes, deux journalistes repr„sentant la moiti„ de la presse du Finistƒre se retrouvent pinc„s l'un ‹ l'autre et tenus en laisse par le brigadier Briand. En fait de renfort, ce sont le Lieutenant Le Goff et la stagiaire Florence qui arrivent moins d'une minute aprƒs. Cette fois, sans doute grˆce ‹ l'„clairage public, le gradƒ Le Goff reconna•t imm„diatement Jean 21


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • Le Bertrand. D'un signe de la main, il ordonne ‹ Briand de relˆcher les deux prisonniers. Et, cachant mal sa confusion sous un air trƒs convenu, ─ Bonsoir Monsieur Le Bertrand, toujours le premier sur les affaires, comme d'habitude ! ─ Alors vous m'jetez dehors quand j'viens d„poser ma plainte et maint'nant vous m'reconnaissez ? Et bien faites-la donc tout seul votre enquƒte, nous on s'en va. On a d'quoi faire not'papier. Le Goff prend maintenant un ton amical, presque familier. ─ Attendez, Le Bertrand, on est sur la m‰me affaire, on va vous la prendre, vot'plainte, racontez-moi seulement comment vous ‰tes venus jusqu'‹ cette voiture. ─ Par hasard, tout simplement. ─ Alons Le Bertrand, ne m'prenez pas pour plus con k'je suis ! ─ Puisque j'vous dis € par hasard •, c'est € par hasard •. ─ Bon, et ce mŽme, par o‘ est-il parti ? ─ Y z'„taient deux, le jeune S„bastien, le plus grand, celui qu'a emport„ mon appareil photo, et son p'tit frƒre je crois. Y sont partis sur ce ponton, en face du beffroi. ─ C'est pas possible, arr‰tez vos histoires Le Bertrand, si y z'„taient partis par l‹, c'est k'le bateau le Keraban y s'rait aussi. Et il n'y est pas. Alors on a assez jou„, vous trouvez pas ? ─ Nous on n'joue pas Monsieur l'agent. Mais si vous l'trouvez pas, j'vous donne un truc. Demandez donc au patron du Guilvinec, le chalutier pour touristes qui est sur le m‰me ponton. Lui, y sait tout s'qu'y s'passe dans l'coin. ─ Mais nous savons s'que nous avons ‹ faire cher Monsieur. Florence, accompagne ces messieurs ‹ la voiture et occupe-toi de la plainte. Vous deux, v'nez avec moi.



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LE GOFF ET SES ADJOINTS Yann Briand et Louis Hamon descendent sur le ponton B pour aller jusqu'au Guilvinec, amarr„ au bout du ponton. Arriv„s au bateau, Le Goff demande ‹ ses „quipiers de l'attendre l‹. ─ J'y vais seul. Je vous ferai signe si besoin. Attendez-moi l‹. Une fois sur le pont, l'officier s'avance jusqu'au premier hublot „clair„ et jette un œil discret. Il aperŒoit deux hommes et une femme : le barbu lui semble ‰tre le patron du bateau. Quant aux deux autres, vu leurs tenues, ce sont s’rement des touristes attendant le d„part du lendemain. Ils ont l'air calme, pas l'air inquiet. Pas d'enfant. Pas d'autre cabine allum„e. € Fausse piste, se dit Le Goff, il m'a bien eu cet enfoir„ de l'Armorique libre. • ─ Y a rien ‹ voir ici, lance l'officier ‹ ses collƒgues avant m‰me d'avoir mis le pied sur le ponton, on rentre ! Le bruit des pas et de la voix de Le Goff ont „videmment „t„ entendus ‹ l'int„rieur du Guilvinec. Maurice, qui a trƒs bien compris de quoi il s'agissait, prend l'appareil photo, sort sur le pont et rappelle l'officier, imm„diatement suivi par Boris coiff„ de sa casquette de capitaine. ─ Monsieur l'agent, ne partez pas, c'est Œa k'vous cherchez ? lance Maurice d'une voix assez forte pour ‰tre entendue par les trois hommes d„j‹ arriv„s ‹ l'entr„e du ponton. 24


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • Ils se retournent et reviennent sur leurs pas. Maurice tient le Nikon en main et lƒve le bras bien haut. ─ Bonsoir Messieurs. Pouvons-nous monter ‹ bord ? demande Le Goff. ─ Alors des fois vous d'mandez, des fois vous d'mandez pas lui r„pond Boris, content de lui. ─ Chef ! fait Louis Hamon. ─ Oui Lulu, r„pond Le Goff en se retournant vers son „quipier. Hamon lui montre du doigt la cam„ra de surveillance fix„e au-dessus de la porte du poste de pilotage. ─ En effet, je risquais pas d'monter incognito. Mais venonsen ‹ cet appareil photo. ─ Tenez, M'sieur l'agent, prenez-le. ─ Mais l'gamin... ─ Le gamin y dort. ─ Mais il a commis un vol, cher Monsieur, je dois l'interroger. ─ Il a rien vol„, l'gamin, il a trouv„ s't'appareil, y m'l'a apport„ et il est all„ s'coucher. • qui voulez-vous que j'le donne ‹ s't'heure ? Voil‹, vous l'prenez et vous l'rendrez ‹ sui-l‹ qui viendra l'r„clamer. Vous ‰tes satisfait comme Œa ? ─ ”a va pour nous. Bonne nuit Messieurs. Les keufs s'„loignent. Le Goff appelle Florence Gueguen. ─ Florence pour Le Goff ─ J'vous „coute patron. ─ Y sont encore l‹ les deux zigotos ? ─ Non, y viennent juste de partir patron. ─ Alors Florence, t'appelleras l'Armorique libre demain matin pour dire qu'on a r'trouv„ l'appareil photo. Et la plainte, tu 25


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • la classeras sans suite. Tu nous attends, on arrive. ─ Le commandant Maradec vient d'appeler patron. Je lui ai r„pondu que vous „tiez occup„ et que vous le rappelleriez dƒs que vous aurez fini. ─ Et merde ! Rappelle-le et dis-lui k'l'affaire est class„e. ─ Bien patron. Maurice et Boris ont rejoint Odile dans le salon du Guilvinec, Odile, qui n'a rien compris ‹ l'affaire qui vient de se d„rouler et qui aimerait ne pas en ‰tre „cart„e. ─ Est-ce que je peux savoir ce qui vous a pris, tous les deux, ‹ sortir comme Œa, comme deux furies ? Mon ch„ri, tu ne me caches rien d'habitude. ─ T'avais pas vu k'S„bastien y planquait kek'chose sous son parka ? Tu voulais p't'‰tre qu'on r'joue l'coup de la bijouterie, chez INNO ‹ Paris ? ─ Non, j'avais pas vu, c'„tait quoi ? ─ Un appareil photo, mais pas une quincaille ‹ dix balles, du matos de pro, le m‰me que celui d'lautre pisse-copie qu'„tait v'nu m'poser des questions ‹ l'hŽtel. Y disait k'c'„tait pour l'Armorique libre. Y s'rait encore en train d'nous chercher s'tenfoir„ ! ─ Tu sais, mon ch„ri, il est sans doute venu pour faire un reportage sur la f‰te, tout simplement. Et Boris de confirmer. ─ C'est s’r, tous les baveux du coin y viennent, ‹ la f„te de la mer de Concarneau. Ce s'ra facile ‹ v„rifier d'main matin dans les canards locaux, Ouest France, Le petit Concarnois, L'Armorique libre et les autres. ─ Ben c'est pas k'j'ai peur de leurs tartines, mais j'pr„fƒre la discr„tion. Qu'on nous foute la paix avec l'histoire de 26


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • S„bastien ! On a donn„, maint'nant la vie continue. ─ Tu as raison mon ch„ri. Mais on devrait penser ‹ rentrer ‹ Paris. Tant pis pour les quelques jours de vacances qui restent. Au moins, on pourra s'organiser pour la rentr„e, et surtout pour S„bastien. On a encore rien pr„vu pour ses „tudes. ─ Ma puce, t'oublies mes deux rombiers qui doivent se d'mander o‘ on est pass„ et s'qu'ont d'vient. ─ †coute mon ch„ri, tes rombiers, tu les as sur le dos toute l'ann„e. On dirait que tu ne peux plus t'en passer. Oublie les un peu ! ─ Pas'que toi aussi tu trimballes ton „quipe ? Intervient Boris. ─ Attends Boris, je peux pas tout t'raconter en une soir„e. On s'reverra. Pour le moment, j'irais bien met'la viande dans l'torchon. Qu'est-ce que t'en dis ma puce ? ─ Moi je trouve qu'on est bien ici, mais si t'as sommeil, allons nous coucher. ─ Voulez-vous que j'vous r„veille demain matin ? demande Boris ─ Merci, mais si t'as pas b'soin d'nous, on pr„fƒre profiter d'ton palace. Comme chaque mercredi ‹ 9 heures, l'Office du Tourisme de Concarneau appelle le Guilvinec. Boris d„croche le t„l„phone du poste de pilotage, sur la passerelle. ─ Nous avons six personnes pour votre croisiƒre ‹ Bergen. Peut-on vous les envoyer ? ─ Il me reste seulement deux cabines doubles et trois cabines ‹ lits superpos„s. ─ C'est bon Monsieur Boris, il s'agit d'un couple avec deux enfants et d'un couple seul. 27


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ OK, j'vous envoie deux matelots pour les accompagner. Le Guilvinec appareille ‹ dix 10 heures 30. Les nouveaux arrivants – des parisiens – sont rest„s sur le pont pour assister au d„part. Largage des amarres, moteurs ‹ bas r„gime jusqu'au bout de la jet„e, ‹ la sortie du port de plaisance, entr„e dans la baie de Concarneau. Boris est ‹ la barre. Il pousse les moteurs ‹ 2 000 tours et met le cap au 225. On est d„j‹ par le travers de Beg Meil quand Maurice monte sur la passerelle. ─ Alors, le marsouin ‹ casquette, tu nous fais faire un p'tit tour ? ─ Tu m'as bien dit qu'Œa f'sait plus d'six ans k't'„tais pas sorti. Fallait bien que j't'offre Œa ! ─ Du moment qu'on est rentr„ pour ce soir et k'la m„t„o est bonne. ─ La m„t„o, j'lai „cout„e s'matin : pour le secteur 'Iroise ', c'est 'mer peu agitƒe, vent force 2 † 3 secteur ouest', Œa t'va ? ─ ”a m'va fiston, tu peux y aller. Laisse-moi la barre si t'as aut'chose ‹ faire, tu m'dis la route et c'est bonnard. ─ Tiens, et tu passes bien au large de Sein s'il te pla•t, pas'qu'aprƒs, dans l'secteur Ouessant, c'est plus la m‰me chanson. ─ Mais attends, Boris, j'vais m‰me pas y aller jusqu'‹ Sein. Si ma bergƒre voit Sein, elle nous fait un malaise. ─ Pas'qu'elle aussi elle l'a appris : 'qui voit Sein voit sa fin' ? ─ Et qu'est-ce que tu crois qu'on f'sait tous les deux ‹ Brest ? ─ Elle y est pas rest„e bien longtemps si j'tai bien „cout„ hier soir. ─ Non, pas bien longtemps, mais suffisamment pour d„cider qu'elle f'rait plus d'bateau. Mais une journ„e par une mer comme Œa, Œa d'vrait aller, sinon elle reste au paddock. 28


COFFIOTS DE LA € VILLE CLOSE • ─ Merde, c'est pas d'chance, pas'que sur secteurs Dogger, Fisher et Utsire, y z'annoncent 'mer forte † tr‡s forte avec vent force 7 † 8 et 9 par rafales'. Mais on y est pas. ”a peut s'calmer. ─ Qu'est que tu m'chantes. Si t'as pris l'bulletin pour Ouessant, on est bons. Les Norv„giens, y z'ont qu'‹ pas s'promener. ─ C'est pas pour les Norv„giens que j'te dis Œa, c'est pour mes clients. Y en a six qu'ont pas pay„ pour voir le fjord de Bergen du fond d'leur couchette. Et m‰me les bancs d'poissons, si t'es raide, k'tas l'mal de mer, t'y descends pas, dans la cale panoramique. ─ Tu vois Boris, j't'ai connu plus drŽle dans l'temps. Tu crois pas qu'on peut faire d'mi-tour ? ─ Non pas maint'nant, j'veux dire pas aujourd'hui. Tiens, on est juste par le travers de Guilvinec. C'est l‹ qu'il „tait l'bateau dans l'temps, quand on f'sait l'cabillaud, le merlu ou la langoustine. Bon, tu peux mettre au 270 jusqu'‹ Penmarch. Et pousse un peu, 2 500 tours, sinon on y s'ra encore pour No•l ! ─ Putain, mais c'est k'tu t'foutrais d'moi pour de vrai ! On file d„j‹ 15 nœuds, t'es pas content ? ─ Ben tu vois, non, pas'qu'y faut qu'on soit ‹ Concarneau dans quinze jours, pour la prochaine bord„e. Avec les deux moteurs on est bien ‹ 20 nœuds. Allez, Maurice, pousse donc les manettes ! ─ Ma parole, s't'un enlƒvement ! T'arr‰tes tes conneries ou j'fais un appel sur le canal 16. ─ Viens plutŽt ‹ table. Il est d„j‹ une heure. ”a doit ‰tre servi.


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BORIS APPELLE LE MATELOT TRUSTAN, un de meilleurs pilotes du bord. ─ Vous m'avez appel„, commandant ? ─ J'vais d„jeuner Trustan, tu appelles Yvon pour surveiller. Tu passeras ‹ deux milles au sud de Sein, c'est bien compris. L‹, tu mettras le cap sur le 310 et tu m'fais appeler. ─ Bien compris commandant. Deux milles sous Sein et cap au 310. Bon app„tit commandant. Bon app„tit Monsieur. Une table est r„serv„e pour Boris et ses invit„s ‹ l'extr„mit„ de la salle ‹ manger, s„par„e des autres tables par une jardiniƒre garnie de hautes plantes tropicales. Les autres passagers sont d„j‹ ‹ table. Un couple assez jeune, seul ‹ une table, et un autre, dans la quarantaine, avec deux jeunes garŒons de 10 et 12 ans environ ‹ une autre table. ─ Attends-moi Boris, j'vais appeler Odile et les enfants. Mais attends-toi ‹ s'qu'elle soit pas d'bonne humeur quand elle apprendra s'que tu nous as concoct„. ─ Bouge pas. J'envoie quelqu'un. Boris claque dans ses doigts. Le ma•tre d'hŽtel s'approche aussitŽt. ─ Yag, tu veux bien aller frapper doucement ‹ la porte de Madame et lui dire que nous l'attendons ‹ table. Et pareil pour les deux garŒons. 30


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ Bien Commandant. ─ Et demande ‹ Titouan d'nous amener les ap„ritifs. ─ Bien Commandant. Dans la minute, Titouan s'approche avec une table roulante et des quantit„s de bouteilles et de soucoupes garnies de biscuits et autres amuse-gueule sal„s. ─ Tu as une pr„f„rence ? ─ Oui, un whisky par exemple, Red Label vous avez ? ─ Mais ‹ quoi tu penses Maurice ? On t'propose du vrai, du bon. • toi d'choisir. Laphrohaig, Caol Ila, Macallan ? Tous 12 ans d'ˆge. Moi, mon pr„f„r„, c'est le Bruichladdich. Tiens, Titouan, sers nous donc un Bruichladdich. Tu m'en diras des nouvelles. ─ OK pour un Brutmacchich. ─ Bruichladdich. Oui, pas facile ‹ dire. Mais go’te-moi Œa ! J'en ai rapport„ deux caisses de not'derniƒre escale ‹ l'•le d'Islay. C'est ‹ l'ouest de l'†cosse. Mais cette fois-ci, on n'va pas y passer. Nous, c'est 'direct to Bergen Norway !' Maurice n'en peut plus. Jusqu'‹ la veille ‹ la m‰me heure, il se croyait le plus heureux des hommes. Sa devise, 'si tu vas pas aux coffiots, les coffiots viendront † toi', il la croyait au dessus de tout, magique, in„galable. Mais l‹, il est d„pass„. Il est mal. Odile, accompagn„e de Yag, entre dans la salle ‹ manger. Mais sans les enfants. Elle s'approche et, avant m‰me de s'asseoir ‹ table, s'adresse ‹ Boris. ─ Boris, c'est permis de poser une question ? ─ J'vous en prie chƒre Odile. Mais asseyez-vous donc. Voulez-vous un ap„ritif. ─ Excusez-moi, Boris, oui je veux bien un ap„ritif, oui je vais m'asseoir, mais avant, voulez-vous bien me dire ce que 31


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • nous faisons ici, en pleine mer ? Mon ch„ri, tu le sais, toi ? Tu n'aurais pas fait Œa sans m'en parler, j'en suis certaine ! ─ Bien s’r ma puce, j'voulais t 'en parler, j'lai dit ‹ l'ami Boris, mais tu sais comme il est, y fonce, y fait Œa pour nous faire plaisir et j'ai pas pu l'arr‰ter. Et tu sais quoi ? ─ Non, mais dis moi, dis moi vite ! ─ Oui mais ‹ propos, o‘ sont les enfants, y sont pas avec toi ? Yag intervient : ─ J'ai frapp„ ‹ leur porte, et puis je suis entr„ dans leur cabine et ils n'y „taient pas. Je n'les ai pas vus. Boris sent la moutarde lui monter au nez : ─ Alors tu nous dis Œa comme Œa, tranquillement. Mais bordel, appelle tout l'monde et fouillez l'bateau. Appelle aussi la passerelle qu'y fasse sonner l'alerte et demi-tour, vitesse r„duite, des fois que... ─ Boris, vous voulez dire... ─ Ma puce, t'inquiƒte pas, on fait toujours cette manœuvre, 'homme † la mer', c'est obligatoire si on voit que quelqu'un manque ‹ bord. Mais on va les r'trouver, c'est s’r. Tu sais, avec S„bastien, on en verra d'autres ! Assieds-toi, sers-toi un verre et attendons. ─ Sers-moi donc un Martini blanc s'il te pla•t. * * * BORIS EST REMONT† SUR LA PASSERELLE, au poste de pilotage. Tout l'„quipage – neuf hommes – fouille le bateau de fond en comble. Au bout d'une demi-heure, Boris se r„sout ‹ faire un appel de d„tresse. 32


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • Il appuie sur la touche rouge de la station VHF. Quelques secondes plus tard le CROSS1 r„pond. € De CROSS ˆtel pour Guilvinec, me recevez-vous ? ─ Guilvinec, cinq sur cinq, ‹ vous. ─ Passez sur le canal 7, ‹ vous. ─ Bien compris, je passe sur canal 7. Maurice a rejoint Boris ‹ la passerelle. Deux matelots, ‹ l'avant, scrutent l'horizon ‹ la jumelle. Plusieurs bˆtiments ont signal„ leur pr„sence sur zone. Maurice prend le micro des mains de Boris. ─ • tous les bateaux secteur Audierne de Guilvinec. Recherchons deux enfants peut-‰tre ‹ la mer, r„pondez. On entend plusieurs r„ponses indistinctement. Et puis plus rien, mais un des deux matelots, ‹ la proue, se retourne vers la passerelle et pointe son doigt vers une direction, ‹ l'horizon, vers l'ouest. Boris d„croche ses jumelles et regarde. ─ En effet, il y a un bateau blanc l‹-bas, qui ressemble ‹ un petit chalutier. ─ Passe-moi Œa, dit Maurice en lui prenant les jumelles d'autorit„. Quelques instants aprƒs, Maurice le marin confirme son intuition : ─ C'est le Keraban, c'est s’r, c'est mon ami Fernand qui r'vient d'Granville. Y a qu'‹ stopper les machines et l'attendre. Y va nous aider. ─ Eh, Maurice, regarde donc derriƒre ! Une vedette de la Gendarmerie Maritime s'approche du Guilvinec ‹ grande vitesse, suivie d'assez prƒs par le bateau rouge de la SNSM2. 1 2

Centres R„gionaux Op„rationnels de Surveillance et de Sauvetage Soci„t„ Nationale de Sauvetage en Mer

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COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • Les gendarmes ont sorti les pare-battage sur leur babord et viennent ‹ contre, sur le babord du Guilvinec. Un matelot leur lance un bout et deux hommes montent ‹ bord. Boris et Maurice sont descendus de la passerelle et les accueillent sur le passeavant. ─ Bonjour Messieurs, que nous vaut votre visite ? demande Boris. Un sous-officier ouvre une sacoche dont il extrait un papier. ─ Vous ‰tes le patron de ce bateau, n'est-ce pas ? ─ Oui Monsieur. ─ Vous avez bien ‹ bord la famille Le Menech, c'est bien exact ? ─ C'est vrai aussi. ─ Et donc le petit S„bastien Bouchetard. ─ En effet, il „tait ‹ bord jusqu'‹ hier soir, il est suppos„ avoir dormi ‹ bord, avec le jeune Alain Le Menech, mais tous les deux ont disparu. J'ai lanc„ un appel de d„tresse voil‹ une demiheure environ. Nous craignons que... ─ La SNSM, derriƒre nous, c'est donc Œa ? ─ Je suppose Monsieur. Ils ont d’ ‰tre alert„s par le CROSS, et le chalutier blanc, l‹-bas, est aussi ‹ leur recherche. Nous sommes revenus sur zone pr„sum„e dƒs que nous avons constat„ leur disparition mais ‹ vrai dire nous ne les avons pas vus depuis qu'ils se sont endormis hier soir, dans leur cabine, en bas. ─ FranŒois, crie le sous-officier vers un collƒgue rest„ ‹ bord de la vedette, appelle le poste et demande un patrouillage d'h„lico, de Concarneau ‹ Guilvinec, jusqu'‹ dix milles, pour chercher deux enfants. Quant ‹ nous, pouvons-nous visiter votre bateau ? ─ Faites, j'vous accompagne. Maurice intervient. 34


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ S'il vous pla•t Monsieur, j'peux savoir s'que vous lui voulez au p'tit S„bastien ? ─ Vous comprendrez que c'est pas l'moment d'parler d'Œa, Monsieur Le Menech. ─ Ben oui, j'comprends, mais c'est k'ma femme elle s'fait du sang, alors si vous en rajoutez... ─ †coutez Monsieur Le Menech, nous avons reŒu ordre du Pr„fet de retrouver le jeune S„bastien Bouchetard. Alors s'il vous pla•t, laissez-nous travailler. Maurice repart prƒs d'Odile ‹ la salle ‹ manger pendant que Boris et les deux gendarmes fouillent toutes les cabines. ─ On va les r'trouver ma puce, j'suis pas inquiet. Il a plus d'un tour dans son sac, ce sacr„ S„bastien. J's'rais m‰me pas surpris qu'il ait trouv„ une planque que m‰me le bosco il y a pas pens„. ─ Ah, mon ch„ri, si tu pouvais avoir raison ! Reste avec moi maintenant. J'ai tellement peur ! Aux autres tables, les conversations se font de moins en moins discrƒtes. € Des parents qui surveillent m‰me pas leurs enfants •, entend-on ‹ une table, et ‹ l'autre : € Tu t'rends compte, on a pay„ une somme folle et tout Œa pour faire des ronds dans l'eau ! • Et en r„ponse : € Et en plus, on n'y s'ra jamais en Norvƒge, si Œa continue ! • ─ Quoi, pourquoi elle parle de Norvƒge celle-l‹ ? demande Odile ‹ son mari. ─ C'est aussi la question k'j'ai pos„e ‹ Boris. J'croyais k'c'„tait une farce, mais Œa a plus l'air d'‰tre une farce. J'vais tirer Œa au clair dƒs qu'on aura r'trouv„ les gamins. Et Maurice se lƒve, se retourne vers les autres tables et, d'une voix forte, avec toute l'autorit„ qui le caract„rise dans les moments d„licats, fixant de ses yeux noirs, tour ‹ tour, les deux 35


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • couples attabl„s, leur jette : ─ Chers amis, nous sommes sur le m‰me bateau, si Œa vous pla•t pas, y a des gilets d'sauvetage pour ceux qui savent pas nager. Vous faites s'que vous voulez mais si vous d„cidez d'rester su'l'bateau vous fermez vot'gueule. ─ Le plus ˆg„ des deux hommes, celui qui a deux enfants, se lƒve ‹ son tour. ─ Vous vous prenez pour qui, ‹ oser nous parler comme Œa, Monsieur ? Maurice ne se laisse pas impressionner. Jamais. Il appelle un matelot. ─ Tu t'appelles comment ? ─ Joan. ─ Bon, Joan, tu veux bien sortir un canot. Ce Monsieur a envie d'ramer. Y va ramer jusqu'‹ Concarneau avec sa p'tite famille et j'vais lui rembourser son voyage. N'est-ce pas Monsieur ? ─ Mais, Œa alors ! Tu entends Œa tr„sor ? ─ Notez bien k'si vous pr„f„rez r'partir avec les cognes, j'peux leur demander ce p'tit service pour vous. Y r'fusent jamais d'rend' service, croyez-moi. Allez vite ranger vos affaires ! Allez ! L'homme s'est rassis ‹ sa table. Joan a d„j‹ mis un canot ‹ la mer, retenu par un bout. Le Keraban n'est plus qu'‹ quelques encablures, ‹ l'arriƒre, vers l'ouest. Les gendarmes ont termin„ leur fouille et sont revenus sur le pont, ‹ l'avant, vers l'est. Le chef semble ennuy„ : ─ Eh bien, Œa m'a l'air d'‰tre bien ennuyeux. J'espƒre que vous allez les retrouver au plus vite. Heureusement l'eau n'est pas froide, elle est ‹ plus de vingt degr„s en surface. Et puis Œa ne 36


COFFIOTS DE LA € VILLE CLOSE • manque pas de bateaux dans le secteur. Gardez confiance. Au revoir Monsieur. Les gaffes descendent dans leur vedette. Celle de la SNSM a stopp„ ses machines ‹ une vingtaine de mƒtres du m‰me cŽt„. Les bƒnƒvoles du secours en mer commencent ‹ „changer leurs informations avec les gendarmes. On entend un bruit r„p„t„ qui vient du fond du bateau. Le Keraban est ‹ port„e de voix et stoppe ses machines. ─ Qu'est-ce qui s'passe l‹ en-dessous ? s'interroge Boris. Il entre dans la cabine de pilotage et appelle Joan qui est sur le pont, ‹ l'arriƒre. ─ Joan, descend vite aux cabines et „coute d'o‘ vient ce bruit comme Œa € boum boum boum •. ─ Bien Commandant. Maurice aussi a entendu. Il lui vient une id„e et se pr„cipite vers le pont inf„rieur. Il trouve Joan en train de coller son oreille partout, sur toutes les cloisons. Maurice, lui, colle son oreille sur le sol.


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WILLY VANDENLOOD a fait montre d'une certaine nervosit„ aprƒs l'arriv„e des voiture de police et des pompiers. Mais il a pris le temps, avant de s'„clipser, de donner rendez-vous ‹ Madame Girardin demain, samedi, au m‰me endroit, ‹ midi. Elle et les Le Menech sont rentr„s ‹ l'H‚tel de la Poste de Mo•lan-sur-Mer. Ils retrouvent Alain que Gwennaelle a d„j‹ fait d•ner mais eux n'ont plus faim. Ils d„cident de se s„parer et tous montent dans leur chambre. ─ T'as vu ma puce ? Y a pas eu b'soin d'le pousser, il y est v'nu tout seul. ─ Oui, j'ai vu mon ch„ri. Je suis vraiment contente. Par contre tu avais l'air pensif quand le bruit a couru qu'il s'agissait d'un asiatique. Tu pensais ‹ quelqu'un de pr„cis ? ─ Non, pas vraiment, mais j'me d'mande s'qu'y f'sait cont' le Guilvinec. ”a peut pas ‰tre le hasard. ─ †coute, on verra demain. De toutes faŒons c'est l'affaire de la police, pas la notre. ─ T'as raison ma puce. Un p'tit cˆlin ? ─ Ah non, un gros ! Le lendemain matin, Maurice descend le premier en salle ‹ manger et prend les deux quotidiens r„gionaux mis ‹ la disposition des clients : Ouest-France et l'Armorique libre. Le 38


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • chinois fait la une des deux journaux et il s'agit d'un jeune d„tenu – en principe, on devrait dire ƒl‡ve – de l'„cole des fr‡res de Saint-Joseph. Il manquait ‹ l'appel du soir, aprƒs le repas. Aucune trace de blessure. Le procureur a ordonn„ une autopsie. On ne lui conna•t pas de famille. Il avait „t„ plac„ l‹ par la DDASS. La police se pr„pare ‹ entendre une par une toutes les personnes de l'„tablissement, et les „lƒves aussi. € Le noiche, le pote ‹ S„bastien, Œa peut pas ‰t' lui, S„bastien y disait qu'il irait s'coucher. L‹ y s'est pas couch„, y s'est noy„. Y vont l'entendre et y dira k'son pote il „tait all„ s'coucher, c'est tout, y a pas d'l„zard • C'est bien, mais Maurice n'est qu'‹ moiti„ rassur„. Et puis il y a le transfert ‹ assurer. Le p'tit prince et le singe, il faudra leur dire ce qu'ils ont ‹ faire. Avec toute cette flicaille, Œa ne sera pas coton. Il y a aussi le risque de voir S„bastien entendu par les flics juste au moment o‘ ce serait ‹ son tour d'agir. Toutes ces id„es s'emm‰lent dans la t‰te de Maurice. Quoi faire avec Madame Girardin pendant ce temps ? Il est vrai qu'elle a son rencard avec Willy. Mais Willy, sa marchandise, il faudra bien qu'il approche sa voiture du beffroi, au plus prƒs du quai qui est rempli de bagnoles de keufs. Enfin Boris, est-ce qu'il pourra amarrer son sabot au quai, sous le rempart ? € Et merde, on l'avait bien phosphor„ s'coup l‹, et y vont nous l'mettre en carafe, merde ! • Odile et Madame Girardin entrent ‹ leur tour dans la salle ‹ manger et viennent s'asseoir ‹ la table de Maurice. ─ Tu as l'air inquiet mon ch„ri. Les nouvelles ? C'est Œa qui te met dans cet „tat ? ─ Non ma puce, j'suis pas inquiet. Disons que j'suis triste. C'est jamais bidonnant d'voir un jeune se faire flotter, comme Œa. Tu gamberges, et si c'„tait not' S„bastien ! 39


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ Oh, ne dites pas Œa, Monsieur Le Menech, pas S„bastien ! ─ Vous savez, avec la baille, on choisit pas ! Ma puce, t'as r„veill„ Alain ? ─ Oui mon ch„ri, Œa fait un moment qu'il est dans le jardin. ─ Alors y faut s'magner si on veut k'notre amie elle manque pas son rencard avec Willy. ─ Tu veux bien nous laisser encore une minute, le temps de finir notre petit-d„jeuner et nous sommes ‹ toi. * * * MAURICE ENTRE DANS CONCARNEAU et fait le tour de la ville, juste pour passer par le boulevard de Bougainville et voir si la Mercedes de Willy est rest„e ‹ la m‰me place. Il ne la voit pas. Il continue par le quai P„n„roff et s'arr‰te devant le Vauban pour laisser descendre Muriel Girardin. ─ Nous viendrons vous retrouver ici un peu plus tard. Ne vous inqui„tez pas, et bonne chance avec Monsieur Vandenlood ! lui lance Odile. Maurice repart et va garer la Blue Star sur le quai Carnot, en face de la Ville Close, de l'autre cŽt„ du bassin nord. De l‹, il peut observer les va et vient de tout le monde sans „veiller l'attention. Il aperŒoit le p'tit prince et le singe, attendant d„j‹ ‹ l'endroit convenu. Le Guilvinec n'a pas boug„ et on ne voit personne sur le pont. Des flics entrent et sortent continuellement de la Ville Close. ─ Il faut qu'on reste ici ma puce. Si tu veux, t'auras qu'‹ aller chercher des sandwichs. Faut attend' que le Guilvinec vienne ‹ quai. • s'moment l‹ t'iras accompagner mes deux zouaves pour les pr„senter ‹ Boris. Tu lui dira qu'y cherchent du boulot, qu'y 40


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • peuvent aider ‹ charger l'matos. T'auras qu'‹ lui dire k'c'est toi qui raques, pour rend'service ‹ ces pauv' mecs. ─ Trƒs bien, jusque l‹ je comprends, mais ‹ Georges et ‹ Ren„, j'ai rien ‹ leur dire ? Tu leur a d„j‹ tout expliqu„ ? ─ Ma puce, tu sais bien qu'‹ ces deux peigne-cul, on peut pas leur causer plus d'cinq minutes avant l'heure. M‰me si y z'entravent kek' chose, y te boulottent tout ! Alors tu leur fais pas d'dessin, tu leur dis seul'ment k'tout s'k'y z'auront charg„ dans l'bocal, y l'd„chargent aussitŽt qu'y voient l'gamin qui leur tend les mains. Aprƒs y z'ont juste ‹ attend' qu'on leur ouv' la porte. ─ Bon, je crois qu'ils sont capables de faire Œa. C'est plus facile que la m„canique des voitures. ─ Et pendant s'temps l‹ j'garde Alain avec moi et j'mate. OK ma puce ? Odile part acheter deux sandwichs et un pain au raisin pour Alain. • son retour, le Guilvinec a lev„ l'ancre et manœuvre pour se mettre ‹ quai, ‹ dix ou quinze mƒtre du beffroi, par babord. ─ Va ma puce ! C'est ton tour. Odile se rend au pied du beffroi et s'approche des deux employ„s du Grand Garage. ─ Bonjour Georges, bonjour Ren„, vous attendez depuis longtemps ? ─ Non M'dame Odile, r„pond Georges – le p'tit prince –, Œa fait qu'une heure qu'on est l‹. On r'garde. C'est plein d'flics qu'on sait pas s'qu'y font. ─ Ne vous occupez pas des flics. Ils font leur travail. Vous, vous avez ‹ faire le votre. ─ C'est quoi not' taf ? demande Ren„ – le singe. Odile explique avec pr„cision et concision. 41


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ C'est panard, on va y voir des poissons. Merci M'dame Odile, dit encore le singe. L‹-dessus, Odile accompagne ses deux acolytes jusqu'au Guilvinec. Elle aperŒoit Boris sur la passerelle, au poste de pilotage et l'appelle. Boris sort sur le pont. ─ Ah, c'est vous M'dame Odile, quel bon vent ? – C'est que j'ai pens„ que je pourrai vous aider si vous avez quelques mat„riels ‹ charger. ─ Pour une fois qu'on ne vient pas pour me d„charger, alors j'veux bien. C'est ces deux crapauds qui veulent du taf ? ─ Oui Boris, et c'est moi qui les paierai, je leur ai promis. Mais si vous voyez Maurice, s'il vous pla•t, ne lui dites rien. ─ Promis M'dame Odile. Allez les branleurs, montez ! Et enfilez ces combinaisons pass' que dans l'bocal y a d'l'eau. C'est un principe. Pour respirer, vous avez qu'‹ aspirer dans l'tuyau, chacun vot' tour. Et vous m'ranger bien les bo•tes. J'veux pas d'bordel sur ce barlu, nom de Dieu ! Les deux apprentis dockers descendent dans la cale. Odile se retire au del‹ du beffroi, au del‹ du pont m‰me, sur le quai P„n„roff, et regarde. On n'entend ni ne voit plus rien du cŽt„ du Guilvinec. Par contre, de l'autre cŽt„ du rempart, S„bastien attend. • vingt mƒtres environ, cach„ dans un renfoncement du mur. Et puis il s'approche, s'enfonce dans l'eau jusqu'aux „paules et tend les bras vers les deux manœuvres. La demi-douzaine de coffres ressort du bocal en trƒs peu de temps. S„bastien repousse la porte du bocal. Les gars de Maurice ferment la porte de l'int„rieur et attendent qu'on leur ouvre. Les coffres sont entass„s contre le rempart. S„bastien les porte un par un au pied du beffroi. Un flic l'aperŒoit et s'approche. 42


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • ─ Alors mon garŒon, on dirait que tu peines ‹ porter ces bo•tes. ─ Oui M'sieur. C'est l'bateau l‹-bas qui les a d„charg„es pour que j'les porte derriƒre la tour, l‹, sous l'horloge qu'est l‹-haut. ─ Attends mon garŒon, tu vas pas y arriver, j'vais t'envoyer d'l'aide. Deux minutes plus tard, deux keufs en blouson ont fini le boulot de S„bastien. ─ Et bien tu vois mon grand, la police, elle sert aussi ‹ Œa ! Aider les gens, explique l'un des deux bleus. ─ Merci M'sieur. C'est Papa qui va ‰tre content. ─ Eh bien tu pourras lui dire ‹ ton papa, que c'est des flics qui t'ont aid„. Allez, mon gars bon courage !

* * *

SUR LE QUAI CARNOT, Maurice regarde sa montre. € Y doit avoir fini. C'est mon tour maint'nant. • Il d„marre et approche la Blue Star au plus prƒs du beffroi. Il lui reste ‹ franchir six fois le porche d'entr„e de la Ville Close, les mains vide en entrant, charg„es en sortant. La distance totale est de vingt-cinq mƒtres. Il commence ‹ remplir le coffre arriƒre. Puis celui de devant. Il reste deux bo•tes qu'il sera contraint de laisser sur la banquette arriƒre. Mais au moment d'entrer pour la sixiƒme fois dans la presqu'•le, il aperŒoit un bleu sortant de l'„cole des frƒres et tenant S„bastien par le bras. 43


COFFIOTS DANS LA € VILLE CLOSE • € Le sacr„ mŽme, il a tout r„ussi et y faut k'les keufs l'emmƒnent ! O‘ qu'elle est la mƒre Girardin ? Elle le sortira bien d'l‹, une fois d'plus, avant d'partir ‹ Jersey. • Maurice court vers la caf„ Le Vauban. Le Guilvinec a remis ses moteurs en route et regagne son mouillage. Boris, du poste de pilotage, entend un bruit bizarre. Il appelle Yann. ─ T'entends ce bruit comme Œa, 'boum boum boum' ? Tu peux aller voir d'o‘ Œa vient ?


ISBN n• 978-2-917899-01-4 Achev„ d'imprimer en juillet 2008 par TheBookEdition.com ‹ Lille (Nord-Pas-de-Calais) Imprim„ en France D„pŽt l„gal 20081204-65545



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