Nadia kidnapée

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Nadia kidnappÄe


Du m€me auteur

Anthologie de Steam-Punk , 6 nouvelles, aux •ditions Publibook, paru en septembre 2006

Ä la fenÅtre du dÇsir, aux •ditions Mille Po‚tes, paru en aoƒt 2007

Cet ailleurs, 4 nouvelles aux •ditions Mille Po‚tes, paru en f„vrier 2008


Jacques AbÄasis

Nadia KidnappÄe Polar


… Jacques Ab„asis – 2008 jacques.abeasis@orange.fr http://www.jacquesabeasis.cabanova.fr … Les •ditions Keraban – 2008 ISBN 978-2-917899-05-2 2, route de Bourges – 18350 N„rondes contact@keraban.fr http://www.keraban.fr

* La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alin„as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement r„serv„es ˆ l’usage priv„ du copiste et non destin„es ˆ une utilisation collective et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute repr„sentation ou reproduction int„grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alin„a 1er de l’article 40). Cette repr„sentation ou reproduction, par quelque proc„d„ que ce soit, constituerait donc une contrefa‰on sanctionn„e par les articles 425 et suivants du Code p„nal.


... € Laura


Distribution

Joe, ou Charles Vollner, patron du ‘FORMICA’, journal de la capitale fran‰aise. Nadia, jeune „tudiante et compagne de Joe.

Sirry, d„tective priv„, employ„ du ‘‘FORMICA’’

Stick, garde du corps de Joe.

Vicky, d„tective priv„ et homme de main, habitu„ de

l’Oiseau Bleu •

Gina, tenanci‚re de l’Oiseau Bleu

Tonio, un indic de Sirry

Madame Arbogast, secr„taire de Joe

Vincent, un journaliste du ‘FORMICA’

Marion et Louis, un couple de m„c‚nes

Suzanne, amie de Sirry

Colette Hagenmuller, psychiatre

Michel Hagenmuller, „crivain et traducteur

Doc Martin, un messager

Jack, gangster

Bilou, un garagiste

Jane, une fleuriste


Premier mouvement



L’enl‚vement

− Je la chope, je la retourne, je la bankrupte, en tourne-cul autant que je m’en contrepute. Pourquoi donc . . ., gronde le boss. − Si elle te trahit, c’est seulement si,... avoue que sa disparition a un caract‚re „trange, lui r„pond son compagnon. − T’en foutrais, elle a trouv„ un copain cette petite fille de trou-baba, que veux-tu qu’il lui soit arriv„. Un enl‚vement ? Elle n’a m€me pas pris sa brosse ˆ dent, avoue, tout de m€me ! Dans le bureau du boss, ce dernier tourne d’un grand pas autour du tr‚s grand bureau. La moquette vert pŒle, un peu bleut„e, amortit le son des grosses talonnettes sur le sol. Le patron est crisp„, en pleine r„flexion, des chaussures noisette clair, pantalon en toile, gris fonc„, chemise ˆ carreau. Joe n’est pas du genre costard-cravate. De temps en temps une grosse cravate vermillon ou vert pomme ˆ petit pois jaune, mais vraiment les jours de vacances. Le visage lourd, cubique, mi-chauve, avec une couronne de blancs cheveux. • peine la cinquantaine, et quelques gros coups. Manager d’une agence-conseil, dont il s’occupe la plupart du temps, mais aussi directeur d’un grand journal dont les locaux jouxtent une certaine Agence des Renseignements Gratuits. Joe a acquis sa r„putation avec des coups d’„clat, de grosses ventes, quelques OPA muscl„es. Il s’occupe d’affaires, 12


NADIA KIDNAPP‚E en m€me temps que des conseils „ditoriaux. Il est tr‚s pris. Mais sa maŽtresse ne lui prend pas beaucoup de temps. Il ne trafique pas, mais il g‚re l’agence avec une certaine maestria. Il aime prendre les choses en main, et lˆ, elles lui „chappent sacr„ment : la disparition de sa maŽtresse, qu’il aime comme une fille, la belle Nadia, le crispe l„g‚rement. On entend la climatisation comme le vol d’une mouche. − • la sortie de l’„cole de mannequin, retrouvez-lˆ ! − Boss, ne vous „nervez pas. C’est le maigrichon qui parle, lˆ. Celui-lˆ est tout droit sorti des films des ann„es trente, costard de toile, gris pŒle avec de longues bandes blanches verticales, le chapeau de d„tective blanc, et les souliers noirs et cir„s, quasiment au garde-ˆ-vous, impassible. Le patron est en boule, il se dirige vers la porte du grand bureau, tr‚s en hauteur qui offre une vue magnifique sur la ville, il ouvre la porte, furieux et se pr„cipite, avec le larbin ˆ sa suite, dans les locaux de la r„daction du journal. Le ‘FORMICA’, un grand journal de la capitale tire ˆ deux cent cinquante mille quotidiennement. Sur le plan national, m€me s’il est surtout distribu„ sur la r„gion. C’est tout un immeuble au centre de la capitale. Un gros morceau, dont Joe, de son vrai nom Charles Vollner, poss‚de cinquante et un pour cent des actions, le vrai patron, en quelque sorte. Mais pr„sentement furax, il fonce vers les ascenseurs, traverse les vastes bureaux de son environnement habituel. Il a commenc„ tout petit avec son p‚re, cinquante mille quotidiens, mais aujourd’hui… − •a barde, Stick ! Son garde du corps, d„vou„ corps et Œme le suit. Ils foncent vers l’ascenseur. Le boss fulmine, il explose, sa maŽtresse qui 13


NADIA KIDNAPP‚E le plaque, ‰a sent le louche. L’ascenseur les relŒche au rez-dechauss„e, ils passent en coup de vent devant l’accueil, Joe sort dans la rue, pour s’engouffrer dans le caf„ au bout de la rue. − Vous me mettrez un sandwich aux crudit„s, avec œuf, un caf„ cr‚me, et un croissant. − Un demi s’il vous plaŽt, ajoute le maigrichon. Les deux hommes sont assis en terrasse, le gars du bar les connaŽt. Joe est assez agit„, il est concentr„, pr€t ˆ exploser; Stick le connaŽt, il r„fl„chit, il r„fl„chit toujours quand l’affaire est d’importance. − Que peut-on faire ? Tu es sƒr qu’elle n’est pas en vadrouille ˆ un endroit ou ˆ un autre ? − Je te dis, patron, disparue ! Tu ne l’as pas vue hier soir, et le dernier endroit o’ on l’a vue, c’est l’„cole de mannequins. Elle ne te ferait pas faux bond. Nadia, tu la connais, elle veut son confort, r„pond l’homme de main, en regardant une table voisine o’ il reste un demi-Orangina sur la table. − Tu veux dire que pute de luxe, ‰a lui plaŽt ? Elle ne fout rien de la journ„e, juste des s„ances de photos. Elle n’est pas partie seule pourtant, donc avec qui ? Elle pourrait m€me ne rien faire du tout si elle le voulait, alors qu’a-t-elle trouv„, cette poule ? Les yeux gris du boss sont comme absorb„s par une lumi‚re int„rieure. − Je sais que tu y tiens, Boss, mais tu sais que tes affaires t’ont attir„ des ennemis. Pourquoi pas un enl‚vement, pour faire pression sur toi ? Pas de ran‰on pour l’instant, mais elle n’est pas du genre folŒtre ! Le maigrichon est logique. Joe a une grosse r„putation, et... des lettres de menaces sont d„jˆ arriv„es ces derni‚res ann„es. 14


NADIA KIDNAPP‚E − Tu n’as rien remarqu„ ces derniers jours ? On l’a vue, elle n’avait pas de valise. Tu as regard„ dans ses affaires, avait-elle emport„ des v€tements ? − Bien sƒr que non, je n’ai pas regard„, j’„tais ˆ cran. Ce n’est pas une alcoolique, pas le genre ˆ se faire embarquer ! − Joe, regarde la r„alit„, elle s’est bel et bien barr„e. Tu peux attendre un jour, trois jours, huit jours, trois mois ou des ann„es. Tu vas te morfondre, tu laisses faire, ou tu agis, voilˆ tout!, essaie de dire l’ami. •a donne ˆ Joe le courage d’en dire plus : − On va pr„venir le d„tective priv„ du journal, il ne peut rien me refuser. − Le petit gros, Stick, je crois ? Il n’est pas dans le coup, lui c’est la petite teuf, la petite enqu€te, la filature, s’il est question de truand, il d„croche ! Une grosse femme, accoud„e au bar le regarde. Elle jurerait voir Charles Aznavour, son idole ˆ la radio. − Tu me conseilles quoi ? fait honn€tement le patron. − De chercher un vrai d„tective, je ne sais pas o’, je ne suis pas du m„tier, Boss. Mais les int„r€ts politiques ‰a existe, il nous faut un bon. J’ai une amie ˆ l’Oiseau Bleu, une maison de passe − le compagnon cherche ses mots −la tenanci‚re s’appelle Gina, je ne la connais pas, mais elle connaŽt tous les truands de la capitale, et m€me les politiques, elle peut nous aider ! Pourquoi pas patron ? Prenez du liquide, cinq mille, de quoi faire taire tout le monde. − On va d„jˆ aller voir le d„tective du journal pour lui demander de se mettre sur la piste. M€me s’il n’est pas assez fort, on n’a rien ˆ perdre. Petite pute ! lŒche le directeur de ‘FORMICA’. Joe „crase son croissant dans le caf„ cr‚me, en regardant dans la rue les passants. 15


NADIA KIDNAPP‚E − N’y pensez pas patron ! Ce n’est pas l’heure de pointe, mais on voit des vieilles dames qui prom‚nent leur petit chien, des gens press„s, des coursiers, des bourgeoises qui vont faire du l‚che-vitrine. Joe est pris d’un haut-le-cœur, il a aval„ son gros sandwich en un instant, on dit que l’„motion ‰a creuse. Il engloutit le caf„, en laissant un tiers de croissant sur le bord de la soucoupe. Il fallait bien que ‰a tombe un jour, trop jeune cette fille, ˆ peine les vingt cinq plombes, une tourterelle, et pourtant il avait confiance, et voilˆ, volontaire ou pas ! M€me une jolie fille, ‰a ne peut pas s’„vaporer comme cela dans la nature, quelqu’un l’aurait vu, entrer dans une voiture, ou je ne sais. Joe est un homme riche. Un directeur de journal, une c„l„brit„ dans le monde, un homme qui a port„ sa boŽte au plus haut, qui a une grande exp„rience de la finance, des investissements risqu„s et des partenariats ˆ la Bourse. Les privatisations n’ont plus de secret pour lui pas plus que les prises de participation sur les chaŽnes payantes dont le march„ s’est d„velopp„ de fa‰on monstrueuse, et sur les t„l„phones portables. En affaire, certains ne se d„cident que quand ils savent que Joe est dans le coup, c’est un homme clairvoyant, au-dessus du lot. Il n’est pas „tonnant qu’il ait des ennemis, sa position fait bien des envieux ici et lˆ. Quand ˆ Nadia, elle passerait facilement pour une call-girl, la moiti„ de l’Œge de l’homme avec qui elle vit. Une petite bourgeoise, que Joe a embarqu„e dans une r„ception o’ il „tait passablement „m„ch„. Fille d’aristocrate, et petite-fille de g„n„ral d’infanterie, milieu guind„, et pourtant dans sa vie, rien que quelques aventures passag‚res jusqu’ˆ ce qu’elle rencontre Joe qui lui a 16


NADIA KIDNAPP‚E fait l’effet d’un monstre, une carrure ! Alors, en rupture avec ses parents, elle a pris ses cliques et ses claques et a d„boul„ chez Joe, dans la demeure seigneuriale de Bourg-la-Reine, une somptueuse demeure du dix-septi‚me si‚cle. Trois ans et plus qu’ils vivent ensemble, pas un nuage, pas de copain, le bonheur ˆ l’„tat pur. Elle suit des cours pour €tre mannequin, elle a un peu pass„ l’Œge, mais est d„jˆ connue. Pas comme une grande star, et mais pourtant elle fait r„guli‚rement des d„fil„s pour de grandes marques. Elle soigne sa ligne, un m‚tre soixante quinze, presque autant que Joe, une silhouette longiligne, de long cheveux bruns et raides qui lui descendent jusqu’au milieu du dos, des yeux noirs en amande, une belle fille, vraiment. Joe a d’ailleurs toujours „t„ d’un naturel timide avec les femmes, mais avec l’Œge et au contact des affaires il a pris de l’assurance et de la d„sinvolture. Il n’aurait jamais os„ aller lui faire ces petites plaisanteries ˆ l’oreille, pendant le bal de la g„n„rale, s’il n’avait pas „t„ compl‚tement amorti par la douzaine de verres de whisky qu’il avait absorb„ ce jour-lˆ. La journ„e „ponge. C’est tr‚s rare chez ce monsieur qui boit rarement, mais au bal, d’un coup, au spectacle de tout ce beau monde qui faisait semblant de voir la vie en rose, il a p„t„ un plomb et bu plus que mod„r„ment. L’homme a toujours „t„ un contestataire dans l’Œme. • seize ans, son premier p„tard, puis le rock et les punks, ˆ vingt ans, il en tenait pour ses trois p„tards par jour, ce n’est pas trop, mais assez pour planer toute une journ„e. Les jours de gal‚re, les copains en ville, peu de filles dans son univers. Puis, il s’est int„ress„ ˆ ce que faisait son p‚re. “ Arr€te de traŽner dans la rue, la biologie ne t’int„resse pas, alors viens au journal. Tu apprendras le m„tier sur le tas. Tu as une vie devant toi, Joe, ce n’est pas les copains, ou les petits trafics. 17


NADIA KIDNAPP‚E Regarde-toi, on dirait un hippie avec ces cheveux, si tu veux ton steak, travaille ! ” Joe n’y avait pas cru, puis il s’„tait retrouv„ en studio, loyer pay„ par le paternel, avec quelques allocations… Au d„but de cette vie, tout seul, il avait, de son propre aveu, faillit devenir fou. Et il s’„tait lanc„ dans le boulot ˆ corps perdu. •crire, raconter l’„v„nement, apr‚s l’avoir compl‚tement reni„, son p‚re l’avait enfin accept„ au journal. Et lˆ, il „tait parti pour une grande carri‚re. Participer aux conseils de r„daction, d„cider des articles, faire l’„ditorial, envoyer les reporters sur un coup, juger des projets, le monde s’„tait ouvert d’un coup devant lui. Non, le patron n’est pas un bourgeois, c’est un battant. Douze heures par jour au bureau r„guli‚rement, il connaŽt tout, il a mainmise sur tout ce qui se passe dans les r„dactions. Il lit les journaux de la bourse. Tous les matins, il s’esquinte les yeux ˆ voir les chiffres, et les rapports de production, une b€te de travail, et un homme tr‚s doux. Nadia, elle, est loin de tout cela. Joe se dit que personne ne comprendra jamais: le soir, il se couche et il sait qu’il a fait quelque chose… mais surtout pas “ rien ”. Ne pas €tre une larve, une mauviette! •tre une carrure… Pour Joe, c’est une obsession.



De l’autre c–t„ du monde Sirry de son c–t„ a d„pli„ sa table de repassage. Sirry, c’est son vrai nom, et tout le monde l’appelle ainsi, l’allure de diminutif en fait un nom passe-partout. Sirry n’est pas un bon d„tective, il le sait, mais son travail pour le journal lui a permis de se faire une petite carri‚re sur diff„rentes affaires, avant qu’elles ne soient confi„es aux d„tectives. On lui a aussi confi„ des affaires qui puent, mais il est moins bon d„tective que les journalistes. Il n’est pas dou„, mais il a de la chance, et puis n’exag„rons pas, il a des qualit„s. Il n’a pas peur, et a m€me un certain culot : il lui est arriv„ de s’engager dans des affaires compliqu„es et de ne s’en sortir que par des coups de chance. Et ainsi de retrouver un truand qui l’attendait avec un revolver, mais ce n’est que parce qu’il „tait bavard qu’il a donn„ le temps ˆ la police d’arriver sur les lieux. • vrai dire, ‰a fait une curieuse impression, et ce sont des souvenirs qui restent. Sirry a un gros faible pour le whisky. Quand il est au bureau, il siffle facile le demi-litre par jour, ce n’est pas trop. Il lui est arriv„, ˆ une certaine „poque, de finir la bouteille ˆ l’heure de la sieste, mais maintenant il est s„rieux. Quand une “ huile ” rentre, faut avoir les yeux en face des trous. Le d„tective de la maison a d„jˆ une dr–le de r„putation: certains jureraient sur tout ce qui leur est cher qu’il est le plus chanceux des alcooliques de sa g„n„ration. Mais Sirry se 20


NADIA KIDNAPP‚E moque des on-dit, ici c’est son bureau, trois pi‚ces au deuxi‚me „tage du journal, il y est seul, pas d„rang„, tout est bien meubl„. On dirait un d„cor des ann„es trente, avec un canap„ o’ il a pass„ quelques nuits ˆ l’occasion, un r„frig„rateur, une petite t„l„vision, dans un coin un ordinateur, m€me s’il a du mal ˆ s’y mettre. De beaux rideaux, deux grands bureaux, avec fauteuil en ska— noir, Sirry n’a pas vraiment le goƒt du luxe, mais lorsqu’il a d„cid„ de s’installer pour devenir le d„tective du journal, il a vraiment pos„ ses conditions, et sa chance habituelle a encore frapp„. C’est vrai que le d„tective connaŽt pas mal de lieux dans la capitale, il a beaucoup traŽn„, entre loi et crapulerie. C’est un petit bourgeois. Apr‚s des „tudes de droit il a fait dans la criminologie. C’est un coup de pot, un de plus, qui lui a fait d„crocher un emploi d’aide dans les laboratoires de la PJ ˆ la morgue. Il connaŽt particuli‚rement bien la police, ce qui prouve que tout n’est pas dƒ qu’ˆ la chance. Il a une bonne m„moire des visages, et puis il a su rendre quelques menus services avec de petites enqu€tes bien men„es. Sirry est de ces gens qui savent grimper, un d„tective qui aidait de temps en temps la police dans ses enqu€tes. Il a le goƒt des raisonnements pas d„duction, et a eu la chance de tomber sur quelques affaires int„ressantes. Aussi, il faisait son travail ˆ la morgue, et prenait sur son temps libre pour se faire les griffes en traquant les voleurs et les meurtriers. On peut aussi dire que son goƒt pour le whisky l’a souvent men„ dans des boŽtes de nuit, et ˆ se faire des amiti„s dans les quartiers louches. Sa descente lui a m€me permis de se faire quelques amis dans la p‚gre, au prix de quelques sueurs froides. Sirry n’est pas un h„ros, mais il a fini par s’installer une boutique comme d„tective priv„, au culot, comme dans les ann„es trente ou les 21


NADIA KIDNAPP‚E ann„es cinquante, il ne sait plus trop. Les affaires ont march„ cahin-caha, au petit train. Un peu par hasard, il a aussi connu des journalistes. Un jour, il s’est point„ au ‘FORMICA’, on l’a pris comme d„tective ! D‚s qu’il y a quelque chose qui pue, c’est pour lui, il est la s„curit„ du taff en quelque sorte. Mais ‰a ne lui a pas fil„ la grosse t€te, il passe le plus clair de son temps ˆ surveiller la bouteille, il ne faut pas qu’elle descende trop. La table de repassage, le fer ˆ repasser chaud, ˆ c–t„ de la bouteille de whisky d’un c–t„, il repasse chemises et tee-shirt. Quoi qu’il en soit, disait sa m‚re, tiens-toi propre. C–t„ affectif, pas grand-chose, de temps en temps les putes, mais des dames class, pas ˆ la sauvette, mais putain ‰a coƒte cher! Alors pas trop, il n’a jamais „t„ dou„ pour le discours amoureux. Il pr„f‚re le bobard, c’est plus simple et plus direct, les compliments ‰a le d„passe dans tous les sens du terme. Enfin, avec ces potiches et ces gravures au mur, c’est chouette comme bureau. C’est donc dans cet „tat-lˆ que le d„tective entend qu’on toque ˆ sa porte, tirez sur la chevillette et la bobinette cherra, ˆ moins que ce ne soit le contraire. Enfin, de toute fa‰on, la porte s’ouvre, sur. . . Le Boss. Ce n’est pas souvent qu’il vient, une affaire importante sans doute ! − Entrez, Boss, quoi de neuf, tout va bien avec votre petite ? − Justement! fait l’entrant, essouffl„ et soucieux. − Quoi, encore une gaffe ? Asseyez-vous dans les fauteuils ! Salut Sirry ! Je finirai plus tard, attendez que je d„branche le fer, ce n’est pas la peine que je mette le feu ˆ toute la baraque. Voilˆ, je suis ˆ vous. Le d„tective pousse la table ˆ repasser, d„branche son fer ˆ 22


NADIA KIDNAPP‚E repasser, s’empare de sa bouteille, fait le tour du grand bureau et se vautre dans son fauteuil. Joe et Stick se sont install„s dans les deux grands fauteuils devant le bureau. − Tu repasses avec la bouteille ?s’„tonne Stick. − C’est pour me concentrer, tu sais bien que je ne bois presque plus. Dis-moi plut–t pourquoi tu viens, c’est grave ? − Ma petite amie m’a quitt„, ou plut–t elle a disparue, annonce Joe, avec une voix d’outre−tombe. − Ne nous affolons pas, que voulez-vous que je fasse, voyons un peu les choses en face, o’ c’est-y que cela s’est produit ? Comment, dans quelles circonstances, ‰a allait bien avec elle ? Au lit, aux repas... Bien souvent, le calme est la meilleure piste ! Sirry demande ces pr„cisions, sans s’affoler. − Bien sƒr, le plus merveilleusement possible. Elle est mannequin, elle a disparu ˆ la sortie de l’„cole de mannequins, simplement „vapor„e. Elle revient d’habitude ˆ Bourg-laReine. C’est tout ce qu’on a. Et Joe de lui conter en quelques mots o’, quand, comment la jeune fille a disparu. Sirry sent un bourdonnement ˆ ses oreilles, de quoi est-il en train de me parler ce gus ? Une affaire. Il y a un moment qu’on le laissait tranquille, tu m’„tonnes, cela ne pouvait durer trop longtemps, toujours des emp€cheurs de tourner en rond. − Voyons, de quoi s’agit-il, une magouille politique ? Un enl‚vement, j’entends bien, pour des motifs de crapulerie politique... non ! C’est pour cela que je vous int„resse ? − C’est cela, ajuste le patron. − Vous voulez que j’enqu€te ? − C’est-ˆ-dire que..., 23


NADIA KIDNAPP‚E − Je vois, on peut la retrouver, n’est-ce pas ! Il me faut son signalement exact, je connais un peu, je peux traŽner par-ci, par-lˆ, c’est aussi bien que coinc„ ˆ mon bureau. Vous avez pr„par„ quelque chose ? La question de Sirry est aussi pr„cise que celle d’une administration. − Je vous fais parvenir tout ‰a. Vous savez, dans la grande maison, elle n’avait rien ˆ faire de particulier, une bonne pour le m„nage, une cuisini‚re, et un jardinier. Pas de travaux ˆ faire, mais elle pr„f‚re €tre mannequin, je suppose. Elle a quelques contraintes horaires, mais sans plus. Un vrai petit bonheur de vie. Joe raconte la vie de Nadia. Il n’y a vraiment pas de quoi en faire un plat, une petite vie de bourgeoise, aucune activit„ subversive, pas d’association, pas de club de dames. C’est l’homme qui bosse en quelque sorte ! Sirry n’a jamais aim„ ce genre de femme, mais ce n’est pas le moment de donner son sentiment, le Boss demande un service, excellente occasion de se faire bien voir. Par o’ commencer… Le Boss arr€te enfin, il vient v„ritablement de se vider, une vraie confidence! C’est normal, il ne sait plus ˆ qui s’adresser. − Comment allez-vous faire, je peux m’absenter, m€me une semaine s’il le faut, je tiens ˆ cette petite, elle a laiss„ tomber ses parents et sa famille. Elle compte sur moi. Elle ne s’est pas fait la malle toute seule ! − C’n’est pas ce ˆ quoi je pense, Joe. C’est vrai qu’une fille de cet Œge peut se barrer avec n’importe qui, accordez-moi ce doute. Il me faut une photo, j’ai son nom, c’est suffisant. Tu sais Joe, ce n’est pas un reportage, tente le d„tect’, d’un air rassurant. 24


NADIA KIDNAPP‚E − Dans combien de temps ? dit Stick, jusque lˆ discret. − Donne-moi trois jours pour „merger, j’ai des contacts, mais il va me falloir faire le tour de la plan‚te. D„jˆ donne-moi toutes mes matin„es pendant une semaine, je prends les contacts le soir. Il vaut mieux que j’ai les mains libres ! − Pas lˆ, le matin, c’est habituel dans ton boulot, je crois ? poursuit le Boss. − Oui, le matin, rien de bon, les postes, les administrations, les poulets. Lˆ, c’est un cas personnel. Ils sont pr„venus les poulets, au fait ? − Bien sƒr, Stick a fait le constat ce matin, et a pr„venu la police. − C’est ce qu'il fallait. Comment dirais-je, si vous re‰evez une demande de ran‰on, ou des propositions politiques suspectes, n’oubliez pas de m’en faire part. Je vous demande trois jours seulement, on fera un nouveau point. Et puis elle a peut-€tre simplement d„couch„, cela arrive ˆ des plus Œg„es aussi ! Sirry a du mal ˆ ne pas exploser de rire devant la d„confiture du directeur. − Je sais, je la tuerais! fait le grand homme avec hargne. − Ce n’est pas la peine que je la ram‚ne donc. Tr‚s bien, affaire termin„e. Non, je plaisante, mais prenez-le cool, Boss. Ce n’est pas toujours simple. Le d„tect’ raccompagne les visiteurs. − Merci Sirry, viens Stick. On a ˆ faire. Les deux visiteurs quittent le bureau, Joe a un pas lourd, il est assomm„, comme s’il vivait un v„ritable cauchemar. Le d„tective reste un moment silencieux, ‰a pue, une minette qui disparaŽt alors qu’elle a tout pour elle, ‰a m„riterait un coup de whisky pour faire passer. Une bourgeoise, mais surveille ta bouteille Sirry. Finalement, il se d„cide, il a encore 25


NADIA KIDNAPP‚E du repassage ˆ faire, il lui faut la photo, une photo d’identit„, le Boss va lui envoyer ‰a ce soir, ou demain matin. Mais pas ce soir, il faut qu’il se rappelle de tout. Donc un petit tour au Paradise, faire la tourn„e des cabarets, voir quelques prostitu„es, et s’il a le temps, les grandes places pour poser des questions aux r–deurs et autres dealers. Non, ce n’est pas une histoire de drogue, quoique. L’„cole de mannequins, bien sƒr, v„rifier les informations. Les flics ont fait un dossier, c’est sƒr, va bien falloir allez voir. C’est o’ Bourg-la-Reine ? Antony, c’est bien ‰a ? Attention le fer ˆ repasser est chaud. D„tends-toi Sirry, c’est reparti, ‰a va chauffer. Les mouettes passent sur l’horizon maritime et brumeux. Joe et Stick sont revenus dans le bureau du patron. On ne peut rien y faire pour l’instant, Stick a parl„ de l’Oiseau Bleu, essayons, ‰a ne coƒte rien. L’„dition du soir est sur le bureau : ATTENTAT EN BRETAGNE. RENNES, SANS RAPPORT AVEC LE D€VERSEMENT DE PLUSIEURS TONNES DE POMMES DEVANT LA PR€FECTURE, LA SEMAINE DERNI•RE, UNE RADIO A €T€ PIRAT€ PAR L’ARM€E R€VOLUTIONNAIRE BRETONNE. ELLE A DIFFUS€ PENDANT DEUX HEURES DES MESSAGES SUR LES AGISSEMENTS LOUCHES DU PR€FET, UNE S€ANCE D’INFORMATION DE DEUX HEURES. ENFIN, LA POLICE S’EST D€CID€E ƒ INTERVENIR, PR€VENUE PAR DES AUDITEURS, ET A INVESTI LES LOCAUX. CINQ MINUTES APR˜S L’ENTR€E DES POLICIERS DANS LE PETIT STUDIO, UNE CHARGE DE DYNAMITE PLANQU€E SOUS LES LAVABOS A EXPLOS€, FAISANT DEUX MORTS ET TROIS BLESS€S GRAVES, ET METTANT LE FEU AU STUDIO. LES POMPIERS ONT R€AGI IMM€DIATEMENT, ET LE FEU A PU „TRE STOPP€ AVANT DE FAIRE D’AUTRES D€G…TS QUE LES LOCAUX D€VAST€S. LA POLICE RESTE DISCR•TE, ET N’INDIQUE AUCUNE PISTE. 26


NADIA KIDNAPP‚E Tiens, ‰a p‚te m€me en Bretagne, lamentable. Enfin, l’information est lˆ, c’est ce qui compte, o’ a-t-elle donc pu aller ? La police est pr„venue, elle est probablement venue faire son enqu€te dans l’apr‚s-midi ˆ la maison, rien ˆ faire, ou tellement de choses ˆ faire. Joe cong„die Stick, en lui pr„cisant qu’on ira faire la vir„e ˆ l’Oiseau Bleu vers les onze heures du soir, pas trop tard, ce n’est pas la peine de se gŒcher une nuit de sommeil. Stick approuve, il approuve toujours. S’il y a quelqu’un ˆ voir, ˆ onze heures du soir, c’est l’heure de tous les gigolos, et des autres, le patron s’y connaŽt plus qu’il ne le laisse croire, enfin, le larbin n’est pas lˆ pour juger. Joe veut un vrai d„tective comme il dit. Ce soir Gina les renseignera, avec l’Oiseau Bleu, il est sƒr de ne pas se tromper. Stick n’est pas un mauvais gars, un pass„ de garde du corps, de veilleur, il ne trempe pas dans le milieu, mais son m„tier, il a appris ˆ le connaŽtre, il y a une douzaine d’ann„es, avec le type pour lequel il bosse, Joe. Un boulot peinard, pas de vague, pas d’enqu€te, ce n’est pas sa tasse de th„. Stick, il lui faut des gens biens, pas des combines. Pourtant, ce soir, il va bien falloir qu'il se trempe. Un vrai d„tective, c’est un gars qui va chez les truands, un gars qui peut tuer. Il lui passe un os dans la gorge, mais il n’a pas d’„tat d’Œme, le patron est au trente-sixi‚me dessous, ‰a se voit. Joe n’arrivera pas ˆ se concentrer aujourd’hui, assis dans son fauteuil, il lit l’„dition du soir en travers, c’est une tŒche ˆ laquelle il s’astreint, il veut un journal parfait, pas de coquilles, des titres bien agenc„s, il r€ve du canard qui se vendrait ˆ cinq cents mille exemplaires et plus, mais on gagne les parts de march„ petit ˆ petit. On contr–le les publicit„s, les couleurs, la grosseur des caract‚res pose toujours la m€me question, mais il faut quelque chose de lisible. 27


NADIA KIDNAPP‚E Toutes ces questions il se les pose chaque soir, c’est son œuvre, son b„b„. Ce journal il y aura tout consacr„, mais il y a ˆ faire: trouver les bonnes „quipes de reporter, aller chercher l’information dans la France enti‚re, dans le monde, Milan, Beyrouth, Moscou, Bonn, Oslo, Boston, P„kin , Lima, Sydney ou Los Angeles, comme un filet tendu sur le globe, rien ne doit leur „chapper. On a m€me des gars pour suivre les chaŽnes d’information et les flashs. − Une grande r„daction, voilˆ quelle aura „t„ ton œuvre Boss !se dit-il. Mais aujourd’hui, rien ˆ faire, l’esprit du Boss ne veut pas se concentrer, il pense ˆ autre chose. Il ne voit m€me pas les gros titres, il en a trop gros sur la patate. En d„sespoir de cause, il abandonne, trop c’est trop, et c’est trop pour aujourd’hui, il prend peu de vacances, mais aujourd’hui, inutile de continuer, son esprit est ailleurs. Un enl‚vement, ridicule! Lui qui est habitu„ ˆ lire les chiens „cras„s, aujourd’hui, se sent trop faible, cette „trange affaire l’a bel et bien min„.


Table des matiÄres Premier mouvement......................................................11 L’enl†vement.................................................................................13 De l’autre c‡tˆ du monde............................................................21 Dˆbut d’enqu‰te...........................................................................31 Au bureau du directeur du ‘FORMICA’....................................43

Deuxi†me mouvement..................................................59 Comme dans un pigeonnier........................................................61 Les bars de la nuit.........................................................................80 Libˆration ! On ne bouge plus....................................................99



ISBN n™ 978-2-917899-05-2 Achev„ d'imprimer en septembre 2008 par TheBookEdition.com ˆ Lille (Nord-Pas-de-Calais) Imprim„ en France D„p–t l„gal 20080909-48101



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