Fleur a disparu

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Fleur a disparu !


Du même auteur

Aux éditions L'Harmattan Le radis radin. De mal en pie. Chat déménage. Afrique, assez ? L'enfant de Pluton. La tournée des grands ducs. Mirage.

Aux éditions Kaos Le piège.

Aux éditions Édilivre Boudi Song ! Jean-Michel Jacquey Le fauve de l'Yonne. Jean-Michel Jacquey Cortado marne en Haute-Marne. Jean-Michel Jacquey La planète modèle. Paloute Désiré M'Boulou Les toilettes sont au fond de l'espace. Paloute Désiré M'Boulou

À la Tête de Mule (Illustrations Éric Souverain) La perle magique. Haïda. Grégoire Kerdruc et le livre enchanté. La princesse de Gao. CDS L'enfant de Pluton. (Musique Patryk Lory et Laurent Chiffot) Chat déménage. (Musique Patryk Lory)


Jean-Jacques Michelet

Fleur a disparu !


© Jean-Jacques Michelet – 2008 tete-de-mule@wanadoo.fr http://www.la-tete-de-mule.fr Illustration de couverture par Éric Souverain Les Éditions Keraban – 2010 2, route de Bourges – 18350 – Nérondes ISBN 978-2-917899-30-4 contact@keraban.fr http://www.keraban.fr La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.


À Colette et Jean, Ely y Matias

« L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable. » PAUL VERLAINE



Scène 1

L’action se déroule dans la chambre d’une petite fille, au cœur d'un pays riche quelconque. C’est dire si l’endroit croule sous les peluches, mobiles suspendus et boîtes de jeux de toutes sortes. Les enfants uniques sont toujours trop gâtés dans nos contrées dites « civilisées »… Celle-ci malgré tout est inconsolable. On ne fera que deviner sa forme au creux du lit, sans qu’elle intervienne jamais durant l’histoire. Même ses pleurs sont enregistrés. Les parents à toute force tentent de l’apaiser. 9


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MÈRE : Calme-toi, mon chou : je suis sûre qu’on va la retrouver. ADÈLE : (voix off) Non ! Elle est perdue, perduuuue.

PÈRE : Veux-tu que je te raconte une histoire ? ADÈLE : (voix off) La seule chose que je veux, c’est retrouver Fleur.

MÈRE : Voyons, c’est une petite fée : elle ne risque rien.

ADÈLE : (voix off) Elle risque beaucoup si je ne suis pas là pour la protéger ! Bouhouhou…comme je suis malheureuse.

PÈRE, essayant d’embrayer : Il était une fois un oisillon qui s’ennuyait au fond du nid familial. Alors que ses frères et sœurs se prélassaient dans le cocon de brindilles et de plumes, espérant les festins d’insectes et de vers de terre, lui ne voulait pas attendre que tout lui tombe rôti dans le bec ! Les yeux rivés sur l’horizon, il rêvait de s’envoler vers ce monde inconnu. Un beau matin que le soleil se levait dans un halo de mystère, il n’y tint plus et décida de se lancer à sa rencontre, malgré les cris d’orfraie de sa fratrie horrifiée. Il sentait dans sa petite cervelle de piaf qu’il devait voler de ses propres ailes. Las ! Il y a parfois loin de la coupe aux lèvres et ses muscles atrophiés ne le portèrent guère loin. Il tomba donc à quelques mètres de l’arbre, dans 10


FLEUR A DISPARU un buisson de lavande qui heureusement amortit sa chute. Il s’en sortit miraculeusement avec une aile froissée ! Pourtant, il n’était point tiré d’affaire ; le cri de peur qu’il avait poussé en voyant le sol se rapprocher à toute vitesse attira l’attention d’un renard. Affamé, maître goupil fut ravi de découvrir une proie sans défense. Il s’avança donc en trottinant et se pourléchant les babines… (Les lamentations à cet instant ont presque cessé car la jeunette se trouve captivée par la voix à la fois grave et envoûtante de son père.) Au moment où l’oiselet résigné fermait les yeux,

persuadé de ne pouvoir échapper à la gueule béante du monstre, une bourrasque de vent providentielle l’emporta loin des crocs assassins ! Sans doute qu’une bonne fée veillait. Le mot malheureux provoque le retour instantané des décibels.

ADÈLE : (voix off) Ouin, in, in… Ça me fait penser à Fleur. Je ne la reverrai jamais. MÈRE, prenant le relais : Je te promets que si. Il faut dormir maintenant.

ADÈLE : (voix off) Tu essaies de m’arnaquer ! PÈRE : C’est à l’école qu’on apprend ce genre de mots ? MÈRE, se met à chanter sa berceuse fétiche d’une voix incroyablement douce : 11


FLEUR A DISPARU “ Doucement, doucement Doucement s’en va le jour Doucement, doucement À pas de velours La rainette dit Sa chanson de nuit Et le lièvre fuit Sans un bruit Doucement, doucement Doucement s’en va le jour Doucement, doucement À pas de velours Dans le creux des nids Les oiseaux blottis Se sont endormis Bonne nuit ”1 Finalement, le bout de chou s’endort. PÈRE : (à partir de-là, les parents parleront à voix basse) Ben dis donc ; tout ça pour une simple figurine.

MÈRE : Ce jouet représente beaucoup pour elle, presque un doudou.

PÈRE : Elle l’a peut-être perdue sur le chemin de l’école…

MÈRE : Elle jure que non ! 1 Comptine classique

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PÈRE : Ou alors un gamin lui aura chapardée.

MÈRE : Sans qu’elle s’en rende compte ? Elle ne la quitte même pas pour aller aux toilettes. J’irai voir sa maîtresse demain mais…

PÈRE : Bah, ça lui passera.

MÈRE : Facile à dire. Rien n’a donc d’importance à tes yeux ?

PÈRE : L’oubli permet heureusement de recouvrir d’un voile pudique des drames autrement plus graves. Il suffit pour s’en convaincre de relire Socrate.

MÈRE : Ce que tu peux m’agacer quand tu joues les profs de philo ! Je ne suis pas ton élève à l’université.

PÈRE : Je propose que nous sortions si tu veux déclencher une scène ; on a eu assez de mal à l’endormir.

MÈRE : Pour une fois, je suis d’accord. Ils sortent donc sur la pointe des pieds, laissant juste la veilleuse allumée. Celle-ci projette sur les murs aux couleurs pastel ses ombres festives, ce qui permettra au régisseur la création de somptueux éclairages. Quant à la porte, ils la laissent entrouverte, afin de pouvoir intervenir à nouveau en cas de besoin.



Scène 2

Après quelques instants de calme, ponctués simplement par la respiration d’Adèle endormie – toujours sur bande-son –, un long grincement se fait entendre, accompagné de « chut ! », « tu vas la réveiller ! », « j’aimerais vous y voir… », « c’est très lourd ! », « vous croyez que c’est le moment de se chamailler ? ». Peu à peu, le couvercle du coffre à jouets se soulève, laissant le passage à une foultitude de personnages – de différentes tailles et consistances – qui sautent sur la moquette. 15


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LE VIEUX DRUIDE : Installons-nous en rond sur le tapis pour tenter de réfléchir.

ROSE : Sans vouloir t’offenser le druide, la vieillesse te rend de plus en plus lent à la détente…

LE VIEUX DRUIDE : Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Si je suis encore vivant à mon âge canonique, c’est justement que j’ai su me calmer aux instants cruciaux de ma vie.

LE CHEVALIER, en armure du moyen âge : Je ne suis pas d’accord ! Seule une action vigoureuse permet d’arriver à ses fins, et parfois même de déplacer des montagnes.

LE VIEUX DRUIDE : Les autres partagent-ils cet avis ? (Personne ne dit mot) Très bien… Puisque je suis isolé, avançons donc tête baissée, en espérant que personne n’aura à le regretter.

LICORNE : Surtout pas Fleur !

LE VIEUX DRUIDE, au jeune elfe : As-tu tout entendu ?

ELFOU : Évidemment.

LE CHEVALIER : Faut dire que question esgourdes, il se pose-là. 16


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DINOSAURE : Ça ! Je suis étonné de ne jamais l’entendre braire.

LE CHEVALIER : Ah, ah, ah !

ELFOU : C’est vous, les ânes. Il n’y a rien de plus vexant que se faire insulter par plus bête que soi. Mon peuple est né dans les brumes de Scandinavie voici plusieurs millénaires et le respect…

DINOSAURE : Tu parles d’une histoire ! Nous étions là dès avant le jurassique, soit cent millions d’années ; je crois que question ancienneté, je pourrais t’en remontrer.

LE VIEUX DRUIDE : Je croyais tout le monde pressé…

DINOSAURE : Pardon.

LE VIEUX DRUIDE, à l’elfe : Alors ?

ELFOU : J’ai peur de vous décevoir. Les parents en effet n’ont pas dit grand-chose. Ils voulaient juste voir leur fille s’endormir. Fleur, la petite fée, a disparu.

LE CHEVALIER : Nous le savions déjà. 17


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ELFOU : Aucun indice ne permet de trancher ce qui lui est arrivé : est-elle simplement partie se promener ou a-t-elle été enlevée ?

LE VIEUX DRUIDE : C’est très embêtant. Flottement et silence rompus bientôt par Rose, la poupée de chiffon.

ROSE : Je ne crois pas à une ballade. Elle aurait forcément mis l’un de nous au courant. Il faudrait partir à sa recherche sans tarder : qui souhaite participer en venant avec moi ?

ELFOU : Je ne te comprends pas, Rose. C’est elle qui a pris ta place dans le cœur d’Adèle ; tu devrais lui en vouloir…

LE VIEUX DRUIDE : La jalousie est un très vilain défaut.

ROSE : Et il m’est étranger. DINOSAURE : Oh, la crâneuse ! ROSE : Je ne ne dis pas que je suis parfaite : parfois paresseuse, et surtout gourmande.

LICORNE : Je me demandais où était passé mon gâteau d’anniversaire… 18


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ROSE, changeant de sujet : Alors, qui m’accompagne ?

LE CHEVALIER : Ce serait avec plaisir, à condition de retrouver mon cheval. Adèle est tellement désordonnée que ça risque de me prendre un moment avant de remettre la main dessus.

DINOSAURE : Quant à moi, je suis beaucoup trop lent.

ROSE : Je croyais que les T-Rex pouvaient rattraper n’importe quelle proie à la course.

DINOSAURE : Dans les films seulement ! Non sérieux, je te ralentirais.

LE VIEUX DRUIDE : Et moi donc. Avec mon arthrose et ma vue qui baisse, je ne t'apporterais aucun secours. LICORNE, sincère : En ce qui me concerne, je suis bien trop trouillarde…

ROSE : Je vois. ELFOU, péremptoire : Moi, j'accepte ce voyage risqué !



Scène 3

Comme il a prononcé trop fort cette dernière injonction, la fillette bouge dans son lit et se retourne, ce qui a pour effet de réveiller son énorme tigre en peluche. RAJAH : Raowww ! On ne peut plus dormir douze heures d’affilée sans être dérangé. À part Rose et le jeune elfe, tous les poltrons se réfugient dans les cachettes les plus accessibles de la chambre.

ROSE : Pardonne-nous de t’avoir réveillé. 21


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ELFOU : C’est ma faute, en fait. RAJAH, s’étirant, il n’en paraît que plus impressionnant : Pourquoi tout ce tapage ? Vous n’êtes donc pas fatigués par cette journée caniculaire ? Une telle chaleur me met sur les rotules.

ROSE : N’exagérons rien.

RAJAH : J’adore dormir aussi parce que ça me permet de rêver. Vous ne pouvez imaginer les mondes merveilleux que je découvre derrière mes paupières closes. Il faudrait que je prenne un jour le temps de raconter ces voyages extraordinaires. ROSE, le coupant : Nous allons partir à la recherche de Fleur.

ELFOU : Nul doute que ta taille et ta musculature nous permettraient d’éviter bien des ennuis.

RAJAH : Ne vous sous-estimez donc pas ; je parie que vous ferez une paire invincible.

ROSE : Ben voyons…

ELFOU : C’est tellement plus facile ! 22


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RAJAH : Tu ne connais guère la vie mon jeune ami, mais laissemoi te donner un conseil : l’insolence ne mène nulle part, surtout face à plus fort que soi.

ELFOU : Euh…

RAJAH : Je serais encore capable de quitter la touffeur de l’édredon pour venir te tailler les oreilles en pointe.

ELFOU, naïvement : Je n’en ai pas besoin.

ROSE : Du calme, enfin. Songez à la situation si Adèle se réveille.

RAJAH : Ne parle pas de malheur !

ROSE : Tu ne veux pas venir…

RAJAH : Pour rien au monde, tu l’as bien compris.

ROSE : Soit. Grâce à ta position en hauteur, aurais-tu remarqué des mouvements suspects qui pourraient indiquer une direction ? 23


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RAJAH : À force d’être trituré par la petite dans tous les sens, mes yeux sont à moitié décousus. Je vois encore plus flou que Clarence dans Daktari !

ELFOU : Qui est-ce ?

ROSE : Le lion d'une ancienne série télé.

RAJAH : J’ai bien aperçu des ombres qui s’agitaient…

ROSE : Peut-être Fleur qui se débattait !

RAJAH : Mouais. Je ne saurais en dire davantage. Dépêchezvous de la ramener, en tout cas.

ELFOU : Je croyais que tu t'en moquais.

RAJAH : Oui, mais si vous ne la retrouvez point, je risque de devenir le souffre-douleur de la gamine. ELFOU, à Rose : Il ne manque pas d’audace !

RAJAH : Je vous aide plus que vous ne le croyez en restant blotti ici ; Adèle conserve en me caressant une certaine stabilité affective. 24


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ELFOU : Je trouve ce raisonnement plutôt limite.

ROSE : Moi, je ne saisis rien. ELFOU, blagueur : Forcément, avec tes mains de chiffon.

RAJAH : Assez de bla-bla ! Tâchez de mettre cette nuit à profit…par pitié pour mes tympans. (Il se roule en boule) Mieux vaut en prévision que je prenne quelques heures de repos. Rose hausse les épaules et s’éloigne, suivie du jeune elfe maugréant.



Scène 4 ELFOU : J’ai peur de ne pas être à la hauteur ; une première mission tellement délicate.

ROSE : Je suis sûre que tu t’en tireras à merveille ; comme un rite initiatique qui te propulsera vers l’âge adulte des elfes.

ELFOU : Nous ne serons pas trop de deux : à notre échelle, cette chambre est immense. ROSE, qui regardait par terre, relève la tête un sourire aux lèvres : Pas si on sait où chercher.

ELFOU : Comment ça ? 27



Imprimé en avril 2010 par TheBookEdition.com à Lille (Nord) ISBN : 978-2-917899-30-4 Imprimé en France Dépôt légal 2ème trimestre 2010





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