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Du m€me auteur : Les fleurs de l'automne Roman – 2007 ‚ditions Publibook


David Max Benoliel

Couples Nouvelles


€ David Max Benoliel – 2009 dmben.livre@free.fr ƒ Les ‚ditions Keraban – 2009 ISBN 978-2-917899-21-2 2, route de Bourges – 18365 N„rondes contact@keraban.fr http://www.keraban.fr * La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alin„as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement r„serv„es † l’usage priv„ du copiste et non destin„es † une utilisation collective et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute repr„sentation ou reproduction int„grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alin„a 1er de l’article 40). Cette repr„sentation ou reproduction, par quelque proc„d„ que ce soit, constituerait donc une contrefa‡on sanctionn„e par les articles 425 et suivants du Code p„nal.


IHVH •lohim fait tomber une torpeur sur le gl‚beux. Il sommeille. Il prend une de ses cƒtes et ferme la chair dessous. IHVH •lohim b„tit la cƒte, qu’il avait prise du gl‚beux, en femme. Il la fait venir vers le gl‚beux. Le gl‚beux dit : † Celle-ci, cette fois, c’est l’os de mes os, la chair de ma chair, ‡ celle-ci, il sera cri‚ Isha – femme - : oui de l’homme – Ish – celle-ci est prise. ‰ Sur quoi l’homme abandonne son pŠre et sa mŠre : Il colle ‡ sa femme et ils sont une seule chair. Les deux sont nus, le gl‚beux et sa femme : il n’en bl‹missent pas. Certains commentateurs de ce passage de la Genˆse (2, 21-25), se sont avis„s de ce que l’H„breu ancien „tant une langue non voyell„e, la situation y est sensiblement „quivalente † celle du Fran‡ais, o‰, faute d’accent on ne pourrait faire la diff„rence entre Š c‹te Œ, un des os formant la cage thoracique, et Š c‹t„ Œ, mot exprimant l’id„e de la moiti„ gauche du corps, oppos„e † la moiti„ droite. •ve pourrait donc avoir „t„ ainsi form„e non d’un petit morceau d’Adam, mais avec la moiti„ du premier homme. Cela pourrait-il €tre une origine du mythe de l’androgyne expos„ par le convive Aristophane dans Le Banquet de Platon, qui aurait „t„ coup„ en deux par Zeus, cr„ant ainsi les €tres humains mŽles et femelles ? Nous pourrions y voir une sorte d’achˆvement de la cr„ation. L'‚ternel cr„e le monde en s„parant en deux la matiˆre primordiale pour en faire le ciel et la terre, la mer et le sec, le jour et la nuit, et en divisant la premiˆre de ses cr„atures humaines en Adam et •ve.



Le cabriolet Cadillac....................................................11 Duo infernal................................................................27 Mulier tacit….............................................................47 Le psychopompe...........................................................77 Dunyazade ou la v•ritable histoire de Sh•h•razade......83 M•nage ‚ trois ..............................................................109



Le cabriolet Cadillac

Lorsque je descendis de voiture, ayant trouv„ par miracle une place de stationnement sur le Cours Saint-Just, je retrouvais imm„diatement l’odeur poussi„reuse des marronniers qui lui donnaient ombre. Rien n’avait chang„. C’„tait comme si cette ville un peu guind„e et pr„tentieuse avait r„ussi † se glisser hors du courant qui nous entra•ne tous, le temps. • moins qu’elle ne s’„veillŽt qu’une fois par siˆcle comme Brigadoon. La veille, je d„dica‡ais mon dernier roman au Salon du Livre de Paris. Jusque l† j’avais vivot„ de ma plume (image, car j’utilise comme tout un chacun un traitement de texte). Celui l† avait eu un franc succˆs et l’„diteur me r„clamait une suite. Peu importait aux lecteurs et † la critique qu’il ait „t„ ce que j’avais commis de plus m„diocre. Il semblait que l’int„r€t des masses avait „t„ suscit„ par le fait que mon d„tective (oui, j’avoue : c’„tait un roman policier) pr„sentait le double int„r€t d’€tre homosexuel et impuissant. • un de mes amis qui me raillait, je d„clarais que je trouverais bien un criminel rus„ pour le tuer. Il me r„pondit que Conan Doyle n’avait pas r„ussi † faire mourir Sherlock Holmes (qu’il avait m€me d‘ ressusciter), et qu’Agatha Christie ne put faire publier l’histoire o‰ meurt Hercule Poirot qu’† la veille de sa propre mort. Peu importe. Je n’„tais pas et ne serais jamais Conan Doyle ni Agatha Christie. Aprˆs tout, si le succˆs saluait ce que j’avais „crit de moins bon, ce n’„tait satisfaisant ni pour mon ego, ni pour 11


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mon sens moral, mais me permettrait de subvenir ais„ment aux besoins de ma femme et mes enfants qui m’attendaient † San Diego o‰ les vents de notre existence nous avaient fait aborder. Le fait que mes dieux lares se soient laiss„s entra•ner aussi loin expliquait que je ne revenais dans la ville de ma jeunesse qu’au bout de quelques d„cades. La ville, disais-je, n’avait pas chang„. C’„tait vrai † l’exception du style des magasins, des carrosseries des voitures et de la longueur des jupes. Pour le reste, les fa‡ades de l’artˆre principale „taient toujours aussi cossues, les banques toujours aussi discrˆtement riches et les terrasses des caf„s toujours aussi sympathiques. Il faisait beau. J’avisais l’ombre accueillante port„e par l’immense store de Š Les Deux Terrasses Œ. Ce caf„, on disait Š Les Deux T Œ, fond„ en 1803, nous rappelait l’enseigne, tirait son nom du fait que sa terrasse „tait divis„e en deux parties, l’une dans des tons de verts clairs avec un mobilier de rotin pour les Š jeunes Œ, l’autre dans le prolongement de la premiˆre dont elle n’„tait s„par„e que par l’all„e permettant d’acc„der † l’entr„e du restaurant, dans des verts anglais, † laquelle un mobilier de fer forg„ donnait une certaine respectabilit„ bourgeoise. Ce jour l†, j’avais besoin de respectabilit„. Je m’assis donc dans les ombres vert fonc„, et commandais une pinte de biˆre du Yorkshire (les Deux T „taient c„lˆbres pour leur assortiment de biˆres). J’„tais l† † „couter, voir et respirer. Je me demandais ce qu’„taient devenus ceux que j’avais connus. Peut-on, sinon retourner dans le pass„, du moins retrouver au fond de soi les sensations „prouv„es lorsque l’on „tait plus jeune de quelques lustres ? • ce moment la chaise qui „tait en face de la mienne fut repouss„e par une main ferme, et une silhouette de haute taille s’y installa. J’allais protester contre cette intrusion, mais l’homme qui me regardait sans sourire me rappelait vaguement quelque chose. Š Alors, me dit-il, tu ne te rappelles pas de moi ? Œ De qui devais-je donc me rappeler ? Pour retrouver dans le 12


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pass„ celui qui „tait † pr„sent devant moi, il me fallut recolorer les cheveux gris, effacer quelques rides, rajouter une barbe un peu d„penaill„e, retrancher un certain nombre de kilos. Lorsque ceci fait, je rempla‡ais le complet brun de coupe anglaise par un ensemble blouson pantalon en jean, je pus tendre la main † travers la table et dire : Š Salut Daniel. — Salut, vieux frˆre, long time no see. Œ Daniel avait toujours „t„ un fervent lecteur de Dashiel Hammet. Je lui commandais une pinte de biˆre bavaroise. Il y avait toujours eu entre nous une controverse sur les m„rites respectifs des biˆres allemandes et anglaises. Il sourit : Š Tu n’as pas oubli„, dit-il. Prosit ! Œ Et il me tendit sa chope. Je la heurtais l„gˆrement de la mienne en r„pondant : Š Cheers ! —Alors, poursuivit-il, qu’es tu devenu ? Mari„ ? Des enfants ? Œ J’esquissais rapidement. Aprˆs des „tudes de litt„rature et r„ussite au Capes, j’avais „t„ pris d’un ennui profond † essayer de faire appr„cier la richesse du Fran‡ais † des „lˆves qui le parlaient de plus en plus mal, et l’„crivaient pire encore, au milieu de l’indiff„rence g„n„rale. Tentative journalistique. Quelques piges. Un reportage sur les Iles de la Sonde. Un premier bouquin mŽtin„ de Jack London et de Somerset Maugham. Rencontre de Tricia. Quelques all„s et retours. Nomination de Tricia † une chaire de litt„rature japonaise † San Diego. Mariage, installation, deux gar‡ons, une fille. Pas mal d’articles, quelques bouquins, et finalement, Lemuel Passhouse, d„tective, homosexuel et impuissant. Š Au moins, toi, tu auras boug„, dit Daniel. Moi, je suis rest„ ici. J’ai fait des „tudes de droit, avec un DESS de droit commercial. Je voulais €tre avocat, mais j’ai bifurqu„ vers les 13


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affaires, plus particuliˆrement l’agro alimentaire. Maintenant je fais dans le caf„ … — Ouh ! le sale ! Œ Il sourit : Š Je vois que tu es rest„ amateur de Feydeau. Donc dans le caf„, mais aussi le th„, le poivre, les „pices, les confiseries exotiques et ce genre de chose. Cela ne marche pas mal. — Mari„ ? — Oui. Ici. — Je la connais ? — Je ne crois pas. Quatre enfants. Deux gar‡ons, deux filles. Roger, l’a•n„, m’a annonc„ qu’il prendra ma suite dans l’affaire. Rien d’exaltant, rien de dramatique. J’ai v„cu dans un verre d’eau. — Je ne sais plus qui a dit : Š Les verres d’eau ont les m€mes passions que les oc„ans Œ. Daniel me sourit : Š Je crois que c’est Victor Hugo ou quelqu’un de la m€me „poque. De toute fa‡on, c’est faux. L’art de vivre heureux dans un verre d’eau c’est de savoir „viter que des temp€tes y „clatent. Œ Commande de deux nouvelles chopes. Je demandais : Š Et Rapha”l, qu’est-il devenu ? Œ Rapha”l avait form„ avec Daniel et moi un trio de joyeux compˆres. Dans un groupe o‰ j’„tais l’agitation et Daniel le calme, il „tait le r€ve. Son pˆre l’avait pouss„ † faire des „tudes d’architecture. Son esprit cr„ateur et artistique y avait trouv„ son compte, mais j’avais toujours pens„ qu’il serait mal † l’aise dans la gestion des chantiers. Daniel rit silencieusement. Š Tu te souviens ? Tu lui disais : Raff, je te chargerai de dessiner ma maison, mais je la ferai construire par un autre. Œ Je me souvenais. Š Eh bien, poursuivit Daniel, c’est ce qui lui est arriv„. Il faisait des choses remarquables, mais lorsque l’on chiffrait, cela faisait beaucoup plus que ce † quoi on pouvait s’attendre. 14


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Heureusement, grŽce † une connexion de la famille de sa femme, il est entr„ aux BŽtiments de France. Il vit actuellement en Touraine o‰ il fait r„gner la terreur sur tous ceux qui entreprennent une r„fection dans les r„gions class„es. — Il est mari„, donc. Avec qui ? Œ Daniel me dit un nom. Cela ne me disait rien. Une prof d’histoire, paraissait-il. Je demandais : Š Et il a d„cid„ de se marier comme ‡a ? Moi, je l’aurais vu continuer † papillonner comme il l'avait toujours fait. — Effectivement, il a continu„ pendant toutes ses „tudes † jouer, comme le Cherubino de Mozart, au Farfallon amoroso. Mais une fois son dipl‹me en poche, il est revenu ici avec la ferme intention de se marier. Il lui fallait trouver une fianc„e qui soit belle, intelligente, d’heureux caractˆre, qui ait une situation, qui soit d’une bonne famille (ce sont ses propres termes), il n’a jamais parl„ de richesse, mais ce n’„tait pas exclu, et … vierge. Œ Je ne pus m’emp€cher de sourire : Š La derniˆre exigence n’a pas d‘ €tre la plus facile † remplir. — Tu sais, me dit Daniel, c’„tait il y a vingt ans. De toute fa‡on, il aurait „t„ le seul † savoir, et encore, ce n’est jamais s‘r. — Et comme ‡a, du premier coup, il est tomb„ sur son historienne ? Œ Daniel ricana : Š Tu plaisantes ? Cela a „t„ un v„ritable d„fil„ pendant des mois. Toutes plus ou moins belles, toutes relativement intelligentes, absolument toutes d’excellente famille. — Et du c‹t„ virginit„ ? — Toutes d’excellente r„putation. Par contre en ce qui concernait le caractˆre, il „tait d’une exigence f„roce, d’une susceptibilit„ ombrageuse, comme dans le Cyrano de Bergerac que nous avions vu avec Th„Žtre et Jeunesse : Un mot suffit, Que dis-je un mot ? Un geste, un seul, Et tirer son mouchoir, c’est tirer son linceul ! ‰ 15


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Le souvenir de cette repr„sentation me revenait. Nous en sortions pleins de r€ve d’h„ro•sme romantique. Š Alors un d„fil„ ? repris-je. — Oh oui ! Cela a commenc„ avec Laure Duplis, Duplas, quelque chose comme ‡a. — La fille de La Maison du Papier ? — Pr„cis„ment. Elle „tait trˆs agr„able. Moi, je l’aimais bien. Ravissante, avec une jolie poitrine. Cela n’a pas march„. Elle avait une de ces id„es saugrenues comme en ont parfois les filles : elle trouvait que cela posait un homme de conduire sa voiture en fumant la pipe. Elle le lui a dit. Lui d„testait la pipe. Il a expliqu„ que la cigarette avait beaucoup plus d’„l„gance, et que le grand chic pour un gentleman „tait de faire fabriquer ses cigarettes † ses initiales. Ils se sont disput„s comme des gamins au sujet de cette histoire. Elle lui a d„finitivement tourn„ le dos. — Tu me fais rire ! — Et cela a continu„ comme ‡a. Je ne me rappelle pas toute la collection dans l’ordre, mais je vais te raconter ce dont je me rappelle. Il y a eu C„line. Tu te rappelles de C„line ? Œ Cela ne me revenait pas. Daniel me rafra•chit la m„moire. Š La jolie blonde, toute longue, toute mince, qui „tait en droit avec moi. Elle avait manifestement un fort faible pour lui. Avec cela, vive, dr‹le, et fille de notaire. Il l’a emmen„e dans deux ou trois soir„es, puis a d„cr„t„ qu’une silhouette comme la sienne n’„tait pas assez raffin„e † son go‘t. La pauvre en a pleur„ pendant six mois. Un an plus tard, des silhouettes comme la sienne faisaient la une de Vogue, Harper’s Bazaar, Elle et Modes et Travaux. Nos copains ont pratiquement fait la queue devant chez C„line. Quand son pˆre a achet„ une „tude en Normandie, elle a disparu de notre horizon. — Pauvre C„line, dis-je. Je crois me souvenir qu’il „tait attir„ par la petite Santander. Flora ou quelque chose de ce genre. — Florinda ! Une brune superbe avec les yeux noirs de 16


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Carmen et les jambes de Cyd Charisse. Cela flattait les go‘ts exotiques de notre ami. Elle a dur„ six semaines. — Si peu ? — Que veux-tu ? Elle avait le mauvais go‘t de se croire aussi intelligente que Raff. Comme en plus elle l’„tait, il y a eu une sorte de combat a„rien au cours duquel elle l’a abattu en flammes. La version officielle a „t„ qu’il n’avait pu supporter la suffisance de cette sotte. Mais ce n’est pas cela qu’il y a eu de plus d„routant et p„nible pour lui. Jusque l†, il avait eu l’impression de faire les choix, de ma•triser son jeu, et de se placer dans une perspective favorable tout en attendant, comme le disait Goethe, que : Š L’amour enfin, survenant le dernier… Œ Je compl„tai : Š …vint la couronner de fleurs et de fruits ! Œ Nous nous saluŽmes de la t€te, comme au temps de notre jeunesse o‰ nous jouions nos biˆres au jeu des citations. Daniel prit un ton plus s„rieux, grave peut-€tre m€me, pour me dire : Š Et puis il y a eu Laurette ? — Laure ? — Non, Laurette. Une fille pas grande, un peu trop potel„e. Un visage rond dans une t€te assez massive. Un cou trˆs blanc, mais plut‹t court. Des yeux bruns, joliment dessin„s et trˆs brillants, mais petits. Par contre des cheveux splendides, bruns et boucl„s qu’elle avait l’id„e idiote de porter trˆs courts. Œ La m„moire me revenait : Š Ah oui, dis-je, je vois qui c’est. Elle „tait en prop„ avec ma cousine. Trˆs intelligente m’a-t-on dit. Mais terne, timide, renferm„e, introvertie m€me. — Tout † fait. C’est avec stup„faction que nous avons vu Raff arriver un soir avec elle † son bras † la soir„e dansante du Club de Jazz. Il avait sorti d’on ne sait o‰ un complet ray„ qui lui donnait l’air d’aller † un conseil d’administration. Avec ‡a, une cravate flamboyante comme une gicl„e de napalm. Nou„e 17


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n’importe comment : il n’a jamais su nouer une cravate. Œ Daniel s’interrompit un instant, comme s’il revoyant la scˆne en sa m„moire. Il hocha la t€te : Š Elle „tait l† comme „blouie. Un air de petite chev€che que l’on aurait tir„e dehors en plein jour. Gauche, mais souriante, comme si elle atteignait enfin ce qu’elle avait toujours esp„r„. Banale dans une petite robe blanche † manches courtes assez quelconque. Des sandales argent„es. Des jambes bronz„es et trˆs soign„es, mais sans „l„gance. Raff lui, paraissait † la fois un peu g€n„ et trˆs fier. Fier de quoi ? Je me le suis longtemps demand„. Ma famille n’avait pas de vie sociale en dehors de notre famille, et je ne connaissais personne. Ils sont venus tous deux † la table o‰ je me trouvais avec quelques camarades de fac gar‡ons et filles. Tout le monde a „t„ trˆs gentil avec Laurette, un peu protecteur m€me. Et puis, pour jouer au gentil gar‡on, je l’ai invit„e † danser. Alors l† ! La surprise ! Elle „tait vive. Elle „tait alerte ! Elle avait le sens du rythme : une vraie championne. Raff s’est mis † sourire, ils ont dans„ en faisant une vraie d„monstration. Tout le monde a dans„ avec tout le monde. Une soir„e superbe. Je les ai crois„s quelques fois au cin„ma ou † la piscine. Elle avait le bon go‘t de porter des maillots une piˆce noirs qui lui faisaient une silhouette passe partout. Elle avait l’air de m’appr„cier, mais sans plus. Je tenais mes distances pour ne pas les g€ner. Un soir, Raff me dit : Š Laurette m’invite † l’accompagner † une soir„e donn„e chez un de ses cousins. Est-ce que tu veux venir ? Œ Je n’en avais pas d’envie particuliˆre, mais ce Samedi l†, je n’avais rien † faire. J’acceptais. Il ajouta : Š Rendez-vous devant chez moi † neuf heures. Laurette viendra me chercher avec sa voiture. Œ Sa voiture ? Premiˆre nouvelle. Probablement quelque bagnole banale emprunt„e † Papa, me dis-je, tout en regrettant 18


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que le mien refuse de me pr€ter la sienne. • huit heures moins quelques minutes j’„tais devant chez Raff. Il avait l’air d’€tre descendu depuis un moment. Toujours le complet d’administrateur, mais avec une cravate grenat d’un go‘t parfait, je le dis. Š Un cadeau de Laurette Œ, me dit-il. Je lui trouvais un air plut‹t nerveux, mais je n’en dis rien. Š Elle est toujours † l’heure, continua-t-il. Tu vas voir. Œ Je me demandais ce que j’allais voir lorsque apparut au bout de la rue une ombre longue, noire, „clair„e par des feux rouge orange et argent„s, se d„pla‡ant avec le bruit feutr„ d’un moteur en V † arbres † cames en t€te. Un immense cabriolet t‹l„. Le monstre glissait vers nous. Quand il arriva † notre hauteur, je reconnus l’„cusson pr„tentieux mais prestigieux des Cadillac. La glace de la conductrice disparut dans la portiˆre. Raff se pencha pour lui donner un petit baiser rapide. Nous contournŽmes la voiture et il me tint la portiˆre ouverte pour que je me glisse † l’arriˆre avant de prendre place lui-m€me prˆs de Laurette. Š Bonsoir Daniel, me dit-elle. Vous €tes install„ confortablement ? Il n’y a pas beaucoup de place dans un cabriolet deux portes. Œ Je r„pondis par quelque banalit„. En fait j’„tais stup„fait, fascin„, hallucin„ m€me : Laurette avait au cou un petit collier qui comprenait une centaine de petits diamants dont le plus menu „tait de la taille d’un petit pois. Il devait valoir, je ne sais pas, deux ou trois fois le prix de la Cadillac. Je te laisse deviner † quoi ressemblait la maison du cousin. Je passe en courant sur les jardins, les terrasses, les salons, l’orchestre, le buffet, la fontaine de champagne, le nombre des invit„s, les robes, les bijoux. Je n’avais jamais vu ‡a. J’„tais stup„fait comme un petit gar‡on qui voit pour la premiˆre fois de sa vie Mickey Mouse en cin„mascope et m„trocolor. Cependant ce qui me d„stabilisa vraiment, ce fut Raff. Il „tait conquis, fascin„, phagocyt„. Il s’y voyait d„j†. La grande baraque 19


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super luxe. La grande bagnole super puissante. Peut-€tre la vedette de vingt mˆtres avec deux moteurs de sept cents chevaux chacun. Qui sait ? Il n’„tait plus rien. Sa personnalit„ s’„tait envol„e. Il avait fait all„geance. Laurette l’avait ferr„. Elle l’avait atteint † son talon d’Achille, qui est le n‹tre † tous : l’argent. Je me serais bien vu me dresser et comme dans le Faust de Gounod, entonner : † Le Veau d’Or est toujours debout… Œ Nous continuŽmes Daniel et moi † l’unisson : Š Et l’on ressent sa puissaaance, Et l’on ressent sa puissaaaance D’un bout du monde ‡ l’autre bout ! Œ Nous saluŽmes de la t€te. Daniel poursuivit : Š Je compris tout de suite que je ne pouvais laisser mon vieil ami se vendre ainsi, je dirais bien perdre son Žme, si je croyais † cette psych„ extra corporelle. Je d„cidais de lui parler † la premiˆre occasion. Ce fut le lendemain. Pr„textant un surmenage que je ne ressentais pas, je m’„tais „clips„ de la soir„e et rentrais en me faisant prendre en stop par la camionnette du traiteur. Raff me t„l„phona pour m’inviter † prendre un verre † notre bistrot habituel. Il m’y attendait † l’heure dite. Je ne fus pas plus t‹t assis qu’il me demanda : Š Alors, qu’en penses tu ? Œ Il avait la mine satisfaite du matou qui a mang„ le canari, qui a l’intention de d„vorer la perruche, et, pourquoi pas, le perroquet. Ma r„ponse fut simple et directe : Š Je pense que tu es fou ! Š Il se h„rissa comme † la vue d’un cobra. Š Fou, poursuivis-je, follement fou ! Tu t’appr€tes † te lancer dans une histoire que tu ne contr‹leras plus jamais. Tu vas te livrer pieds et poings li„s † une femme, sincˆre, j’en suis s‘r, aimable, j’en conviens, mais qui disposera d„finitivement sur toi 20


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de la puissance absolue. Tu n’auras le choix qu’entre devenir le consort d’une „pouse extr€mement riche, ou devenir encore plus riche qu’elle. Ni l’un ni l’autre ne sont des choses faciles. — Ce n’est pas vrai, me r„pondit-il, et la puissance de l’esprit, le rˆgne de l’intelligence et de la culture ? Et son attirance pour moi en raison de ce que je repr„sente comme capital humain et affectif ? Et son admiration pour mes capacit„s artistiques ? Œ Je lui r„pondis briˆvement que pour les personnes extr€mement riches leur admiration pour l’art leur permet d’accrocher un Chagall dans la salle de bains et un Buffet dans les toilettes. Il me quitta en m’insultant, et en me laissant payer l’addition. Nous repr•mes cette discussion † plusieurs reprises, parfois avec plus de violence, parfois avec plus d’abattement. Un jour, il vint chez moi sans me pr„venir et me dit : Š Tu as raison. Je n’aime pas Laurette. Elle est † sa fa‡on charmante, mais je suis fascin„ par la vie qu’elle mˆne en raison de sa richesse. C’est fini. Je n’ose pas le lui dire en face. Je vais le lui „crire. On me propose une collaboration † Orl„ans : aprˆs demain, je serai parti. Œ Il fit comme il dit. C’est † Orl„ans qu’il rencontra sa femme. Il s’installa d„finitivement l†-bas. Nous nous sommes vus r„guliˆrement pendant un certain temps, puis beaucoup moins. Š C’est dommage, lui dis-je. — Eh oui! La vie est ainsi faite. Toi aussi tu avais disparu. Je te retrouve. Oh l† l† ! J’oublie l’heure. Il faut que je file. ‚coute, donne moi le num„ro de ton portable. Je t’appelle demain vers midi, et nous d•nerons tous les trois demain soir. — Qui sera le troisiˆme ? — La troisiˆme. Mon „pouse, naturellement. Œ Le lendemain soir, j’attendais devant mon h‹tel, † dix minutes du cours Saint-Just. • l’heure dite apparut au bout de la rue une ombre longue, blanche, „clair„e par des feux rouge orange et argent„s, se d„pla‡ant avec le bruit feutr„ d’un moteur 21


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en V † arbres † cames en t€te. Un immense coup„-cabriolet. Le monstre glissait vers moi. Quand il arriva † ma hauteur, je reconnus l’„cusson pr„tentieux mais prestigieux des Cadillac. La glace de la conductrice disparut dans la portiˆre. Daniel descendit du c‹t„ oppos„, me fit contourner la voiture et me tint la portiˆre ouverte pour que je me glisse † l’arriˆre avant de prendre place lui-m€me prˆs de la conductrice. Š Bonsoir, me dit-elle. Je suis heureuse de faire la connaissance d’un vieil ami de Daniel. Vous €tes install„ confortablement ? Il n’y a pas beaucoup de place dans un coup„ cabriolet deux portes. Œ Je r„pondis le plus aimablement que je pus. Daniel me lan‡a un regard amus„, sans aucune g€ne. Je lui souris tout en admirant le collier que son „pouse avait au cou. Il comportait une centaine de petits rubis dont le plus menu „tait de la taille d’un pois chiche. Il devait valoir, je ne sais pas, deux ou trois fois le prix de ma maison de San Diego. Š Appelez moi Laurette, me dit-elle. Aimez vous le poisson et les crustac„s ? Un restaurant vient de s’ouvrir o‰ le homard est d„licieux. Comme il fait bon ce soir, je vais d„capoter la voiture. Œ Un petit bruit de moteur „lectrique retentit, les piˆces m„talliques du toit glissˆrent en s’embo•tant les unes dans les autres. Mon s„jour fut bref, quelques jours seulement. Laurette et Daniel s’attachˆrent † ce qu’il me soit le plus agr„able possible. Elle aussi avait pris de l’Žge, mais le l„ger embonpoint de sa jeunesse avait „t„ remplac„ par une relative minceur muscl„e qui lui allait assez bien. Le jour de mon d„part, Daniel devait venir me chercher et m’emmener † l’a„roport. Ce fut Laurette qui vint. Cette fois, elle conduisait une petite Morgan Plus Four. Elle remarqua mon regard et me dit: 22


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Š Celle-ci est mon caprice. Mon pˆre n’avait jamais voulu m’acheter une voiture de sport. Mon mari l’a fait. Œ Sur le trajet, je trouvais qu’elle ne se pressait pas trop. Je me demandais comment le lui dire sans la froisser, lorsqu’elle s’adressa † moi : Š Daniel est pris ce matin, mais de toutes fa‡ons, j’avais envie de vous parler en t€te-†-t€te. Je vous invite † d„jeuner. — Excusez-moi, Laurette, mais mon avion sera parti dans soixante cinq minutes. Œ Elle eut un sourire d„sarmant : Š Il est retard„ de trois heures. J’ai v„rifi„ avant de venir, nous avons tout le temps de d„jeuner. J’ai r„serv„ une table. Œ Comme l’on pouvait s’y attendre, cette table se trouvait dans le meilleur restaurant de l’a„roport. La carte „tait impressionnante, mais je pr„fˆre d„jeuner l„gˆrement avant de prendre l’avion, grillade et salade me conviendraient parfaitement. Laurette fit de m€me, sauf qu’elle choisit un „minc„ de pintade. Dˆs la commande pass„e, le serveur revint avec un seau † champagne. Š Un d„jeuner l„ger, me dit-elle, s’accommode fort bien de la l„gˆret„ de quelques bulles. Passons ces derniers instants ensemble sous le signe de la f€te Œ. Elle versa le vin, choqua l„gˆrement sa fl‘te † la mienne, but une gorg„e et reposa le cristal sur la table. Š Permettez vous que je vous pose une question ? Œ J’acquies‡ais. Š Voici, dit-elle. Pensez-vous que Daniel m’a „pous„e pour mon argent. Œ Je m’„tranglais un peu. Je posais mon verre, et la d„visageant un peu durement : Š Au moins, vous €tes directe. — Je suis plus directe que vous le croyez. J’ai pos„ la question et je vous donne la r„ponse : mon mari m’a „pous„e pour 23


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mon argent. Cela ne m’„tonne pas, cela ne me choque pas. J’y „tais pr„par„e depuis longtemps. Œ Elle but une gorg„e et reprit : Š Mon pˆre „tait un homme g„nial, mais petit et trapu. Ma mˆre „tait petite, enrob„e et courtaude. Compte tenu de ce que me proposaient les lois de l’h„r„dit„, je ne m’en suis pas trop mal tir„e, m€me si mon physique n’a rien de celui d’une reine de beaut„. J’ai „t„ un pas trop vilain petit canard dans une famille de vilains canards. Quand j’ai eu quinze ans, mon pˆre m’a dit : “ Tu es la fille unique d’une famille riche. Tu es d„j† trˆs riche. Tu vas €tre encore plus riche. Tu es „galement intelligente, ce qui est toujours un avantage. Il faut que tu saches que si les hommes aiment parfois les femmes intelligentes, leurs pr„f„rences vont vers les femmes belles. Tu n’es pas et ne seras jamais belle. L’homme qui t’„pousera le fera pour ta fortune. • toi de le comprendre, de l’admettre et de ma•triser la situation. ” Š C’est ce que j’ai fait. Le soir o‰ je suis all„e chercher Raff et son ami Daniel pour les emmener † une soir„e, j’avais tout fait pour €tre ce que j’„tais : une petite fille riche. — Une pauvre petite fille riche ? demandai-je — Ne riez pas. La diff„rence entre Raff et Daniel est que le premier a „t„ impressionn„ par la Cadillac, alors que le second a tout de suite r„alis„ la valeur bien sup„rieure du collier. — Ne me dites pas que Daniel a d„courag„ Raff de vous „pouser pour donner le champ libre † ses propres ambitions ? Œ Elle eut un sourire un peu amer : Š Dans une certaine mesure, oui. Mais † la r„flexion, c’est tant mieux. J’„tais follement amoureuse de Raff, mais lui, s’il n’„tait pas insensible † ma fortune, manquait de lucidit„ en pensant que l’intellect est un pendant suffisant † la richesse. Il aurait vite r„alis„ que ce ne pouvait €tre exact que dans une certaine proportion, en aurait ensuite „prouv„ de l’amertume et me l’aurait reproch„ enfin. Daniel, lui, a voulu l’argent pour 24


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l’argent, en toute lucidit„. Il m’a prise telle que j’„tais sans emballer son histoire dans de pr„tendus bons sentiments. Il n’est pas d„pourvu de charme, aussi aprˆs une sorte de deuil, je me suis laiss„e aller † l’„couter. Ceci dit, il faut que je dise qu’il a „t„ dˆs le d„but un bon mari, attentionn„, fidˆle, soucieux de mes int„r€ts. Il a conquis l’estime de mon pˆre, mon affection ensuite, mon amour enfin. J’ai „t„, et je suis trˆs heureuse, sauf … Œ Elle h„sita. Je l’encourageai : Š Sauf que j’ai toujours un petit sentiment de culpabilit„ quand je repense au soir de la rencontre en Cadillac noire, et au petit collier Œ Je poursuivis : Š Compos„ d’une centaine de diamants dont le plus petit „tait gros comme un petit pois. Œ Elle sourit : Š Ce collier, que j’avais mis pour acheter Raff, et qui, en derniˆre analyse, a achet„ Daniel. Œ Puis : Š Votre mariage a „t„ un mariage d’amour ? Œ me dit-elle. — En effet. — Quand avez-vous su que c’„tait elle qu’il vous fallait pour le restant de votre existence ? — Tout de suite, enfin, au bout de quelques minutes. Je me trouvais † Osaka pour une conf„rence. Tricia y „tait aussi en qualit„ de traductrice. Je buvais avec quelques copains dans une sorte d’immense bar qui passait de la musique baroque. Tricia est entr„e, son joli petit derriˆre moul„ dans un jean qui laissait peu de marge † l’imagination. Je suppose que j’avais un peu bu, car lorsqu’elle est pass„e † ma hauteur, je n’ai pu m’emp€cher de la pincer. La seconde qui suivit elle me donnait un direct du droit dans l’œil gauche qui m’exp„dia au tapis pour le compte. Comme tout le monde se d„filait, elle est rest„e pour me ranimer et m’a emmen„ † son h‹tel pour soigner mon œil au beurre noir et ma 25


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gueule de bois. Nous ne nous sommes plus jamais quitt„s. Œ Laurette rit franchement. Š C’est une belle histoire, dit-elle, et elle va me donner l’occasion de payer ma dette. Je n’ai plus jamais port„ le collier que j’avais lors de ma rencontre avec Daniel. Permettez que je l’offre † une femme qui a „t„ aim„e pour elle-m€me, et qui n’a conquis son mari, si vous me permettez ce mauvais jeu de mots, qu’en lui tapant dans l’œil. Œ Elle tira de son sac un petit „tui de peau, et elle le glissa dans ma main. Je l’entrouvris et vis briller les mille reflets de cent diamants. Je voulus refuser, mais je lus dans le regard de Laurette, non seulement la volont„ d’une femme † qui rien n’avait presque jamais r„sist„, mais en plus une joie v„ritable. Rentr„ † San Diego, je racontais toute l’histoire † Tricia en lui remettant le collier de la part de Laurette. Mon „pouse est trˆs sentimentale, mais ne manque pas de sens pratique. Elle essuya les larmes qui perlaient † ses yeux d’un gris bleu trˆs clair contrastant avec ses boucles d’un noir de jais, (combinaison r„v„lant ses ascendances irlando-hispaniques), et me dit : Š Sweetheart, you have swell pals. And Laurette is a sweetie. But I am glad it was not a sable coat: with our weather, I should never have been able to wear it. Œ Š Mon chou, tu as de chouettes copains. Et Laurette est une chouchoute. Mais je suis contente que ce ne soit pas un manteau de zibeline : avec le climat d’ici, je n’aurais jamais pu le porter. Œ


Duo infernal

Cette histoire est profond„ment immorale. Chacun de nous a, para•t-il, ses d„mons avec lesquels il est contraint de pactiser. Ses d„mons ou son d„mon. Moi, cela a „t„ une d„mone. Je m’appelle Aron Blauschild. Vous connaissez le c„lˆbre aphorisme † propos du nez de Cl„opŽtre : Š S’il eut „t„ plus court, nous n’en serions pas l† ! Œ En ce qui me concerne si le bouclier qui figurait sur l’enseigne de la boutique de mes anc€tres avait „t„ rouge et non bleu1, mon destin e‘t „t„ totalement diff„rent. J’avais men„ une vie un peu compliqu„e. J’avais fait des „tudes, et j’avais plein de dipl‹mes, y compris un D.E.A. de commerce international. Un de mes oncles par alliance avait des ouvertures sur les services diplomatiques. Il me vanta les avantages combin„s de la fonction publique et des postes † l’„tranger. Je me laissais faire. Comme je n’entrais pas par la grande porte, je dus me contenter, non pas de r‹les subalternes, mais de missions dont personne ne voulait pour ne pas „clabousser les revers de son veston. Comme j’y r„ussis assez bien, cela se renouvela. Je me retrouvais finalement † passer mon temps entre les mailles que tressaient en Afrique la diplomatie officielle, les services secrets et le r„seau Foccart. Ne vous trompez pas, je ne faisais pas dans la Jamesbonderie : je fais † peine la diff„rence entre un pistolet et un 1 Bouclier rouge se dit rot schild

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revolver. J’„tais celui qui sait lire, „crire et compter et qui est pay„ pour combler les blancs correspondant † ce que les autres ne disent pas. Un jour h„las, je tombais sur une broutille. Pas grand-chose : trois cent cinquante millions de Francs CFA qui avaient curieusement gliss„ des comptes d’une autorit„ portuaire entre les mains d’un Pr„sident, et de l† dans la comptabilit„ du haut dignitaire d’un ordre „sot„rique fran‡ais. Comme c’„tait le genre de chose que j’„tais cens„ d„celer, j’ai m€me eu la b€tise de faire un rapport officiel. Cela n’a pas „t„ long, je me suis retrouv„ dans le premier avion qui rentrait en France. On ne m’a m€me pas demand„ d’explication. On m’a fait seulement signer une d„charge pour un papier qui m’annon‡ait ma r„vocation sans indemnit„ avec perte de mes droits, entre autres, † la retraite. Je raconte vite : partout o‰ je me pr„sentais pour des postes correspondant † mes dipl‹mes, on ne voulait pas de moi : ces dipl‹mes remontaient † trop longtemps, j’„tais trop jeune, j’„tais trop vieux ou trop quelque chose, ou pas assez autre chose. Je n’aurais pas eu la pr„caution de m’acheter un petit appartement, j’aurais „t„ † la rue. Mes „conomies ont commenc„ † fondre. Je n’avais pas de parents. Je n’avais plus d’amis. Je n’avais jamais eu de femme dans ma vie plus de huit jours d’affil„e. J’„tais d„sesp„r„. J’ai pens„ † me suicider. Quand j’ai r„alis„ que j’en arrivais l†, je me trouvais dans une espˆce de bar faisant un peu bo•te de strip. Je me suis mis † picoler. De la vodka, c’est ce qui vous met K.O. le plus vite. Les filles qui se d„hanchaient n’„taient pas trop mal foutues, mais vulgaires. Heureusement, aprˆs trois vodkas, je ne m’en apercevais plus. C’est alors qu’elle est entr„e. Elle „tait rousse, mais rousse ! Comme si elle s’„tait promen„e avec un incendie sur la t€te. Et en plus avec une robe rouge, mais rouge ! Je ne saurais dire si je commen‡ais † €tre 28


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vraiment ivre ou si elle avait une robe † g„om„trie variable, mais c’„tait comme si elle „tait habill„e trˆs long, trˆs couvrant, mais que cela laissait sinon voir, du moins apercevoir ou en tout cas deviner les „l„ments d’une carrosserie que Pinin Farina lui-m€me n’aurait pu dessiner tant elle „tait chouette. Du coup, les filles du club avaient l’air de nullit„s, et les mecs qui „taient l† ressemblaient tous au loup de Tex Avery qui aurait „t„ r„duit au silence. Elle est entr„e en glissant avec des mouvements souples et coul„s comme ceux des m„caniques d„licates dont les engrenages en nylon sont auto-lubrifi„s. Elle s’est d„licatement pos„e sur un tabouret † c‹t„ de moi, a plac„ son bras en travers de mes „paules et a dit au barman : Š Un pink gin pour moi et un caf„ trˆs fort pour mon copain. Œ Je n’„tais pas aussi ivre que j’en avais l’air, et je me rendais compte. Pour le caf„, il n’y avait pas de problˆme, mais le barman n’avait manifestement jamais entendu parler du pink gin. Elle le lui expliqua pos„ment : Š C’est une petite boisson pour dame : une dose de gin avec un bon trait d’angustura. Œ Il versa un gin. Elle souleva l’arc parfait de ses sourcils auburn en roulant des yeux. Le barman continua † servir jusqu’† atteindre l’„quivalent de trois doses. Elle se saisit de l’angustura et en jeta une rafale dans le verre. Elle me regarda boire mon caf„, ce que je faisais avec pr„caution car il „tait br‘lant. Lorsque je reposais la tasse vide, elle saisit son verre et le lampa en une seule gorg„e, jeta quelques billets surgis de je ne sais o‰ sur le comptoir et prenant mon bras me dit : Š Je t’invite † d•ner. Œ Pourquoi pas ? Je la suivis. • mi trajet de la porte nous f‘mes intercept„s par un immense barbu. Un homme jeune, puissant comme un bulldozer, et qui s’„tait d„guis„ en mauvais gar‡on comme ceux que l’on voit dans les films de Clint 29


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Eastwodd. Tout y „tait, depuis les bottes jusqu’au tee-shirt Hell’s Angels. Il s’adressa † moi : Š ‚coute moi, mister, une belle fille comme ‡a n’a pas besoin de ta compagnie. Tu d„gages et tu la laisses avec nous. Œ Et se tournant vers elle : Š C’est d’accord, s’pas ? Œ Elle lŽcha mon bras, fit les trois pas qui nous s„paraient du jeune g„ant en une sorte de roulis qui ondulait de ses hanches † ses chevilles, se plaqua contre lui, et haussant son visage au niveau du sien lui dit quelques paroles que je n’entendis pas vraiment, mais c’„tait une sorte de sifflement qui faisait : Š Œ. L’homme s’immobilisa comme frapp„ de terreur. Il s’„carta, et trˆs poliment lui dit : Š Bien s‘r Madame. Naturellement Madame. Je peux faire quelque chose pour vous ? Non ? Alors, Bonsoir Madame. Passez une bonne soir„e. Œ Elle m’amena † ma voiture. Me prit d’autorit„ les cl„s. Mon auto, elle aussi, a connu des jours meilleurs, mais l†, elle d„marra du premier coup en ronronnant comme une limousine de prestige. Ma compagne se tourna vers moi : Š Est-ce que cela te dirait de d•ner au Grand B„chamel ? Œ C’„tait l’endroit le plus cher, le plus chic et o‰ on mangeait le mieux † dix parsecs † la ronde. Elle prit manifestement mon silence m„dus„ pour un accord, car elle passa la premiˆre. Ma vieille voiture s’„lan‡a comme pour les Vingt Quatre Heures du Mans. La belle me fit un clin d’œil et me lan‡a : Š Mes amis m’appellent Ph„lia ! Œ Quand nous sommes arriv„s devant le restaurant, je lui ai fait remarquer que je n’avais pas une tenue qui pourrait €tre accept„e dans un endroit chic. Elle m’a donn„ un coup d’œil et a tir„ rapidement du bout des doigts sur mon col, mes revers, mes 30


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„paulettes, et elle a sorti d’un petit sac en lam„ vermillon que je n’avais pas vu, une cravate de soie noire et or, portant une griffe de grand couturier, en me disant : Š C’est une fausse fabriqu„e rue de la Soie † P„kin. Œ Vous connaissez tous le Grand B„chamel. J’y entrais pour la premiˆre fois. Toute la d„coration est de style Louis XIV revu par un designer italien. La r„ception est tenue par une dame entre deux Žges, supr€mement „l„gante, aux cheveux trˆs l„gˆrement grisonnants avec des reflets bleut„s, qui aurait aussi bien pu €tre la Reine d’Angleterre. La route nous „tait barr„e par un Monsieur „l„gant comme un ambassadeur, dans un habit † queue bleu de nuit. Il eu un coup d’œil discrˆtement appr„ciateur vers Ph„lia, moins vers moi et dit : Š Bonsoir Madame, bonsoir Monsieur. Vous avez une r„servation n’est-ce pas ? Œ Nous n’avions pas de r„servation. Je me tournais vers Ph„lia. Elle me sourit : Š Cher ami, me dit-elle, je suis s‘re que l’aimable dame ici pr„sente a enregistr„ la r„servation que j’ai faite lorsque nous nous sommes rencontr„s. Œ Et se tournant vers Elizabeth III : Š Voulez vous v„rifier, je vous prie. Ph„lia Dimon (elle pronon‡ait le i † l’anglaise Š a• Œ. — Effectivement, Madame, je vous prie de nous excuser. Fran‡ois, voulez-vous conduire Madame et Monsieur † la table 17. Œ La table 17 „tait magnifiquement plac„e, dans un angle avec vue sur les jardins † la fran‡aise. Fran‡ois, aprˆs nous avoir install„s, d’un fr„missement de la main, avait attir„ vers nous un serveur raffin„ qui nous apporta des cartes dans des couvertures de cuir, grandes comme des cartons † dessin. Il ouvrait la bouche, certainement pour nous proposer des ap„ritifs. Ph„lia l’interrompit : 31


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Š Appelez-moi le sommelier ! — Madame, dit notre serveur avec une trˆs courtoise fermet„, ce n’est pas l’usage. Lorsque vous aurez fait votre choix dans la carte, nous examinerons ensemble les vins convenant † votre d•ner. Œ Ph„lia releva † demi un sourcil, et de l’ongle rose de son index fit un petit mouvement pour inviter son interlocuteur † se pencher vers elle : Š Voyez-vous, dit-elle, les usages sont ce que je d„cide. Alors, ce sommelier ? Œ Le sommelier † son tour fut „berlu„. Elle prit la carte des vins et choisit un blanc et deux rouges qui le firent bl€mir Š Madame, ce sont des crus extr€mement rares. Croyez vous que … vraiment … leur prix … Œ Elle eut de nouveau son petit geste de l’index : Š Appelez moi le ma•tre d’h‹tel ! Œ Il arriva en courant. Ph„lia sortit de son r„ticule une carte de cr„dit rouge comme je n’en avais jamais vue. • partir de ce moment tout le monde se mit † courir dans tous les sens dˆs qu’elle faisait une demande. Le d•ner fut sublime. Je n’avais jamais mang„ d’alose p€ch„e † Azemmour, ni de b„casse fourr„e au foie gras, ni de filet de bœuf japonais aux cˆpes et aux morilles, ni … ni … Elle mangeait avec l’app„tit d’une ogresse supr€mement „l„gante. La conversation ne fut pas trˆs fournie, mais il faut dire que nos mŽchoires avaient suffisamment de quoi s’occuper. Quand nous nous retrouvŽmes dehors, malgr„ tout ce que j’avais bu, je me sentais frais et dispos. Elle reprit d’autorit„ le volant de ma voiture. Š Nous allons chez toi Œ, me dit-elle. J’allais lui donner les indications n„cessaires pour y aller. Elle m’interrompit avec l’air d’un grand math„maticien † qui on voudrait expliquer la multiplication : Š Je sais o‰ tu habites. Œ 32


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Elle eut un coup d’œil appr„ciateur pour mes a•tres, „tant donn„ que je ne manque pas de go‘t et que j’ai rapport„ de mes voyages, notamment en Orient, pas mal d’objets d’une valeur artistique certaine. Elle fit glisser une des bretelles de sa robe et attira ma t€te vers la sienne. Elle n’eut pas besoin de me violer. Le lendemain au petit d„jeuner, elle me dit : Š Et si nous allions passer la journ„e en bateau † SaintTropez ? — ‚coute, Ph„lia, tu es capable de miracles avec une carte de cr„dit au restaurant. Cependant je te signale que la M„diterran„e est † quelques centaines de kilomˆtres et que pour avoir un bateau il faut s’y prendre † l’avance. Enfin, ce n’est pas parce que je me laisse harponner par des filles superbes que j’accepte de monter sur n’importe quelle coque de noisette. — Ch„ri, me dit-elle, tes souhaits sont des ordres. Passe moi mon t„l„phone. Œ Elle eut une petite ondulation de la main vers son sac. J’en sortis un portable qui avait l’air en or massif. Elle composa rapidement un num„ro. Š Ph„lia Dimon au t„l„phone. Passez moi Ruttberger. Œ Une heure aprˆs nous nous retrouvions † l’a„roport o‰ nous attendait un jet priv„. Deux heures plus tard une limousine nous laissait † quai devant le plus grand off-shore que j’aie jamais vu. Autour de lui, autour de nous, une collection de ketchs, de go„lettes, de brigantins, de cruisers † moteur. Incroyable ! Il y avait m€me une vedette lance torpilles de la seconde guerre mondiale qui avait appartenu † la Kriegsmarine du Reich, convertie en yacht d’agr„ment. Mais il n’y avait pas que des embarcations, il y avait ceux, et surtout celles, qui „taient dessus. Les maillots les plus r„duits du monde faisaient ce qu’ils pouvaient pour recouvrir les filles les plus „panouies du m€me. Des mannequins, des chanteuses, des starlettes, des ladies, de tout. 33


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Š Choisis ! me dit Ph„lia. Laquelle ou lesquelles veux-tu ? Je pourrais m€me te procurer un ravissant jeune homme si tu le voulais, mais j’ai compris que tu ne jouais pas dans cette „quipe l†. — Ma chˆre amie, r„pondis-je, quantit„ ne fait pas qualit„. Si je jouais au tennis, je ne pratiquerais que le simple mixte. Œ Elle eut un sourire, fit signe † l’„quipage de faire avancer notre off-shore. Nous passions devant une s„rie de yachts encore plus grands et plus luxueux. Sur l’un se pr„lassait une belle blonde qui a conquis les „crans en y apparaissant v€tue d’un simple pic † glace. Sur l’autre, une „l„gante brune dorait au soleil ses tatouages c„lˆbres. Sur le suivant … Š Alors, reprit Ph„lia, laquelle veux-tu ? — Chˆre Ph„lia, tu es prˆs de moi. N’est-ce pas suffisant ? Œ Elle eut un sourire ambigu. La commerciale „tait vex„e de son „chec, mais la femme devait €tre flatt„e. Nous passŽmes une journ„e merveilleuse. Le lendemain, elle m’emmena en voyage. Nous nous sommes baign„s nus sur une plage isol„e de Mauritanie tandis que l’on pr„parait pour nous de l’ombrine grill„e qui serait servie couverte de tranches de tomates et de citrons, avec du vin ros„ portugais. Nous avons „cout„ ensemble les duos d’amour des baleines † bosse. Un grand violoniste juif et russe, c„lˆbre pour ses interpr„tations de Bach a jou„ pour nous en duo avec le meilleur disciple du saxophoniste Earl Bostic, des improvisations sur des thˆmes tir„s de balades anglaises. Et ce que je vous dis l† est ce qu’il y a eu de plus banal dans le Maelstr™m o‰ elle m’entra•na. Au bout d’un certain temps – jours ? semaines ? – je me suis trouv„ attabl„ devant un panorama immense, dans le restaurant install„ au dernier „tage du Shin Yeh 101 † TaiPeh, le building le plus haut du monde. Nous venions, une fois de plus, de d•ner 34


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somptueusement. Nous trinquions au champagne. Je sentais que nous approchions de quelque explication. Š Tu sais que je t’ai amen„ ici avec un but pr„cis ? dit-elle. — Je ne le sais pas, mais je m’en doute. — Une id„e ? — Matthieu 4, versets 8 et 9 : Le diable le prend de nouveau avec lui sur une trŠs haute montagne. Il lui montre tous les royaumes de l’univers et leur gloire. Il lui dit : † Tout cela je te le donne, si tu t’inclines et te prosternes devant moi. ‰ Elle eut un sourire amus„ : Š Pas mal, dit-elle, et dans la version de Chouraqui. Quand as tu devin„ ? — Je crois que je l’ai toujours su. J’ai d‘ voir ‡a dans une com„die am„ricaine des ann„es 1930. Tu vas † pr„sent me dire que je peux avoir tout, et peut-€tre plus, si je te vends mon Žme. — Oh, pas vraiment † moi : je ne suis qu’une interm„diaire. Œ Je resservis du champagne. Š Sur quoi n„gocions nous ? Est-ce que tu vas me proposer trois vœux ? Dois-je choisir entre la gloire, l’amour et la fortune ? Ou bien est-on dans le domaine du package deal ? — Nous nous sommes modernis„s. Toi et moi nous nous mettons d’accord sur les termes de ce que tu choisis. Il faut que l’objet de la transaction soit clairement d„fini et normalement identifiable, ce qui exclut les formulations dans le genre Š la puissance supr€me sur le monde Œ. Une fois le principe et les modalit„s d„finies, nous signons un contrat. Une fois l’accord d„finitif, il entre imm„diatement en application. Nous nous serrons la main et nous ne nous revoyons plus. Œ Je lui souris tendrement en disant : Š Ce serait dommage. — Tu es galant. Alors, quel est ton choix ? — J’ai besoin de r„fl„chir. — De r„fl„chir ? son ton monta de deux octaves. 35


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— Oui, r„fl„chir. J’h„site entre tant de choses, vois-tu… — Non ! Je ne vois pas ! Cependant, si tu veux r„fl„chir, c’est ton droit. Je te donne trois jours ! Dans trois jours je me pr„sente chez toi ! Tu signes ou tu ne signes pas, ce sera ton problˆme. — ‚coute, chez moi ? Dans trois jours ? Nous sommes † Tai Peh ! — Tu n’y seras plus dans deux heures. Ton taxi t’attend en bas. Œ Trois jours plus tard, la sonnette de mon entr„e r„sonna. J’„tais en train de me faire un sandwich au bacon. C’„tait elle. Tout sourires. Un complet de working girl, mais rouge sang de bœuf, qui la rendait encore plus sexy, et un magnifique attach„ case en p„cari. Elle me donna un baiser affectueux me poussa vers la table, ouvrit sa mallette qui contenait des liasses de papier † caractˆre trˆs s„rieux. Š Alors, ton choix ? — J’ai bien r„fl„chi, lui dis-je. — J’en suis s‘re. — Je voudrais d„m„nager et m’installer dans une petite maison au bord de l’Atlantique. Pour cela, il me faut vendre cet appartement. Comme il y a dessus une hypothˆque du ministˆre des finances qui a garanti mon pr€t, il faudrait pouvoir la lever, ce † quoi il s’oppose pour des raisons que je n’ai jamais bien comprises. — Continue ! — Pour r„aliser le genre de vie que je veux vivre, il me faut des revenus r„guliers, s’am„liorant un petit peu mieux que l’„rosion mon„taire, et qui comprennent en m€me temps de quoi faire face † l’imp‹t correspondant sur le revenu. — Comme les vedettes de la t„l„vision ? — Quelque chose comme ‡a. Œ 36


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Je vis une expression un peu sournoise sur ses traits. Elle me dit doucement : Š Et ‡a fait combien, ces revenus r„guliers ? Je lui annon‡ais un chiffre mensuel en pr„cisant combien cela faisait par an. Elle fut stup„faite : Š Comment ! C’est tout ? — C’est bien suffisant. — Que veux-tu faire avec une misˆre pareille ? — Je veux aller me promener tranquillement en lisant ‚pictˆte, Marc Aurˆle, Spinoza, Leibniz et autres mauvais sujets. — Tu es fou ! Ton Žme contre une … une … Œ Elle b„gayait de colˆre : Š … une petite rente ? — Dans son enfance, un autre fou, dans une r„daction portant sur ce qu’il voulait €tre plus tard, a „crit : Š Je veux €tre rentier ! Œ Il s’appelait Arthur Rimbaud. — Tu n’es pas Rimbaud. Aprˆs ce que je t’ai montr„ de la vie, tu ne peux pas accepter une misˆre. — Tu sais, Ph„lia, j’ai rencontr„ des gens qui auraient vendu leur petite sœur de huit ans pour cinq cents dollars. Œ Ph„lia eut un soupir r„sign„ : Š D’accord ! Allons-y, dit elle, mais tu vaux plus que ‡a. Par o‰ commen‡ons nous ? — Par mon banquier. Œ Je ne tenterai pas de d„crire la t€te dudit banquier qui me vit passer instantan„ment des comptes douteux fonctionnant par voie d’extinction † ceux r„guliˆrement et assez largement provisionn„s. Je signais avec Ph„lia un v„ritable contrat d’avocat londonien que je lus en diagonale (ce que je sais fort bien faire). Compte tenu de Š mes exigences Œ (sic) il me fallut accepter une clause sp„cifiant que je ne pouvais refuser plus de trois am„liorations aux termes de la convention. Je signais, ai-je dit, et sans la moindre h„sitation. Quinze jours plus tard j’avais trouv„ 37


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ma petite maison. Quinze jours encore et j’emm„nageais. Ph„lia avait disparu de ma vie. Elle reparut un an plus tard. C’„tait un bel aprˆs midi. J’„tais sur ma terrasse, avan‡ant difficilement dans les Š Prol„gomˆnes † toute m„taphysique future Œ de Kant. Une magnifique voiture de sport italienne rouge tomate s’arr€ta devant chez moi. Ph„lia en sortit en tee shirt moulant et short rouges, dress„e sur des sandales † hauts talons „carlates. Š Salut ! me cria-t-elle. Chouette ta maison. Tu vas bien ? Œ Elle me serra dans ses bras et me plaqua deux gros baisers sur les joues. J’aurais jur„ qu’elle „tait contente de me voir. Š J’ai quelques jours de vacances. Est-ce que je peux les passer avec toi ? Tu veux bien ? Œ Je voulais bien. Elle installa ses bagages dans ma chambre. Puis nous pr•mes le th„ paisiblement comme un vieux couple. Vers le soir, elle me dit : Š O‰ veux-tu que je t’emmˆne d•ner ? — C’est moi qui t’emmˆne d•ner. GrŽce † toi, j’ai les moyens. Je vais mettre une autre chemise. Habille-toi pour aller au restaurant. Œ Elle revint quelques instants plus tard, s’„tant born„e † remplacer son short par une mini jupe. Š Ph„lia, lui dis-je, tu vas d„clencher une „meute. N’as-tu vraiment rien qui soit moins incendiaire ? Œ Elle ressortit sans un mot et revint quelques instant plus tard dans une robe † peine d„collet„e, pas trop moulante, mais quand m€me rose indien. Elle „tait charmante, je le lui dis. Elle rosit. Le restaurant „tait sur le petit port. Il s’appelait Š Chez Milou – Restaurant du Phare Œ. Milou vint me dire bonsoir. Il se contente de superviser la marche de l’affaire. Sa femme est aux cuisines, ses filles font le service. Il nous installa prˆs des bacs de g„raniums bleus. Sans regarder la carte, je commandais d’autorit„ des moules mariniˆres et des frites avec un ros„ du pays. Les 38


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portions de moules de Milou sont l„gendaires ; Ph„lia elle-m€me dont l’app„tit est f„roce fut impressionn„e. Nous mangions sans rien dire, en nous souriant. Puis brusquement : Š Il n’y en a pas, dit elle. — Pas quoi ? — Pas de phare. Comment peut-il y avoir un Restaurant du Phare sans phare ? — Il n’y a pas n„cessairement d’ad„quation mat„rielle entre l’expression verbale et une r„alit„ discernable. Milou l’a bien compris. C’est tellement plus facile de retenir Š Restaurant du Phare Œ que Š Auberge de la belle crevette Œ. C’est pour ‡a que j’aime bien Milou. Œ A ce moment retentit un accord„on. Milou „tait all„ chercher son piano † bretelles et il attaquait : Quand Jules est au violon Et L‚on ‡ l’accord‚on, Faudrait avoir deux jambes de bois Pour ne pas danser la polka. Š Tu veux danser ? Œ demandais-je. Nous avons dans„ comme des fous. Tous les gens qui „taient au restaurant s’y sont mis. Aprˆs celle l†, Milou a jou„ Š A Joinville le Pont, Pon ! Pon ! Œ et puis Š Viens † la gambi-iii-lle, Regarder les fi-iii-lles. Œ et puis Š La Cumparsita Œ et Š Blue Tango Œ. Et puis … et puis. Tout le monde dansait avec tout le monde. Des petits jeunes qui n’avaient pas dix-huit ans sont venus inviter Ph„lia. La fille de Milou a voulu danser avec moi. Nous sommes rentr„s trˆs tard, so‘ls de rires et de musique. Au lit, Ph„lia „tait exigeante et dominatrice ; cette nuit l† elle fut presque douce, presque tendre. Les quelques jours qui suivirent furent trˆs calmes. Nous allions marcher sur la plage. Ou bien, nous allions dans les marais, l† o‰ les h„rons cendr„s nichent et p€chent. Parfois, nous restions l† calmes et silencieux ; je lisais, et elle faisait la sieste 39


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sous un parasol. Je me doutais que cela ne pourrait durer. Un soir elle me dit : Š Je pars demain. — J’en suis d„sol„. Tu ne pourrais pas rester encore un peu ? — Mes vacances sont finies. Il faut reprendre le travail. J’ai des rendez-vous. — Et le premier rendez-vous c’est moi ? Œ dis-je, le plus calmement et le plus amicalement que je pus. Elle secoua la t€te en signe d’assentiment. Puis : Š Tu te souviens de ton contrat ? — Je le connais presque par cœur, r„pondis-je en souriant. — Parfait. Tu te souviens de la clause qui pr„voit que je pourrais te proposer des am„liorations au contrat, et que tu ne pouvais en refuser plus de trois. Je vais te proposer la premiˆre. Il s’agit de … Œ Je l’interrompis : Š Ne perds pas ton temps † m’exposer ce dont il s’agit : je ne veux pas le savoir et je refuse. — Alors cela fait un premier refus. — Fais moi tout de suite tes deux autres propositions pour que je puisse les refuser sans avoir † attendre que tu reviennes. Encore que j’aie beaucoup de plaisir † te revoir. — Mais tu ne peux pas ! — Je peux et je le fais ! — Mais alors c’est la fin imm„diate du contrat si tu le fais ! Mon patron va exiger la contrepartie de la convention ! Ton Žme ! Tout de suite ! — Ton patron ne peut rien exiger. — C’est dans le contrat ! Œ Je souris calmement : Š Tu as „tudi„ la philosophie ? — Un peu, r„pondit-elle. — Bien ! Pour Platon le monde qui nous entoure, o‰ nous 40


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vivons, si l’on peut dire, toi et moi, ne correspond pas † la r„alit„. Nous nous trouvons dans un univers dit ph‚nom‚nal, alors que me v„ritable monde est celui des id„es pures, les noumŠnes. — O‰ veux-tu en venir ? — Donc, mon monde † moi, dans le cadre duquel j’ai sign„ le contrat, est indissolublement li„ † l’univers de mes id„es. Tu me suis ? Œ Ph„lia paraissait intrigu„e et m€me un peu inquiˆte. Je continuai : Š Or, mes id„es contiennent une croyance † l’ordonnancement du monde issue des enseignements de Spinoza. Dieu n’est pas une personne. Il n’a pas de volont„ individuelle. Il est indissolublement li„ † la nature. Il est la Nature. — Est-ce vrai ? — Peu importe, je le crois : c’est donc mon monde noum‚nal ! Mais ce n’est pas tout : je suis acquis † l’id„e de Schopenhauer selon laquelle le monde est pour nous volont„ et repr„sentation. — Et alors ? — Dans ma repr„sentation du monde, l’Žme serait un encombrant accessoire. Je n’y crois pas. N’y croyant pas, je n’ai pas d’Žme, et n’en ayant pas, nul ne peut me la prendre, pas m€me ton patron. Au surplus, je ne vois pas comment mon Cr„ateur, sous quelle forme qu’il puisse se pr„senter puisse aprˆs m’avoir pris sous sa protection admettre que ton boss me fasse du mal. — Il te ment ! — Si Dieu me ment, quelle raison ai-je de te croire toi ? — Mais le b„n„fice du contrat ? Œ Je lui souris aimablement : Š J’ai consult„ mon avocat. Lors de la signature j’„tais sous le coup d’„motions diverses qui m’avaient accul„ † la d„pression nerveuse. Des deux contractants, c’„tait ton patron repr„sent„ par toi, qui „tait le mieux inform„ de la situation. Il a donc accept„ de me fournir une prestation contre une contrepartie dont il ne 41


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pouvait pas ignorer qu’elle „tait inexistante. Le contrat constitue donc une lib„ralit„, une sorte de donation sans contrepartie. Il est d„finitif : je garde tout. — Mais tu ne peux pas : si tu n’ex„cute pas le contrat tu finiras en enfer. — L’enfer n’existe pas. — Mais j’en … Œ Elle interrompit sa phrase. J’avais compris qu’elle avait failli dire : Š J’en arrive ! Œ. Je repris calmement : Š La d„monstration de l’inexistence de l’enfer, comme du paradis d’ailleurs, a „t„ faite par le Pape Jean XXII, alors Cardinal Jean Duˆze, aux alentours de 1310. Œ Je me levais pour prendre un livre dans ma bibliothˆque. Je lus : Š Les docteurs nous assurent qu’aprŠs leur mort, les „mes ‚lues sont admises ‡ leur r‚compense qui est la pr‚sence de Dieu. Par ailleurs, l’•criture confirme que, ‡ la fin des temps, lorsque aura lieu la r‚surrection des corps et leur r‚union aux „mes, se tiendra le Jugement Dernier. Comment admettre cette contradiction ? † Dieu, omniscient et parfait, source de toute justice pourrait-Il ‚voquer une seconde fois en Son absolu tribunal les causes qu’il a d‚j‡ jug‚es lors de la mort de Ses cr‚atures ? Comment pourrait-Il s’‚riger en juge d’appel de Ses propres sentences ? Comment admettre qu’Il puisse juger une autre fois autrement que la premiŠre, ‡ peine de reconna•tre qu’Il a commis une erreur, laquelle serait incompatible avec l’Essence de Son absolue perfection ? † De m‹me, peut-il y avoir de b‚atitude pour les „mes ‚lues avant qu’elles soient r‚unies ‡ leur corps, autre effet de la volont‚ divine, moment oŽ sans contestation elles seront admises ‡ contempler Son Visage ? Et dans ce cas oŽ sont les „mes des morts jusqu’au Jugement Dernier ? Dans quelque sh‚ol ? Sous cet autel dont parle la R‚v‚lation de Jean ? 42


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† Le Paradis est donc, par n‚cessit‚ et raison logiques, obligatoirement vide tant que la d‚cision ultime n’a pas ‚t‚ prise. Cependant, Dieu ‚tant impartialit‚ et ‚quilibre ne peut traiter ses cr‚atures p‚cheresses autrement que ses cr‚atures vertueuses. Il ne saurait punir les m‚chants avant d’avoir vers‚ leur salaire aux bons. Nulle „me ne peut donc s‚journer en enfer avant d’avoir ‚t‚ condamn‚e ‡ y s‚journer. L’enfer, donc, n’existe pas. Quod erat demonstrandum. ‰ Je posais le livre. Une angoisse terrible apparut sur le visage de Ph„lia. Š Tu n’es pas en train de me faire le coup de l’inad„quation entre l’expression verbale et la r„alit„ discernable ? demanda-telle — On pourrait le dire comme ‡a sans l’opinion trˆs claire de Jean XXII. — Alors, s’exclama-t-elle, tu m’as roul„e. Tu te rends compte de ce que tu m’as fait ? — Et toi, dis-je d’un ton terrible, tu te rends compte de ce que tu as voulu me faire ? Œ Elle bl€mit et me cria : Š Nos avocats vont pulv„riser toute ton histoire. Tu entendras reparler de moi. Œ Elle se leva comme une furie, fon‡a vers sa voiture sans faire ses bagages, et disparut dans un hurlement de moteur malmen„. Je repris tranquillement ma vie, regrettant malgr„ tout sa pr„sence. Elle „tait la fille la plus amusante que j’avais jamais rencontr„e. Spirituelle aussi, cultiv„e. Et belle, ce qui ne gŽtait rien. Je la regrettais. Deux semaines plus tard, un taxi s’arr€tait devant chez moi. Ph„lia en descendit, tandis que le moteur continuait † tourner. Elle avait l’air g€n„e. Š Voudrais-tu r„gler le taxi ? Š me dit-elle. Je haussais les sourcils d’„tonnement, et allant prendre mon 43


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portefeuille, je payais. J’avais remarqu„ qu’elle n’avait pas de bagages et que sa robe rouge pŽle „tait chiffonn„e. Je demandais : Š Des problˆmes avec ton patron ? Il t’a vir„e ? — Pas vraiment, mais il m’a repris la carte de cr„dit. Il m’a dit que les avocats ne voulaient pas se prononcer sur ton interpr„tation du contrat. Ils ne veulent pas non plus faire un procˆs qui pourrait faire jurisprudence. Alors on m’envoie … — Dans quel but ? — Celui de te faire accepter les trois clauses suppl„mentaires. Si tu le fais, le contrat sera valid„ et la contrepartie exigible sous une forme ou une autre. — Maintenant que tu me l’as dit, tu n’as pas de chance de me voir accepter quoi que ce soit. Tu peux donc repartir. Je te payerai un autre taxi. Œ Elle eut un sourire timide. Š Vois-tu, me dit-elle, mon patron ne veut pas que tu te pr„sentes tant que le problˆme ne sera pas r„gl„. Il n’y a pas besoin de nous presser. Je peux y passer tout le temps qu’il faudra. Je peux m€me rester ici. Si tu veux bien, naturellement. Œ Je voulais bien, naturellement. Elle n’avait rien † se mettre, car j’avais mis tout ce qu’elle avait laiss„ † la poubelle. Elle se laissa tenter par des robes qui n’„taient pas rouges. Je d„couvris qu’elle „tait ravissante en blanc. Š Tu es superbe, lui dis-je, il faut que je te montre. Veux-tu que je t’emmˆne d•ner chez Milou ? Œ Elle battit des mains comme une petite fille. S’installer dans une vie † deux avec une femme comme elle n’avait rien d’„vident. Rien de grave, des petites manies auxquelles il fallait s’accoutumer. Je d„couvrais qu’elle „tait passionn„e par les livres. De son c‹t„, elle d„couvrait qu’elle aimait faire la cuisine. Le problˆme apparaissait quand elle d„cidait de faire les deux en m€me temps. Non pas qu’elle brandisse le livre de la main droite en tournant ses sauces de la gauche. Elle se 44


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contentait de placer le bouquin sur la table de la cuisine, derriŠre elle, et les pages se tournaient toutes seules pour appara•tre dans une zone de son cerveau qui lisait pendant qu’une autre zone contr‹lait le degr„ de cuisson. Et je ne parle pas de romans policiers. Elle pouvait faire cela avec un trait„ de s„mantique en „tudiant le paradoxe des objets qui n’appartiennent † aucune classe, et qui donc constituent ainsi la classe des objets qui n’appartiennent † aucune classe. En m€me, temps elle m„langeait les ingr„dients d’une moussaka. Il y avait d’autres choses plus insolites, comme le feu de la chemin„e qui se mettait † ronronner comme un chat lorsqu’elle s’en approchait. Cependant, notre vie s’organisait, et nous nous r„jouissions de sa banalit„. Un jour elle me dit : Š Je m’installe prˆs de toi pour te surveiller usque ad infinitum. C’est trˆs bien, mais si tu me mets † la porte, qu’est ce que je deviens ? — Pas la moindre id„e. Qu’en penserait ton patron ? — Sais pas. Il m’aime bien mais … Œ Il me vint alors une id„e farfelue : Š Ton patron, quand tu lui parles, comment l’appelle tu ? Patron ? Boss ? Chef ? Monsieur le Pr„sident ? Monseigneur ? Œ Elle eut un petit sourire timide, se blottit contre moi et murmura : Š Je l’appelle Papa. Œ Malgr„ tout, cela me fit un choc. Elle reprit : Š Quid si tu me mets dehors ? Œ Je n’avais aucune envie, ni de la mettre dehors, ni de la voir partir. Je le lui dis. Elle reprit : Š Remarque j’ai bien une solution, mais il faudrait que tu veuilles bien. Marions-nous. Œ Ainsi fut fait. Lorsqu’elle fit des lettres pour demander les documents n„cessaires pour le mariage, je vis qu’elle signait Oph„lie M. Fisteaux. 45


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Š Tiens, lui dis-je, Š M Œ, cela repr„sente quoi ? — Marie, me dit-elle. J’ai toujours aim„ ce pr„nom. Œ Je sais que c’est totalement immoral, mais nous f‘mes heureux. Un jour elle me murmura : Š Que dirais-tu si j’avais un b„b„ ? — Je dirais que je me sens pr€t † €tre papa. — Cela tombe bien : tu vas €tre papa. Cependant, ce n’est pas une situation trˆs courante. C’est m€me une premiˆre. Il y aura peut-€tre des „l„ments impr„visibles. Œ Je la serrai contre moi. — Tu sais, ma ch„rie, avec toi je ne redoute rien ni personne. M€me si notre b„b„ na•t avec des cornes et une queue, nous ferons face. De toute fa‡on, tu es Ph„lia la d„mone, mais tu es aussi Marie. Cela peut para•tre curieux que ce soit un Juif qui te le dise, mais je pense que toutes les femmes qui portent une vie sont, d’une certaine fa‡on, Marie, et l’enfant qui sort de leurs flancs est n„cessairement b„ni, surtout si c’est le n‹tre.. Elle m’embrassa tendrement pendant que je caressais les courbes naissantes de son ventre. Je vous l’ai dit : c’„tait totalement immoral, nous „tions heureux.


ISBN nš 978-2-917899-21-2 Achev„ d'imprimer en juillet 2008 par TheBookEdition.com † Lille (Nord-Pas-de-Calais) Imprim„ en France D„p‹t l„gal : 20090904-43476 47



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