Visions aux frontières

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Visions aux FrontiÄres


D u m€me auteur

Anthologie de Steam-Punk , 6 nouvelles, aux •ditions Publibook, paru en septembre 2006

‚ la fen€tre du dƒsir, aux •ditions M ille Po„tes, paru en ao…t 2007

C et ailleurs, 4 nouvelles aux •ditions M ille Po„tes, paru en fƒvrier 2008

Nadia Kidnappƒe, polar Aux E ditions Keraban, paru en ao…t 2008.

Alpha, B €ta, Gamma, po„mes Aux •ditions Keraban, paru en janvier 2009.

Le train de l'univers, science fiction Aux •ditions •dilivre, paru en juillet 2009


Jacques AbÅasis

Visions aux FrontiÄres


€ Jacques Ab•asis - 2009 jacques.abeasis@orange.fr http://www.jacquesabeasis.cabanov a.fr ISBN : 978-2-91 7899-24 -3 € L es •ditions K eraban - 2009 contact@k eraban.fr http://www.k eraban.fr

*** L a loi du 1 1 m ars 1 957 n’autorisant, aux term es des alin•as 2 et 3 de l’article 4 1 , d’une part, que les copies ou reproductions strictem ent r•serv •es ƒ l’usage priv • du copiste et non destin•es ƒ une utilisation collectiv e et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’ex em ple et d’illustration, toute repr•sentation ou reproduction int•grale, ou partielle, faite sans le consentem ent de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alin•a 1 er de l’article 4 0). Cette repr•sentation ou reproduction, par quelque proc•d• que ce soit, constituerait donc une contrefa„on sanctionn•e par les articles 4 25 et suiv ants du Code p•nal.


€ Georgette

... € Serge, Annie et Florence


Sommaire Je t'aime plus..........................................................................11 1.Henri et Jennifer................................................................................12 2.Chats sur le Net.................................................................................15 3.Attaque sur le Q uartier G• n• ral.........................................................20 4.Projets des m erv eilles : paradise et depotoiruno...............................23 5.L a m ort de la guerre..........................................................................28 6 .L a m ission.........................................................................................29 ‚ p ilogue...............................................................................................33

Le pays du sommeil...............................................................35 1. M y nam e is M arilyn M onroe............................................................35 2.L e p iƒge.............................................................................................54 3. Ailleurs.............................................................................................6 7

Sauriez-vous reconna„tre un extra-terrestre ?.....................89 Les Nettoyeurs.....................................................................103 1. L e Tout B razzav ille........................................................................105 2.D ans la nuit, je tue...........................................................................117 3. L a cap tiv e.......................................................................................126 4. L a V all• e aux Tem p les...................................................................137 5. John B . Scott...................................................................................147 ‚ p ilogue.............................................................................................155

Passez-moi le lance-flammes...............................................157 E p ilogue.............................................................................................179

Vous avez dit : Vampires?...................................................181


I.

je t'aime plus

Ä L’A M O U R ...LO U P L oup , qui es-tu quand je t’aim e Tu m e jettes des chrysanthƒm es. Q uand je t’ap p elle, tu rƒgles l’antenne, Q uand je p leure, tu as ta p eine. L oup , p arle-m oi dans un film , L € g„t m a faiblesse intim e, V ers le sentim ent ultim e, Q u’€ la fin, je butine. L oup , je t’aim e p lus, loup , Plus qu’une p ute russe, L oup , l’usine € sentim ents, loup , L oup , loup , loup , loup , loup . L’orgasm e v int, com m e un v oile L act• e, lib• rant le sentim ent, L’am our, loup ? † 11


VISIONS AU X FRONT I… RES

1. Henri et Jennifer L’ap p roche av ait • t• lente, p our v oir enfin cette Jennifer L op ez. J’av ais encore des m oustiques dans les oreilles, de la m usique du nouv el album des B eatles. Ils ont • t• num • ro 1 du Top Ten, av ant ce nouv el album de Jennifer L op ez. — B onjour Jennifer, je m ’ap p elle Henri M arshall. Je suis... tenez ! Voil€ m a carte, • criv ain. Com m ent v a la star ? B ien, il fait frais ce m atin... Un rire enrou• , quoique cristallin sort de la bouche de Jennifer. Toujours l• gƒrem ent fard• e, du bleu sur les yeux et la bouche carm in, p our souligner la p iquante beaut• de la B om ba L atina. — Vous v ous int• ressez € la litt• rature ? dem ande Henri, les yeux luisants. Parce que j’ai • crit une nouv elle dont v ous ˆtes l’une des h• ro‰nes. — C’est gentil € v ous, et v otre liv re a eu du succƒs ? L e gars € l’im p er • clate de rire. — Trƒs bien, il est • dit• € 25000 cop ies, sous form e d’anthologie. Je v ous ai ap p ort• une • p reuv e.. Jennifer est une star trƒs sym p a. Ap rƒs lui av oir dit que je rˆv ais souv ent d’ˆtre journaliste de Rock n’ Folk, Jennifer m ’inv ite du cŠ t• des loges. L a cam • ra de m on p ote a du m al € suiv re. Je suis des yeux le p ost• rieur de Jennifer m oul• dans cette robe V ersace. — L es loges sont de ce cŠ t• , fait la B om ba L atina, en m ontrant un sup erbe p oster de jeune fille. Une quelconque star f• m inine, en m usique guim auv e, sur une scƒne, dans une p osition genoux au sol p lutŠ t rock. Il m e sem ble reconna„tre quelqu’un. — V anessa Paradis. Finalem ent, p lus star internationale qu’on ne le cro„t. — L es p etits Fran‹ais, com m ente la star m exicaine. Je trouv e que cette fem m e est une grande dam e, une grande artiste et une star de la p op . B ien p lus que m oi. On est p areille toutes les deux, com • die et chansons. 12


JE T 'AIM E PL U S

Il y a p lusieurs loges v ides. E lle continue la v isite du p lateau T V. B eaucoup p lus rem uante que tout € l’heure € l’hŠ tel. Je surv eille m a m ontre Seiko, deux heures et dem ie qu’on l’a rencontr• e. C’est beaucoup p lus que l’heure initialem ent p r• v ue. Jennifer est trƒs joyeuse. L e charm e fran‹ais de m a m ƒre, sans doute...

D es grav ats tom bent du p lafond. Il s’agit d’un hom m e crap aud, tenant une jolie m itraillette. — Haut les m ains ! D em i-tour, sagem ent ! Jennifer m e regarde d’un œ il flou, aussi surp rise que m oi. D eux ou trois hom m es crap auds surgissent autour de nous, hauts com m e m on • p aule. Ils nous frap p ent dans les cŠ tes en nous p oussant dans le couloir, v ers la sortie. J’ai l’im p ression de rˆv er, car il sem blerait que Jennifer L op ez et m oi, Henri M arshall, soyons p risonniers d’une • trange race d’hom m es crap auds arm • s. M ais, ce n’est p as le bout du v oyage. • l’entr• e des studios il y a un • norm e v aisseau extra-terrestre qui ouv re la gueule...L a B om ba L atina • touffe un rire. Com p lƒtem ent bluff• s. Je com m ence € m e dem ander si on ne tourne p as un film € notre insu. Tel n’est p lus m on av is p lus d’un an ap rƒs. Je v ais v ous exp liquer, Š lecteurs! Ce fut le com m andant en chef, une autre face-de-crap aud qui nous ap p rit que nous • tions dep uis p lus d’un an Ž p risonniers en v ue d’une exp • rience †. Ni Jennifer, ni m oi ne sav ions ce qui s’• tait v raim ent p ass• sur Terre p endant ce v oyage au-del€ du systƒm e solaire terrien, jusqu’€ un gigantesque v aisseau-p rison. Fa‹on de p arler, nous en rep arlerons. L es hom m es crap auds nous ont install• s dans une cellule assez grande, av ec un m obilier de typ e new-yorkais, Jennifer et m oi. Q uatre cent cinquante m ƒtres carr• s au sol, p lus des hectares de p arcs, forˆts et p arterres de fleurs, cultiv • s p ar quelque jardinier inv isible. Av ec tout le confort m oderne et surtout Internet, notre seul lien av ec ceux d’en bas. D es p rom enades sont p ossibles dans le grand p arc aux arbres bizarres, € fruits v iolets, qui p rolongent la terrasse. 13


VISIONS AU X FRONT I… RES D e tem p s en tem p s, des dip lom ates crap auds v iennent nous entretenir de la Terre. M ais, im p ossible de sav oir s’ils nous disent la v • rit• , et dans quelle m esure. Sans m ˆm e p arler de leurs buts. Nous ne som m es, dep uis notre enlƒv em ent en date du 21 av ril 2001, inform • s que v ia Internet. C’est le seul sup p ort adap t• auquel nous av ons accƒs. C’est Henri le sp • cialiste. M oi, Jennifer, je ne l’ai ap p ris qu’ensuite. Ici, c’est tellem ent m ortel. Il n’a fallu que deux sem aines € Henri p our d• couv rir ou p lutŠ t p enser € aller sur le Net. M oi, il m ’a fallu deux longs m ois p our com p rendre que nous • tions boucl• s dans ce rˆv e. • tous deux, il a fallu faire un sup rˆm e effort p sychique p our nous habituer aux lieux. • deux sur une „le des • toiles! 17 OCTOB RE 2001, 17H00 L e changeur de form e a p ris cette ap p arence de gros chat ray• v ert. Je lui gratte le cou, sans p lus sav oir si le ronronnem ent v ient du chat ou de l’ordinateur. Je regarde la p age Internet du New-York Tim e. •a fait six m ois que les extra-terrestres nous ont em barqu• s p our le fabuleux v oyage, Jennifer et m oi, Henri. Q ue nous v eulent ces hom m es crap auds, p our nous choyer ainsi ? L es arm • es d’hom m es crap auds ont d• barqu• sur Terre le 06 m ai 2001, chev auchant des hom m es-buffles ail• s, qui p euv ent v oler dans l'atm osp hƒre terrestre gr•ce € leur excellent coefficient p oids/v olum e. Ils boiv ent un liquide p our la resp iration a• robie. Aujourd’hui, toutes les cap itales m ondiales sont colonis• es. L es hum ains ont d‘ se soum ettre et organisent une r• sistance dans les endroits calm es et tranquilles, loin des v illes. Tout a • t• d• truit p ar les soldats term ites et criquets. L a bo„te de Pandore s’ouv rit, et les sep t p laies d’‚ gyp te fondirent sur toute la p lanƒte. Pourtant, je suis toujours av ec Henri, et les am bassadeurs crap auds v iennent de tem p s en tem p s, en grand c• r• m onial, nous en serrer cinq. Ils v eulent qu’Henri et m oi dev enions les m essies de notre race... 14


JE T 'AIM E PL U S

2. Chats sur le Net Ž E t les anges du p laisir s’env oyaient en l’air †. L a file est longue de p lusieurs kilom ƒtres sous la surv eillance de l’esp ƒce de canon € flam m e. L es hum ains font la queue € l’entr• e du Ž D Š m e du p laisir †. Il y en a p lusieurs sur la p lanƒte bleue. On disp erse v os m ol• cules, direction un trou noir, et c’en est fait de cette v ie terrestre, difficile et ingrate. L a r• dem p tion p ar l’• nergie. Ils v ont, heureux de ces m essies que sont les hom m es crap auds. Com m e une m ode est n• e, le culte du Grand Crap aud. L es hum ains sont esclav es, m ais ils n’ont p lus de raison d’exister, p uisque la race sup • rieure existe, fait le dip lom ate € la p eau v iolette en p •lissant. C’est un signe de b• atitude chez cette race des • toiles. L es crap auds sont m ultip les, Henri et Jennifer sav ent que la m atiƒre leur ob• it, en sorte qu’ils p rennent la silhouette qu’ils d• sirent. Souv ent ils sont p resque hum ains. C’est une m arque de courtoisie, sup p osent les deux p risonniers hum ains. M ais, c’est av ec les • m issions p irates sur Internet qu’on ap p rend le p lus. D es consciences sauv ages d• criv ent un autre m onde, bien m oins heureux que les dires de nos inv it• s. L e p r• p os• aux ex• cutions au D Š m e du p laisir M innesota est un l• zard av ec un • norm e p am p lem ousse en guise de tˆte. L es griffes cliquettent, ces p eaux-p •les, ch• tiv es et p leureuses, ap p ellent ce traitem ent: le Jugem ent des D ieux. L es crocs du dinosaure luisent de bav e, • clair• s p ar la v iolente lum iƒre blanche.

Toutes les inform ations sont sur Internet. C’est la seule chose que les hom m es crap auds n’ont p as com p rise. L es v illes sont boucl• es, m ais on a encore des squats dans les grandes cit• s. E t la cam p agne, com m e ici, au Canada, n’en croit p as ses e-m ails. L a race hum aine a v • cu. Cent m ille ans balay• s en six m ois. L e gros barbu rˆv e dev ant son site p irate. Il l’a ap p el• Adam et ’v e. D ep uis d• j€ quatre m ois, Jim , b‘cheron dans ces p aysages neigeux, s’attend € v oir les m artiens d• barquer. L e gouv ernem ent am • ricain, p uis 15


VISIONS AU X FRONT I… RES les Nations-Unies nous ont v endu un cul p ourri. V endu € l’extra-terrestre. C’est la folie sur Internet, le seul m oyen de com m unication fiable m aintenant. Jim se souv ient de ce m atin-l€. • l'aff‘t aux canards, il a v u p asser les chasseurs sp atiaux, dans le ciel brum eux au-dessus du lac. D es fus• es silencieuses fendaient le ciel gris. L E 13 D ‚ CE M B RE 2001, • 11H30 L e Net, c’est une araign• e g• ante, une p ieuv re de fils • lectriques et d’• lectrons libres qui sautent des niv eaux d’• nergie € tout bout de cham p . Ce sont des m illiards de giga-octets qui se baladent et v ous serv ent de m • m oire. L e Net est tout ce qui reste de l’hum anit• , l’hom m e crap aud a dom p t• l’hom o sap iens. Pendant ces huit derniers m ois, les hum ains se sont laiss• s env ahir. D ep uis l’annonce de la chute de Washington, toutes les grandes cap itales ont suiv i. Com m e des dom inos! E n deux sem aines, les hom m es crap auds ont m is la p atte sur 2 m illiards d’indiv idus. Aujourd’hui, on estim e qu’il ne reste que 100 m illions d’hum ains dans les cam p agnes. L es faces-de-crap auds font exp loser des m illiers de gens chaque jour dans les D Š m es du p laisir. L es liaisons et la m asse des corp s transform • s en • nergie € un niv eau d’agitation donn• , sont dirig• s v ers un trou noir qui, sem ble-t-il, int• resse les env ahisseurs. L es crap auds diffusent des • m issions v id• os. Ici, Jennifer et m oi av ons un • cran p lat de 9 0 cm , qui p arle des cit• s de l’esp ace. Un objet genre p laque d’alum inium inoxydable, qui chauffe l• gƒrem ent, et reste branch• nuit et jour. On se dem ande m ˆm e si ce n’est p as un anim al fam ilier, com m e le chat v ert. Toutefois, il est s‘r que ces • m issions sont des tissus de m ensonges. Jennifer hum e l’air en lev ant le nez, dans la p orte-fenˆtre qui m ƒne € la v • randa du p arc. L a fille est fatigu• e de cette v ie am orp he. E lle n’• tait v raim ent p as sp ortiv e € San Francisco, ici elle est aussi feignante qu’une courgette. E lle et son com p agnon v iv ent dans une cage dep uis des m ois. L a B om ba L atina trouv e l’exp ression qu’elle a sur le bout de la langue : une v ie de fam ille de Patachon. 16


JE T 'AIM E PL U S

L’hom m e est sous la douche. Ce qui lui m anque, ce n’est p as le Net, qui est un outil form idable, ni m ˆm e l’im p ression t• nue d’• v oluer dans un m onde faux, m ais ses liv res. Il aurait aim • em p orter ses huit liv res, les trois recueils de nouv elles et les deux com p ilations de p oƒm es de l’association. Il est sous la douche av ec un gant qui fait aussi sav onnette et gant de crin. Une „le d• serte, et aucun bouquin. Ces Atlant• ens sont bien des sauv ages, se dit-il tous les jours de sa v ie dep uis le d• but du m ois de m ai. •a ne l’em p ˆche p as d’• crire, il a un p rojet de nouv elle. Il la m ettra sur le Net, et la fera lire p ar Jennifer. Henri sent la chaleur de l’eau qui d• gouline sur son corp s. L e chat v ert joue dans la cuisine, en • quilibre sur ses p attes arriƒre, bien cam p • sur les p laques de cuisson: il fait des gestes de boxeur en tentant d’assom m er une m ouche inv isible. Une cap itale p roche. Tout en titane, qu’il est notre • cran p lat. L es crap auds nous laissent nous renseigner autant que nous le v oulons. M ais, p as droit de sortir de ces quartiers. L e chat se frotte le m useau av ec sa p atte droite.

L e Net est p artout. L es dip lom ates ont av ou• que la civ ilisation hum aine les a beaucoup am us• s. Com m e ils le font p our tous les ˆtres qui ont un p eu d’int• rˆt, les scientifiques crap auds ont • tabli des classem ents, et le p eup le env ahisseur a choisi son p ƒre sp irituel p arm i les env ahis. E t le p eup le m essie s’ap p elle... Hep , v ous, m onsieur ! Rem ettez dix balles dans le cochonnet. L es Atlant• ens. E n honneur aux l• gendes sur Atlantis. E n honneur € Rom e et aux Grecs. L es crap auds disent qu’ils v iv ent au-del€ des colonnes d’Hercule. E t m ˆm e au-del€ du Sep tentrion. C’est l’id• e d’un m onde sup • rieur aux hom o sap iens, dans un univ ers p lat, qui les a guid• s v ers cette civ ilisation oubli• e. E t p uis, cette id• e folle que les anges de la B ible • taient en r• alit• des extra-terrestres. Alors se disent les hom m es crap auds, des ancˆtres, des p r• d• cesseurs ou des ennem is v enant d’une autre galaxie. Ap rƒs tout, les Atlant• ens ne sont guƒre av anc• s, les v oyages inter-galactiques dem andent de grands p rojets, des m issions sp • ciales. 17


VISIONS AU X FRONT I… RES L es Atlant• ens ne sont qu’€ quelques • toiles de leur p lanƒte de naissance. L e v oile du tem p s p asse com m e une om bre tam is• e. L es crap auds aim ent beaucoup la religion catholique, le Christ, les H• breux et surtout la Fin du M onde. •a les chatouille au p oint sensible : cette intuition qui dit que chaque indiv idu est D ieu, qui accep te sa loi et qui p eut tout faire, a beaucoup de succƒs dans la p yram ide sociale crap audine. Atlant• enne.... L es crap auds se sont p ris au jeu. E t, m aintenant, l’hum ain doit p ayer p our ses crim es. Jennifer se d• shabille lasciv em ent derriƒre le p arav ent. Je n’ai jam ais autant m ani• la souris que ces derniers tem p s, se dit Henri, l’• criv ain. D es heures de com m unication Internet gagn• es. Il m ’en av ait fallu du tem p s p our aborder les bons sites et trouv er les m eilleures sources d’inform ation. Chaque jour des inform ateurs tom bent et cr• ent alors un autre site. Il faut se guider, et c’est un coup de p oker. Il faut brouiller la p ersp icacit• atlant• enne. J’enregistre sur m on site les inform ations im p ortantes, m ais il est difficile de p rogresser dans la Toile du M ensonge. Chaque jour, sans sav oir ce qui est faux. M a connaissance de la Terre est dev enue un gigantesque • chafaudage. L es Atlant• ens sem blent s’en am user, si on doit tirer des conclusions de certains sourires dip lom atiques et bien • nigm atiques. L e chat ray• v ert aim e beaucoup se p ercher € cŠ t• du buste en p l•tre, € l’entr• e de la v • randa. M ais, ce n’est p as un v rai chat. C’est un transform eur : il change de form e et a choisi d’ˆtre un chat. On dit que ‹a dem ande un sacr• caractƒre de s'en tenir € une form e p ossible tout le tem p s. M ais, celui-ci est le top . Henri sourit, il est un com p agnon trƒs agr• able! Jennifer L op ez, LE 26

JUILLE T

2001, ap rƒs trois m ois de d• tention!

Henri m ’a m ontr• com m ent m arche l’ordinateur. Je m e d• brouille p as m al sur des sujets relatifs € la com m unication com m e le 18


JE T 'AIM E PL U S

t• l• p hone p ortable, ou le grille-p ain. D ’abord le logiciel de test. Ce n’est p as dans m es habitudes de m e renseigner sur le m onde qui m ’entoure. M ais ici, p as de p ublic, p as de chanson, p as d’• quip e de tournage. C’est un v • ritable cauchem ar. Nous ne som m es que deux dans un trƒs bel ap p artem ent et je v ais souv ent faire un tour dans le p arc, chanter € l’intention des oiseaux, p our broyer m es id• es noires. L a p rem iƒre nuit que nous av ons p ass• e ici a • t• atroce, m ais Henri a • t• assez gentil p our dorm ir sur le sofa, en m e laissant le grand lit. Puis, nous som m es dev enus am ants, quoique sans rap p ort sexuel au d• but, p uisqu’ap rƒs tout, le grand lit est € nous deux. L es crap auds nous laissent m ariner dans notre jus, alors qu’ils n’ont aucune p iti• p our le reste de l’hum anit• . J’en ai m arre de ces p antoufles bleues. — J’aim erais bien sortir d’ici, m ˆm e p our sim p lem ent aller faire un tour dans un bar ! — Je sais Jennifer, c’est p areil p our m oi, dit son com p agnon, m ais ils nous gardent au frigo p our de bonnes raisons. — J’• touffe, m oi , ici, il m e faut de la v ie, des gens qui bougent, et des chiens qui aboient ! — ... — Pourquoi ne nous laissent-ils p as sortir, d’abord ? s’exclam e la B om ba L atina. — Jennifer, le m onde que tu im agines a disp aru. Ce ne sont que cendres. L es v illes sont v ides, sinon ras• es, les bo„tes de nuit d• truites, r• p ond Henri exasp • r• . Tout ce que tu v errais, ce serait des ruines en b• ton, des enseignes p ulv • ris• es et quelques a• ronefs l• gers p ilot• s p ar des crap auds. Puis, on te p rendrait p our une hum aine, et on te tirerait dessus com m e un lap in. — B ande d’enfoir• s !l•che -t-elle, c’est tout ce que ‹a te fait com m e effet ? — Je suis tout aussi r• v olt• que toi! — Tu n’es qu’un couard !..., E t une nouv elle disp ute • clate entre ces deux ˆtres tellem ent seuls au m onde. 19


VISIONS AU X FRONT I… RES

3. Attaque sur le Quartier GÅnÅral L E 15 JUILLE T 2001. Cinq m ois de dom ination atlant• enne. Un group e de squat dans la banlieue de San Francisco, dans une m • trop ole exsangue et v id• e de ses indiv idus: — C’est juste une grande cav erne, fait Patrick M ercadal, le chef du gang de r• sistance, le brouilleur v a nous donner un m axim um de deux jours. — M ax v a se charger de la surv eillance des fr• quences, dit B urt, un typ e long et sec, en treillis-jungle, com m e ses com p agnons. — J’em m ƒne l’• quip e, r• p ond Patrick, av ec son v isage de saint. Il est chef! — L es Atlant• ens ne nous croient p as cap ables d’attaquer le centre de transm ission de San Francisco. Ils s’attendaient € des attaques sur les casernes. — Ils ne sav ent p as qu’on a p ill• ce conv oi, l•che M ichel, un p etit gars r•bl• , aux chev eux et aux yeux noirs. M urielle glisse un regard jusqu’€ son chef de m ari. Patrick est concentr• sur sa t•che, coordonner les actions des group es p aram ilitaires de San Francisco. C’est un grand chef, un Nap ol• on. — E t, ils v ont bientŠ t se douter que celui-ci ne s’est p as crash• dans le d• sert, ajoute M ax, je p ense r• cup • rer l€-bas p as m al de p lans, entre autres les fonctionnem ents des DŠmes du plaisir. — D • p art m ardi € 15h. L es bom bes € gaz exp loseront tout autour du quartier D , r• sum e Patrick,...• 19 h V • rifiez v os m ontres. On env ahit l’enceinte p ar ses trois accƒs. Okay, M ichel ? L e p etit gars a un sourire crisp • , — Nous som m es p rˆts, Pat ! M ax m et le brouilleur € 17h, les bom bes p ƒtent, et on entre arm • av ec ces fusils soniques. — C’est le dernier cri, confirm e M ax, l M ichel est tendu, son am i de toujours aura-t-il un jour p eur ? — Nos ing• nieurs v ont v raim ent s’am user av ec les docum ents secrets du Q G. Patrick renifle bruyam m ent, 20


JE T 'AIM E PL U S

— •a, c’est v otre p roblƒm e, M ax ! Nous, on inv estit la p lace, arm • s. Vos scientifiques d• barquent aux Halls de ContrŠ le € 00h, com m e B lanche-Neige. L e brouillage s’intensifie dans la v isionneuse. Q u’ils sont • tranges ces hum ains! — Henri, je t’aim e, en v • rit• ! fait la B om ba L atina. — C’est gentil, Jennifer, m ais surtout, nous som m es seuls tous les deux, sur une „le. L es seuls civ ilis• s qu’il reste de l’hum anit• . — E t, si nous recom m encions, com m e au d• but?. Tu saurais m e faire un enfant? — E t ouv rir la bo„te de Pandore. Soit s• rieuse Jenn, je n’ai p as l’• toffe d’un h• ros. Il a les yeux fix• s sur l’• cran, l€ o“ la p anthƒre noire bondit dans la jungle v irtuelle. Henri sent ses yeux le br‘ler, alors qu’au contraire, les correcteurs d’op tique sont sens• s am • liorer l’• lasticit• de l’int• rieur de l’œ il hum ain. Henri a op t• p our le m onde v irtuel, € la Ž si j’eus eu... †. L a m • lancolie de Jennifer est de p lus en p lus grande. D ans le jardin, c’est l’• t• , m aintenant, com m e chez eux, sur Terre. — On irait € Hawa‰ ! fait la star dans un sanglot. ... l’• criv ain v oit une info p asser dans la lucarne, € p rop os de San Francisco : des rebelles ont cap tur• la v ille. C’est un m essage p irate. C’est la p rem iƒre fois qu’on p arle ouv ertem ent de rebelles. L es fichiers se rem p lissent € toute allure - Alaska, le p ays des rˆv es. L e m enu se d• p lie, et la p anthƒre noire p asse en icŠ ne. D e nom breux rebelles se sont p lanqu• s au Canada, o“ les forˆts et la neige neutralisent les d• tecteurs atlant• ens. Jenn sanglote, — Aim e-m oi, Henri. J’ai tant besoin d’am our...

C’est en E urop e que les Atlant• ens s’am usent le p lus au cours de ce m ois d’ao‘t. Une v ingtaine de bom bes biotiques ont d• sinfect• tout le continent. E t les chasseurs atlant• ens s’am usent € d• truire les b•tim ents en fon‹ant dedans. L e m anganƒse-tungstƒne de leurs nav ires l• gers r• siste m ieux 21


VISIONS AU X FRONT I… RES que le b• ton arm • , et les tours s’• croulent, com m e sci• s p ar des tron‹onneuses. L es gars de la chasse s’am usent com m e de fous, regrettant une guerre p lus honorable contre une race un p eu p lus • v olu• e. Q ue de chem in p arcouru p our une inv asion facile. Peut-ˆtre faudrait-il • radiquer la p lanƒte du systƒm e solaire. C’est ce qu’en p ensent les p lus belliqueux. On se contente de p eu chez les grad• s ! Kadabam ! L e m ur en b• ton de la tour est transp erc• p ar le bolide de Harry Kicks, l’Atlant• en jubile. Il faut bien p asser ses nerfs, et nos v aisseaux sont g• niaux! C’est une terre de p rim itifs, ils en sont € p eine € p lus de 1 en degr• de civ ilisation. B adaboum ! Harry ressort de l’autre cŠ t• de la tour. Trois p erc• es totales suffiront € scier la haute et orgueilleuse tour. L e chasseur fuse silencieusem ent, en faisant un dem i-tour, le com burant br‘l• distille une tra„n• e rose dans les airs, com m e m ille fleurs des cham p s. Harry fonce dans le m ur. D ans le quartier g• n• ral d• sert, les troup es de la r• sistance ont p • n• tr• . E lle sent le p rop re, si ce n’est quelques cadav res de grenouilles ici et l€. D om inique se m ontre trƒs rap ide € localiser le com p uter € cartes, p resque en face des • crans. Un gars a am en• un loriot m usical, et la p iƒce se rem p lit d’une douce m usique synth• tis• e, com m e un p arfum de fleurs. M arche funƒbre p our certains, odeur •cre et bienfaisante com m e un cam p em ent, p our d’autres. L e group e de dix-huit guerriers p rend p ossession du contrŠ le. L es Atlant• ens ne doiv ent p as se douter de quoi que ce soit, p endant deux longs jours. M ais, ici, on ne croit p lus € cette absence de m • fiance que sem ble leur donner leur • norm e av ance technique v is-€-v is d’un hum ain de classe A. L a jolie rousse, D om inique exam ine les cartes en • p oxy alum inis• , c’est son trav ail, l’op to• lectronique est la seule faiblesse de cette satan• e race sup • rieure. D ans certains liv res cach• s, on dit v aguem ent qu’on p eut p asser du sonal au tonal, dans cette sorte de m ana, d’autres disent l’• ther. L a force du faible est dans l’art de rester v ague, les guerriers v aincus ap p rennent ‹a trƒs v ite. L’escouade de M ax leur certifie un isolem ent total durant ces recherches. L es axes p rincip aux doiv ent ˆtre les DŠmes du plaisir. Pour trouv er quoi ? Tous se le dem andent, la race hum aine est v aincue. 22


JE T 'AIM E PL U S

L es Atlant• ens d• truisent les corp s de leurs ennem is et p ersonne ne p eut dire s’ils v eulent en faire des anim aux fam iliers ou sim p lem ent adop ter une nouv elle culture. L es Atlant• ens sont friands de toutes les nouv eaut• s et la culture hum aine a quand m ˆm e obtenu un p oint en Civ ilisation sur l’• chelle crap aud, gr•ce € l’engouem ent de l’hum ain p our l’histoire. L es inform ations se d• v ersent trop rap idem ent dans le cerv eau de D om inique. E lle sait que ses com p agnons, dans la salle, ont affaire au m ˆm e typ e de fonctionnem ent c• r• bral. Il y a longtem p s que les esp rits du group e sont soud• s et en osm ose. •a v a ˆtre deux longs jours de gav age. D es dates, les Atlant• ens ont p lusieurs calendriers, leur culture ressem ble € un agglom • rat de p eup les, d’anim aux et de sensations v • g• tales, com m e une culture de l’antiquit• . Pour eux, l’• lectronique est l’• quiv alent d'une science du tem p s des croisades p our nous. L es guerriers de l’escouade B se rendent bien com p te qu’il p eut trƒs bien se p roduire ici une nouv elle fissure tem p orelle. On p eut y d• couv rir un corridor du tem p s, v ers des dragons m odernes. Tout com m e cette v aste op • ration p eut tourner en jus de boudin et ne dev enir qu’un m om ent € effacer des m • m oires. D om inique frissonne.

4. P rojets des merveilles : paradise et depotoiruno

Paul, un guerrier de la force E scouade B , p rend p lace dans le siƒge. Il a p our m ission de contrŠ ler les • crans des systƒm es d’alarm e. C’est v raim ent v aste ici, au quartier g• n• ral. •a lui rap p elle le b on tem p s des p ionniers dans l’Ouest. L es env ahisseurs hum ains de l’escouade qui a p ris le contrŠ le de la caserne ont rem arqu• que toutes les cartes de la b ase ont, en icŠ ne, un • cran. D ans le coin gauche en b as souv ent, une im age d’un p rojet b ap tis• paradise. On y v oit un hom m e qui a un air d’ahuri et une fem m e € la p eau m ate. L es • claireurs se sont rap idem ent lanc• s sur cette p iste. C’est 23


VISIONS AU X FRONT I… RES leur seule p iste € p art le p rogram m e D Š m e du p laisir dont il y a d’ailleurs des archiv es historiques. An 0,5 selon les calendriers atlant• ens de T ierra. I l y a la surim p ression d’un v isage de crap aud sur le logo de la bande - on dit toujours b ande, m algr• le fait que ce ne sont que des icŠ nes de fichier. Paul p rofite de son tem p s lib re p our regarder le coup le, nu, faire l’am our. Il y a les nom s en incrust• de CD GA Inks, de Henri M ar shall et de Jennifer L op ez. D es nom s hum ains, m ais tout le m onde a des nom s hum ains. Ne se rap p elle-t-on p as de l’affaire rocam b olesque de d• guisem ent qui av ait eu lieu lors de la p rise de Washington, p our p • n• trer dans la v ille. Or, la sexualit• n’existe p as chez les crap auds. Ceux-ci f• condent en p ondeuse. L es Atlant• ens ne s’int• ressent p as € la sexualit• . M oi non p lus, se dit Paul, en rougissant com m e une p iv oine. Alors, p ourquoi les Atlant• ens gardent-ils ce docum ent ? Inqualifiab le scƒne p orno entre l’hom m e et la fem m e. L a date est curieuse, sur la scƒne p orno : une date ancienne. L’origine la p lus ancienne de San Francisco date de 0,2. L e tem p s de A0,02 indiqu• sur la p iste sem blerait ˆtre une archiv e p lus ancienne, com m e un p rototyp e. Paul p ense € un chargem ent de la m • m oire des gens du D Š m e du p laisir. Se p ourrait-il ? Non, p ense Paul, ils sont d• truits. L es Atlant• ens n’ont p as inv ent• un m oyen de les rendre bons... Paul se m et € douter. Il en a p arl• av ec les cop ains. D ’ap rƒs Rick, les Atlant• ens ne sont p as des tueurs. M ais, il fum e trop de M arlboro Packett, ‹a lui troue la tˆte. Jennifer a les lƒv res p ulp euses et em brasse Henri. L e gros chat v ert p asse sur la v • randa. Depotoiruno. C’est ainsi que les Atlant• ens ont nom m • leur p rojet de cinquiƒm e p lanƒte solaire, entre M ars et Jup iter. L’Atlant• en nom m • Hendricks cap ture encore un bloc de caillasse, jusqu’€ un m ƒtre cub e, p r• cise les directiv es. L e rayon p art v ers le corp s ferreux ov ale, et sem b le le m aintenir en p lace, av ant de l’asp irer v ers la b enne. L e cargo m en• p ar Hendricks est ainsi un de 24


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ces • goutiers de la ceinture d’ast• ro‰des. Il en existe de sem blables dans la banlieue de l’orbite de Pluton, la ceinture de V an Halen. Pour constituer une p lanƒte X , g• ante, de la taille du soleil, en doublant la surface du systƒm e solaire. Pour Depotoiruno, les • goutiers ont € p eu p rƒs r• colt• entre un sixiƒm e et un tiers de l’orbite, selon com m ent on com p te. L es blocs de m oins d’un m ƒtre cube sont agglom • r• s dans des filets, dits de chauffe, et m aintenus en p lace gr•ce € des ondes statiques. C’est un corp s artificiel o“ on a d• j€ install• des r• acteurs Sabati• , des disp ensaires, des statues € ondes courtes, des incin• rateurs, enfin tous les com p osants de quelques bases sp atiales. L a m • thode L ego, com m e on disait chez les ing• nieurs en inform atique. D es serres, des • oliennes g• antes et des labos de recherche. Un Atlant• en est un ˆtre intelligent € la m • m oire sup • rieurem ent d• v elop p • e et un des hobbies de Hendricks est de suiv re l’av ancem ent des trav aux. Une coul• e de chiffres se d• v erse dans son cerv eau, la drogue des grandes œ uv res. Hendricks p ense qu’on p arlera m oins d’eux, les • goutiers de Depotoiruno, que des gars des DŠmes du plaisir. M ais, tout le m onde n’a p as la chance d’ˆtre s• lectionn• dans les p rojets m ajeurs. Ses p attes p alm • es tiennent bien le m anche, et flirtent av ec le p anneau de bord rem p li de boutons rectangulaires, illum in• s d’une douce lum iƒre, faite p our son op tique p ersonnelle. Hendricks n’a p as d’• tat d’•m e p olitique, il est du genre nerv eux. Agenda du p auv re Rob ert, Preuv e d’une v ie ancienne, Ch•teau d’Aristarque, V oie m artienne, Flotte de M icrorov er, Usine € p yrolyse. L a liste des grands trav aux • tait longue. Paul est tom b • p ar hasard, sur cet alp habet en langage cod• de m icro-chiures qu’utilisent les Atlant• ens. Heureusem ent, si on p eut dire, qu’ils ont absorb• notre langue. Paul exhale de la fum • e •cre, son cigare de M exico n’a p lus le m ˆm e go‘t ces jours-ci. L es enregistrem ents v ont bon train dans les salles du contrŠ le. Ce m atos est form idable, et on • tudie com m ent em p orter le m axim um de choses. 25


VISIONS AU X FRONT I… RES Jennifer et Henri ont fini leur p artouze, l€-haut, dans le carr• Ž hum ain † de la v erriƒre. Cep endant, V • ronique a p ens• € serv ir le caf• € tout le m onde, enfin... la curieuse boisson atlant• enne qui y corresp ond : c’est bien noir, m ais ‹a a un surp renant go‘t de m enthe. Registre des brev ets, Pont de l’anneau de Fuller, M achine de B uroughs, Calendrier de 6 89 jours, Ast• ro‰de cap tif, Axe de B radbury, Orbite r• activ • e. Paul ne p eut dire si ce sont des p rojets r• alis• s lors d’une p r• c• dente colonisation, ou un ensem ble de m odƒles m ath• m atiques p rioritaire. Ce n’est p as p our des enfants, m ais il est v rai qu’on ne sait rien des crap auds. Paul exhale une bouff• e haineuse. L e soir se couche sur le Golden Gate de San Francisco. •a fait six heures que le quartier g• n• ral est isol• du m onde. L e gros chat v ert lance la p atte et frap p e une sorte m oineau. L a bouche dessin• e au rouge € lƒv res de Jennifer ap p ara„t € Henri, dev ant la v itre de son ordinateur p olyv alent OP, — Je t’aim e p lus ! Henri a du m al € identifier la v oix rauque de son am ie. Il jette derriƒre lui, un œ il, p our v oir un p an de robe v erm illon entrouv ert sur une fine culotte blanche en soie, — Je regarde ce que tu fais... Henri renifle, — D es nouv elles de San Francisco, une caserne m ilitaire v eut nous contacter. •a se p asse dans la m achine. L a jolie fem m e lui jette un œ il tendre. Cet hom m e est un bonheur, elle se sent dev enir am oureuse de lui, loin du B usiness Show. — San Francisco. Il y a des rebelles, m ’as-tu dit... Henri est distrait, les deux corp s, hom m e et fem m e, v iv ent en sym biose. Tous deux seuls au m onde, la bouche rouge de Jennifer, et l’œ il bleu clair de Henri. Ils sav ent tous deux. Il tend la m ain v ers la cuisse. — L oup ! Je te m angerai, siffle la B om b a L atina. Ils ont souv ent fait l’am our dep uis trois m ois. Ils sont chacun la seule certitude de l’autre. L oin des m erv eilles atlant• ennes. D eux ˆtres qui font l’am our dans l’esp ace. 26


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Henri p ense aux dip lom ates en touchant la p eau m ate. L €-haut, le v agin, la p orte dor• e des m erv eilles, av ec leurs br‘lantes f• es antiques. — Tout v a bien, Jennifer. Une m ouche n’oserait p as nous interrom p re. L a fille se souv ient du souffle chaud d’Henri, les nuits p ass• es. Un grand lit p our deux. E t le caf• chaud et sucr• du m atin. — Com m ent ont-ils p u construire tout ‹a ? Henri reste v ague. — L a cit• , ou l’am our ? Je ne sais, je crois qu’on n’est p as dans une station sp atiale, m ais sur d’autres terres. L es odeurs dans le p arc... Ce ne sont p as des odeurs d’arbres, m ais la terre qui em b aum e. Je m ’y suis int• ress• ce m atin. Aucune terre terrestre n’a ce go‘t. — T u go‘tes en œ nologue? E t un long silence s’• coule. L es corp s s’enlacent et la lum iƒre se fait naturellem ent tam is• e. Nous serions dans un au-del€, un ailleurs... ou m ˆm e une autre p lanƒte, p ense-t-il en sym b iose. L’id• e m ˆm e est charnelle. L’ordinateur gazouille une chanson terrestre, — L’am our... loup ? 27 JUIL L E T 2001. Il fait chaud. E ric Shunker est en Alaska. Il sait que les crap auds tiennent le m onde. Nous som m es des m illiers d’hum ains au Canada, et en Sib• rie. L a r• sistance est forte dans les v illes. On nous dit 50000 rescap • s. E ric p ense qu’on doit ˆtre au total 250000, av ec les jungles asiates, les brousses africaines et les p lateaux andins. Il souffle. L’ordinateur et Internet ont • t• inv ent• s € tem p s, av ant que v iennent les fils de l’Atlantide. M audits. Sodom e et Gom orrhe. ― Il p leut sur m a v ie, • v oque E ric en soufflant sur le th• chaud de la tasse.

E t ce docum entaire atlant• en qui rev ient com m e un leitm otiv : Henri M arshall et Jennifer L op ez en train de faire l’am our. E t Depotoiruno, la cinquiƒm e p lanƒte du systƒm e solaire. En construction p our deux hum ains. E ric Shunker se racle la gorge. L e 27


VISIONS AU X FRONT I… RES

nom d’un nouv el E den. Alors, les crap auds d• laisseront Tierra p our Depotoiruno. D ep uis six sem aines, les conv ersations d• filent sur les • crans des ordinateurs encore en serv ices, on dit que les atlant• ens ont abandonn• les DŠmes du plaisir. L a race hum aine dev iendrait la banlieue de Depotoiruno, le p aradis des crap auds. Ici, dans la com m unaut• , on esp ƒre ! E t on se shoote sur la bande r• actualis• e du Forum 0,001 d’Internet. L a m usique est une v ieille chanson d’am our, d’av ant le d• barquem ent : Ž l’am our... loup †. M aintenant l’Atlantide nous resp ecte. Un sentim ent de fiert• env ahit E ric Shunker.

5. La mort de la g uerre

Ce gars-l€ • craserait un tem p le. L es deux boxeurs frap p ent, sous le soleil br‘lant du d• sert de cuiv re. L e cham p ion atlant• en est une m asse m usculeuse de rosbif. D es trois m ƒtres de haut et deux cinquante de large. Un balƒze, com m e une m ontagne. Il se bat com m e un taureau contre le Crachat de Jorm ungan. L es quatre p oings se frap p ent, le cuir clout• frotte la p eau couv erte de blessures. Sous le m ortel soleil de certains m ondes chauds. L a chaleur se m ˆle € la sueur. Une • ternit• que les deux boxeurs frap p ent, com m e deux ennem is jur• s. L es tentes les entourent, € deux p as, av ec les v aisseaux des dignitaires. L e v ainqueur sera le cham p ion de la Voie lact• e p our un cycle. L’Atlant• en d• tient le titre dep uis cinq cycles. E t les p eaux luisent sous le soleil. Six cents liv res d’Atlant• en, contre neuf cents liv res de Jorm unganien. L es chants les entourent, des chants religieux et sanglants, p our effrayer l’ennem i. Une cuv ette v iv ante dans ce

p aysage de collines v enteuses. D es sols p auv res, de sable, av ec de grosses p laques bris• es de calcaire. 28


JE T 'AIM E PL U S

L €-bas, sous une tente, € l’om bre, un p etit dragon f• • rique gazouille dans sa cage € oiseau. L e centre du m onde est ici p endant quelques jours, p our gagner la ceinture d’or incrust• e de diam ants. E t le chat v ert et gris ronronne, couch• en sp hinx sur l’• tagƒre qui surp lom be le m oniteur inform atique.

6. La mission

L’am bassadeur atlant• en est assis sur la banquette, en face de Jennifer et Henri. Ces s• ances sont toujours recouv ertes d’un v oile de m ensonges. Q ui dit v rai ? L es am bassadeurs ne disent p as tous p areil. L es Atlant• ens sont une f• d• ration de p eup les dans lesquels les changeurs de form e, ou hom m es crap auds p our les deux terriens, tiennent le haut du p av • . Aujourd’hui, l’am bassadeur est Jorm unganien: une grosse tˆte de dragon, large com m e les • p aules d’Henri, sur un corp s de serp ent v ert • m eraude, • cailleux et jaune citron. Il se p r• sente sous le nom , ou le titre, de Crachat de Jorm ugan. — L a religion, dit-il, est trƒs d• v elop p • e chez nous. C’est la p arole qui certifie. L es Atlant• ens ont des •m es de chefs, m ais ils sont niais... — Niais ? rep rend la B om ba L atina. L e serp ent continue, — Niais, et v ous les abusez facilem ent. L es terriens nous narguent encore. — E t que nous v aut cette sym p athie ? s’• tonne la star. — Un p rojet, siffle la tˆte de dragon. L a religion p our nous, c’est la v oix et les m erv eilles de la civ ilisation. Indisp ensable, com m e le sont p our v ous le sexe et l’argent. — Com m e la tour E iffel, ou le Projet M anhattan. L es p yram ides d’‚ gyp te..., p oursuit -elle Henri m •chonne une p •te de fruits. •a a go‘t de coin, m ais l’• criv ain s’ennuie dans ces rencontres. 29


VISIONS AU X FRONT I… RES — Nous serions inclus dans un de v os p rojets ? E t, v ous allez tout nous dire ?... Votre seigneurie ? L es yeux bleus, • norm es et globuleux - p as glauques - du Crachat de Jorm ungan se p ortent v ers l€ haut, • v asifs: — L a religion. L es v Š tres nous font la guerre, m algr• nos ap p orts technologiques. L e chat ray• v ert et gris v ient se frotter le p oil sur le tronc du p seudop ode Jorm unganien.

Cyrick p asse la m anette, et l’• cran fait d• filer des em p reintes p sychiques, des collines, des lacs, des riv iƒres et des v all• es toutes riches d’herbe v erte et grasse. On aboutit dans un esp ace v ierge. On v oit un tronc d’arbre dans le p aysage m onotone. Il n’y a qu’un arbre. On dirait un chˆne m ill• naire. C’est, en fait, un p om m ier. E t une p om m e rouge et bien m ‘re. L e v ent souffle doucem ent, le ciel est trƒs p eu nuageux. Une v oix fait un com m entaire : — Je v ais av oir une fleur, se dit le p om m ier, et elle dev iendra une p om m e € l’autom ne. Sous le p om m ier, dans le v ert p •turage p rƒs de la coulante riv iƒre, il y a une p etite p laque de m ousse. E t encore en dessous, un v er de terre qui av ise la p om m e - v iendra l’autom ne, p om m e tom bera et j’irai m ’y loger. Tout p rƒs, un corbeau, sur une barriƒre en bois, v ise la p om m e : v iendra l’autom ne, la p om m e tom bera et le v er s'• lancera de la p etite p laque de m ousse. Je p rendrai m on env ol et av alerai le v er de terre. Une chatte toute rousse au-del€ de la coulante riv iƒre se dit : la p om m e tom bera € l’autom ne, le v er la rejoindra, le corbeau s’env olera. Je sauterai et m angerai l’oiseau. L’autom ne v int : la p om m e tom be, le v er se rue v ers elle, le corbeau s’env ole, et la chatte bondit. L e v ers entre dans la p om m e dƒs qu’elle touche le sol, le corbeau redresse sa trajectoire, frustr• et la chatte tom be dans l’eau. M oralit• : p lus les p r• lim inaires sont longs, p lus la chatte est m ouill• e. On ap p elle ‹a une op tim isation. 30


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L E 16

JUILLE T

2002.

Ulrich B en Crochet n’en croit p as ses esgourdes. Il est p ˆcheur en m er, son refuge dep uis l’arriv • e, un 6 m ai, des crap auds sur terre : les Atlant• ens ont disp aru. Il reste tout au p lus 10 m illions d’hum ains sur la p lanƒte bleue. D isp arus sans laisser de trace. L e com m uniqu• am bigu dit : nous p ouv ons donc consid• rer que nos sciences et nos techniques ont bondi en av ant, gr•ce € l’ap p ort scientifique des Atlant• ens. Ulrich rem ue sa m aigre m oustache. — Ils y com p rennent rien! L es Atlant• ens disp araissent av ant de nous av oir exterm in• s. Je suis gel• sous ce p ull... Yahoh ! L e m arin entam e une danse de joie sur le p ont de son 15 m ƒtres et des p oussiƒres. Il p asse toutes les heures de la sem aine suiv ante branch• sur Internet, on p arle d• j€ d’une cap itale m ondiale s’installant € M ontr• al. C’est la joie du retour dans les v illes. M aintenant m ˆm e les ruines, les m urs • v entr• s, les obstacles € • v iter sur la route, tout est beau. Ulrich m et le cap sur la Nouv elle-Orl• ans. M ais Ulrich a p eur : v rai ou faux ? Jennifer et Henri suiv ent le saurien dans le couloir blanc • clair• aux n• ons, dans une am biance d’hŠ p ital. L’am bassadeur a dit que nous nous • tions bien com p ort• s, Jenn et m oi. On v ient de p asser deux sem aines, du m oins selon nos organism es biologiques, € v oyager v ers ailleurs. On a p erdu contact av ec la Terre, et p ourtant nous av ons des r• serv es de bruits, ainsi que la B om ba L atina ap p elle ces m essages de rum eurs qui rebondissent dans les esp aces intersid• raux. Henri est aux com m andes, et la m exicaine au co-p ilotage. Nous ne som m es p lus sur Terre, ni m ˆm e dans le systƒm e solaire. L e v aisseau est autonom e. Pour l’exp • rience, a dit le dernier dip lom ate et on est v enu nous chercher av ec des arm es. D eux sem aines d’incroyables p aysages sid• raux. L es • toiles, les galaxies et les cailloux ou p ierres m ortes. Un sp ectacle fascinant, qu' Henri garde p our toujours. 31


VISIONS AU X FRONT I… RES Plus de contact, p lus d’endoctrinem ent. L es soldats ne sont m ˆm e p as atlant• ens! Projet Paradise (suite et fin) Henri est nu, m ais il fait bon. D ev ant un arbre, dans les branches, € p ort• e de m ain, une p om m e bien rouge. Sa m ain droite tient une m ain gauche.Jennifer est nue dev ant un p om m ier. L es deux hum ains sont seuls dans ce p aysage de v erdure. — J’ai faim , r• clam e la B om ba L atina. — Jenn !... L a p om m e d’or, • m et l’• criv ain dans un • tranglem ent. L a brise s’est arrˆt• e. On entend le bruit cristallin d’un ruisseau quelque p art, p roche. — Ne touche p as € la p om m e ! — Com m ent ‹a ? s’inquiƒte la fem m e. — L a B ible, tu en as entendu p arler ? p ersifle Henri. — Inconnue € l’adresse indiqu• e, c’est ‹a? — Com m e au d• but du m onde. Adam et ’v e, laisse tom ber l’hom m e, logique non ? L eur p rojet p our nous : une exp • rience, ont-ils dit. — M erde ! p ense tout fort, m adem oiselle L op ez.

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JE T 'AIM E PL U S

Epilog ue... L’esp rit de D ieu p lanait sur les eaux, M o‰se rev int av ec les tables de la loi, J• sus Christ naquit, et v • cut, M oham m ed v int, L e roi m ourut, E t ainsi jusqu’€ Adolf Hitler. E t les jours du jugem ent dernier, JE

T 'A I M E

*

P L US.


II.

le pays du sommeil

1. My name is marilyn monroe

Un jeune hom m e, p our autant qu’on soit jeune € trente-six ans, se r• v eille en sursaut dans son grand lit. Il y a d• j€ p lusieurs ann• es que les insom nies v eillent sur lui et que la r• alit• et le rˆv e s’encha„nent. Aujourd’hui, il y a une p ersonne blonde p latine v ˆtue d’une grande robe blanche € large d• collet• au centre de la p iƒce. L’ap p arition p arle. — B onjour, je suis M arilyn M onroe. Se croyant toujours entre le rˆv e et les hallucinations, Arthur M iller r• p ond, — M ais, bien s‘r, la cousine du roi d’Angleterre, n’est-ce p as ? L a fem m e, car on ne p eut traiter de jeune fille quelqu’un d’ainsi v ˆtu, p ouffe: — D is-m oi, Arthur, com m ent p ourrais-tu sav oir que tu es en train de rˆv er ?

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VISIONS AU X FRONT I… RES — B onne question, je sais que je laisse la p orte ouv erte sans les loquets quand je dors, m ais v ous ne ressem blez p as € une cam brioleuse... L’ap p arition s’av ance v ers Arthur et s’assied sur le lit, p esant sur les jam bes du jeune hom m e € trav ers la couv erture. — Sans doute que p our toi, je p eux te tutoyer ? je suis p lutŠ t un m orne p sychiatre... Arthur a v raim ent bien du m al € trancher entre la r• alit• , l’hallucination et le rˆv e. — M adem oiselle, p ourriez-v ous m ’exp liquer ce que v ous faites ici ?... — J’ai besoin d’un am i ou p lus si affinit• , com m e disent certains. Croyez-v ous, m onsieur Arthur en M arilyn M onroe ? dem ande-t-elle, d'une v oix qui sem ble aussi p rofonde que le trou de la s• curit• sociale, lointaine, et p ourtant si fam iliƒre. Soudain, Arthur trouv e qu’il fait chaud, trƒs chaud, et que la dam e p ƒse d'un p oids honorable. Heureusem ent, il a m is un p yjam a hier soir et dans l’im m • diat, il d• cide qu’il a affaire € une folle. Il essaie de se d• gager les jam bes, conscient que ce n’est p as le genre de chose qui l’encom bre dans ses rˆv es habituellem ent... — Vous p ouv ez m e tutoyer ! M adem oiselle, av ouez que la situation est curieuse : M arilyn M onroe est m orte il y a quarante ans € p eu p rƒs! Un instant • ternel p asse, — Tu m e crois m orte,... av ant m ˆm e d’ˆtre n• e ? Je suis dans tes rˆv es dep uis toujours, et j’ai p lus env ie d’un jus d’orange que ce dont je te sais cap able : tu m e donnerais l’•ge de ta m ƒre, un rang de sup erstar du cin• m a et je resterais un souv enir bizarre log• au fin fond de ta cerv elle... L e gar‹on h• site, — Vous... tu es donc entr• e p ar la p orte, nous ne nous connaissons p as et en p lus tu dragues ? M arilyn s’est un p eu relev • e et Arthur s’est m is deb out, trƒs • l• gant dans son p yjam a bleu ciel. D ans son studio, qui n’est p as trƒs grand, la dam e a l’air d’av oir l’esp rit ailleurs. E lle est trƒs jolie sauf qu’elle p r• tend ˆtre M arilyn M onroe, et sem ble un p eu folle. Pour l’instant Arthur v a se serv ir un caf• . — Vous v oulez un, enfin tu... Tu v eux un caf• ou un th• ? — Un th• , il y a longtem p s que je n’en ai p as bu. L a fille ram asse quelque chose p ar terre, son sac € m ain, qui n’a rien

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d’extraordinaire, et regarde dedans av ant de farfouiller un p eu et d’en sortir un p oudrier. C’est p lus une habitude qu’autre chose que de se p oudrer le nez... com m e c’est sim p le et € la fois com p liqu• . E lle jette un œ il au r• v eil, il indique deux heures trente et quelques, c’est v rai qu’il est un p eu • trange de r• v eiller son... elle cherche les m ots, m ais rien ne lui v ient que le m ot Ž m ari † au bout de ses charm antes lƒv res en p leine nuit. E n m ˆm e tem p s, on se dit aussi que dans une rencontre, ce sont les p rem iers instants qui com p tent le p lus. — B ip -bip -bip ! fait le four m icro-onde. Arthur rev ient bientŠ t av ec deux m ugs et des croissants de sup erm arch• , — Il faut m anger. M ˆm e si je ne sais p as d’o“ v ous v enez. Tiens donc, un sac € m ain, m ince, je n’arriv e p as € te tutoyer, tu es trop belle. As-tu une carte d’identit• ? — B en non, € tout p rendre j’ai ‹a ! E lle sort une p laquette de deux centim ƒtres sur six de large, un genre de p lastique trƒs som bre. — Il y a l€ tout ce qu’il faut, y com p ris code g• n• tique, m ais je sup p ose que l’ap p areil ad• quat n’a p as encore • t• inv ent• chez v ous ? Arthur est interloqu• , du futur, du p ass• , et cette fille qui ressem ble bien € la M arilyn M onroe et qui est bien p r• sente l€ av ec lui... — E t que com p tes-tu faire au juste ?dem ande Arthur qui est m aintenant tout € fait r• v eill• . Cette fem m e a com m e une odeur. Une odeur de rˆv e p our une cr• ature de rˆv e. Cr• ature de rˆv e un p eu p aum • e. E lle sem ble h• siter. — Je v eux m e m arier av ec toi... L e silence dev ient assourdissant. — Je connais ta v ie Arthur : le caf• et la cigarette. M ais, je te connais trop bien alors je v eux que tu m ’• p ouses, tout bien com p t• . L e v isage d’Arthur se fige, ind• cis, il ne com p rend p lus. B ien s‘r, il a trente-six ans et regrette fort d’ˆtre encore c• libataire, m ais de l€ €... il a du m al € com p rendre. Son esp rit, lui, glisse, je rˆv e, ce n’est p as p ossible. D em ain, j’ai m on boulot € la bibliothƒque et il est p resque trois heures du m atin, — D ois-je en conclure que tu n’as de m aison, p as d’attache, et que tu v eux rester ici ?

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VISIONS AU X FRONT I… RES Un sourire fleurit sur le sourire d’ange de la jeune fille. — E xact, enfin non, p lus exactem ent je sais ce que rep r• sente m on nom p our toi, M arilyn M onroe, la reine am • ricaine et je n’arriv erai p as € • chap p er € ‹a... M ais m a th• orie est diff• rente. M oi aussi, j’ai des d• fauts, la biƒre et les ham burgers, € l’am • ricaine com m e on dit. Non, je p laisante, m ais je v errais bien une bouteille de Glenfiddish... ou de J&B . M ais j’ai choisi, je ne v eux p as ˆtre une l• gende m orte, et toi tu p eux ! E nfin, je p eux gagner ta confiance. Arthur se dit qu’il v audrait m ieux qu’il finisse sa nuit p our ne p as ˆtre d• calqu• au boulot. L e lit grand ouv ert a deux p laces, des rom ans sur le cŠ t• gauche. M a foi, elle p eut bien dorm ir, elle est belle, a l’air sincƒre et ne p eut p as lui faire grand chose. Il faut dire que Arthur se dit souv ent qu’il n’est qu’un looser, un p erdant, alors il ne s’em balle p as. E t p uis, il n’a jam ais v raim ent eu p eur de la m ort, — Reste l€ si tu v eux, m ais je v ais dorm ir. Je v ais d’abord v irer ces bouquins et faire la p lace. Tu as p eut-ˆtre raison quand tu dis que nous som m es faits p our nous entendre... E lle av ance la m ain v ers Arthur, — Attends, je... il est • v ident que tu ne p eux p as com p rendre d’o“ je v iens, m ais c’est ta r• alit• qui m ’int• resse, je suis n• e le m ˆm e jour que toi, le v ingt-huit ao‘t m ille neuf cent soixante-sep t, m ais com m ent p ourrais-je le p rouv er ? D e m ieux en m ieux, v oil€ que M arilyn n’a p as d’existence l• gale. B ien, la situation n’est p as trƒs claire p our notre p auv re Arthur, alors que M arilyn p ara„t trƒs s‘re d’elle. — Tu p ayes le loyer ici, n’est-ce p as ? — Oui, p ourquoi ? — B ien, p arce que... com m ent dit-on dans un jargon com p r• hensible ? M on em p loi, c’est ta m ƒre et le joli v illage o“ elle habite. — E uh ! Pourquoi m e dis-tu ‹a ? — Parce que... com m e on dit en fran‹ais, je suis une fem m e p ratique. Arthur secoue la tˆte, — Certes ! Certes ! Je n’en doute p as, m ais p our l’instant, il faut dorm ir un p eu jusqu'€ l’aube.

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E t il fait lev er la belle en p renant d• licatem ent la fine m ain et rem et le grand lit en • tat. L a star • jecte ses souliers rouge v if et se d• barrasse sans souci de sa sup erbe robe blanche. L es yeux de l’hom m e p ap illonnent, il est v raim ent im p ressionn• et elle, elle se glisse nue sous la couette bleue, v erte et lilas, av ec des m otifs de fleurs. — Tu sais, Arthur, j’aurais besoin de fringues. Il y a des boutiques aux env irons? Il b• gaie un p eu. — Oui, si, si, enfin, certes. Tu iras te balader dem ain, je rev iens € m idi et on v erra m ieux toutes ces contingences dem ain soir. Je p eux • teindre ? — Si tu v eux... L e p ouce ap p uie sur l’interrup teur p risonnier de la m ain droite d’Arthur dep uis quelques longues m inutes p resque • ternelles. L es t• nƒbres rep rennent p ossession de la p iƒce, et M arilyn sent bientŠ t des doigts sur son • p aule droite. — Q u’y a-t-il ? — Rien, rien, c’est p our v • rifier que tu es toujours l€, j’esp ƒre que dem ain je ne conclurai p as € un rˆv e..., fait -il dune v oix qui d• raille un p eu. — E n ce qui m e concerne, je ne suis p as p rˆte de te l•cher. Puis, le silence! • p eine entend-on le souffle de l’autre et Arthur a bien du m al € s’endorm ir. Il s’attache alors € un p roblƒm e de m ath• m atiques consistant € calculer des d• riv • s, et s’endort enfin. L e lendem ain, M arilyn M onroe est toujours l€, € cŠ t• de lui dans le grand lit. Arthur se p enche au-dessus d’elle... c’est bien ‹a, il trouv e curieux de v oir cette p eau blanche-rose-beige. Il n’a p as l’habitude d’av oir une fem m e ou m ˆm e autre chose que des bouquins et des bandes dessin• es dans son lit. Pourtant, p as de doute, c’est bien un hum ain qui est l€, et m ˆm e une sup erbe cr• ature au v isage d’ange. M arilyn M onroe, qu’a-t-elle v oulu dire p ar l€ ? Un ˆtre qui arriv e dans v otre v ie, c’est toujours des secrets qui se d• v oilent, et p uis... E nfin bon, Arthur se d• cide € laisser de cŠ t• ces p • rip • ties, car il a un tem p s lim it• le m atin. Son boulot d’agent qualifi• € la bibliothƒque lui tend les bras.

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VISIONS AU X FRONT I… RES Av ec les ann• es, il a ap p ris € ne p as s’inqui• ter et € se p resser un p eu le m atin. Un caf• , un croissant qu’il achƒte p ar sacs dans un sup erm arch• p roche, les sap es, un brin de toilette. Il se dit • v idem m ent que c’est surp renant, m ais qu’on s’exp liquera ce soir. Pour l’instant, il n’a p as env ie de s’alourdir d’un fardeau... et si elle disait v rai ?Certes, la situation est assez insens• e, m ais il env isage rarem ent les • v • nem ents € p lus de six sem aines, et p uis qui est-elle ? Q u’est-elle ? D ’o“ v ient-elle ? Il se roule une cigarette, la fum e, et jette un œ il sur le r• v eil. Il sort d’un tiroir un double des cl• s et les d• p ose av ec un m ot sur la table. Peutˆtre ne sait-elle p as lire... en tout cas, elle lui p arlait clairem ent fran‹ais hier soir, et av ait l’air intelligente. Il ferm e la p orte en se disant qu’il ne faudrait p as qu’elle reste l€, enferm • e toute la journ• e. E nsuite, elle v isitera Choisy-le-Roi, enfin, la v ille. Ici, au centre-v ille, il y a des choses € v oir. Arthur trav erse le square, la p lace, le p arc et d• p asse l’ancienne M airie. Il entre dans la bibliothƒque. Il y a une p iƒce derriƒre l’accueil, c’est l€ qu’il trav aille. Il a l’im p ression qu’une om bre p lane. B ien s‘r, il aurait d‘ p rendre deux ou trois jours p our • lucider cet • trange m ystƒre, m ais c’est toujours p ossible € faire. Sauf qu’Arthur M iller a des p rincip es et il ne v eut p as se laisser troubler. On v erra bien si cette M arilyn est toujours l€ ce soir. Oui, ce soir, il fera des lasagnes. V ers les dix-huit heures trente, Arthur rentre chez lui et trouv e M arilyn M onroe occup • e sur l’ordinateur, en train de jouer € un jeu v id• o qu’il conna„t bien et qui a m aintenant quelques ann• es. On aura beau dire, il est surp ris que cette... ap p arition soit encore l€, un instant, il se dit que son studio est trop p etit, et p uis ‹a p asse, — B onjour ! dit son am ie. — B onjour !, r• p ond-il un p eu bougon. Il faut qu’on discute... de toi, de qui tu es, ou de ce que tu es. Si tu v eux, je ne suis p as trƒs disp os• € dev enir fou. M arilyn abandonne la souris com m e € regret. — Oui ! Personnellem ent, je te connais m ais c’est v rai que tu p eux te

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p oser des questions, d• j€, d’o“ je v iens. R• p onse : de ton esp rit, c’est-€dire d’une sorte de futur p our p arler com m e toi, d’un autre m onde... L e gars regarde cette fille qui fait bien ses trente et quelques ann• es sans p lus et qui est p lus agr• able € consid• rer qu’un S.O.S. D • tresse. — J’ai du m al € com p rendre, ˆtre rationnel que je suis. Voyons qu’as-tu fais aujourd’hui ? — J’ai trouv • la cl• que tu av ais p os• e sur la table, ce qui m ’a p erm is de v isiter un p eu ton m onde ; c’est trƒs diff• rent de ce que j’im aginais... — B ien dit, c’est le centre-v ille, les boutiques, les squares, les sup erm arch• s, les arabes, et les nƒgres... Je suis surp ris que tu sois encore l€. Q u’aurais-tu fait sinon ? dem ande Arthur. — Je serais all• m e balader dans m on m onde € m oi, ces choses que tu im agines..., susurre-t-elle. — M ais, com m ent ?...E nfin, oui, com m ent ? r• p lique-t-il. L’ange blond rep rend: — M on arriv • e dans ta r• alit• a ouv ert une p orte qui se trouv e ici, l€, p resque € cŠ t• de toi. D isons que dans un certain r• f• rentiel, je p eux p asser. Arthur est assis sur un chaise qu’il trouv e bien dure, le coude ap p uy• sur la belle table en bois, quoique p etite et carr• e, € deux p as de son lit, non loin des deux bureaux p as trop d• bordants d’articles de librairie et de p ap eterie: il a un sursaut et considƒre l’esp ace qu’elle lui d• signe, dubitatif... une sorte de p orte des • toiles en som m e. M arilyn M onroe dans son siƒge d’ordinateur, la m eilleure p lace assise, quoique Arthur M iller n'en ait cure, sem ble suiv re le raisonnem ent de son am i : • v idem m ent, un r• f• rentiel sp irituel... je ne suis p as idiot. Arthur p rend p laisir € v oir que ce v ieux p roblƒm e d’adolescent est r• gl• p ar M arilyn M onroe. • son •ge, il s’• tait fait un deuil des filles, et v oil€ que cette belle p lante ne lui p rop ose rien d’autre que la botte. Il trouv e ses raisons p lutŠ t confuses. Car il a souv ent r• fl• chi que les fem m es n’• taient qu’une allusion jouissiv e qui ne se concr• tise jam ais, un p eu com m e le com m unism e ou l’anarchie en quelque sorte... E t v oil€ cette fille qui sem ble tout conna„tre de lui. On dit que les p rem iers m ois, c’est l’extase, p uis que l’•m e hum aine se lasse et que naissent les conflits, m ais il est difficile p our Arthur de v oir aussi loin. Il p lace les lasagnes dans le four m icro-ondes.

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VISIONS AU X FRONT I… RES D ’ap rƒs M arilyn, la p orte s’est ouv erte € la lecture du Ž Cycle de Tscha‰ † de Jack V ance, p uis il y a eu Ž L’hom m e qui a d• fi• B abel †, et enfin Ž L es Seigneurs de l’Instrumentalit• † de Cordwainer Sm ith. E lle dit qu’il y a ainsi des balises dans m on esp rit, qu’on p eut s’im aginer m on esp rit com m e un esp ace interstellaire, dans lequel on trouv e de longues p • riodes o“ rien ne se p asse, ajoutant qu’elle m ’a retrouv • gr•ce € Isaac Asim ov . L es lasagnes sont cuites. — D e m on cŠ t• , dit-elle, m a fa‹on de fonctionner est trƒs diff• rente et j’ai du m al € m e faire € notre • p oque! Aussi suite € des • tudes scientifiques sur les m • dium s... j’ai fait m a thƒse sur des p oussins qui, p ar leurs cris d’ap p els, azim utaient un p etit robot technologique. J’ai • t• contact• e p ar des agents du gouv ernem ent, du m oins se p r• sentaient-ils com m e tels. Au d• but, quand il m ’ont p arl• des ondes c• r• brales, je les ai p ris p our des alchim istes, p ourtant ils • taient cal• s en sciences. Arthur • m et un sifflem ent, Ž Fiou †, une thƒse en sciences, c’est du haut niv eau. M arilyn fait un instant la m oue et continue son histoire, ce n’est p as grand chose € cŠ t• de ce que j’ai d• couv ert. Alors v ers m ille neuf cent quatre-v ingt-treize, m a p ersonnalit• a sp litt• . D ans un m onde ordinaire, je suis folle, m es th• ories sont absurdes, m ais dans un autre m onde, le r• el en quelque sorte, j’ai continu• m es • tudes av ec des bourses d• p artem entales... E lle baisse la tˆte et m urm ure, — Pour m oi aussi, tu es un rˆv e, et j’ai p eur de l’av enir. Je v eux qu’on reste ensem ble. Ap rƒs un silence, elle exp lique que p our son organisation, il n’est p as difficile de changer le p ass• d’un ˆtre, il suffit de fabriquer un cerv eau • lectronique identique au r• el, p uis de changer les p uces et de les m ettre en p hase. Alors, l’indiv idu r• el finit p ar reconna„tre des souv enirs qui n’existent p as, sans s’en rendre com p te. L a fabrication d’un cerv eau • lectronique sim ilaire est trƒs difficile... Arthur p roteste: — Alors, quasim ent tout leur est p ossible... — Sans doute !r• p ond M arilyn qui sem ble ext• nu• e. M arilyn n’en a p as v raim ent fini av ec ses exp lications, m ais elle m ontre m aintenant de p etits yeux p orcins. E lle a une p etite v oix soudainem ent, trop fatigu• e, ext• nu• e :

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— Ne t’inquiƒtes p as, sim p lem ent p lus tu en sais sur m on m onde, p lus tu m e p om p es l’• nergie, c’est un systƒm e logique, je ne l’ai p as trouv • dans les • coles, p lus loin dans ce m onde sem i-r• el que tu es p our m oi Arthur... — Tu as l’air... Com m ent dirais-je, okay, je te crois M arilyn, m ais que v a ˆtre dem ain ? D ’une certaine fa‹on, c’est v rai que je t’aim e un p eu, que tu sois v raim ent M arilyn M onroe ou p as. Je te crois quand m ˆm e assez claire! L a fille est dans les v ap es, elle p ara„t ˆtre dans un autre m onde, une aura de rˆv e l’entoure et Arthur se dem ande si elle ne v a p as disp ara„tre aussi soudainem ent qu’elle est ap p arue. — Je n’ai p as d’exp lication s• rieuse, m ais tu crois qu’on p eut v iv re ensem ble ? dem ande le biblioth• caire. — D es p rogram m es, tu sais nous av ons • t• choisis dans un autre systƒm e en fonction de nos p aram ƒtres g• n• tiques, des p robabilit• s et des d• sirs com m uns. Tant que tu p eux, je p eux et r• cip roquem ent.. E nfin dans une certaine m esure... J’ai besoin de m ’allonger, l•che M arilyn. Arthur la regarde, considƒre la situation, • v idem m ent cette coop • ration n’est p as trƒs naturelle. Une telle rencontre est assez inim aginable, m ais p eut-ˆtre que sa v ie est trop stable p our refuser une offre. — Allonge-toi, c’est l’ordinateur qui te fatigue aussi, et tu as sans doute d• couv ert p as m al de choses aujourd’hui... Arthur allait p arler de l’am our p hysique, m ais M arilyn allong• e sur le lit, av ait ferm • les yeux et resp irait r• guliƒrem ent, tout habill• e, enfin sans les chaussures. L e biblioth• caire regarde les p aquets en v rac p rƒs la p orte. L es robes et autres v ˆtem ents de corp s f• m inins rang• s en p artie dans la p enderie en p artie au-dessus. E t il se dit que l’am our, ce n’est p as p hysique et encore m oins tout de suite. E t p uis, Arthur n’est p as un chaud lap in et encore m oins un v ioleur. E n fait, le p roblƒm e p os• est trop im p ortant, p our l’instant c’est une am ie qu’il resp ecte et d• j€ p resque une am ante. Parfois les choses v ont v ite! Arthur regarde M arilyn som nolente encore une fois, p uis le liv re qu’il tient: Ž M ars-la-Rouge † un best-seller qui est p aru il y a d• j€ quelques m ois. On est en d• but de soir• e: les lasagnes et la salade • taient excellentes, le cam em bert aussi, les yaourts de m ˆm e, quant au m a‰s en entr• e... D isons qu’il av ait un p etit go‘t de v inaigre.

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VISIONS AU X FRONT I… RES Oh ! E t p uis m erde ! E t, il se rep longe dans son liv re. Il est p ratiquem ent onze heures quand Arthur l•che son liv re, il n’a p as arrˆt• de p enser € sa com p agne dep uis p lus d’une heure. Il est suffisam m ent coutum ier de la lecture p our sav oir qu’on ne lit que ce qu’on v eut lire, et que de ce trƒs bon rom an, il n’en a p as lu une ligne de p lus. Il serait m ˆm e incap able de dire un p eu de quoi ‹a p arle, il a la tˆte ailleurs. C’est p our ‹a qu’il d• cide de dorm ir, et p uis il y aura du rep assage € faire, il regarde un instant le p yjam a qu’il p orte, bleu som bre et bleu ciel, qu’il v a falloir env oyer au linge sale. D ans l’arm oire au bout du lit, il y a la t• l• v ision qu’il n’a p as encore allum • e dep uis que M arilyn est l€. Rem arque, il la regarde rarem ent, p our les News de l’E quip e T V, p our les m atchs de football de l’• quip e de France et p our les m atchs des clubs fran‹ais en Coup e d’E urop e. Sinon, le journal d’E uronews de tem p s en tem p s, et Planƒte rarem ent. Il av ale ses cachets, se lav e les dents. Il y a une deuxiƒm e brosse € dents dans le v erre en grƒs et il sup p ose que c’est celle de M arilyn, m ais ne se p ose p as v raim ent la question en fait. Puis il se couche € cŠ t• de la dam e et s’endort. Shrik ! On dirait que quelqu’un a flanqu• un coup de couteau dans le rˆv e d’Arthur... Q uelque chose a chang• . D ’habitude, dans les rˆv es, il est seul av ec quelques rares p ersonnages, m ais l€ il y a quelqu’un qui l’accom p agne dans les p aysages changeants sav am m ent m is au p oint p ar son cerv eau. • tel p oint qu’il finit p ar se retourner, p our autant qu’on p uisse se retourner dans un rˆv e, v ers une form e hum ano‰de jaun•tre. — Q ui ˆtes-v ous ? — C’est m oi, M arilyn M onroe . Voil€ m on p ays, le rˆv e. C’est d’ici que je v iens. Je sais que tu n’aim es p as qu’on interrom p e le rˆv e, m ais... L es m ots se p erdent dans le v ent. L e p aysage a chang• encore une fois. Finalem ent, Arthur l•che: — On ferait m ieux de se faire une p izza au restau, et un film au cin• m a, ‹a te dirait d’aller v oir Shrek ?... — Ici, nous som m es libres, c’est un p eu com m e si nous m ettions en com m un nos cerv eaux et nos instincts. •a ne te d• range p as que je t’accom p agne ? dem ande la longue form e jaune. — Au contraire ! M ais, c’est surp renant, v a-t-on toujours se rencontrer dans tous nos rˆv es ?lance le gar‹on.

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L e p aysage est m aintenant celui d’un v allon, av ec une ferm e au toit p lat en contrebas, noy• e dans les cham p s de fleurs jaunes. M arilyn soup ire: — Pas forc• m ent, ce n’est p as utile, m ais nos esp rits sont trƒs p roches, alors, si l’inconscient le d• sire, c’est une liaison p ossible. E t p uis, c’est p our m oi tellem ent p lus facile de te m ontrer p ar la v oie des rˆv es. D ans l’ap p artem ent, dans ce grand lit, il n’y a que deux corp s dorm ants, et qui p ourrait dire qu’ils sont si p roches ? Arthur ne p erd p as l’esp rit, — E t que faisons-nous dans le m onde du rˆv e ? Parfois, p ar instants, on v oit les om bres d’un sous-bois. M arilyn M onroe, est-ce bien elle, sem ble m archer dans les airs. — Tu as des exp ressions bizarres, le m onde des rˆv es est tout aussi r• el que cette esp ƒce de m onde que tu crois v rai. E n tant que biblioth• caire, tu t’es forg• une v • rit• , m ais nous faisons tous ‹a € p artir d’un certain •ge... Nous n’av ons p as la m ˆm e exp • rience. Ce rˆv e que tu v ois, c’est p eut-ˆtre le m onde dans cent m ille ans, m ais tu le v ois av ec ton esp rit, ton •m e, ou p eut-ˆtre ton cœ ur. D ans m on m onde d’origine, on n’av ait p as conscience de ce que tu v ois l€, l’hom m e v ieillit et change, le m onde aussi. Arthur M iller a l’im p ression bizarre d’• couter les p ens• es de sa nouv elle com p agne. C’est v rai que son em p loi, il s’y accroche et que p lus jeune, il aurait • t• surp ris d’ˆtre ce qu’il est. On est sorti de la forˆt de p ins, et au-del€ de la dune et de cette esp ƒce de haie de buissons s’• tendent une p lage et la m er. Il y a des v agues ordinaires, m ais Arthur est surp ris, l’air est sec, un p eu sal• , ‹a donne soif. D ans sa tˆte, bien s‘r, cette fille, elle est bien dans sa tˆte. — Pas seulem ent, interv ient M arilyn, je ne v eux absolum ent p as que tu changes, et ce n’est p as en m on p ouv oir, cep endant je crois que tu p eux m e com p rendre m ˆm e si bien des gens que tu cŠ toies m e p rendraient p our une folle. L e rˆv e, c’est une arm e p uissante, et certains acharn• s le sav ent... Nous av ons ces rˆv es en com m un tous les deux et c’est ce qui fait notre force. Arthur fait rem arquer que le soleil est v raim ent trƒs brillant. L a fille reste interloqu• e p ar le m ot Ž soleil †, p uis • clate de rire. — C’est m on p sychiatre ! E nfin, je... E uh, je ne v ois p eut-ˆtre p as la m ˆm e chose que toi. Ce grand rond blanc et brillant dans le ciel, c’est l€ o“ habite m on p sychiatre.

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VISIONS AU X FRONT I… RES — C’est bien le soleil p ourtant. Tu dis un p sychiatre, c’est v rai que le soleil est un bon p sychiatre. E t € quoi ressem ble-t-il ton p sychiatre ?dem ande-t-il. — •..., M arilyn • m et un son, M ike Jagger, p eut-ˆtre, enfin bon, je cherche dans ton esp rit quelque chose qui y ressem ble, entre M ike Jagger et Chuck B erry... — Tu lis dans m on esp rit, m aintenant ? — Non, je te connais, ce n’est p eut-ˆtre p as le bon m ot ; je t’ai dit, c’est l€ d’o“ je v iens, ensuite tu crois en m oi ou p as..., finit-elle. Arthur a l’im p ression de se r• v eiller, p uis de s’• teindre, de m ourir, et de dev enir com m e une langue de flam m e. Peut-ˆtre que lui aussi, il lui faudrait un p sychiatre, finalem ent. Ce rˆv e a dur• un instant, une seconde, un quart d’heure, v ingt ans, m ille ans. Il a l’im p ression qu’une p artie de lui se p rom ƒne • ternellem ent en v adrouille. Groseille. Arthur a finalem ent r• ussi € se lev er ce m atin, m ais ce fut dur! B oire un caf• au lait, p rendre deux m • dicam ents, enfiler ses habits et ferm er la p orte derriƒre soi av ant de descendre dans le square. Trav erser la p lace, p uis le p arc de la M airie, d• p asser le v ieil HŠ tel de V ille. Puis, le caf• av ec les collƒgues, la directrice qui lui donne le boulot de la journ• e : ce n’est p as trƒs folichon, et une p artie de lui est ailleurs. Ap rƒs tout, si M arilyn est dans sa tˆte, elle est ici aussi. Ce ne serait p as la p rem iƒre fois qu’il hallucine au boulot... Il h• site. Il a l’habitude de v oir v enir ici des gens, et finalem ent, c’est p our ‹a qu’il bosse. Il v oit les choses autrem ent, lui qui est p lutŠ t du typ e c• libataire endurci. E nfin, il tap e des courriers m achinalem ent, les courriers...

C’est v rai que si le rˆv e continue , et tant qu’€ faire, si cette Ž star † d• barque du ciel en p leine nuit sans v raim ent d’exp lication, ‹a ne le d• range p as d’• changer quelques secrets... Reste le p rincip al p roblƒm e, elle dit m ’av oir aucune identit• civ ile, alors com m ent faire, il nous faut des choses solides. Com p te-t-elle hyp notiser un fonctionnaire de la M airie com m e elle sem ble l’av oir fait des m archands chez qui elle a achet• ses sap es ? 46


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Arthur se r• ajuste dans son fauteuil... E t regarde cet organigram m e qui s’affiche sur son • cran, Ž E nfoir• ! †. Une autre p artie de luim ˆm e est satisfaite. Arthur sait qu’il est un p eu schizop hrƒne et n’a p as de m al € accep ter le p ostulat qui dit que sa v ie est un rˆv e. Autre lieu, autre tem p s. Arthur se rend com p te qu’il a de la chance: sa v ie p riv • e, c’est la lecture et les m atchs de football € la t• l• v ision, ce n’est p as am bitieux m ais c'est bien r• gl• . E t m aintenant, cette fem m e qui est dans sa tˆte. Il faudra qu’ils aillent € la M airie, un sam edi m atin p our sav oir ce qu’il faut faire. D es p ap iers tem p oraires, p eut-ˆtre un p erm is de trav ail tem p oraire, une naturalisation fran‹aise sans doute... et faire quatre p hotos. C’est v rai, se dit-il, qu’on dit que l’am our est av eugle, et que je suis av eugle, alors p eut-ˆtre en v aut-elle le coup . Je n’ai p as l’habitude d’ˆtre dans la lune, et p uis c’est com m un. Une p ersonne entre dans son p etit bureau: — B onjour Yam ina ! — B onjour Arthur ! Je v ais € l’ext• rieur, tu p asses les coup s de fil € Sylv ie, il dev rait y en av oir trois ou quatre. Ce m idi, Arthur fait la journ• e continue, com m e tous les jeudis, m ais il sem ble que M arilyn saura quoi faire en attendant le soir. Il sourit, elle lui a dit qu’elle av ait le com p lexe du robot. Futur-Pass• , c’est une fille qui a de l’• nergie. L a journ• e se p asse com m e € l’ordinaire. Arthur, av ec cette journ• e de trav ail a fini p ar oublier M arilyn M onroe. C’est bien € ‹a que sert le trav ail. Q uand il franchit la p orte de son ap p artem ent, il v oit qu’elle dort • tendue sur son lit: Ž Tiens, encore ? † Arthur se d• fait, boit un caf• et se roule une clop e; L a form e endorm ie bouge: — Ah ? C’est toi ? Je m e suis assoup ie, m ais ‹a v a m ieux. J’ai •t• faire quelques courses, et j’ai bidouill• sur l’ordinateur, il y a des choses int•ressantes. — Toujours l’hyp nose ?

— Non ! J’ai contact• quelques-uns de m es sup • rieurs cette nuit, quand nous • tions ensem ble... Tu t’en rap p elles ? — Absolum ent p as ! Tu v eux dire qu’on s’est rejoint dans le rˆv e cette nuit. E nfin, je m e rap p elle de quelque chose com m e ‹a, m ais c’est tout..., r• p ond Arthur. 47


VISIONS AU X FRONT I… RES M arilyn s’assoit sur le lit, elle p orte m aintenant une robe rouge sans p r• tention qui lui arriv e sous le genou. — Je sais, c’est subconscient, je suis trƒs em bˆt• e car je suis sup er-entra„n• e € v iv re dans m es rˆv es, m ais ‹a, tu ne p eux p as le sav oir. Il m ’a fallu beaucoup de tem p s p our ap p rendre € v iv re dans m es rˆv es. D ans le m onde r• el, les rˆv es et la r• alit• s’interp • nƒtrent, et il n’y a que les dorm eurs qui sav ent v iv re de m aniƒre totale dans les rˆv es, m ˆm e si m oim ˆm e j’ai beaucoup av anc• dans cette v oie. — Ce qui v eut dire ? soup ire Arthur. — E n clair, je connais un p eu ton histoire p ersonnelle, aussi je v eux dire que le som m eil, c’est ton p ƒre, com m e la nuit, autre p h• nom ƒne p hysique, est ta m ƒre. C’est p our ‹a que beaucoup de gens ont des p ersonnalit• s bris• es. L a dam e laisse p asser un silence. Arthur ne p eut se contenir: — M agnifique d• couv erte ! C’est v rai que je n’av ais p as p ens• les choses com m e ‹a. — M ais, qui ˆtes-v ous ? Q ui ˆtes-v ous ?dem ande € bout de nerf M arilyn M onroe. — Nous som m es les seigneurs de l’Instrumentalit• du group e Solianne, r• p ond une v oix m asculine com m e un • cho. Cela, M arilyn le sait. Il y a dix ans que cette p robabilit• im p ossible est arriv • e dans son m onde, alors qu’elle com m en‹ait sa m a„trise, p eu ap rƒs que ses p arents lui aient lou• un studio. D ep uis, elle est dev enue un des leurs, une Solianne com m e disent ceux qui s’adressent m aintenant € elle. Jug• e folle dans son • p oque, elle a quitt• le m onde r• el et dep uis, elle v it sa schizop hr• nie l€ o“ il n’y a p lus de juges. D es fous, elle sait ce que c’est, et ces seigneurs de l’Instrumentalit• sont aussi des fous € leur m aniƒre. Ils na„tront dans p lus de dix m ille ans, et certains de ce group e ont ancr• leur nef dans le cerv eau d’une certaine M arilyn M onroe. L e cerv eau est une • trange chose, il v oyage dans les airs, dans les om bres et dans le tem p s. D ’abord, elle ne p ouv ait se concentrer sans ˆtre p rise de som nolence, alors elle a com m enc• € dorm ir • norm • m ent. E t p uis, c’est dev enu p lus im p ortant, elle a v u des choses dans ses rˆv es qui ressem blaient tant € la r• alit• , alors elle a com m enc• € leur p arler...

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C’est ainsi qu’elle est dev enue folle. •a fait p resque cinq ans qu’elle cherche dans les data-bases. L es seigneurs de l’Instrumentalit• l’on jug• et rendu folle, elle est dev enue grain de p oussiƒre au v ent, p ire qu’un fantŠ m e un rˆv e. D e la fem m e qu’elle • tait, il ne reste v aguem ent que des souv enirs, alors ils lui cherchent une ancre, dans le m onde r• el, et dep uis p eu, elle a p eut-ˆtre trouv • . Il s’agit d’un jeune hom m e, du m ˆm e •ge qu’elle dont l’em p reinte du cerv eau a les m ˆm es caract• ristiques qu’elle, son double sur une Terre alternativ e. L es seigneurs de l’Instrumentalit• sont p uissants certes, m ais ils ne rem p lacent p as le bien-ˆtre que p rocure le m onde r• el. D ’ap rƒs les donn• es du m onde de M arilyn M onroe, ils v iv ent aux alentours de l’an dix m ille et p lus, ils ont conquis l’esp ace, la galaxie et des m illions de p lanƒtes. E lle est une de leurs ancˆtres, et c’est cela qui la m et m al € l’aise. Il y a p lusieurs grades dans l’Instrumentalit•, et les seigneurs sont des gens qui sav ent beaucoup de choses et m ˆm e v oyager dans le tem p s. L eur sagesse est consid• rable, c’est le fruit de d• cennies d’• tude € titre p ersonnel: lorsqu'un hum ain se v oit d• cerner le don, il p eut v iv re trois ou quatre cents ans. Il y a cette nourriture, le stroon qui p erm et d’allonger la dur• e de la v ie. Pour ˆtre un seigneur de l’Instrumentalit•, il faut ˆtre un ˆtre p arfait sur le p lan m oral, alors v ous av ez p resque l’• ternit• dev ant v ous. E nsuite, le cosm os est v aste... Il y a cet Arthur M iller, Arthur qui sem ble av oir • t• fait p our elle, un gars d’une Terre adjacente. Av ec lui, le transfert n’est p as env isageable : il est trop s• rieux. Un gars trƒs m at• rialiste. Il trav aille dans une bibliothƒque p our enfants, et ne les sup p orte p as d’ailleurs... un p eu p oƒte, dessinateur, • criv ain p ar le p ass• . Ses soir• es se p artagent entre le jeu sur ordinateur et la lecture de liv res, de la science-fiction et d’autre chose. Il se d• brouille € p eu p rƒs seul p our p ayer son loyer, faire les courses, un gars p as trop com p liqu• au p otentiel rem arquable. E t lorsque M arilyn sort son em p reinte c• r• brale, elle est surp rise : tout y est, un p eu com m e elle. C’est p our ‹a que les seigneurs de l’Instrumentalit• lui ont env oy• la p laquette d’Arthur, m ˆm e structure, m ˆm e lignes de cham p . G• n• tiquem ent, ce serait p resque l’alm a-m ater d’elle-m ˆm e. M ais, com m ent v a-t-elle le lui exp liquer... ? •a tra„ne un p eu...‚ v idem m ent, les seigneurs de l’Instrumentalit• qui p eup lent ses rˆv es ont dem and• € M arilyn p ourquoi elle cherchait un de ces

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VISIONS AU X FRONT I… RES m ondes terrestres alors que tous les m ondes du futur lui sont ouv erts, m ais elle s’entˆte. E lle ne v eut p as de leur im m ortalit• , ni dev enir un m a„tre p lein de sagesse. C’est une fille sim p le, et cet Arthur M iller sem ble ˆtre son jum eau. Oui, en un sens, M arilyn v oit en lui un double d’elle-m ˆm e, un ˆtre frustr• qui s’en accom m ode. D ep uis qu’elle cŠ toie l’Instrumentalit•, elle a p ris l’habitude des p ersonnalit• s m ultip les. Il arriv e souv ent € un seigneur de se retrouv er dans diff• rentes • p oques € la fois. E lle-m ˆm e, ‹a ne lui est jam ais arriv • , m ais il y a eu une rup ture p rofonde qu’elle ne p eut exp liquer, au-del€ de ses v ingt-cinq ans. C’est l€ qu’elle a • t• contact• e p our la p rem iƒre fois, et qu’elle entendit ce term e d’Instrumentalit•. E t, m aintenant, elle n’a p lus d’autre exp lication. Une p etite fille ordinaire, v oire brillante jusqu'€ ce qu’elle atteigne le quart de ce siƒcle, p uis, arriv • e seule dans son ap p artem ent, tout s’est bris• , sa v ie, sa fam ille, sa carriƒre... Il lui fallut tout r• ap p rendre av ec des naus• es, des im p ressions de d• j€ v u et des p assions absurdes. E n m ˆm e tem p s, elle sait que ces souv enirs sont artificiels. Au d• but, ces seigneurs n’• taient que de v agues hallucinations d’un ordre assez naturel, p uis elle a chang• : € ses m om ents p erdus, si ‹a p eut ˆtre un p oint de d• p art, elle faisait de la g• n• alogie, p uis elle est tom b• sur des m ythom anes, car com m ent qualifier autrem ent ces gens qu’elle a crus. Il y a un • quilibre en toute chose, p uis elle n’a p lus jam ais touch• terre. Si ! Ailleurs, elle est dev enue com m e eux, s’ap ercev ant que le m onde est une histoire cont• e p ar un idiot, que ce qu’on v oit est une descrip tion des choses. Q uand elle se rem • m ore ces p rem iers instants, c’est ce qui lui fait le p lus m al. L a v • rit• n’est que le p rolongem ent du m ensonge: — Oui, colonel Natchios, je sais que v ous n’ap p rouv ez p as m on d• sir de redev enir norm ale, m ais je ne v eux p as de cette • ternit• . — • v otre guise, av ait-il sim p lem ent r• p ondu. Nous n’av ons donc p as les m ˆm es v aleurs. Com bien de tem p s a p ass• dep uis cette r• p onse. M arilyn M onroe a p ris l’habitude de ces choses qui basculent, c’est p eut-ˆtre une erreur, m ais elle v eut une histoire sim p le. L’Instrumentalit•, c’est com m e des couloirs adm inistratifs av ec des p ortes toutes p areilles, et derriƒre, ces gens qui p euv ent av oir n’im p orte quel asp ect et Ž p ossƒdent † la science! C’est tellem ent inhum ain.

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L oin, et p ourtant, dans les rˆv es, il y a des rˆv es. Ce jeune hom m e bien m is qui lui dit : Ž je ne serai donc jam ais que ton am ant?... †E n fait, la scƒne a com m enc• p lus tŠ t, p eu ap rƒs qu Arthur soit rentr• du taf et se soit d• barrass• un p eu . Com m e il s’en doute, M arilyn M onroe a p ass• une bonne p artie de la journ• e dev ant l’ordinateur € jouer € un jeu de strat• gie • v olu• quoiqu’elle sem ble av oir d’autres activ it• s p lus m yst• rieuses quand elle se d• tend, tranquille dans son siƒge, les jeux m iclos dans une v ague som nolence. On dirait alors une • norm e chatte qui ronronne. C’est dans ce m onde de rˆv e qu’elle est trƒs activ e, on p ourrait alors la traiter de l• gum e, de courgette ou de v ieille p atate, m ais on dev ine une tension int• rieure, € un autre niv eau de conscience. Arthur n’a p as v raim ent cherch• , elle est v raim ent trƒs belle... — Je m e suis renseign• p our le m ariage, aussi bˆte que ‹a p uisse ˆtre, dit-elle, il faut ˆtre dot• d’une identit• civ ile que je n’ai p lus. E n m e laissant entrer dans l’Instrumentalit•, on m ’a ray• des tablettes. Alors, toujours € la M airie, j’ai • t• v oir l’un des fonctionnaires de l’• tat civ il p our une carte d’identit• , et il m ’a dem and• un acte de naissance... Or, ce n’est p as p ossible p uisque je n’ai v raim ent p lus aucune identit• dep uis p lus de dix ans. E ffac• e, m es p arents n’ont jam ais exist• , ne se sont jam ais m ari• s. Alors, j’ai d‘ interv enir aup rƒs de X erxƒs, un resp onsable de m a branche dans l’Instrumentalit•, et je m e suis tout bonnem ent inv ent• e, M arilyn M onroe, n• e le v ingt-huit ao‘t, m il neuf cent soixante-sep t € Toulouse en Haute-Garonne, en France, E urop e, Terre, Systƒm e Solaire, dans la Voie lact• e. •a m e p eine de faire ‹a, m ais je v eux p artager le reste du m onde av ec toi. Je ne te l’ai p as encore dit, m ais tu as p ass• des tests trƒs s• v ƒres p our que je t’aim e, g• n• tique, stabilit• , op inions p olitiques, id• al, sym p athie, charism e, foi, nature... en fait jusqu'€ ce qu’il n’en reste qu’un. Toi. Puis, je t’ai • tudi• com m e un cobaye jusqu’au m om ent o“ je suis arriv • e, quand tu t’es r• v eill• ... Com m ent dit-on? av ant-hier soir. — •a v a ˆtre notre p rem ier week-end! est la r• p onse r• jouissante de biblioth• caire. — C’est v rai, et tous m es p aram ƒtres v ont ˆtre chang• s. X erxƒs ou un autre seigneur de l’Instrumentalit• v a retourner en m ille neuf cent soixante-

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VISIONS AU X FRONT I… RES sep t, et faire en sorte de m e d• clarer... M on p roblƒm e, c’est que justem ent ces m ecs de l’Instrumentalit•, ils v oyagent dans le tem p s. — Tu es p eut-ˆtre trop anxieuse, M arilyn ? Arthur a ses habitudes : le week-end, inutile de se r• v eiller av ant dix heures du m atin, il fait la grasse m atin• e. Pourtant, la journ• e allait s’av • rer longue, c’est v rai que quand on est seul, on a tendance € rester chez soi, € deux, il faut • v acuer, et p uis Arthur a env ie de faire v isiter les alentours € sa com p agne. Ce m ec, ce n’est p as un sauv age, et il a p ris ses distances av ec le sexe, enfin, disons qu’il y a des p • riodes o“ il se serait p lus facilem ent excit• . Com m e le lui dit M arilyn, elle a v raim ent • tudi• le cas av ant de le botter, et p uis un c• libataire de trente-six ans, ‹a a des cŠ t• s tentants... Pourtant , elle est souv ent en p lein d• lire, et ce m atin, c’est trois longues heures en tˆte-€-tˆte av ec Arthur qui v raim ent n'arriv e p as € s’exp liquer com m ent elle est arriv • e l€ : du futur, du p r• sent, ce n’est p as v raim ent sa sp • cialit• . E lle dit encore: — Je sais que tu trouv eras ‹a nul, m ais c’est v rai que m es p ens• es sont com m e cristallis• es sur une sorte de futur que tu ne v erras jam ais. Si tu as ce que je cherche, c’est que je suis un double de ta p ersonnalit• , et p uis com m e je te dis, je ne suis p lus rien. J’asp ire € une v ie stup ide, j’aim erais ˆtre une v ache. L e gar‹on sourit faiblem ent. — Il faut av ouer que c’est une drŠ le d’am bition, tu es s‘re que c’est de l’am our ? Puis, soudain, il re‹oit un choc, ce... cette fille est autre chose, il a com m e rˆv • tout • v eill• de quelque chose qui se p asse loin, loin de lui, loin d’ici, il a souv ent rˆv • de p artir € l’autre bout du m onde, m ais ici sa conscience se brouille com m e les laines d’une tap isserie. Il se souv ient d’autre chose, d’un m onde structur• diff• rem m ent. — J’aurais p u ˆtre une v ache, on m e l’aurait accord• , m ais je ne v eux p as bousculer ta v ie. Ces rˆv es, ces fantasm es, je te p r• senterai d’autres gens qui ne sont p as faits de chair ; m on corp s, c’est un p eu le sym bole de m es regrets...,dit-elle. Un silence resp ectueux, ou p eut-ˆtre am oureux, p asse.

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— J’ai v raim ent du m al € te p rendre au s• rieux, tu v eux qu’on fasse le reste du chem in ensem ble ? dit-il Futurs incertains, p ass• s corrom p us. Il n’a p as de m al € im aginer cette , M arilyn p rise dans une hi• rarchie, com m e il l’est € la bibliothƒque. Q uel que soit le m odƒle qu’on p rend, on est toujours contraint p ar des structures, et soudain cette env ie de crier, de p artir, de p artir de suite quand ce n’est p as de disp ara„tre € jam ais. Cette fille lui p arle d’un colonel Weddel, c’est quelqu’un qu’elle estim e beaucoup ; les seigneurs de l’ sont une sorte de base de donn• es dans la galaxie o“ se trouv e la Terre, et M arilyn sem ble regarder ce m onde av ec de la distance, indiscutablem ent, elle a besoin d’am is. Sous m on cr•ne, la tem p ˆte se d• cha„ne : Š que je t’aim e. L es p ens• es sont confuses, et Arthur se m et € confondre le rˆv e et la r• alit• , il y a bien Annick, Yam ina, B rigitte, M athieu, M atthias, Philip p e, Agnƒs, M ioara et Sylv ie, ses collƒgues, m ais un v ent p uissant l’em p orte sur une trirƒm e, il p erd p ied, on dirait que son •m e s’est d• tach• e de son corp s et rode dans la p iƒce. Tout € l’heure, il a am en• M arilyn au p etit cin• m a de quartier des Gondoles, de l’autre cŠ t• de la Seine. Ils ont trav ers• le p ont et ont p ouss• un soup ir. L e film , c’• tait Shrek, c’• tait trƒs bon. M ais, il a la tˆte ailleurs, p as un m al de cr•ne, ni l’effet d’un p • tard, m ais quelque chose de p lus m ystique : il se rap p elle d’une histoire bouddhiste qui dit que quand on dort le corp s est reli• € l’•m e p ar un fil d’argent, et quand ce fil est coup • , on m eurt. L ui n’a p as p eur de la m ort, il est une som m e de connaissances, un tas d’inform ations, et au-del€, il ne sait ce que M arilyn M onroe a € faire av ec cet • tat, m ais il se sent diff• rent, com m e si les lim ites de son •m e craquaient. Il rev oit des am is, M ichel, Serge, Oliv ier, Pascal, Sandrine, V • ronique, Fr• d• ric, Arnaud, Pierre, D ani, Christine... et p uis, il se dit qu’on ne change p as en trois jours, sim p lem ent il a l’im p ression de v iv re un rˆv e. Certains de ses am is ont trƒs bien r• ussi av ant qu’il ne les p erde de v ue, d’autres ont une existence qui est rest• e en susp ens. Au retour du cin• m a, il a p ataug• ainsi une bonne heure av ant de se m ettre au lit, tandis que M arilyn rep assait ses robes sur la fabuleuse p lanche € rep asser. Arthur se souv ient que c’est sa m ƒre, v enue en v isite qui l’av ait m otiv • p our acheter un nouv eau fer € rep asser, un v rai, alors qu’il n’av ait qu’un fer de v oyage.

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VISIONS AU X FRONT I… RES D ans la forˆt, le lion rŠ de, l’• l• p hant rugit, le m oineau feule, et les singes caquettent. D e p ar sa situation, il a les nerfs solides, m ais l€, c’est m erv eilleux, av ec M arilyn M onroe tout s’em bo„te. Ces choses qui lui sem blaient d• licates sont € p ort• e de m ain. Il faudra p eut-ˆtre quand m ˆm e qu’il t• l• p hone € sa m ƒre, et € sa tante Fran‹oise. Il a l’im p ression de v oir le lion d• am buler dans les rues v ides de la v ille.

2.le piÇ g e

L a v ue d’Arthur se trouble, quelque chose en m odifie la sensation. Il essaie de se r• v eiller, m ais il ne v oit qu’un esp ace blanc l• gƒrem ent gris• tout autour de lui, et d’un coup une v oix tonne. — L’em p ereur M ing t’attend, terrien !p uis le silence. Arthur se m et debout, en • tat d’alerte, se rendant v aguem ent com p te qu’il • tait assis sur une chaise ou un fauteuil inv isible. Ž Q uel em p ereur M ing ? L e fauteuil a totalem ent disp aru et il t•te autour de lui sans rien trouv er. Tout autour de lui c’est v ide, un p eu com m e le rˆv e qu’il a fait derniƒrem ent av ec M arilyn. Il est p ourtant habill• norm alem ent, com m e € son habitude, av ec un p antalon de toile, un cale‹on, av ec ses chaussures en cuir noir, sa chem ise discrƒte, sans v este et il se sent soudain tout € fait d• p ourv u. Pourtant, il y a une v oix dans sa tˆte qui lui dit d’av ancer tout droit, que cet endroit ne p eut p as ˆtre aussi v ide. Alors il m arche tranquillem ent dev ant lui sans v oir aucun p oint de fuite. Tout n’est que brum es. Un instant fugace, il y a un p oint noir en hauteur sur la gauche, dev ant lui. On dirait une tache d’encre. E lle sem ble p rendre la form e d’un corp s, et sans sav oir p ourquoi il p ense au chev al blanc d’Henry IV , qui • tait gris car il • tait couv ert de p oussiƒre. B uc• p hale, B uc• p hale... non, celui-l€ c’• tait le chev al d’Alexandre-le-Grand.

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L E PAYS DU

SOM M EIL

Q ui suis-je, o“ v ais-je, que suis-je ? Autour de lui, c’est le chaos, € cŠ t• de lui s’ouv re un esp ace orang• , on dirait un ap p artem ent o“ il y a quelqu’un, un jeune hom m e • lanc• , v ˆtu d’un p yjam a bleut• , au teint p •le... on dirait p resque le typ e p arfait du jeune hom m e blond, et une v oix qui lui sussure: Ž Ne t’inquiƒte p as, je v ais te guider... † Arthur est interloqu• , la situation est irr• elle, o“ est p ass• M arilyn, et ses bureaux, ses arm oires fam iliƒres. Ici, ‹a ne ressem ble p as € quelque chose de connu, encore m oins € quelque lieu qui p ourrait exister p rƒs de chez lui. Alors, il tente de courir, m ais la fenˆtre orang• e le suit et se m aintient € son niv eau. L e jeune hom m e blond est p ench• sur une table au m ilieu du studio, en train de dessiner v aguem ent quelque chose qu'Arthur ne v oit p as. L e biblioth• caire sent en lui une nouv elle p r• sence, une sorte de chaleur qui lui dit d’ap p eler cette esp ƒce de gars, J• rom agnƒs. E t l€, c’en est trop p our Arthur, il p ƒte un c•ble et d• cide de faire confiance € cette esp ƒce de fenˆtre, cette p ortion du p aysage qui sem ble v iv ante, qui sem ble lui p arler p ar t• l• p athie. Il sem ble € notre biblioth• caire qu’il est l€ dep uis un bon m om ent, p lus ou m oins en com p agnie av ec ce jeune hom m e, ou p lus p r• cis• m ent cette fenˆtre de l’esp ace, et il av ance d’un p as nonchalant tout en p ensant € M arilyn M onroe. Il faut dire que, n’ayant jam ais v u de telles choses, il s’accroche € ce qu’il p eut, et com m e cette fenˆtre de l’esp ace ne sem ble p as v ouloir le quitter, autant ne p as y p rendre garde. Ap rƒs tout, ce J• rom agnƒs p eut ˆtre quelqu’un d’im p ortant, p our lui, ou p eut-ˆtre p our M arilyn. E lle aurait p eut-ˆtre des exp lications. Cela ressem ble un p eu au p ays des rˆv es, quand on se r• v eille sans r• v eille-m atin ou lorsqu’on s’endort, autour il n’y a rien qu’un grand nuage de brum e. Arthur se dit que ‹a ressem ble € Internet ou encore € un dim anche m atin p luv ieux, et m ˆm e p eut-ˆtre € la cam p agne anglaise, enfin s’il ne sait o“ il v a, il ne s’inquiƒte nullem ent, sauf qu’on ne v a p as le v oir € la bibliothƒque aujourd'hui. Ce qui est quand m ˆm e assez em bˆtant. L e gar‹on av ance tranquillem ent, p uis € m om ent donn• , il rem arque que la fenˆtre a disp aru, qu’il est de nouv eau entiƒrem ent liv r• € luim ˆm e. Q uelque p art, il sait que M arilyn saurait exp liquer ‹a... M arilyn, ap rƒs tout,

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VISIONS AU X FRONT I… RES il n’a p as dem and• € s’ap p eler Arthur M iller non p lus. Q ue disait-elle ? Q u’ils • taient com m e les deux faces d’une m ˆm e p iƒce de m onnaie, un p eu com m e le Y in et le Yang chez les Chinois en quelque sorte. C’est v rai qu’il le sent ce d• calage, av ant m ˆm e d’ˆtre biblioth• caire, bien av ant ce concours de circonstances, alors qu’il n'av ait que v ingt-deux ans lorsqu'il est dev enu fonctionnaire. Il est ainsi dans ses p ens• es en p lein conflit int• rieur, quand il sent qu’on lui tap e sur l’• p aule... il jette un coup d’œ il en arriƒre, croyant av oir rˆv • , m ais il n’y a rien. Rien d’autre que cette brum e tenace, dev ant, derriƒre, au-dessus et au-dessous. Alors, il continue € m archer d’un p as nonchalant. Puis, de nouv eau, on lui tap e sur l’• p aule. Il se retourne alors carr• m ent, s‘r de ne p as av oir rˆv • , et il se retrouv e dev ant une im m ense t•che rouge v erm illon... qui change tout le tem p s de form e, elle se contracte, p uis se d• tend. Arthur entend les derniers m ots de la fenˆtre-dans-le-p aysage, Ž Ton d• v elop p em ent ne d• p end que de toi... † D ev ant lui, la form e v erm illon ressem ble m aintenant € un crabe g• ant, av ec d’• norm es p inces. Soudain, Arthur sent que la rencontre n’est p as am icale, et un instant ap rƒs, il court aussi v ite qu’il p eut, € toutes jam bes dans ce m onde ouat• et sans couleur p our m ettre la p lus grande distance p ossible entre lui et le m onstre. Au bout d’un long m om ent, il s’arrˆte, € bout de souffle. Alors qu’Arthur s’interroge, Ž Pourquoi m oi ?... † Il v oit alors € quelques p as de lui ce qui sem ble ˆtre un trou rond. Inquiet quand € son av enir, il s’ap p roche : on dirait un escalier en colim a‹on qui v a v ers le bas. L’hom m e est inquiet, m ais il sait qu’il n’a p lus env ie de m archer ainsi jusqu'€ l’infini... Ce crabe g• ant, et m aintenant cet escalier, p eut-ˆtre bien que ce m onde nuageux n’est p as aussi v ide qu’il le p ara„t ?... Puis, se dit-il, trˆv e de bav ardage, j’ai p resque env ie de dorm ir, je dev rais m ’• loigner un p eu de ce trou, il p ourrait en sortir des gobelins, c• lƒbres p our leur taux de rep roduction • lev • . Non ! Je d• lire, il faut que je m e rep ose, il y a p lusieurs heures que je suis l€. Peut-ˆtre m ˆm e qu’on est lundi m atin, et les collƒgues ne v ont p as m e v oir au bureau. ‚ v idem m ent, j’ai un alibi assez bon, m ais qui y croira ? Arthur s’• loigne du trou jusqu'€ ce qu’il ne soit p lus qu’un p oint € une centaine de p as. E t il se hasarde € p enser : qu’est-ce qui p eut donc v aincre

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L E PAYS DU

SOM M EIL

la fatigue ? Il s’• tend sur le sol qui est, de fa‹on surp renante, confortable. L a fatigue se r• v eille et l’accable. D orm ir, dorm ir... B ientŠ t il est dans un autre m onde: il y a des collines v ertes et des all• es de p ierres, ici et l€ des m aisons bariol• es, jaunes, bleues, rouges et de nom breuses autres couleurs, ainsi qu’une p etite p luie fine. Cette all• e m ƒne aussi € une m aison aux m urs jaunes v ifs. Il y a quelqu’un qui lui tient la m ain. — Tiens, M arilyn... — Com m ent ‹a v a ? dem ande la jolie v oix. — Je... donc, je dors et je rˆv e. Il m ’arriv e de drŠ les de choses... Puis Arthur raconte ce qui lui arriv e dep uis qu’il • tait av ec elle dans l’ap p artem ent ap rƒs le film au cin• m a. M arilyn sem ble r• fl• chir, il s’agit d’un non-tem p s. E lle lui exp lique qu’il n’est p as rare de se trouv er ainsi aux confins de ses p rop res connaissances. Personnellem ent, ‹a lui est bien souv ent arriv • av ant qu’elle ne dev ienne d• finitiv em ent m em bre de l’Instrumentalit•. — C’E ST Q UE TON CORPS E ST PASS‚ D ANS UNE AUTRE R‚ ALIT‚ . — B ien, p eut-ˆtre, m ais p our toi M arilyn, o“ suis-je ? — Sur ton lit, en train de bouquiner, ou p eut-ˆtre en train de som noler. Je ne sais p as, m a p ercep tion est double... E nfin, je ne p eux p as te dire exactem ent o“ tu es car m a fa‹on de te p ercev oir est m ultip le, m ais m oi, je suis en train de faire la cuisine, et je n’ai rien rem arqu• . Arthur la regarde dans les yeux. — Tu crois que c’est norm al ? — • m on av is, oui. Tu... enfin, c’est p eut-ˆtre m a faute, m ais ‹a m ’arriv e souv ent de m archer dans ce genre de rˆv e. Sim p lem ent, le com m un des m ortels oublie tout ce qu’il s’est p ass• dƒs le r• v eil. E t c’est le fait de m e rencontrer dans le rˆv e, ou m ˆm e dans le rˆv e d’un rˆv e qui fixe le souv enir... L e gars que tu m ’as d• crit, J• rom agnƒs, il est blond et son corp s est bleu ciel ; si c’est bien ce que je crois, c’est un • m issaire, tu p eux lui faire confiance. Arthur et M arilyn av ancent sur l’all• e de p ierres. E lle l’a inv it• dans cette m aisonnette l€-bas au bout, d’ap rƒs elle, les gens sont trƒs sym p a, dit-elle, ici, c’est le bon m orceau, ils v ont nous offrir le cake et le chocolat chaud.

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VISIONS AU X FRONT I… RES — Je rˆv e, je rˆv e, je rˆv e... M arilyn, com m ent p uis-je ˆtre dans trois endroits € la fois ?, dem ande-t-il... — Tu v eux dire : que som m es-nous ? dit-elle en riant, Je ne suis p as trƒs s‘re d’av oir la r• p onse, m ais com m e je suis une grande p r• tentieuse, tu p ourrais tout aussi bien te p oser la question de sav oir dep uis com bien de tem p s tu rˆv es de m oi. Tu sais, m oi aussi j’ai des doutes, certains trƒs p rofonds. ‚ tant jeune, je rˆv ais de faire des m ath• m atiques, et p uis j’ai rat• quelques occasions ; com m e toi, je ne doutais p as de la r• alit• , et p uis les choses ont • v olu• . Ne te laisse p as p rendre au p iƒge. Pour l’instant, tu rˆv es, c’est le don d’ubiquit• , p eut-ˆtre que tu as une requˆte s• rieuse € form uler ; les m • andres du tem p s et de l’•m e hum aine p euv ent ˆtre des chem ins infinis. Arthur et M arilyn s’ap p rochent de la m aison. — M e m arier, certes, je ne dem ande p as m ieux, dit-il, m ais je n’ai p as l’habitude, il y a les p arents, l’argent, le trav ail, car sinon, tu as toutes les qualit• s, m e sem ble-t-il. — Seulem ent, on ne se m arie p as en quatre jours, c’est ce que tu v eux dire ? — C’est curieux, il m e sem ble m aintenant que je te connais dep uis longtem p s, m ais je n’arriv e p as € m e dire que tu es v raim ent M arilyn M onroe, que tu sois toute cette... libido... — Ce sont les chem ins du tem p s, p arfois en dix ans, il se p asse un instant, ou bien en trois m inutes, p asse une • ternit• . C’est p our ‹a que je te l’ai p rop os• . L es m oyens de l’Instrumentalit• sont • norm es. M aintenant, nous som m es n• s le m ˆm e jour, au m ˆm e endroit, p ar leurs... m anœ uv res ; donc, nous som m es accord• s, m ais il y a un bout du chem in que tu dois faire seul. Toc-toc-toc, fait le heurtoir contre le bois de la p orte p einte en v ert. Arthur se trouble, il y a p eut-ˆtre quinze ans que j’attends ‹a... Peut-ˆtre m ˆm e encore p lus, cette fille, c’est celle que je v eux ! D ans la m aisonnette, il y a un coup le de p aysans qui les accueille, Julian et Patty ; un p eu rustiques, m ais ils s’y connaissent en hosp italit• et offrent bien v ite le cake aux cerises, et le chocolat • p ais. Pour eux, qui p arlent av ec un l• ger accent, suisse ou belge, c’est une joie de recev oir... Ils nous p rennent p our des v oisins ! Arthur se r• v eille soudainem ent.

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L E PAYS DU

SOM M EIL

L e p aysage, au-dessus, au-dessous, autour, p artout n’est que brum es blanch•tres. L €-bas, il y a une zone gris• e, c’est l€ o“ se trouv e l’escalier en colim a‹on qui descend v ers on ne sait quelle p rofondeur. Arthur a un l• ger m al € la tˆte de se r• v eiller au m ilieu de tout ce brouillard, p ourtant il n’a p as faim . L e crabe g• ant qui lui av ait fait si p eur a ap p arem m ent disp aru. L e gar‹on p ense qu’il a p eut-ˆtre fait une erreur de dorm ir ici, une autre de ces cr• atures du n• ant aurait p u le surp rendre, m ais il • tait ext• nu• . Il s’est • croul• d’• p uisem ent, et rien ne s’est m anifest• ; enfin si, M arilyn M onroe dans son rˆv e. M aintenant, il s’en souv ient p lus distinctem ent ! E t cette question lancinante, Ž est-il en v ie, ou dans un rˆv e, une sorte d’autre p lan? †. M arilyn n’av ait p as l’air inquiƒte. Arthur com m ence € croire qu’il est en transe. Q uelle autre exp lication a-t-il ? •a p eut av oir dur• deux secondes, dix ans, ou un m illion d’ann• es, il p eut av oir dorm i une heure ou p lusieurs jours. S‘r que dans le rˆv e, le tem p s est subjectif. E t p uis Arthur a un bon fond terre-€-terre qui est trƒs inadap t• ici-bas: les dieux, la cr• ation, la genƒse, ou m ˆm e le rˆv e, ce n’est p as v raim ent son dom aine. Certes, se dit-il en arriv ant € l’em bouchure de l’escalier en colim a‹on, je lis beaucoup , je p asse m es journ• es dans les liv res, je suis donc fam ilier du rˆv e, m ais l€ c’est un p eu fort de caf• . Il se t•te un m om ent, p uis se d• cide € descendre cet escalier en p ierre dont l’int• rieur se r• v ƒle bientŠ t • clair• d’une douce lum iƒre dor• e qui v ient de p artout et de nulle p art. Il le rem arque € p eine, com m e il est surtout occup • € ne p as p rendre une gam elle. L a lum iƒre redev ient une brum e blanch•tre et l’escalier-qui-tourne-enrond se term ine bientŠ t. Au-del€, c’est la m ˆm e brum e blanch•tre, laiteuse et nuageuse € p erte de v ue, bien qu’il ne fasse p as froid. L a tem p • rature est en fait relativ em ent constante dep uis des heures si tant est que ce cauchem ar ait d• j€ dur• des heures... Il y a une form e som bre dans le brouillard € quelques p as d’Arthur, une form e hum aine qui s’av ance: Ž B onjour ! dit-elle, je ne v ous m ordrai p as. † C’est un hom m e, p eut-ˆtre un p eu p lus jeune que le biblioth• caire, le p rototyp e du blond aux yeux bleus, — Je m ’ap p elle J• rom agnƒs, et ce n’est souv ent p as souv ent qu’on v oit des gens p ar ici... — M oi, c’est Arthur ! Arthur M iller !

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VISIONS AU X FRONT I… RES Soudain, il reconna„t le gars, c’est celui de la fenˆtre dans le p aysage qui • tait assis € la table et qui sem blait si silencieux. Arthur tr• p igne p resque: — Vous connaissez M arilyn M onroe ?... — Assez bien, en fait. Vous dev ez ˆtre assez nouv eau p ar ici ; com m e M arilyn, je suis m em bre de l’Instrumentalit•, et de m on cŠ t• je cherche E laine..., fait le blond aux yeux bleus. — Q ui donc ? — E laine, E laine, gu• rit ses p eines !E laine, E laine, gu• ris ses p eines ! † chantonne le blond en m im ant quelqu’un qui joue de la guitare. Arthur jauge J• rom agnƒs: — J’ai l’im p ression que cet endroit est un p eu p erdu... — Oui et non, qui ˆtes-v ous au fait ? — Justem ent, je suis Arthur M iller, et si v ous connaissez M arilyn M onroe, v ous sav ez p eut-ˆtre... que... enfin... — Vous ˆtes son choisi ? — B ien, il sem blerait... Vous, c’est E laine ? † L e jeune hom m e blond a les narines qui p alp itent. — Ne m • langeons p as tout : av ec E laine, j’en suis aux p aram ƒtres de la d• tection. J’ai d• tect• son em p reinte, c’est une sorciƒre hum aine dans un m onde qui n’a que faire de ses dons. Je p eux donc m e glisser dans son systƒm e et form er le m onde qui nous entoure € son em p reinte. Je suis un sp • cialiste, v ous sav ez. † L e jeune hom m e fait quelques p as et Arthur l’accom p agne sans s’en rendre com p te. Il est v rai qu’ici ou l€, dans cet univ ers, c’est un p eu p areil. On m arche un p eu en av eugle... J• rom agnƒs p oursuit: — E n fait, p our m oi, ici et m aintenant, il s’agirait de tuer un systƒm e... — Tuer un systƒm e ? r• p ƒte Arthur en sursautant. — D ont v ous faites p eut-ˆtre p artie, qui sait ? M ais, av ec M arilyn, v ous ˆtes beaucoup p lus av anc• . C’est une sœ ur p our m oi et elle a calcul• et s• lectionn• les p ossibilit• s dep uis quatre cents ans. E nfin, p endant quatre cents ans, v ous com p renez, v ous sav ez p eut-ˆtre que le tem p s est relatif... † L e biblioth• caire se rap p elle v aguem ent av oir lu des choses € ce p rop os, on ne sait jam ais si c’est v rai ou faux.

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L E PAYS DU

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— Vous v oulez p eut-ˆtre dire qu’une nuit p eut s’av • rer • ternelle ? — C’est exactem ent ‹a, le contraire, l’op p os• , ou l’inv erse, et nous v oil€ av ec quatre m ondes au lieu d’un sur les bras. D isons que m a relation av ec cette E laine, que v ous ne connaissez p as, est de ce typ e, elle est un systƒm e que je m ’efforce de tuer ; m ais, au fait, je v ous p arle com m e un ancien, m ais v ous n’ˆtes p eut-ˆtre p as un seigneur de l’Instrumentalit• ? — Non, en effet, et cette Instrumentalit• com m ence € m e chauffer les p ortugaises. M arilyn sem ble m ’aim er beaucoup , et p our m oi, elle est p lus qu’un rˆv e, m ais il y a des choses en elle que je ne m ’exp lique p as... — C’est l’am our ! E nfin, je v eux dire, bien s‘r que si elle v ous traque et v ous p rend p our cible, c’est p our v ous incom p r• hensible. E lle est com m e ‹a v ous sav ez, M arilyn, j’ai bien d‘ bousiller deux douzaines de fois son systƒm e, m ais € chaque fois, elle en inv ente un autre. Ah ! L es v oil€. L’œ il d’Arthur suit le doigt tendu, il y a l€-bas un p oint noir € p eine v isible. Arthur se d• cide € aller son chem in v ers ce p oint de noirceur, tandis que cette v erm ine de J• rom agnƒs bredouille: Ž Je... je ne t’accom p agne p as. Il y a la Norstralie et le stroon... du cŠ t• des dinosaures... dans la tente m ongole... GROUIK ! † L e biblioth• caire accom p agne la form e de lum iƒre qu’est dev enu son Ž am i †, et atteint une p orte en bois sans v raim ent s’en rendre com p te. Il a l’im p ression de suiv re une p etite v oix qui r• sonne dans sa tˆte, € p rop os d’un p etit p ont de bois. Son am i faisait de drŠ les de borborygm es ces derniers tem p s, la Norstralie, les dinosaures, et les m ongoles... tout cela n’est p as trƒs clair. Pourtant, on dirait M arilyn, cette fa‹on d’encha„ner les faits, ces conseils, ou la nav igation sp atiale. L e gar‹on finit p ar ouv rir la p orte. On dirait un couloir aux m urs blancs, p lus loin, il y a une form e d’om bre, assise, qui dit: — E h bien, bienv enue dans l’Instrumentalit• ! — Pardon ?dit Arthur. — Je suis le colonel Weddel, et ai beaucoup entendu p arler de v ous, m on gar‹on... v ous ˆtes le double de M arilyn M onroe , m on bon am i. Il n’y a nulle chaise, nul m euble, juste une grande baie v itr• e un p eu p lus claire, et derriƒre ( ou dev ant ? ) : le colonel. Alors, Arthur M iller se force € p enser € de la confiture de groseille, ou de m yrtille, com m e les faisaient sa grand-m ƒre, ou € ses p •tes de coing.

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VISIONS AU X FRONT I… RES L a v oix rep rend, accom p agnant les secousses de la form e som bre du colonel, Ž M oi-m ˆm e, j’ai p our com p agne Jeanne, que v oici... † Rien ne change v raim ent, p ourtant on sent que le ton de la v oix est p lus d• contract• . Une v oix de p etite fille bien • lev • e, se fait entendre, fluette: — E ncore le coup du p etit gros exasp • r• , m on chou ? B onjour Arthur, j’ai aussi entendu p arler de v ous, v ous ˆtes bien un p oisson ?... — Non, un hum ain ! s'am use Arthur M ais, il ne reconna„t p as sa v oix, elle sent l’herbe fra„che du jardin quand on a tondu le gazon. Jeanne se m et € chantonner, — Weddel est un p eu dur, m ais il faut le p rendre du bon cŠ t• . — Nous y v oil€ ! tonne en • cho la v oix du colonel. E t Arthur v oit tout d’un coup les • toiles sur un ciel de nuit p rofonde, et se p ose une question qu’on p eut estim er s• culaire : Ž Q ue som m es-nous ? † Arthur M iller a des im p ressions bizarres. On dirait que la v oix de Jeanne r• sonne dans son cr•ne, p uis il croit com p rendre : elle est t• l• p athe. Un torrent d’im age se d• v erse dans le cerv eau du grand gar‹on. E n v rac, Jeanne exp lique qu’elle • tait un sous-ˆtre d• riv • d’un chien, D ’Jeanne, p uis qu’€ la suite d’une certaine av enture, elle est dev enue une fem m e hum aine. Une av enture qu’on conna„t € trav ers toute la galaxie. C’est alors qu’il v oit des Indiens, des ballons dans le ciel, ces PeauxRouges av ec leurs longs chev eux noirs qui se sont rassem bl• s av ec des banderoles sur une grande p lace dans un endroit nom m • P• kin, p uis l’im age saute encore, les seigneurs de l’Instrumentalit• sont • ternels, ce qui leur v aut souv ent de finir condam n• s € m ort p ar un conseil ou un autre. Cela, c’est l’av enir, un av enir p ossible et dev enu p robable € cause de la p uissance de son em p ire. L €, on a dep uis longtem p s oubli• l’h• g• m onie de la Terre, sauf en ce qui concerne le stroon, une drogue p roduite p ar la Norstralie, l’ancienne Australie du Nord. C’est cette drogue qui rallonge la v ie ind• finim ent de l’hom m e des • toiles. Q uant aux terriens n• s d’une fem m e et d’un hom m e, et non p as n• s p ar s• lection g• n• tique, ils ne p euv ent sup p orter que trois cures de jouv ence, ce qui ne leur laisse esp • rer que quatre cents ans de v ie et de trav ail. M ais, bien souv ent, ils m eurent de p laisir bien av ant !

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L E PAYS DU

SOM M EIL

Arthur v oit deux grands yeux dor• s qui sont p eut-ˆtre ceux de Jeanne. — M arilyn sait ‹a, m ais elle-m ˆm e a du m al € l’adm ettre, car quatre cents ans, c’est trƒs long ; de p lus, elle est dot• e de p articularit• s, et il sem blerait qu’elle p uisse v iv re m ille deux cents ans en com binant les em p reintes et le p ass• . E t p uis elle ne croit p as au bonheur, or c’est ‹a qu’elle v eut de son double, de v ous, trouv er le bonheur des choses sim p les, dit Jeanne av ec un clin d’œ il € Arthur, com m e le colonel Weddel, M arilyn est une p ersonne brillante. Com m e Vom act ou d’autres p rodigieuses p rog• nitures b• nies qui sont dev enues des dynasties de p lusieurs centaines de g• n• rations. L a form e de fille exp lique. Arthur, lui, v oit dans une tache jaune un quelconque consul fum er € une p ip e € op ium , v autr• sur un p arterre de coussins. L’Instrumentalit•, c’est une sorte de p ays qui v oit tout en grand, des chiffres faram ineux, des distances p h• nom • nales, et des dur• es incroyables. Soudain, Jeanne s’arrˆte de p enser, et le colonel Weddel dit: — Voil€ qui est p rˆt ! D es lignes s’estom p ent, quelques couleurs diffuses, Arthur se sent m al € l’aise. Jusqu’au m om ent o“ il reconna„t une toge blanche. On dirait un cur• c• r• m onieux, en train de p rononcer des m ots en latin. Puis, il p rend conscience d’une p r• sence € son cŠ t• gauche, une autre robe blanche, une robe de m ari• e, douce et p esante. — E t si tu p rends m on cœ ur, tu ne m e fais p as p eur, et si tu p rends m on corp s, tu n’as p as v raim ent tort, p er‹oit qui Arthur finit p ar com p rendre qu’il est dans une • glise, dev ant l’autel — ...m ari• s p our le m eilleur et p our le p ire. M aintenant, em brassez-v ous. L e biblioth• caire n’a jam ais • t• exhibitionniste. Il se rend aussi com p te qu’il est en costard trois-p iƒces et que c’est un p eu l’origine de son m alaise. Il jette un coup d’œ il derriƒre lui. Sur les chaises, aux p rem iers rangs, derriƒre M arilyn M onroe, dont la bouche s’av ance, il y a des gens av ec des tˆtes d’anim aux, et p uis c’est l’• treinte. E t il retrouv e celle qui est m aintenant sa fem m e: — Tu v ois, je t’av ais dit que rien ne p ourrait nous s• p arer. Trois jours, c’est court et ‹a p eut ˆtre trƒs long! lui dit-elle.

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VISIONS AU X FRONT I… RES T • l• p athie. Arthur est d• bord• : — M ais, com m ent, qui a d• cid• de ce m ariage ? Il entend causer dans sa tˆte, — Toi, m oi, nous... l’Instrumentalit•. — Non, m ais je v eux rester sur Terre, qu’est-ce qui m e dit que... dem ande le gar‹on. L a c• r• m onie se p oursuit, et c’est bientŠ t la sortie de l’• glise, av ec les confettis et les grains de riz. E t la discussion continue dans le n• ant, des v isions de v itraux v iennent p eup ler l’esp rit de notre bon p etit gars. D ans le silence et l’obscurit• de ses p ens• es, il entend: — Nous sav ons qu’il y a p lus de quinze ans que tu rˆv es de ‹a. M arilyn est l’id• al p our toi, m ˆm e si tu as besoin de t’en conv aincre, laisse p asser l’orage, laisse-toi faire. Alors qu’un p hotograp he s’ap p rˆte € p rendre un clich• des m ari• s et de leurs inv it• s sur le p erron de l’• glise, sa fem m e se p r• p are € lancer le bouquet. • quelques p as de l€, un hom m e m oyen, € la barbe blanche, le cr•ne € m oiti• chauv e, av ale une p oign• e de m • dicam ents. L e d• nom m • D ieu boit dans une bouteille d’eau m in• rale p our faire p asser les m • docs, et dit € v oix basse: Ž Sale tem p s! † Arthur et M arilyn s’• clip sent p lus tard au m ilieu du banquet, v ers les trois heures de l’ap rƒs-m idi, alors que le biblioth• caire com m ence € se dire que v oil€ un week-end bien rem p li ; m ais M arilyn ne l’entend p as de cette oreille. D e retour € l’ap p artem ent, elle m et une lessiv e en route et v ient se coller contre Arthur: — Tu m ’as m ari• , tu m ’as fait danser, et j’ai bien senti que tu • tais excit• , et m aintenant, c’est l’heure des Grands-Parents. C’est p our ‹a que nos inv it• s nous ont laiss• s p artir... — On ne m ’av ait jam ais dit que... p eu im p orte, m ais il y av ait au banquet des gens que je n’av ais jam ais v us, et ces p ersonnes aux tˆtes d’anim aux ? E lle lui fait un clin d’œ il ; elle a v raim ent un v isage d’ange. — Ce sont des am is du sous-p eup le. Si tu av ais m ieux regard• , tu aurais v u qu’ils ont aussi un corp s d’anim al m odifi• . Cela dit, p our la c• r• m onie des Grands-Parents...

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L e gar‹on fronce du sourcil, il a l’im p ression d’av oir p erdu un lieu intim e et aim erait bien av oir un p eu de tem p s p our r• fl• chir € la situation: — Q u• z• z• ? — Peut-ˆtre la p lus ancienne coutum e de la Terre. Tu v as m e faire l’am our... r• p ond cette fem elle qui a m aintenant des yeux absolum ent m agnifiques et trƒs • v ocateurs. — Allons bon, je n’ai p as trƒs env ie. D e p lus, je ne suis p as dou• p our les choses du corp s, les sp orts, ou m ˆm e les activ it• s m anuelles, p roteste-t-il. — Tu sais tenir une fourchette et un couteau ? r• p lique-t-elle. — E h bien, c’est € p eu p rƒs la m ˆm e chose. Je v ais te chauffer ! M arilyn M onroe • treint langoureusem ent Arthur, dont l’esp rit se dissout, av ec une im p ression d’• norm e v ague qui p ousse le v ent v ers la p lage. Son corp s com m ence € r• agir. Il se rend aussi com p te qu’il y a deux sortes de v oix dans son esp rit v ide et liv r• € l’instinct. Il lui sem ble v oir son p ƒre et sa m ƒre € une table qui m urm urent des m ots inaudibles, et M arilyn qui lui dit que nous som m es aux B al• ares aux alentours de l’An de gr•ce 2020. Silencieusem ent, il dem ande des p r• cisions : le 25 juillet 2020, un m ardi, € dix heures trente-neuf et cinquantesix secondes, le tem p s est clair et le soleil brille dans le ciel. Pourtant, dans son cr•ne, il fait bon et m ˆm e un p eu frais. Il y a quelque chose de diff• rent en lui, com m e la naissance de l’esp oir de ne p as v iv re en v ain, p uis il essaie de se concentrer sur le p hysique de sa p artenaire, et sur ces • bats... com m e des robots.

Ap rƒs quelques p ositions p rolong• es et des jouissances m utuelles, l’hom m e et la fem m e sont un p etit p eu affam • s, fatigu• s, m ais la faim est encore p lus forte. Finalem ent, Arthur se d• cide € bouger p our aller chercher une p izza g• ante chez Toni, on y fait des p izzas en face de v ous et elles sont d• licieuses. E n fait, M arilyn p r• fƒre rester € l’int• rieur € attendre Arthur, qui en a p our une grosse dem i-heure € tout casser. Celui-ci s’habille, et lorsqu’il se retrouv e dehors, dans la nuit tom bante, il se sent soudainem ent assez • p uis• . Il av ance un p eu com m e un zom bie, descend les m arches, p uis en m onte d’autres, av ant de p asser sous le p orche de la p harm acie et de longer le p etit square de la p lace. Il ne p eut s’em p ˆcher de p enser que ‹a faisait longtem p s qu’il n’av ait p as tir• un coup , m ais p ourtant, l€, il y av ait quelque chose de sp • cial.

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VISIONS AU X FRONT I… RES Peut-ˆtre que c’est ce qu’on dit chaque fois, m ais il lui sem ble que m aintenant, M arilyn est v raim ent sa fem m e... • lui tout seul, et p our toujours. Il en est tout boulev ers• . Il com m ande la p izza g• ante € Toni et regarde autour de l’estafette-p izzeria € quoi ressem ble cette v ille qu’il conna„t si bien, du m oins p our ce qui est du centre-v ille. Il p ense un instant qu’il n’allait p as infliger € son am ie un sandwich grec. M ais, p eut-ˆtre auraient-ils p u aller soup er en am oureux dans un des trois restaurants chinois, p ar exem p le au D ragon d’Or... ou encore € la p izzeria qui est sur la p lace, des lasagnes, ou autre chose au p esto? B of, et p uis € six euros quatre-v ingt-dix-neuf la p izza de qualit• , c’est toujours une affaire. E n fait, cette soir• e du dim anche soir p asse assez v ite. L es am ants se couchent de bonne heure, car ils se sont bien fatigu• s, d’une fatigue saine et som brent tous les deux dans un som m eil de p lom b. Il faut que le r• v eil sonne p our rap p eler Arthur € l’ordre. M arilyn est toujours l€ et elle ronchonne un p eu alors qu’il d• jeune d’un caf• au lait et d'un croissant industriel. On ne p eut p as dire, en ce lundi m atin que Arthur M iller soit heureux d’aller au trav ail. Il est content de ne p as s’ˆtre absent• de la bibliothƒque € cause de ses • tranges av entures, m ais un lundi m atin n’est jam ais trƒs joyeux, et, en effet, au boulot, la journ• e lui p ara„t longue com m e un jour sans p ain, il env ie p resque M arilyn. Pourtant le m idi v ient, et quand il arriv e chez lui, M arilyn trouv e les m ots p our lui rem onter le m oral en m ˆlant s• rieux et m oquerie: il est v rai qu’Arthur n’est p as biblioth• caire p ar hasard, c’est quelqu’un de tranquille. E t p uis, les collƒgues de bureau v ous ap p araissent p arfois sym p athiques... quand v otre m onde a chav ir• . Plus tard dans l’ap rƒs-m idi. Arthur M iller quitte la bibliothƒque et quelque p art, il sait que M arilyn M onroe et lui ont des choses € se raconter. Pendant ses dix m inutes de trajet, la furie se d• cha„ne sous son cr•ne : am is, ennem is, le v rai, le faux, la m er, l’orage, qui est-il, qui est-elle, et p our quoi se p rennent-ils? Il p asse au tabac acheter un p aquet de M arlboro, il sent qu’il v a en av oir besoin.

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3. ailleurs Un p eu p lus tard dans la soir• e, M arilyn M onroe laisse tom ber le rom an qu’elle est en train de lire. — Arthur, je com p rends ton silence ; tu es p eut-ˆtre un p eu v ex• que je change € ce p oint ta v ie. — Non-hon ! — Alors, je v ais te raconter une histoire qui donne € p enser. Tu m ’• coutes ? dit-elle en s'ap p rochant de lui — V as-y, r• p ond-il l’air absent. — C’est une histoire de reine, qui p arle d’une reine qui s’ap p elait M urielle, c’est com m e ‹a que j’ai p erdu m on identit• . •a se p assait, p ar rap p ort € ton tem p s, le tem p s actuel, il y a dix siƒcles . E n fait, p our m oi, cela s’est p ass• il y a deux cent m ille ans, m ais c’est une donn• e tem p orelle que tu ne com p rendrais p as. Il v aut m ieux que je fixe le p r• sent € la fin du deuxiƒm e m ill• naire et au d• but du troisiƒm e de ce qu’on ap p elle notre ƒre. C’est com m e une longue chanson qui a sans doute • t• • crite av ant les Grecs, p eut-ˆtre m ˆm e av ant le p rem ier • gyp tien, bien que ceux-l€ aient inv ent• l’Instrumentalit•. D es gens com m e nous, des rois, des fem m es, des g• ants, ou des av enturiers, il y en a dans toutes les • p oques. M urielle • tait la p lus belle aux yeux des hom m es bioniques de son • p oque, et elle a • chu € un roi de ton m onde, il y a longtem p s. Celui-l€ n’• tait p as un ˆtre excep tionnel. Pour lui, il y av ait des trolls, des elfes et des nains ; des licornes, des salam andres, des dragons ; des dinosaures, des d• m ons, et des f• es ; la terre, l’air, l’eau, le feu. Une • p oque sanglante que rythm ait le choc de l’acier sur les arm ures. M ais lui • tait le p lus doux, et le p lus bienv eillant des souv erains. Alors, la p rincesse de p resque toute une galaxie, M urielle, est all• e v iv re dans ces tem p s recul• s, p arm i les arri• r• s... qui ne l’• taient p as tant que ‹a.

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VISIONS AU X FRONT I… RES Arthur p ose sa m ain sur le genou de M arilyn, — Tu v eux un th• ? — Oui, ce serait une excellente id• e, et p rend du cake aux cerises dans le p lacard o“ il y a de la confiture. J’en ai achet• cet ap rƒs-m idi, dit-elle. Arthur ouv re le m icro-ondes et y m et deux m ugs rem p lis d’eau av ant de se saisir de deux sachets de th• . Un p eu p lus tard, — Je disais donc que p our ce qui m ’int• resse, ce doux roi lui av ait alors d• j€ fait huit enfants dont certains • taient grands quand M urielle attendit le neuv iƒm e..., com m ente M arilyn M onroe. — Je ne sav ais p as que tu racontais aussi des histoires. E nfin, v eux-je dire, je te connais com m e actrice de cin• m a, et ton nom est honor• dans le m onde entier. Silence, p uis au fond de lui, o“ il y a toujours un cochon qui grogne, il a l’intuition d’une cit• , cit• qui rˆv e, au doux p arfum , hant• p ar des hom m es et des fem m es tout en longueur, au teint liv ide et aux oreilles p ointues. Il cherche... Non, la t• l• p athie et la p arole ne sont p as com p atibles, lui a-t-on dit quelque p art. M arilyn M onroe sem ble av oir une id• e derriƒre la tˆte. — Cette reine av ait le p ouv oir de v oir une p artie de l’av enir, et elle sav ait que ce neuv iƒm e enfant qu’elle allait m ettre au m onde serait l’infim e grain de sable qui ferait p encher la balance, une sorte de Seigneur Jestocost de l’Instrumentalit•. Q uelque chose d’im p ortant p our elle et p our l’univ ers... — Ainsi donc, tu v eux faire un enfant. M oi, tu sais..., dit Arthur soudainem ent soucieux — M ais non, ce n’est p as du tout...E nfin, quand tu v oudras m ’en faire un, nous v errons. Q uand nous nous conna„trons m ieux. Je disais que le roi, M ’Poup a, un hom m e trap u, de taille juste au-dessous de la m oyenne av ec des chev eux blond coup • trƒs court, av ait lui aussi un certain •ge € d• faut d’un •ge certain, et il aim ait beaucoup sa fem m e. Il lui av ait quand m ˆm e d• j€ fait huit enfants, dont certains abordaient l’adolescence, et il • tait com bl• . E n ce tem p s-l€, on disait que le huitiƒm e enfant d’un m agicien dev enait toujours un sourcelier. M ’Poup a av ait • t• m age, un tem p s trƒs court, ou du m oins s’y • tait int• ress• de trƒs p rƒs. M ais surtout, p ar-dessus tout, il souhaitait com bler sa fem m e com m e

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jam ais hom m e, ni elfe, ni nain, ni dieu ne l’av ait jam ais fait. Il fallait offrir un tribut aux p uissances div ines. E t p uis, il av ait ce ch•teau o“ il r• sidait, au cœ ur du royaum e, et qui • tait trƒs ancien. Il courrait nom bre de l• gendes, sur les catacom bes en p articulier . Il av ait bien essay• de m onter quelques exp • ditions p our exp lorer les entrailles de son ch•teau, m ais les av enturiers n’• taient p oint rev enus, ou p lutŠ t si, quelquefois, m ais av ec des r• cits com p lƒtem ent fous, et M ’Poup a n’• tait p as p lus av anc• . Il sem blait qu’il y av ait l€-dessous un centre de m agie activ e, on disait d’ailleurs € ce p rop os: Ž B ienheureux Serait Celui Q ui Trouv erait L es Trois ‚ l• p hants D ’Or • L a Crois• e D es Chem ins Sous L a Citadelle! † Alors M ' Poup a env oyait r• guliƒrem ent des group es d’av enturiers dans ses catacom bes, toutefois beaucoup refusaient le v oyage et les autres disp araissaient . E t le m ystƒre s’• p aississait. M urielle eut une intuition : ce neuv iƒm e enfant • tait • v idem m ent b• ni p ar les p rˆtres, m ais autre chose l’attendait... Sous le ch•teau, une m agie ancienne se m ˆlant au sang norstralien disait que p our fˆter la naissance et p our r• jouir les dieux , il fallait leur sacrifier un • norm e tr• sor de joyaux. L e roi r• fl• chit longuem ent, il • tait un p eu m agicien, beaucoup p rˆtre, et entendait bien ce langage. Il lui faudrait un group e sp • cial, b• ni des dieux, et ses catacom bes liv reraient leur secret! Arthur • coute un m om ent. C’est v raim ent une drŠ le d’histoire que lui conte son am ie, enfin... sa fem m e. Il a du m al € s’habituer € ce term e. Habitude de v ieux gar‹on. Il ne v oit absolum ent p as o“ v eut en v enir M arilyn, des ch•teaux, il y en a beaucoup , ne dit-on p as b•tir des ch•teaux en E sp agne. D ’ailleurs la L oire aussi est p leine de ch•teaux, com m e l’‚ cosse, il y en a p artout en E urop e. E t p uis, cette histoire d’enfant, ‹a le trouble. Il a l’habitude d’• couter la radio le soir, ou de lire, ou encore de regarder le football € la t• l• v ision. Son œ il p asse sur le r• v eil... Il est toujours la m ˆm e heure dep uis tout € l'heure. Il attrap e le bo„tier et le m et € l’oreille. Tic-tac, tic... ‹a fonctionne. Arthur secoue le bo„tier: — Q ue dis-tu ? — Q ue le tem p s est relatif... la toquante ? E lle est € tes ordres, tu p eux d• fier le tem p s et le v aincre. Tu sais, le stroon, ce n’est rien d’autre ; nous nous affranchissons du tem p s, en rem p lissant ses esp aces, et ainsi nous

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v iv ons m ille ans de tem p s objectif. C’est ce que j’essaie de te faire com p rendre, en une m inute, des ann• es p assent. Plus tu br‘les, p lus tu te consom m es, et m oins tu v is, m ais cela p ose le p roblƒm e du p oint de d• p art! dit la jeune fem m e. Au-dessous d’eux, dans le p arc, une forˆt d’arbres dont il ne conna„t p as les nom s, av ec des all• es trac• es et goudronn• es, o“ p asse une estafette. Au-del€ des habitations, les v allons sont forestiers et on ap er‹oit des constructions de p ierres • p arses. Peut-ˆtre un ch•teau € quelques kilom ƒtres. On v ole, le don de l’aigle, Arthur rep ense € la bibliothƒque, les heures qui p assent, un certain m onde, un cŠ t• absurde qu’il aim e! — E t le r• el ? Toi aussi, il te p ose des p roblƒm es?... — Certes, bien s‘r ! L e... euh, r• el, il lui faut une ancre. Un hom m e, la bibliothƒque, l’Instrumentalit•, une loi, un r• f• rent. Tu p r• fƒres p eut-ˆtre aller dorm ir ? dem ande l’ange blond. — Non, non, continue ton histoire, fait le gar‹on M arilyn tourne la cuillƒre dans son joli m ug , il y a une scƒne de B lanche-Neige dessus. — B ien s‘r, le roi et la reine sont p uissants, m ais ils n’ont p as € se com battre. Pour nous, ils sont un m onde • ternel, une esp ƒce de v ille de Troie antique. L e tem p s est structur• ainsi. Je l’abandonne un tem p s, et qui p eut v raim ent m e dire qu’il a continu• € v iv re ? Tu disp arais, le tem p s s’arrˆte, tu r• ap p arais, le tem p s rep rend. Pile ou Fesse ? Arthur M iller a du m al € s’endorm ir, alors que M arilyn som m eille et • m et une resp iration r• guliƒre. L e v oil€, seul... confront• € quel p roblƒm e ? Il est bientŠ t m inuit, et il faut qu’il dorm e. Il se lƒv e, v a un p eu dans la cuisine. Il n’y a p as v raim ent de solution, il v a v ers le m euble de l’entr• e, un m euble haut et • troit qui faisait p artie de l'ancienne bibliothƒque de sa grand-m ƒre. Il p rend la bo„te de som nifƒres et h• site un instant. •a risque de lui p lom ber le som m eil, et adieu les rˆv es, m ais il faut faire p reuv e de sagesse, il v aut m ieux qu’il dorm e p lutŠ t que de rester ainsi € se tourner et € se retourner dans le lit. Com m ent p ourrait-il faire ? Pour lui, l’existence est dev enue une question, av ec d’• tranges m ots, couronne de fer, citadelle v olante, il p ense € ces futurs qui sont p eut-ˆtre des p ass• s. Peut-ˆtre qu’en v • rit• , lui et M arilyn se sont d• j€ connus. C’est

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sans doute une affaire de souv enirs. Arthur a d• j€ • tudi• ‹a € titre p ersonnel, m ais il y a des barriƒres qu’il n’a p as p u p asser. D es gestes de sauv egarde en quelque sorte sur la v oie de la folie, m ais p our quoi, p our qui ? Il v a se p asser un p eu d’eau sur la figure dans la salle de bain. Ž T ’es qui toi ? † se dem ande-t-il en regardant le m iroir. Il se fait une grim ace et rebrousse chem in, sans bruit se recouche, et finit p ar s’endorm ir. — Tiens ! •a y est, tu es l€ ?soup ire la form e longiligne un p eu jaune. — Je... euh, je rˆv e, c’est bien ‹a ?r• p ond-il, en soufflant sur son th• encore trop chaud. M arilyn p ara„t trƒs calm e, — Oui, p our ainsi dire. Tu as besoin, € la v ue du r• v eil, d’av oir dorm i, alors tu libƒres des substances toxiques qui p rov oquent l’oubli. Plus tard, au sein de tes routines, tu p rends les d• cisions... Wouf ! Je connais le corp s hum ain, j’ai fait de la biologie et de la p sychologie ensuite, je suis aussi dev enue folle, alors disons que je ne suis p as av ec toi seulem ent p ar hasard. Concours de circonstances...Co‰ncidence...Accident...Passager av eugle d’un destin hors de m a p ort• e. Com m ent m e p r• fƒres-tu ? L e biblioth• caire n’h• site qu’un instant: Ž Heureuse ! †

Un autre soir. L a v ie p our Arthur M iller, se dit-il, n’a p as v raim ent chang• av ec M arilyn, et il y a une com p licit• certaine entre eux deux. Pourtant, com m e une p laie ouv erte, il y a quelque chose qui fait m al. M arilyn a encore des choses € faire toute cette sem aine, lui dit-elle. — Rˆv e ce que tu aim erais ˆtre. Sur ce p lan, tout nous est ouv ert, m ˆm e les hyp othƒses les p lus folles... Si tu v eux une m aison de rˆv e, je p eux le faire, ailleurs, sous les Trop iques, en Guadeloup e ou € Tahiti. M es p ouv oirs sont im m enses quand on com p are € une sim p le v ie d’hum ain de soixantedix, ou disons quatre-v ingt-dix ans. Je connais le tem p s, c’est l’Instrumentalit• qui m ’a chang• € ce p oint-l€. Il y a longtem p s, on l’ap p elait l’E ternit• , et elle dure dep uis AlbertleGrand, un roi allem and des siƒcles som bres, nous som m es les descendants des alchim istes et des sorciƒres... enfin, € m on niv eau. M oi aussi, je cherche le bonheur, et celui-ci, il est dans ton cœ ur. L 'heure p asse. Allez, il faut aller se coucher m aintenant, enfin, ou p lutŠ t som brer dans le som m eil p rofond . L a bibliothƒque, Arthur fait la grim ace. L a biblio-

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VISIONS AU X FRONT I… RES thƒque, il y a p eut-ˆtre quelque chose de p lus p rofond. E t m algr• lui, il p ense € ce charm ant v illage o“ il se trouv ait quand son p ƒre a disp aru. L a v ie av ait • t• dure p our sa m ƒre et sa sœ ur. Rilhac-Rancon, c’est le lieu de ses rˆv es, il y a souv ent p ens• , p uis laiss• tom ber, et v oil€ que c’est p ossible. Il rev it sa p rop re m ort : il enfile son p yjam a, s'endort bientŠ t, p uis v ient le rˆv e, com m e il s’y attend d• sorm ais. M arilyn p orte une robe jaune d’or, et ensem ble, ils d• am bulent dans la cam p agne, Ž Ces av enturiers env oy• s p ar le roi et la reine se sont enfonc• s dans les catacom bes, et ont d• bouch• sur un m onde • trange, € la crois• e des p lans. Ils y ont v • cu des av entures tout aussi • tranges. M urielle est un oracle, elle v oit le futur, m ais il est difficile d’assum er un tel don. E lle av ait • t• • lev • e dans l’esp ace. Ce fils qui allait v enir faisait d'elle de nouv eau une Norstralienne av ec une v ue p articuliƒre sur l’esp ace, sur la v ieille Terre: son esp rit se confondait av ec un de ces longs v aisseaux dor• s de p lusieurs m illiers de kilom ƒtres. Q uand son b• b• cognait dans son v entre, elle rev enait dans l’esp ace, reine de p lusieurs m ondes, qu’elle ne connaissait d’ailleurs que p eu. Ses conseillers lui p arlaient de situations auxquelles elle ne com p renait rien. Un hom m e serait dev enu fou, m ais elle se cram p onnait p our son b• b• . D ans le m onde de fantaisie o“ v iv ait le roi M ’Poup a, il fallait satisfaire les dieux, et elle sav ait qu’il fallait une m ontagne de diam ants p our • touffer les noires p uissances, alors seulem ent le b• b• , B ernardin, p ourrait grandir et assum er un av enir grandiose, av ec sa m ƒre , p uis loin de sa m ƒre... C’est une histoire • trange. † E nsem ble, Arthur et M arilyn d• p assent un cham p d’herbe v erte o“ p aissent des m outons. Com m e il est bon de sav oir que M arilyn v eille sur son som m eil. M aintenant il est m ari• , et Arthur n’en a rien dit € ses collƒgues. Il com m ence € les v oir com m e des m asques de cire. Se p eut-il que, dep uis quinze ans, il v iv e une v ie aussi triste. Au trav ail, il s’im p atiente. B ien s‘r, il a son bureau, son ordinateur, ses lettres € tap er, sa resp onsable qui lui donne le boulot € faire p our la journ• e, la v ie de la v ille, et les gens de la m aison, m ais il se languit d’elle et il d• p rim e. Parfois, il p ense au roi et € la reine, € son existence si triste, € la m aison de ses rˆv es. Q uand il av ait onze ans, sa v ie a bascul• , Franck, son p ƒre ing• nieur s’est suicid• .

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Chaque soir, il rˆv e av ec et de M arilyn M onroe... et finit p ar accep ter le fait que c’est p eut-ˆtre cette sym biose qui a fait d’elle une star com m e elle le dit, p ourtant, les autres aussi connaissent l’actrice, la p •le actrice. E t p uis, ce qu’elle dit, que doit-il croire ? Il a env ie de disp ara„tre, cette fem m e est si • trange. Il n’entend m ˆm e p as Yam ina, sa collƒgue, quand elle lui dit qu’elle le trouv e absent. Il v eut... il doit sans doute coup er les p onts, s’enfuir dans cet instant de bonheur. Pourtant, sans la bibliothƒque, sa v ie n’est qu’une p artie p erdue, et v oil€ ce rayon de soleil. Tous les soirs, ce soir aussi, M arilyn est trƒs en form e, elle lui conte sa curieuse histoire un long m om ent, et il m arche sur d’autres terres. E lle est m anifestem ent trƒs d• brouillarde car le com p te d’Arthur s’est accru de p lus de cinq cent m ille dollars... c’est un coup de M arilyn qui a m anifestem ent des ap p uis cons• quents p our p ouv oir r• aliser ce tour de p asse-p asse. Tandis qu’elle raconte, il r• fl• chit. Pourquoi ne p as p rendre une ann• e sabbatique, ou un cong• sans solde de longue dur• e, ou se d• clarer m alade p our toucher une rente ? Il n’y tient p lus, il v eut p artir loin, p our toujours. Ž Cette conscience sp atiale rendait M urielle instable m algr• les attentions de son m ari. L e futur b• b• sem blait av oir une em p athie av ec l’univ ers, il luttait av ec les av enturiers qui erraient dans des contr• es lointaines. M ’Poup a grom m elle, cet enfant est une folie... des gem m es, o“ y en a-t-il, il y a longtem p s que les nains les ont trouv • s. L es catacom bes... il est d• j€ dur de v iv re ici , alors sav oir ce qui se p asse en dessous! M urielle resp ecte le silence, p uis dit que p ersonne d’autre ne s’est p r• sent• . Il fallait s’y attendre, tes catacom bes ont leur r• p utation, p ire que les sep t enfers. M ais les av enturiers de ce p etit group e, v iv ent-ils encore? Parfois, je sens les p ouv oirs de B ernardin, sa conscience se m • lange av ec les m ondes qui s’interp • nƒtrent. Il les guide € leur insu. Je v ais m ettre au m onde un dieu. L e roi garde les m ains crois• es dans son dos, et ajoute : ‹a nous conna„t ces choses-l€. Q u’il soit b• b• ! Q u’en dit ton Instrumentalit•, M urielle ? L a reine p ose ses m ains sur son v entre, et r• p ond : il est diff• rent de nos autres enfants. Pour une fem m e, av oir un enfant, c’est ‹a : le m onde dans le creux de sa m ain. L a m ƒre le croit toujours excep tionnel, m ais B ernardin ne doit p as ˆtre un m onstre ou un diable, c’est p our cela que je t’ai dem and• de p rendre ces av enturiers.

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VISIONS AU X FRONT I… RES Si m es augures sont justes, ils • criront une p age de l’histoire de ce royaum e, que les • toiles oubliƒrent... M ’Poup a, l’ancien p rˆtre p ousse un soup ir, on croit toujours qu’on v a sauv er le m onde, • go‰sm e, • gocentrism e. J’ai bien des resp onsabilit• s M urielle, alors, je p r• fƒre te croire... † Arthur se m orfond un p eu, il sent que d’infim es d• tails ont chang• . Cette fem m e, M arilyn, est un d• m on, m ˆm e l’argent ne l’effraie p as, le v oil€ libre, lui, Arthur , m ais il a p eur de quitter son p oste € la bibliothƒque et de ne jam ais rev enir. Il se v enge alors sur un yaourt 0% € l’ananas. Sa m ƒre, sa sœ ur, sa dem i-sœ ur, la fam ille de son oncle et de sa tante, ses cousines, sont les sym p tŠ m es d’un m onde im p arfait. Arthur M iller est m aintenant av ec M arilyn M onroe dep uis p lus de quinze jours et il se p ose de drŠ les de questions en ce soir de surgel• s de p oisson € la bordelaise. — Pourquoi M arilyn, p ourquoi m oi ? — Ton cas n’est p as unique Arthur ; nous cherchons tous l’•m e sœ ur et av ons du m al € y croire quand elle est l€. Pour toi, ce nom cristallise des haines et des p assions, alors tu as p eur de t’engager. Tout com m e m oi, ce n’est p as € trente-six ans qu’on change ses habitudes. Tu es fonctionnaire, c’est ‹a ? — Oui, un jour, j’ai eu un p eu de chance et je ne v eux p as tout p erdre. Ton nom , et ce que tu m e racontes, les loup s des • toiles, l’Instrumentalit•. C’est com m e du foin. Q uand j’essayais de m e faire r• form er de l’arm • e, on m ’av ait dit : p arfois il faut v iser p lus haut p our atteindre sa cible. Je sais que Rilhac-Rancon, cette grande m aison, c’est m on but, m ais j’ai • v acu• . — Tu as achet• des biƒres, Arthur, j’ai v u. — Oui, j’ai env ie de m e bourrer la gueule, m es am is du tem p s jadis n’• taient que des balises p our arriv er jusqu'€ aujourd’hui. M ais, c’est p ersonnel. E t toi, M arilyn ? — M oi, j’habitais dans un studio, dans une banlieue-dortoir, p uis j’ai dit oui au colonel Weddle, ses tap isseries ros• es, ses coussins confortables, ses tasses € caf• , et je suis p artie p our toujours, com m e em p ort• e p ar un coup de v ent. Je suis p artie dans un autre m onde p lus sublim e. — M arilyn, tu m ’as dit que cette reine M urielle a eu cet enfant, B ernardin ? Un dieu, il p rot• geait le group e d’av enturiers et les guidaient selon

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ses fantasm es, com m e un b• b• qui exp lose d’• m otiv it• . Il les a fait rev enir, n’est-ce p as ? — Peut-ˆtre Arthur... Tout est li• , nous autres ne p ouv ons p as nous d• p asser im p un• m ent, la p eur est m ƒre de toutes les loyaut• s. Tu p eux en conclure ce que tu v eux, p ourquoi sont-ils rev enus ? Pour sortir d’un cercle qui • tait dev enu v icieux. C’est sans doute le b• b• qui les a guid• s hors des catacom bes du p ƒre. E t, p uis, p eut-ˆtre qu’il est inutile de p artir € l’infini, qu’il v aut m ieux rev enir au p oint de d• p art, oui Arthur, p ourquoi... — Rilhac-Rancon, c’est l€ m on p oint de d• p art. Tout m ’est p erm is et je v eux aller m e rep oser l€-bas. Cette grande m aison, elle a s‘rem ent des locataires. C’est un autre rˆv e. — Fais-m oi confiance, Arthur, si tu te d• cides, alors je r• aliserai ce rˆv e. Il faut que nous ayons la p aix, dix, v ingt, soixante ans de v ie de routine. • tre norm ale, tel est m on esp oir. Une de ces longues soir• es... E t un jour, dans son som m eil, alors qu’il rˆv e, Arthur est p ris d’une folle crise d’• gocentrism e. M oi, m oi, bien s‘r, m oi. E lle n’est p lus l€, et je m e regarde. Q ue v euxje v raim ent, ici tout est p ossible. Je n’ai jam ais eu conscience de m oi av ec une telle acuit• . Je rˆv e, tout • v eill• , je rˆv e et si ce rˆv e p eut enfin se concr• tiser, p ourquoi ne p as p artir ? Voyons, j’ai d• p os• une dem ande de cong• sans solde p our un an. M aintenant, je p eux p artir d’un instant € l’autre. Annick ne m e le refusera p as, ‹a a • t• un p eu difficile € exp liquer, et j’ai m enti, m ais tous ont v u que je n’• tais p lus le m ˆm e ces derniers tem p s. Je n’ai m ˆm e p as eu le courage d’annoncer € m a m ƒre qu’elle av ait une belle-fille, d’ailleurs, est-ce v rai ou faux ? Certes, on est p ass• € l’• glise, m ais il n’y a aucun docum ent. L €, je suis seul, enfin seul, alors faut-il rom p re ou se laisser p orter? C’est cruel. Ce roi, cette reine, c’est m oi, une lutte • ternelle. Pauv re p etit, qu’est-ce qui m ’arriv e... je n’ai p lus m a p lace, le v ieux c• libataire doit disp ara„tre € jam ais. M arilyn, c’est ‹a que tu p r• p arais ? Un d• chirem ent ? Je n’existe p lus, je m e suis dilu• , PARTIR, p artir un jour, p artir p our toujours. E t com m ent s’est-elle p ay• cette v oiture? E lle aussi est fragile, elle attend un signe de m oi. M ais trop , c’est trop , j’ai trop l’habitude des liv res et de ce p etit traintrain. Q u’irais-je faire € L im oges ?

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VISIONS AU X FRONT I… RES L a lutte se p oursuit encore longtem p s, encore un instant, com m e deux dragons s’affrontent sous nos p ieds. Personne n’a de r• p onse et Arthur se sent v aincu. Cette satan• e fem elle a raison, il m e faut une autre v ie, il m e faut tout recom m encer. E t il v oit la m aison de ses grands-p arents € Toulouse, quand il av ait v ingt ans, qu’il av ait encore des trip es. Il a d• barqu• com m e ‹a, € l’Univ ersit• p our faire de la p sychologie, un p eu sur un coup de tˆte dont il ne s’est jam ais rem is. Il rev oit ses am is, le canap • , les fauteuils, la grande t• l• v ision, la chem in• e, les fusils p endus au m ur, la v ieille p endule ouv rag• e, l’abat-jour p rƒs du radiateur... Il rev oit son grand-p ƒre et sa grand-m ƒre, Ž V as-y, essaie si tu crois que tu le p eux. † E nsuite, c’est l’arm • e qui a foutu sa v ie en l’air € la fin de son sursis. Une fois, deux fois, les v ies se confondent, il se souv ient du sergent et de ces cam arades idiots en v ert kaki, alors qu’il a • t• exem p t• . Une v ie, une carriƒre m ilitaire, enfin non, c’• tait juste p our rigoler. E t p uis, il a ap p ris des trucs, sur les arm es, et € v iv re € la dure, les m arches forc• es. M ais non, p uisqu’il a • t• exem p t• ! Q u’est-ce que ‹a v eut dire, et cette obs• dante question, qui suis-je ? Oui, la v ie a chang• p our Arthur. Ce soir, deux assiettes de riz cantonnais av ec des nem s au p oulet. Il com p rend un p eu cette histoire que lui raconte M arilyn M onroe, c’est com m e une toile p einte p ar un habile p eintre. Il conna„t la fin : les av enturiers ont v oyag• entre les p lans durant p lus de quatre m ois, et sont finalem ent rev enus, com m e p ar m iracle, couv ert de joyaux. Il en est ainsi p our tout le m onde, on rep asse toujours p ar son p oint de d• p art. L’enfant a p es• de tout son p oids sur la r• alit• des env oy• s, les guidant et leur faisant subir des • p reuv es. Nous v iv ons tous com m e ‹a. Rem arque, ricane-t-il, je p ourrais aussi faire un enfant € M arilyn, m ais il a du m al € rire. L a grande salle du trŠ ne av ec ses colonnes sur les cŠ t• s, ces m urs de p ierre qu’il im agine, le roi, cette reine, le cellier, les serv antes, la table du banquet, les cuisines, les m arm ites, les cham bres et les drap s blancs sont dev enus com m e une drogue p our lui. Ses rˆv es, il ne les av ait jam ais crus, et v oil€ que tonne le tonnerre et exp lose la bom be. M aintenant, av ec M arilyn, Arthur v it dans les rˆv es ; ils sont concrets eux aussi, et il se sent con. — Tu sais, j’ai env ie de rep artir au d• but, l€ o“ m ’ont am en• m es p arents, dans cette m aison de rˆv e, € Rilhac, p rƒs de L im oges...

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M arilyn lui sourit com m e un ange, p arfois rien que son sourire v ous ferait griller au barbecue! — Tes p arents... C’est p ossible, m ais p as encore, il faut que je fausse des codes dans ton p ass• . Voyons, tes p arents, tu v eux dire, ceux qui t’ont m enti ? — Com m ent ‹a, m enti ? — Tout le m onde m ent, ton p ƒre n’est p as m ort com m e tu le crois, ou v eut le faire croire ta m ƒre. Il a chang• , ce qui finalem ent rev ient un p eu au m ˆm e. Tu ne m e crois p as ? Il est m ort € cet •ge, non ? V ers trente-six ans... Q uand je n’• tais qu’€ la frange de ta conscience, et j’en suis m aintenant le centre, c’est ‹a la m ort ! — T ’arriv e-t-il donc d’av oir tort ?dit le biblioth• caire, p erp lexe Il a le v isage s• rieux lui aussi, m ais en M arilyn quelque chose • clate de rire. D ’une v oix douce, m ais ferm e, elle dit: — M ais, bien s‘r, autant que toi. Sinon, je ne serais p as l€, p our m oi tu es le v ieux sage de la m ontagne... — Ce n’est p as trƒs flatteur ! Arthur r• ajuste l’oreiller. D ’habitude, il lit un liv re, de la science-fiction ou des m agazines sp • cialis• s, m ais m aintenant, ces discussions av ec M arilyn lui p rennent beaucoup de son tem p s. E n p lus de quelques crises! — Je t’aim e, ajoute-t-il. — E m brasse-m oi ! r• p lique-t-elle.

E ncore p lus tard, les id• es se diluent dans le tem p s qu’ils p assent ensem ble. Arthur a v • cu une m atin• e agr• able € la bibliothƒque. D u secr• tariat et un rap p ort, un p r• -p rojet p our fˆter le v ingtiƒm e anniv ersaire de la bibliothƒque p rincip ale. D es choses qu’il conna„t p lus ou m oins, et p uis € m idi, quand il est rev enu, M arilyn lui a p rom is une soir• e au cin• m a. Il n’im aginait p as la v ie d'un m ari• ainsi. Oui, il y a quelqu’un, toujours quelqu’un, et p uis il n’y a rien derriƒre, c’est un coup de tˆte p our un instant v ide de sens. Pour certains, c’est ‹a, p our d’autres,autres choses, et p uis tout le m onde fini m ari• ! Arthur a assist• € d’autres m ariages, car il habite € deux p as de la M airie: dans l’ancien HŠ tel de V ille, il y a bien au m oins deux ou trois m ariages p ar m ois av ec des gens en costard trois-p iƒces et en grandes et am p les robes blanches. E t aujourd’hui, il l’est aussi, histoire de chap elle.

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— M arilyn, je v eux v iv re av ec toi ! — Alors, tu te sens p rˆt ? Plus de m essages ? com m ence M arylin, intrigu• e — Sexe, drogue, and Rock n’ Roll... — E t la m er, et le soleil. Je sais que je suis difficile € v iv re, seulem ent ni toi, ni m oi n’av ons v raim ent le choix.. dit-elle. L es deux am ants ont aussi ap p ris le silence au cours de ces derniers jours. C’est im p ortant le silence, les odeurs, et les lum iƒres. Parfois, on tom be dans une p luie de couleurs dont on se p la„t € dire que ce sont des confettis. C’est v rai qu’€ trente-six ans, on n’a p as v raim ent le choix, d’ailleurs, € quel •ge l'a-t-on v raim ent ?. M arilyn dit la m ˆm e chose de la libert• . Un m ot p lein de d• cep tion, m ais qui est le terreau fertile de l’esp oir, p our quel futur? Arthur • crase une larm e, — Tu sais, ce que tu dis... € p rop os de m on p ƒre, ‹a fait m al. C’est v rai, c’est faux, m ais ‹a s’est p ass• ainsi... € cŠ t• de la p laque. — Com m e le com m unism e. Une grande id• e qui m et la barre trop haut. Ce que je t’ai dit de l’Instrumentalit•, il faut que nous ap p renions € l'oublier, sinon ‹a dev ient une discip line, v oire m ˆm e une p olice p sy. L’arm oire couleur acajou, le sol en lino couleur sable tachet• , les m urs au p ap ier p eint com m e des grains de bl• ou des p • p ins de p om m es, blancs, le m anteau jaune canari, le p yjam a bleu ciel et bleu fonc• , l’• p urateur d’air, les chaussures rouges € talon, le chien en p eluche, Ž Ap rƒs toi, il n’y a p lus rien † laisse tom ber, sentencieux, Arthur. — Tu v eux donc v raim ent rev oir Rilhac-Rancon ? — Oui ! M arilyn M onroe se rem brunit, — Je fais ce que je p eux, sois un p eu p atient, l’argent, le sexe, et aussi cette gourm andise cosm ique qu’est l’env ie ! E lle offre son sourire: Ž C’est p roche. † Arthur ne sait p lus trop o“ il en est, m ais il a p ris sa d• cision ; assez de bibliothƒque p our l’instant, il v eut exp lorer les rˆv es de son am ie. Il a encore du m al € dire Ž sa fem m e †, c’est un m ot trop charg• de sens et il s’endort tranquillem ent... Soudain, il a l’im p ression de se r• v eiller. Il est au bord de la route, une route ordinaire, loin de tout, il n’y a que quelques habitations, de belles m aisons. L oin de l’enfer de la v ille.

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Il est av ec M arilyn et m onte un p etit chem in. Q uelque p art, le lieu lui rap p elle quelque chose. Il y a ce noisetier, p uis la m aison av ec la bergerie qui se p rofile € flanc de colline. B ien s‘r ! — Nous v oil€ arriv • s, entrons ! dit M arilyn — M ais, ce n’est p as Rilhac-Rancon, c’est notre m aison fam iliale dans le L ot. C’est L oup iac ! — E n tout cas, c’est ce € quoi tu as p ens• , un lieu de calm e et de rep os, p r• cise-t-elle en regardant autour d'elle — D u calm e et du rep os, en effet. Je crois que c’est ce qu’il nous faut, loin des turp itudes du m onde ordinaire. M ais ici, c’est L oup iac, j’y suis v enu p our la p rem iƒre fois € l’•ge de douze ans. Plus tard, la M • m • est m orte et son fils a„n• Claude aussi. C’est m on grand-p ƒre L ouis qui a h• rit• de la m aison, et il a tout transform • € l’int• rieur. • l’• p oque, il y av ait un grenier l€-haut, et m aintenant, il y a trois cham bres et une salle de bain.Puis,ils sont m orts, et m aintenant elle ap p artient € m on oncle Serge et € m a m ƒre Annie. Oui ! Com m e le tem p s p asse , ajoute Arthur. — B on, on ne v a p as coucher dehors, entrons. — Par o“, nous n’av ons p as la cl• ..., dem ande Arthur d’un air niais. — Par le m ur ! † E lle p rend Arthur p ar la m ain et trav erse le m ur € cŠ t• de la p orte com m e un couteau p asse dans du beurre. Ils se retrouv ent tous les deux dans la m aison som bre. — Tu as oubli• que nous som m es des corp s de rˆv e et que la r• alit• m at• rielle ne nous concerne que p eu... — Il faut ouv rir les v olets. Tu sais, ton histoire de corp s de rˆv e m e tracasse, car alors on p eut tout faire, et p ourtant, toi-m ˆm e, tu v eux rev enir dans une r• alit• qui est surtout op p ressante. — C’est une fa‹on de v oir les choses, p ar le rˆv e, on v isite, m ais on ne r• alise p as, ensuite il s’agit de donner du concret € ses rˆv es. Tu dev rais t• l• p honer € Georgette p our qu’elle te donne la cl• , ajoute la fem m e. — Com m ent ‹a ? — Nous p ouv ons rester ici une p etite sem aine. Il y a € m anger, l’eau, l’• lectricit• ,... — E t p our les habits ? D em ande Arthur. — •a, je p eux les im iter. — Oui, m ais dem ain je bosse, non ? finit-il p ar dire.

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VISIONS AU X FRONT I… RES L e soleil entre dans la m aison, — L e tem p s de r• gler quelques d• tails. D ans le rˆv e, nous som m es dans une p oche du tem p s. Il y a la r• alit• et la m • m oire : ce dont tu te souv iens est une fabrication de la v • rit• . Arthur sent quelque chose de p rofond en lui: Ž J’y ai souv ent p ens• ! † — M arilyn, je m e sens m al, dit Arthur. — • cause de quoi ? L e gar‹on laisse un silence p asser, il est sur le lit d’une des cham bres du haut p our la sieste. A L oup iac, on a trƒs bien accep t• leur p r• sence inop in• e, d’ailleurs les v oisins sont loin, il n’y a que Georgette, Nadine, M ichel, L aura, les cousins, qui p ourraient s’en soucier ? M arilyn a fait une ap p arition assez rem arqu• e p arm i eux. — Il y a trois jours qu’on est l€, exp lique le biblioth• caire, et je ne sens p as bien. Parfois je m e retrouv e € l’ap p artem ent, les traits fig• s com m e m ort. L es v olets sont ferm • s, et je suis assis au fond du lit, c’est quoi ? — L a disruption, tu as du m al € t’y faire, car tu n’es p as habitu• . L €bas, le tem p s est bloqu• , tu es dans une stase, com m e m ort, en effet. L e tem p s ne rep rendra qu’€ notre retour. — Il y a beaucoup de choses qui m e sont difficiles. D ’o“ tires-tu tous ces p ouv oirs ? dem ande Arthur. L a m aison fam iliale a chang• dep uis la derniƒre v enue du biblioth• caire, des changem ents p r• v us p ar l’oncle et la m ƒre. L’ancienne cuisine est dev enue un salon av ec le canap • deux p laces de chez Georgette, et la p iƒce qui serv ait de lingerie p our le rep assage est dev enue une cuisine. C’est sp lendide, on se sent € l’aise , il y a de la p lace. Arthur a • t• surp ris, m ais ‹a n’av ait rien € v oir av ec M arilyn. Finalem ent il a t• l• p hon• € sa m ƒre, sans trop sav oir quoi lui exp liquer, m ais il lui a dit qu’il av ait p ris une sem aine de v acances € l’im p rov iste, av ant que M arilyn ne lui exp lique qu’il n’• tait p as v raim ent l€, m ais bloqu• dans le tem p s. Alors, les • v • nem ents s’inscriv ent dans les m • m oires, c’est une p rop ri• t• du tem p s. — Je n’ai p as de p ouv oirs, sim p lem ent, il y a neuf ans que j’ai ce genre d’exp • rience, je suis dev enue un v • hicule. Je n’ai p lus d’existence r• elle, c’est un lourd p rix € p ayer. M ais le m iracle p eut-ˆtre p artag• . Je te fais rˆv er et toi tu m ’aim es..., r• p ond-elle. — Alors, tu te nourrirais de m on hyp oth• tique am our, tu es une sorte de v am p ire...

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— D isons que la libido est une source d’• nergie im p ortante. C’est cette • nergie que tu diffuses € m on p rop os, c’est p our ‹a que je m ’accorde av ec toi. Notre association n’est p as un hasard. D ans m on cas, c’est m ˆm e trƒs • tudi• . M arilyn sourit, quand on utilise de grands m ots, c’est que ‹a v a m ieux. L a cham bre est sim p le, le p lancher a • t• recouv ert de L ino, les m urs et le p lafond couv erts de lattes, une fenˆtre ancienne donne de la lum iƒre. D ans la p iƒce, il y a deux p laces, une arm oire rem p lie de com ics, un bureau, une grande glace, un m euble, deux chaises et un bazar com p os• d’un v entilateur, d’une t• l• v ision ancienne, et d’un m euble en m orceaux, av ec trois ou quatre cartons. Arthur dit : Ž Je com m ence € croire que tu es une p artie de m oi-m ˆm e. † Arthur com m ence € se d• tendre, la v ie lui sem ble nouv elle, il ne p ense p lus € ses collƒgues. Il a longtem p s cru que l’am our • tait une v oie sans issue, ce que tout sem blait d• m ontrer. L ui s’est p resque sauv • : — M arilyn, il m e sem blait que tu • tais m orte en m ille neuf cent soixante-deux... — M orte? — B ien, il m e sem ble..., com m ence-t-il. — L’actrice, tu v eux dire ? — Ce n’• tait p as toi ? M arilyn soup ire: — Sans doute, et sans doute p as. Si tu v eux p arler de l’actrice, il y a p lusieurs... anom alies. M oi, dans m a v ie, il n’y a p as de M arilyn M onroe, m ais il y a un John Kennedy, p ar exem p le. Il y a entre les deux un rep ort de libido. Ces stars, en fait, n’ont p as v raim ent exist• , c’est une sorte de longue l• gende qui s’est inscrite dans la m • m oire com m une. Ainsi, sur ton continuum tem p orel, je suis une actrice connue, alors que dans m on m onde d’origine, je ne suis rien. Je n’ai p as d’exp lication, les croyances, quelles qu’elles soient, sont trƒs... p ersonnelles et souv ent p ittoresques. E lles sont souv ent aussi fort p uissantes. Je te p arlerai p eut-ˆtre de C’m ell, c’est une l• gende qui m ’a ap p ris beaucoup de choses. L a m ort n’a p as beaucoup de sens p ar m oi. Sim p lem ent, je suis v enu p our toi et il est im p ortant que tu l’accep tes. Q u’est-ce que tu en p enses ? Arthur s’im agine quelques ann• es aup arav ant, ici m ˆm e, dans la chaise

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VISIONS AU X FRONT I… RES longue sur la p elouse dev ant la m aison, en train de lire un liv re de Step hen Hawking qui d• frayait la chronique. — Je suis un p eu p aum • , je ne sais p as exactem ent. Tu m ’offres une chance unique et je n’arriv e p as € la croire. Il faut sup p oser que tout v a bien se p asser. M arilyn le regarde av ec de drŠ les d’yeux, p our elle aussi certaines choses sont com p liqu• es. Il lui sem ble quand elle av ait huit ans qu’elle av ait un p etit am oureux € l’• cole, p uis elle a trav ers• tant de p ass• , p our r• • crire des m • m oires, qu’elle ne sait p lus si ce souv enir est un v rai ou un faux. L’Instrumentalit•, c’est com m e une m achine € concasser, qui p eut v ous r• cr• er des souv enirs artificiellem ent, et la p ersonnalit• se dilue com m e une goutte d’eau dans un oc• an com m un. On a beau se dire qu’il faut des certitudes, on a beau p oser des garde-fous, v ient un jour o“ on se fatigue. M arilyn, elle, v eut une v ie redev enue sim p le, et sait qu’Arthur est suffisam m ent fort p our la lui offrir. — Je crois que je com p rends, Arthur... oui, p eut-ˆtre que je com p rends. M arilyn, elle aussi install• e dans une chaise longue, trƒs d• shabill• e, interroge: — Alors Arthur ? — Je p ense de p lus en p lus € m on p ƒre, et € te faire l’am our ! Je crois que je m ’am • liore, c’est norm al av ec l’entra„nem ent. C’est bizarre, j’ai toujours p ens• que c’• tait p lus une hygiƒne qu’un sp ort! — Tu m e rassures ! Il y a un l• ger v ent dep uis ce m atin, il fait bon. D ’autant que la v eille, durant la soir• e, il a p lu, et ici, la p luie, c’est une b• n• diction tellem ent la terre est sƒche. Ils sont allong• s sous le tilleul non loin de la p orte de la grange et des clap iers € lap in, , la v igne € p roxim it• a • t• arrach• e p our laisser la p lace € des chˆnes truffiers. C’est un jardinier du coin qui v ient de rem ettre tout ‹a en • tat € la fin du p rintem p s, un typ e € p roblƒm e d’ailleurs! Arthur rep rend, — Ici, tout m e p ara„t p lus facile. Je ne suis p as quelqu’un d’am bitieux, m ais j’ai quand m ˆm e des rˆv es. M aintenant que je suis av ec toi, je com p rends m ieux m on p ƒre. Je dev iens p eut-ˆtre com m e lui : quand on a r• alis• ses rˆv es, on dev ient am er. D e lui, je n’ai retenu que cet instant tant de

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fois rev • cu, dans l’absolu, j’ai du com m ettre une erreur, m ˆm e si je n’en suis guƒre resp onsable. Ici, on dit que c’est la terre des m erv eilles, des collines, des v all• es, des falaises, et une v • g• tation basse qui surv it m al € une terre trop calcaire, un p aysage d• fonc• de chˆnes v erts et de bruyƒres qu’il a fallu rem odeler au bulldozer et € la p elleteuse p our tracer de routes un p eu s‘res. Tous les • t• s, c’est la s• cheresse et les colonies de cam p eurs, d’Anglais, d’Allem ands et de Hollandais. Il n’y a p as de r• dem p tion, p ense Arthur, m on p ƒre est m ort p our des raisons que j’ignore, il y a v ingt-cinq ans, et je ne sais com m ent l’effacer. Pour m oi, c'est rest• un tourm ent. L e retrouv er, une torture. Sans doute qu’il se croyait libre, d• tach• de sa fam ille. — M arilyn, qu’est-ce que je t’ap p orte dans la corbeille de m ariage ? Tu sem bles tout m ’offrir sur un p lateau d’argent. — Une v ie hum aine, et c’est p eut-ˆtre assez cher ! r• p ond-elle, au bout d'un m om ent. — Je p ensais € une dam e, une duchesse. M on grand-p ƒre, quand sa fem m e est m orte, s’est m aqu• € cette dam e •g• e, qui aurait p u faire de nous, et de m oi, de riches h• ritiers... C’• tait p robablem ent un des choix de ce grand-p ƒre, av ant qu’il m eure. E t cette duchesse... elle • tait v raim ent trop con, av ec ses gags d• p lac• s. Finalem ent, on l’a tous jet• e et on n’a rien eu. E rreur de fam ille, dit p ensiv em ent Arthur. — N’oublie p as tes p arents, je ne t’arracherai p as € eux. Tu sais, ce n’est p as v raim ent le p aradis que je t’offre. E t chacun aura sans doute un effort € faire. — Al• a Jacta E st. Pƒre, p ƒre, quel lien av ec cette sup erbe cr• ature. On ne p eut p as fonder une fam ille av ec une fille trop jolie. Pƒre, p ƒre, qu’est-ce qui t’a p ris en ce jour dernier. Histoire inaccessible ou d’un autre •ge. E st-il p ossible que, ing• nieux p ƒre de deux enfants, on p uisse souffrir de la solitude? J’en connais des gens, seuls, m algr• les p sychiatres et les m • dicam ents. Un jour, on p eut p artir, disp ara„tre, m ais p as € trente-six ans. E t p ourtant, le suicide n’a p as d’•ge. Q uand une v ieille de quatre-v ingts ans se laisse aller, on dit que c’est norm al. Q u’est-ce que la m ort aujourd’hui, c’est la fin de quelques choses, donc sans doute le d• but d’une autre. E t, p eut-elle ˆtre qualifi• e d’injuste? L e

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VISIONS AU X FRONT I… RES v iv ant doit s’assum er, et le m ort... n’est-ce p as un leurre p ratique. R• incarnation ou p aradis, quelle im p ortance, p our ceux qui restent, c’est le p urgatoire, la cur• e et quelquefois l’enfer. L e biblioth• caire se regarde dans le m iroir qui est com m e de l’eau p late : — Si j’accep te la v ie de M arilyn, je v ais m ourir, com m e lui. Com m e d’autres, m ais n’est-il p as tem p s que je p ense € m oi, € m oi seul, que je p renne m a chance ? Je connais trop la r• p onse, c’est oui dans toutes les cases, m on bonheur, il faut qu’il existe p our que je p uisse le donner aux autres. On ne p eut p as rendre les autres heureux si on ne l’est p as soim ˆm e. Je v ais m e d• boucher une biƒre, il y en a m arre du caf• . Am our, l’esp oir v it dans ce beau p ays, nous som m es tous p our, bonhom m e, chanter les v illages et le p rintem p s ! Une v oix v ient des nuages, une p arade au rythm e lent. Resp ire € p lein p oum ons, air p ur, enjoy ! E t dansons, bien s‘r, com m e € la p rem iƒre foy, dansons av ec p etit soleil, sous les drap s, sous la lune ! M angeons le m iel, bonheur on t’aura, p oussons fort, oublions les torts, tu es une... Q ue dirais-je, fem m e, toi te p rendre p our une dam e, ton corp s n’est que r• jouissances, fruit sans d• fense ! B ois am i, tu y crois, n’aie p as p eur, biture-toi ! On fum e ton foin, car ici on rie des choses idiotes, v annes de coiffeur, av ec les p itiotes, ! E t on r• fl• chit m oins ! E t si tous com m e m oi, se tenaient la m ain, se p renant p our un roi, m ontrant ses saints ? D anse et bois, p lutŠ t trois fois, il le faut jusque tard et tŠ t , le bonheur est € ce p rix-l€. Celui-l€ il est en toi ! M arilyn v ient de se lev er, il est neuf heures. E lle fait chauffer de l’eau dans le four m icro-ondes, d’une v ersion d• j€ un p eu p ass• e, se coup e des tartines et sort le beurre. D e son cŠ t• , Arthur M iller, qui se r• v eille aussi dans ces heures-l€ p r• fƒre un bon caf• av ec un p eu de lait, agr• m ent• de biscuits au chocolat. C’est le silence un bon m om ent, p uis M arilyn v a faire sa toilette. Un p eu p lus tard: — C’est L ucien B onnaf• qui disait: Ž si les gens ordinaires ne font p as des choses extraordinaires, les relations de la m aladie m entale et de la soci• t• resteront dans un rap p ort d’exclusion † — E t alors ? r• p ond Arthur — C’est une p hrase qui m ’a m arqu• € une • p oque de m a v ie. Je m ’occup ais de p o• sie dans un club av ec des gens trƒs bien, notre objectif • tait

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de com battre la solitude et nous • tions aux p rises av ec la m aladie m entale. L es choses ont beaucoup p rogress• des derniƒres d• cennies. L e biblioth• caire sourit p ar p rov ocation, il v a m ieux, bien m ieux, alors que la tension se lisait sur son v isage, aujourd’hui il est frais com m e une rose. — E n quoi, ‹a m e concerne ? — Nous som m es tous fous sans sav oir p ourquoi, nous ap p renons € v iv re av ec notre folie. E t ceux qui v iv ent en v ille sont p articuliƒrem ent atteints € m on sens. Ap rƒs-dem ain, nous allons rentrer dans le tem p s p rem ier et rep rendre le cours norm al des choses. Tu sortiras de cet • tat cathartique , ajoute M arilyn. E lle aussi est un p eu dans les v ap eurs, elle ne nie p as qu’elle av ait besoin de ce rep os, p our p enser € autre chose, le m onde lui ap p ara„t nu et v ide. M ˆm e p our une cr• ature de rˆv e, l’exp ression de la v ie est difficile. Arthur grogne, dep uis des jours il lit, farniente tranquillem ent et v it au ralenti, dort beaucoup , et r• fl• chit un p eu : — Tu sais, M arilyn, je m ‘ris m on p rojet... Si tu te donnes € m oi ainsi, ‹a change des choses, beaucoup de choses. Par ta p r• sence, tu r• p onds € des questions anciennes, et il faut que je les digƒre... L e m atin, l’hom m e im agine le soleil qui se couche, l€-bas dans l’autre h• m isp hƒre sur quelques „les du Pacifique. Parfois la v ie redev ient sim p le, il y a de nouv eau un chem in € suiv re. L es brins de laine se lient ensem ble et on p eut regarder le soleil en face sans ˆtre av eugl• , un de ces instants de m agie dont on aim erait qu’il r• sum e une v ie. L e m atin est d• j€ av anc• quand M arilyn M onroe d• am bule sur le p arterre d’herbe qui est dev ant la m aison. E lle regarde l’ancienne bergerie qui jouxte, im p ossible d’en faire une baraque, il faudrait tout reconstruire. — Alors, nous y v oil€ donc, l€ o“ les Ath• niens s’atteignirent... dit-elle € Arthur, tout p roche. — Q ue v eux-tu dire ?... — L’heure de rentrer, il y a p resque une sem aine qu’on est l€, il nous faut retourner au p r• sent! L e biblioth• caire ne p ense p lus, il fum e une cigarette. Ici, il s’est d• brouill• p our faire quelques courses av ec Nadine, sa cousine un p lus •g• e. Il p eut com p ter sur elle, sur son m ari, sur sa m ƒre, et sur quelques autres …

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VISIONS AU X FRONT I… RES Terre des M erv eilles. C’est v rai qu’on s’y ennuie, m ais que le clim at y est agr• able. — Tu v eux dire rep rendre le trav ail... — Oui. E n ce m onde, chacun a une œ uv re € faire, il ne faut p as cracher dans la soup e. M ais, il faudrait ranger un p eu, ferm er les v olets, et ram ener la cl• € Georgette... Arthur bougonne un p eu, m ais deux heures p lus tard, tout est rang• , lav • , asp ir• , balay• , il ne reste p lus qu’€ tourner la cl• sur la p orte. Arthur h• site: — On dev rait m anger quelque chose, j’ai m is la bouffe qu’on em p orte dans les sacs p lastiques. — Je t’inv ite au grec, tout € l'heure. N’oublie p as que notre v oyage ne p rendra p as p lus d’un instant! lance M arilyn. — Y a p as € dire, c’est p ratique ! Arthur rassem ble son courage et p art € p ied, laissant M arilyn € ses r• flexions, v ers le M as del B os, un kilom ƒtre p lus loin, p ar la route. Il a tout ferm • , v olets, p oubelle, v id• o, sacs de courses € l’om bre, • lectricit• coup • e... Georgette est contente de le v oir, c’est sa grand-tante, elle a quatrev ingts ans, se p orte m agnifiquem ent bien, et a beaucoup d’am iti• p our son p etit-nev eu. E lle regrette un p eu qu’il ne soit p as v enu av ec sa fem m e, m ais elle est au courant de tout ce qui se p asse € la Toulousie dep uis une sem aine...en fait, c’est une fem m e extraordinaire. Ap rƒs quelques bav ardages et une tasse de caf• , notre gars laisse la cl• . C’est donc un p eu ap rƒs le m idi qu’il est de retour € la m aison. Il a un p eu p lu cette sem aine et les cham p s ont rev erdi... M arilyn, dans sa robe brune, arriv e de derriƒre la m aison, elle s’est balad• e dans la grƒze. * * *

E lle p rend Arthur p ar la m ain, et le p aysage s’efface, il fait un p eu p lus chaud, il est toujours assis sur son lit. Ils sont de nouv eau dans l’ap p artem ent, un m ardi soir... la bibliothƒque... L e courrier...l’asso... la librairie... la p harm acie... m aintenant, il com p rend son ing• nieur de p ƒre. Il y a des choses qui ne s’effacent p as.

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Arthur M iller se lƒv e, se t•te p our v oir que tout est bien r• el, et attrap e ses sacs de v oyage p our y fourrer des v ˆtem ents. M arilyn arriv e av ec un th• de la cuisine, — Q ue... ? — Je suis p rˆt ! Je fais les v alises, et dem ain je dem ande € Annick cette ann• e sans solde. On p rend ta v oiture et on v a € Rilhac-Rancon ! — Tu es s‘r ? — Tu m ’as bien dit que tu p ouv ais t’en arranger?... alors, je v eux essayer ! Oui, il com p rend cet instant m agique o“ son p ƒre les a quitt• s... Com m e lui m aintenant. Il v oulait... Il v eut... Partir !


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