Les Herbes folles de l'été

Page 1



Les Herbes folles de l'ĂŠtĂŠ


Du même auteur : Couples Nouvelles – 2009 Éditions Keraban Au secours ! Nouvelles – 2009 Éditions Keraban Les Fleurs de l'automne Roman – 2007 Éditions Publibook


David Max Benoliel

Les Herbes folles de l'ĂŠtĂŠ Roman


© David Max Benoliel – 2010 dmben,livre@free.fr ISBN 978-2-917899-29-8 Les Éditions Keraban –2010 2, route de Bourges – 18350 Nérondes contact@keraban.fr http://www,keraban,fr La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utlisation collective et, d'autre part, que les analyses ou les citations dans un but d'exemple et d'illustrations, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.


Herbes folles : Herbes sauvages très légères, tremblant au moindre vent. (LAROUSSE)

Herbes folles de l’été où frémit encore le rêve des guerriers ! Kobayashi Issa (Haïku)

Les herbes fermentent – passe une femme aux seins généreux. Nakatsuka Ipperikô (Haïku)



Chapitre premier

Errare humanum est…

La première fois que je trompais ma femme, ce fut par crainte du ridicule ! C'est en soi ridicule, je l'admets volontiers... Démographe par goût, statisticien par formation, je devins par nécessité professionnelle, ingénieur financier. L’on ne compte plus le nombre de montages que j'ai conçus, plus particulièrement pour de grandes réalisations immobilières. Après plusieurs années passées dans une société de financement, j'ai rejoint une société d'ingénierie qui m'a, d'un projet à l'autre, propulsé de par le monde. Il me vint vers la quarantaine l'envie de créer ma propre affaire. J'y ai assez bien réussi. Hormis la satisfaction matérielle de comptes équilibrés, j'ai eu celle, morale, de voir mes anciens partenaires m'appeler parfois à la rescousse pour des dossiers particulièrement sophistiqués. 9


Les Herbes folles de l'été Cette quarantaine, d'ailleurs, tel l'ineffable Monsieur William des Frères Jacques, j'y étais arrivé « sans fredaine, sans le moindre petit drame ». Sans avoir non plus, tel le héros des « Cloches de Corneville», fait trois fois le tour du monde, bien qu’il n'y ait guère de compagnie aérienne avec laquelle je n'eus pas volé. Si certains voyages avaient parfois attaqué mon équilibre financier, sur des projets par trop incertains, aucun n'avait fait seulement osciller ma vie personnelle. Les œillades des belles alanguies de l'Hôtel Ivoire à Abidjan, ou les trémoussements éloquents des jeunes brésiliennes, attiraient ma curiosité, mais ma curiosité seulement. Je ne pouvais donc m'attendre à ce qu'un banal déplacement à Grenoble puisse remettre en cause mon existence. J'étais marié depuis vingt ans. Pas un mariage bricolé. Un vrai ! À une réunion de famille l'on m'avait présenté à la fille d'un vieil ami de mon père. J'en tombai amoureux fou dans les quinze secondes qui suivirent. Comme les qualités d'esprit et de cœur de Sonia (elle s'appelait Sonia) étaient à la hauteur de ses charmes manifestes, que je ne lui déplus pas, que les familles étaient ravies, nos noces s'ensuivirent après un délai raisonnable de fiançailles. Trois enfants, deux jumelles, Viviane et Morgane, un garçon, Benjamin, exprimaient l'approbation de l'Éternel envers notre union. Qu'envisager de plus, de mieux ou même d'autre ? Pourtant... La veille de mon départ pour Grenoble, je passai la soirée en famille. Je regardai mon épouse en conversation avec nos enfants tandis que montait à mes narines l'arôme d'un single malt de l'Ile de Skye. Une fois de plus j'admirai sa perfection. Sous un court casque de cheveux d'un noir bleuté, 10


Les Herbes folles de l'été un visage ovale de porcelaine chinoise, enchâssant des yeux d'améthyste. Un corps souple et ferme de nageuse. Des puristes pointilleux auraient pu critiquer les mains fermes et les hanches solides, mais j'y voyais les attributs nécessaires de la mère éternelle. Cette matheuse bardée de diplômes n'avait jamais voulu faire carrière, soutenant à l'instar d'autres mauvais sujets que l'ennui naquit un jour de l'université. Un jour elle m'avait demandé de lui exposer la différence entre les actions et les obligations. Mes explications suscitèrent des questions qui m'amenèrent à développer sommairement le fonctionnement du système boursier. Pour un esprit comme le sien passer à la lecture de journaux financiers puis d'ouvrages spécialisés coulait de source. Bientôt la différence entre le rendement nominal et le rendement actuariel était pour elle une notion évidente. Elle effectuait ses premiers achats toute seule au bout de quelques semaines, et se constituait en quelques mois un petit portefeuille de valeurs qui ne fit que croître et embellir. Je me retrouvais donc avec une femme au foyer-d'affaires, et il y eut des périodes où ce fut elle qui maintint l'équilibre financier de notre ménage. La perfectiondisais-je sans songer un instant que cela puisse mettre une distance entre nous. Le bonheur chaque fois que je pensais à elle. Pourtant... Le motif qui m'appelait à Grenoble était la réalisation d'une Z.A.C. comprenant des parties commerciales, des habitations collectives, des habitations individuelles et des équipements sportifs. Le montage financier nécessitait l'obtention d'un équilibre délicat entre des tendances non convergentes et parfois opposées. Parmi les participants au 11


Les Herbes folles de l'été tour de table, je remarquai une dame à la beauté sévère sanglée de fil-à-fil gris anthracite. La jupe de son tailleur austère révélait des jambes rappelant les propos de Cherbuliez comparant les belles femmes et les chevaux de race dont les membres « ronds dans les parties charnues s'affinent vers les jointures où se montre la finesse des os ». La controverse dura presque quatorze heures, interrompue seulement par une demi-heure café-sandwich. La belle dame sévère intervenait avec pertinence pour le compte d'un cabinet d'experts immobiliers. À plusieurs reprises sa démonstration conforta mon argumentation, de sorte que nous trouvâmes alliés sans l'avoir prémédité. La nuit était tombée. Enfin le principe d'un accord fut trouvé à la satisfaction générale. D'habitude les participants à une négociation scellent le consensus en communiant sous les deux espèces dans un restaurant sympathique. Ce jour là, sous des prétextes divers les uns et les autres se défilèrent et il ne demeura que la dame et moi. Nous nous trouvâmes un appétit commun tourné vers le poisson. Un établissement spécialisé, en bordure de rivière, à quelques minutes de voiture, nous fournit moules marinières, dorade grillée et l'arrosage approprié. La dame était non seulement belle, mais spirituelle. Le vin allégea nos propos, et lorsque le dessert arriva à point nommé, elle était beaucoup moins sévère qu'il ne m'était apparu de premier abord. Nous nous retrouvâmes dans la fraîcheur de la nuit, et je lui proposai de la raccompagner avec une galanterie un peu forcée. C'était une première erreur. 12


Les Herbes folles de l'été Arrivés à destination, elle me proposa et j'acceptai de déguster un single cask qu'elle faisait venir spécialement d'Écosse. Cela en était une deuxième. Quand, assis devant la cheminée, elle nicha sa tête sur mon épaule, j'aurais pu encore me dégager par une pirouette et des regrets galants. Vint alors la crainte stupide de la blesser, et surtout de passer pour un de ces hommes au puritanisme voyeur et hypocrite, qui jouent les séducteurs mais n'osent aller au delà de la parade. Je répondis donc en posant ma main un peu tremblante sur un genou gainé de soie, tandis que deux lèvres chaudes embrasaient mon cou. La jupe stricte glissa un peu vers le haut découvrant l'intérieur rose d'une cuisse fuselée. Je flattais de ma paume ce tendre fuseau. Cette troisième erreur fut fatale à ma vertu.



Chapitre deux

Leçon numéro un

Le lendemain j'écrivis mon premier poème. Saül ne comprend rien à la poésie ! C’était une des certitudes de ma famille. Depuis toujours j'y avais été hermétique. Je le vivais un peu comme une tare. J'essayais de compenser en lisant les auteurs anciens, classiques et modernes. Voire des ouvrages savants sur l'art de la rime et du rythme. Rien n'y faisait. Or ce jour là, en voiture, sur l'autoroute, je fus pris d’une sorte de prurit nécessitant un soulagement immédiat. Je m’arrêtai sur une aire de stationnement, me saisis de papier et d'un stylo ; il jaillit ce qui suit : Le tambour a battu De l'aurore à la brune. Les destriers fourbus, Frémissant sous la lune, 15


Les Herbes folles de l'été Hument dans le lointain Les senteurs du sang lourd, Répandu par l'airain Quand battait le tambour. Suivaient seize autres vers de la même veine, je n’ose dire la même eau. J'avoue ne pas avoir été mécontent de ce tambour qui débutait et terminait chaque strophe, leur donnant un rythme ourobore. L’on pourrait s’étonner qu’après une nuit enfiévrée, je n’aie pas été porté vers la poésie érotique, mais il en fut ainsi. Peu versé dans l'interprétation freudienne, cela ne me tourmenta pas outre mesure. Ce fut seulement plus tard, que je réalisais qu'en fait depuis toujours mon inhibition cachait un besoin inassouvi de poétiser. Puisque j'avais violé une obligation grave, celle de fidélité dans le mariage, le tabou mineur m'interdisant la poésie n'avait plus à être respecté. Cela me fit à peu près oublier mon aventure, et je rentrai chez moi plus heureux que jamais de retrouver les miens. Après dîner il me vint l'envie de faire partager à Nadia et nos enfants mes premiers vagissements poétiques. Mauvaise idée. Tous déclarèrent unanimement que c'était exécrable. Je gardai le calme hautain des vieux soldats devant le danger, mais j'en fus ulcéré. Ma seule consolation fut de surprendre quelques jours plus tard ma fille Morgane en train d’apprendre par cœur mon œuvre. Cela n’était pas totalement désintéressé, car elle fait passer ces vers pour les siens à l'occasion d'un devoir de littérature. Son professeur la nota d'un 16 et commenta le poème comme visiblement inspiré de José Maria de Heredia et des Parnassiens !!! La moindre de mes surprises ne fut pas 16


Les Herbes folles de l'été qu’il y eût encore des professeurs de littérature ayant entendu parler de Heredia, mais passons. Malgré cette suite scolaire aussi heureuse qu'inattendue, le peu d’enthousiasme de mon épouse me posait problème. Soyons sincères : je n'en perdis ni le sommeil ni l'appétit. J’eus seulement l’impression de la voir d'un œil nouveau, sinon neuf. À moins que ce ne fut elle qui ait changé. Depuis notre mariage je n'avais pas eu le moindre reproche à formuler : 20/20 en tout. Je me sentais toujours aussi amoureux d'elle malgré la regrettable parenthèse grenobloise. Vis à vis de cette erreur, je n'éprouvais pas à proprement parler de sentiment de culpabilité. L'un de mes prédécesseurs en infidélité, aussi spirituel qu'hypocrite, n'avait-il pas dit, plaidant manifestement l'erreur : « Je ne l'ai pas trompée, je me suis trompé...» J'aurais plutôt cru que l'intuition féminine avait fait renifler à Sonia un parfum de vilenie sur ma personne, si, à la réflexion, son attitude ne me parut remonter à une date antérieure à l'incident. En résumé, ma femme me plaisait toujours autant, mais pouvais-je être sûr que je ne lui plaisais pas moins ? Un examen sous toutes les coutures ne me permit pas de déterminer en quoi j'avais déchu. Mon tour de taille était inchangé. L'âge ne m'avait que modérément ridé. Ma crinière bai brun, malgré quelques poils grisâtres, demeurait rude. Ma consommation (modérée) de single malt n'avait pas augmenté, et celle de tabac blond avait nettement diminué. Mes affaires marchaient bien. Mon humour était inaltéré. Ma libido si elle n’avait jamais été – et de loin – celle du Monsieur-Six-Coups dont Casanova parle dans ses mémoires, se maintenait de façon satisfaisante. 17


Les Herbes folles de l'été Peut-être qu’au niveau de l’innovation, mon existence manquait d'imagination. Je me le pardonnais aisément, invoquant pour ma défense, qu'on ne pouvait exiger d'un homme qui travaillait soixante-quinze heures par semaines, parcourait plusieurs milliers de kilomètres chaque mois, et consacrait le plus de temps possible à sa famille, qu’il puisse en outre introduire beaucoup de fantaisie dans son quotidien. Il me parut cependant nécessaire de témoigner à Sonia une attention renforcée, sinon renouvelée. Sans effort d'ailleurs, car son charme et ses mérites loin d'avoir été altérés par les années, brillaient d'un éclat encore plus intense. Elle parut sensible à mes efforts, et je pus croire que nous avions retrouvé l'élan de nos débuts, sans pourtant m'être jamais aperçu que nous l'eussions perdu. L’affaire de Grenoble, (la Z.A.C., bien sûr) avançait à grands pas, mais ne me demandait que des études et de la correspondance. Je ne dus retourner en cette ville que pour la signature des contrats. La belle experte (en immobilier naturellement) participait à la réunion. Elle me salua avec une courtoisie un peu distante. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me saute au cou en public (ce qui m'eût fort embarrassé), mais j'aurais cru à un petit signe de complicité perceptible pour nous seuls. À l’issue de la réunion, elle disparut en glissant devant moi comme si j’avais été un parfait étranger. Je décidais que cela ne valait pas un mini chagrin, mais méritait quand même une petite consolation sous forme de poisson grillé et de vin blanc. En attendant, naturellement, la grande consolation constituée par le règlement de mes commissions et de mes honoraires. Pendant que je soignais mon amour propre le couvert à 18


Les Herbes folles de l'été poisson au poing, la belle dame plus ou moins sévère pénétra dans le restaurant escortée d'un monsieur à l'élégance grisonnante, banquier de son état et visiblement énamouré. Elle m'ignora totalement, et s'installa avec son cavalier à peu de distance de moi, sans la moindre trace de gêne ni d’intérêt quelconque. J’en éprouvais la reconnaissance que l'on doit avoir envers ceux qui vous enseignent quelque chose de très important. L’art de la guerre a ses lettres de noblesse. Un rouleau de Qumram, au Ier siècle avant Jésus-Christ, enseigne la tactique du combat à pied, premier document, me semble-til, consacré à la reine des champs de bataille : Et après eux sortiront deux bataillons d’infanterie, et ils prendront position entre les lignes. Le premier bataillon, lui, tiendra une lance et un bouclier et le second bataillon tiendra un bouclier et un sabre. Tout cela est plein d’enseignements. Leçon numéro un : en amour, comme au combat, il faut raisonner en fantassin ; lorsqu'on en est réduit au corps à corps, c'est chacun pour sa peau.



Chapitre trois

Diabolicum perseverare

J'aurais volontiers oublié tout cela. Malheureusement, la première faute commise, perdue est l'innocence. J'avais, à ma façon, mangé, du fruit de l'arbre. Je découvrais non seulement que j'étais nu, mais que les autres aussi, étaient peu, mal ou pas du tout, vêtus. La vie s'était déroulée pour moi sans tentation majeure, sans effort de ma part, pour la simple raison que ne voyant rien, rien ne me tentât. Cet état de bienheureux aveuglement m'ayant protégé de toute agression, j'avais pu croire pour mon confort intérieur que je n'intéressais personne, et que la chasteté était la vertu dominante de mes contemporains. Sauf bien sûr honteuses exceptions que l'on montrait au doigt. Mes yeux s’étant ouverts, il fallut bien reconnaître qu'il n'en était rien. La coquetterie seule était insuffisante à 21


Les Herbes folles de l'été expliquer la volonté manifeste de séduction de mes contemporaines. La mode en soi ne justifiait pas nécessairement la transparence des blouses ou la brièveté des jupes. Ce n'était pas l'indulgence ni l'étonnement qui tiraient les regards de mes congénères vers les riantes anatomies ainsi exhibées. Et les échanges parfois vifs qu’ils entretenaient avec les personnes du sexe relevaient plutôt de la parade amoureuse que de la conversation de salon. Mieux (ou pire ?) encore, je me rendais compte de ce que ma modeste personne n'était pas épargnée par l'intérêt du sexe opposé. J'avais longtemps cru qu'être ni un Apollon sauroctone, ni un émir du Golfe, ni un chanteur de rock, me mettait à l'abri des concupiscences. Il me fallut déchanter. Par contre, si je prenais à présent conscience d'une réalité préexistante, ou si ma prise de conscience provoquait le phénomène, demeura pour moi un intéressant paradoxe philosophique dont j'abandonnais la solution aux générations futures. Cependant je n'étais pas suffisamment obtus pour qu'il m'échappât l'abondance de petites annonces par lesquelles Eros, Lesbos et autres Gitons invitaient à l'extase en style télégraphique, voire en abrégé. D. cinq. b. mil. pr. indép. rech. p. échanges et réveillon Mr. sit. eq. + si aff. Ou bien : J.f. 30+ très séd. renc. h. - 40 sportif vue. vac. rom. Caraïbes. Si les échanges prévus pour le réveillon portaient sur des timbres ou des images pieuses, ou si les vacances antillaises devaient être romaines ou romantiques, je le laisse à 22


Les Herbes folles de l'été l'imagination de chacun. D'autres annonces portaient moins à rêver : J. fille 20 ravissante 90-60-90 renc. p. éch. aff. Mr généreux âge indifférent. Sans parler des : Très j.h. tout bronzé prof. art. cherche protecteur compréhensif. dévouement total assuré. O tempora, o mores ! De la solitude cinquantenaire angoissant avant les fêtes de fin d'année, à l'éphèbe offrant ses charmes quasi à l'encan, l'on passait nécessairement par les jeunes femmes cherchant à tirer avantage de leur beauté. Et encore je ne citerai pas la jeune bourgeoise insatisfaite, le monsieur mal marié ou la dame mûrissante affolée par l'approche de la vieillesse. Quel affreux mélange de luxure, de vénalité, de turpitudes, et last but not least, de détresse, répandaient les journaux gratuits consacrés aux petites annonces. Sans parler naturellement des publications dites sérieuses et nouvellement observatrices. Je dois d’ailleurs avouer que, viscéralement, je n'ai jamais beaucoup aimé la presse d'observation en raison du tristement célèbre « Observateur du Peuple », « Der Volkischer Beobachter ». La curiosité malsaine ainsi éveillée me plongea dans les profondeurs glauques du minitel rose. Ce que l’écrit sur papier suggérait, l’annonce informatique le déclinait crûment. Si crûment même que je la soupçonnais d'être un but en soi, et non un moyen de rapprocher des solitudes, si morbides soient-elles. L’avantage de cette exhibition effrénée, était cependant que tant que l’on se limitait, par 23


Les Herbes folles de l'été écran interposé au péché d'imagination, on ne risquait pas d'attraper le Sida. Avant que les écailles ne me tombent des yeux j'aurais été amené à croire que cette prolifération publicitaire était le fait de viveurs, de pervers, de frustrés, voire de détraqués mineurs. À la limite j’aurais admis qu’un esthète désabusé puisse rechercher quelque sensation nouvelle, quelque moyen sordide de réveiller ses sens désabusés. Naturellement, j’avais tout faux. Les quêteurs d'aventures étaient des pères de famille moyens comme moi. Des retraités sérieux comme mon père. Voire des fonctionnaires ennuyeux comme mon percepteur. Et comme le fait de prêter l'oreille parait favoriser les confidences, je recueillis souvent les impressions, voire les aveux, de mes relations. À un déjeuner d'affaires, j'entendis un de mes commensaux expliquer qu'après plusieurs expériences enrichissantes, il avait découvert la partenaire idéale en sa manucure. Cette fort aimable personne lui faisait connaître à chaque rencontre les joies du septième ciel (ce qui dans le langage peu littéraire du narrateur se disait « s'envoyer au plafond à tous les coups. »). Quant aux dames, ce n’était pas mieux. Dans un compartiment de train, je recueillis involontairement les commentaires de deux jeunes élégantes qui échangeaient des appréciations techniques sur leurs époux et amants respectifs, mensurations à l'appui. On ne pouvait certainement dans pareil cas que se référer au mètre-étalon ! De là à imaginer que de telles pensées pouvaient traverser des personnes aussi respectables que le Président de la chambre de commerce, le gouverneur du Lions Club ou ma 24


Les Herbes folles de l'été belle-mère, me plongeait dans des abîmes, que dis-je, des trous noirs de réflexion. Ce fut à peu près à cette époque qu'à son de trompe télévisuelle l’on se mit à inciter tout candidat à la copulation à se munir de protections élastiques. Les belles elles-mêmes étaient invitées à réclamer de leurs prétendants cette preuve ultime d'attention. Ce comportement (à tort certainement dans le contexte), était aussi étranger à mes moeurs amoureuses que la coprophagie à mes goûts culinaires. Je n’avais donc jamais chaussé cet accessoire dont Jean de Seingalt n’ignorait pas l’usage, au siècle pas si lointain où il était fait d'une vessie de porc.J'en étais resté à l'époque où l'on considérait que le plus difficile dans une carrière de séducteur était d'apprendre à retirer son pantalon avec élégance. Pouvait-on demeurer un dandy en effectuant certaines manipulations ? Certes il pourrait être raffiné de se rendre à un rendez-vous tout harnaché, comme un chevalier allant à la bataille, mais cela ne posait-il pas des problèmes de confort ? Dans ma jeunesse folle, bien qu'ayant négligé cette ornementation, jamais Vénus ne m'avait frappé du pied, me faisant échapper ainsi à des injections diverses, en particulier la streptomycine, dont on ne dira jamais assez qu'elle a largement favorisé le développement des voyages, en jugulant sans effort certains risques du tourisme exotique. * * * Chaque année pour l'un des week-ends de Mai, Sonia et nos enfants vont passer quelques jours chez mes beauxparents qui demeurent dans une région de France plus 25


Les Herbes folles de l'été ensoleillée que la nôtre. D'ordinaire, j’accompagne ou je suis. Cette année là, un surcroît de travail me clouait sur place. Lorsque je suis seul dans ma ville, il m'arrive lorsque je suis trop paresseux pour me bricoler un repas, d'aller me nourrir dans une gargote sympathique, à deux rues de mon bureau, ou l'on parle yiddish et mange de même. J'étudiais scrupuleusement la carte en dégustant un tokay lorsqu'une voix fraîche me demanda si elle pouvait occuper la place en face de la mienne. C'était la collaboratrice d'un cabinet d’expertise avec lequel je travaillais de temps en temps. La trentaine avenante, un sourire charmant sous de petites narines frémissantes, je ne pouvais refuser. Elle eut la bonne grâce d'écouter mes conseils pour le menu, et comme je voyais le topaze du vin lui monter aux joues, j'eus l'extrême imprudence de lui demander, sur le ton de la conversation badine : — Que fait donc ici toute seule une femme aussi séduisante que vous ? — Elle se demande si elle va trouver quelqu'un à séduire... — Quaerens quem devoret ? — Je ne suis pas un lion, cher Monsieur, répliqua-t-elle avec un sourire de jeune lionne. — Vous n'en êtes pas moins dangereuse... — Je suis sûre que vous êtes extrêmement brave. — Brave, certainement, mais ni audacieux ni imprudent. Une main longue et bronzée jouait entre nous avec une petite salière, comme un chaton avec une balle. Je ne pus résister au plaisir de la saisir entre mes doigts. Plus tard, dans la soirée, entrant dans une chambre inconnue, revêtu d'un peignoir de bain en éponge blanche qui 26


Les Herbes folles de l'été m'avait été prêté, j'entendis la voix de ma séductrice qui me lançait : — Tu en veux une de quelle couleur ? Je demeurais un instant saisi avant de comprendre. C’était de l’anglaise qu'il s'agissait. Poussant l'expérience, si j’ose dire, jusqu’au bout, je choisis le rose fluo.



Sommaire Chapitre premier.................................................................9 Errare humanum est... Chapitre deux.....................................................................15 Leçon numéro un Chapitre trois.....................................................................21 Diabolicum perseverare Chapitre quatre..................................................................29 La disparition de l’espèce Chapitre cinq......................................................................35 Ébats nautiques Chapitre six........................................................................43 Réflexions mélancoliques Chapitre sept......................................................................49 Concert baroque Chapitre huit......................................................................59 Série noire Chapitre neuf.....................................................................69 Un lièvre en son gîte Chapitre dix........................................................................81 La justice Chapitre onze.....................................................................89 Le ciel sur la tête … Chapitre douze...................................................................99 Civilités Chapitre treize..................................................................111 Mondanités Chapitre quatorze............................................................121 La surprise Chapitre quinze................................................................129 Et tais-toi ! Chapitre seize...................................................................137 Chassés-croisés


Chapitre dix-sept.............................................................147 Back Street Chapitre dix-huit.............................................................155 La fin d’une liaison Chapitre dix-neuf.............................................................165 Les joies du foyer Chapitre vingt..................................................................173 La vie est là, simple et tranquille Chapitre vingt-et-un........................................................183 Cosi fan tutte Chapitre vingt-deux.........................................................191 Sous le pont Mirabeau Chapitre vingt-trois.........................................................201 Gastinne-Renette Chapitre vingt-quatre......................................................211 Du saké à la vodka Chapitre vingt-cinq..........................................................219 Kalinka Chapitre vingt-six............................................................227 Le temps perdu … Chapitre vingt-sept..........................................................237 … ne se rattrape-t-il vraiment jamais ? Chapitre vingt-huit..........................................................247 Apocalypse now Chapitre vingt-neuf.........................................................257 La bouche la plus douce Chapitre trente.................................................................267 Front Street Chapitre trente et un.......................................................279 Premier anniversaire Chapitre trente deux........................................................291 L’homme invisible et le ventre des femmes Si vous avez aimé ce livre .................................................303


Si vous avez aimé ce livre

Si vous avez aimé ce livre, vous pourriez souhaiter faire part de vos impressions à l'auteur, qui les recevrait avec intérêt. Son adresse életronique est la suivante : dmben.livre@free.fr Son adresse postale est : 5, rue des Orchidées 17640 VAUX-sur-MER FRANCE



ISBNn° 978-2-917899-29-8 Achevé d'imprimer en mars 2009 par TheBookEdition.com à Lille (Nord) Imprimé en France

Dépôt légal : mars 2010



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.