Pyongyang
Valentin Potier
Pyongyang Th₏•tre
€ Valentin Potier – 2008 potier_valentin@yahoo.fr ƒ Les „ditions Keraban – 2008 ISBN 978-2-917899-10-6 contact@keraban.fr http://www.keraban.fr 2, route de Bourges 18350 N€rondes * La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alin€as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement r€serv€es † l’usage priv€ du copiste et non destin€es † une utilisation collective et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute repr€sentation ou reproduction int€grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alin€a 1er de l’article 40). Cette repr€sentation ou reproduction, par quelque proc€d€ que ce soit, constituerait donc une contrefa‡on sanctionn€e par les articles 425 et suivants du Code p€nal.
* Photo de couverture : ˆ Juche Tower ‰, Pyongyang
ˆ Big Brother est infaillible et tout-puissant. Il €tait tenu pour €tabli que chaque succŠs, chaque r€alisation, chaque victoire, chaque d€couverte scientifique, tout le savoir, toute la sagesse, tout le bonheur, toutes les vertus, provenaient de sa direction et de son inspiration. ‰ GEORGE ORWELL ˆ 1984 ‰
ˆ Cette seconde dose de soma, aval€e une demi-heure avant la fermeture, avait €lev€ un mur tout † fait imp€n€trable entre l'univers r€el et leurs esprits. ‰ ALDOUS HUXLEY ˆ Le Meilleur des Mondes ‰
Avertissement Cette piŠce a €t€ inspir€e par les t€moignages et les €crits relat€s dans les ouvrages suivants : ˆ Les aquariums de Pyongyang, dix ans au goulag nordcor€en ‰ de Kang Chol-Hwan avec la collaboration de Pierre Rigoulot. •ditions Robert Laffont. ˆ Ici, c’est le paradis ! Une enfance en Cor€e du Nord ‰ de Hyok Kang avec la collaboration de Philippe Grangereau. •ditions Michel Lafon. ˆ Je regrette d’‹tre n€ l†-bas ‰, trois t€moignages de Kim TaeGum, Ko Chin-Gyong et Park Pok-Yol avec la collaboration de Marine BuissonniŠre et Sophie Delaunay. •ditions Robert Laffont. ˆ „vad€s de Cor€e du Nord ‰ de Juliette Morillot et Dorian Malovic regroupant plusieurs t€moignages de r€fugi€s nordcor€ens et de citoyens vivant encore l†-bas. •ditions Belfond. ˆ SystŠme et id€ologie en Cor€e du Nord ‰, thŠse de Cheong Seong Chang. •ditions l’Harmattan. ˆ Cor€e du Nord, „tat voyou ‰ de Pierre Rigoulot. •ditions Buchet Chastel. ˆ Au pays du Grand Mensonge, voyage en Cor€e du Nord ‰ de Philippe Grangereau. •ditions Petite Bibliothƒque Payot/Voyageurs. ˆ Cor€e du Nord, voyage en dynastie totalitaire ‰ d’Alain Destexhe. •ditions l’Harmattan. ˆ Œuvres 2 et 18 ‰, ˆ La litt€rature et les arts r€volutionnaires ‰, ˆ Pour la r€unification de la patrie en toute ind€pendance et par voie pacifique ‰ de Kim Il-Sung. •ditions en Langues •trangƒres. ˆ Explication des id€es du Djoutch€ ‰ de Kim Jong-Il. •ditions en Langues •trangƒres. La Constitution de Cor€e du Nord.
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PYONGYANG La plupart de ces t€moignages sont r€cents et toujours d’actualit€. Le passage avec le Chinois est une maniŠre de montrer les relations diplomatiques et €conomiques entre la Chine et la Cor€e du Nord. L’ex€cution des enfants sur la place Kim Il-Sung est exag€r€e m‹me si ce genre de crime existe ailleurs dans la Cor€e du Nord. L’acte 5 est en grande partie fictif († part la premiŠre scŠne) et permet de garder l’intensit€ dramatique pr€sente tout au long de la piŠce. Pour le reste, il y a trŠs peu d’€l€ments fictifs.
Bonne lecture ! Personnages Pour faciliter la repr€sentation, certains acteurs peuvent interpr€ter plusieurs personnages. Des figurants sont n€cessaires : Song Ten Son pŠre Sa mŠre Sa sœur
Des policiers Des soldats Des gardes Des d€tenus
Un b€b€
Des NordCor€ens Des enfants nord-cor€ens Un Chinois La guide
Jin GaŽ Khwan-So Son pŠre Son petit frŠre
Ashri Des journalistes Un soldat Des Sud-Cor€ens (ouvriers) Un patron
Prologue
LE CHŒUR : – Mesdames, mesdemoiselles, messieurs. La piŠce que vous allez voir ce soir n’est pas une piŠce de divertissement, ni une piŠce comique bas€e sur l’illusion et l’imagination d’un auteur, mais bel et bien une piŠce de d€nonciation bas€e sur des t€moignages r€els concernant un peuple dont le cri n’est pas entendu ou ne veut pas ‹tre entendu de notre part. Ne vous attendez pas † un d€roulement classique avec, au final, une fin heureuse ! Non, nous ne pouvons pas nous le permettre puisque la Cor€e du Nord n’est pas heureuse. Son peuple tout entier est en train de mourir de faim ou dans des camps de travail beaucoup plus vastes que ceux de l’Allemagne nazie, et tout cela gr•ce † une id€ologie † la fois fanatique et sanguinaire autour des deux grands dirigeants Kim Il Sung et de son fils, Kim Jong-Il. Vous verrez des scŠnes violentes et inhumaines mais d•tes-vous que ces gens les vivent tout les jours et les subissent, alors ne jouez pas les victimes et acceptez la v€rit€, m‹me si elle blesse. Certaines de ces scŠnes sont exag€r€es, il est vrai, mais ne sont jamais loin de la r€alit€ et restent dans l'id€ologie nord-cor€enne. Durant toute la repr€sentation, vous serez mis au rang de NordCor€en ! Vous vivrez ce qu’ils vivent ! Et vous verrez ce qu’ils voient durant leur vie ! Alors, par piti€, que la repr€sentation soit excellente ou mauvaise, ne partez pas, sacrifiez une, deux, trois, voire quatre heures de votre vie pour conna•tre ce qui se passe durant une vie nord-cor€enne. Partir en plein milieu de la repr€sentation, c'est vous rendre complice des abus et des crimes perp€tr€s l†-bas. Si vous n'‹tes pas capables d'endurer tout ‡a, sortez tout de suite pendant qu’il en est encore temps, mais lorsque 11
PYONGYANG le rideau sera lev€, vous appartiendrez † la Cor€e du Nord pendant quelques heures, o• toute fuite est impossible. Jouez le jeu, faites ce qu'on vous dit de faire et vous verrez, il ne vous arrivera rien. Je vous rassure, nous n’allons pas vous d€pouiller, ni vous battre et encore moins vous ex€cuter, mais seulement vous demander des choses simples que vous pouvez faire depuis vos places. Ce qui est d€j† un privilŠge par rapport aux Nord-Cor€ens ! Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous souhaite, malgr€ tout, la bienvenue en Cor€e du Nord et maintenant, vous allez r€p€ter aprŠs moi ˆ vive Le Grand Leader Kim Il-Sung et son fils, Notre Cher Grand Leader Kim Jong-Il ‰ ! Si le public ne r€agit pas, il faut insister et s’il ne veut pas r€agir, la pi‚ce doit ƒtre annul€e.
Merci, et maintenant nous pouvons commencer. L’histoire commence dans la province de Chaggang o• une famille est en train de d•ner autour du poste de radio qui retransmet les discours de Kim Il-Sung et de Kim Jong-Il en continu. La radio doit tout le temps rester allum€e, m‹me la nuit, sous peine d’emprisonnement en camp de travail ou, plus simplement, sous peine de mort, selon le caractŠre des soldats ou de la police d'„tat. Dans cette famille se trouve un jeune gar‡on qui va voir un drame se d€rouler sous ses yeux † cause de paroles mal plac€es et d’un acte criminel en Cor€e du Nord. Il s’appelle Song Ten, il a 18 ans. Il doit bient‘t commencer son service militaire aliment€ par la propagande du pays qui annonce que les occidentaux peuvent attaquer † toute heure. Mais le destin va lui jouer un tour d€cisif dans sa fa‡on de penser et de voir les choses. Bienvenue dans l’enfer de ce qu’on appelle, l†-bas, un paradis !
Acte 1 Le r€veil dans le cauchemar 1 Le survivant L’int€rieur d’une maison dans un village nord-cor€en de la province de Chaggang. Une famille €coute la radio en mangeant
LA RADIO : – Dans notre soci€t€ socialiste sans exploitation ni oppression, rŠgne le positif, alors que le n€gatif est pr€dominant dans la soci€t€ capitaliste o• s€vissent l'exploitation et l'oppression de l'homme par l'homme. D'ailleurs, avant l'instauration du r€gime socialiste, il €tait n€cessaire d'exposer, de d€noncer et de critiquer souvent les pratiques n€gatives, car la lutte contre les ennemis de classe €tait † l'ordre du jour et les survivances de l'ancienne soci€t€ subsistaient partout. Au contraire aujourd'hui, dŠs le moment o• le r€gime socialiste a €t€ instaur€, l'unit€ et la coop€ration entre les travailleurs constituent le tissu des rapports sociaux et les aspects positifs y sont pr€dominants : aussi faut-il pr€senter ceux-ci plus souvent que les aspects n€gatifs. Certains de nos €crivains pensent que les œuvres litt€raires et artistiques ne peuvent ‹tre compos€es sans qu'y figure un €l€ment n€gatif. Cela prouve qu'ils ne sont pas encore complŠtement d€barrass€s de l'influence de la th€orie esth€tique bourgeoise p€rim€e. Pr€tendre qu'on ne peut €crire un drame sans qu'on y voie une injustice est une m€thode surann€e en la matiŠre et une th€orie esth€tique bourgeoise. Dans les œuvres litt€raires et artistiques traitant de la r€alit€ socialiste de notre pays et de la vie des travailleurs de notre €poque, il est possible que l'injustice ne figure pas ; il se peut parfaitement qu'une œuvre qui ne renferme que des faits positifs soit d'une si grande valeur qu'elle peut contribuer † €duquer les travailleurs. 13
PYONGYANG Actuellement, dans notre pays, au fur et † mesure que l'€dification socialiste atteint un niveau €lev€ et que l'€ducation communiste des travailleurs s'approfondit, le profil spirituel et moral des hommes change au fil des jours et la noble qualit€ communiste s'€panouit dans tout leur €clat. Il y a quelques jours, un journal a ins€r€ un article €mouvant, qui mentionnait qu'† Sinydjou des travailleurs du service m€dical avaient greff€ de leurs os sur un malade. D'innombrables faits semblables se produisent au sein de notre peuple. Nous devons en profiter pour €duquer ce dernier, notamment la g€n€ration montante. Les €crivains et les artistes doivent en tirer avantage pour cr€er des œuvres litt€raires et artistiques, telles que des films, des piŠces de th€•tre et des romans, et contribuer ainsi largement † €duquer les travailleurs dans les id€es communistes. La t•che importante qui incombe actuellement † nos €crivains et † nos artistes est de d€peindre avec art ces faits positifs et €mouvants pour €duquer les masses. R€cemment, notre drame a atteint un niveau trŠs €lev€. C'est un art efficace, car €tant facile † comprendre et €mouvant vive-ment les spectateurs. ’ l'avenir aussi, vous devrez cr€er davantage de piŠces de valeur et contribuer ainsi largement † €duquer les travailleurs dans les id€es communistes1. C'€tait un entretien accord€ par Kim Il-Sung † des artistes dramatiques aprŠs la repr€sentation de la piŠce l'Aurore le 8 janvier 1964 et rediffus€ par la Voix du Peuple en cette ann€e djoutch€enne 88 (2000). Le Cher Leader Kim Jong-Il tenait † cette diffusion afin que les artistes de notre glorieuse nation continuent sur cette m‹me voie et pour emp‹cher... LE P•RE : – Oh ! La barbe avec cette propagande mensongŠre ! N’y a t-il pas moyen d’arr‹ter cette foutue radio, qu’on puisse 1
KIM (Il Sung), ˆ du problŠme des conflits dans les œuvres litt€raires et artistiques ‰, Œuvres 18, Pyongyang, En langues •trangƒres, 1984, p 56-57.
PYONGYANG manger tranquillement ? Marre d'avoir l'avis que d'un seul homme ! LA M•RE : – Fais attention † ce que tu dis, n’oublie pas que les murs ont des oreilles, qu'on est constamment sous surveillance. Chaque mouve-ment est observ€ et €tudi€, chaque parole est enregistr€e et archi-v€e, chaque pens€e est stopp€e avant m‹me d’‹tre exprim€e et si l’arm€e ou le gouvernement trouvent quelque chose qui ne leur plait pas, alors on est bon pour le peloton d’ex€cution. LA FILLE : – Je suis d’accord avec toi, mŠre. Nous devons rester prudents et ne pas poser cette question de couper la radio. Il ne faut pas oublier que nous sommes surveill€s pour savoir si on l’€coute ou pas ! LE FILS (SONG TEN) : – Comment peuvent-ils faire ‡a ? Il y a plus de 22 millions et demi d’habitants en Cor€e du Nord, il ne peut pas y avoir assez de fonctionnaires pour surveiller tout le monde. LA M•RE : – De fonctionnaires non ! Mais de d€nonciateurs oui ! Des mouchards ! LE FILS (SONG TEN) : – Mais qui sont donc ces d€nonciateurs ? LE P•RE : – Ils sont tout le monde et personne † la fois ! On les c‘toie tous les jours ! Ils vont et viennent et sont aussi discrets qu’un f€lin qui chasse sa proie. Le fonctionnaire est trop facilement rep€rable, c’est pourquoi il faut trouver quelque chose qui se fond dans la masse et qui ressemble † tout le monde. Autrement dit, nous vivons dans un pays avec 22 millions et demi de suspects. LE FILS (SONG TEN) : – Le peuple ! Mais comment ? LE P•RE : – Oui le peuple ! Les autorit€s promettent une r€compense † celui qui d€nonce. LE FILS (SONG TEN) : – Une r€compense ? Mais je croyais que l’argent n’avait aucune importance dans notre pays ! Ils le rappellent souvent † la radio !
PYONGYANG LE P•RE : – Non ! Que tu es naŽf, remarque je ne peux pas t’en vouloir vu qu’il est interdit de penser et de r€fl€chir dans ce pays ! On ne leur donne pas de l’argent mais de la nourriture ! Il est facile de recruter des d€nonciateurs dans un pays o• s€vissent la famine et la misŠre. ’ quoi sert l’argent si on ne peut pas acheter de quoi vivre ? ’ ‡a oui personne n’est oubli€, tout le monde doit suivre et ceux qui tra•nent, on les abat comme un animal agonisant. Que m’a apport€ le communisme ? Le droit de voir mes parents se faire fusiller parce qu’ils avaient tent€ de s’enfuir de la Cor€e du Nord. AprŠs cela, ils m’ont plac€ dans un centre de r€€ducation o• j’ai pass€ prŠs de 15 ans avant d’en ressortir avec un cerveau bourr€ de l’id€ologie de Marx, de Staline et du Juche 2, ainsi qu’un corps recouvert de bleus t€moignant mon acharnement † refuser ces id€es au d€but. Le communisme m’a apport€ la solitude et la souffrance avant de rencontrer ta mŠre lorsque je terminais mes €tudes † Pyongyang. Des €tudes sur le r€alisme socialiste dans les arts nord-cor€ens. J’ai une thŠse d'arts du spectacle qui portait ce titre : Kim Il-Sung, le r„inventeur du drame ou la v„rit„ du drame r„aliste socialiste ? Tu parles d’un sujet de thŠse, † croire qu’on me l’a impos€. Tout † la gloire de l'id€ologie, du dirigeant et malheur † celui qui ose faire l’€loge, voire prononcer le mot ˆ capitalisme ‰ sans un qualificatif diminutif devant. ‰ LA M•RE : – Tais-toi, tu en dis trop ! J’espŠre que les fen‹tres sont ferm€es, que personne ne t’a entendu ! Elle fait le tour de la pi‚ce et verrouille la porte „ double tour.
Quel €goŽste tu fais ! Tu te rends compte si on t’avait entendu, nous serions tous morts † pr€sent. Que tu aies des id€es contraires † celles du Juche, soit, mais ne mets pas en danger les autres membres de ta famille. ‰ LE P•RE : – Quoi ? Toi aussi tu as peur de ce mot : capitalisme ! 2 ’ prononcer Djoutch€.
PYONGYANG LA M•RE : – Arr‹te tout de suite ! Je ne veux pas ‹tre impliqu€e l†dedans ! LE P•RE : – Capitalisme ! LA M•RE : – Stop ! LE P•RE – Capitalisme ! Capitalisme ! Capitalisme ! LA M•RE : (en pleurant) – Ahhhhh ! EspŠce d’homme sans cœur, pr‹t † envoyer toute sa famille sous terre pour d€fendre ses id€es. Moi je ne mange pas de ce pain l† et je reste fidŠle † Pyongyang, que cela te plaise ou non. LE P•RE : – TrŠs bien ! Reste ! Mais moi, je vais d’abord couper cette radio, puis je vais m’enfuir loin de ce pays barbare o• m‹me penser est passible de la peine de mort ! LE FILS (SONG TEN) : – Je viens avec toi ! LA M•RE : – Il n’en est pas question ! Ton pŠre n’a pas toute sa t‹te mais ‡a va lui passer, comme toujours. Et tu oublies que tu dois faire ton service militaire bient‘t ! LA FILLE : – C’est comme la fois ou il a jet€ le portrait de Kim IlSung par terre et que mŠre a fait croire aux soldats que s’il €tait cass€ c’€tait pour lui faire un cadre plus beau, le mettant plus en valeur. LE P•RE : – Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas sur un portrait muet sur lequel je vais m’acharner mais sur notre cerveau artificiel et men-songer. Au diable cette radio ! Il prend une hache avec laquelle il coupe le c…ble d’alimentation de la radio. Tout s’€teint aussit†t dans la maison. Le fils profite de ce moment pour se glisser dehors.
LA FILLE : – Cette coupure va attirer l'attention des gardes ! Que faisons-nous maintenant ? LA M•RE : – On s’appr‹te † mourir ! LE P•RE : – Pr€parons-nous plut‘t † fuir ! O• est Song Ten ? On entend frapper „ la porte, la m‚re crie, la fille fond en larme et le p‚re r€pond, inquiet.
PYONGYANG LE P•RE : – Qui est l† ? UNE VOIX : – C’est la police d'„tat et je vous ordonne de nous ouvrir au nom de la loi D€mocratique Populaire ! LA M•RE (effray€e) : – Nous sommes perdus ! (Au p‚re) Tu es fier de toi † pr€sent ? LE P•RE : – “a fait au moins la dixiŠme fois que je te l’entends dire depuis que nous sommes mari€s ! Du calme ! Nous allons nous expliquer, comme toujours ! (Vers la porte) J’arrive ! Il ouvre la porte et se fait bousculer violemment par trois policiers en uniformes.
Ouille ! LE PREMIER POLICIER : – Puis-je savoir pourquoi toutes vos lumiŠres sont €teintes ? La radio non plus ne marche pas ! Pourquoi ? LA M•RE : – Il y a une coupure de courant camarade policier, nous n’y sommes pour rien ! LE PREMIER POLICIER attrape la m•re et la jette contre une fen‚tre : – Regarde espŠce de sale menteuse ! Toutes les maisons sont allum€es et vous ‹tes les seuls † avoir une maison plong€e dans le noir. Alors vous avez int€r‹t † nous dire la v€rit€ sinon, vous savez ce qui vous attend. Il cherche „ frapper la m‚re mais la fille se met devant. On entend des pleurs de b€b€ venant d’une chambre du fond.
LA FILLE (prot€geant sa m‚re) : – Camarade policier, je vous jure qu’elle vous dit la v€rit€ ! Une branche d’arbre est tomb€e sur le transformateur devant la maison et nous a coup€ le courant ! LE PREMIER POLICIER : – Nous allons v€rifier ! (Aux autres policiers) Vous deux, restez l† et surveillez-les ! S’ils tentent de s’enfuir, abattez-les ! Il sort. LA M•RE („ l’oreille de sa fille) : – Cette fois-ci, nous sommes fichus.
J’entends d€j† les fusils se charger devant nous !
PYONGYANG Elles se serrent tr‚s fort l’une contre l’autre et pleurent.
LE P•RE (en apartƒ) : – La hache ! LE PREMIER POLICIER : – Menteuses, le c•ble n’est pas d€tach€ ! En plus, vous n’avez pas d’arbre † cet endroit l† ! LE DEUXI•ME POLICIER : – Camarade chef ! Regardez l†, sur la table ! On voit, sur la table la hache, qui a servi „ trancher le c…ble d’alimentation de la radio, plant€e dans le bois. Des deux c†t€s de la hache, on peut voir le c…ble sectionn€.
LE PREMIER POLICIER : – Tout s’explique ! (Au troisi‚me policier) Va me chercher le b€b€ que j’ai entendu tout † l’heure ! Le policier sort puis revient avec un panier o‡ se trouve un b€b€.
Vous allez me dire pourquoi le c•ble a €t€ sectionn€ sinon, votre b€b€ aura quelque chose d’autre † t€ter que ton sein ! LA M•RE (suppliante) : – Arr‹tez ! Arr‹tez ! Je vais tout vous dire ! C’est mon mari qui a eu un coup de folie et qui s’est mis † faire l’€loge du capitalisme, que je r€pugne, au d€triment de notre id€al communisme, que je v€nŠre tant. Il a coup€ la radio car il en avait assez d’avoir cette impression d’‹tre assis † c‘t€ de notre cher Grand Leader Kim Jong-Il lorsqu’il mangeait ! C’est lui le tra•tre, pas nous ! Nous en avons assez de payer pour lui, par piti€ camarade, ne nous faites rien. LE PREMIER POLICIER : – Vous n’avez rien tent€ pour emp‹cher cet acte ? LA M•RE : – Mais comment ? LE TROISI•ME POLICIER : – En le tuant par exemple ! LA M•RE : – Je ne peux pas faire ‡a ! C’est mon mari ! LE PREMIER POLICIER : – Mais en le laissant accomplir son acte, vous vous rendez coupable de complicit€ de crime. D€truire la radio, c’est s’en prendre † la Voix du Peuple et s'en prendre † la
PYONGYANG Voix du Peuple c'est s'en prendre † tout le peuple cor€en. Votre compte est bon ! LA FILLE : – Camarade, nous sommes fidŠles, ma mŠre et moi, † nos bienfaiteurs. Je fais m‹me des €tudes sur les r€formes que Kim Il-Sung a pu nous apporter pour que nous puissions vivre dans la paix et le bonheur. M‹me le biberon de mon petit frŠre porte les portraits de nos Sauveurs. LE PREMIER POLICIER (inflexible) : – Emmenez-les dehors, l† o• vous savez ! LE P•RE (chuchotant aux deux femmes) : – Surtout ne dites rien au sujet de Song Ten. Je pense qu’il a r€ussi † sortir de la maison avant que les policiers n’arrivent ! LA M•RE (r€pondant en chuchotant) : – Et maintenant, il va nous voir mourir, sous ses yeux ! Les policiers embarquent le p‚re, la m‚re et la fille hors de la maison. Avant de sortir, le premier policier tire une balle de revolver en direction du panier et tue le b€b€ sous les yeux de Song Ten qui observait la sc‚ne depuis une fenƒtre rest€e entrouverte. La maison est vide, on entend au loin des roulements de tambours, des coups de feu, des g€missements puis le silence complet. (Un temps)
SONG TEN : – Ainsi le r€gime de Cor€e du Nord veut nous donner la paix et le bonheur ? Ainsi il faut que tout soit positif et rien ne doit ‹tre n€gatif ? Je me rends compte maintenant de la naŽvet€ dans laquelle ils nous plongent en nous faisant croire que les gens qui sont ex€cut€s sont des capitalistes convaincus, des contrer€volutionnaires, donc coupables de haute-trahison ! Ma sœur et ma mŠre €taient fidŠles au r€gime, elles sont mortes † cause de la v€rit€. La v€rit€, qui est repr€sent€e comme une gangrŠne : elle se trouve dans une partie du genou et c’est tout le membre qu’on
PYONGYANG ampute. Je ne resterai pas une minute de plus dans ce pays qui vit sous le mensonge et qui fait de nous des automates † mensonge. Je dois me sauver mais o• ? La Chine renvoie les fuyards vers le peloton, La Russie est complŠtement ferm€e, la frontiŠre entre les deux Cor€e est herm€tique et le Japon n'est accessible que par la mer. Je dois trouver un moyen de m’enfuir. Je pense que je trouverai de l’aide ici mais aprŠs ? Pour l’instant, il faut que je trouve un endroit o• me r€fugier pour ne pas me faire prendre par ces assassins ! Ce sera difficile, je ne sais m‹me pas † qui faire confiance ! D€j† dans ma famille c'€tait difficile de faire confiance alors † des inconnus... Les policiers reviennent et pillent la maison. ˆ ce moment, une main se pose sur l'€paule de Song Ten et l'attire hors-sc‚ne.
2 Le plan Dans une maison voisine, Song Ten est cach€ dans un coin. Son sauveur fait le guet „ la fenƒtre attendant que les policiers s'€loignent. Une fois partis, il ferme les rideaux et invite Song Ten „ s'asseoir „ la table du salon. La radio ne marche pas.
L'HOMME : – Tout va bien petit, ils sont partis ! Tu peux sortir de ta cachette ! SONG TEN : – Merci ! Vous m'avez sauv€ la vie ! Moi je n'aurais pas os€ vous ouvrir ma porte. L'HOMME : – C'est normal, on ne peut faire confiance † personne dans ce foutu pays aux valeurs virtuelles. SONG TEN : – C'est curieux ce silence dans votre maison, j'ai l'impression qu'il manque quelque chose. Un son qui ne me quitte pas de puis ma naissance. L'HOMME : – Tu veux sans doute parler du son de la radio ? SONG TEN : – Mais oui c'est ‡a ! On n'entend pas la Voix du Peuple
PYONGYANG dans votre maison. Votre radio est en panne ? Faites-la vite r€parer ou vous aurez des ennuis. L'HOMME : – Du calme ! Ma radio n'est pas en panne, elle fonctionne m‹me trŠs bien mais j'ai trouv€ un moyen de l'€teindre et de la rallumer rapidement en cas de contr‘le de la Police Populaire. J'ai juste fait une d€rivation vers un interrupteur † c‘t€ de la porte d'entr€e. J'ai r€ussi † rendre la Voix du Peuple aphone ! SONG TEN : – En tout cas, j'appr€cie ce silence. Pour une fois je peux vraiment le savourer. L'HOMME : – Comment tu t'appelles petit ? SONG TEN (h€site un moment) : – Song Ten et vous ? L'HOMME : – Jin GaŽ. TrŠs bien Song Ten, nous n'avons pas beaucoup de temps avant que la police ne se rende compte qu'il manque quelqu'un dans leur tableau d'ex€cut€s. Ici tu es en danger, il faut que tu quittes le pays. SONG TEN : – C'est bien gentil de votre part mais je ne pense pas en avoir le courage. Quand j'entends ce qui arrive † ces pauvres gens qui tentent leur chance en s'enfuyant par la Chine et qui se font rapatrier par la police chinoise en Cor€e du Nord... Non, je n'en aurais pas le courage. JIN GA‚ : – Il n'est pas question de passer par la Chine ! Je sais que c'est le seul espoir pour les Nord-Cor€ens mais ‡a devient de plus en plus dangereux. La Russie, ce n'est pas mieux. Je ne vois qu'une seule solution : franchir la ligne de D€marcation. SONG TEN : – Vous ‹tes fou ! Personne ne peut franchir cette barriŠre et puis les troupes du nord et du sud tirent sur tout ce qui bouge. Non ce n'est pas une bonne id€e. JIN GA‚ : – Ne t'en fais pas, j'ai tout pr€vu depuis longtemps, il me manquait juste quelqu'un pour tenter ma chance. Seul, je ne pouvais pas y arriver et tu penses bien que je n'aurais jamais propos€ ce plan au premier passant venu.
PYONGYANG SONG TEN : – AprŠs tout, moi je n'ai plus rien † perdre ici alors quitte † mourir, autant que cela se fasse en tentant quelque chose. Quel est votre plan ? JIN GA‚ : – Mon plan est trŠs simple : on va se rendre † Pyongyang avec des laissez-passer que j'irai chercher demain gr•ce † ces deux bouteilles de Soju, un alcool de riz trŠs cher, pour le camarade administrateur, puis nous allons visiter les monuments de la ville avec un guide. SONG TEN : – C'est tout ! C'est ‡a le plan pour s'€chapper du pays ? Faire du tourisme dans la capitale o• vivent tous les meurtriers du r€gime ? JIN GA‚ : – Bien s”r que non, il y a une suite mais il vaut mieux que tu ne la connaisses pas pour la simple et bonne raison qu'elle pourrait faire appara•tre un comportement suspect qui pourrait mettre en p€ril le plan. SONG TEN : – Cela me para•t trop facile. (Et „ part) J'ai m‹me l'impression que c'est un piŠge. JIN GA‚ : – Fais-moi confiance ! Allons dormir maintenant ! Une dure journ€e nous attend demain.
3 Cruelle police Les trois policiers qui ont ex€cut€ la famille de Song Ten examinent, sur un chemin d€sert, les pi‚ces „ conviction qu’ils ont ramass€es dans sa maison.
LE PREMIER POLICIER (au public) : – Vous voyez ce qui arrive quand on d€sob€it aux lois de notre pr€sident bien aim€ ; on est coupable de haute trahison et fusill€ dans la minute qui suit, sans procŠs. D’habitude, on les torture afin qu’ils nous donnent d’autres noms d’€ventuels suspects mais l†, nous avions h•te d’en finir et de
PYONGYANG rentrer chez nous. Je suis s”r que parmi vous, il y a aussi des coupables de haute trahison, ils sont faciles † rep€rer d’ailleurs je crois en avoir rep€r€ un la devant qui… LE DEUXI•ME POLICIER (l’interrompant) : – H€ ho ! Pas maintenant camarade chef ! C’est la fin de la journ€e, on aimerait beaucoup rentrer chez nous ! LE TROISI•ME POLICIER : – Oh oui camarade chef ! S’il vous pla•t ! LE PREMIER POLICIER : – Vous aussi vous ‹tes des tra•tres ? Vous refusez de faire du zŠle pour notre pr€sident bien aim€ ? Vous voulez aussi finir fusill€ comme cette famille contrer€volutionnaire ? Toute cette famille qui s’est rebell€e contre le pouvoir supr‹me ? Contre le peuple tout entier ? LE TROISI•ME POLICIER : – Nous aimons notre pr€sident et nous ex€cutons ses ordres avec plaisir mais depuis ce matin, nous avons arr‹t€ une cinquantaine de suspects dans le district de Kanggye et ex€cut€ 6 familles entiŠres, coupables d’h€r€sie envers les id€es du Juche et nous aimerions bien… LE DEUXI•ME POLICIER (l’interrompant) : – Pas 6 mais 5 familles entiŠres ! LE TROISI•ME POLICIER : – Ah non ! 6 familles, j’en suis s”r ! LE PREMIER POLICIER : – Suffit ! Qu’est ce que tu insinues par l† ? LE DEUXI•ME POLICIER : – Je viens de trouver une photo de la derniŠre famille que nous avons ex€cut€, or sur la photo, ils sont 5 : nous en avons fusill€ trois et le b€b€ a €t€ ex€cut€ dans la maison † bout portant. Cela me fait 4 et non 5. LE TROISI•ME POLICIER : – Cela veut dire… LE PREMIER POLICIER (avec rage) : – Qu’il en manque un ! Montre moi cette photo ! Il l’arrache des mains de son coll‚gue.
Nous avons ex€cut€ la femme, l’homme, la fille, le b€b€ et il reste un jeune gar‡on que je ne me souviens pas avoir vu dans la maison
PYONGYANG ! Faites moi un agrandissement de son portrait et affichez-le dans tous les lieux publics de la province ! Il nous le faut au plus vite sinon c’est nous qui risquons d’avoir des ennuis, des ennuis pour avoir n€glig€ le travail, de l’avoir exp€di€ et de ne pas les avoir fait parler afin de d€noncer les autres tra•tres. Rien que d’y penser, cela me glace le sang. (Soudain, aux autres policiers) Vous ‹tes toujours l† ? Qu’attendez-vous pour vous mettre au travail ? Nous devons l’avoir retrouv€ avant la fin de la semaine ! (Au public) Personne n’est oubli€ et personne ne doit ‹tre oubli€
sinon, vous connaissez la suite !
4 La fille du train Song Ten et Jin Ga‰ s'installent dans le train pour Pyongyang. ils sont essouffl€s et regardent par la fenƒtre de mani‚re „ cacher leur essoufflement. Ils sont plong€s dans une sorte de p€nombre. Un peu plus loin, une jeune fille, son petit fr‚re et son p‚re sont pench€s sur un probl‚me de math que le petit fr‚re doit faire pour l’€cole. Une lumi‚re intense les €claire. Au fond du wagon, les portraits de Kim Il-Sung et Kim Jong-Il dominent les voyageurs. Brouhaha.
LE PETIT FR•RE : – Je n’y comprends rien † ce problŠme ! (ˆ sa soeur) Peux-tu m’aider ? LA FILLE : – Bien s”r ! Lis-moi donc l’€nonc€ ! LE PETIT FR•RE (lisant) : „ L’Arm€e du peuple, † l’issue d’une bataille contre les arm€es des chiens d’Am€ricains imp€rialistes et des pantins sud-cor€ens, a fait prisonniers 15 130 soldats. Il y avait parmi ceux-ci 1 130 b•tards am€ricains de plus que les pantins sud-
PYONGYANG cor€ens. Combien y avait-il en tout de chiens d’Am€ricains et de pantins sud-cor€ens ? ‰ LA FILLE : – Regarde c’est tout simple : Il suffit de diviser le nombre de prisonniers en deux, c’est † dire : 7 565. ’ ce nombre, tu rajoutes 1 130 et tu obtiens en tout 8 695 prisonniers de chiens d’Am€ricains. Maintenant, pourrais-tu me donner le nombre de pantins sud-cor€ens faits prisonniers ? LE PETIT FR•RE : – Je suppose qu’il faut prendre le nombre total de prisonniers, le diviser par deux et d’y retirer 1 130 non ? LA FILLE : – Tout-† fait et cela donne ? (Un temps)
LE PETIT FR•RE : – 6 435 ? LA FILLE : – Bravo ! Tu vois que ce n’est pas difficile ! LE P•RE : – En tout cas, je suis content que le bureau des d€placements nous ait donn€ des autorisations pour nous rendre † Pyongyang avec toi. Il faut dire que je leur ai fait cadeau de quatre bouteilles de soju. Je sais que tu es intelligente, je sais que tu aimes €tudier mais le devoir de citoyen t’appelle. Tu vas commencer ton service militaire, et surtout, tu vas le faire † Pyongyang, aux portes de notre Cher Camarade Grand Leader. “a ne va pas ‹tre facile cette absence de sept ans mais tu sais bien que c’est obligatoire et que les d€serteurs sont s€vŠrement punis. LA FILLE : – Je ne m’inquiŠte pas, papa. Lorsque je reviendrai, je pourrai enfin commencer des €tudes et songer † me marier si la guerre n’€clate pas avant. Je saurais remplir mon devoir de NordCor€enne en bonne citoyenne nord-cor€enne. LE P•RE : – Tu es bien l† ma fille. Je vois que l’€ducation qui t’a €t€ apport€e † l’€cole t’a remplie de sagesse et de bon sens envers la patrie. Tu es l’exemple m‹me de la famille et m‹me ton petit frŠre est en train de te prendre pour modŠle. LA FILLE : – C’est trop d’honneurs que tu me fais l† papa. Gardeles pour mon retour.
PYONGYANG LE PETIT FR•RE : – J’ai un autre problŠme † r€soudre et je n’y arrive pas. Peux-tu m’aider s’il te pla•t ? LA FILLE : – D’accord mais il faudra que tu apprennes † te d€brouiller sans moi quand je ne serai plus l†. Lis-moi l’€nonc€. LE PETIT FR•RE : ƒ Le respect€ Grand Leader Kim Il-Sung et le Cher Leader Kim Jong-Il avaient une grande consid€ration pour les enfants. Yong Chol habite † trois kilomŠtres du palais. Pour s’y rendre, il marche † la vitesse de 80 mŠtres par minute. Mais au bout d’un kilomŠtre, il croise Chol Su, discute pendant 5 minutes. Sachant qu’il devait arriver † l’heure † son rendez-vous, et qu’il vient de perdre 5 minutes, † quelle vitesse doit-il d€sormais marcher pour arriver † l’heure ? ‰ LA FILLE : – Dans ce cas, il faut… Son regard croise celui de Song Ten.
...euh… il faut…demande † ton pŠre ! AprŠs tout, c’est lui qui t’aidera † la maison pour les devoirs. ˆ partir de ce moment-l„, elle ne quitte plus Song Ten des yeux. Song Ten ne l’a pas remarqu€.
LE P•RE : – „coute, laisse les maths de c‘t€ pour l’instant et sorsmoi ton autocritique. Le petit fr‚re sort son autocritique.
Mais ‡a ne suffit pas voyons ! Tu sais bien que ce n’est pas la qualit€ qui compte dans ce devoir mais la quantit€. L† par exemple, au lieu de mettre ˆ J’ai vol€ du pain de maŽs ‰, tu aurais d” mettre ˆ Comme j’avais faim et que la nourriture se faisait de plus en plus rare, je suis all€ au march€ afin de voler un morceau de pain au maŽs, avec des grains de bl€, † l’€talage du boulanger ‰ et au lieu de mettre ˆ J’ai d€shonor€ notre famille ‰ tu aurais d” mettre ˆ Que le Grand Camarade Leader et notre Cher Leader en soient t€moins, j’ai plus que d€shonor€ ma famille qui comptait beaucoup sur moi afin d’‹tre un citoyen modŠle de la Cor€e du Nord ‰. Tu vois un peu la quantit€ de plus que ‡a te fait ?
PYONGYANG LE PETIT FR•RE : – Oui papa ! LE P•RE : – J’espŠre au moins que tu as trouv€ deux camarades † d€noncer pour lundi ? Tu sais bien que ‡a compte dans la moyenne ? LE PETIT FR•RE : – Oui papa ! J’en ai m‹me quatre : l’un a s€ch€ l’€cole pour voler du maŽs, un autre cache des r€serves de nourriture, un autre encore a fait du march€ noir en Chine et le dernier n’est pas all€ † la corv€e au champ. LE P•RE : – Bien ! Au moins tu as de quoi te rattraper et les m€faits que tu me d€cris vont peut-‹tre t’apporter un grade dans la classe. Qu’en penses-tu ma fille ? H€-ho ? Tu m’€coutes ? Elle ne r€agit pas, elle doit ‹tre en train de penser † maman. Laissons-l† tranquille et revenons † ce problŠme de math. La p€nombre se fait sur le p‚re et le petit fr‚re, seule la fille reste dans une lumi‚re intense. Elle fixe toujours Song Ten avec un certain d€sir dans le regard. La lumi‚re se fait sur Song Ten et Jin Ga‰. Brouhaha.
JIN GA‚ : – Tu as bien emport€ les portraits que je t'ai donn€s avant de partir ? Ce sont les laissez-passer les plus importants. On ne peut aller nulle part sans Kim Il-Sung et Kim Jong-Il. SONG TEN : – Ne t'inquiŠte pas, ils sont bien l†, sous ma veste. (Un temps)
Ce wagon est rempli de beaucoup de jeunes gens. Ils ont l’air d’avoir le m‹me •ge que moi. JIN GA‚ : – Ces jeunes gens partent pour faire leur service militaire. Pour les gar‡ons c’est dix ans et pour les filles c’est sept ans. Ceux-l†, qui vont faire leur service † Pyongyang, sont des nantis, des prot€g€s du parti, des fils † papa qui ont su se d€brouiller pour se retrouver † la meilleure place, dans la cit€ des cadres du parti. Une cit€ interdite † plus de 80% de la population du pays, ceux qu'on appelle les suspects. D'o• l'importance de nos faux laissez-passer.
PYONGYANG SONG TEN : – Moi, j’aurais d” commencer mon service l’ann€e prochaine et je peux te dire que je ne m’en r€jouissais pas. –tre dans une caserne o• on vous fait croire que la guerre peut €clater † tout moment, les exercices €prouvant et les conditions d’hygiŠne d€plorables, cela me donne une mauvaise image de l’arm€e. En plus, en temps de famine, l’arm€e est cens€e surveiller les champs, une v€ritable torture pour un estomac vide, et tirer sur quiconque se trouve pris sur le fait. Et bien s”r, il est interdit d’aller chercher † manger dans le champ. JIN GA‚ : – Tu m’as l’air bien renseign€ sur le sujet. SONG TEN : – J’ai vu plusieurs de mes amis se faire descendre par l’arm€e alors qu’ils tentaient de voler quelques €pis de maŽs. D’autres amis, qui font actuellement leur service militaire, m’ont racont€ l’enfer dans lequel ils vivent. JIN GA‚ : – Je vois SONG TEN : – Dis-moi Jin GaŽ, tu ne m'as pas dit pourquoi tu veux quitter le pays. C'est † cause de la famine ou, comme moi, des soldats ont liquid€ ta famille ? JIN GA‚ : – Quand j'avais ton •ge, j'€tais un brillant cadre du parti, fidŠle aux valeurs nord-cor€ennes, pr‹t † d€noncer ma mŠre sur un seul propos antir€volutionnaire. J’ai €t€ exempt€ du service militaire car l'„tat manquait de fonctionnaires † cette €poque. J'avais tout pour r€ussir dans cette soci€t€ jusqu'† ce que je rencontre Chang, un jeune Chinois qui travaillait dans l'ambassade de Chine † Pyongyang. Ce fut un coup de foudre pour tous les deux. Je l'invitais souvent chez moi en faisant attention que personne ne me surveillait mais dans ce pays c'est impossible et ce qui devait arriver arriva : on m'a d€nonc€ et accus€ d'espionnage. J'ai €chapp€ de justesse † la peine capitale gr•ce au quota de condamn€s † mort qui €tait atteint. La personne jug€e avant moi a €t€ condamn€e et ex€cut€e dans l'heure qui a suivi. Je n'ai pas €chapp€ † la prison et, † choisir, j'aurais pr€f€r€ la peine de mort.
PYONGYANG Les membres de ma famille ont tous disparu ; je ne les ai jamais revus et je doute fort que je les reverrai un jour. AprŠs ma lib€ration, j'ai €t€ banni de Pyongyang et de tout privilŠge des cadres du parti. C'est comme ‡a que je me suis retrouv€ dans la province de Chaggang o• je pr€parais ma fuite. SONG TEN : – Qu'est-il arriv€ † Chang ? JIN GA‚ : – Ils l'ont envoy€ dans un camp, le Kwan-li-so de Susseong, celui dont on ne revient jamais. Et il n'est jamais revenu. Il est mort parce que je l'ai aim€ et que ‡a ne correspondait pas avec l'id€ologie du parti. J'ai €t€ jet€ en prison parce que j'aimais un autre homme † une €poque o• les autorit€s voulaient que le taux de natalit€ explose. SONG TEN : – Que t’ont ils fait subir en prison ? JIN GA‚ : – Je devais ‹tre assis sur mes genoux, la t‹te baiss€e et ne pas bouger, m‹me pas le petit doigt. La cellule €tait infest€e de poux et autres parasites qui vous rongent la peau et vous collent des maladies tel que le Typhus. On €tait trente dans une cellule pr€vue pour sept personnes. Le chef de cellule passait son temps † nous voler nos quatre-vingt grammes quotidiens de nourriture sans que l’on puisse r€agir. Il avait, pour ainsi dire, le droit de vie ou de mort des d€tenus de sa cellule. Pendant ce temps o• j’€tais en prison, ils €tudiaient mon dossier pour savoir quel ch•timent me serait impos€. AprŠs des mois et plusieurs morts dans ma cellule, ils m’ont envoy€ en camp de r€€ducation par le travail, d’o• je suis sorti six mois aprŠs. Ce n'€tait pas un Kwan-li-so mais c'€tait quand m‹me dur. SONG TEN : – Tu as surv€cu † ce traitement ? Mais comment as-tu fait ? JIN GA‚ : – Je me suis pli€ au rŠglement, j’ai travaill€ dur, je me suis fait bien voir des gardiens et, comme ‡a, j’ai eu droit † des dispenses de travail et des rations suppl€mentaires de nourriture. En camp de travail, on re‡oit plus de nourriture qu’en prison, quand
PYONGYANG il y en a, mais surtout, on retrouve son identit€. En prison, on n’a plus de nom, on est nomm€ par un nombre. Moi je portais le nombre 4 et il m’arrive encore de r€agir lorsque j’entends ce chiffre. SONG TEN : – Je te pose ces questions car je n’ai jamais revu tout ceux qui ont €t€ envoy€s en camp de r€€ducation par le travail. Cela me soulage de voir qu’il y a toujours une sortie de l’enfer. JIN GA‚ : – L’enfer c’est plut‘t hors du camp. Il est vrai qu'† l'int€rieur, on travaille comme des forcen€s mais, au moins, il y a souvent † manger, on est log€, on ne risque pas de se faire fusiller parce que la radio est coup€e, les gardes sont faciles † soudoyer et la mort vient plus vite que si on est en prison o• on se voit pourrir petit † petit. SONG TEN : – Cela ne me donne pas envie d’y finir malgr€ tout. JIN GA‚ : – C’est bien normal. J’ai vu des gens mourir autour de moi d’€puisement mais ces gens l† c’€taient surtout ceux qui €taient envahi par le d€sespoir. Moi je n’ai jamais perdu espoir et c’est pour cela que je suis toujours en vie aujourd’hui. Gr•ce † Chang † qui j'ai pens€ tout le temps et qui m'a donn€ la force de vivre, de me battre. (Un temps)
Regarde Song Ten, nous passons juste † c‘t€ de la centrale nucl€aire de Yongbyon. Cette centrale est soi-disant suffisante pour alimenter tout le pays et regarde le nombre de coupures de courant que nous subissons chaque jour. Des coupures qui nous plongent dans le noir total. M‹me dans la capitale. SONG TEN : – Tout est dans le noir † part les statues de Kim Il-Sung et Kim Jong-Il qui sont €clair€es par de gros projecteurs et des groupes €lectrogŠnes en cas de coupure. JIN GA‚ : – Ils ne produisent pas de l’€lectricit€ dans cette centrale mais de l’uranium qu’ils enrichissent pour construire des bombes atomiques. C’est aussi la raison pour laquelle les puissances occidentales ne veulent pas attaquer notre pays : la peur de la bombe atomique surtout avec ce r€gime.
PYONGYANG SONG TEN : – Mais poss€dons-nous des armes atomiques ? JIN GA‚ : – Officiellement non, mais officieusement je n’en sais rien. “a ne m’€tonnerait pas que nous l’ayons. J'ai vu le budget r€serv€ † l’arm€e et † la recherche militaire avant mon arrestation il y a 30 ans et, crois-moi, la population pourrait manger † sa fin si cet argent ne partait pas uniquement dans l'arm€e. SONG TEN : – De toute fa‡on, qui se soucie de nous ? Qui voudrait risquer de lib€rer un peuple qui crŠve de faim sur une terre st€rile en ressource naturelle ? Qui ? J’ai l’impression qu’on aide plus le r€gime † survivre plut‘t que la population ! Tout ‡a pour €viter † la Cor€e du Sud de sombrer dans un d€sastre €conomique en cas de r€unification forc€e. JIN GA‚ : – De toute maniŠre, l'aide n'est pas destin€e † la population mais † l'arm€e et aux cadres du parti. Comme tu dis, les occidentaux ne cherchent qu'† emp‹cher la chute du r€gime qui entra•nerait une r€unification quasi-imm€diate de la Cor€e. (Un temps)
Je me sens fatigu€ † pr€sent. Je vais dormir un peu car demain, la journ€e sera longue. SONG TEN : – Dors bien et essaye de r‹ver dans ce pays qu’on qualifie d€j† de r‹ve. Jin GaŽ s’endort. Song Ten scrute autour de lui pour voir si personne ne les a €pi€s pendant qu’ils discutaient. Son regard croise celui de la fille myst€rieuse qui n’a cess€ de le regarder. Elle se lŠve et s’approche de lui. LA FILLE : – Bonsoir camarade ! SONG TEN : – Bonsoir. Puis-je vous aider ? LA FILLE : – Oui ! J’ai besoin de changer un peu d’air. Entre les maths de mon petit frŠre et les honneurs que me fait mon pŠre pour le service militaire que je m’appr‹te † commencer, je me sens mal † l’aise et je cherchais quelqu’un qui ne portait pas d’uniforme afin de parler d’autres choses. Est-ce que ‡a vous d€range camarade ? SONG TEN : – Au contraire. Moi aussi j’ai besoin de discuter avec quelqu’un que je ne connais pas. Au fait, quel est votre nom ?
PYONGYANG LA FILLE : – Khwan-So et vous ? SONG TEN : – Song Ten ! KHWAN-SO : – Vous allez vous aussi † Pyongyang camarade ? SONG TEN : – Tout † fait. J’ai obtenu un laissez-passer gr•ce † mon oncle, l’homme qui dort en face de moi, afin de visiter notre glorieuse capitale. J’ai toujours r‹v€ de d€poser une couronne de fleurs aux pieds de notre Grand Leader Kim Il-Sung † la colline Mansue. Et puis cette ville est le symbole m‹me de notre grandeur. KHWAN-SO : – Si vous voulez, camarade, je peux vous donner quelques curiosit€s de la ville qu’il est bon de visiter. Je me suis souvent rendue dans cette cit€ gr•ce † mon pŠre qui est membre du parti et qui m’a fait entrer au palais de la jeunesse et du sport. SONG TEN : – Volontiers. KHWAN-SO : – Je vous conseille vivement de vous rendre † la tour du Juche et vous remarquerez qu’au pied de la colonne, il y a des centaines de plaques du monde entier qui f€licitent le Grand Leader pour cette politique du Juche, notre grande id€ologie. SONG TEN : – Int€ressant. On ne m’avait jamais dit cela. Et † quelle heure le site est ouvert ? KHWAN-SO : – Il est ouvert jour et nuit camarade. De nombreux membres du parti y viennent tout les jours pour porter all€geance † notre doctrine du Juche. SONG TEN : – Vous croyez toujours au Juche ? KHWAN-SO : – Vous insultez le peuple cor€en en disant cela ! Bien s”r que j’y crois, j’y ai toujours cru et ce ne sont pas ces fantoches du sud qui me feront changer d’avis. Vous voyez bien † la t€l€ les €meutes qui ont lieu † S€oul. Cela prouve que leur systŠme est complŠtement obsolŠte et r€pugnant. SONG TEN : – Ne le prenez pas comme ‡a, c’est dans ma nature de tester les gens. Seriez-vous pr‹te † me d€noncer aprŠs avoir tenu ce genre de propos, vous qui avez l’air si fidŠle au r€gime ?
PYONGYANG KHWAN-SO (h€sitante): – Non camarade ! SONG TEN : – Pourquoi ? KHWAN-SO : – Parce que… Je… Enfin… Je n’arrive pas † me l’expliquer. Mon devoir est de vous d€noncer mais quelque chose m’en emp‹che. (Au public)
Je crois qu’une force plus importante que celle de notre Cher Leader Kim Jong-Il vient de s’emparer de moi. C’est affreux, je n’arrive pas † d€finir ce que c’est. (ˆ Song Ten)
Je suis d€sol€e de vous avoir d€rang€. J’espŠre que nous aurons l’occasion de nous croiser † Pyongyang. Je vais retourner † ma place. Bon s€jour. SONG TEN : – De rien et pardon si je vous ai vex€e. KHWAN-SO : – Pas du tout, au contraire. Vous venez de me faire comprendre quelque chose. Vous m’avez ouvert les yeux sur ce que je pensais ‹tre impensable. Merci camarade ! Ils se regardent un long moment avec un large sourire, puis Khwan-So retourne s’asseoir avec son p‚re et son petit fr‚re. Elle s’allonge. Song Ten n’arrive plus „ la quitter des yeux et la contemple. Jin Ga‰ se r€veille.
JIN GA‚ : – Et bien Song Ten ? Que t’arrive t-il ? Tu m’as l’air bien pensif et en plus tu souris. SONG TEN : – Je ne sais pas Jin GaŽ. Je viens de discuter avec une fille et depuis je ressens une dr‘le de sensation, je n’arrive pas † d€tourner mon regard d’elle, je sens comme un poids sur le cœur, ma t‹te ne fait rien que de reproduire des images qui † la fois me rendent heureux et triste. Je ne ressens m‹me plus la faim. Qu’est ce qui m’arrive ? C’est la premiŠre fois que je ressens ce genre de sensation. JIN GA‚ : – Ne cherche pas † comprendre Song Ten : tu es amoureux, rien de plus.
PYONGYANG SONG TEN : – Alors c’est ‡a ‹tre amoureux ? JIN GA‚ : – Oui ! Pourquoi ? Cela ne t’est jamais arriv€ † l’€cole ? SONG TEN : – ’ l’€cole, on avait pas le temps de discuter avec les filles. C’€tait m‹me interdit et puis lorsque la famine fait rage, on se pr€occupe plus de trouver de la nourriture que l’amour. JIN GA‚ : – M€fie-toi quand m‹me de ce que tu lui dis ! On ne peut faire confiance en personne dans ce pays de d€nonciateurs et de fanatiques. Prends garde car l’amour peut ‹tre aussi beau que destructeur. Jin Ga‰ se rendort, Song Ten et Khwan-So s’€changent un dernier regard avec un l€ger sourire et s’endorment „ leur tour.
5 Ex€cutions Tant que la dictature sera toujours en place en Cor€e du Nord, les ex€cutions devront ƒtre repr€sent€es sur la sc‚ne. Dans un champ, on voit d€filer des gens qui sont align€s par les soldats face au public. Les soldats quand „ eux sont dos au public, un genou „ terre, et se mettent en joue pour tirer. Le chœur d€crit la sc‚ne qui se d€roule. Les com€diens sur sc‚ne effectuent ce que d€crit le chœur.
LE CHŒUR : – Encore des r€fugi€s pris sur le fait. Ceux-l† viennent de Chine que l’arm€e chinoise a rapatri€ sans se demander se qu’il allait advenir de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants. Les enfants, on les s€pare de leurs parents, on les met face † ces derniers pour qu’ils puissent assister † leur mort. Ces enfants seront envoy€s en camp de r€€ducation par le travail et la plupart d’entre eux va mourir. Ces Chinois que nous avions accueillis en 1957 alors que la famine faisait rage dans leur pays et que le notre €tait abondant de nourriture ne nous renvoient m‹me pas l’ascenseur. Et voil†, une fois de plus, nous assistons † ces ex€cutions qui servent
PYONGYANG d’exemple. M€fiez-vous, cela peut arriver † n’importe lequel d’entre vous en Cor€e du Nord. Regardez ces pauvres gens qui ont tent€ de fuir pour survivre se retrouvent les mains li€es dans le dos et les yeux band€s attendant les trois salves de feu. On les enveloppe dans un sac jusqu’† hauteur des €paules pour €viter que le sang ne gicle. On place derriŠre leur t‹te, un r€cipient qui retiendra les morceaux de cervelles qui €clateront. On les attache au niveau des yeux, de la poitrine et de la taille. Les trois coups de feu doivent couper les cordes qui les retiennent en commen‡ant par la t‹te. Une fosse dans laquelle ils tomberont une fois la derniŠre corde sectionn€e est creus€e devant eux. Les condamn€s tomberont dans leur fosse aprŠs avoir fait une r€v€rence † leurs bourreaux. “a y est, ils sont pr‹ts et le moment est venu d’ex€cuter la sentence. Telle est la loi en Cor€e du Nord. En joue ! Feu ! Les soldats tirent les trois coups.
Et voil†, la justice D€mocratique Populaire de notre Cher Grand Camarade Leader Kim Jong-Il et de son fondateur le S€r€nissime Kim Il-Sung a encore frapp€. UN SOLDAT (au public) : – Tenter de s’enfuir est consid€r€ comme de la haute trahison et cela m€rite la mort. Que cela vous serve d’exemple. (Aux soldats) Encore une rude journ€e bien remplie. On enl‚ve les corps, les enfants sont emmen€s par les soldats et le chœur reste sur sc‚ne scrutant le public avec un air de r€volte et de piti€. Le rideau se baisse.
Interm•de Apr‚s un temps, le chœur se place devant le rideau et s’adresse au public. Le chœur effectue tout ce qui est d€crit.
LE CHŒUR : – Entre Kanggye et Pyongyang, s€par€es de 220 km, il faut en g€n€ral une heure et demi pour faire le trajet, mais en p€riode de p€nuries d’essence, d’€lectricit€ et de nourriture, il faut 24 heures. L’arriv€e en gare de Pyongyang se passe de la maniŠre suivante : on descend du train, on se met en ligne sur le quai, les permis de s€jour sont v€rifi€s, les bagages fouill€s, quelques questions sont pos€es puis, on vous souhaite la bienvenue dans notre ville. Vous qui avez fait le m‹me voyage, je vais vous demander de sortir vos billets d’entr€e et de les agiter au-dessus de vos t‹tes. Si le public ne r€agit pas, il faut insister, jusqu’„ descendre dans la salle et leur montrer qu’il n’y a pas de plaisanterie.
Merci ! Maintenant, une guide va vous faire d€couvrir la ville † la maniŠre nord-cor€enne. Bonne visite et soyez les bienvenus † Pyongyang !
Acte 5 S€oul 1 Conf€rence de presse Une table, avec plusieurs micros de diff€rentes agences de presse, est install€e au centre de la sc‚ne. Dans la salle, plusieurs journalistes attendent l'arriv€e de Song Ten pour son expos€ sur sa fuite. ˆ son arriv€e, des flashs pleuvent de partout. La conf€rence commence.
JOURNALISTE 1 : – Monsieur Song Ten, vous avez fui la Cor€e du Nord aprŠs l'ex€cution de votre famille. Pourquoi ne pas l'avoir fait plus t‘t avec toute votre famille ? SONG TEN : – Vous croyez qu'on d€cide comme ‡a de quitter la Cor€e du Nord ? Qu'on se rend compte que quelque chose ne va pas ? Que l'id€ologie est complŠtement d€pass€e ? Non, vous ne savez pas ce que c'est que d'€couter les m‹mes discours jour aprŠs jour, de subir les louanges d'un parti qui se dit d€mocratique et d'accepter le fait que la situation est pire chez les voisins. La propagande nord-cor€enne est la seule qui ait bien fonctionn€, la seule que tout un pays, sans exception, croit. Ma mŠre et ma sœur €taient d€vou€es au parti. C'est aprŠs un coup de sang de mon pŠre que toute ma famille a €t€ condamn€e † mort. J'ai m‹me assist€, de loin, † l'ex€cution. Vous pensez bien qu'aprŠs ‡a, je n'avais plus rien † perdre, alors j'ai pris le risque de m'enfuir. JOURNALISTE 2 : – Vous ‹tes-vous enfui seul ? SONG TEN : – Pas du tout ! On m'a aid€ ! Un autre Nord-Cor€en du nom de Jin GaŽ m'a sauv€ la vie au moment o• ma famille a €t€ arr‹t€e. C'€tait notre voisin et avait d€j† eu des problŠmes avec le systŠme. Comme il €tait fonctionnaire † Pyongyang quand il €tait 39
PYONGYANG jeune, il connaissait certains m€canismes de l'id€ologie et de la propagande † €viter. DŠs le moment o• le r€gime l'a priv€ de ce qu'il a tant aim€, il a d€cid€ de fuir le pays mais il ne pouvait pas le faire seul. J'€tais sa planche de salut et lui la mienne. Mais il est mort par ma faute alors que nous €tions intern€s en camp de travail, le tristement c€lŠbre kwan-li-so 15 : Yodok. JOURNALISTE 3 : – Pourquoi avez-vous €t€ transf€r€ † Yodok ? SONG TEN : – Parce que j'€tais recherch€ par la Police Populaire et qu'elle m'a retrouv€ † Pyongyang. Nous avons d'abord €t€ plac€ en prison † Pyongyang o• j'ai rencontr€ un v€t€ran europ€en de la guerre de Cor€e, captur€ au large des c‘tes nord-cor€ennes avec son €quipage de p‹cheurs. Il a pris une balle dans la jambe parce qu'il a dit une chose qui n'a pas plu aux gardes. Il est toujours dans cette prison † l’heure o• je vous parle et si ‡a se trouve, il est peut‹tre d€j† mort. JOURNALISTE 4 : – Ce n'est pas possible, j'ai couvert le sujet † propos de cette histoire et on a pu prouver que le bateau avait subi des problŠmes techniques avant de se mettre † d€river puis sombrer. Aucun survivant n’a €t€ retrouv€. Song Ten fait comme s'il n'avait pas entendu.
JOURNALISTE 5 : – Pourriez-vous nous d€crire ce que vous avez v€cu † Yodok ? SONG TEN : – Yodok est le seul camp o• sont enferm€s les prisonniers politiques et les familles de prisonniers politiques. Les enfants de moins de quinze ans vont † l'€cole trŠs t‘t le matin et travaillent trŠs dur l'aprŠs midi. Les horaires sont les suivants : de 6 heures du matin † 21 heures le soir en €t€ et de 7 heures du matin † 20 heures le soir en hiver. La barbarie est la compagne des gardes. Chaque pr€texte est bon pour se faire battre ou tuer. Les ex€cutions sont fr€quentes et la pr€sence aux ex€cutions est obligatoire pour les plus de quinze ans. Il faut voler au champ pour ne pas mourir de faim. J'ai vu beaucoup de d€tenus se faire descendre
PYONGYANG dans les champs de maŽs. La piti€ n'existe pas, il est interdit de tomber malade et la vieillesse n'est pas une excuse pour s'arr‹ter de travailler. Les rapports sexuels sont interdits et si une femme tombe enceinte dans le camp, on avorte son b€b€ † la maniŠre nordcor€enne, ce qui entra•ne g€n€ralement la mort de la mŠre dans les jours qui suivent. Le plus dur est le soir quand tout le monde rentre dans son baraquement, on s'affale sur nos couchettes sans manger, terrass€ par la fatigue et les mauvais traitements. Les gardes nous emp‹chent de dormir le soir en tirant des rafales de mitraillette devant les baraquements. Leur seul d€sir est qu'un d€tenu commette une erreur pour d€fouler leurs nerfs dessus. Il faut savoir que la plupart des gardes qui se trouvent l†-bas y sont plus par punition que par volont€. Ex€cuter un d€tenu qui tente de fuir leur permet d'entrer au parti et de faire des €tudes. Mon ami Jin GaŽ en a fait les frais. JOURNALISTE 6 : – Comment viviez-vous en Cor€e du Nord ? Quel €tait votre quotidien ? SONG TEN : – On ne vit pas en Cor€e du Nord, on survit. Chaque matin, je me rendais † l'€cole pour y apprendre la gloire de Kim IlSung, de son fils Kim Jong-Il et de la Cor€e du Nord. C'€tait ma derniŠre ann€e d'€cole avant mon service militaire qui dure 10 ans. Les professeurs m'ont donn€ le privilŠge de diriger une patrouille dans l'€cole pour nous d€fendre en cas d'attaque des occidentaux. AprŠs l'€cole, il fallait aller au champ pendant deux heures afin de remplir un des devoirs du citoyen nord-cor€en qui est l'aide † l'effort nationale. Je ne vous cache pas qu'il m'arrivait souvent de voler de quoi manger parce qu'il n'y avait plus rien dans les centres de distribution. Nous vivions dans une ville situ€e dans une r€gion de troisiŠme cat€gorie, † savoir les suspects ou les ind€sirables pour notre soci€t€ donc les convois de ravitaillement n'avaient pas besoin d'arriver jusqu'† nous. Dans la rue, les hauts-
PYONGYANG parleurs criaient sans cesse les discours de nos dirigeants et la gloire du pays, du parti. La propagande nous suivait jusque dans nos maisons o• la radio prenait le relais avec l'interdiction formelle de la couper. Il n'y a pas de bouton pour la couper d'ailleurs. „videmment, elle est bloqu€e sur une fr€quence ainsi que la t€l€. Nos voisins ont €t€ fusill€s pour avoir €cout€ une radio chinoise. Avant le repas, il fallait faire une priŠre au grand dirigeant puis nous mangions sous les regards de Kim Il-Sung et Kim Jong-Il, ces deux portraits obligatoires et plac€s dans la piŠce o• la famille se r€unit. Les jours de f‹tes nationales, de grands d€fil€s €taient organis€s en l'honneur du pays ou des dirigeants. Ces f‹tes €taient somptueuses et obligatoires sous peine de finir en camp en cas de d€nonciation. JOURNALISTE 4 : – C'est de la science-fiction ! C'est impossible ! On se croirait dans 1984 de George Orwell avec Big Brother ! Qui est donc ce charlatan pour nous raconter ce genre d'absurdit€ ? Tu crois que plus ton histoire est farfelue, plus tu toucheras d'argent ? Mes chers collŠgues, n'oublions pas que cette personne nous vient du pays du grand mensonge, je pense qu'il sait mieux le ma•triser que nous ! SONG TEN : – Vous croyez vraiment que j'ai risqu€ ma vie pour vous raconter des mensonges ? Vous croyez vraiment qu'il n'y a que l'argent qui me motive ? Qui ‹tes vous pour douter de la parole de ceux qui vivent les €v€nements ? C'est ‡a le journalisme des occidentaux ? Des remises en question sur les r€cits des t€moins ? Des histoires palpitantes sur la sexualit€ des stars alors que des millions de personnes sont soumises au pire des r€gimes ? Quel est ce monde dans lequel je viens d'arriver, qui refuse de voir le sens des priorit€s ? Oui c'est vrai, j'ai risqu€ ma vie pour venir mentir ici ! Les personnes qui se sont noy€es dans le Tumen et le Yalu avaient l'intention de venir mentir ici ! Les personnes qui sont
PYONGYANG encore dans les camps au moment o• je vous parle ne pourront pas venir mentir ici ! Nous sommes donc des milliers de menteurs venus bousiller vos mensonges qui vous lavent de toute culpabilit€ face † la survie de notre r€gime, cette survie orchestr€e par vos gouvernements ! Je vous rappelle que je suis venu ici parce que ma famille a €t€ ex€cut€e ! J'ai travers€ mon pays ravag€ par cinquante ann€es de socialisme pur et dur ! Mon seul ami est mort en camp pour que son bourreau puisse avoir une meilleure vie ! J'ai d” abandonner le seul amour de ma vie de l'autre c‘t€ de la frontiŠre o• les soldats l'ont fusill€ puis lapid€ comme le veut la coutume pour les d€serteurs ! Je suis venu ici pour d€noncer tout ‡a ! C'€tait m‹me le but de ma petite amie qui a renonc€ au parti et qui c'est sacrifi€e pour moi et je compte bien respecter sa derniŠre volont€ ! Notre v€rit€ est de d€noncer le mensonge dans lequel nous vivons, dans lequel vous vivez ! Mais, apparemment, les couples de star ont plus d'importance que les souffrances de 22 millions et demi de Cor€ens, vos frŠres ! Vous ne savez rien de ce qui se passe chez nous comme nous ne savons rien de ce qui se passe chez vous ! Je veux bien qu'on remette les choses en question ! Vous avez m‹me de la chance de pouvoir le faire ! Mais je remarque que vos €missions ab‹tissantes et vos s€ries B, auxquelles j'ai €t€ soumis pendant deux mois, vous d€tournent des choses les plus importantes, vous mŠnent vers l'ignorance, vers la soumission de ceux qui vous gouvernent ! M‹me la r€unification n'est qu'un mensonge ! Personne ne la veut pour des questions soi-disant id€ologiques alors que ces questions sont purement €conomiques ! Une r€unification entre le nord et le sud serait d€sastreuse pour vous, occidentaux, et c'est pour cela que vous maintenez le r€gime de Pyongyang en place, pour vos petits int€r‹ts ! Et la t€l€ est votre meilleur atout pour dissimuler la v€rit€ sur la r€unification ! Si vous continuez comme ‡a, d'ici quelques d€cennies, vos
PYONGYANG t€l€visions penseront † votre place ! Votre journalisme a beau ‹tre libre et contestable mais votre objectif restera toujours celui que le gouvernement vous imposera ! Croyez-moi, je n'ai pas longtemps €t€ soumis aux programmes t€l€visuels du sud mais je suis s”r d'une chose, c'est que votre t€l€ causera votre perte ; d'abord en prenant votre raison, puis votre imagination et enfin votre libert€ ! La propagande nord-cor€enne n'a pas eu besoin de passer par la distraction et le d€tournement des raisons avec des €missions o• l'on vous fait croire qu'on r€sout vos problŠmes ! Elle a su jouer sur l'isolationnisme, sur le fait que la partie nord de la Cor€e n'a jamais connu la libert€ et qu'aucun Nord-Cor€en n'a pu sortir du pays pour v€rifier les infos qu'on lui donnait ! Il a donc €t€ trŠs facile de faire croire que ce qui a €t€ mis en place en Cor€e du Nord est la libert€ et qu'ailleurs la situation est grave ! On a souvent vu des images d'€meutes † S€oul avec des commentaires tels que : ˆ leur r€gime s'effondre ‰, ˆ ils suivent les traces de notre nation ‰, ˆ enfin la r€volution et la r€unification ‰ et bien s”r, tout le monde est dupe ! Voil† pourquoi je vous invite † raisonner dans le bon sens quand vous recevez une info ! Remettez-la en question ! Prenez le temps de faire des recherches ! Ne laissez pas la t€l€ avoir le dernier mot car ce n'est pas le votre ! Je constate que votre t€l€ ne vaut guŠre mieux que notre radio ; l'unique diff€rence est que les choses sont clairement dites chez nous, alors que chez vous on conditionne votre maniŠre de penser pour mieux consommer ! M‹me dans vos €coles et vos lyc€es il s’agit plus de conditionner que d’€duquer ! Je pensais ‹tre devant un public qui aurait de la piti€ pour ceux qui subissent l'oppression d'une id€ologie complŠtement obsolŠte ! Qui serait compr€hensif vis-† vis de ceux qui souffrent ! Mais je me rends compte que je suis en face d’un public qui n'a que des problŠmes d’ordinateurs qui plantent ! Je crois que cette conf€rence de presse est termin€e ! Je n'ai plus rien † dire par peur qu'on d€forme mes propos ! Si vous
PYONGYANG voulez du sensationnel et la v€rit€, postez-vous † la ligne de d€marcation et tirez un coup de feu en direction du nord ! La Cor€e du Nord viendra † vous et vous regretterez de ne pas avoir agi † temps ! Bonsoir ! Song Ten se l‚ve pour sortir de sc‚ne, sous les flashs des appareils photos, furieux. Les journalistes le suivent en courant, essayant de lui arracher une derni‚re info.
LES JOURNALISTES : – Monsieur Song Ten ! Une derniŠre question monsieur Song Ten ! Monsieur Song Ten ! Attendez ! Ils sortent en le suivant.
2 l'Amie du Sud Dans une pi‚ce, Song Ten et Ashri sont assis dans des fauteuils. Ashri a un air triste et Song Ten se tient la tƒte entre ses deux mains.
ASHRI : – C'est vraiment abominable ce qu'ils t'ont fait subir. Heureusement tu leur as dit ce que tu pensais. Tu dois te sentir soulag€ pas vrai ? SONG TEN : – Un peu. En tout cas, c'est la premiŠre fois que je peux me heurter violemment comme ‡a avec la presse sans craindre de subir de repr€sailles. ASHRI : – Fais attention car si ici la r€pression n'est pas physique, elle est €conomique. SONG TEN : – l'argent ne m'a pas tu€ en Cor€e du Nord, ce n'est pas ici que ‡a va commencer. ASHRI : – Song Ten, il faut que tu prennes conscience que l'argent est tout ici, il permet de vivre et pas de piti€ pour celui qui n'en a pas.
PYONGYANG SONG TEN : – Je ne me fais pas de soucis de ce c‘t€ la, j'ai trouv€ du travail dans une cha•ne de montage d'€lectrom€nagers. ASHRI : – Moi je viens d'‹tre licenci€e du poste qu'ils t'ont donn€. SONG TEN : – Quoi ?! Mais on ne m'a pas dit que je prenais la place de quelqu'un d'autre ! Si j'avais su j'aurais refus€ ! Mais pourquoi ? ASHRI : – Deux raisons simples : d'une part, un Nord-Cor€en co”te moins cher qu'une Sud-Cor€enne. D'autre part, aprŠs ma blessure au bras, je ne travaillait plus † la bonne cadence demand€e par le patron. En plus, je viens d'apprendre que je suis enceinte et les patrons n'aiment pas les cong€s de maternit€. Ils ont pr€f€r€ me licencier et engager quelqu'un de moins cher. SONG TEN : – Non Ashri, je ne peux pas accepter ‡a ! Je vais d€missionner et les forcer † te reprendre ! Tu en as plus besoin que moi ! Je vais les d€noncer † la police ! Je vais... ASHRI : – Tes r€flexes nord-cor€ens sont toujours l† † ce que je vois. Non, ne fais rien. Si tu d€missionnes, ils n'auront pas de soucis † trouver une autre personne au m‹me prix que toi et ce ne sera pas moi. Si tu fais ‡a, tu subiras une double d€faite. Ce sont les rŠgles du jeu et tu as int€r‹t † les accepter si tu ne veux pas finir dans la rue. Le gouvernement ne t'aidera pas €ternellement. Il faut aussi aider les nouveaux r€fugi€s qui arrivent. SONG TEN : – Ce ne sont pas des rŠgles du jeu, c'est de l'exploitation de l'homme par l'homme. ASHRI : – Parce que tu crois qu'envoyer des gens en camp, parce qu'ils pensent autrement que le r€gime, ce n'est pas de l'exploitation de l'homme par l'homme ? Chez vous on redoute l'exploitation, chez nous elle est n€cessaire. Il ne peut y avoir une seule classe c'est impossible. D'ailleurs la Cor€e du Nord se vante de n'avoir aucune classe et pourtant la population est class€e en trois cat€gories alors excuse-moi mais il y a assez peu de diff€rence entre votre systŠme et le notre. La seule diff€rence est
PYONGYANG que l'un de ces systŠmes † su en tirer des b€n€fices gr•ce au profit. SONG TEN : – Donc je peux me faire licencier † tout moment ? ASHRI : – Oui ! Et dis-toi bien qu'ici ce ne sont pas les politiques qui gouvernent mais les patrons. Ce sont les multinationales qui d€cident comment sera g€r€e l'€conomie du pays. On les d€guise avec des partis mais tous sont homologu€s par une multinationale. Le parti du travail est quasiment inexistant ici et il fait rire les gens avec les discours de Kim Il-Sung vieux de 50 ans. SONG TEN : – J'ai l'impression d'‹tre revenu † Yodok. ASHRI : – Ne t'en fais pas pour moi. Je vais chercher un nouvel emploi. SONG TEN : – Je t'aiderai en attendant que tu en trouves un. ASHRI : – C'est gentil mais je ne pr€fŠre pas. Je ne veux pas ‹tre assist€e. Je dois pouvoir me d€brouiller toute seule sinon je deviendrai d€pendante de l'assistanat. Tu comprendras peut-‹tre un jour mais pour l'instant, accroche-toi † ton travail et fais de la lŠche au patron, ne le critique pas et fais lui toujours un grand sourire quand il passe. M‹me si ‡a ne t'assure pas ta place, ‡a joue sur leur mental au moment des licenciements. Je vais te laisser, je suis fatigu€e et puis demain c'est ton premier jour de travail alors il vaut mieux que tu sois en forme. Bonne nuit. SONG TEN : – Bonne nuit Ashri et si tu as besoin de quoi que ce soit... Elle sort en claquant la porte.
3 D'un enfer † un autre Dans l'usine o‡ travaille Song Ten. C'est l'heure du cassecro‹te. Les ouvriers s'arrƒtent et d€ballent leur d€jeuner. Song Ten est seul dans un coin de l'usine.
PYONGYANG UN OUVRIER : – Voil† un mois qu'il est l† celui-l† et jamais une plainte. Pourtant le patron n'est pas souvent trŠs tendre avec lui. UN AUTRE OUVRIER : – Avec nous non plus d'ailleurs. S'il a €t€ embauch€ c'est parce que c'est un r€fugi€ nord-cor€en comme ‡a le patron fait de sacr€s €conomies en le sous-payant. C'est d€gueulasse. UNE OUVRI•RE : – Il faut s'en m€fier, c'est † cause de lui qu'Ashri a €t€ licenci€e, elle ne produisait plus assez alors le patron s'est tourn€ vers les archives d'Hanawon pour trouver de la main d'œuvre bon march€. L'OUVRIER : – C'est vrai que ces Nord-Cor€ens nous volent nos emplois. Les militaires feraient mieux de surveiller cette passoire de Cor€e du Nord. Le gouvernement devrait interdire l'accŠs des r€fugi€s † nos emplois. L'AUTRE OUVRIER : – Non ! Il ne faut pas ‹tre aussi radical. Il a d€j† surv€cu au r€gime et † sa fuite, il est donc normal qu'il cherche † survivre ici. L'OUVRI•RE : – Oui mais si ‡a continue comme ‡a, il n'y aura plus que des r€fugi€s nord-cor€ens dans nos usines et des clochards sud-cor€ens qui survivent gr•ce † l'aum‘ne de ces nouveaux venus. Et ‡a, je ne peux pas le supporter. L'AUTRE OUVRIER : – Pour l'instant, on n’a pas † se plaindre. Ces r€fugi€s ne viennent que par petites vagues. Mais imaginez le jour o• la Cor€e sera r€unifi€e, l† ce sera un tsunami de r€fugi€s qui d€vastera tout sur son passage. C'est pourquoi il faut envoyer de l'aide en Cor€e du Nord pour la remettre † niveau avant une quelconque r€unification. D'ailleurs j'ai lu r€cemment qu'un trait€ de paix va ‹tre sign€ entre les deux Cor€e ; plus de 50 ans aprŠs l'armistice. Kim Jong Il est malade, il n'en a plus pour longtemps et il ne peut pas passer le flambeau. Ce trait€ de paix permettra † la Cor€e du Nord de b€n€ficier d'un plan Marshall sud-cor€en pour remettre † niveau les infrastructures de Cor€e du Nord.
PYONGYANG L'OUVRI•RE : – En tout cas, j'espŠre que je serai morte quand arrivera cette r€unification. Je ne peux pas me permettre de perdre mon emploi. Le patron entre et renverse la soupe de Song Ten exprŠs. LE PATRON : – Petit saligaud, regarde ce que tu as fait † mon pantalon. “a je te le retiendrai sur ta paye. J'en ai licenci€ pour moins que ‡a. SONG TEN : – Mais c'est vous qui m'‹tes rentr€ dedans. Pourquoi je devrai en payer les frais ? LE PATRON : – Parce que sans moi, ta vie n'a aucun sens ! Je dirai m‹me que sans moi tu n'existes plus ! Tu as besoin de l'argent que je te paye pour vivre alors tu as int€r‹t † te tenir † carreau ! Essuiemoi ‡a et plus vite que ‡a ! Song Ten essuie le pantalon du patron et le sol de l'usine.
SONG TEN : – Et qu'est ce que je vais manger maintenant ? LE PATRON : – “a c'est ton problŠme, pas le mien. Bon app€tit ! Il sort. Song Ten se dirige vers le groupe d'ouvriers.
SONG TEN : – Excusez-moi mais vous n'auriez rien en trop † manger ? Le patron m'a renvers€ ma soupe et je n'ai plus rien. L'OUVRI•RE : – Et puis quoi encore ! D€j† que tu nous voles nos emplois, tu fais le pique-assiette en plus ! C'est qu'il mordrait dans la main qui le nourrit ce petit insolent ! L'AUTRE OUVRIER : – Arr‹te ! Tu as bien vu ce qui s'est pass€ et lui au moins a eu le courage de r€pondre au patron. Le jour o• il t'a fait des avances, tu €tais sur le point d'accepter mais je vous avais surpris dans son bureau et c'est gr•ce † notre silence que nous sommes encore dans cette usine. Les pique-assiette sont les patrons, pas les r€fugi€s. Ils profitent de tout et de tout le monde. Pourtant, nous sommes plus nombreux qu'eux, alors pourquoi ne pas tenter de renverser la tendance ?
PYONGYANG L'OUVRIER : – Pour finir dans un r€gime comme celui de nos voisins, s”rement pas. Je pr€fŠre encore notre exploitation, tant qu'il y a l'inspecteur Fang Su-Den † la t€l€. L'OUVRI•RE : – Il faut dire que le gouvernement fait des efforts pour aider les gens au ch‘mage. Le chiffre du ch‘mage a encore baiss€ selon les journaux. J'ai lu ‡a ce matin. L'AUTRE OUVRIER : – Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas le ch‘mage qui baisse mais les ch‘meurs ! Ils ont refus€ trois entretiens avec des entreprises et on les a radi€ de la liste des ch‘meurs. De plus, il y a sept cat€gories de ch‘meurs et ne sont pris en compte dans les statistiques que deux cat€gories de ch‘meurs. On est donc loin du compte quand on vous donne le pourcentage du ch‘mage. L'OUVRIER : – Il vaut mieux cacher ces chiffres, sinon le pouvoir ne pourrait plus exercer. L'OUVRI•RE : – Il a raison, il faut €viter que les gens deviennent n€gatifs. Nous devons leur donner du positif sinon nous vivrons une p€riode d'obscurantisme et d'anarchie. De toute maniŠre, ceux qui sont radi€s ne sont que des fain€ants qui m€ritent leur sort. L'AUTRE OUVRIER : – C'est d€gueulasse ce que tu dis la. Tu n'as aucun respect pour l'‹tre humain. Nous ne sommes pas des marchandises bordel ! Mais comme les autres moutons, vous suivez bien le troupeau vous deux ! Je suis d€go”t€ devant tant d'intol€rance et d'€goŽsme ! Ce n'est pas dans notre culture d'abandonner les autres † leur sort. L'OUVRI•RE : – Depuis que les Am€ricains nous ont colonis€s et apport€s leur systŠme, si ! L'AUTRE OUVRIER : – Nous ne sommes pas am€ricains, nous sommes cor€ens et nous valons mieux que ‡a ! L'OUVRIER : – Nous ne sommes pas cor€ens, nous sommes sudcor€ens et nous valons ce que les Am€ricains d€cident. L'AUTRE OUVRIER : – C'est ignoble de d€nigrer ses origines, sa culture de la sorte ! Depuis que la Chine exerce une influence sur
PYONGYANG nous, la soci€t€ cor€enne a v€cu sur le d€clin. Qu'est ce qu'un Cor€en aujourd'hui ? Un communiste fanatique ou un capitaliste crapuleux ? Il n'y a plus de Cor€e, il n'y aura jamais de Cor€e car les Cor€ens n'ont pas su se lib€rer tout seul de leur oppresseur. Qu'en penses-tu petit ? SONG TEN : – Que j'ai quitt€ un enfer pour un autre.
4 Licenciements (ex€cutions) Des hommes et des femmes font la queue devant un bureau. L'Employ€ derri‚re le bureau tamponne des feuilles qu'il remet ensuite aux personnes qui attendent devant le bureau. Song Ten fait partie de ces personnes.
LE CHOEUR : – Regardez ces hommes et ces femmes qui attendent que leur soi donner leur papier de licenciement. Quelles erreurs ont-ils commises ? Des erreurs professionnelles ? Une improductivit€ trop g‹nante pour le bon fonctionnement de l'entreprise ? Du harcŠlement sexuel ? Un manque de respect envers les patrons ? Certes il y a ces genres de motifs plus ou moins valables. Mais il y a aussi des mises en scŠne qui permettent le licenciement d'€l€ments g‹nants ou de masse d'ouvriers co”tant trop cher aux patrons qui trafiquent les chiffrent pour que les licenciements soient justifi€s. Ces gens sont toujours en vie mais leur chance de retrouver du travail dans un pays actuellement en crise €conomique est mince et les employ€s licenci€s sont souvent des personnes proches de la retraite qui deviennent moins productives et plus co”teuses en aides sociales. Ceux l† se considŠrent d€j† comme morts, ex€cut€s par la justice capitaliste. La seule justice qui donne raison aux patrons. Song Ten reŒoit son papier tamponn€ et se place au centre de la sc‚ne.
PYONGYANG SONG TEN : – Est-ce donc ‡a mon pays d'accueil ? Est-ce donc de ce paradis dont j'ai toujours r‹v€ ? Est-ce cela mon destin ? Si c'est le cas, je vais devoir me r€signer † l'accepter car je pense qu'ailleurs c'est la m‹me chose. Je dois surtout me r€signer † une chose : je suis n€ Nord-Cor€en, je resterai Nord-Cor€en. Et comme vous le savez, il n'y a pas d'avenir pour un Nord-Cor€en et encore moins pour un Nord-Cor€en en fuite. Il n'y a pas plus de libert€ chez vous que chez nous. Notre libert€ est limit€e par un parti, la votre est limit€e par l'argent. Il sort.
Rideau
„pilogue LE CHOEUR : – AprŠs son licenciement, Song Ten ne retrouvera jamais du travail et finira par dispara•tre. O• est-il parti, ‡a c'est son choix mais il sait que sa qu‹te ne sera jamais termin€e. C'est d'ailleurs le but d'une qu‹te : ne jamais l'atteindre mais la faire quand m‹me pour se d€couvrir soi-m‹me. Quoiqu'il en soit, son d€part s'est acc€l€r€ le jour o• il a appris le suicide d'Ashri qui, toujours † la recherche d'emploi et ne pouvant subvenir aux besoins de son fils, d€cida de mettre fin † ces jours. Qu'est devenu l'enfant me demanderez-vous ? Il va bien, il a €t€ plac€ par l'„tat dans une famille qui a les moyens de s'occuper de lui et de lui apporter tout l'amour dont il a besoin, † part celui de sa vraie mŠre. Comment l'a-t-elle appel€ ? Elle l'a appel€ du m‹me nom que ce gar‡on courageux qui a d€fi€ une id€ologie pour en combattre une autre ; elle l'a appel€ Song Ten et il est ce qui reste de cette histoire. Mesdames et messieurs, vous venez de voir une fiction bas€e sur des t€moignages r€els, † quelques exceptions prŠs, sur le dernier pays stalinien de la planŠte. Le degr€s de violence qui vous a €t€ pr€sent€ d€crit la situation chaotique et id€ologique dans laquelle les Nord-Cor€ens sont oblig€s de vivre sans broncher. Partout, les soci€t€s cherchent † atteindre une forme de totalitarisme. Autant, en Cor€e du Nord nous le savons gr•ce † leur autarcie, autant en Cor€e du Sud nous le cachons gr•ce † la t€l€. Pourquoi le cachons-nous ? Parce que nous vivons dans le m‹me systŠme et que nous essayons d'en faire ressortir uniquement le meilleur, le positif selon Kim Il-Sung. ’ Pyongyang, c'est le paradis ! ’ S€oul, le paradis c'est la derniŠre Hyundai ! 53
PYONGYANG Cette histoire n'a pas €t€ con‡ue pour vous divertir mais pour vous permettre de prendre conscience de l'enfer des Nord-Cor€ens, que ce soit chez eux † Pyongyang ou ailleurs comme r€fugi€s. Pensez-y et n'h€sitez pas † en parler autour de vous. Seule l'opinion publique pourra faire quelque chose contre un r€gime qui continue d'exister gr•ce † l'aide des occidentaux. Maintenant, vous n'avez plus d'excuse, plus le droit de dire ˆ on ne savait pas ‰ car cette fiction est proche de la r€alit€. Bonsoir ! Le chœur se disperse dans la salle et ouvre les portes au public.
Remerciements ’ Kang Chol-Hwan, Hyok Kang, Kim Tae-Gum, Ko ChinGyong et Park Pok-Yol pour leurs €mouvants t€moignages. ’ Pierre Rigoulot, Philippe Grangereau, Alain Destexhe, Marine BuissoniŠre, Sophie Delaunay, Juliette Morillot, Dorian Malovic et Cheong Seong Chang pour leurs ouvrages sur la Cor€e du Nord. ’ l’€quipe des arts du spectacle de l’Universit€ Marc Bloch (Strasbourg 2) pour leur soutient dans ce projet. ’ tout ceux que j’oublie qui m’ont aid€ dans mon €criture et qui ont subit mes expos€s sur la Cor€e du Nord (ils se reconna•tront). ’ tous ceux † qui j’ai pris des photos sur Internet afin d’illustrer la visite guid€e de Pyongyang. ’ ma famille qui m’a soutenu dans mes moments les plus difficiles et plus particuliŠrement † mon papa qui a corrig€ le manuscrit.
Quelques photos de Pyongyang
Kim Il-Sung et son fils Kim Jong-Il
Panorama de Pyongyang
Panorama de Pyongyang
Panorama de Pyongyang
CitÄ de Kwangbok
Table des mati„res Avertissement...............................................................................9 Personnages................................................................................10 Prologue.....................................................................................11
Acte 1 Le r…veil dans le cauchemar..................................13 1 Le survivant ............................................................................13 2 Le plan.....................................................................................21 3 Cruelle police ..........................................................................23 4 La fille du train .......................................................................25 5 Ex€cutions ..............................................................................35
Acte 2 Pyongyang..............................................................39 1 Le monument du parti des travailleurs .....................................39 2 Le passeport.............................................................................40 3 Mansudae (La colline Mansue) ...............................................43 4 Le dollar .................................................................................44 5 La place Kim Il-Sung, le Juche ...............................................51 6 Exclusion ................................................................................52 7 L’h‘tel Ryoukyeung.................................................................59 8 Arrestation ..............................................................................60 9 Ex€cutions ..............................................................................61
Acte 3 La prison................................................................65 1 Le d€sespoir de Song Ten ........................................................65 2 L’interrogatoire de Jin GaŽ .......................................................67 3 Le v€t€ran ...............................................................................71 4 ˆ Justice ‰................................................................................76 5 Bagarre entre d€tenus ..............................................................79 6 Le sort en est jet€ ....................................................................82 7 Ex€cutions ..............................................................................83
Acte 4 Kwan-Li-So 15 : Yodok.........................................87 1 L’€cho des d€tenus ..................................................................87 2 L’arriv€e au camp ....................................................................91 3 L’„cole † Yodok ......................................................................94 4 Une rencontre inattendue ........................................................98 5 La mort de Jin GaŽ .................................................................102 6 Le revers de Khwan-So .........................................................104
7 Alerte ....................................................................................107 8 Le passage au Sud .................................................................108 9 Ex€cutions .............................................................................111
Acte 5 S…oul ....................................................................115 1 Conf€rence de presse .............................................................115 2 l'Amie du Sud .......................................................................121 3 D'un enfer † un autre .............................................................123 4 Licenciements (ex€cutions) ...................................................127 †pilogue...................................................................................129 Remerciements ........................................................................131 Quelques photos de Pyongyang.................................................133 Cartes........................................................................................147
ISBN : 978-2-917899-10-6 Achev€ d'imprimer en d€cembre 2009 TheBookEdition.com Lille (Nord)
Imprim€ en France D€p‘t l€gal : 20090114-2317