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*** Image de couverture : toile d'Éric Plumet
À mes Uniques « Il faut éclairer la conscience et non la contraindre. » DIDEROT, « Lettre à mon frère »
Un livre,
Bribes de vie, Graine semée… Gestation…Éclosion… Un livre, comme une naissance. Enfant qui naît, Avec le plus de douceur possible, Mais dans la violence, la douleur aussi. Un livre, Mots expulsés, Cœur exposé, Morceaux choisis, Parcelles de vie, Quartiers d’orange. Mots ouverts à l’espace de la pensée. Mots offerts à Dieu, qui est fidèle. À ceux qui ont croisé ma route, À ceux qui tiennent ma main, À ceux qui m’ont tant appris, À ceux, parents, amis, Qui m’ont enrichis de leur vie, Élargissant l’espace de ma tente.
QUARTIERS D'ORANGE Remercier
Un temps pour Dieu. Remercier, on oublie. Tant de choses à faire, je me laisse happer. Remercier ! C’est bon, Cela décentre de soi, Recentre sur Dieu, Ouvre à l’autre. Arc-en-ciel dans un ciel nuageux. L’arc-en-ciel, Alliance de Dieu avec l’homme. Je veux mettre ma volonté À respecter cette alliance. Septembre 1995
Le silence… quand les mots sont enchaînés, Le bâillonnement de l’esprit… quand les pensées sont étouffées, La maladresse des gestes… quand les émotions effrayent. Uniformité et vide. 5
QUARTIERS D'ORANGE Funambule
Minuit, En l’espace d’une seconde, On passe d’un jour à l’autre, Comme on passe de la vie à la mort Ou à la Vie. Le temps bascule. Chutes libres – équilibres, Se succèdent, Créant variétés, mystères, peurs et joies. L’espace d’un instant, La vie bascule, Chute libre ? équilibre ? Novembre 1989
À ressasser le passé, Le présent vous file entre les doigts Sable fin…
E. Plumet 6
QUARTIERS D'ORANGE
Quand vient le bruit
La nuit, Des cris, comme des éclairs, Viennent foudroyer le silence ! Et la peur m’envahit. Prise dans un étau… No way to escape. Paralysie… Dehors, des cris… encore. Des chuchotements… Bousculades, L’angoisse, la peur, le viol, La mort… peut-être !? Où sont les autres ?… et elle ? Toi, pour qui je ne peux rien… Vaincue par ma propre peur. Soudain, Le silence… Et cette peur au ventre. Le silence. J’entends… Des mots expirés… 7
QUARTIERS D'ORANGE La vie ! Mais cette peur, Cette impuissance, Ma lâcheté… pas d’échappatoire… Le jour se lève… enfin ! J’ai cru que le soleil, Cette nuit, oublierait sa course Pour toujours… Ce n’était pas un cauchemar, Réalité froide, sans merci. Le soleil est là, Le jour se lève, La vie continue, Quelle vie ? Juin 1992
E. Plumet 8
QUARTIERS D'ORANGE
J’ai toujours aimé L’image de l’Homme debout, Qui marche. Qui va son chemin, À son rythme Parfois lent, Enclin à la réflexion. Passant un obstacle, Surmontant une difficulté ! Parfois plus rapide, D’un pas assuré, Profitant d’un chemin favorable Marchant vers un but fixé ! Aller de l’avant, Puisque la vie n’attend pas. L’homme qui marche Symbole de vie…
Nettoyant une vieille lampe-tempête, Une idée me traverse l’esprit : Je me sens parfois comme elle ! Essuyant les tempêtes de ma vie. Le froid et la pluie, Les soirées paisibles aussi ! Puis vient le jour Où il faut nettoyer, Décrasser, Pour ne pas cacher la flamme… ! Pour ne pas que ma vie ne devienne… Qu’un objet décoratif ! 9
QUARTIERS D'ORANGE
Montjoie Il est des moments Où l’on ne sait plus ni d’où l’on revient, Ni qui l’on est, ni ce que l’on veut. Des moments où le tourment intérieur Est trop grand. Où les nuits sont des cauchemars, Des moments où des appels raisonnent Comme le glas. Un glas qui semble impossible à taire en soi. C’est à cause, grâce, À un moment pareil Que je suis là ! Jours après jours, Nuits après nuits, Des moments heureux S’immiscent dans mes cauchemars. Vous m’avez reçu avec tact, Gentillesse et tendresse. Je vous remercie du fond du cœur, Espérant avoir su vous faire comprendre Le plaisir que j’ai eu En votre compagnie, Le bien que vous m’avez fait. Août 1992
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QUARTIERS D'ORANGE
Des pas sur un fil
Entre vie et mort, Joie et peine, On croirait un abîme, Or, il n’y a qu’un fil. Fil sur lequel l’on déambule, Un pas après l’autre Funambules. Jonglant avec nos sentiments, Lançant une balle, puis l’autre, Avec maladresse souvent, Doute ou conviction tout à la fois ! Un être meurt Un autre naît. Tous deux aimés, L’un encore, L’autre déjà ! Pesanteur de mon absence Silence… Les mots d’adieux, Les paroles de bienvenue Se sont tus… perdus, Restent les larmes, Celles que nul n’a vues ! Point d’adieux, Point de bienvenues… Seule l’absence ! Toi ô Dieu, tu sais… Qui était et qui sera ! 11
Tu es là, Tenant dans tes mains Remplies d’amour, La mort, la vie, Nos peines, nos joies… Tu nous en fait cadeau, Pour le meilleur, Pour que la vie Vaille d’être vécue, Pour que l’on sache… Que tu es Dieu !
Mai 1993
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QUARTIERS D'ORANGE Prénoms d’Afrique
L’Afrique, Rêve de la moitié de ma vie. Connaître son rythme, Rencontrer ses peuples… Kayton, le long somalien, Réfugié, fuyant son pays en guerre. Sara, devenant ronde à vue d’œil ! Papa Mujinga, sa curiosité du monde, Sa passion du foot, de la Croix-Rouge, Son regret du passé. Kalofia, futée, intelligente, attachante, Petit Jean, sûr de lui, fier et fort. Hélène, curieuse, perfectionniste. Petite Nat, ton regard doux, Tes bras autour de mon cou. Marie, petite sœur, amie. Et ces petits qui rient de plaisir, Posant leur regard sur la blanche ! Tendant la main… voir si je suis vraie, Si la peau de la musungu va déteindre ! Ces petits dont les regards Me font fondre de bonheur ! Je vous aime !
Mai 1993
Je vais à la dérive. Bateau sans gouvernail Mon rêve africain ferait-il naufrage ? Deviendrait-il cauchemar ? À nouveau ? 13
QUARTIERS D'ORANGE Il n’est de frontière, Ni pour l’amitié, Ni pour l’affection ! Élan du cœur Élan de vie Une amitié naît quelque part… Le chemin en fait deux ! Bifurcation… séparation…au revoir… adieux ? Subsistent une amitié, une affection… Demeure le sentiment profond D’avoir de la valeur pour quelqu’un, Quelque part. Perdurent, Une parole, une attitude, Un sourire, un parfum. Serait-il que je sois une âme errante ? Une errante dans l’âme ?
E. Plumet 14
QUARTIERS D'ORANGE
Enfants de là-bas
Petit Tarysh, petit Cola, Petits amis zaïrois, Petite Nat, qui veut partir avec moi à Bulaya… Que seriez-vous hors de chez vous ? Votre terre ocre, Vos grands arbres verts, Vos flamboyants. La vie de vos rues Les rythmes des tam-tams. Tout cela est à vous, Vous va si bien. Votre soleil rouge vif à son déclin, Votre ciel fabuleusement étoilé, La douce chaleur qui court dans les rues, Tout cela est à vous. Les parfums des frangipaniers, Les couleurs des bougainvilliers, Tout cela est entre vos mains. Vous n’avez rien à envier Aux petits basungu. Si, pardon, ô combien pardon ! Le privilège des bancs de l’école, Le bonheur d’une assiette pleine ! Votre regard s’illumine Tellement plus grand Quand un sourire s’y dessine ! Maintenant que mon départ se précise, Je ressens encore plus combien, Votre absence sera un vide. 15
QUARTIERS D'ORANGE Je garderai dans mon cœur, La richesse de vos vies, Vos sourires, vos jeux, La joie de vous avoir portés dans mes bras, Le bonheur de vous entendre m’appeler ! Merci à vous petits amis. Octobre 1993
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QUARTIERS D'ORANGE
Si je peux partir
Je suis là, bien là. Mes pieds touchent le sol, Mes mains frôlent des objets, Des visages connus. Mes yeux fixent, Se fixent sur des endroits, Des regards où ils se sont déjà posés. Mais je me sens absente ! Mon esprit, mes pensées, Ne font que voyager. Voyage entre ici et ailleurs, Ou là-bas. Je retrouve des visages aimés. Je serre dans mes bras Ceux que j’avais laissés. J’embrasse ceux qui aussi ici, Ont une place dans ton cœur. Soudain , Les images de Kasenga Remontent jusqu’à ma mémoire Et je me souviens… Des sanglots déchirants de Kakunta, de Marie, Mon cœur se serre. J’ai envie de les prendre dans mes bras, Leur dire que je ne les oublie pas… Et je me souviens… J’essuie les larmes qui roulent Sur ces joues couleurs locales.
Je caresse, serre contre mon cœur Ces têtes crépues aux yeux immenses Remplis de larmes. Je tente de consoler… Et moi ? Je pleure, je pleure… Mais maintenant, Je suis ici, bien ici. Pas question d’être absente, Perdue dans mes images souvenirs. Je ne veux pas exclure ceux que j’aime ici, De ce qui a fait une partie de ma vie. Je veux qu’ils sachent que si je peux partir, C’est parce qu’ils sont ici… À me garder dans leur cœur, Si je peux partir, C’est parce que je me sais aimée… ici !
Novembre 1993
E. Plumet 18
QUARTIERS D'ORANGE
Viêt Nam
Les rayons du soleil Lèchent les bambous en-rosés. Déjà, les femmes plantent Les pousses de riz, De l’eau jusqu’aux genoux. Du haut de la colline, Leurs vêtements colorés, Fleurs s’épanouissant au soleil Bougeant au gré du vent. Aidés de buffles, Les hommes labourent, Préparant le sol inondé À recevoir les prémices De leur richesse, Le riz. Dans les hautes et longues maisons, Humbles malgré leurs pilotis, Le feu, compagnon de vie. Le feu pour le thé, convivial. Le feu pour le riz, précieux. Dans la rudesse de leur vie, Ils savent recevoir, accueillir, Partager le peu. Simplicité. Plaisir d’être connus, reconnus. Reconnaissance de l’attention donnée. Pauvres de richesses, Riches d’ingéniosité, d’accueil, De souffrances, de joies ! Février 1994
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QUARTIERS D'ORANGE
Les couleurs de la vie Sur la feuille blanche Du temps qui passe. Aujourd’hui est déjà hier, Demain est bientôt maintenant… Le fil de la vie, ténu, Tendu ou souple, Enchevêtré ou démêlé. Puis un jour, La boucle est bouclée… Restent les couleurs de la vie Sur le tissage de notre existence… Octobre 1994
M. Still
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QUARTIERS D'ORANGE
Parfum
Il y a des moments précieux Qui restent dans mon cœur, Qui s’envolent avec moi quand je pars, Qui sont comme un baume, Un parfum précieux et unique. Ces moments, Je les repasse en mon cœur Quand la nostalgie, La mélancolie S’introduisent dans mes pensées Et me rendent triste. Je les repasse en mon cœur, Et lentement, ils chassent la tristesse. Lentement, ils me redonnent de la joie M’aidant à continuer, À vivre le moment présent, Parce qu’ils me rappellent ceux que j’aime Et qui m’aiment. Amitié, affection… Cadeaux précieux, Avoir de l’importance Pour quelqu’un, Quelque part… Oui, cadeau inestimable ! Moments parfumés, Délicatement… par la main de Dieu. Janvier 1995
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QUARTIERS D'ORANGE
E. Plumet
Deux par deux
À demi conscientes, On les guide, Les dénude, Les soulève. Deux par deux, Leur visage tourné vers le ciel… Et le couperet tombe ! Fine lame, Ouvrant le chemin Vers leur fertilité, Leur féminité, Leur intimité.
Deux par deux, Leurs pensées traversent Rizières, vallées et monts. Elles revoient leur village, Leur compagnon, leurs enfants. Dans le lointain, une voix résonne, écho. « …pour le bien de vos enfants pour leur donner le meilleur 250 000 Dongs, rien que trois petits coups… vous ne serez pas seule… ! » Trente… deux par deux ! Trente ans, je n’enfanterai plus ! Chair de ma chair Et si je vous perds ? Pas de retour possible... j’ai dit OUI ! Décision sans retour, Sans recours. Derrière la porte, Les regards sont intenses… Voyeurs… curieux… C’est donc cela ? Moi aussi… deux par deux, Trois petits coups. Trente… Un petit tour Et puis… s’en vont ! Et si la voix avait menti… Par omission ? Deux pairs d’yeux masculins, Rivés sur mon intimité Ma féminité. J’ai dit OUI ! Mais m’a-t-on dit la vérité ? Trente FEMMES… Deux par deux « Stérilisées » à la chaîne. « Ça ne sera RIEN », Disait la voix, Disait la FEMME
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Avril 1995
QUARTIERS D'ORANGE
Déchirures
On ne revit jamais ce qu’on a vécu. Je laisse ce Viêt Nam que j’ai aimé. Ces yeux bridés. Visages d’abord fermés, Puis tellement lumineux. Je quitte ces gens que j’ai aimés. Nous nous sommes apprivoisés. Déchirures Lê, Cuc, Khoah, Huong, Nga, Thuy, Phat… Les au revoir sont douloureux Parce que j’ai peur qu’ils ne soient des adieux ! Je revois ces visages que j’aime… Mes yeux s’embrument Mon cœur se dilate en moi J’ai envie de crier ma douleur, Pour l’expulser de moi, Pour qu’ils entendent que je les aime, Qu’ils me manquent déjà. Mais je reste là, à écrire, Assise sur le siège de ce train Qui me ramène chez moi, Le cœur gros ! Et d’autres visages S’infiltrent dans mes rêveries… D’autres pays traversés… Lentement, S’est tissé le fil de l’amitié, Respect, richesse de la découverte, Heurts, réconciliation. Dieu, fait que ma mémoire, Jamais, ne me fasse défaut. 24
Que les mois, les années passent, Sans que jamais je n’oublie, Les visages, les émotions D’ici ou d’ailleurs ! Gares, rails, aéroports, pistes… À nouveau… rengaine ? Je laisse toujours quelqu’un… Plus riche d’amitié, Mais comme dépossédée, Par les adieux, D’une partie de moi-même…
Novembre 1995
E. Plumet 25
QUARTIERS D'ORANGE
Retrouvailles amicales
Dans la joie, La simplicité, familiales Montjoie Parfums de lavande, de thym, De pin. J’aime les petits chemins Qui serpentent Dans ses pentes. Montjoie, Chargé de souvenirs, D’avenir. Y retrouver, S’y retrouver. Montjoie, Que je suis émue de revoir Quelques années plus tard. J’étais si mal à l’époque, Si perdue après cette attaque Ne sachant plus que faire Pensant que mon rêve africain Était inatteignable ! Montjoie, Jusqu’à ce jour, J’ai fait ce dont je rêvais. Ce qui m’appelait. Été 1996
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QUARTIERS D'ORANGE
Sahel
Dans la noirceur du ciel scintillent les étoiles. Le petit berger peuhl ramène son troupeau De moutons et de chèvres. Le soleil s’est couché derrière la colline. Minaret orangé, Nuages rosés. Le vent ne m’a pas porté Le doux son de la cloche ce soir. La plume vermeille était posée À même le sol ocre Au milieu de ces petits oiseaux rouges Que j’aime. Je me suis approchée Ils se sont envolés. Étincelles, Dans le ciel. Et je l’ai ramassée, Rouge vermeille La petite plume, Pour qu’elle s’envole. Autre destination Pour dire mon affection. Janvier 1997 27
QUARTIERS D'ORANGE Remerciements Mes remerciements chaleureux et affectueux à ceux qui ont participé d’une manière ou d’une autre à ce que ce livre voit le jour, à ce que mon rêve devienne réalité. En particulier Éric qui a gentiment accepté de dessiner, peindre pour ce projet, ainsi que Monique. Claudine et Brig, mon « comité de lecture » Charlotte et Joseph, je vous porte à toujours en mon cœur. Bérengère et Peggy pour vos encouragements et votre enthousiasme. Brigitte pour ta confiance, ta fidèle amitié. Et tous ceux qui se lisent entre les lignes, ceux qui me sont chers, ma famille. De chacun je reçois l’amitié, l’affection et l’amour comme un précieux trésor. Nulle histoire n’est le fait d’un seul, je suis pétrie de vécu, de rencontres et de ceux qui m’aiment.
E. Plumet 28
QUARTIERS D'ORANGE
Aujourd’hui, certaines personnes rencontrées ont quitté cette terre. Que ce livre soit pour elles l’humble hommage de mon cœur.
E. Plumet 29