Tea or coffee ?

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Autres ouvrages : Hep taxi ! Polar €ditions Keraban – 2009

€ fleur de r•ves Po‚sie €ditions Atlantica – 2009

Au gr‚s des vents Roman Publibook – 2007


Corinne Sauze

Tea or coffee ? Roman


ƒ Corinne Sauze – 2009 co.sauze@laposte.net ISBN 978-2-917899-23-6 ƒ Les ‚ditions Keraban – 2009 2 route de Bourges – 18350 – N‚rondes contact@keraban.fr http://www.keraban.fr La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alin‚as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement r‚serv‚es … l’usage priv‚ du copiste et non destin‚es … une utilisation collective et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute repr‚sentation ou reproduction int‚grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alin‚a 1er de l’article 40). Cette repr‚sentation ou reproduction, par quelque proc‚d‚ que ce soit, constituerait donc une contrefa†on sanctionn‚e par les articles 425 et suivants du Code p‚nal.


€ tous ceux que j'aime, merci d'•tre lƒ !



Chapitre 1

— Welcome to Westgate-on-Sea ! leur annon†a fiˆrement leur accompagnateur, tandis qu’en toile de fond Rod Stewart brayait son baby Jane … pleins poumons. — Je ferai l’appel dˆs que toutes les familles d’accueil seront pr‚sentes, vous pourrez alors rassembler vos affaires et quitter le car, rajouta-t-il en haussant le ton pour couvrir la musique. Aprˆs ce bref intermˆde, Rod Stewart reprit son tube … perdre haleine, accompagn‚ par les claquements de doigts du chauffeur anglais, avachi derriˆre son volant. Les yeux agress‚s par la lumiˆre du jour, m‰me blafarde, Pauline jetait un regard curieux … travers les vitres sales de l’autobus. Un brouillard grisŠtre avait d‚pos‚ un voile surr‚aliste sur les environs. Sans doute le fameux smog, moiti‚ fum‚e (smoke), et moiti‚ brouillard (fog), songea-t-elle en se rem‚morant ses cours d’anglais. 9


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Le bus s’‚tait arr‰t‚ en face d’un casino abritant l’‚quivalent de notre loterie nationale, leur avait expliqu‚ leur accompagnateur. Comme il ‚tait reposant de le voir la bouche ferm‚e, celui-l…, aprˆs avoir subi ses commentaires insipides pendant tout le trajet. ‹ Et … votre droite, vous pouvez apercevoir la fameuse campagne anglaise ; et l…, sur votre gauche, vous pouvez admirer une maison splendide du XIXesiˆcle.... Œ. Aussi ‚puisant que de suivre un match de tennis : ‹ un coup … droite, un coup … gauche ! Attention, †a repart dans l’autre sens ! Œ Son micro coll‚ … sa bouche tel un cornet de glace, il les avait so•l‚s de ses commentaires, sans se pr‚occuper un seul instant du manque d’attention de ses passagers, ‚reint‚s par une nuit courte et agit‚e. S’il avait adopt‚ un ton monocorde, ils auraient au moins pu somnoler. Mais non, il haussait la voix r‚guliˆrement, comme de brefs coups de sifflets pour rappeler … l’ordre les endormis, ou ceux en passe de succomber au Dieu Sommeil. Pauline avait du mal … r‚aliser que seulement quelques heures s’‚taient ‚coul‚es depuis leur d‚part de Boulogne-sur-Mer, la veille au soir, tous transis dans leurs v‰te10


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ments d’‚t‚ malmen‚s par un vent glacial. Elle avait plutŽt l’impression que plusieurs jours avaient d‚fil‚ aprˆs un voyage si ‚prouvant. Elle se revoyait avec son sac de voyage d‚pos‚ … ses pieds, tel un chien attendant le feu vert de son ma•tre pour bouger. Autour d’elle, un quai anim‚ par un va-etvient de personnes en partance ou en retour d’Angleterre restait comme suspendu audessus d’une mer houleuse, o• tanguaient harmonieusement d’imposants ferries. Dress‚es dans un ciel aux nuages mena†ants, des grues gigantesques apparaissaient comme des cadavres d‚charn‚s de quelques animaux pr‚historiques ‚gar‚s. — D‚p‰che-toi, Pauline, la sermonnait affectueusement son pˆre, sinon, tu vas ‰tre en retard ! M‰me la stature habituellement imposante de son pˆre lui paraissait diminu‚e sur ce quai aux monstres m‚talliques d‚mesur‚s. A ses cŽt‚s, les silhouettes de sa mˆre et de sa sœur cadette semblaient se d‚tacher contre le fond gris offert par le ciel, tels deux personnages de cin‚ma sortis de leur toile. Ce petit monde familier accompagnait Pauline dans sa procession silencieuse, lui 11


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souriant fr‚quemment comme pour l’encourager tacitement. Mais elle ne ressentait aucune appr‚hension particuliˆre pour ce s‚jour en Angleterre, m‰me s’il comportait une partie scolaire. — L…-bas, c’est Virginie ! s’exclama soudain l’adolescente, en d‚signant un groupe de personnes, sans masquer son soulagement. Rien de mieux qu’un repˆre ‚prouv‚ quand on a provisoirement perdu ses marques. Intimid‚e par la pr‚sence de la famille de sa camarade de classe, Pauline attendit f‚brilement que celle-ci se d‚tache du lot. D’un seul coup, elle sentit ses forces d‚cupl‚es grŠce … cette pr‚sence familiˆre. Les deux familles se saluˆrent poliment, tandis que les deux adolescentes un peu f‚briles se soudaient inconsciemment. — Le groupe de Westgate-on-Sea, s’il vous pla•t ! tambourina une voix inconnue, salu‚e en ‚cho par un sifflement plaintif annon†ant le d‚part d’un bateau. Visiblement mal … l’aise, la mince stature de Virginie ne r‚agissait pas. Sagement attach‚s, ses longs cheveux se balan†aient au gr‚ du vent, comme un balancier ‚grenant des minutes. 12


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Secou‚e par le m‰me souffle ind‚licat, Pauline sentait son estomac se nouer … la perspective de monter dans le monstre de fer aux flancs larges, con†u pour leur faire traverser la Manche. La b‰te avait la mŠchoire avant grande ouverte pour remplir dans ses cales des bus, des autos ou des motos, telle une baleine avalant d’une traite bateaux ou cargos, sans prendre la peine de les mŠcher. — Allez, les filles, il va falloir y aller ! les encouragea le pˆre de Pauline. Les deux adolescentes restaient p‚trifi‚es sur place, comme transform‚es en blocs de glace. Autour d’elles, d’autres jeunes accompagn‚s par leurs familles ‚coutaient d’un air je-m’en-foutiste ou agac‚ leurs derniˆres recommandations. L’un d’eux faisait claquer bruyamment un chewing-gum, un autre s’‚tait branch‚ sur un walkman, histoire d’‚chapper … son environnement imm‚diat, d’autres encore tripotaient nerveusement un pan de leur veste, ou suivaient toute cette agitation d’un œil indiff‚rent ou narquois. Face … eux se trouvait un homme d’une 13


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quarantaine d’ann‚es, v‰tu d’un jeans et d’une veste en jeans, les sourcils fronc‚s sur une liste de noms. Ses cheveux couleur jais avaient certainement ‚vit‚ depuis longtemps la moindre rencontre avec un peigne, tandis que son visage refl‚tait un agacement accentuant des rides d‚j… profondes. Arm‚ d’une politesse forc‚e, il r‚pondait briˆvement aux questions de certains parents, avant de faire presser les ados sous sa responsabilit‚. D’une certaine maniˆre, il apparaissait comme un intrus dans son propre rŽle. D’une voix hach‚e et lasse, il commen†a … compter ses ouailles : — Un, deux... quatorze, quinze... Ah, il en manque un ! Je vais recompter... — Non, attendez, c’est moi ! hurla un gar†on essouffl‚. A son arriv‚e, les autres ados ne purent r‚primer des sourires. Le dernier arrivant arborait une vraie bille de clown, encadr‚e par une tignasse fris‚e et abondante. Il ‚tait v‰tu d’une salopette en jeans, surmont‚e par une veste en cuir, et tenait nonchalamment un imposant sac de sports d‚form‚ par les affaires qu’il renfermait. 14


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Suivant l’angle qu’on le percevait, sa d‚contraction apparente le faisait appara•tre soit particuliˆrement sympathique, soit carr‚ment arrogant. — Votre nom, s’il vous pla•t ! lui demanda froidement leur guide, apparemment pas s‚duit par la bonhomie de ce retardataire. — Rodolphe Meunier, m’sieur. — Et vous ‰tes venu tout seul ? — Oui, pourquoi, c’est interdit ? — Non, pas du tout, mais comme vous ‰tes mineur... — Plus pour longtemps, mais bon... Si vous voulez voir un membre ‚minent de ma famille, vous pouvez apercevoir au bout du quai la magnifique Mercedes familiale, avec mon pˆre dedans... — Bon, †a va... capitula l’accompagnateur. Donnez-moi vos papiers d’inscription, nous allons bientŽt embarquer … bord du ferry. Aprˆs des embrassades ‚plor‚es ou exp‚ditives … leurs familles, les ados suivirent docilement leur guide, passeport indispensable pour les conduire sur l’autre berge de la Manche. En file indienne, ils gravirent un ‚troit pont de fer o• leurs pas r‚sonnaient jusqu’aux profondeurs de la mer. Au-dessus d’eux, un 15


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ciel mena†ant projetait un ballet de nuages malmen‚s par le vent. Pauline jeta un regard nostalgique sur les membres de sa famille rest‚s sur le quai. Balay‚s par une brise de plus en plus joueuse, ils lui adressaient des petits signes de la main, tout en esquissant des sourires crisp‚s par le froid ambiant. Cette vision la troubla quelques instants, avant qu’elle ne se retourne vers sa r‚alit‚ imm‚diate, mouton parmi les autres en train d’embarquer sur le ferry. A peine arriv‚s dans le navire, les jeunes fran†ais furent impressionn‚s par le gigantisme du bŠtiment. Autour d’eux, un amalgame color‚ de passagers se cŽtoyaient, m‚lange de piaillements anglais et fran†ais. Des marins cintr‚s dans des uniformes impeccables arpentaient le pont, avec l’air souverain de personnes en territoire conquis. D’un ton trop appliqu‚ pour ‰tre cr‚dible, le responsable du s‚jour linguistique rassembla ses troupes : — Bon, alors, vous avez carte blanche jusqu’… six heures du matin. Il faut vous rassembler ici m‰me environ un quart d’heure avant le d‚barquement … Folkestone. Alors, 16


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prenez des points de repˆre, et soyez … l’heure. Vous ‰tes ici sur le pont inf‚rieur, niveau quatre, couleur orange. A tout … l’heure.... Et sans autre formalit‚ ni oreille attentive … d’‚ventuelles questions, l’accompagnateur les abandonna … leur libert‚ provisoire. M‚dus‚s, les ados le virent s’‚loigner d’un pas rapide, visiblement soulag‚ d’avoir termin‚ ses corv‚es obligatoires. Soud‚es l’une … l’autre, Pauline et Virginie s’empressˆrent d’aller visiter le navire, … l’instar de leurs camarades. Mais … peine engouffr‚es … l’int‚rieur, elles sentirent le bateau s’‚brouer sous leurs pieds. Elles rejoignirent aussitŽt le pont ext‚rieur pour assister au d‚part du ferry, se saluant luim‰me par un long bruit de sirˆne lugubre. Sur le quai qui disparaissait progressivement, elles observˆrent les lumiˆres du port briller en leur honneur, ‚clairant des dizaines de silhouettes rassembl‚es en des ombres anonymes. Mais vite lass‚es par ce spectacle terrien de plus en plus flou, les deux ados retournˆrent … l’int‚rieur du bŠtiment flottant. Elles y d‚couvrirent avec ravissement des banquettes confortables o• se reposaient des passagers, des salles entiˆres de machines … 17


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sous ou de jeux vid‚o bruyants et color‚s, des magasins duty free o• s’alignaient p‰le-m‰le des cartouches de cigarettes, des bouteilles d’alcool, et autres souvenirs propos‚s … des prix d‚risoires, des bars luxueux o• des personnes endimanch‚es se trouvaient attabl‚es, un cin‚ma aux affiches de film all‚chantes, et m‰me une discothˆque o• se tr‚moussaient d‚j… quelques adeptes du disco. Ce v‚ritable palace flottant proposait maintes distractions terrestres, reconstitution miniature des attraits d’une ville. Mais malgr‚ ce large ‚ventail de choix, les deux filles commen†aient … ressentir quelques faiblesses, notamment … cause du roulis qui s’amusait sous leurs pieds. N‚anmoins, elles n’avaient aucune envie de s’assoupir pour rater ces heures de libert‚ en un lieu aussi inhabituel. Au d‚tour d’une salle, elles reconnurent le retardataire nomm‚ Rodolphe Meunier, occup‚ … s’acharner sur un jeu vid‚o. Elles contemplˆrent un instant ses prouesses, qu’il ponctuait de vives exclamations ou de lamentations d‚chirantes, l’esprit entiˆrement prisonnier d’un ‚cran aux images flashantes et aux bruits ent‰tants. 18


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Mais vite lass‚es par ce spectacle r‚serv‚ exclusivement au joueur, elles s’‚loignˆrent pour s’abandonner … une halte bienfaitrice sur l’une des nombreuses banquettes diss‚min‚es dans les couloirs du bateau. — Salut, vous faites partie du groupe pour Westgate-on-Sea, n’est ce pas ? Pauline rouvrit une paupiˆre, imit‚e par Virginie, ‚galement en passe de s’endormir. Elles reconnurent deux adolescentes de leur groupe, entr’aper†ues sur le quai. Celle qui venait de leur adresser la parole avait un sourire avenant grav‚ sur un visage parsem‚ de taches de rousseur, encadr‚ par de longs cheveux roux. A ses cŽt‚s, une autre ado trˆs brune et au nez retrouss‚, semblait prolonger sa silhouette l‚gˆrement corpulente derriˆre celle fluette de sa camarade. — Je m’appelle Alix, se pr‚senta la rousse filiforme, et voici Nadine, rajouta-t-elle en d‚signant sa copine brune. D’un ton analogue, Pauline s’empressa de se pr‚senter, puis Virginie en fit de m‰me. Apparemment familiˆre de ces pr‚mices de pr‚sentation, Alix leur proposa d’embl‚e, avec un sourire engageant : 19


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— Ca vous dirait de vous balader sur le bateau avec nous ? — Non, merci, mais c’est sympa d’avoir propos‚, refusa poliment Pauline. Je suis un peu fatigu‚e ; mais tu peux y aller, Virginie, si tu veux... — Heu... non, se d‚roba ‚galement Virginie. — Bon, alors, … plus tard ! les salua Alix d’un ton ‚gal, avant de s’‚loigner en compagnie de Nadine. Dˆs que leurs nouvelles connaissances eurent disparu, Pauline et Virginie replongˆrent … pieds joints dans le sommeil. Au fond, vu l’heure tardive, c’‚tait tout ce qu’il restait … faire ; elles ne rateraient plus grand chose … pr‚sent. D’ailleurs, l’ensemble du bateau s’‚tait transform‚ en un vaste dortoir. Vers quatre heures du matin, Pauline se r‚veilla en sursaut, le front br•lant et les membres endoloris. Il lui fallut plusieurs secondes pour r‚aliser o• elle se trouvait, avant de discerner la silhouette endormie de Virginie … ses cŽt‚s. Le sol sous ses pieds semblait s’‰tre transform‚ en une cabine de f‰te foraine. Un bruit 20


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sourd de m‚canique mal huil‚e r‚sonnait dans le navire, tandis que tout son humain semblait avoir disparu sous les flots. Une main pos‚e sur son front fi‚vreux, Pauline partit en qu‰te de toilettes. Sur son chemin houleux, elle dut enjamber quelques corps assoupis sur la moquette, ou avachis contre des banquettes. A chaque pas, elle avait la d‚sagr‚able impression de s’envoler, tant les oscillations du bateau ‚taient capricieuses. L’esprit embrum‚, elle suivit les panneaux indicateurs pour acc‚der enfin … des toilettes. Cet endroit se r‚v‚la particuliˆrement propre, mais lui inspira un profond sentiment de naus‚e. Le cœur chavir‚, elle entreprit l’exercice p‚rilleux d’accomplir ses besoins en restant un minimum fix‚e au siˆge. Beaucoup plus l‚gˆre, elle s’envola jusqu’… sa banquette, avant de tenter de retrouver le sommeil. Mais celui-ci ne daignait plus l’emporter loin de la r‚alit‚, d‚rang‚ par le roulis incessant. Le reste de la nuit fut ‚prouvant pour elle, ainsi que pour d’autres passagers victimes du 21


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mal de mer, comme l’attesta l’‚tat de certaines toilettes au petit matin. A travers les larges vasistas, Pauline put apercevoir un semblant de jour pointer un orteil au-dessus de la mer d‚cha•n‚e, sur laquelle ils avaient ‚volu‚ toute la nuit. — Pauline, tu es r‚veill‚e ? l’interrogea Virginie, le visage brouill‚ et les cheveux emm‰l‚s. On va se prendre un petit d‚j’ avant le d‚barquement ? Rien que le mot petit d„j’ d‚clencha des barriˆres de rejet dans les entrailles de Pauline. N‚anmoins, elle accompagna sa copine vers la caf‚t‚ria, d’o• s’‚chappaient d’insupportables odeurs d’aliments d’origine ind‚termin‚e. A leur arriv‚e dans le self, elles adressˆrent un signe amical … Alix et Nadine un peu plus loin, dont les traits ravag‚s attestaient de leur nuit apparemment houleuse. Pauline et Virginie prirent chacune un plateau et d‚filˆrent devant un ‚ventail de nourriture vari‚e. Pauline voyait filer devant ses yeux tous ces aliments, sans se d‚cider … en choisir un seul. Le tremblement de terre perp‚tuel sous ses pieds ne l’incitait guˆre … s’alimenter. 22


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Devant elle, Virginie avait d‚j… s‚lectionn‚ un gŠteau de couleur ind‚finissable, un petit pot de confiture, et un grand bol de caf‚. Pauline opta pour un peu de caf‚ et quelques tartines de pain. Leurs plateaux … la main, elles se choisirent une petite table au centre de la cantine. Elles pouvaient apercevoir la mer par intermittence … travers les hublots. Le tangage de ce self trˆs terrien lui donnait une allure surr‚aliste, et le temps grisŠtre planant au-dessus des flots sombres accentuait cette impression d‚cal‚e. Pauline s’arma de courage pour attaquer un morceau de pain. Mais dˆs la premiˆre bouch‚e, elle sentit un signe ind‚niable bloquer sa bouche : ‹ Arr‰t imm‚diat sous peine de rejet total sans autre forme de pr‚avis Œ. Elle reposa imm‚diatement sa tartine pour tremper l‚gˆrement ses lˆvres dans le caf‚. En face d’elle, Virginie d‚vorait son premier repas de la journ‚e, son estomac visiblement bien ancr‚ dans ses talons. Pauline d‚tourna aussitŽt le regard, tant la vue de la nourriture l’indisposait. Le teint livide, elle d‚serta la cantine pour se r‚fugier sur une banquette, impatiente de retrouver le plancher des vaches. 23


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Le souvenir encore frais de cette arriv‚e houleuse sur les cŽtes anglaises d‚clencha un haut-le-cœur r‚troactif en Pauline. L’œil hagard, elle s’effor†a de fixer son attention derriˆre les vitres du bus. Dehors, le temps se r‚v‚lait toujours aussi morose, et enveloppait d’un voile gris des bŠtiments ternes … peine discernables, et une mer sombre qui clapotait sans conviction contre le rivage. Avec son voile personnel d• … la fatigue, Pauline posait sur ce paysage plutŽt morne un regard distant. Assise … ses cŽt‚s, Virginie semblait vaciller entre le sommeil et la r‚alit‚, sans parvenir … choisir un camp d‚finitif. Aprˆs cette nuit agit‚e, la majorit‚ des occupants du bus se trouvait dans le m‰me ‚tat d’ind‚cision. — Dites, m’sieur ! interpella Rodolphe au milieu du silence du bus. Aprˆs quelques secondes sans ‚cho … son intervention, une t‰te situ‚ … l’avant du car se retourna … contrecœur. Sans conviction, l’accompagnateur interrogea l’ado : — Oui ? 24


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— On ne pourrait pas se reprendre un petit d‚j’ avant de partir ? Celui que j’ai pris a fini dans les toilettes, et j’ai l’estomac dans les talons. Cette r‚plique dessina quelques sourires sur les lˆvres des ados, tandis que l’accompagnateur lui r‚pondit : — Non, on n’a pas le temps. Regardez dehors, certaines familles sont d‚j… l…, et les autres ne vont pas tarder. Vous demanderez … votre famille... — En anglais ? — Oui, bien s•r. Vous ‰tes l… pour perfectionner cette langue. Au cas o• †a vous aurait ‚chapp‚, vous ‰tes dans un s‚jour linguistique, ici. — Ah, oui, c’est vrai, j’oubliais... — Tiens, intervint un ado deux rangs devant Rodolphe. Il me reste quelques gŠteaux … grignoter, si †a te dit... — Ah, oui, g‚nial ! Des gŠteaux bien fran†ais ! Parce que je ne sais pas ce que l’on va bouffer pendant un mois ! Cette r‚ticence d‚clencha plusieurs rires, d‚contractant l’ambiance pesante du bus. En apercevant les familles regroup‚es … l’ext‚rieur, Pauline eut l’‚trange sentiment 25


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d’‰tre une orpheline dont les parents adoptifs patientaient dehors avant de faire leur choix. Elle avait quitt‚ sa famille l‚gitime la veille pour en d‚couvrir une toute neuve ici, avec l’exotisme anglais en prime. Aprˆs un gr‚sillement d‚chirant, l’organisateur remit son micro en marche, tapota dessus en ‚corchant au passage toutes les oreilles environnantes, avant de prendre la parole : — Bon, comme toutes les familles d’accueil sont l…, je vais pouvoir commencer … faire l’appel. Dˆs que vous entendez votre nom, vous r‚cup‚rez vos bagages dans la soute et vous rejoignez votre famille d’accueil. Vous avez rendez-vous dˆs demain matin … neuf heures … l’Highton School, dont vous avez l’adresse dans vos papiers. Alors, bonne fin de s‚jour … tous, et rendez-vous dans un mois pour le retour. D’une voix atone, il commen†a … ‚noncer les noms, et chaque ado quitta progressivement le bus. A travers les vitres, Pauline pouvait observer ses camarades de voyage arriver tout intimid‚s devant leurs famille d’adoption temporaires. 26


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De plus en plus mal … l’aise, elle se sentit d‚faillir lorsque Virginie quitta sa place … son tour. Sa camarade lui lan†a un regard de d‚tresse, avant de lui adresser un ‹ … demain ! Œ ‚trangl‚. — Pauline Louzet ! Son nom clam‚ en st‚r‚o dans le micro lui fit l’effet d’une d‚charge ‚lectrique. Elle quitta son siˆge … contrecœur pour se diriger vers l’avant du bus. Devant les portes de l’autocar, deux personnes ventripotentes lui offraient de larges sourires engageants. L’homme ‚tait dot‚ d’une forte corpulence, d’un visage rond rempli de taches de rousseur, avec des cheveux roux clairsem‚s. Aussi rousse que son mari, la femme trimbalait ‚galement un contingent important de kilos superflus. D’aprˆs ce que Pauline avait compris dans les paroles de l’organisateur, ils devaient se nommer Smith, ou un nom similaire. La femme ouvrit grand ses bras pour embrasser la fran†aise, comme si elle venait de retrouver sa propre fille aprˆs une longue absence. Plus sto’que, L’homme tendit … la 27


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jeune ado une poign‚e de main flasque, mais cordiale. Pauline leur adressait en retour quelques sourires polis, mais sa bouche refusait de sortir un son. De leur cŽt‚, les Smith la bombardaient de questions, sans qu’elle ne parvienne … traduire le moindre mot. Elle se contentait de leur r‚pondre des ‹ yes Œ polis et insignifiants. Aprˆs un geste gauche pour leur indiquer sa destination, elle partit en qu‰te de son sac de voyage, soulag‚e par ces quelques secondes de r‚pit. Mais les Smith continuaient … la talonner, avec leur arsenal de questions sans r‚ponses. La jeune fran†aise r‚alisa alors combien la barriˆre de la langue pouvait se r‚v‚ler un v‚ritable handicap dans les rapports humains. Elle ne l’ignorait pas, mais dans sa condition actuelle, elle aurait pr‚f‚r‚ ma•triser un minimum de langage commun. En r‚alit‚, ses besoins imm‚diats ‚taient vraiment primaires : manger, dormir, et se soulager aux toilettes. Mais les obstacles de la langue et de la politesse l’emp‰chaient d’assouvir ces besoins si ‚l‚mentaires. Attentionn‚, Mr Smith lui Žta d‚licatement 28


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son sac des mains, avant de la conduire vers la voiture, suivi par sa femme plantureuse. Ils palabraient sans cesse, visiblement peu pr‚occup‚s par le silence de leur invit‚e fran†aise. — Your name is Pe•lineu, isn’t it ? la questionna Mrs Smith. “a, elle l’avait aussitŽt d‚cod‚. — My name is PŽline, rectifia-t-elle poliment. — Ah, Pe•lineu ! — No, PŽline. — Ah, yes, Pe•lineu ! ‹ D’accord, inutile de se fatiguer, va pour Pe•lineu ! songea la nouvelle baptis‚e. On ne va pas passer tout le mois l…-dessus Œ. La voiture des Smith, d’une marque inconnue … la fran†aise, et d’un jaune criard, toussota … plusieurs reprises avant de r‚ussir … prendre son envol. L’ado eut une impression d‚cal‚e en d‚couvrant le volant situ‚ … droite, et le v‚hicule arpenter les rues … gauche, comme … contre-courant. Les Smith poursuivaient leurs commentaires inlassablement, sans que Pauline ne parvienne … attraper au vol un seul mot significatif. 29


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La b‰te aux flancs jaunes les conduisit … travers diverses zones r‚sidentielles o• de magnifiques maisons anglaises transparaissaient dans la brume matinale. Pendant le trajet, Pauline d‚couvrit des magasins dissemblables, sans parvenir … d‚terminer la nature de leurs commerces. Ils traversˆrent rapidement le centre ville de Westgate-on-Sea, avant d’arriver aux abords d’une zone r‚sidentielle. Les Smith commen†aient … s’agiter, et … d‚signer du doigt l’environnement ext‚rieur. Plus attentive, Pauline tentait une nouvelle fois de traduire leurs propos, mais sans succˆs. Leurs paroles demeuraient opaques comme un brouillard dense, sans la moindre once de lumiˆre r‚v‚latrice. Dˆs que la voiture s’engouffra dans une zone pavillonnaire aux logements identiques, Mr Smith ralentit, ouvrit les vitres, et se d‚foula sur son avertisseur. AussitŽt, comme s’ils attendaient fi‚vreusement ce signal, une multitude d’Anglais de tous Šges se pr‚cipitˆrent hors de leurs pavillons pour s’approcher du v‚hicule. Ils tenaient des propos trˆs anim‚s aux Smith, qui 30


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leur d‚signaient Pauline du doigt, comme s’il s’agissait d’un troph‚e de chasse. La fran†aise r‚alisa alors que ses hŽtes l’exhibaient … ces voisins curieux. Elle ne parvenait pas … traduire leurs paroles, mais elle s’imaginait les Smith en train de proclamer : — Venez d‚couvrir une fran†aise de prˆs ! Entr‚e gratuite pour tout le monde ! Elle avait la d‚plaisante impression d’‰tre expos‚e comme un ph‚nomˆne de foire. Allaient-ils bientŽt mettre un terme … cette exhibition humiliante ? Enfin, la parade de cirque cessa, la voiture des Smith s’‚loigna, avant de p‚n‚trer dans une petite all‚e b‚tonn‚e situ‚e devant une maison d’apparence modeste. La voiture infernale s’arr‰ta net, au grand soulagement de Pauline, dont une envie pressante s’‚tait transform‚e en un besoin trˆs urgent, sous peine d’inondation. Et le jardinet luxuriant des Smith se passerait ais‚ment de ce genre d’engrais, m‰me naturel. Un nouveau comit‚ d’accueil attendait Pauline devant la maison : deux couples de l’Šge des Smith et deux enfants. Ils l’accueillirent dans un concert de gazouillements d’oiseaux et de rires, moqueurs ou 31


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amicaux, Pauline n’aurait su le d‚terminer. Ils la touchaient tous du bout des doigts, comme s’ils d‚couvraient une cr‚ature indigˆne. D‚cid‚ment, elle avait le sentiment d’‰tre un v‚ritable objet de curiosit‚. Mais … cet instant pr‚cis, l’objet de curiosit‚ luttait … s’en faire pleurer pour ne pas inonder les parterres de fleurs des Smith. Devant l’urgence de sa situation, elle enjamba vite les barriˆres de la politesse pour qu‚mander … ses hŽtes d’une voix presque plaintive : — Toilets, please ? — Ah, no problem... La suite, elle n’essaya m‰me pas de la traduire, et se contenta de serrer de prˆs le fessier volumineux de Mrs Smith … l’int‚rieur du pavillon. Dehors, les voisins et Mr Smith continuaient … s’exprimer d’une voix stridente, ponctu‚e par des gloussements tout aussi d‚monstratifs. Mais Pauline s’en moquait … pr‚sent, concentr‚e uniquement … ne pas perdre la trace de Mrs Smith vers la lib‚ration. Elle ne prit m‰me pas la peine d’examiner l’int‚rieur de la maisonnette, pass‚e au dernier plan de ses priorit‚s. 32


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Enfin arriv‚e … bon port, elle lŠcha la soupape de s‚curit‚ pour se lib‚rer du tropplein qui colmatait son bas-ventre. Elle avait presque envie de rire du grotesque de la situation : tout †a juste pour pouvoir pisser ! Un besoin primaire d’‚limin‚ ; pour les autres, elle devrait patienter. Enfin presque, parce que son estomac commen†ait … protester de plus en plus langoureusement. Mais dˆs que Pauline p‚n‚tra timidement dans le salon, Mrs Smith se pr‚cipita vers elle pour lui proposer : — Tea or coffee ? — Coffee, please. Quelques secondes plus tard, la ma•tresse de maison revenait avec du caf‚, quelques sandwichs, et des petits gŠteaux. Malgr‚ sa fringale, la fran†aise s’appliqua … manger cette collation bienvenue avec parcimonie. Elle appr‚ciait la s‚r‚nit‚ de ce cadre simple et lumineux, au milieu d’un silence bienfaiteur. En cette fin de matin‚e, elle se sentait subitement pleine de vigueur aprˆs ce d‚but de journ‚e agit‚. A pr‚sent, elle pouvait s’ouvrir sur son environnement imm‚diat. Le salon qui l’entourait se r‚v‚la … la fois 33


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modeste et coquet, rempli de bibelots et de napperons pos‚s anarchiquement sur des meubles en bois verni, et encadr‚ d’une tapisserie de couleur pastel. La piˆce d‚gageait une telle douceur de vivre que l’on s’y sentait instantan‚ment … l’aise. Pauline y jetait quelques regards ‚pars, pour ne pas se montrer impolie en inspectant les lieux de maniˆre trop ostentatoire. Mr Smith venait de surgir dans le petit salon, poussant devant lui sa prog‚niture, que Mrs Smith accueillit par des petits cris de jubilation. Malgr‚ les paroles genre tir de mitraillette qu’elle adressa … Pauline, cette derniˆre comprit qu’elle lui pr‚sentait ses deux fils, marqu‚s par la m‰me chevelure rousse, signe ind‚niable de leur appartenance … la famille Smith. Ils adressˆrent des sourires un peu gauches … leur homologue fran†aise, avant de s’‚clipser rapidement. Pauline n’eut m‰me pas la possibilit‚ d’enregistrer leurs pr‚noms. Au fond, peu importe, elle pressentait qu’elle aurait rarement l’occasion de les utiliser. — Tea or coffee ? la harponna une nouvelle fois la plantureuse Mrs Smith. — No, thank you, marmonna la fran†aise. 34


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— So, OK, come on, come on ! la commanda Mrs Smith en agitant les bras, envoyant par la m‰me occasion des relents de transpiration sous les narines de l’adolescente. Sans se faire prier, celle-ci suivit docilement son hŽtesse. On allait enfin lui pr‚senter ses quartiers priv‚s, refuge n‚cessaire pour s’isoler en cas de besoin. Elle suivait le d‚hanchement peu harmonieux du post‚rieur de Mrs Smith, qui se tr‚moussait difficilement pour franchir l’‚troit escalier en direction de l’‚tage du pavillon. Devant le sourire complice imprim‚ sur le visage rond de Mrs Smith, Pauline comprit qu’elle se trouvait devant la porte de son futur domaine. Elle avait hŠte de d‚couvrir ce petit havre de paix en territoire inconnu. Elle se repr‚sentait une petite chambre lumineuse, meubl‚e par un lit douillet avec un dessus-de-lit finement brod‚, une coquette petite table de chevet, des rideaux blancs et ondul‚s filtrant d‚licatement la lumiˆre du jour, et un placard coulissant pour d‚poser ses affaires. Et maintenant, place … la r‚alit‚ ; Mrs Smith ouvrit c‚r‚monieusement la porte, en provoquant un bruit grin†ant. Habit‚e par un 35


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incontestable sentiment de fiert‚, elle prolongeait le suspense, en ouvrant trˆs lentement cette porte renfermant visiblement des tr‚sors. Ah, bon, d’accord ! Vous pourriez nous repasser la bande pr‚c‚dente, avant l’ouverture de la porte ? ‹ Mais c’est un placard ! Œ, songea amˆrement Pauline, en d‚couvrant avec stupeur sa caverne d’Ali Baba. Une minuscule piˆce sombre apparut devant elle, meubl‚e par un lit cas‚ pile pour aller d’un bout … l’autre de la piˆce, un couloir pr‚vu pour des tailles 38 maximum, des ‚tagˆres que l’on devinait, tant elles se trouvaient dissimul‚es par un fouillis incommensurable, un dessus de lit marron fonc‚, assorti aux rideaux ternes accroch‚s telles des algues mortes … un encadr‚ riquiqui faisant office de fen‰tre. Sid‚r‚e par ce spectacle impr‚visible, l’heureuse b‚n‚ficiaire de ce lieu restait les bras ballants et la bouche ouverte, comme un poisson cherchant … respirer hors de l’eau. N‚anmoins, elle revint vite … la r‚alit‚ pour tomber nez … nez avec le visage en position d’attente de la gardienne de ces lieux. Que dire ? D‚j…, en fran†ais, cela serait une tŠche plutŽt ardue, alors en anglais ! 36


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— Very well ! articula Pauline avec politesse, en ‚tirant ses traits pour forger un semblant de sourire … l’intention de son hŽtesse radieuse. Cette derniˆre, aprˆs son long silence des minutes de suspense pr‚c‚dentes, repartit dans une envol‚e verbale haute en couleurs, accompagn‚e de grands gestes d‚sordonn‚s. L’adolescente y ‚voluait toujours dans l’incompr‚hension la plus totale. M‰me si elle ressentait l’extr‰me gentillesse de son hŽtesse anglaise, elle ne parvenait pas … tisser un lien minimum de communication avec elle. Son vocabulaire acquis en classe lui paraissait lamentablement limit‚ … ‹ yes Œ, ‹ no Œ, ‹ please Œ, ou d’autres balbutiements de ce genre, qu’elle avait m‰me du mal … exprimer. Elle avait le d‚sagr‚able sentiment de se trouver … l’aube des temps, … une ‚poque o• les ‰tres humains devaient se construire des ponts de langage pour se rejoindre d’une rive … l’autre. L’espace d’une seconde, elle eut une pens‚e pour ses amis fran†ais diss‚min‚s dans d’autres familles de cette ville. Comment s’en sortaient-ils ? Elle essayait de se repr‚senter Virginie et 37


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son cortˆge de timidit‚s devant une copie de Mrs Smith … la langue ‚trange, en train de lui demander toutes les deux minutes : Tea or coffee ? That is the question, no ? Un sourire satisfait aux lˆvres, Mrs Smith laissa quelques instants d’intimit‚ … Pauline : — See you later, Pe•lineu... Cela signifiait qu’elle allait pouvoir d‚charger ses affaires dans ce cagibi obscur, sa r‚sidence principale pendant un mois. En fait, comme l’endroit ‚tait trop exigu pour pouvoir s’‚taler, elle n’‚prouva pas le besoin de sortir ses affaires. Elle s’allongea sur le petit lit, luttant pour ne pas tomber entre les griffes d’un sommeil ardemment souhait‚. Les rˆgles ‚l‚mentaires de la courtoisie ne lui permettaient pas de s’abandonner ainsi. Mais le dieu Sommeil ne lui laissa guˆre le choix, et la happa contre son gr‚ dans son n‚ant color‚. Quand elle reprit connaissance, elle mit plusieurs secondes avant de se rappeler o• elle se trouvait. Quelqu’un avait d‚licatement ferm‚ les rideaux marron, et le placard se trouvait plong‚ dans une obscurit‚ p‚n‚trante. Cette courte s‚ance de repos avait embrouill‚ le cerveau de Pauline. L’œil hagard, 38


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elle se d‚cida … se lever, ouvrit les rideaux, avant de quitter la chambre. Elle entreprit avec prudence la descente raide des escaliers, avant d’appara•tre dans l’encadre-ment de la porte du salon. — Ah, Pe•lineu, tea or coffee ? l’accueillit Mrs Smith, de sa voix forte et gutturale. Apparemment, c’‚tait le slogan de la maison. Juste aprˆs la question du jour, l’Anglaise encha•na avec une logorrh‚e enflamm‚e, appuy‚e par des gestes ‚vocateurs, dans le but d’‚clairer son interlocutrice. Mais, Ž miracle, un mot se d‚tachait du lot avec insistance, tel un visage refl‚t‚ dans l’eau qui cesse enfin de se brouiller pour appara•tre nettement : dinner. D•ner ? D‚j… ?! Pour ne pas para•tre offensante … l’‚gard de Mrs Smith, Pauline se retenait de consulter sa montre. Car incontestablement, son horloge biologique se trouvait encore loin du repas du soir. Avec le d‚calage horaire, peut-‰tre... Le d‚calage ! Quel d‚calage ?! Une petite heure ne pouvait certes pas creuser une telle disproportion. Pourtant, l’heure de sa collation ne lui paraissait pas si lointaine, ou alors elle s’‚tait 39


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trˆs longuement assoupie. Tout juste ! Aprˆs un regard furtif et coupable sur l’horloge du salon, la fran†aise constata qu’il ‚tait dix-huit heures. Alors, soit ! Elle s’adapterait aux coutumes locales, son horloge interne n’aurait qu’… se mettre au diapason. Et, … la r‚flexion, elle commen†ait … avoir faim. L‚gˆrement embarrass‚e, elle restait debout, pendant que Mrs Smith s’affairait … dresser la table, et que Mr Smith terminait son journal avant le repas. Pour compl‚ter ce tableau familial, les deux charmants rouquins venaient de d‚barquer d’un air pataud dans le salon. Pour se donner une contenance, l’ado dissimula ses mains encombrantes dans les poches de son jeans, avant de les ressortir aussi vite, en consid‚rant cette attitude l‚gˆrement d‚plac‚e. Elle se sentait comme un objet inutile auquel on ne trouverait pas de place assign‚e. Le regard vagabond, elle tomba nez … nez avec une arm‚e de photos de famille align‚es sur une commode … l’entr‚e du salon. Une mŠchoire ‚dent‚e sur son visage, 40


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l’a•n‚ de la famille Smith souriait b‚atement dans le vide, bard‚ d’une tenue ‚coliˆre verte avec ‚cusson … la boutonniˆre, et d’une casquette dissimulant sa chevelure rousse. A proximit‚ de sa photo, la frimousse de son cadet affichait la m‰me mine altiˆre, engonc‚ dans un complet vert identique. Dˆs que Mrs Smith aper†ut Pauline dans sa contemplation des photos familiales, elle se pr‚cipita vers elle, avec un immense sourire qui lui mangeait tout le visage : — Oh, come on, Pe•lineu, I... La suite demeura myst‚rieuse, mais Pauline suivit docilement Mrs Smith vers le canap‚. Apparemment, l’Anglaise d‚sirait lui montrer quelque chose. En effet, elle lui mima un geste du style ‹ Ne bouge pas, je reviens ! Œ, avant de revenir triomphante, les bras charg‚s d’albums photos. A’e, Pauline avait l’extr‰me honneur de d‚buter une longue, trˆs longue, s‚rie de clich‚s familiaux. Et visiblement, le fameux dinner s’en trouvait du m‰me coup report‚. Et les commentaires, sans sous-titrages, faisaient ‚galement partie du forfait. 41


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Aprˆs un ‚ventail complet de la famille sous tous les angles ; les Smith … la montagne, les Smith … la mer en maillot de bain, les Smith … la maison, Mrs Smith sortit une vieille photo en s’esclaffant d’un rire caverneux. Elle le brandit sous le nez de Pauline, tout en tendant l’autre main vers son mari d’un air taquin. L’adolescente comprit alors que le jeune homme habill‚ de cuir sur la photo, aux pattes volumineuses d‚bordant sur les oreilles, n’‚tait autre que Mr Smith lors de sa jeunesse rockeuse. €videmment, la diff‚rence de style paraissait comique devant le quadrag‚naire d‚bordant de graisse d’aujourd’hui, le fessier d‚form‚ par ses s‚jours prolong‚s dans son fauteuil, et les cheveux rares peign‚s en bataille sur un visage boursoufl‚. Dans la foul‚e, Mrs Smith lui pr‚senta sa propre photo, celle d’une ex-rockeuse fluette et dynamique, vestige d’une autre personne dissimul‚e aprˆs des ann‚es de laisser-aller. Du coup, l’adolescente trouva cette s‚ance de photos plutŽt divertissante, entour‚e d’une famille radieuse et d‚contract‚e. M‰me si elle ne captait toujours rien des commentaires alentour, elle avait l’impression de faire un 42


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peu partie de la famille en d‚couvrant ainsi leurs souvenirs. Puis d’un geste autoritaire Mrs Smith ferma bruyamment le dernier album des aventures des Smith, avant de dispara•tre dans la cuisine. Imitant ses hŽtes, Pauline s’installa … la table familiale. L’air souverain, Mrs Smith r‚apparut avec le repas du soir. La fran†aise d‚couvrit alors devant elle un large plat divis‚ en compartiments, o• si‚geaient chacun dans leurs cases des petits pois trop verts, des pommes de terre … peine cuites, et une tranche de viande qui avait subi le m‰me sort. Apparemment, c’‚tait son repas du soir. Elle le trouva particuliˆrement fade, mais peu importe, elle se sentait complˆtement rassasi‚e. Entre deux bouch‚es, la bouillie verbale de ses hŽtes se poursuivait, et elle se contentait de leur offrir un sourire quand ils s’adressaient … elle, ce langage universel qui se passe de traduction. Aprˆs le repas, l’ensemble de la famille Smith s’installa devant le poste de t‚l‚vision. Pauline restait fascin‚e par ces visages inconnus d‚filant sur le petit ‚cran, d‚cou43


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verte d’une autre sensibilit‚ t‚l‚visuelle. Elle red‚couvrait avec ravissement des s‚ries am‚ricaines diffus‚es en France, mais enrichies par une plus grande puret‚ en version originale. Sans sous-titrages, ‚videmment, mais elle appr‚ciait de d‚couvrir les voix originales de personnages de s‚ries actuelles ou ayant berc‚ son enfance. A peine install‚e dans le sofa, Mrs Smith s’approcha de Pauline pour lui lancer la sempiternelle question : — Tea or coffee ? Pauline refusa poliment, amus‚e int‚rieurement par cette phrase rituelle. Mais aprˆs le traditionnel ‹ tea or coffee Œ, Mrs Smith revint de la cuisine avec un plateau o• reposaient d’‚tranges mixtures. La jeune fran†aise fut effray‚e par la couleur fluorescente de ces probables desserts. Elle eut m‰me l’infime honneur d’‰tre servie la premiˆre, avec le choix d‚licat de trancher entre des desserts orange, rose, et vert fluo. Elle opta pour une marmelade orange, … la couleur l‚gˆrement moins criarde que les autres. Plus par d‚go•t anticip‚ que par politesse, elle attendit que tout le monde fut servi, avant 44


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de porter … sa bouche un morceau de cette gŠterie bourr‚e de colorants. Sa premiˆre impression fut de mŠcher du plastique. Sa deuxiˆme r‚action aurait ‚t‚ de tout recracher illico. Elle sentit un go•t immonde envahir sa bouche, avant de s’incruster sur ses parois buccales. Du coin de l’œil, elle observait ses homologues britanniques appliqu‚s … se d‚lecter de ces immondices color‚es et artificielles. En quelques coups de cuillˆre, les enfants Smith les avaient d‚j… d‚vor‚es, les yeux allum‚s par les feux de la gourmandise. Les yeux de la fran†aise se trouvaient ‚teints, englu‚s par le go•t amer de cette marmelade plastifi‚e. N‚anmoins, elle se for†a … terminer sa part, en bravant la censure de son palais. A peine eut-elle achev‚ cette corv‚e que la silhouette massive de Mrs Smith se retrouvait post‚e devant elle, avec un ‚ventail tout neuf de ces sucreries. Pauline bafouilla un refus poli, tandis que son hŽtesse r‚approvisionnait son mari et sa prog‚niture de leur pitance favorite. Au moins, elle serait dispens‚e pour ce soir-l…. Un go•t amer toujours ancr‚ dans sa 45


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bouche, elle reporta son attention vers la t‚l‚, surtout pour ‚chapper au spectacle peu rago•tant des enfants Smith occup‚s … d‚vorer leurs desserts artificiels. De son cŽt‚, Mrs Smith lui r‚servait une autre de ses fac‚ties. En effet, Pauline la d‚couvrit avec stupeur avancer vers le poste de t‚l‚vision, le ventre … terre et le post‚rieur dress‚ vers le ciel. Sa t‰te ‚mergea de derriˆre son fessier pour s’assurer de l’attention de l’adolescente. Elle lui adressa un clin d’œil complice, avant de poursuivre sa route … quatre pattes vers la t‚l‚. Arriv‚e devant le poste, elle se releva l‚gˆrement pour changer de cha•ne, avant de retourner … sa place, toujours … quatre pattes. Pauline sourit plus sous l’effet de la surprise, que de la prestation cens‚e ‰tre comique de l’Anglaise. Sur l’‚cran t‚l‚, un canard apparut aussitŽt. Il d‚filait d’un air triste, entour‚ de cibles pour tireurs de foire. Sans crier gare, Mrs Smith se mit … chanter … tue-t‰te avec la musique accompagnant cette publicit‚. Sur l’‚cran, le canard avait momentan‚ment disparu, avant de revenir arm‚ d’un tank pour viser le carabinier de la f‰te foraine, encou46


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rag‚ par une musique militaire de victoire, avant de tirer. A l’unisson, la famille Smith hurla sa jubilation en chœur avec le canard victorieux, comme lors d’un match de football. Pauline leur adressait des sourires forc‚s, un peu d‚contenanc‚e par cet engouement actif face … la publicit‚. Puis un film se substitua au canard vengeur, accompagn‚ par une vague de commentaires de la famille anglaise. La fran†aise ressentait l’imp‚rieuse envie d’aller se coucher, autant par n‚cessit‚ physique que pour fuir cette cacophonie anglaise de laquelle elle se sentait exclue, barriˆre de la langue oblige. Dix fois elle se r‚p‚ta sa phrase en anglais, mais reculait l’‚ch‚ance par crainte d’offenser sa nouvelle famille. Mais plus le bavardage anglais se poursuivait, et plus son calvaire s’‚ternisait. Tiraill‚e moralement, elle attira gauchement l’attention de Mrs Smith, qui l’approuva par de grandes gesticulations : — OK, good night, Pe•lineu... See you tomorrow... ‹ Tomorrow is another day Œ, songea Pauline avec une pointe d’amusement. 47


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Lib‚r‚e d’un seul coup de ses cha•nes linguistiques, elle lan†a un ‹ good night ! Œ assur‚ … la ronde, repris en ‚cho par la famille Smith. Enfin d‚livr‚e, elle gravit avec all‚gresse l’‚troit escalier vers l’‚tage sup‚rieur. Avant d’aller se coucher, elle fit un d‚tour par la salle de bains. La porte grin†a et elle se retrouva dans une piˆce plong‚e dans l’obscurit‚. GrŠce … la lumiˆre du couloir, elle chercha l’interrupteur dans la demi p‚nombre. ‹ Ah, merde ! jura-t-elle entre ses dents ; o• est donc la lumiˆre ? Œ. Ses doigts malhabiles courraient le long des murs adjacents … la porte sans r‚sultat, quand soudain, elle se retrouva nez … nez avec une ficelle tombant du ciel. Clic-clac, et la lumiˆre fut... Il suffisait de tirer sur le cordon et attendre un d‚clic. €videmment, c’‚tait moins ‚vident que de trouver un interrupteur. Simple et paisible, la salle de bains semblait appartenir … une autre ‚poque, m‚lange surprenant de produits de bains modernes et color‚s face … une baignoire, un ‚vier et un bidet issus d’un conservatisme d‚pass‚. 48


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Sans s’attarder sur les d‚tails, la jeune fran†aise se dirigea directement vers l’‚vier. Elle se trouvait en face de deux robinets us‚s par le temps, enfonc‚s cŽte … cŽte sans aucun espoir de se rencontrer un jour. L’un offrait un jet glac‚ et abondant, l’autre un filet mince d’une eau bouillante. Et les m‚langeurs, vous ne connaissez pas ? Pour tenter d’obtenir une eau tiˆde, Pauline glissait son gant de toilette en alternance vers les deux eaux contraires, en se gla†ant et en s’‚bouillantant une fois sur deux. Enfin rafra•chie, elle retourna vers son placard dortoir. Sur le palier, elle per†ut quelques bribes de voix anglaises, mais une fois dans son mini foyer, le silence s’instaura en ma•tre des lieux. Elle savoura cette qui‚tude dans l’obscurit‚, avant de s’enfoncer rapidement dans un profond sommeil. Plusieurs siˆcles plus tard, aprˆs une travers‚e sans r‰ve dans un repos profond, un bruit incongru lui parvenait dans un ‚cho lointain. — Pe•lineu ! Pe•lineu ! lan†ait une voix plaintive, suivie d’un l‚ger grattement. Pauline s’enfon†a davantage sous les 49


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couvertures, peu encline … r‚pondre aux trompettes de la r‚alit‚. — Pe•lineu !!! — Ahhhh !!! hurla Pauline en tombant face … face avec le visage rubicond de Mrs Smith, m‚lange d‚tonnant de cauchemar et de r‚alit‚. L’œil hagard et les oreilles non r‚ceptives, elle subit comme un mauvais r‚veil le charabia britannique de sa visiteuse matinale. Dˆs que le fantŽme de cette derniˆre disparut aussi discrˆtement qu’il ‚tait apparu dans sa chambre, Pauline se pr‚para de mauvaise grŠce, avant de descendre dans le petit salon. L…, un breakfast odorant l’attendait, v‚ritable hymne … la gourmandise et au r‚veil de l’app‚tit. Sur une nappe finement brod‚e s’‚talaient des morceaux de bacon, des pots de marmelade, des pains en forme de triangles d‚licatement align‚s sur des petits plateaux, de grands verres de jus d’orange et un arsenal de petites cafetiˆres, th‚iˆres, broc … lait, et autres garnitures. L’app‚tit r‚veill‚ par ce spectacle inhabituel, la fran†aise s’installa derriˆre la table, tandis que Mrs Smith continuait … baragouiner. 50


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Coutumiˆre de r‚veils plus progressifs, et surtout plus silencieux, l’ado subissait le monologue de Mrs Smith comme une agression. D’autant plus qu’elle devait fournir un effort cons‚quent pour tenter de percer le mystˆre de ses paroles. L’arriv‚e du reste de la famille, ponctu‚e de ‹ good morning Œ adress‚s … la fran†aise, lui permit de souffler un peu et de d‚tourner l’attention de Mrs Smith. A l’exemple de ses hŽtes anglais, Pauline entreprit de tartiner des toasts parfum‚s de marmelade anglaise, et se risqua m‰me … prendre des œufs sur le plat. Plus elle mangeait, plus l’app‚tit s’‚veillait dans ses entrailles pour y accueillir dignement ce repas copieux, tellement diff‚rent de son quotidien fran†ais. En grande pr‰tresse de ce festin, Mrs Smith d‚posa devant le nez de l’adolescente une bo•te de corn flakes et un grand bol de lait. La jeune fille versa les flocons dans le bol, avant d’en prendre une cuiller‚e. A peine arriv‚e aux abords de l’estomac, cette gorg‚e de lait fut rejet‚e instantan‚ment vers le haut, comme un ‚cho rebondissant sur une montagne. 51


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Comme si elle venait de recevoir une d‚charge ‚lectrique, Pauline se leva d’un bond de son siˆge, luttant contre le refus cat‚gorique de ses intestins d’accepter ces quelques gorg‚es de lait froid. Elle tentait de bloquer ses ‚coutilles pour ‚viter le d‚bordement. Peine perdue. A peine eut-elle parcouru quelques mˆtres que tous ses p‚rimˆtres de s‚curit‚ explosˆrent en m‰me temps, laissant ‚chapper par la bouche un immense jet blanc et visqueux. Cette douche inopin‚e atterrit pile sur les vestes des Smith, accroch‚es … une patˆre prˆs de la porte du salon. Elle n’avait pas eu le temps d’ajuster son tir ; elle n’avait rien du canard vengeur. Paralys‚e sur place par la honte, elle aurait aim‚ dispara•tre pour ‚chapper … son malaise, autant physique que moral. Comme dans un mauvais r‰ve, elle distingua Mrs Smith accourir vers elle, les yeux exorbit‚s par le spectacle peu rago•tant auquel elle venait d’assister. — I’m sorry, i’m sorry, articula Pauline, la bouche f‚tide, et le cœur au bord du pr‚cipice. — Don’t worry, don’t worry, la rassura Mrs Smith en ‚cho. 52


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Submerg‚e par les remords, la fran†aise n’osait m‰me pas jeter un œil sur les v‰tements de ses hŽtes tach‚s par ses souillures. — I’m sorry, i’m sorry, r‚p‚ta-t-elle une nouvelle fois, incapable de varier ses excuses, surtout en anglais. — Don’t worry, don’t worry, persista Mrs Smith d’un ton similaire. Ce petit jeu dura plusieurs minutes pendant lesquelles elles se renvoyˆrent la balle sans se lasser. Malgr‚ les d‚gŠts, Mrs Smith tapota affectueusement les ‚paules de son invit‚e … l’estomac rebelle, en lui assurant une derniˆre fois : ‹ don’t worry Œ. L’air penaud, Pauline retourna … l’‚tage pour se rincer la bouche. Le corps vacillant comme si elle venait de s’enivrer, elle tira le cordon de la salle de bains d’un geste maladroit, avant de tendre ses mains, comme dans un geste de priˆre, sous le robinet d’eau froide. Elle cueillit le liquide purificateur entre ses doigts tremblants, avant de le porter … sa bouche. Le temps d’un ‚clair, elle croisa son visage bl‰me dans la glace. Deux yeux vides se cherchaient dans l’‚cran r‚fl‚chissant. 53


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Une larme au coin de l’œil, elle regretta amˆrement de ne pas se trouver auprˆs de sa vraie famille dans ce moment-l…. Elle respira bruyamment pour reprendre courage, avant de se d‚cider … quitter la salle de bains. L’estomac encore chavir‚, elle redescendit prudemment vers le salon, regarda … peine Mrs Smith occup‚e … laver ses vomissures, avant de lui annoncer dans un anglais approximatif son d‚part pour l’‚cole. Rong‚e par une g‰ne r‚troactive, elle ne parvenait pas … la fixer dans les yeux. Mais Mrs Smith, comme si rien ne s’‚tait pass‚, entreprit d’indiquer … l’ado le chemin pour se rendre … l’‚cole, avant de la saluer aussi chaleureusement qu’… son arriv‚e : — See you later, Pe•lineu ! lui lan†a-t-elle d’un ton affectueux sur le perron du pavillon. Pauline lui rendit son salut, avant de tourner les talons en direction de l’‚cole. Une brise glaciale l’‚bouriffa d’un geste rageur, an‚antissant ainsi des minutes laborieuses de dressage de cheveux rebelles. De colˆre, l’adolescente acc‚l‚ra le pas, tout en tentant de se repeigner avec les doigts. Paisibles dans le brouillard anglais, des pavillons presque en tout point semblables 54


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s’alignaient en des rang‚es disciplin‚es. Une maison … la conception diff‚rente sauta aux yeux de la fran†aise. Certainement un original qui avait voulu se d‚marquer de l’uniformit‚ du quartier. Pauline ne croisa aucun passant pendant son parcours, et se demanda m‰me o• ils ‚taient tous pass‚s, tant le silence ‚tait cons‚quent dans ce quartier r‚sidentiel. Elle arriva vite aux abords d’une grande route, o• un flot de voitures noya le silence, avant de croiser plusieurs commerces situ‚s aux abords du centre de Westgate-on-Sea. L…, les va-et-vient d’Anglais vers leurs lieux de travail ressemblaient … une ruche bourdonnante, mais parfaitement disciplin‚e et silencieuse. Pauline acc‚l‚ra le pas, peu encline … arriver en retard le premier jour. Si elle avait correctement traduit les indications de Mrs Smith, elle devrait trouver sa destination derriˆre ce pŠt‚ de maisons aux fa†ades pr‚dominantes, bord‚es de petits jardins sans clŽture. Elle longea ensuite un vaste parc o• la verdure scintillait dans les faibles rayons de soleil matinaux, avant de se trouver devant 55


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une magnifique pancarte en bois verni o• ‚tait grav‚ : Highton School. Derriˆre ce panneau s’‚tendait une pelouse impeccable qui menait tel un tapis rouge … un bŠtiment d’une teinte marron si seyante qu’il paraissait avoir ‚t‚ con†u avec du bois flambant neuf. Il repr‚sentait l’antithˆse du collˆge de Pauline, d’une couleur grise et sale, encercl‚ d’un vaste grillage derriˆre lequel la nature tentait de se frayer un passage sous forme de rares arbres prisonniers du b‚ton et d’herbes jaunies et indompt‚es. Un ‚tablissement terne et clos, dot‚ d’une vaste cour de r‚cr‚ation, avec quelques arbres plant‚s de force, telles des prothˆses prisonniˆres du b‚ton environnant. A l’Highton School, il n’existait aucune barriˆre, seulement une large plage de gazon tendue au millimˆtre prˆs. Sans fils barbel‚s pour d‚limiter son territoire, cette ‚cole semblait ouverte sur l’infini. Pauline resta quelques instants en extase devant ce lieu ouvert, pour s’impr‚gner de cet espace sans cha•nes. — Bonjour, Pauline ! la salua une voix familiˆre derriˆre son dos. 56


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Elle se retourna pour tomber en face du visage de Virginie, visiblement aussi soulag‚e qu’elle de retrouver un port d’attache familier. D’un ton l‚ger, elles ‚changˆrent leurs impressions aprˆs leur premiˆre journ‚e dans leurs familles anglaises. Pauline omit volontairement de lui conter l’‚pisode du lait d‚vers‚ sur les v‰tements des Smith. Tandis qu’elles palabraient, les autres ados arrivaient les uns aprˆs les autres pour leur premier rendez-vous avec l’‚cole anglaise. Pauline et Virginie reconnurent vite quelques visages ; beaucoup avaient meilleure mine que lors de leur arriv‚e sur l’•le britannique, aprˆs leur passage chaotique sur la Manche d‚cha•n‚e. — Bonjour, j‚ souis votre professor d’anglais, bienveniou … Westgate-on-Sea ! Tout le groupe fran†ais se tourna de concert vers une jeune femme Šg‚e d’une vingtaine d’ann‚es v‰tue d’un jogging ample, d’un sweat-shirt tout aussi confortable, et chauss‚e d’une paire de baskets usag‚s. Elle poss‚dait un visage mutin parsem‚ de taches de rousseur, des yeux bleus p‚tillants, et des cheveux roux rang‚s anarchiquement en une queue de cheval lŠche. D’un pas a‚rien, elle les pr‚c‚da … l’int‚rieur du bŠtiment. 57


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Une vaste salle de classe s’ouvrit devant eux, piˆce lumineuse meubl‚e de tables en bois align‚es au garde-…-vous face … un tableau blanc. Leur prof les invita … s’asseoir, avant de se pr‚senter : — My name is Susan... Elle s’exprimait d’une maniˆre si d‚contract‚e que Pauline oublia instantan‚ment qu’elle se trouvait en pr‚sence d’une prof. En fait, Susan n’occupait pas r‚ellement cette fonction ; ces cours d’‚t‚ repr‚sentaient juste pour elle un job provisoire dans ses ‚tudes de fran†ais. Et son accent tra•nant provenait de ses origines am‚ricaines. Cela expliquait probablement aussi cette allure particuliˆrement cool adopt‚e par la jeune fille. Pour la premiˆre fois depuis des lustres, Pauline se sentait relativement … l’aise dans cette salle de classe, lib‚r‚e du sentiment d’oppression qui l’habitait habituellement lors de n’importe quel cours. Celui-ci se d‚roula d’ailleurs trop vite … son go•t, notamment grŠce au dynamisme verbal de la jeune Am‚ricaine. Quand tout le groupe sortit devant le bŠtiment, elle les salua tous amicalement, avant de dispara•tre vers ses occupations : 58


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— See you tomorrow... Scotch‚e … Virginie, Pauline vit d‚filer le d‚nomm‚ Rodolphe … l’‚ternelle salopette et au verbe haut en couleur, un jeune homme trˆs s‚duisant du nom d’Ivan, et en fin de cortˆge, les deux ados qui les avaient abord‚es sur le ferry, Alix et Nadine. Comme lors de leur premiˆre rencontre, Alix s’empressa de leur proposer: — Ca vous dirait de manger avec nous ? Il y a s•rement des endroits sympas prˆs de la mer... Une minute plus tard, elles arpentaient toutes les quatre une large avenue situ‚e face … l’Highton School, et descendant vers la mer. Petite station baln‚aire du sud de l’Angleterre, Westgate-on-Sea d‚ployait une multitude de commerces encastr‚s les uns contre les autres face … la mer. Malgr‚ la temp‚rature glaciale, de nombreux Anglais en maillot de bain ‚voluaient sur une plage terne, face … une mer d‚lav‚e tirant sur le gris, et un ciel assorti. Frigorifi‚es dans leurs blousons d’‚t‚, les quatre ados d‚couvraient d’un œil incr‚dule cette affluence … la plage par un temps pareil, et ces Anglais courageux, voire carr‚ment 59


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inconscients, s’‚brouer joyeusement dans cette mer … la couleur fan‚e, vague copie en noir et blanc des superbes eaux bleut‚es ou ‚meraudes de la cŽte d’Azur. Comme pour s’accorder … la couleur ambiante, des Anglais exhibaient leurs peaux plus blanches qu’une feuille vierge, aux antipodes des corps noircis et huil‚s grillant sous le soleil m‚diterran‚en. D’ailleurs, le soleil version britannique ne leur offrait que quelques brefs ‚clairs chevrotants, comme une ampoule … l’agonie avant l’extinction complˆte des feux. Fascin‚es par ce folklore britannique, les quatre fran†aises ‚changeaient des commentaires moqueurs et distrayants. Devant elles s’‚tendaient des boutiques hautes en couleur, contrastant avec la plage et la mer grisŠtres. Elles marchaient sur une courte all‚e de planches, ‚quivalent d‚risoire des planches de Deauville. Autour d’elles ‚voluait une foule bigarr‚e d’autochtones aux allures parfois surprenantes. Elles croisˆrent ainsi un couple d’une cinquantaine d’ann‚es, tous deux coiff‚s de chapeaux de cow-boy six fois plus grands et plus hauts que leurs t‰tes. Plus loin, elles tombˆrent sur un anonyme dissimul‚ sous un 60


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costume de singe. A croire que ces gens s’‚taient fix‚s comme seule limite de ne pas en avoir. Ces touristes ou habitants un peu singuliers sortaient de casinos ouverts sur la mer, regorgeant de machines … sous bruyantes et multicolores. En plus de ce vacarme de f‰te foraine, ces lieux de jeux laissaient ‚chapper des musiques rythm‚es. Rod Stewart braillait son baby Jane … s’en claquer les cordes vocales, et quelques mˆtres plus loin, David Bowie tentait de lui voler la vedette en entonnant une autre m‚lodie. Au milieu de cette musique anglo-saxonne arpentant d‚j… leurs existences … longueur d’ann‚e, les quatre ados se sentaient en terrain familier. Cette modeste station baln‚aire semblait ‰tre le carrefour incontournable des originaux de toute sorte. Marginaux, punks ou jeunes branch‚s d‚ambulaient l’air provocateur aux cŽt‚s d’autres Anglais trˆs guind‚s, verrouill‚s de toutes parts par des siˆcles de conservatisme. En revanche, une majorit‚ de jeunes Anglais avait adopt‚ une mode vestimentaire unique : jeans et tee-shirts noirs, avec cŽte de maille par61


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dessus. A quelques exceptions prˆs, ils avaient tous opt‚ pour ce style d‘habillement. Pauline pensa qu’… force de porter des uniformes … l’‚cole, ils se r‚v‚laient incapables de se forger leur propre sp‚cificit‚ … l’ext‚rieur, alors qu’on leur offrait la libert‚ de choisir. Et ceux qui voulaient se d‚marquer de cette uniformit‚ se trouvaient contraints d’adopter des look extr‰mes, comme les punks, par exemple. En tout cas, le contraste ‚tait saisissant entre les jeunes fran†ais, tous diff‚rents malgr‚ des repˆres vestimentaires communs, et les jeunes Anglais, tous adeptes d’une mode unique. — J’ai compris d’o• viennent les chapeaux de cow-boy g‚ants ! s’exclama Alix en d‚signant du doigt un marchand ventripotent, debout derriˆre un stand ext‚rieur regorgeant d’objets loufoques aux coloris volontairement tape-…-l’œil. €blouies par le spectacle baroque offert par cet ‚talage en d‚calage total avec la rigueur alentour, les ados restˆrent quelques instants … scruter ces marchandises originales, avant de s’accorder une halte dans un bar am‚ricanis‚. Ce lieu particuliˆrement bruyant offrait … leurs regards un festival de couleur vives. Des 62


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rang‚es de lumiˆres fluorescentes ‚taient affich‚es contre les murs, tels des feux d’artifice multicolores coup‚s dans leur ‚lan. Au fond de la salle se d‚roulait un large comptoir transparent, rempli de gadgets tape…-l’œil. Les ados firent la queue pour choisir quelques desserts color‚s guˆre app‚tissants et des confiseries couleur fluo. Leurs aliments … la main, elles s’installˆrent sur des siˆges en plastique jaune situ‚s prˆs des vitres, le regard viss‚ sur le spectacle des Anglais vautr‚s sur des plages glaciales, sous un ciel mena†ant. * * * Leurs confiseries … la main, elles ‚changeaient leurs impressions amus‚es sur les gens qui d‚filaient derriˆre les vitres. Leurs ‚clats de voix satisfaits se fondaient dans le brouhaha persistant de ce bar particuliˆrement fr‚quent‚. M‰me si elles rechignˆrent … terminer leurs friandises bourr‚es de colorants, elles s’attardˆrent pendant plus d’une heure dans ce lieu vraiment f‚erique et divertissant. Puis elles consacrˆrent le reste de l’aprˆsmidi … d‚ambuler dans la station baln‚aire, tra†ant dans leur sillage les rep‚rages d’usage. 63


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Balay‚e par un vent joueur, Pauline se sentait ‚trangement … l’aise dans ce cadre inaccoutum‚, entour‚e de personnes d‚j… familiˆres. En fin d’aprˆs-midi, elles se quittˆrent toutes dans une franche cordialit‚, avant de rejoindre leurs familles respectives. Pauline sentit son moral flancher dˆs qu’elle aper†ut le pavillon des Smith ; elle se rappelait douloureusement sa honte du matin. Avec un haut-le-cœur r‚troactif, elle se repassa la bande de ses vomissures incontrŽlables. Mais dˆs qu’elle franchit le seuil de son home sweet home provisoire, l’accueil royal de Mrs Smith d‚truisit d’un seul coup ses appr‚hensions. Aprˆs une soir‚e avec marmelade plastifi‚e de rigueur et gazouillis anglais incontournables, Pauline se retrouva enfin seule dans ses appartements priv‚s. Allong‚e sur son lit pour lilliputiens, elle ferma les yeux, le cerveau bouillonnant de sentiments contradictoires, aprˆs cette premiˆre journ‚e de vacances en Angleterre.


Imprim‚ en France par TheBookEdition.com (Lille – Nord) ISBN 978-2-917899-23-6 D‚pŽt l‚gal octobre 2009



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