Kiblind 53

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ÉTÉ 2015

— CULTURE   VISUELLE   &  VISION   CULTURELLE

MOJITO KIDNAPPING JÄGER GEF CHASSE-PATATE ART OPEN BAR ICE CDI

— ANDREW B. MYERS

GRATUIT kiblind.com





ANDREW B. MYERS

E N CO UV E RT U R E

Cocktails (création originale)

andrewbmyers.com

C

01 SANS TITRE 2014

01 NEW YORK TIMES MAGAZINE 2015

01 SUDDEUTSCHE ZEITUNG 2014

01 SANS TITRE 2014

01 X 2015

01 MAC-TISSE 2015

ertes, ce n'est pas la première fois que nous croisons la route d'Andew B. Myers (cf. Kiblind 46). Mais les retrouvailles ne sontelles pas toujours quelque chose d'éminemment appréciable ? Habituellement gorgées d'émotions, celles-ci débordent plutôt de liquides aux couleurs chatoyantes et de breuvages aux bons goûts d'été. Le photographe torontois a en effet suivi à la lettre le thème de ce numéro 53 : le cocktail. Andrew B. Myers, issu de la Ryerson University School of Image Arts de Toronto, s'est envolé vers de nouveaux cieux et officie aujourd'hui à New York, lieu céleste pour l'art photographique. Une évolution qui lui va bien au teint et à la tête puisque son travail, sans s'éloigner de ses obsessions personnelles, évolue au grè du temps et des rencontres. Un parcours plaisir qui lui a permis de rafler les prix ADC Young Guns et PDN 30, tous deux fins observateurs de la jeunesse photographique. Mais ce n'est pas tout, car Andrew B. Myers ne se nourrit pas de prix, mais bel et bien de contrats commerciaux qu'il passe à tour de bras avec Airbnb, Google, Monoprix, Jägermeister ou de projets éditoriaux avec GQ, Le Monde, M Magazine, New York Times, Playboy, Wired, Vice et autres Süddeutsche Zeitung. Et Kiblind. Nous voilà donc transportés en plein été, sur une plage de Malibu Beach, non loin d'un bar aux cocktails à volonté. Bon, c'est juste, la plage est rudement bien achalandée. Et propre. Et les couleurs y sont finement choisies. C'est là le style étincelant d'Andrew B. Myers : user d'objets réels pour créer des motifs à mi-chemin entre le concret et l'abstraction. Les photographies du Canadien ne sont plus des prises de vue mais bien plutôt des constructions graphiques que ne renierait pas le plus exigeant des studios. Le voilà donc une nouvelle fois accordant couleurs et formes, matières et lumières pour une couverture désaltérante à souhait. Et à consommer vraiment - mais vraiment - sans modération.

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06 07

ÉDI TO - SOMMA IRE Cocktails and Dreams. C’est le nom du bar dans lequel travaillait Tom Cruise dans Cocktail, un film qui marqua une génération de barmen mais que les gens nés après 1990 ne connaissent pas. Par contre ils connaissent Top Gun. Mais ça n’a rien à voir ici. Inspiré littéralement de la queue du coq, le « cock-tail » ou « coquetel » francisé renvoie au plumage caudal, chatoyant et bigarré, du chantant volatile. Pour certains étymologistes, cette queue est d’ailleurs plutôt celle d’un paon, peacock-tail, davantage riche en pigments, mais abrégée pour l’occasion comme pour tenir dans un verre trop petit et triangulaire, sur le bord duquel on coince une cerise. Le cocktail accompagne toujours la fête. C’est pourquoi il est présent partout dans ce 53e numéro : dans les data du Mojito, dans le message d’amour de Mickael Jackson à l’Humanité, dans les forêts allemandes des maîtreschasseurs, au Centre national des arts plastique, à Liège sur un vélo, dans la communication festive des marques d’alcool, au CDI, et dans la mode, avec un peu de glace pour se rafraîchir. Mais surtout, il est concocté en original par 11 artistes, graphistes, illustrateurs et photographes, rassemblés sous la thématique graphique de la boisson aux mille visages. C’est bien de saison on dirait, avec beaucoup de Sucre (le 3/06) et sur LaPlage du Gazart (le 09/07). Alors, cheers !

DATA

08 — MOJITO

PO RT RA IT

15

— GRAPHISME EN FRANCE

PAG ES B L A NCH ES

21 SAURAS-TU RETROUVER TOUS LES COCKTAILS QUE TONY A BU PENDANT L’HAPPY HOUR ?

rhum

jus d’ananas

gin

jus de citron

tequila

jus de tomate

vodka

jus d’orange

cachaça

jus de pamplemousse

curaçao

sirop de sucre

cointreau

tabasco

lait de coco

menthe

grenadine

eau gazeuse

STAFF Directeur de la publication : Jérémie Martinez Rédacteurs en chef : Jean Tourette  - Gabriel Viry - Jérémie Martinez Rédacteur en chef Mode : Baptiste Viry

Rédaction Kiblind : Maxime Gueugneau Gabriel Viry - Jean Tourette - Jérémie Martinez Olivier Trias  - Simon Bournel-Bosson Matthieu Sandjivy - Margot Chauvin. Cahier Mode : DA / Baptiste Viry  - Assistante / Alizée Lagé Photographe / Thomas Chéné - Styliste  / Garlone Jadou.

Relecture : Frédéric Gude  Merci à : Baptiste Alchourroun - David Chauvet Coralie Aubry - François Huguet - Basil Sedbuk - Simon Boileau - Manon Raupp - Elora Quittet - Pierre Serafini - Julien Gerardot - Justine Ravinet - Agatha Muret. Direction artistique : Klar (www.agence-klar.com)


REVUE DE PR ESS E

R ÉCL A ME

— KIDNAPPING

— JÄGERMEISTER

10

12 R EPO RTAG E G RA PH IQ UE

16 — CHASSE-PATATE

DOSSI ER

CA H IER MO D E

— L'ART OPEN BAR

— BOOM

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39 CD I

53 — BAIN 53 BIBLIOTHÈQUE 54 CHIRURGICAL 55 COCOTTE-MINUTE 57 FOIRES 58

LONGUEUR 59 LOUVOYAGE 61 OUAH 62 PIFPM 63 RHABILLER ET SUIVI 64

INFOS Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fédrigoni Couverture : Symbol Freelife Raster 300gr Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g Imprimeur : DEUX-PONTS Manufacture d'histoires 5, rue des Condamines - 38320 Bresson - www.deux-ponts.fr Il est édité à 40 000 exemplaires par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon .

Kiblind Magazine - 27 rue Bouteille - 69001 Lyon  04 78 27 69 82  - www.kiblind.com  Le magazine est diffusé en France (à Paris, Lyon, Marseille, Montpellier, Bordeaux, Toulouse, Rennes, Nantes, Lille, Strasbourg, etc.) et à Bruxelles. Ce numéro comprend un cahier supplémentaire de 32 pages pour la région Rhône-Alpes.

ISSN : 1628-4146 // Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. THX CBS. Kiblind ? Contact : redaction@kiblind.com


DATA Sujet : J. Martinez Graphisme : Julien Gerardot & Agatha Muret

VÉRITABLE EMBLÈME NATIONAL AU PAYS DES CASTRO, LE MOJITO EST AUJOURD'HUI LE COCKTAIL LE PLUS CONSOMMÉ EN FRANCE, SELON LE SITE PHILANTHROPE 1001 COCKTAILS. C'EST FRAIS, C’EST HEMINGWAY ET ÇA ENRICHIT UN BEL ALCOOLIER FRANÇAIS !

Placer les feuilles de menthe dans le verre

3 cL DE JUS DE CITRON VERT

6 cL DE RHUM BLANC EAU GAZEUSE

Ajouter le sucre et le jus de citron

QUELQUES GOUTTES D'ANGOSTURA

Piler afin d'exprimer l'essence de la menthe

7 FEUILLES DE MENTHE

Ajouter le rhum Remplir le verre à moitié de glaçons Compléter avec de l'eau gazeuse Mélanger doucement Verser quelques gouttes d'angostura

08 09

2 cL DE SIROP DE CANNE

XVIE SIÈCLE

1946 "DRAQUE"

FRANCIS DRAKE "EL DRAQUE" (le dragon) corsaire anglais

L'ajout de sucre au Draque donne naissance au Mojito

CUBA

RHUM

CITRON VERT

FEUILLES DE MENTHE

SUCRE


1

CLASSEMENT DES COCKTAILS LES PLUS CONSOMMÉS EN FRANCE

2

CLASSEMENT MONDIAL DES PAYS QUI CONSOMMENT LE PLUS DE MOJITOS

1 SUÈDE

3

2 NORVÈGE

3 FRANCE MOJITO

Piña Colada

Caïpirinha

4 ESPAGNE

5 4

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6

7

8

9

10

Margarita

Gin Fizz

Tequila Sunrise

Cuba Libre

Americano

Cosmopolitan

Ti Punch

ERNEST HEMINGWAY aimait siroter des Mojitos sans sucre

JAMES BOND, malgré un sérieux penchant pour le Vodka Martini, a aussi succombé à la mode du Mojito sur une plage cubaine dans Meurs un autre jour

1993 PERNOD RICARD (Fr) rachète HAVANA CLUB (Cuba)

Sonny Crockett adore le Mojito dans MIAMI VICE

ESTONIE

Contrairement aux idées reçues, on ne boit pas que des Cosmopolitans dans SEX AND THE CITY

DEPUIS 20 ANS PERNOD RICARD crée un nouveau marché en France pour vendre le rhum cubain : le Mojito

Le Mojito : cocktail le plus consommé en France

BACARDI Guerre publicitaire du meilleur Mojito entre HAVANA CLUB & BACARDI, les deux grands fournisseurs mondiaux de rhum industriel cubain

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R EV UE DE P R ESSE Texte : M. Gueugneau

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KIDNAPPING

PRENDRE LA PRESSE POUR CE QU’ELLE EST : UNE SOURCE D’INFORMATIONS ET D’INSPIRATIONS. PROFUSION DE SAVEURS DE NOS PARUTIONS NATIONALES, SOUS LA FORME D’UN COURT RÉCIT, RÉSULTAT DU FUMET DÉGAGÉ PAR NOS LECTURES.

Bien. Il m'est arrivé un truc pas banal. « J'ai essayé d'écrire sur ça, mais je sais pas si j'ai vraiment su le retranscrire. » 08 J'ai fait de mon mieux en tout cas. À vous de juger :

01. BARRÉ n°1 Printemps 2015 barremag.info

02. CITRUS n°3 Printemps 2015 revue-citrus.com

03. DE TOUT BOIS n°2 Printemps 2015 lemondealenvers.lautre.net

Vous le savez, on le sait : « les Normands aiment la bonne chair ! Et leur cuisine s'en ressent, avec des recettes qui font la part belle à la production agricole et piscicole. » 04. Aussi, normand moi-même, ai-je pris l'habitude de me prendre un après-midi ou deux par semaine pour aller pêcher le goujon, un de mes plaisirs coupables. Je vois bien les cols blancs me traiter de tire-aux-flancs. « Nos contemporains reçoivent les honneurs lorsqu'ils conquièrent et participent à des exploits et des aventures contrairement à ceux qui contemplent et méditent. » 03. « Mais laisser le travail prendre le contrôle de nos vies, c'est de la folie. Il y a trop de choses trop importantes auxquelles il faut aussi se consacrer, comme les amis, la famille, les hobbies, etc. » 05. Et puis, merci bien, j'ai pas envie, à 40 piges, de me retrouver avec les cheveux blancs. « Le stress joue, lui aussi, un rôle significatif sur le blanchissement de la chevelure. » 09 Il faut le savoir, ça. Trêve de digression. Je reprends. Ce jour-là, je m'installe donc à mon spot favori, une zone ombragée du lac des Charmilles, où seuls quelques rares fois des dealers profitent de la paisibilité des lieux. « À deux pas de là, la

nature exalte. Deux poules papotent au bras d'un coq, un bouc encanaille les chèvres, pendant que brebis et agneaux jouent à saute-mouton. » 01. J'adore ces moments-là. « Quitter son environnement habituel et s'aventurer en pleine nature apporte souvent des idées lumineuses et une imagination rafraîchie. » 05. Je me pose donc et attends et la lumière et le goujon. Et pour me mettre encore mieux, « je viens juste de me faire une tasse de thé. C'est la bonne température, et, plus important, c'est la bonne saveur. » 08 À cet instant précis, c'est bien simple, je communie avec le monde, le monde communie avec moi. Des bruits me sortent soudain de ma torpeur extatique. D'abord lointains, ils se rapprochent et produisent enfin un vacarme de tous les diables. « Les revendeurs de drogue ne sont plus ce qu'ils étaient », 09 pensais-je alors. Mais, tandis que le ciel se couvre, je m'aperçois que le tintamarre provient de là-haut, de cette gigantesque soucoupe qui vient stationner juste au-dessus de moi. Bordel de bon dieu de merde, des putains d'aliens ! La suite est classique : le vortex, l'aspiration. « Ma poitrine effectue un cercle sans que mes épaules ne bougent. Puis mon buste semble vouloir se dissocier du bas de mon corps et se déporte vers la droite, tombe. Comme attiré par un aimant, il s'élève et repart en diagonale vers la gauche, tombe. » 02 Je me sens décoller doucement. Puis le néant.


Je me réveille comme après une sale cuite. Des personnes m'entourent. « Un peu comme dans un rêve, les visages changent, se figent dans des rictus abjects, des yeux injectés de sang et des longues dents pointues. » 07 Chouette, des nouveaux amis. « Par déformation professionnelle, je suis sensible à l'apparence » 06 : je retombe dans les vapes. À mon deuxième réveil, je suis seul, mais je me sens mieux. Machinalement, je regarde par le hublot de la porte. « À travers la vitre, l'espace blanc et vide me regarde béat. » 07 Je me frotte les yeux et distingue peu à peu un corridor au fond duquel deux singes en or gardent un pompeux portail rococo. Je choisis de percer le mystère de mon enlèvement et sors. Sitôt dans le couloir, des subtiles notes troublent mon être. On dirait... Mais oui, j'en suis sûr : Stranger in Moscow. Si je salue le bon goût de mes hôtes, je reste frappé par l'impossibilité de la scène. Le son provient de derrière le portail. Je saisis la lourde poignée en bronze et fais mon entrée dans la plus

« L'AMOUR EST LA SEULE CLÉ QUI PUISSE GUÉRIR NOS BLESSURES » JOUR DE FRANCE, n°50, Mai 2015

improbable et magnifique des réunions. Michael Jackson, Sim, Diana, Tupac Shakur, James Dean, Elvis Presley, Aaliyah ou encore Heath Ledger : tous ces morts sont là, en face de moi, en chair et en os, en chaîne et en or. Les oracles disaient vrai, l'île aux stars existe. Il ne fallait pas la chercher sur terre, mais dans les airs. Je suis là, hébété, au milieu de ces gloires du genre humain. Ils semblent m'attendre. Le Roi de la Pop s'avance, me prend dans ses bras et entame ce discours qui changera ma vie. “« L'amour est la seule clé qui puisse guérir nos blessures » 04” commence Jacko. “Mais ce monde n'est que haine, rage et perdition. C'est pourquoi nous avons décidé de nous retirer et de créer

une autre société, apaisée, guidée par l'entraide et la solidarité. « Une autre société ? Le mot est gros. Disons plutôt une autre manière d'établir des relations entre êtres humains, un autre rapport au monde, un autre avenir. » 03 Pour l'instant, « il n'y a pas de pays comme ça, il n'y a pas de peuple comme ça. » 08 Nous voulons y remédier.” Je suis bouche bée, ébahi. « Leur association augure en effet un nouveau monde, passionnant. » 07. Michael poursuit : “Pour porter notre message, nous vous avons choisi, vous et quelques autres élus. Vous avez en commun l'amour, le courage et la générosité. La mission que nous vous confions est simple et difficile à la fois. « Certains ont quitté le navire et beaucoup ont sauté dedans à pieds joints apportant toute leur énergie, leurs compétences et leur créativité. » 01. Parlez pour nous, portez notre message aux habitants de la Terre. « N'hésitez pas à aller à leur rencontre pour justifier de la légitimité de notre action. » 03 “Nous avons confiance en vous.” « Cette phrase doucement perverse me chatouille le cervelet, juste à la surface, oh rien de trop profond, quelque chose qui reste là, dans les limbes à l'orée de la conscience, un frétillement, un clapotis. » 07. Et c'est le trou noir. Je me réveille, assis sur ma chaise de camping, devant ma canne à pêche. La nuit est tombée. « Depuis combien de temps ? Depuis longtemps, je crois. » 02 Ma tête tourne, je sens que je vais vomir. Mais je me souviens parfaitement de tout, de la mission qui m'a été confiée. Bien, Michael, j'irai. Je saisirai mon bâton de berger et irai prêcher Ta Parole. Je ne suis pas pressé. « Je n'ai pas vraiment de mantra, mais j'essaie de me rappeler souvent qui gagne la course entre la tortue et le lièvre. » 05 Je prendrai le temps qu'il faudra, mais le monde écoutera Ton Message. Voilà bientôt six ans que mon kidnapping a eu lieu. Six ans que je parcours la Terre et sème le Discours de la Paix de Michael Jackson. Six ans que je lance à mon prochain : “Heal the world, make it a better place.” RETROUVEZ LA SÉLECTION EN DÉTAIL SUR WWW.KIBLIND.COM

04. JOUR DE FRANCE n°50 Mai 2015 lafontpresse.fr

05. KINFOLK n°15 Printemps 2015 kinfolk.com

06. METROPOLITAN – THE EUROSTAR MAGAZINE n°61 Mai 2015 ink-live.com

07. PAPIER MACHINE n°2 Mars 2015 papiermachine.be

08. THE HAPPY READER n°2 Printemps 2015 thehappyreader.com

09. THINKOVERY n°3 Avril/Mai/Juin 2015 thinkovery.com


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R ÉC L AME Texte : J. Tourette Visuels : © Mast-Jägermeister SE (sauf O1 : Basilique d'Ottawa)

JÄGERMEISTER, OU L’INCROYABLE RÉCIT D’UN CHASSEUR DEVENU CLUBBER.

L’ 01

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histoire commence en 1934, dans la petite ville de Wolfenbüttel en Basse-Saxe. Curt Mast vient de prendre les commandes de l’usine familiale créée par son père au siècle précédent, spécialisée dans la fabrication de vinaigre. Le business est constant et le jeune entrepreneur décide d’orienter la recherche vers l’extraction de plantes. Aussi va-t-il se consacrer à mettre au point la formule d’une liqueur à base de feuilles, de fleurs, de racines et de fruits, en mélangeant patiemment différents arômes et saveurs. La recette définitive, riche de 56 types d’herbes, à la composition précise tenue secrète, était commercialisée l’année suivante, en 1935. Le Jägermeister était né : une excellente boisson médicinale, particulièrement efficace contre la toux et les problèmes digestifs ! Le choix du nom est lui aussi intimement lié à la personnalité de son créateur. En bon gentilhomme bas saxon, Curt Mast aimait à pratiquer la chasse sur ses terres. Ainsi décida-t-il de dédicacer explicitement sa concoction à sa passion forestière, en la baptisant Jäger-Meister, littéralement « Maître-Chasseur ». C’est vrai qu’après une bonne partie de chasse, les membres rendus gourds par plusieurs heures de marche dans la mousse sylvestre et la poitrine pressée par le frimas de l’automne déclinant, quoi de mieux pour se remettre d’aplomb qu’un bon verre de Jägermeister ? C’était un peu l’idée, en fait. Et puis ça évitait de tousser en rentrant chez soi. Pour filer la métaphore chasseresse à fond, Curt Mast sortit une artillerie sémantique lourde : logo, blason, typographie gothique dans le sens de la tradition. Élément principal, la tête de cerf surplombée d’une croix, présente dès l’origine et aujourd’hui icône emblématique figurant

à elle seule l’image de la marque, est une référence directe à saint Hubert. Pour les personnes qui ne pratiquent ni la chasse ni le catéchisme, la légende raconte que lors d’une de ses chasses solitaires Hubert aperçut dans la forêt un somptueux cerf blanc et se mit en quête de le chasser. C’est bien légitime. Une fois la bête piégée et l’hallali tout prêt à être entonné, le cerf fit subitement face à son poursuivant, exposant une croix chatoyante entre ses bois. Le brave homme reconnut immédiatement dans l’animal un avatar christique et voua dès lors sa vie au service de l’Église, en tâchant de mener une vie pieuse et de continuer à chasser en respectant toujours ses proies. C’est pourquoi, lorsqu’il fut sanctifié, saint Hubert devint naturellement le patron des chasseurs 01. C’est aussi pour cette raison que l’étiquette de Jägermeister porte sur son contour un cordon incrusté des vers du poète Oskar von Riesenthal 02, et traduits comme suit : « Il en va de l'honneur du chasseur de protéger et de préserver son gibier, de chasser dans les règles de l’art et, dans la créature, d’honorer le Créateur. » Bam. Günther Claußen, le dessinateur de la première étiquette de 1935, a parfaitement su reproduire la lubie de Curt Mast. Il ne suffisait plus que de choisir une bonne typo traditionnelle à la mode gothique pour que tout soit en place. À tel point qu’hormis quelques fioritures et des mentions légales, l’étiquette n’a pas bougé en 80 ans. Quant au flacon, resté à l’identique lui aussi, l’anecdote rapporte que Mast aurait luimême testé la résistance de plusieurs modèles en les laissant tomber à hauteur de taille sur le sol de sa cuisine. L’expérience révéla alors que la bouteille à verre épais, à la forme anguleuse et robuste résistait beaucoup mieux aux chutes ! Restait alors à lui trouver une belle teinte, qui résiste aux UV : vert chasseur.


Si le Jägermeister en tant que produit témoigne d’une rigueur allemande et d’une cohérence remarquable dans sa conception, une question persiste : comment un « remède » de chasseur des années 30 a-t-il pu devenir aujourd’hui une boisson sexy présente dans tous les clubs pointus de France, et sans rien changer ? Grâce à la com ! Jusque dans les années 70, la société Mast a voulu préserver cette image de marque des débuts, tout empreinte de forêts, de nature et de chasse, socle sur lequel reposait sa stratégie de développement à travers un héritage de valeurs traditionnelles 03. Mais à partir de 1971, la direction de la communication prit une voie radicalement différente en déplaçant son cadre de référence du champ à la ville, en substituant au chasseur des gens du quotidien et en abordant à présent les choses avec humour. Car tout le monde boit Jägermeister ! Et il explique pourquoi 04-05 : « Je bois Jägermeister parce que je suis très surpris de vous rencontrer dans le placard de ma femme, Monsieur. » ; « Je bois Jägermeister parce qu'aujourd'hui j'ai decidé de tutoyer mon patron. ». On en boit même au stade : en 1973, Jägermeister apparaît sur les maillots d’une équipe de foot de la Bundesliga, ceux du club de l’Eintracht Brunswick. Autre levier extrêmement efficace : le marketing. Lorsque Jägermeister s’exporte au États-Unis dans les mêmes années 70, la société confie sa stratégie de diffusion au businessman Sidney Frank. Très au fait des méthodes bien rodées en termes de promotion, celuici envisage d’associer la boisson à des événements culturels, tels que des concerts, et de rendre la marque bien visible par l’entremise de ravissantes ambassadrices : les Jägerettes. Et ça marche plutôt bien. En effet, le mélange entre l’événementiel et la boisson donne un cocktail tellement explosif, qu’il n’a depuis pas quitté la tactique de propagation d’image. « On essaie de se développer sur des événements pour connecter la marque à des moments et à des émotions (dans le respect d’une loi contraigante…) »,

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explique Maxime Sobecki, Chef de produit chez SL Major, la société qui distribue Jägermeister en France. « Ce sont des piliers. Beaucoup de gens ne savent pas prononcer le nom de la marque et ont du mal à le lire… mais ils en veulent quand même ! Il y a un côté communautaire très fort autour de Jägermeister. » Alors quand l’équipe du magazine Vice se voit confier ces derniers mois l’organisation de trois monumentales soirées surprise à Paris, Lyon et Marseille, toutes trois rassemblées sous le vocable « Maison Jäger », forcément, ça taille une réputation. Aujourd’hui, la liqueur expérimente l’univers graphique à travers une cam-

pagne aux États-Unis baptisée 56 parts, centrée sur les 56 ingrédients qui entrent dans la composition du breuvage. Pour bien faire, elle a demandé à Andrew B. Myers, par l’intermédiaire de l’agence Deutsch, d’imaginer une composition en 56 morceaux, façon puzzle, pour souligner la complexité et la richesse de la formule 06. Toujours inchangée et encore mystérieuse. Car même si l’on dispose de toutes les pièces, encore faut-il savoir les assembler. Peut-être une façon de souligner que le secret de Jägermeister demeure bien gardé dans le bastion de Wolfenbüttel, par de solides gaillards en manteaux verts, armés de Jägerbomb.



GRAPHISME EN FRANCE

P O RT RA IT Texte : J. Martinez Visuel : Building Paris

« GRAPHISME EN FRANCE » EST L'ÉTENDARD DU CENTRE NATIONAL DES ARTS PLASTIQUES (ET DONC DU MINISTÈRE DE LA CULTURE) POUR DÉFENDRE, FÉDÉRER, ET VALORISER CETTE PETITE ET BELLE PLANÈTE DU DESIGN GRAPHIQUE, AINSI QUE SES HABITANTS. VÉRONIQUE MARRIER, CHARGÉE DE MISSION POUR LE DESIGN GRAPHIQUE AU SEIN DU CNAP DEPUIS 2008, ŒUVRE POUR CETTE ESPÈCE MÉCONNUE ET POURTANT SOUVENT TRÈS BIEN HABILLÉE.

L

e design graphique est à la fois présent partout et, pour beaucoup, visible nulle part. Il suffit pourtant de laisser trainer son regard sur une affiche de rue, un magazine de nu ou un écran dévolu pour l'apercevoir, ou simplement, d'y croire pour le voir. Même l'institution a tardé à remarquer cette « chose » graphique. C'est en 1992, lors de la deuxième édition du Mois du graphisme d'Échirolles, sur les belles plages de la côte grenobloise, que jaillit l'idée de créer une revue annuelle qui permettrait de recenser les manifestations et lieux du graphisme en France. C'est peut-être un détail pour vous mais pour cette discipline alors méconnue, ça veut dire beaucoup. Depuis 1994, chaque année, le CNAP confie donc la réalisation de cette revue à un jeune studio graphique qui a la lourde et belle tâche de penser l'objet et sa mise en page afin d'illustrer une question graphique (l'édition 2015 est consacrée à la direction artistique dans la presse) et la pratique même du graphisme. Une revue annuelle, outch... Bien peu de chose en définitive pour tenter de créer le contact avec ce territoire encore peu structuré et reconnu. Lorsque Véronique Marrier rejoint le ministère en 2004 en tant que vacataire, c'est donc logiquement pour travailler au développement de la revue Graphisme en France. Elle avait créé quelques années auparavant à Bordeaux la Galerie 90_degrés, spécialisée dans le graphisme, un spécimen alors très rare (avec par la suite la galerie parisienne Anatome disparue depuis). Elle réussit donc aisément à établir un premier contact avec les séduisants autochtones (graphistes, typographes, etc.). Évidemment conquise, elle tente avec quelques autres de défendre la cause graphique au sein même des institutions. Pour elle, une seule devise : « mettre du graphisme partout ». Et les choses évoluent, pas à pas, petit à petit. L'année dernière, l'opération « Graphisme en France 2004» créée à l'occasion des 20 ans de la revue, et financée en partie grâce au mécénat, a permis à un public élargi de faire plus ample connaissance avec la planète graphique et de se rendre compte qu'en réalité il la croisait souvent au détour d'un regard. L'identité visuelle créée par Building Paris (en référence à ces petits stickers collés sur les

voitures, aperçus lors des difficiles départs de vacances) a fait la part belle à 15 typographies réalisées par des dessinateurs de caractères ou graphistes français. La manifestation, audelà de l'exposition, a permis de faire un numéro spécial de la revue (beaucoup plus complet), de créer un guide de la commande du design graphique, un kit pédagogique sur le graphisme (à destination des professeurs du collège) et, fait remarquable, de concrétiser la commande publique d'une typographie (l'Infini, créée par Sandrine Nugue). En 2010, déjà, un grand pas avait été franchi avec l'acquisition par le CNAP de premiers ensembles d' « œuvres » graphiques (l'identité de Canal + par Etienne Robial, Logorama des H5, et des chemins de fer de Peter Knapp). Ces acquisitions continuent et ont pour vocation, au delà d'acter une certaine forme de reconnaissance et de légitimation, de témoigner des créations graphiques contemporaines (contexte de création, étapes de recherches, etc.). Reste la question de la diffusion... Tout le contenu de Graphisme en France (revues, guide, typographie, etc.) est en téléchargement gratuit sur un site qui s'ouvrira à terme davantage vers les graphistes et en direction d'un public curieux. Pour que ce territoire exotique devienne un gigantesque playground. WWW.CNAP.GRAPHISMEENFRANCE.FR

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REPORTAGE GRAPHIQUE Texte : M. Gueugneau Visuel : S. Bournel-Bosson


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PAGES B L AN C H ES Créations originales

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— PETER JUDSON Carpark peterjudson.com


— BRECHT EVENS Cocktailevens brechtnieuws.blogspot.com


— LA DIRECTION Ivre, il tente de voler un pinguin la-direction.fr


— SHUN SASAKI Cocktail sasakishun.tumblr.com


SAURAS-TU RETROUVER TOUS LES COCKTAILS QUE TONY A BU PENDANT L’HAPPY HOUR ?

rhum

jus d’ananas

gin

jus de citron

tequila

jus de tomate

vodka

jus d’orange

cachaça

jus de pamplemousse

curaçao

sirop de sucre

cointreau

tabasco

lait de coco

menthe

grenadine

eau gazeuse

— STUDIO ULTRAGRAMME Happy Hour ultragramme.com


— MICHAEL DRIVER sans-titre michaeldriver.co.uk


— PARADE STUDIO Cocktail paradestud.io


— VINCENT LONGHI Cocktail vincentlonghi.fr


— SAMUEL ECKERT Cocktail samueleckert.tumblr.com


— CHIARA DATTOLA Mojitoupanddown chiaradattola.com


DOSSIER Texte : G. Viry Visuel : Baptiste Alchourroun

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L'ART OPEN BAR —

EN FRANCE, LA COMMUNICATION SUR L'ALCOOL EST TRÈS ENCADRÉE, MAIS ELLE N'A JAMAIS AUTANT DÉBORDÉ, CAPABLE DE TRANSFORMER L'IMAGE DE LA BIÈRE EN PRODUIT CULTIVÉ OU UNE MARQUE DE RHUM EN LABEL CULTUREL. LA SCÈNE ARTISTIQUE EST AINSI GÉNÉREUSEMENT ARROSÉE, À TOUS LES DEGRÉS...


la production. Puis nous avons recruté un brasseur, avant de développer notre propre outil de fabrication. » Cinq ans après sa création, la petite entreprise commercialise 4 bières différentes et un volume de 300 000 litres à l'année, qui irriguent à partir de Pantin toute la carte du bon goût parisien : événements (Who's Next, Man), CHR, épiceries fines, etc. Gallia n'est qu'un exemple parmi tant d'autres du retour en force des produits locaux, encore plus significatif dans un marché aussi globalisé que l'alcool. « En France, on retrouve aujourd'hui le nombre de brasseries qui existaient après-guerre (près de 600), contre moins de 80 il y a vingt-cinq ans ! » Avec son univers vieillot-branché, ses collaborations illustrées (Thomas Baas) et son offre événementielle, très demandée, le nouveau coq devrait chanter longtemps. Pendant ce temps, le marché mondial de la bière se livre un vaste combat de crêtes, ciblant notamment de nouvelles terres de conquête, géographique ou féminine, traditionnellement moins acquises au produit. Aujourd'hui, plus de 500 marques de bières de toutes origines appartiennent à trois mastodontes bedonnants, absorbant près de 75 milliards d'euros de chiffre d'affaires an-

À CÔTÉ DES BRASSEURS, LES GÉANTS DES SPIRITUEUX SE SONT ÉGALEMENT PARTAGÉ LE MONDE DE L'ALCOOL, FAVORISANT LA CONQUÊTE SPATIALE DE PRODUITS D'ORIGINE LOCALE, COMME LA VODKA RUSSE OU LE RHUM CUBAIN.

C

iao Pantin. Depuis quelques années, la commune de Seine Saint-Denis a le feu, jusque dans les colonnes du NY Times qui l'a qualifiée en 2013 de « nouveau Brooklyn » de Paris. Comme à Brooklyn, la ville héberge une importante communauté artistique. Comme à Brooklyn, les friches industrielles ont favorisé l'excroissance parisienne pour les activités créatives, dans le domaine de l'art (Thaddaeus Ropac), du luxe (Hermès, Chanel) ou de la pub (BETC). Et comme à Brooklyn, on fait aussi de la bière à Pantin, ce qui n'est pas forcément pour déplaire aux hipsters parisiens. « Gallia est une ancienne brasserie du 14e arrondissement, fondée en 1890 et arrêtée en 1969. » En 2009, Jacques Ferté et Guillaume Roy, deux amis, décident de la relancer. « On s'intéressait à la bière en tant que produit et on cherchait à partir d'une marque ayant existé : Gallia nous a tout de suite séduits, avec son coq, son histoire de famille, que nous avons rencontrée et son statut de dernière brasserie de Paris ». En 2010, la capitale retrouve enfin une bière locale, inspirée du procédé à fermentation basse qui avait fait son succès. « On a tout géré, au début, d'un appartement. L'idée était de reconstruire la marque, en sous-traitant

nuel. Devant SABMiller (Peroni, Grolsch, Foster) et Heineken (Pelforth, Desperados, Kingfisher), AB InBev est le leader du secteur et un reflet fidèle de la mondialisation du houblon : il s'agit d'un groupe belgo-brésilien, basé à Louvain, ayant réussi le pari d'agglomérer une escarcelle de bières d'abbaye avec le mexicain Corona ou l'américain Budweiser. À côté des brasseurs, les géants des spiritueux se sont également partagé le monde de l'alcool, favorisant la conquête spatiale de produits d'origine locale, comme la vodka russe ou le rhum cubain. Aujourd'hui, le marché est largement trusté par une triplette enivrée, composée de Diageo (Smirnoff, Johnny Walker, J&B), Pernod Ricard (Pastis 51, Absolut, Malibu, Ballantine's) et Bacardi-Martini (Eristoff, Bombay Sapphire, Get 27). Fondée en 1879, Absolut est d'abord une hérésie : une vodka pure, élaborée en Suède grâce à un procédé révolutionnaire de distillation continue. Un siècle plus tard, à l'occasion de son anniversaire, l'entreprise décide de se frotter aux Etats-Unis : elle exporte 10 000 caisses de 9 litres, première étape d'un succès international donnant presque le tournis. Entre temps, la vodka a conquis le monde et constitue aujourd'hui l'alcool fort le plus vendu, toutes catégories confondues ; originaire

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Entre La Gallia et Gallia Paris, le coq s'est réveillé dans un nouveau monde, et bientôt dans sa propre brasserie. galliaparis.com

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de Moscou, Smirnoff diffuse plus de 25 millions de caisses, chaque année, tandis qu'Absolut en déverse déjà la moitié. Rachetée en 2008 par Pernod Ricard, à l'issue d'une bataille acharnée, la marque suédoise est un cas d'école de la mondialisation de l'alcool, coupée à la pureté du marketing. Au-delà du produit, en effet, sa réussite phénoménale est largement liée à la bouteille : dotée d'une forme originale depuis l'origine, Absolut n'a cessé de la transformer en objet d'exception. Dès 1985 par exemple, Andy Wahrol la customise, suivi par de nombreux artistes et designers internationaux : Helmut Newton, Louise Bourgeois, Keith Haring, Pierre et Gilles, etc. Au-delà de ces collaborations, la fameuse bouteille a également tout revêtu : des illusions optiques, une boule à facettes (avec système de suspension), des éditions urbaines (Absolut Miami, Brooklyn, Paris) et même une performance industrielle en 2012, générant un habillage unique... sur 4 millions de pièces ! Malgré les apparences, chaque édition limitée fait l'objet de volumes importants. Mais Absolut a toujours le chic de laisser l'adresse d'une supérette : chez Colette...

CULTURE ON THE BEACH « La culture et l'alcool ? C'est une équation simple, explique Jacques Ferté : d'un côté, les événements culturels, fréquentés par les jeunes, sont des occasions de consommation ; de l'autre, les alcooliers ont de l'argent et la sphère créative est un bon levier pour travailler leur image... » En 1991, en France, l'intrépide Claude Evin, Ministre de la Santé, fait passer une loi éponyme, réglementant notamment la publicité pour l'alcool. Les mesures sont drastiques, limitant les supports de diffusion (presse et affichage), comme la représentation des boissons : seuls les critères objectifs sont autorisés (origine, composition, bouteille), ce qui empêche, par exemple, de montrer des buveurs. Un chapitre se tourne, alors que les alcooliers s'étaient largement acclimatés aux belles images de convivialité, souvent dénudées, comme « l'instant complice » de Duval (à poil) ou « 51 c'est chaud » (à trois et bientôt à poil). Toute la communication sur l'alcool doit ainsi se réinventer, sachant que l'Autorité de régulation de la publicité veille au grain, comme les associations de lutte contre les pratiques addictives : plusieurs campagnes sont condamnées, dont celle de Ricard récemment, sur le thème « des rencontres ». Pour autant, entre leurs services juridiques et les agences-conseil, les alcooliers ont de la ressource : chaque marque établit ainsi sa stratégie, qu'il s'agisse de remplacer les modèles par des décapsuleurs humains, de jouer la carte de la sensation (la fraîcheur d'un pastis, comme un jet dans la piscine), ou de survendre le décor : Clan Campbell


EN CHIFFRES -

N° 1

LA FRANCE EST LE PAYS LE PLUS CONSOMMATEUR DE WHISKY. IL REPRÉSENTE 40 % DES VENTES DE SPIRITUEUX (SOIT 200 MILLIONS DE BOUTEILLES), DEVANT LES ALCOOLS ANISÉS ET LES ALCOOLS BLANCS.

2 LES VINS ET SPIRITUEUX FORMENT LE 2E SECTEUR EXPORTATEUR DE LA FRANCE, DERRIÈRE L’AÉRONAUTIQUE.

50L

50 L

LA CONSOMMATION MOYENNE DE VIN, EN FRANCE, PAR HABITANT ET PAR AN, DEVANT LA BIÈRE (35 LITRES, CONTRE 135 EN ALLEMAGNE !) ET LES SPIRITUEUX.

12 L’ÂGE MOYEN, EN FRANCE, DU PREMIER VERRE.

5,6

LE MONTANT DE LA VENTE, EN MILLIARDS D’EUROS, D’ABSOLUT VODKA AU GROUPE PERNOD RICARD (2008).

DOSSIER

5/5 LE SOJU CORÉEN JINRO EST LE SPIRITUEUX LE PLUS VENDU DANS LE MONDE (600 MILLIONS DE LITRES), DEVANT SMIRNOFF, LOTTE LIQUOR, EMPERADOR ET BACARDI.

propose ainsi de revenir « sur les terres » écossaises ; 1664 déroule la Tour Eiffel, le Mont Saint-Michel et toutes sortes d'images d'Épinal pour promouvoir son « goût à la française ». Dans tous les cas, la bouteille revient systématiquement au cœur du visuel. Si Absolut a (toujours) eu un coup d'avance, les marques soignent désormais leur profil, dans une logique connexe au merchandising. Ainsi les bouteilles s'offrent régulièrement des habits de fête (ou de duty free), comme les petits manteaux revêtant les corps froids de Smirnoff ou de Zubrowka. De même, les collaborations artistiques deviennent une pratique addictive, du design à l'habillage visuel, entre vieilles ficelles (Lacroix ou Starck chez 1664) et vents frais. Dès 2001, par exemple, la bouteille Heineken se laisse triturer par un jeune premier (Ora Ito), avant de passer dans les mains du groupe Metronomy (2012) ou du label Ed Banger (2013). Entre temps, Jamiroquai et Iggy Pop customisent les cannettes de Kro, Kitsuné rhabille le Pernod Absinthe, Passoã mise sur l'électro (Laurent Wolf, Pony Pony Run Run), etc. Comme dans la mode, les collaborations alcoolisées permettent de sortir des éditions limitées, de valoriser le prix de vente et de générer une

communication à 360° : entre la soirée privée de lancement, les réseaux du signataire et tous les circuits promotionnels de la marque (points de vente, web, etc.). La recette paraît tellement bien ficelée que certaines expériences concurrentes commencent à se ressembler, au fil des années. Desperados et K by Kronenbourg ont choisi tous les deux le Palais de Tokyo pour présenter à cinq ans d'écart, leurs collaborations dans le registre du street art, avec 9ème Concept et Kashink... L'intérêt des alcooliers pour les lieux et les événements culturels est à la hauteur des efforts qu'ils y mènent pour se rendre incontournables. « Grolsch a pris en charge la moitié du sponsoring, raconte l'organisateur d'un petit festival de musique alternative. Au-delà de l'investissement, rentabilisé par les ventes, la marque diffuse intelligemment son image, en prenant justement le parti d'une présence discrète, non agressive, intégrée au décor. » Depuis son arrivée en France en 1997, le brasseur hollandais s'est largement fait connaître par un déploiement audacieux sur la scène artistique locale. « La marque a 400 ans, rappelle Lydiane Magné, responsable du marketing, mais elle a toujours cultivé la différence, qu'il s'agisse de la recette (utilisant deux types de houblon),

Après avoir longtemps communiqué sur la convivialité, les brasseurs se font aujourd'hui les chantres de la créativité. En 2009, Heineken lance Imagine Desperados, permettant de customiser sa bouteille. En septembre dernier, Grolsch réunit 400 artistes, à Amsterdam, pour un grand workshop autour de sa bouteille. canvas.grolsch.com

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de la bouteille à capsule ou de sa communication décalée. La présence en France est récente, par rapport à d'autres pays et le rachat par SABMiller, en 2007, a conforté cette volonté de nous impliquer auprès des acteurs de la scène contemporaine émergente ». Concrètement, avant même d'être commercialisée (hors débits de boissons), Grolsch s'est progressivement introduite dans le paysage du défrichage artistique, entre Paris et Lyon : organisation d'événements à ciel ouvert (les Grrr Block parties), sponsoring de galeries pointues (Itinerrance, 22,48 m2, Datta), Prix du Off de la FIAC, arrosage gratis de 150 vernissages chaque année, etc. Dans la musique, la marque privilégie également le hors cadre ou la nouveauté (Concrete, Weather, Heart of Glass Heart of Gold), pendant que ses concurrents se partagent, à coup de chéquiers, la carte des principaux festivals français : dans l'écurie Heineken (Transmusicales, Solidays, Eurockéennes, Mainsquare, etc.), ou en selle avec Kronenbourg (Francofolies, Hellfest, Vieilles Charrues, Rock en Seine, Nuits Sonores...).

BOIRE OU PRODUIRE -

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Heineken et Kronenbourg ont, chacun, un enfant caché : Green Room et Pression Live. Il s'agit de deux dispositifs culturels concurrents, bercés de musique, qui écument notamment les festivals financés par les parents. Green Room est une scène dédiée, forcément verte, qui s'approprie une partie de la programmation, dans une logique de « naming sans nom ». Pression Live est un tremplin musical, parrainé par des artistes renommés, offrant la possibilité à des groupes émergents de donner leur premier concert. Au-delà de la période estivale, les marques sont pro-actives, tout au long de l'année, à travers une série d'événements qui leur appartiennent (le festival Pression Live à l'Olympia), ou sur le web : Greenroom.fr se positionne par exemple comme un véritable média culturel, musical et lifestyle, capable de livrer un avis sur la deuxième saison de True Detective ou d'arbitrer un match entre le Burger et le Jambon-Beurre. Au-delà de leurs contenus, ces programmes sont omniprésents sur les réseaux sociaux, comme si l'activité préférée d'une souris pleine de bière était encore de jouer au chat avec la loi. En 2009, en effet, l'État autorise les alcooliers à communiquer en ligne, mais à l'exception des formats « intrusifs » qui sont justement l'essence du community management ! « Personne n'est dupe, commente Lydiane Magné. Si les marques alibi n'ont pas été interdites, c'est aussi parce les autorités ne peuvent pas museler le marché ». L'alcool reste justement un secteur porteur, qui rapporte des taxes, de l'emploi et des devises. En France, d'après l'Insee, la consommation globale a baissé de 20 % depuis 1990. Mais cela s'inscrit aussi dans une tendance de fond, depuis un demi-siècle, qui ne serait pas seulement imputable à la norme. À l'inverse, les jeunes boivent de plus en plus et la Loi Evin, sur la publicité, semble avoir plutôt contribué à réveiller la créativité du marché...

COLETTE BARBIER PAUL RICARD AIMAIT L'ANIS, LA COURSE AUTOMOBILE, L'OCÉANOGRAPHIE ET L'ART CONTEMPORAIN. UNE FONDATION A ÉTÉ CRÉÉE POUR PÉRENNISER LE SOUTIEN AUX JEUNES ARTISTES ; SA DIRECTRICE NOUS EXPLIQUE COMMENT.

QUELLE EST L'ORIGINE DE LA FONDATION ? Elle est directement liée à son fondateur, Paul Ricard, qui a fait les Beaux-Arts et a toujours soutenu les artistes, d'une façon assez spontanée. C'était un ami des artistes, notamment dans le sud, qu'il soutenait financièrement sans créer une « collection », à proprement parler. Lui-même peignait, mais il n'a jamais cherché à imposer ses œuvres à la société. Bref, son intérêt pour l'art était sincère et tout à fait désintéressé. Le groupe Ricard mettait déjà en œuvre une politique de mécénat et le projet de Fondation, initié il y a une quinzaine d'années, visait à l'inscrire dans la pérennité. Le Prix Ricard a été lancé en 1999 et la Fondation d'entreprise en 2006, suite à la loi Aillagon. POURQUOI CE POSITIONNEMENT VERS LA JEUNE SCÈNE ÉMERGENTE ? Personnellement, ça fait longtemps que je suivais certains jeunes artistes à côté de mon activité à la communication de Ricard. Quand on a commencé à réfléchir au projet, on a fait un état des lieux et on s'est vite aperçu qu'il fallait appuyer, en priorité, la scène émergente. À l'époque, il n'y avait pas grand chose en la matière et ce positionnement collait avec les valeurs de la société. On s'est donc naturellement orienté vers le soutien de jeunes artistes, dont certains sortaient quasiment de l'école. La Fondation poursuit ainsi son engagement initial, même si les choses ont beaucoup changé, car un artiste émergent bénéficie aujourd'hui de plusieurs leviers pour avancer. COMMENT SE MATÉRIALISE CE SOUTIEN ? Nous intervenons sur plusieurs plans. Il y a d'abord les expositions que nous produisons à la Fondation (6 en moyenne chaque année). Ensuite, le Prix Ricard récompense, tous les ans, un artiste de moins de 40 ans installé en France. Jusqu'à présent, le dispositif consistait à acheter une œuvre, offerte au Centre Pompidou, mais depuis deux ans nous avons décidé de le renforcer : on poursuit cette démarche d'acquisition tout en finançant, en plus, un projet à l'étranger. Ce fut le cas l'an dernier avec Lili Reynaud-Dewar, qui a exposé au New Museum de New York. Cet été Camille Blatrix, dernier Prix Ricard, va exposer en Angleterre... La Fondation soutient également des projets d'édition, avec une démarche similaire : les jeunes artistes ont besoin d'avoir des monographies sérieuses, afin de présenter leurs travaux. Il existe enfin un programme de conférences et d'événements culturels, proposés au sein de l'espace parisien. EST-CE QU'IL Y A DES PASSERELLES ENTRE LA FONDATION ET LA COMMUNICATION DE RICARD ? La Fondation est un satellite par rapport à la société et elle dispose d'une indépendance totale ! Parallèlement, le marketing peut nous solliciter sur un projet de collaboration, mais plutôt dans une démarche de conseil. Guillaume Leblon ou Mathieu Mercier, par exemple, ont dessiné chacun une bouteille pour Ricard. Il y a évidemment des passerelles, mais elles se font généralement dans ce sens : ce n'est pas le marketing qui va nous irradier, mais la Fondation peut suggérer des artistes lorsqu'il y a des demandes. Et nous sommes très contents de pouvoir y répondre, car c'est aussi une manière de valoriser aujourd'hui leur travail. fondation-entreprise-ricard.com Nouvelle exposition : Life is a Bed of Roses (un roman), en collaboration avec l'École d'art de Lausanne, jusqu'au 4 juillet.


CRÉÉ PAR HEINEKEN, GREEN ROOM SE POSITIONNE COMME UN VÉRITABLE MÉDIA CULTUREL, MUSICAL ET LIFESTYLE, CAPABLE DE LIVRER UN AVIS SUR LA DEUXIÈME SAISON DE TRUE DÉTECTIVE OU D'ARBITRER UN MATCH ENTRE LE BURGER ET LE JAMBON-BEURRE.

(7 Jours à La Havane, réalisé notamment par Gaspar Noé, Elia Suleiman ou Benicio Del Toro), du spectacle vivant ou de la littérature. Et pour chaque œuvre, présentée sur son site, la marque s'est fendue d'un jingle opportun (Havana Club International presents... ), comme si rien n'avait été possible sans un bon Cuba Libre... A l'issue du voyage, l'histoire se souviendra peut être que Gainsbourg, Bacon ou Bukowski avaient besoin d'un peu d'alcool. Mais le présent raconte également que les alcooliers n'ont jamais eu autant besoin des artistes...

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37 Malgré les apparences, Canvas by Grolsch n'est pas une autre plateforme offshore, sur le modèle de Greenroom : c'est le site international de la marque, caractérisé par un nom évocateur (la toile, en anglais) et une discrétion, remarquable, du produit. Bien au-delà de sa bière, Grolsch se présente ainsi comme un véritable brasseur culturel, « célébrant » le meilleur de la création contemporaine, dans le domaine des arts (visuels, plastiques, graphiques), du design ou de la musique. « Aux États-Unis et au Canada, par exemple, nous sommes très présents dans le cinéma, avec une plateforme dédiée, destinée à aider les jeunes réalisateurs ». Canvas propose également de revivre l'opération 400 : un grand goûter d'anniversaire, à Amsterdam, lors duquel la marque a invité 300 artistes pour réaliser des œuvres originales autour de sa bouteille. En organisant leurs propres événements, les alcooliers ne se contentent plus de soutenir la scène culturelle, mais cherchent également à s'y produire. Les motivations sont plurielles et les exemples nombreux. Depuis plusieurs années, par exemple, Absolut multiplie les expositions, à travers le monde, transformant ses contenants en véritables œuvres d'art. Et quand la directrice de la Fondation Ricard insiste sur son indépendance « totale » vis à vis du marketing, c'est aussi une manière de positionner la structure comme un acteur culturel à part entière. « Il peut évidemment y avoir des passerelles entre les artistes que nous soutenons et les marques, qui en recherchent, mais l'objectif fondamental de la Fondation est de poursuivre la démarche de Paul Ricard, réputé pour son rôle de mécène ». Toujours au soleil, mais du côté des Antilles, le groupe marseillais partage, avec l'État cubain, la propriété du troisième rhum mondial, Havana. Alors que la levée de l'embargo lui offre un boulevard sous-marin pour concurrencer Bacardi, aux États-Unis, la marque dilue une large partie de sa communication dans la promotion de la scène artistique cubaine. Lancée en 2007, Havana Cultura est beaucoup plus qu'un relais : c'est un programme total, très bien servi, par lequel la marque s'enivre de toute la création insulaire. Elle produit ainsi de la musique (éditions d'albums, Live), du cinéma

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

Après avoir longtemps communiqué sur ses bières fortes, le néerlandais Bavaria privilégie, en France, l'univers du tatouage et les grosses guitares. Avec quelques incartades, cependant, sur la scène graphique : Guillaume Chauchat, Superscript2... bavaria.com



ICE

CAHI E R M ODE

Direction artistique : Baptiste Viry Photographie : Thomas Chéné Set design : Clément Ottenwaelter et Éliane Le Roux (Undr-studio) Stylisme : Garlone Jadoul Make-up & hair : Karine Belly @ Backstage Agency Model : Amanda Smith @ WM Assistant photographe : Clément Brandely Assistant D.A : Alizée Lagé

Turban EPICE | Veste VALENTINE GAUTHIER | Chemise TOPSHOP | Top FORTE FORTE | Pantalon NASH PRINTS IT | Ceinture BA&SH

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Collier Le Lion du Kenya



Kimono et Chemise NASH PRINTS IT | Manchette CHIC ALORS ! | Boucles d’oreilles POGGI


Chapeau BAPTISTE VIRY | Pull CÉDRIC CHARLIER




Robe et Combishort ROSEANNA | Turban EPICE | Chaussettes TOPSHOP | Bracelet visible POGGI | Bracelet derrière HELLES | Collier POGGI


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Pantalon COTÉLAC | Baskets Y3


Djellaba FORTE FORTE | Pantalon LIU JO | Bracelets et collier CÉSARÉE | Ceinture BAPTISTE VIRY | Sandales LA BOTTE GUARDIANE


Casquette AMERICAN APPAREL




CENTRE DE DOCUMENTATION ET D’INFORMATION RÉDIGÉ PAR MAXIME GUEUGNEAU & CO

CDI

n.m. (balneum). Action de baigner ou de se baigner. Baignoire. Ex : « Qu'est-ce qu'on est bien, quand on est dans son bain. » - Claude François. Se dit aussi de revues, festivals ou labels qui sont des bains de jouvence pour les disciplines qu'ils couvrent.

Fig. 1 : Domestica Records _

Fig. 2 : Teriaki Festival _

[ M U S I Q U E ] . Un œil ébahi, une oreille tendue, la bouche cousue. Est-ce ainsi que Jordi Serrano imaginait l'auditeur, en dessinant le logo de Domestica Records ? Ce label barcelonais, co-fondé avec Carles Paneque il y a quatre ans, ne cesse de faire revivre les pans oubliés de la musique des années quatrevingt (qu'elle se nomme krautrock ou synthpop, techno ou punk), à grands coups de rééditions vinyles magnifiques. De vieilles cassettes obscures, dépoussiérées par l'ingénieur du son Yves Roussel, retrouvent entre leurs mains leur grandeur des premiers jours. Ces trésors oubliés, qui raviront tout amateur de synthés, boîtes à rythmes et cauchemars, font également l'objet d'un travail graphique remarquable alliant la folie de Dada à la froideur de la Factory, grâce à des jeux de découpes, pochoirs et inserts sérigraphiés à foison. L'ensemble du catalogue de Domestica a d'ailleurs été exposé au Von Holden Studio à Palerme. Parmi leurs dernières sorties, citons la réédition de la compilation Pas De Deux, initialement parue en 1985 sur le label Auxilio de Cientos et qui regroupe une dizaine de duos-couples de différents pays, pour un résultat génialement bizarre. Ou celle de l'unique album des allemands Moloko +, autoproduit en 1986. Aucun passéisme néanmoins chez Domestica, puisque le label édite également des nouveautés, à qui, justement, ce frottement temporel donne tout leur sens. Le nouvel EP de Doric viendra donc sans peine alimenter ce grand brasier éternel. Manon Raupp

[ M U S I Q U E ] . Que la Sarthe est belle et surprenante, elle fait éclore des projets artistiques et musicaux ambitieux qui donnent envie de redresser son corps flétri sur le champ pour esquisser quelques petits pas de danse euphoriques. Voilà l’effet que nous fait l’annonce de la programmation du festival Teriaki. Le Manceau n’a rien à envier aux plus téméraires en réunissant la crème de la musique indépendante représentée par Deerhoof, 2 Boules Vanilles, C’Mon Tigre, Johnny Hawaii ou encore Fat Supper. Comme si ce line up exhaustif ne suffisait pas, Teriaki nous fait trainer nos guêtres dans des lieux qui ne rendront l’expérience d’écoute que plus mystique : friches, hôpital psychiatrique abandonné, abbaye… Musiques lo-fi, psychédéliques, ambient seront soutenues par les scénographies et performances artistiques Stripes, Frequencies et Corona Radiata, univers radiant que l’illustrateur chevronné Julien Pacaud marquera également de son empreinte. Le festival de musique indépendante et de scénographie Teriaki s’annonce comme 4 jours où l’espace temps demeurera en suspension entre sonorités aseptisées et environnement ésotérique sur les routes du Mans et d’Allonnes, et apparaît comme une pause auditive bien méritée après les rythmes un peu trop chaloupés de l’été. Elora Quittet

• Doric – So Far So Near, disponible depuis le 6.05. domesticaorder.com

• Teriaki Festival, du 27 au 30.08 entre Le Mans et Allonnes festivalteriaki.fr

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Fig. 3 : Matière Grasse #2 _ [ P R I N T ] . Il y en a qui aiment se faire suer, et d'autres les regarder faire. Classonsnous immédiatement dans la deuxième catégorie tant l'effort et la fatigue qui en résultent nous sont insupportables. Et rangeons avec admiration les éditions Matière Grasse dans la case des durs au mal. L'observation de leurs faits et gestes sera ici d'autant plus bénéfique que nous parlons d'art et d'illustrateurs chevronnés. L'objet de notre relucage est en effet le deuxième numéro de leur revue collective et éponyme. Quand le premier numéro de la revue strasbourgeoise refaisait l'histoire et le graphisme de tableaux classiques, le deuxième s'attaque aux grands explorateurs des temps anciens et contemporains. Au programme, l'histoire (grande ou petite) de ces héros immortels que sont Neil

Armstrong, David Livingston, Marco Polo, Magellan ou Christophe Colomb. Nous aurons en outre le bonheur d'avoir pour narrateurs les dessinateurs Juliette Léveillé, Iris Pouy, Charles Nogier, Lara Vallance, Louis Granet, Tamia Baudoin et Emil Polette, quand les textes seront de Nina Ferrer-Gleize. Et comme Matière Grasse aime la sueur, une indéfinissable application sera apportée à l'impression en risographie (intérieur) ou à la linogravure (couverture par Amina Bouajila), pour que la forme soit à la mesure du fond. Et qu'elle contienne un peu de cette transpiration qu'il nous plaît tant d'admirer. • Matière Grasse #2, sortie courant Juin. facebook.com/matiere.grasse ; cargocollective.com/matieregrasse

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Au sein du foisonnement des revues d'illustration a surgi la revue Tardigrade Centripète, très bel effort des anciens de l'ESAL d'Épinal. Le numéro 2 regroupe 6 récits par Manuela Ferry, Yoush, Fabien Laus, Anne Maussion, et deux invités, Paul Dorsi et Gomar, autour du thème des bâtisseurs. Tardigrade Centripète #2 par le collectif Tardigrade, couleurs, 90 pages, 20 . collectiftardigrade. wordpress.com

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On sait les éditions Magnani friandes de travaux de Camille Louzon dont elles ont déjà publié l'excellent Le Ventre de Basile. Nouvel ouvrage jeunesse de l'auteur issue de l'ESAD de Strasbourg, L'Oiseau Oisif nous conte bien joliment l'histoire d'un oiseau trop flemmard pour voler. L'Oiseau Oisif de Camille Louzon, aux Éditions Magnani, couleurs, 32 pages, 16 . editionsmagnani.com

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Un peu de littérature, que diable. Un peu de romance noire, de fiction trouble et de poésie rare. Et même des interviews et des illustrations. Voilà, en quelques mots, le sommaire de la lyonnaise Revue Inégale #3 avec les participations de Julien Besse, Mike Taylor, JM Bertoyas ou encore Dylan Sharp. Revue Inégale #3, noir et blanc, 72 pages, 3 . revueinegale. wordpress.com

Quand Clément Vuillier quitte quelques instants sa maison d'éditions Trois Fois Par Jour (avec laquelle il a récemment sorti le magnifique Nous Partîmes 500), c'est pour nous ravir une nouvelle fois avec Le Voyage Céleste Extatique, reprise hallucinée de l'ouvrage quasi éponyme du jésuite allemand du XVIe siècle, Athanasius Kircher. Le Voyage Céleste Extatique, de Clément Vuillier aux Éditions 2024, noir et blanc, 120 pages, 23 .

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Certes, il faut toujours se méfier des tops et autres liste-d'albumsqu'il-faut-avoir-écouterdans-sa-vie. Mais quand elle faite par un joli connaisseur – ici Mehdi Maizi de l'Abcdrduson – et qu'elle touche un genre dont on a du mal à identifier les classiques, voilà qui pimente un peu l'affaire. Subjectivité et objectivité se chevauchent avec un plaisir certain pour le lecteur qui replongera avec délice dans 25 ans de rap français. Rap Français : Une Exploration en 100 Albums de Mehdi Maizi, Éditions Le Mot et le Reste, 232 pages, 21 . lemotetlereste.com

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Ni salade, ni tomate, ni oignon, mais bien plutôt, pêche, jungle sauvage et amour perdu au programme de ce Kebaberie, de l'inénarrable Rémy Mattei, fer de lance des Éditions Mauvaise Foi. 3 histoires, 3 hommes, 3 courts récits pour ce premier ouvrage personnel aux éditions de son cœur. Kebaberie de Rémy Mattei aux Mauvaise Foi Éditions, sérigraphie, 50 pages, sortie courant juin. mauvaisefoi-editions.com


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adj. (χειρουργία). Qui a rapport à la chirurgie. D'une extrême précision. « Je n'ai subi aucun acte chirurgical. C'est simplement les effets de l'adolescence. » - Donatella Versace. Se dit d'oeuvres ou de festivals qui agissent précisément sur l'âme.

Fig. 1 : Bien Urbain #5 _ [ A R T D E R U E ] . On croit toujours connaître l'endroit où on habite. Fiers comme des paons, nous narguons touristes et visiteurs de passage qui se prennent le temps – les cons – de reluquer nos rues et bâtiments. C'est pour éteindre cette pédanterie vilaine que l'association Juste Ici s'échine chaque année à nous rappeler que nous ne savons pas où nous vivons. Et qu'il est particulièrement jouissif d'être contemplateur de son quotidien. Il le rappelle au moins aux Bisontins qui ont la chance d'accueillir son festival Bien Urbain. Cette année, Bien Urbain a choisi de se faire épauler. Non pas par faiblesse, mais pour avoir un nouveau regard sur Besançon et sur l'art de rue qui peut la sublimer. Ainsi, c'est le tonique Eltono, amoureux fou des graffeurs et de leur

connaissance accrue du territoire citadin, qui s'est vu remettre la précieuse Carte Blanche. Pour éclairer la franc-comtoise capitale sous un jour nouveau, le street artist et globe-trotter (Madrid, Pékin, le sud de la France) se voit entouré d'un Hall Of Fame chamarré. Les street artists THTF, 3ttman, Epos 257, Nano4814, Simon Bernheim, Huskmitkavn et Honet, l'architecte et designer Isauro Huizar ou encore les musiciens Ben Farey, Guillaume Bertrand et Étienne Bultingaire seront ainsi de la partie, intervenant où bon leur semble, entre commerces, galeries et, bien sûr, espace public. De quoi se sentir étranger en ses propres terres. • Bien Urbain #5, du 6 au 21.06 à Besançon. bien-urbain.fr

Fig. 2 : Lasse & Russe, Fräneck et Arnaud Loumeau @ Arts Factory _

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[ E X P O S I T I O N ] . On sait les nez de Laurent Zorzin, Effi Mild et Jeanne Grimoire très fins. C'est pourquoi, à l'aveugle, nous faisons confiance à leurs découvertes qui mirent sous le feu des projecteurs d'aussi appréciables artistes que Daisuke Ichiba, Ludovic Debeurme, Icinori, Jean Lecointre, Amandine Urruty ou dernièrement le bien-aimé crew Nyctalope. Aussi ne sommes-nous pas surpris quand, à l'occasion de leur Summer Sessions, ceux-là font appel aux trois amants de la couleur que sont Fräneck, Arnaud Loumeau et l'infâme Lasse & Russe. Les deux Toulousains et le Dunkerquois (Lasse & Russe n'étant qu'une seule personne) se retrouveront en effet du côté de Ledru-Rollin,

chez Arts Factory_Bastille. Ces trois ont pour point commun, des amours puissantes pour l'explosion chromatique, la géométrie euclidienne et le fil étroit qui sépare l'underground du grand public sur lequel ils naviguent sans retenue. Un regroupement bien vu, donc, d'autant qu'il semblerait que la bonne fée du talent ait également effleuré les trois gaillards. Bon pied, bon œil chez Arts Factory, comme toujours. • Summer Session : Lasse & Russe, Fräneck et Arnaud Loumeau, du 2.06 au 30.07 à la galerie Arts Factory Bastille, à Paris. pandamour.over-blog.com ; neneck.blogspot.fr ; lazpit.com ; artsfactory.net


n.f. (coquemar + minutus). Synonyme courant d'autocuiseur. Chose sous pression sur le point d'exploser. Ex : « Quand je vois toutes les injustices dans le monde, j'ai envie d'exploser comme une cocotte-minute. » - Florent Pagny. Se dit aussi de chauds festivals qui font monter la pression.

Fig. 1 : Baleapop _ [ M U S I Q U E E T L O M O S ] . Là où la France et l'Espagne s'entremêlent, dans le pays que l'on appelle le Pays Basque, le savoirvivre et le savoir-fêter ne sont pas des vains mots. Loin des usines pharamineuses et des hangars à pyramides, la préférence va ici à l'ambiance chaleureuse et au brin d'herbe de qualité. C'est pourquoi, quand il s'agit de monter un festival qui allie la forme au fond, celui-ci grimpe illico sur le podium des meilleures propositions estivales. C'est le Baleapop et ça illumine les vacances. Le collectif Moï Moï réédite donc son miracle aoutien pour

la 6e fois et reprend d'assaut la ville de Saint-Jean-de-Luz pour lui apporter fête, amour et musique de goût. Car en matière de mélomanie, les gens de Baleapop ne sont pas les derniers, eux qui abreuvent déjà de sons admirables le Pays Basque et la France tout au long de l'année. Et pour leur raout annuel, alors que leur concentration est au maximum, ils font exploser le thermomètre des bonnes idées. L'effort 2015 ne change pas la donne. Comment le pourrait-il, d'ailleurs, puisque nous attend une nouvelle fois un déluge d'amabilités répondant aux doux noms de Jessica93, patten, Mehmet Aslan, Flavien Berger, Young Marco, Fumaça Preta, Joujou ou encore les locaux Odeï, Acid Fortwins et l'inoxydable Moï Moï Band. Cela déployé sur la plage, dans le Parc Ducontenia et dans la ville entière et agrémenté d'animations et autres ateliers de la meilleure tenue. Un nouveau tour de force qui risque une nouvelle fois de nous faire dire : Milesker ! • Baleapop, du 5 au 9.08 à Saint-Jean-de-Luz baleapop.com

CDI

Fig. 2 : Festival du Film de Fesses _ [ É C R A N ] . La ligne d'un sein, le galbe d'une hanche sont des beautés qu'il faut savoir observer et apprécier. Là où la pornographie flatte nos plus bas instincts, l'érotisme donne lui dans l'esthétisme et la contemplation. Se plaçant en amoureux des corps et de leurs sexualités (hétérosexuelles et homosexuelles), le Festival du Film de Fesses se consacre donc à la cinématographie érotique dans toutes ses variantes, de celles qui prêtent à sourire à celles qui donnent chaud. Dans une sorte de grand hommage plutôt rare à ces films oubliés ou moqués, le FFF nous rappelle surtout que ce genre a accouché d'un joli nombre de chefs d'oeuvre et que ces derniers peuvent évoquer de manière pertinente un sujet commun à tous. Cette deuxième édition sera une nouvelle fois l'occasion de se pencher sur le passé comme sur le présent de l'actualité érotique. Si, pour le panorama contemporain, nous sommes encore dans le flou au moment où nous écrivons, la rétrospective est, elle, belle et bien annoncée avec un petit historique de la vie et de l'œuvre de Walerian Borowczyk. Ce réalisateur polonais, qui émoustilla en son temps les plus curieux cinéphages avec ses Blanche (71), Contes Immoraux (74), La Marge (76), réchauffa également les couche-tard avec

quelques épisodes de la mythique « Série Rose » de France 3. Outre les salles de cinéma, le FFF sait aussi faire brûler les pistes de danse avec ses Nuits Chaudes au Monseigneur, à La Machine du Moulin Rouge et ailleurs. Du charnu, du nu, de l'inattendu pour tous les mordus de film de c... • Festival de Film de Fesses, du 24 au 28.06 à Paris. lefff.fr

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Fig. 3 : Labo Pop Day _ [ M U S I Q U E ] . Il ne suffit pas de cracher dans la soupe musicale pour se dire mélomane. Il ne suffit pas de s'affubler des t-shirts de ses groupes préférés pour se croire pur. Il ne suffit pas de disposer d'une scène à Paris pour se dire découvreur de talent. Non, l'amour de la musique se conjugue autrement avec un travail de fond, un support sans fard de l'actualité artistique et une ligne éditoriale intransigeante. De tout cela, Le Petit Bain en est bien consciente et allie ses ambitions à ses actes. Tout au long de l'année, la salle parisienne et flottante fait les yeux doux aux scènes et groupes en devenir, à ceux qui défrichent sans relâche les forêts vierges des musiques actuelles. Son Labo Pop en est certainement la preuve la plus criante lui qui permet à demain de se

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présenter aujourd'hui. Cette année, sont ainsi passés sur le navire des gens aussi recommandables que De La Montagne, Flavien Berger ou Grand Blanc. Fort d'une saison dorée, Le Petit Bain souhaite la terminer avec panache en proposant un Labo Pop Day, à savoir toute une journée dédiée à des groupes parvenus ou en devenir mais qui ont tous en commun un respect immortel de la musique. Le 13 juin 2015 verra se succéder sur le pont Mermonte, Hold Your Horses !, Ménage à Trois, Monolithe Noir, Filago, Gontard ! et Cabuco, et donc supporter un bel éventail de ce qu'est et peut être la pop actuellement : une déclaration passionnée. • Labo Pop Day, le 13.06 au Petit Bain à Paris. petitbain.org

n.f. (feria). Assemblées considérables et publiques qui se tiennent en temps et lieu désignés d'avances. Bazar, capharnaüm. Ex : « Je vous jure, mon dernier concert c'était la foire. » - Frank Michael. Se dit aussi de soirées ou festivals qui risquent de nous remuer un brin.

DU 16 AU 26 JUIN 2015

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Le Festival Vie Sauvage reprend ses quartiers à Bourg, dans le si joli département de Gironde. Au programme : des bons groupes (Forever Pavot, Thylacine, Barbarossa, Volcan, Thousand, etc.), des fesitvals et collectifs invités à festoyer (Les Siestes Electroniques, Midi Festival, La Blogothèque, etc.) et des goodies pas dégueu (tournoi de foot, dégustation de vin, arts visuels, etc.). Vie Sauvage, les 12, 13 et 14.06 à Bourg. festivalviesauvage.fr

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Le Freakshow festival s'établit une nouvelle fois dans le béni village de Gigors, dans la Drôme. Les 166 habitants qui le peuplent seront ravis d'accueillir Napalm Death, Scorpio Violente, ZU & Eugene S. Robinson ou encore le label Teenage Menopause. Freakshow, les 28 & 29.08 à Gigorset-Lozeron (26). freakshow-festival.com

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Nouvelle Fête Souterraine dans la bien aimée salle de l'Espace B où l'underground musical viendra une nouvelle fois prendre un coup de frais. Rémi Parson (Objet Disque), Orchidée Noire et Odessey & Oracle (nos chouchous de chezè Carton Records) seront sur la scène le 25.06. Fête Souterraine, le 25.06 à l'Espace B, à Paris. espaceb.net

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En voilà un très beau concert programmé au Monseigneur pour le 11.06 l'excellent Umberto nous présente son nouveau projet avec Antoni Maiovvi, lors d'une soirée qui accueille également la house de Roger West (aka Somaticae). Umberto & Antoni Maiovvi « Someone Chasing Someone Through a Club » Horror Experience, le 11.06 au Monseigneur, à Paris. monseigneurparis.com

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Scopitone est allégrement l'un des festivals les plus attendus de l'année pour ceux qui savent allier fête et musique de qualité. Nantes sera donc en fête électronique et démarrera goulument l'année. Scopitone, du 15 au 20.09, à Nantes. stereolux.org

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DOSSIER DE PRESSE

Le festival Cinema Paradiso sait aussi faire la fête. Preuve en est avec la mégasoirée du Grand Palais qui convie Yuksek, The Shoes, KCPK et un guest surprise. Soirée SuperClub, le 17.06 au Grand Palais, à Paris. mk2cinemaparadiso. com


n.f. (longus). Étendue d'un objet, considéré dans une seule dimension, d'une de ses extrémités à l'autre. Durée de temps. Ex : « J'ai la longueur de cheveux idéale. Et ça ne se discute pas. » - Kim Jong-Un. Se dit aussi de festivals qui tiennent un mois sans sourciller et des marathons.

Fig. 1 : Je suis l’autre _ [ S P E C T A C L E V I V A N T ] . « Artistes, spectateurs, citoyens, notre tâche est grande car il ne s’agit pas seulement de préserver une part de culture dans la rapacité des temps marchands, mais de faire entrer la culture dans un projet de société qui n’existera pas sans elle », tel est le message que nous envoie Olivier Py pour nous inviter à ce 69e Festival d’Avignon, le second sous sa direction. Toujours ouvert sur le monde en ce mois de juillet, Avignon nous permet une fois de plus de faire un état des lieux de la création, de croiser les points de vue et les idées et d’aller à la rencontre d'artistes du monde entier. Nos conseils de spectacles pour cette édition vont en effet plutôt vers l’international avec les créations de l’allemand Thomas Ostermeier (Richard III), et du portugais Tiago Rodrigues (Antoine et Cléopâtre) qui vont donc tous les deux se frotter aux textes de Shakespeare. On a aussi envie de découvrir les artistes argentins de Buenos Aires présents en force cet été avec Mariano Pensotti ou Claudio Tolcachir, ainsi que la sénégalaise Fatou Cissé (Le bal du cercle), ou le chorégraphe israélien vivant à Londres Hofesh Shechter (Barbarians). Ne manquons pas non plus cet été dans la Cité des papes l’exposition Patrice Chéreau – un musée imaginaire à la Collection Lambert (du 3.07 au 11.10). Elle rendra un hommage brillant à cet artiste qui a tant apporté au théâtre et à l’art et qui est décédé en octobre 2013. David Chauvet • 69e Festival d’Avignon du 4 au 25.07 / Ouverture des réservations le lundi 15.06 festival-avignon.com

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C DI

Marathon _ [ C I R Q U E ] . L’histoire dit qu’en -490 av. J.-C., arrivé à bout de souffle sur la colline de l’aéropage après avoir parcouru les 42 195km séparant la cité de Marathon de celle d’Athènes, Euclée déclara que les grecs avaient vaincu les troupes perses. Juste avant de rendre l’âme, il dit également d’une voix fluette teintée d’un fort accent américain « I’ll be back… ». Le message était clair et futuriste : Euclée spoilait la punchline #1 de Terminator tout en nous annonçant sa réincarnation en la personne de Sébastien Wojdan, lumineux circassien qui livre dans un solo intitulé Marathon, un hommage appuyé aux coureurs de fond mais aussi et surtout à cet art total qu’est le cirque. Toutefois, l’artiste couteau suisse formé au CNAC, contrairement au premier marathonien de l’histoire, ne meurt

pas à la fin. Bien au contraire, sa fin à lui est une déclaration d’amour convulsive au fil du rasoir, au circulaire qui va vite, au déséquilibre et à la soif d’humain. Wojdan danse, joue, jongle, gobe des flambys, construit, tombe, se relève, jette des couteaux, fait tenir un pot de peinture en équilibre, perd deux kilos en une heure vingt en nous tenant par la main pour nous amener avec lui dans cet hymne à la vie mené tambour battant. Le plus difficile est peut-être de lâcher cette main, tant on a envie de la serrer très fort quand ça se termine. Mais promesse a été faite il y a longtemps : « He’ll be back » lui aussi… François Huguet • Marathon, de et avec Sébastien Wojdan (Galapiat Cirque) au Carré Magique à Lannion, les 11. 12 et 13.06 et à la Salle Jacques Brel, à Gonesse les 26 et 27.06



n.m. (loef). Action de louvoyer. Dérivation avant d'arriver au but. Ex : « Ma coupe du monde ne fut qu'un éternel louvoyage » - Stéphane Guivarc'h. Se dit aussi de festivals ou de personnages qui aiment le zig-zag.

Fig. 1 : Echap #3 nous concocte deux jours de plein battements avec la musique qui assurera notre bonheur. Au sommaire de ce livre de la joie nous trouvons ainsi les troublants Forever Pavot, les délicats Syracuse, l'improbable Legowelt, le prodige Palms Trax, l'éclectique Steve Murphy ou encore l'armé Coni, de chez ClekClekBoom. Des soirées transpirantes que viendra aérer un samedi après-midi de sourires avec des DJ sets, des ateliers et les toujours inestimables animations de Retard Magazine. Quimperlé ouvre donc le front contre ces satanées obligations saisonnières, et elle le fait avec classe, avec le festival Echap.

Crédits : © © Maxime Roy / Julio Ificada

[ M U S I Q U E ] . Pourquoi l'été devrait-il s'arrêter ? Qui a décidé de ça ? Parce que monsieur le grand manitou a dit que le 21 septembre on remballait tout, alors il faudrait dire amen ? Non, mon ami, la France – et encore moins la Bretagne – n'est pas du genre à se plier à l'arbitraire et à la dictature. Enfin...oui, bon, ça dépend... mais pas là en tout cas ! Comme un seul homme, la voici qui se dresse et envoie la Bretagne en héraut de la résistance calendaire, pour faire mentir les décisions célestes. Echap affirmera, cette année encore, que l'été, cette période heureuse et festive pour l'homme, continuera au moins jusqu'au mois d'octobre. Et vlan ! Pour ce faire, l'équipe Fourth River, association organisatrice du festival,

• Echap, les 25 & 26.09 à Quimperlé. echapfestival.fr

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Fig. 2 : Pieds Nus Dans Les Ronces _ [ P R I N T S ] . Premier livre de Lisa Zordan, Pieds nus dans les ronces est un album de bande dessinée audacieux, grave, sombre, et beau. Tout commence par un coup de fil qui initie le retour de Terry dans son village où sa mère vient de mourir. Il l’aurait bien oublié ce village où tant de souvenirs remontent à la surface d’un temps où les malheurs ne laissaient pas beaucoup de terrain à la joie. Une enfance difficile avant et après le départ de son père qui le voulait plus fort, la dépression de sa mère, les disputes avec ses amis, la solitude trompée par la lecture. Seul rayon de soleil, cette rencontre avec Maria qui malheureusement tournera aussi au drame, sanglant celui-ci.

Le récit navigue entre temps présent, souvenirs de jeunesse et rêves fantastiques. Dans ce roman graphique, Lisa Zordan construit une histoire poignante, montant en puissance dans les révélations tragiques sur le passé de ses personnages. Son dessin sert à merveille la noirceur du propos, alternant entre la lumière et l’obscurité, avec une prédilection pour les scènes de rêve. Un début prométteur! Basil Sedbuk • Pieds nus dans les ronces de Lisa Zordan, sortie le 19.06 aux Éditions Michel Lagarde lisazordan.net ; michellagarde.fr


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interjection (oïl). Exprime la surprise, le contentement, l'admiration. « Une ligne fortifiée mais pas trop dans les Ardennes ? Ouah mais trop bonne idée le stagiaire ! » - André Maginot. Se dit aussi en face de festivals ou de labels de qualité.

Fig. 1 : Astropolis _

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[ M U S I Q U E ] . Il y a de cela fort longtemps, quand l'ouest était encore sauvage, les premiers hommes y installèrent un phare qui brille encore aujourd'hui. Était-ce l'angoisse de la fin de la terre ? Étaient-ce les paysages dramatiques ? Était-ce la nature tempêtueuse ? Nul ne sait. Toujours est-il que ceux qu'on appelle encore les Sonics s'écorchèrent pieds et mains pour bâtir la première Église de la musique électronique en France : le festival Astropolis. Désormais, alors que Brest est française et que les lois de la république y ont court, le pèlerinage annuel fait office d'hommage à ces pionniers et perpétue leur souvenir en continuant de faire vivre la culture électronique comme aux premiers jours. Le festival Astropolis fête donc fièrement sa 21e édition en suivant scrupuleusement les principes qui le forgèrent : la découverte, l’éclectisme et le tribut dû aux anciens. L'écrin magique du Manoir de Keroual et les lieux attenants (La Suite, La Carène, le Jardin de l'Académie de Marine, etc. ) accueillent une nouvelle fois le salad bowl doré de la musique électronique mondiale. Celle qu'on appelle la dernière rave de France ne fera pas mentir ses racines amoureuses en proposant

une programmation venue du cœur. Pour toucher le nôtre, Astropolis invite ainsi des gens aussi admirables que Robert Hood, Dixon, Recondite, DVS1, To r b ,  S q u a r e p u s h e r, Manu Le Malin, Extreme Precautions, Minimum Syndicat, Kowton, Lil Louis, Fairmont ou encore Mark Ernestus, et y ajoute les bourgeons ouest-français avec son désormais fameux tremplin Grand Ouest. Ne dit-on pas que c'est dans les vieux manoirs qu'on fait les meilleures rave de France ? Non ? Dommage, parce que cette année encore, ça risque d'être vrai. • Astropolis, du 3 au 5.07 dans le Pays de Brest. astropolis.org

Fig. 2 : Soft Recordings _ [ M U S I Q U E ] . Le son est phénomène magique. Élément puissant, celui-ci agit aussi bien sur le corps que sur l'esprit, dans des proportions qui peuvent se révéler dantesques. L'ambient, la drone ou encore le field recordings sont des courants musicaux qui n'ont de cesse de repousser le son dans ses retranchements pour lui faire connaître de nouvelles formes et nous faire, nous, passer des moments hors du temps. Ces genres-là sont ceux du possible, construisant sans entrave les utopies les plus étranges et désarmantes : architectures et paysages sonores se lient pour créer des espacestemps nouveaux, dans lesquels il fait souvent bon se perdre. Est-ce un hasard si, en ces temps qu'on nous dit pénibles, ces styles se voient enfin couronner de reconnaissance publique et affichent une santé artistique insolente ? Sans doute pas. Le label Soft Recordings est un des fers de lance français

de cette poussée flamboyante, lui qui depuis fin 2013 enchaîne les sorties marquantes. La faute, sans doute, à son manager David Teboul aka Linear Bells, qui a vu dans l'ambient et la drone un moyen de création totale et dans un nonprofit label la possibilité d'en améliorer la diffusion. Une passion folle que l'on doit aujourd'hui remercier puisqu'elle a fait parvenir jusqu'à nous quelques bijoux du genre tels le Cracked Echoes d'Arash Akbari, le One Day... de Lost Trail ou encore la dernière sortie du maître des lieux Linear Bells avec la Vietnamienne Sound Awekener pour Belonging to the Inifity. Puisse la magie de Soft nous toucher encore longtemps. • Prochaine sortie prévue, le nouveau projet de Caught In The Wake Forever. soft-recordings.com ; soundcloud.com/soft-recordings


n.p. + adj. + n.m... (trop long, trop compliqué). Festival de musiques et d'arts psychédéliques à souhait. Ex : « Le PIFPM ? Ch'est pas un gâteau au schocolat et à la sgelée de sfruits ? » - Sophie Favier. Se dit du festival parisien le plus affriolant du mois de juillet.

CDI

Fig. 1 : Paris International Festival of Psychedelic Music _ [ M U S I Q U E ] . Embourbé dans une réalité pue-la-sueur, l'être humain peinerait aujourd'hui à se rapprocher des cimes. Les anciens nous rappellent à l'envie qu'il fut un temps où liberté n'était pas un vain mot et où l'homme volait au-dessus de la terre. Ainsi, les années 60 seraient cette période dorée durant laquelle le mot impossible avait volé en éclat. Le courant psychédélique aurait permis de voir l'infini, puis le vortex se serait refermé à jamais au cours de ces satanées années 70. Mais, ce qu'ont tendance à oublier les patriarches, c'est que les envies d'ailleurs n'ont pas d'âge et que le psychédélisme, symbole magnifique de ce désir d'étranger, n'est jamais mort, pas plus qu'il n'est véritablement né. Le Paris International Festival of Psychedelic Music entend prouver à qui veut l'entendre que les portes de la perception sont toujours autant ouvertes que naguère. Chance, il semblerait que les mouvances artistiques se mettent au diapason (certes, peut-être est-ce le contraire) du festival parisien. L'heure est en effet au vaporeux, au céleste, au coloré, au bizarre, au sublime. Puisant dans ce qui fait la richesse de l'âme voyageuse, les musiques et les arts visuels retrouvent ce temps béni où l'art s'échappait volontiers du réel pour proposer transport et altérité à ses admirateurs. Le PIFPM est allé fureter dans ce vivier retrouvé pour y dénicher les groupes qui le faisaient vibrer, connus ou non, gaulois ou pas. Mais le festival parisien s'est tout d'abord entouré d'amis pour l'épauler : La Femme seront de la partie, avec un dimanche fignolé par leurs douces mains, quand le label Born Bad s'occupera, lui, du jeudi, que le Collectif Mu forgera le vendredi soir au Monseigneur et que la Galerie Le Huit présentera sa l'exposition Images Subjectives. Voilà les comparses que s'est choisi le PIFPM pour fomenter une programmation qui invite en outre The Horrors, Casamance, Jessica93, Rendez-Vous, Hookworms, Tomas More, Los Headaches, Wall/Eyed et autres joyeusetés. Les cimes seront non seulement approchées, mais bien plus encore dépassées. • Paris International Festival of Psychedelic Music, du 1er au 5.07 à Paris. parispsychfest.com

INTERVIEW : TOM LE BOURHIS PROGRAMMATION & COMMUNICATION POUVEZ-VOUS, EN QUELQUES MOTS, NOUS PRÉSENTER LE FESTIVAL ? Le Paris International Festival of Psychedelic Music a été créé en 2014 à l'initiative de Michael et de moimême en partenariat très serré avec les équipes de La Machine du Moulin Rouge. Côté programmation notre volonté était un peu similaire à celle de l'année dernière : faire jouer des groupes représentant tout ce que la scène psychédélique a à nous offrir en 2015. On retrouve donc des artistes très reconnus comme The Horrors et Clinic, des groupes aux influences post-punk comme Rendez-Vous et Jessica93, King Gizzard et leur univers faisant écho au psychédélisme des 70's, de la musique électronique avec Vox Low ou encore Bon Voyage, des découvertes à l'image de Casamance et Wall / Eyed, des coups de coeur comme Hookworms et Camera. Donner une visibilité aux arts graphiques et audiovisuels est une chose à laquelle nous tenons beaucoup depuis nos débuts. C'est pourquoi en plus d'un exposition baptisée Kaleidoscopic, une projection du film de The Doors Feast Of Friends aura lieu à La Gaîté Lyrique. QUE SIGNIFIE LE PSYCHÉDÉLISME AUJOURD’HUI ? Le psychédélisme aujourd'hui est plus à prendre comme un courant global où un ensemble d'arts sont représentés et où la musique est prépondérante. Sa signification a certes évolué depuis les années 60, 70 où le mouvement psychédélique était lié à des changements sociétaux et des revendications politiques. Aujourd'hui c'est plus une sorte de style musical de même que l'Indus peut l'être et dans lequel on retrouve de nombreux genres. Du Psyché-Pop, du Psyché-Garage, du Psych-Rock, de la musique électronique expérimentale,… C'est tout et en même temps pas grand chose dans tout ce que la musique offre aujourd'hui. QUELS SONT LES IMMANQUABLES CETTE ANNÉE ? The Horrors bien sûr. Après la sortie de leur quatrième album Luminous l'année dernière, le groupe s'est fait très discret. Pas de concerts, peu de communication. Il y a donc une certaine attente de la part de leurs fans pour ce concert au Trianon. Ensuite la venue des de King Gizzard & The Lizard Wizard : cette formation australienne compte déjà pas mal d'albums dans leur discographie mais sont assez inconnus en France sauf auprès de quelques mélomanes de musique PsychRock. Puis la carte blanche à Born Bad Records. Plus besoin de présenter le meilleur label français de Rock. Pour l'ouverture du festival à La Maroquinerie on aura le plaisir d'accueillir le retour de The Feeling Of Love, le Psych-Pop de Dorian Pimpernel et la présentation au grand public de Casamance, nouveau groupe "combo" qui va faire parler de lui dans les prochains mois. Et enfin, la clôture du festival au Point Éphémère que l'on aura remis entre les mains de La Femme. Scandales et émeutes assurés !

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v. (abillier). Habiller une seconde fois. Ex : « Héhé, haha, hoho, moi, j'ai pas peur, les politiques, je les rhabille, hein ! Haha, hoho. » - Nicolas Canteloup. Se dit aussi de lieux qui se trouvent de nouveaux vêtements pour l'été.

Fig. 1 : LaPlage de Glazart _

Crédits : © Victor Moatti

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[ B I E N U R B A I N # 5 ] . Inutile de gaspiller du temps et de l’argent pour se rendre sur les plages bondées et surfaites de la Côte d’Azur, elles se déplacent à domicile sur le sol parisien du Glazart en omettant volontairement les touristes à bob et les chouchous. Nuit et jour, fouleront son sable plus vrai que nature plusieurs labels à la pointe à qui l’on laissera carte blanche, des rassemblements comme le Freakshow festival et une ribambelle d’artistes envoûteurs. Preuve de la qualité de la programmation de LaPlage Glazart, les membres de Cracki Records assureront l’opening des lieux cette année, qui ne sera qu’une mise en bouche du reste du programme

des week-ends sans fin de l’été. Jusqu’à octobre, moult collectifs à l’image d’All Naked, de Microqlima, des disquaires de Paris et de Paris Hip Hop s’installeront sur le parvis granuleux de l’ancienne gare routière reconvertie en salle de concert/plage exotique. En parallèle, il est également vivement conseillé de charger son sac à dos de ses plus belles boules de pétanque à user jusqu’à la moelle pendant les après-midis chill, entre une micro sieste sur les transats de la plage sonore et un petit tour aux puces du Glazart. Elora Quittet • LaPlage de Glazart, du 4.06 au 3.10 à Paris. glazart.com

Fig. 2 : Les Siestes Électroniques _ [ M U S I Q U E E T A R T D E V I V R E ] . On ne sait pourquoi, mais Toulouse semble avoir été choisie par les dieux. Quelle autre force aurait pu instiller l'idée saugrenue d'y installer l'un des meilleurs festivals de musique français : un festival gratuit, en plein air, à des heures décentes pour nos vieilles guiboles et surtout avec une programmation qui annihile chaque année toute concurrence en terme de qualité et de curiosité. Ceci n'est pas un jugement mais une constatation, évidemment partagée par les organisateurs du festival qui ont d'ailleurs, cette année, l'outrecuidance de ne pas annoncer les artistes présents. Une marque de confiance à un public qui, de toute façon, sera là, séduit qu'il fut lors de 13 années de découvertes, d'avantpremières et d'écoutes sublimées. On le sait, le monde le sait, la version toulousaine des Siestes Électroniques sera à son habituel et très haut niveau.

Crédits : ©Pierre Vanni

Mais le festival toulousain s'est également pris d'amour pour la capitale française, pour laquelle elle dédie ses dimanches de juillet depuis maintenant quatre éditions. Et là, pas de chichi, il faut envoyer du nom, au risque de se faire oublier par un public encore neuf et donc volage. Qu'il en soit ainsi. Les jardins du Musée du Quai Branly accueilleront une nouvelle fois les amoureux du sons, les amants de la musique : les mélomanes. Zaltan, Para One, Animalsons, Stephen O'Malley, Aïsha Devi, ou encore Éric Chenaux puiseront la force de ce lieu bourré d'âmes pour délivrer leurs différents sets estivaux. Ça tombe bien, les dieux ont soif.

• Les Siestes Électroniques, du 25 au 28.06 à Toulouse et les dimanche de juillet (+ le 2.08) à Paris. les-siestes-electroniques.com


n.m. (sequere). Mise en observation du progrès, de l'évolution d'un sujet ou d'un objet. « Oui, non, mais c'est parce que je le tenais à l'envers le truc là, le suivi. » - Michel Sapin. Se dit aussi de nos traces numériques ou du parcours exemplaire de nos idoles.

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Fig. 1 : Do Not Track

[ É C R A N ] . « Quand c’est gratuit, c’est vous le produit ». Hormis le charme suave de ses rédacteurs, savez-vous ce qui différencie le magazine gratuit que vous tenez entre les mains d’un quelconque site web d’informations culturelles ? Après tout, l’un comme l’autre sont financés par des annonceurs et causent peu ou prou de la même chose. Quoi, alors ? Le tracking, bien entendu. Revers de la médaille du tout-gratuit, c’est sur cette pratique de collecte de vos données personnelles incontournable mais relativement méconnue que repose toute l’économie du web. Rien que ça. Vous l’aurez compris, il est temps d’en apprendre autant

sur Internet que le réseau en sait sur vous. C’est justement la promesse de la dernière coproduction d’ARTE, ONF et Upian. Du b.a.-ba du tracking aux bulles de filtres qui tissent une toile personnalisée, des likes Facebook aux insidieux cookies, la série interactive Do Not Track créée par Brett Gaylor passe en revue les différentes manières dont le web moderne vous flique en sept épisodes de sept minutes. Plus parlant qu’un exposé froid et impersonnel des dérives du numérique, le dispositif documentaire vous invite à participer avec vos propres données. Si vous pensiez que les pages les plus sombres de votre historique de navigation ne concernaient que vous, vous risquez de déchanter. Pour autant, l’objectif n’est pas de dégoûter les internautes du web mais bien de les amener à prendre conscience de l’empreinte qu’ils laissent en ligne. Une mission des plus louables en ces temps d’espionnage généralisé. Simon Boileau • Do Not Track, série bi-hebdomadaire dont le 5e épisode vient de sortir. donottrack-doc.com

Fig. 2 : Jonny Greenwood _ [ É C R A N ] . Il est difficile d’envisager ce que serait la musique en 2015 si les énergies cosmiques à l’origine du groupe Radiohead n’étaient pas entrées en contact. Le groupe le plus important de ces vingt dernières années doit certainement beaucoup de son succès au charisme détraqué et au talent de songwriting de Thom Yorke, mais dans l’ombre du chanteur évolue un certain Jonny Greenwood dont la singularité est au moins tout aussi remarquable. Guitariste solo du quintet d’Oxford, Greenwood est un véritable génie instrumental. La modernité des concepts sonores de Radiohead provient presque exclusivement de ses talents en synthèse, traitement et recherche harmonique. Feedback de récepteur radio, Ondes Martenot, synthétiseurs modulaires de plusieurs mètres ou MaxMSP ; aucune technologie n’effraie Greenwood, tant qu’elle lui permet d’ajouter des nuances à sa palette. Alors que Yorke explorait son individualité à travers son

premier album solo et son super-groupe Atoms For Peace, Greenwood a décidé de se consacrer à son amour pour la musique concrète. En résultera les bandes son inoubliables de There Will Be Blood, Bodysong, Norwegian Wood ou encore de We need to talk about Kevin. Plus récemment, Jonny Greenwood a travaillé avec le jeune mais brillant London Contemporary Orchestra. Il a également livré sa vision du fameux Electric Counterpoint de Steve Reich et milite par ses apparitions scéniques dans le monde entier pour le retour à la musique concrète par la formation classique. Jonny Greenwood est daltonien. Laissez sa musique vous faire voir le monde autrement. Pierre Serafini • Jonny Greenwood a récemment réalisé la B.O. d'Inherent Vice, et composé Water. Il sera au Best Kept Secret Festival le 21.06 à Hilvarenbeek aux Pays-Bas. twitter.com/jnnyg

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