KIBLIND Magazine NumĂŠro Relou
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Photo : Photo: Florent Tanet - set design: Eli Serres - Stylisme: Marie Gibert pour Television Services.
Édito À la lecture du dernier Version Femina, la chose nous est apparue comme une évidence. La slow-life, la vie lente, c’est pour nous. Il faut freiner, prendre le temps d’avoir le temps, se faire des crêpes au curcuma. Contrer, en somme, les diktats d’une société qui veut nous faire accélérer jusqu’à se prendre le mur. On s’est délestés, alors, de tout empressement, on a fait le point, on a maigri, on a fait le vide. On a expérimenté le temps long, l’ennui, le bâton dans les roues. Alors que le confort semble être devenu la motivation n°1 de toute activité humaine, nous avons voulu, nous, profiter de ces moments qui font la nique à la vie facile. En un mot, les trucs chiants. Comme avec cette couverture volontairement tronquée de Maïté Grandjouan – par laquelle nous rendons hommage aux puzzles Ravensburger 5 000 pièces et à leurs 8 années de plaisir garanti – nous avons sciemment posé des grains de sable dans la mécanique trop bien huilée de notre existence 2.0, provoquant des chutes, des contretemps, des temps de pause. Nous avons alors observé, vécu, senti ces discordances qui ont provoqué comme des étincelles. Bilan : au Lavomatic, nous avons eu des idées neuves, au championnat de Scrabble, nous avons construit des projets différents, sur les chemins de Villars-les-Dombes, nous avons pu suivre d’autres rêves. Ouais, enfin, plus ou moins, quoi.
Kiblind magazine n°67 Relou - Hiver 2018-2019 ENTRÉE 10
DISCUSSION
INTRO PICTOS
62
Relou
the ultimate slow movie experience
24
ENQUÊTE
INTERVIEW
65
Maïté Grandjouan
Article compte triple
26
INTERLUDE
CRÉATIONS ORIGINALES
70
Hasards dessinés
Relou, mode d'emploi
34
DISCUSSION
DISCUSSION
72
Vous voulez tous vous reconvertir, mais n’oubliez pas que c’est putain de pas facile
Lourde passion REPORTAGE GRAPHIQUE
Villars la Rouille 75
52
DISCUSSION
RÉTROGRAPHIE
81
Lorem Ipsum
Là où s’arrête le jeu
55
PLAYLIST
INTERLUDE
84
Bon ou mauvais ménage 60
Relou par Voyou SORTIE 87
Contributeurs
CLÉMENT ARBRUN Journaliste chez Rockyrama, Slate, Le Tag Parfait et Les Inrockuptibles, Clément Arbrun a eu l’excellente idée de vouloir écrire pour nous. Et figurez-vous que comme on n’est pas bégueule, on a bien voulu. Aussi parce qu’il dit des trucs super.
ÉLODIE BOUHLAL Parce qu’elle possède un téléphone intelligent et qu’elle a donc le pouvoir traîner sur Etsy, Pinterest, Instagram et Internet en général, on lui a demandé de nous dénicher les meilleurs créateurs, les meilleures collaborations, les choses jolies.
HARRY CATURE
MAÏTÉ GRANDJOUAN Il est peu aisé de demander à une illustratrice dont on admire le travail depuis toujours de réaliser la couverture d‘un numéro qu’on a décidé d’appeler « Relou ». Mais comme on le désirait ardemment, nous nous sommes jetés à l’eau. Et Maïté Grandjouan, bienveillante, a rit. Sans doute avait-elle compris que nulles autres que ses illustrations ne pouvaient représenter notre soif de contemplation et notre besoin de n’être parfois que spectateur de ce monde à cent à l’heure, où les datas circulent plus vite que la vitesse de la lumière. Il faut dire que la parisienne, diplômée des Arts Déco de Strasbourg, est la meilleure lorsqu’il s’agit de représenter ces moments de latence, de non-dits, de réflexion sur notre propre nature et sur celle qui nous entoure. Ses paysages sont comme des lueurs d’espoir dans la pénombre, là où ombre et lumière se confondent, là où le noir devient solaire et le jaune lunaire, là où la solitude devient poétique. Pour toutes ces raisons, nous sommes fiers comme des paons que Maïté ait accepté de sublimer notre magazine. Mais évidemment, on ne pouvait pas la laisser sans y ajouter notre petite touche relou bien à nous.
Un jour, on proposait à Harry Cature de repeindre le plafond de la chapelle Sixtine. Ayant du respect pour les jeunes, il laissa le boulot de Michel tranquille et retourna à sa passion : la comptabilité. Sinon, il fait sur Internet les meilleures caricatures depuis le gars de Montmartre, à Paris.
MATTHIEU CHIARA Parisien grand, talentueux ancien de la HEAR, Matthieu Chiara monopolise notre attention depuis deux ans grâce à son excellent Hors-Jeu (éd. L’Agrume) et son Dessins variés, effets divers à l’origine de sa présence ici.
MALINA CIMINO Passionnée de longue date par l’illustration et les jolies choses, Malina Cimino œuvre çà (Beware) et là (nous), et puis là aussi (agence Costume 3 Pièces) pour partager tout son amour. Elle fait bien.
Contributeurs
BRICE DUBAT
RÉMY MATTEI
NICOLAS PELLION
Avec ses billets d’humeur, le bien nommé Brice Dubat aka Pitoum décortique et flingue les tumeurs de notre société dans la Matinale de 19h de Radio Campus Paris. Grâce à sa verve légendaire et à ses jeux de mots salaces comme on les aime, notre coeur fait boom avec Pitoum.
Ce bon vieux Rémy Mattei est l’un des fondateurs et un membre éminent du collectif/maison d’édition Mauvaise Foi, sis à Lyon où il fait des merveilles. Il aime dessiner et il en a même fait un livre, La Kebaberie, et des t-shirts et des pochettes de vinyles, et des affiches, et tout un tas d’autres choses.
Quand on dit rap, il y a Nicolas Pellion qui va avec. Certainement l’un des meilleurs connaisseurs en France, il participe à l’émission « La Sauce » sur OKLM, a écrit pour l’Abcdrduson, Libération et Yard et surtout créé son propre site Purebakingsoda.
ZELDA MAUGER
Férue de musique indépendante jouissive, Manon Raupp, depuis Toulouse, fabrique tout aussi indépendamment son fanzine Ductus Pop.
CALL ME GEORGES Une vie au-dessus de la Manche, voilà la croix de Call Me Georges qui partage son temps entre Londres et Paris. Mais peu lui chaut puisque ça ne l’empêche pas de faire de ses dessins une ode à la simplicité, aux formes et à l’humour.
MICHEL LAGARDE Michel Lagarde a su associer le statut de mémoire vivante de l’illustration français avec celui de connaisseur patenté des évolutions actuelles. Un savoir qu’il distille via ses éditions Michel Lagarde, son agence Illustrissimo et la Galerie Treize-Dix.
OPHÉLIE DAMBLÉ À même pas trente ans, elle a participé au groupe Mercredi Équitation, à une émission de radio sur PiiAF, au webzine Retard, a eu pendant tout ce temps un métier dans la com et l’a largué pour devenir maraîchère à Paris, ce qui lui a donné l’idée de monter son site/vlog Ta Mère nature pour le raconter à tout le monde.
SÉBASTIEN HAYEZ Professeur d’art plastique en collège et auprès du PREAC design de SaintÉtienne, Sébastien est un érudit de la chose graphique. Une formation/ passion qu’il a fait croître en même temps que son exceptionnelle bibliothèque d’ouvrages sur les arts graphiques.
Ancienne graphiste chez Vice, aujourd’hui œuvrant pour Greenpeace, Zelda est également une dessinatrice. Elle a aussi pour hobby de combler chaque mètre carré de son appartement avec des piles compactes de livres, fanzines et autres bouts de papier reliés qu’elle adore.
GEOFFROY MONDE Si l’auteur lyonnais n’est pas aujourd’hui guide des savants du monde, c’est uniquement parce qu’il n’a pas candidaté. L’auteur de De rien, Serge et demi-serge et Tout ou rien est pourtant près de savoir tout sur tout (97 %). Il partage avec nous ce qu’il entend par « techniques de dessin ».
NATACHA PASCHAL En un livre autoédité, son Fake Vogue, Natacha Paschale a réussi à mettre à genoux tous les petits aficionados du dessin. Nous en sommes évidemment. Cyrillus aussi, la direction artistique de Grazia aussi et les « connoisseurs » de chez Agent 002 aussi.
MANON RAUPP
DAVID RAIFFÉ / LIBRAIRIE MOLLAT Lors de nos passages à Bordeaux, la librairie Mollat ne manque pas de nous attirer telle Juliette son Roméo. Son expert en graphisme, David Raiffé, a l’extrême obligeance de faire du zèle et de nous donner ses conseils livresques même hors les murs.
FLORENT TANET Ce directeur artistique parisien est ce genre de photographe qui mêle goulument son art aux autres champs qui le passionnent, le graphisme et la sculpture au premier chef.
DELPHINE ZEHNDER Ancienne du Petit Bain parisien, Delphine est également amoureuse de la bande dessinée dont elle colporte les ébats autant qu’elle peut.
STAFF Directeur de la publication : Jérémie Martinez Direction Kiblind : Jérémie Martinez Jean Tourette Gabriel Viry Team Kiblind Magazine : Maxime Gueugneau & Agathe Bruguière - Alix Hassler - Jérémie Martinez - Elora Quittet Justine Ravinet - Jean Tourette - Olivier Trias - Gabriel Viry Réviseur : Raphaël Lagier Merci à : Matthieu Sandjivy Direction artistique : KIBLIND Agence (www.kiblind.com)
INFOS Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fedrigoni Couverture : Symbol Freelife E/E49 Country 250g Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g et Symbol Freelife Gloss 200g Typographies : Kiblind Magazine (Benoît Bodhuin) et Orphéon (Marine Stephan) Imprimeur : Musumeci S.P.A. www.musumecispa.it Édité à 40 000 exemplaires par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon . 27 rue Bouteille - 69001 Lyon 69 rue Armand Carrel - 75019 Paris 04 78 27 69 82 - www.kiblind.com Le magazine est diffusé en France. www.kiblind.com. www.kiblind-store.com Ce numéro comprend un cahier supplémentaire de 16 pages pour la région Rhône-Alpes. ISSN : 1628-4146 Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. Agathe sunshine on a cloudy day ! THX CBS. Contact : redaction@kiblind.com
Entrée
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IN THE MOOD Quotidiennement, nous développons des TOC lorsqu’il s’agit de stocker sur notre ordinateur tout ce qu’on voit passer et qui est beau. Ci-joint notre défouloir.
Disque
Diagonals de Jonathan Fitoussi Artwork par Floriane Miny
Disque
And Yet It’s All Love LP de Fatima Artwork par Monica Kim Garza
Affiche
Frustration @ l'Épicerie Moderne Affiche par Brulex Affiche
Les Puces de l'illu @ Campus Fonderie de l'image Affiche par Marie-Pierre Brunel
Flyers
Anniversaire de la collection de cassettes Errata C20 Series @ GZ HLM Artwork par Yan Charpentier de Manufacture Errata
Entrée
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Disque
Flying Away de POOLCLVB Artwork par Carla McRae
Affiche
Festival Antigel @ Genève Affiche par Pablo Lavalley Revue
Kostar #62 Couverture par Ultralazer
Disque
Beat My Distance de Anemone Artwork par Léonie Dishaw Revue
Taverna #2 Couverture par The Dreamer
Disque
Danny Nedelko de Idles Artwork par Printed Goods (Raffy Greaves & George Greaves)
Entrée
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À L'ANCIENNE Pour remédier à notre ignorance, le galeriste, agent et éditeur Michel Lagarde nous plonge dans l'œuvre d'une légende des arts dessinés.
Georges Beuville (1902-1982) Un dessin de Georges Beuville se reconnaît à la petite étoile qui brille au firmament de sa signature. L’œuvre immense de ce dessinateur a été frappée pendant longtemps d’invisibilité, et revit sur la Toile grâce au travail de passionnés. On saisit à quel point le trait de Beuville, considéré comme un maître par Franquin et Cabu, a imprimé durablement la rétine des meilleurs dessinateurs d’aujourd’hui. Christophe Blain, Blutch, Catherine Meurisse et beaucoup d’autres lui vouent un culte secret. On lui doit de merveilleuses illustrations de L’Île au trésor de Stevenson, et d’autres classiques recherchés par les amateurs. La librairi-éditrice bruxelloise La Crypte Tonique a eu l’excellente idée de partir à une chasse au trésor et de rééditer une perle noire inconnue : Le Morne au diable d’après le roman d’Eugène Sue, parue dans la version belge du journal de Tintin en 1950. Comme le dit son éditeur Philippe Capart : « Éditer, c’est rendre public. » > mapage.noos.fr/beuville
Le communiquĂŠ de Natacha Paschal
Entrée
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ARTISTE PAINT
Harry Cature
On a choisi Harry Cature parce que c’est le meilleur, qu’il dessine des gens rigolos et qu’on l’adore.
FAITS DIVERS
Matthieu Chiara
Parfois, on aime se marrer des mésaventures de ceux qu’on appelle les vrais gens. On dirait que Matthieu Chiara aussi.
- Extraits de Dessins variés, effets divers
Entrée
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LE KIKI BLUFF Un Kakemono est un support souple d’affichage, souvent publicitaire, à suspendre verticalement. Quelle est l’origine de ce terme ?
1 - Tel le mot « Kiblind », le terme « Kakémono » est une invention issue d’une formule argotique. Il découle en effet de l'argot tokyoïte « monokimi » qui signifie « faire le buzz ». 2 - Akahiko Kakemono est l’artiste japonais qui inventa le support en 1854. 3 - Le Kakémono désigne, à l’origine, les œuvres d’art calligraphiées japonaises, pouvant se rouler autour d’un bâton. Kake signifie ainsi « accrocher » et mono « objet ». (Bonne réponse : Réponse 3)
POINTS À RELIER Rémy Mattei
Entrée
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Geoffroy Monde
TUTO
JEU DES 7 ERREURS Call me George(s)
JEU DES 7 ERREURS Call me George(s)
EntrĂŠe
20
INSTANT INSTA
fabiobiesel
manshenlo
elenikalorkoti
itsleillo
kevinlucbert
nadineredlich
vincentbroquaire
clementvuillier
maximilian.haslauer
Hey pssstt... ça se passe aussi par ici
ramandjafari
seb_agresti
kiblind
Photo : Photo: Florent Tanet - set design: Eli Serres - Stylisme: Marie Gibert pour Television Services.
Relou Relou Relou Relou Relou
intro pictos
24
On ne le dit pas assez mais la vie est pleine de
. Ça n’est peut-être
pas si évident que ça quand il faut jouer du
ou attendre le bus sous la
,
mais pourtant, ils sont là, qui vous attendent, les sourires de l’existence. N’allez pas les chercher dans vos
,
dans vos Netflix et tous vos bazars du monde de l’attraction instantanée. Ils sont dans l’attente, l’ennui et les complications. Prenez donc le
de la mollesse
et laissez-vous porter sur les flots
Relou
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de la lenteur et de la pénibilité. Quand vous vous sentez mourir ( car vous finirez forcément par le sentir ) jetez l’
et profitez du paysage :
il renferme des trésors. C’est ce que nous avons, nous, tenté de faire en assistant à un championnat de Scrabble, en parlant latin avec les graphistes, en regardant Gerry, en faisant pousser les
, en regardant les
ou en demandant des passeports. Le bonheur est dans le relou.
Interview
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Diplômée des Arts Décoratifs de Strasbourg en 2014, Maïté Grandjouan imagine des paysages majestueux où l'absence se mue en personnage principal. Ses couleurs vives et impactantes contrastent avec des décors éminemment silencieux. La mélancolie n'est jamais très loin. Ses rares personnages se toisent, s'effleurent parfois, sans jamais réussir à franchir le pas.
Maïté Grandjouan, orfèvre du silence Peut-être avez-vous croisé ses peintures en parcourant la presse, au hasard d'un clip de Feu! Chatterton, ou dans les rues de Colomiers... Alors, vous aurez sans doute ressenti ce doux malaise vous envahir et, peut-être, cette pensée monter en vous, comme un frisson de plaisir, comme une évidence : j'adore, c'est relou.
L’école c’était pas trop relou ? C’était il y a quatre ans déjà… J’étais aux Arts décoratifs de Strasbourg. On a eu un monsieur génial qui, malheureusement, vient de démissionner (Guillaume Dégé ndlr)… Mais globalement, l’école c’était un super terrain de jeux. Comme pas mal de promos avant et après nous, on a pu expérimenter avec la réalisation d’une revue. Nous, c’était Sourire Magazine, qu’on a créé avec Alice Meteignier, Antoine Orand et Julie Michelin. On a fait cinq numéros et ça s’est terminé en 2014 quand on s’est dispatché à la fin des études. Ces revues fonctionnent beaucoup avec l’école, l’ambiance et la mise à disposition d’outils qui facilitent pas mal les choses. Il faut dire qu’en plus, la nôtre était une revue entièrement en sérigraphie… Le dernier numéro, on l’a tiré dans un atelier à Paris et on s’est vraiment rendu compte que c’était pas évident hors du cadre des Arts décoratifs. Et la transition vers le monde « professionnel » ? Je viens de Paris et je suis donc logiquement revenue à Paris après l’école. Un mélange de facilité de revenir au bercail et aussi d’opportunité de travail avec les gens que j’avais déjà rencontrés auparavant. Et puis j’ai eu la chance de tout de suite enchaîner avec la perspective d’un premier livre avec mon éditeur actuel, Julien Magnani. Je lui avais proposé mon projet de diplôme, qu’on a fini par ne pas éditer, mais il m’a vite proposé de commencer un nouveau projet. C’était une bonne idée je pense parce que mon projet de diplôme n’était pas super facile… c’était Cachée, un livre muet, l’histoire d’une relation entre un détective et femme mystérieuse au visage lacéré, le tout par fenêtre interposée… Une histoire classique quoi ! On est donc parti sur un autre
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projet (Fantasma) et il m’a vraiment accompagné. Ça a été une présence importante sur le projet. Du coup, je n’ai pas vraiment eu de temps de latence juste après l’école. Ça m’a donné un objectif. Et dans la partie commande, car je jongle entre les bouquins et les commandes, il y a eu le clip avec Feu! Chatterton en 2015. C’était super à faire et ça m’a permis de me faire connaître d’un autre public. Une histoire de rencontres au gré du hasard. Le chanteur m’avait acheté une affiche quelques mois auparavant
" [Mon porojet de diplôme] Cachée, [c'était] un livre muet, l’histoire d’une relation entre un détective et femme mystérieuse au visage lacéré, le tout par fenêtre interposée… Une histoire classique quoi !"
Voyeur-2013
Interview
Comment as-tu vécu l’expérience de ton premier livre ? Ça a été super important même si c’est toujours une forme de souffrance. Et puis d’écrire, ça remet tout en question. La question n’est pas forcément « est-ce que le livre est bien »… Ça dérive vite chez moi à « pourquoi j’existe » ou tout un tas d’autres questions existentielles qui ajoutent un peu de piquant… La première chose, déjà, c’est « est-ce que j’ai un truc à dire ? ». Et encore plus pour le deuxième bouquin, sur
Caché-2014
lequel je bosse en ce moment. Estce que j’ai encore un truc à dire ? Ce qui voudrait dire que j’ai déjà dit quelque chose avec le premier livre… Est-ce que j’ai rien dit, rien à dire, déjà tout dit… Bref, c’est sans fin (rires). Et c’est vrai qu’il y a des gens qui font qu’un seul truc bien dans leur vie… Genre Thomas Vinterberg il a fait que Festen, après on sait pas trop… La Chasse mais bref, il restera que Festen quoi. Il y a des gens qui n’ont qu’un seul truc à dire et puis, à l’inverse, il y a des gens qui sont hyper talentueux et qui arrivent toujours à faire le même bouquin, le même film et à le décliner. Et moi là-dedans avec mes petits livres… Au début, mon deuxième livre ressemblait énormément au premier. C’était le même, on met juste des cheveux à ceux qui n’en avaient pas… Là ça commence à se décaler un peu. Je suis plus ou moins en train de sortir de la phase d’écriture
Clip-feuchatterton-2015
au salon Fanzine et leur manager à Universal, leur label, avait vu mon boulot à une exposition Kiblind au Point Éphémère, bref, les deux me connaissaient et ça a pu se faire assez rapidement. ça m'a permis de faire de l'animation sans avoir suivit de formation pour. Jusque-là, je faisais juste des petits GIF sur Photoshop dans mon coin. On a travaillé en binôme avec mon co-réal Nicolas Hu. Lui s’occupait de chapeauter la partie animation et de toute cette sombre affaire d’After Effects et moi, j’étais à la direction artistique, j’ai rédigé le scénario et dessiné la quarantaine de peintures qui allaient ensuite être animées par une animatrice. Le tout en deux mois… C’était très court, très intense et hyper instructif. Le scénario, où deux univers s’imbriquent (le bar et la plage ndlr) se prêtait bien à des jeux de superposition de calques, ce genre d'effets facile à imaginer quand on n'est pas animateur. Et puis, c’était parti ! J’ai enchaîné ensuite avec pas mal de dessins de commande pour la presse (Libé, Télérama, Citrus, etc.) et là j’ai retravaillé en animation avec Arte sur un documentaire sur le japonisme. L’animation m’intéresse beaucoup même si c’est pas toujours évident de « laisser » ses dessins à quelqu’un d’autre pour qu’il les fasse vivre.
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Clip-feuchatterton-2015
Maïté Grandjouan
Maïté Grandjouan
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et ça se précise. Ce qu’on retrouvera de toute façon, comme dans tous mes travaux, c’est cette notion du « non-dit ». Des situations où des gens vont presque arriver à se parler, presque communiquer ou se toucher. C’est en cela que je suis sans doute relou. J’essaie pourtant, hein… J’ai essayé de faire une histoire où les gens se parlent mais c’est l’enfer. Il n’est pas question qu’ils soient heureux hein, faut pas exagérer, mais juste échanger des mots… Et je me rends compte qu’ils finissent toujours par ne pas y arriver. Ma toute première histoire (Vis-à-vis), pour mon diplôme de troisième année, c’était une fille toute seule, qui erre dans une maison vide et qui,à la fin, se voit elle-même par la fenêtre.
faut qu’il soit hyper intense, hyper saturé, outre-mer. Pas trop bleu quoi…
Voici le moment où atteint le somment du relou dans une interview relou, le fameux portrait chinois et son éternel si tu étais… Une couleur ? La couleur que je mets tout le temps est le violet… Je ne sais pas trop pourquoi… Je sais que beaucoup de gens aiment le bleu. C’est une couleur qui plaît autant aux hommes qu’aux femmes, qui a une histoire et une symbolique importante mais j’ai toujours eu du mal avec le bleu… Si je mets du bleu, il
Un héros ou une héroïne de fiction ? Le personnage de Kevin dans The Leftovers, une série mystique sur le deuil avec des épisodes incroyablement dramatiques. Justin Theroux, l’acteur, transforme le personnage en mâle alpha, policier, complètement dépassé et en même temps ultrasensible. On expérimente vraiment un doute existentiel à travers lui dans la série. On pourrait y voir une espèce de continuité avec le personnage
Fantasma - Édtions Magnani, 2017
Après c’était Cachée, deux personnes qui s’observaient mutuellement. À un moment ils finissent quand même par se regarder ! Dans Fantasma, à la fin, ils se touchent presque. Donc je m’améliore mais c’est pas gagné… Là où je ressens le plus d’émotion, ce qui va toujours me rendre hyper triste, au cinéma par exemple, c’est les gens qui ne se disent pas les choses, qui meurent avant de se dire les trucs. On pense qu’ils vont y arriver et puis… Presque quoi…
" Ce qu’on retrouvera de toute façon, comme dans tous mes travaux, c’est cette notion du « non-dit ». Des situations où des gens vont « presque » arriver à se parler, « presque » communiquer ou se toucher. C’est en cela que je suis sans doute relou. "
Sunset-2017
Singe -2017
Affiche Festival BD de Colomiers-2017
Interview 32
Maïté Grandjouan
qu’il incarnait déjà dans Inland Empire de David Lynch.
Telerama-2016
Un livre ? Les Hauts de Hurlevent. S’il fallait choisir un livre ce serait définitivement celui-ci, parce qu’il s’inscrit dans une littérature gothique que j’aime beaucoup, de châteaux et de fantômes, mais qu’il explore aussi d’une façon hyper moderne des sentiments violents, les relations dans une famille qu’on qualifierait aujourd’hui de psychotique. Il a été aussi adapté par une de mes réalisatrices préférées, Andrea Arnold, qui l’interprète de manière
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géniale, et a été entièrement illustré par Balthus, un peintre que j’adore. Justement, pour finir en acrobatie, si tu étais un peintre ? En vrac et sans forcément de rapport, Vallotton, Spilliaert, Vilhelm Hammershoi, Balthus, un peu des Américains aussi, comme Andrew Wyeth. Hopper c’est toujours fou mais, avec le temps, ça me fascine un peu moins. Peut-être parce que je trouve sa manière de peindre trop réaliste maintenant. Trop bavard pour quelque chose de silencieux… J'aime beaucoup Vil-
helm Hammershoi. C'est un Danois super réaliste, hyper austère. Pour le coup, la couleur n’existe plus… Un dégradé de gris, des pièces vides, sa femme de dos, toute sa vie…Et puis Balthus... Chez Balthus ou Vallotton, dans l’image même, il y a des doutes. On perçoit quelque chose dans une neutralité apparente. C’est ça que j’aime beaucoup. La neutralité est alors un cheval de Troie pour amener des choses très angoissantes et mystérieuses. Interview & photo : Jérémie Martinez
Créations originales Créations originales Créations originales Créations originales
Nao Tatsumi | Could Be Fluffy
Manshen Lo | Four feet above the floor
MĂŠlodie Baschet | Ramer
Romain Figaro | Enfer vaisselle
Jules Magistry | Salut, c'est Difool
Manddy Wyckens | Relou
HifuMiyo | Etude pour Relou
Kazuhisa Uragami | Have a nice day!
Tatjana Prenzel | No answer is about to come
Josselin Facon | Laverie
Créations originales
NAO TATSUMI OÙ AS-TU FAIT TES ÉTUDES ? Je suis diplômée de design architectural à l’Université de Tsubuka. J’ai étudié l’illustration à Aoyamajuku à Tokyo.
COMMENT AS-TU PENSÉ TON DESSIN ? Quand on regarde dans la périphérie des villes, on peut trouver des petits paysages qui n’intéressent personne habituellement mais qui me fascinent. Pour trouver ces genres de paysages j’utilise Google Street View, c’est pour ça que ma série s’appelle Street View Journey.
LA DERNIÈRE FOIS QUE TU AS AIMÉ T’ENNUYER ? Quand je sors mes chiens au début de l’automne. Sortir ses chiens est une routine qui n’a rien d’intéressant mais parfois on trouve un nouveau chemin qui devient une nouvelle aventure. naotatsumi.net
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MANSHEN LO OÙ AS-TU ÉTUDIÉ ? Je suis allée à Londres pour faire un MA Animation au Royal College of Art.
COMMENT DESSINES-TU ? J'aime beaucoup dessiner des gens dans leur espace de vie. J'essaie de dépouiller au maximum mes images, en m'inspirant des maîtres de la ligne claire, pour affirmer au mieux la tension subtile entre les personnages et leur environnement immédiat.
L'ENNUI EST-IL CRÉATIF ? L'ennui est un déclencheur de la créativité. Pour moi en tout cas. Plus je m'ennuie, plus il y a d'idées qui me viennent en tête. Par exemple, le matin, toutes les bonnes idées que j'ai eu sous la douche disparaissent dès que je m'occupe de mes mails. manshenlo.com
Créations originales
MÉLODIE BASCHET
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ROMAIN FIGARO RACONTE-NOUS UN PEU TON PARCOURS
Diplômée en 2003 des Arts décoratifs de Paris de la section mobilier. Je travaille depuis toujours en free-lance, cela me permet de diversifier mes expériences de travail et surtout de choisir mes projets. Je crois que le terme de designer regroupe tous mes domaines de prédilection et fait le lien entre la création d’un meuble, d’un motif, d’un livre d’illustration ou d’une peinture.
Je suis issu de l’ENSAD (2007), j’ai 34 ans. Mon parcours s’est ensuite un peu éloigné du monde de l’image suite à la création d’un groupe de musique avec lequel j’ai tourné pendant environ cinq ans (le nom du groupe est Minitel Rose). Nous avons en parallèle monté notre propre label « FUTUR » dans lequel j’ai illustré la plupart des pochettes/affiches pour les groupes du label (Pégase, Mou, Romantic Warriors...). Je suis revenu pour mon propre compte à l’illustration en 2013.
COMMENT PENSE-TU TES DESSINS ?
COMMENT AS-TU PENSÉ TON DESSIN ?
Adepte de la lenteur, du transport à vélo et des voyages intérieurs… En garde alternée entre la ville et la campagne, je suis une nostalgique du paradis perdu, je rêve pour la planète de voir et de vivre un jour le vrai réveil des consciences… En attendant ce miracle j’essaie de répondre et de proposer des projets qui me ressemble et qui remettent au premier plan la nature et l’animal que j’aime tant ! Pour la proposition de Kliblind de faire une illustration sur le thème « Relou » j’ai choisi de ramer au sens propre comme au sens (dé)figuré … Ramer en canoë sur la Seine ou ramer dans l’hyper consommation de notre société…
Je suis parti dans l’univers des paysages fantastiques des illustrations pour mon groupe d’ambient Romantic Warriors avec lequel j’ai pour projet d’illustrer tous nos morceaux afin de créer un livre d’illustrations musicales. J’ai choisi comme thème « relou » la vaisselle. Tâche quotidienne qui pour ceux et celles qui ne possèdent pas de lave-vaisselle s’avère « relou », j’imagine, pour la plupart des gens. L’idée était d’illustrer un genre d’enfer où le supplice serait de laver des montagnes de vaisselle sale, avec en fond une immense cascade d’eau du robinet coulant à l’infini.
QUEL EST TON PARCOURS ?
QU'EST-CE QUI EST VRAIMENT RELOU POUR TOI ? Le résultat « relou » de toute cette navigation c’est que tout ce que tu fuies, tout ce que tu quittes en ramant longtemps et loin de la ville te rattrape et t’accompagne en pointillé sous forme de petits cadavres colorés. Stigmates d’une époque bien malade et d’une planète bien malmenée. melobaschet.tumblr.com
QU’EST-CE QUE TU FAIS LES DIMANCHES PLUVIEUX ? Si je suis à Paris, honnêtement, si la pluie est abondante, j’aurais tendance à jouer aux jeux vidéo (anciens et récents) étant donné que j’en suis fan et que je préfère aller voir des expositions la semaine. Si je suis sur la côte (côte ouest, Guérande, région natale), j’aime aller prendre les embruns en pleine figure sur la côte sauvage avec un bon vieux ciré. instagram.com/r.figaro
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JULES MAGISTRY QUEL EST TON PARCOURS ? J’ai fait des études à LISAA en graphisme qui ont abouti à faire quelques stages en maison d’édition (Hatier et Albin Michel Jeunesse) afin de me rapprocher du milieu de l’illustration. Ayant abandonné l’idée de participer à ce milieu en qualité de graphiste, j’ai décidé de travailler uniquement l’illustration. À la suite de plusieurs années d’expérimentation, j’ai commencé à travailler pour plusieurs magazines (Paulette, La Revue Charles, Papier Magazine, Errratum, Brain…) tout en voulant profondément me pencher sur la narration et donc l’écriture et le dessin de livres illustrés.
COMMENT AS-TU PENSÉ TON DESSIN ? Le côté « relou » et l’ennui me ramènent directement à l’adolescence. Je voulais montrer une scène d’une grande banalité comme celles que j’ai vécues en grandissant au sein d’une « bande de mecs ». Et pour répondre aux codes et se sentir appartenir à cette bande, il faut aimer ou faire semblant d’aimer des activités qui constituent un lien social au quotidien, du genre : jouer à FIFA, regarder du porno hétéro ou bien écouter Skyrock toute la journée. Je voulais alors montrer deux facettes en structurant mon dessin comme une page de BD. L’écoute de Skyrock était vraiment pénible mais malgré ça, le moment passé, le sentiment de bande, de communion et le jour qui coule dans une chambre est
rassurant et chaud. La référence à la période de la fin des 90s et du début des 00s au-delà de Difool sur Skyrock s’est faite par deux posters : le film Souviens-toi l’été dernier et la version bleue de Pokémon. Quant à l’autre perspective, la fenêtre comme une case se concentre non sur le sentiment commun mais sur l’expérience personnelle d’ennui et d’exclusion.
Y A-T-IL UN PLAISIR À L’ENNUI ? Pour moi, il n’y a presque que du plaisir à s’ennuyer. À l’ennui même. C’est la seule grande voie pour deux choses essentielles : l’oisiveté et la mélancolie. L’ennui permet de se retrouver seul (même en groupe), de laisser les pensées se ramollir, s’étirer, et donc de mieux les « étudier ». Toutes les pensées d’ailleurs, les questions sur soi, sur l’amour, les fantasmes sexuels, la mort, etc. Et toutes ces « grandes » choses qui dans l’agitation sont stressantes redeviennent des concepts quand on s’ennuie. Et puis y’a comme un « art » à s’ennuyer. La mauvaise question, je crois, c’est de se demander par quelle activité y remédier. Il faut plutôt savoir par quelle activité l’accompagner. Ça peut être fumer un pétard, lire un bouquin, regarder un documentaire sur les baleines ou faire tout ça ensemble. Bref l’ennui c’est capital. julesmagistry.tumblr.com
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MANDDY WYCKENS QUEL EST TON PARCOURS ?
COMMENT AS-TU PENSÉ TON DESSIN ?
À la base, j’ai fais des études de Lettres et puis, diplôme en poche, j’ai tenté une école d’art - en l’occurence Saint-Luc en Belgique dans une section à mi-chemin entre le graphisme et l’illustration, où je ne je ne m'épanouissais au final pas beaucoup. En cours de route, je découvre l’animation, je mets l’illustration à la poubelle et je finis par rentrer aux Gobelins à Paris, en animation donc. Quelques portes s’ouvrent, je pars en Californie pour des stages (Disney) et un échange universitaire ( Calarts ) avant de partir, diplôme en poche, en Oregon pour un premier travail. Et puis, je rentre en France, je me mets à mon compte et freelance pour pas mal de studio situés à l’étranger. Finalement l’incongruité d’être à Paris mais de travailler à l’international exclusivement me frappe et je pars à Londres pour m’essayer à la réalisation dans un petit studio super sympa, Studio AKA. À côté de ça, le côté dessin et illustration de mon travail commence à pas mal prendre de place...
Ce dessin-ci, j’avais envie de faire un petit dessin un peu narratif où y’a mille choses relou, mais toutes connectées. Parfois, quand on se trouve moche, le monde entier autour de toi a l’air comme porté par une grâce et une élégance qu’on a envie de mettre aux orties. Ici, c’est un peu pareil, j’avais envie de montrer tous ces petits couples insupportables et ces dizaines de dates qui fleurissent à tous les coins de terrasse et qui te font lever les yeux au ciel. Du coup, le dessin est moins graphique que d’habitude mais je me suis concentrée sur les personnages et leurs histoires !
QU’EST-CE QU’IL Y A DE PLUS RELOU QUE FAIRE LA VAISSELLE ? Haha, plus relou que la vaisselle? Mhhh - le dating ? manddywyckens.com
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HIFUMIYO QUEL EST TON PARCOURS ?
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KAZUHISA URAGAMI OÙ AS-TU FAIT TES ÉTUDES ?
Je suis arrivée à Lyon du Japon avec un sac à dos il y a 8 ans, je me suis mise à la palette graphique depuis cinq ans, j'ai rencontré mon agence d'illustration à 28 ans et je suis publiée dans Kiblind maintenant.
J'ai étudié le dessin dans une école appelée Illustration Aoyama Juku, à Tokyo, avec les classes données par le grand Tatsuro Kiuchi. Ce que j'ai pu apprendre de lui concernant son travail et sa façon de penser, m'a énormément aidé.
COMMENT AS-TU PENSÉ TON DESSIN ?
EXPLIQUE-NOUS TON DESSIN.
Je me suis dit que le repassage était vraiment ce qu'il y avait de plus embêtant dans la vie et je me suis dit que j'allais faire un homme en caleçon et chaussette pour en parler. Et là, 90% du travail était fait.
Tous les jours, je vais à mon studio avec mon sac à dos. Et le trajet est vraiment relou. J'ai acheté récemment un nouveau sac à dos que j'aime beaucoup et qui me mets vraiment de bonne humeur. J'ai l'impression de voler jusqu'à mon studio ces derniers jours.
QU’EST-CE QU’IL Y A DE PLUS PÉNIBLE DANS LE MÉTIER D’ILLUSTRATEUR.RICE ?
EST-CE QUE PLUS C'EST LENT, MIEUX C'EST ?
Ah oui, justement on m’a embêté hier ! C’était vraiment vraiment désagréable ! ça m’était jamais arrivé dans ma vie ce genre de chose aussi scandaleux ! C’était... c… C’était quoi déjà ??? hifumiyo.co
La slow life, c'est très important, mais je suis aussi déterminé à faire encore plus de dessins. Je veux être connecté au monde grâce à mes illustrations. J'espère avoir plus de propositions venues de France maintenant ! kazuhisauragami.com
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TATJANA PRENZEL QUEL A ÉTÉ TON PARCOURS SCOLAIRE ? J’ai étudié la communication visuelle à l’Université d’arts et de design à Offenbach, en Allemagne. J’ai également fait un semestre d’échange à la Burg Giebichenstein à Halle, en Allemagne toujours, et j’ai aussi fait un semestre à la HEAR de Strasbourg.
COMME AS-TU PENSÉ TON ILLUSTRATION ? Dans mon illustration, j’ai voulu montrer des aspects de la communication qui ne sont habituellement pas visibles. Ces sentiments d’inconfort qui sont difficiles à gérer. Au début, tout te semble clair et limpide, mais tu t’aperçois qu’en fait tu n’as pas forcément tout compris et tu ne sais pas comment le dire.
QUELLE EST TON ACTIVITÉ D’ENNUI PRÉFÉRÉE ? Regarder par la fenêtre, ne rien faire, juste observer la scène en face de moi et voir ce qu’il s’y passe. tatjanaprenzel.com
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JOSSELIN FACON QUEL EST TON PARCOURS ? Pour le parcours il fallait que j’écrive à la première personne ? Alors, je suis réalisateur et illustrateur français. À la fin de mes études à l’EMCA, je rejoins le studio d’animation MIYU productions. J’y réalise le film Plein Été, sélectionné dans plus de cinquante festivals, dont le festival international du film d’animation d’Annecy, et je reçois en 2017 le prix qualité CNC. Depuis je travaille sur des films et des illustrations de commande, ainsi que sur le développement d’un prochain film.
COMMENT AS-TU PENSÉ TON DESSIN ? J’ai simplement pensé à la chose pénible que j’avais à faire sur le moment.
QUI EST LE GARS LE PLUS RELOU DE LA TERRE ? Je sais pas, j'aime pas trop dire du mal des gens. cargocollective.com/josselinfacon
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Discussion
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Vous voulez tous vous reconvertir, mais n’oubliez pas que c’est putain de pas facile
La reconversion. Un mot que l’on entend partout. Notre génération de trentenaires ne se sent plus bien dans ses pompes, elle se dit qu’elle doit faire quelque chose de ses mains, « donner du sens à sa vie », retourner aux « vraies valeurs ». C’est beau hein. C’est très bien aussi. Ce qu’on oublie de dire dans les magazines, c’est que c’est aussi putain de dur.
Ophélie Damblé
Quand j’ai annoncé à ma boîte que je partais pour apprendre à faire pousser les légumes, je ne pouvais pas rêver mieux comme conditions. Pas de bataille pour obtenir ma rupture conventionnelle, un départ en douceur et que des encouragements : des « oh là là c’est trop mon rêve ce que tu fais », « Purée c’est méga courageux », « tu as trop de chance ! ». J’étais gênée par ces mots, je ne savais pas trop quoi répondre, car au fond de moi à ce moment-là, c’était le tsunami. Ce n’était pas une histoire de courage, ni de chance, juste une question de survie (bisous les L5). Le déclic, « change ou crève » On ne change pas de voie après avoir fini la biblio de Pierre Rabhi ou vu Demain de Cyril Dion. Ça peut donner des idées bien sûr, ça peut toucher parfois, donner envie de trier un peu mieux ses déchets ou de faire pousser des tomates-cerises sur son balcon. Mais ce qui fait vraiment changer de vie, c’est la brisure nette. Un cerveau ou un cœur complètement broyé, un truc effroyable. La plupart des gens que j’ai côtoyés au cours de mes formations étaient des gens écorchés, fragilisés par le deuil d’un enfant, un divorce, un burn-out. On ne décide pas devenir maraîcher parce qu’on aime bien la salade. On retourne à la terre pour donner une chance à la vie. Dans cette histoire, je m’en suis plutôt bien sortie, mon déclic n’a été qu’une bonne grosse rupture amoureuse, et le difficile départ d’un projet associatif que j’avais cofondé. Mode reboot activé Et puis on se lance. Il faut reprendre les études. Réactiver un cerveau habitué aux tâches récurrentes. Il faut désapprendre plutôt, casser les schémas et
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ingurgiter plein de nouvelles infos. On se dit qu’on n’a vraiment rien compris à la vie, qu’on a perdu du temps à se couper de la nature. On se sent tout petit. Les maraîchers de 30 ans d’expérience nous le diront tous, plus on apprend, moins on sait, dame nature est plus forte. Plus j’en découvre sur l’état de nos sols, l’industrie agro-alimentaire et la législation des plantes médicinales, plus je bouillonne de rage. Je ne veux plus faire de mal. C’est une telle galère quand je fais maintenant mes courses. Changer, c’est long Une fois la première formation passée, on ne se sent évidemment pas prêt. On a encore soif de parfaire ses connaissances, de se spécialiser. Les plans sur la comète « je fais six mois de wwoofing et après je me lance en solo » ne marchent que rarement. Se reconvertir c’est accepter d’être tout le temps paumé. De penser à devenir pépiniériste, puis de vouloir lancer sa gamme de tisanes le mois suivant. C’est se laisser porter par les rencontres qui nous touchent, et nous font prendre une voie à laquelle on n’avait pas pensé. Il est chouette cet océan de possibles, mais il est aussi parfois putain d’angoissant. Un an et demi que j’ai changé de vie, les choses se précisent mais je ne sais toujours pas où je veux vraiment habiter (j’ai sous-loué mon appart, et vogué de canap en canap), ni comment gagner vraiment ma vie (coucou les business models de Pôle emploi). No money, no problem On a oublié de parler d’argent. Changer de vie, ça fout dans la merde financièrement. Soyons honnêtes, je suis une enfant privilégiée de la classe moyenne, je sais que mes parents auront toujours un toit à m’offrir si je suis
« J’en chie, mais je suis heureuse. Je me sens ancrée. Alignée avec les planètes comme ils disent. »
Ophélie Damblé
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vailler la terre, qu’ils ne voyaient plus trop leurs amis. Ce sont des boulots qui demandent une réelle exigence, une dévotion sans faille. Je pense qu’on peut trouver un compromis là-dedans, mais les débuts d’un changement de vie demandent tout de même une grande introspection, il est parfois difficile de faire de la place à l’autre. J’essaie de rester attentive à ça avec mes amis, et de faire confiance à cette fameuse histoire de timing pour le reste. Bon. Se reconvertir c’est putain de pas facile, mais vous vous en doutez, je ne regrette RIEN. J’en chie, mais je suis heureuse. Je me sens ancrée. Alignée avec les planètes comme ils disent. Alors c’est ce que je vous souhaite aussi. Lancez, plantez, cherchez, trouvezvous, c’est pas facile je sais, mais c’est assez fou.
en galère, je suis également l’heureuse bénéficiaire du chômage. Ce qui m’a permis d’aller aider dans les champs bénévolement, de ne pas être dans l’urgence de concilier job alimentaire + études. Mais changer de voie, c’est accepter de revenir en bas de l’échelle professionnelle. J’ai accepté les contrats précaires, les CDD d’ouvrière agricole qui peuvent se terminer du jour au lendemain, les missions autoentrepreneur payées trois mois plus tard. Certains de mes camarades acceptent de redevenir stagiaires à 56 ans. Je les admire. What is love Forcément, ce nouveau rythme de vie n’aide pas dans les relations affectives. On ne renvoie pas franchement l’image de la stabilité incarnée. Je crois que pas mal de garçons n’ont pas réussi à se projeter avec moi. J’ai vu pas mal de maraîchers nous dire qu’ils avaient sacrifié leur vie de famille pour tra-
Texte : Ophélie Damblé Images : Kiblind
Les 6 bonheurs d’une reconversion dans le monde des légumes
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Recevoir enfin son chômage Après une longue bataille administrative parce qu’il te manque forcément une attestation employeur paumée en 2012, tu reçois enfin ton 1er versement d’allocations chômage et invite tous tes potes chez Flunch pour fêter ça (c’est faux, tu rembourses enfin tes parents pour le loyer).
Apprécier les levés de soleil Pas avec 3 gr d’alcool dans le sang en rentrant de teuf, non, après une vraie nuit de sommeil, et une bon thé, pour aller récolter les salades avant qu’il ne fasse trop chaud. Tout est calme, on entend les oiseaux, tu te sens la reine du monde.
Être ok d’échouer
Récolter sa première courgette
Fini l’auto-flagellation, tu apprends mieux et plus vite quand tu échoues. Ce plant de blettes s’est fait bouffer par des limaces ? Tant pis pour le gratin, tu renforces ton savoir, échange avec tes voisins plus expérimentés et tente des trucs pour qu’elles ne reviennent plus (les connasses).
Avoir des habits et des accessoires cools
Le bleu de travail, la salopette, le chapeau de paille, la pelle sur l’épaule… un nouvel éventail vestimentaire s’offre à toi. Tu ne jures plus que par les grandes poches, et la toile bien solide. Jacquemus adorerait ton style.
Oui, les jardiniers émérites te diront que ce n’est clairement pas le légume le plus difficile à faire pousser, et puis la tienne est beaucoup trop grosse et biscornue pour être vendue en épicerie, mais tu t’en fous, T’AS RÉUSSIIIIIIII.
Ne plus avoir peur des asticots et de la mort Tu découvres que dans un sol fertile, il y a une vie qui foisonne. Citadine angoissée par la mort, phobique des asticots, tu acceptes maintenant que la vie est un cycle avec ton nouvel ami le lombricomposteur. Observer la matière organique se faire décomposer par toute cette vie qui grouille, c’est quand même un beau travail d’équipe, on n’est pas si loin du délire de réincarnation des bouddhistes.
Rétrographie
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LOREM IPSUM
Rétrographie
Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit, sed do eiusmod tempor incididunt ut labore et dolore magna aliqua. Ut enim ad minim veniam, quis nostrud exercitation ullamco laboris nisi ut aliquip ex ea commodo consequat. Duis aute irure dolor in reprehenderit in voluptate velit esse cillum dolore eu fugiat nulla pariatur. Excepteur sint occaecat cupidatat non proident, sunt in culpa qui officia deserunt mollit anim id est laborum. On pourrait continuer comme ça longtemps, et même jusqu’à la fin de l’article. Ce qui amuserait éventuellement un agrégé de lettres classiques, mais qu’une personne normale finirait par trouver un peu
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rébarbatif. Voire carrément chiant. Et on serait bien dans le thème de ce numéro, du moins pour une acception latine de la relouitude. Le Lorem ipsum, qui tire son nom des deux premiers mots qui le composent – ou Ipsum, dans sa forme devenue générique – est le nom que l’on donne dans le monde du graphisme au « faux-texte » utilisé pour travailler la mise en page d’un document. On parle aussi de texte de substitution, ou texte provisoire. Il sert souvent de matière brute pour poser une charte graphique, avec sa mise en page, ses gabarits, ses blocs de texte, marges, espacements, interlignes et, bien entendu, ses choix typographiques. Le but
Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor. Hodor Hodor ! Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor, Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor ; Hodor Hodor Hodor Hodor. Hodor Hodor Hodor Hodor. Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor Hodor… Hodor Hodor Hodor Hodor. Hodor ? Hodor ipsum in Papyrus
étant de produire une maquette fixe, avec ses règles et ses constantes, qui garantiront l’unité graphique d’un magazine, par exemple, sur plusieurs numéros.
Format standard Cependant, on peut se demander en toute légitimité quel est l’intérêt d’utiliser un faux texte plutôt que le texte véritablement destiné à l’article. La raison est fort simple : quel que soit le support (journal, magazine, site web, newsletter, publicité, dépliant, rapport d’activité, etc., bref, tout ce qui nécessite un travail de mise en page avec des mots), les textes définitifs arrivent toujours parfois très en retard. Alors pour gagner du temps, et surtout ne pas en perdre lorsqu’il s’agit de respecter des délais trop courts, on tire sur la feuille du document avec des balles à blanc. Autrement dit, on avance sur le maquettage avec un texte d’attente qui sera remplacé par le bon le moment venu, et ce, sans décaler la mise en page. Le Lorem ipsum servira essentiellement à calibrer les contenus, c’està-dire à décider de la longueur d’un titre, d’un chapô, d’un paragraphe, d’une page, d’un article, comme c’est le cas sur la page précédente et juste au-dessus avec le premier paragraphe, dont la longueur est précisément de 445 signes. Notons que ces signes comprennent les lettres, la ponctuation et les espaces. Avec ce faux-texte on peut donc mesurer précisément la longueur idéale d’un article en fonction de sa mise en page, et ainsi maîtriser l’espace que cet article occupera dans la globalité de la publication. Ce qui permet d’informer un rédacteur de la place dont il disposera, et par conséquent de la profondeur et du détail qu’il pourra accorder aux informations qu’il recueille.
* Cicéron, De finibus bonorum et malorum, I, 10. [32] Sed ut perspiciatis, unde omnis iste natus error sit voluptatem accusantium doloremque laudantium, totam rem aperiam eaque ipsa, quae ab illo inventore veritatis et quasi architecto beatae vitae dicta sunt, explicabo. Nemo enim ipsam voluptatem, quia voluptas sit, aspernatur aut odit aut fugit, sed quia consequuntur magni dolores eos, qui ratione voluptatem sequi nesciunt, neque porro quisquam est, qui dolorem ipsum, quia dolor sit, amet, consectetur, adipisci velit, sed quia non numquam eius modi tempora incidunt, ut labore et dolore magnam aliquam quaerat voluptatem. Ut enim ad minima veniam, quis nostrum exercitationem ullam corporis suscipit laboriosam, nisi ut aliquid ex ea commodi consequatur? Quis autem vel eum iure reprehenderit, qui in ea voluptate velit esse, quam nihil molestiae consequatur, vel illum, qui dolorem eum fugiat, quo voluptas nulla pariatur? [33] At vero eos et accusamus et iusto odio dignissimos ducimus, qui blanditiis praesentium voluptatum deleniti atque corrupti, quos dolores et quas molestias excepturi sint, obcaecati cupiditate non provident, similique sunt in culpa, qui officia deserunt mollitia animi, id est laborum et dolorum fuga. Et harum quidem rerum facilis est et expedita distinctio. [...]
« Pour vous faire mieux connaître d’où vient l’erreur de ceux qui blâment la volupté, et qui louent en quelque sorte la douleur, je vais entrer dans une explication plus étendue, et vous faire voir tout ce qui a été dit là-dessus par l’inventeur de la vérité, et, pour ainsi dire, par l’architecte de la vie heureuse. Personne [dit Épicure] ne craint ni ne fuit la volupté en tant que volupté, mais en tant qu’elle attire de grandes douleurs à ceux qui ne savent pas en faire un usage modéré et raisonnable ; et personne n’aime ni ne recherche la douleur comme douleur, mais parce qu’il arrive quelquefois que, par le travail et par la peine, on parvienne à jouir d’une grande volupté. En effet, pour descendre jusqu’aux petites choses, qui de vous ne fait point quelque exercice pénible pour en retirer quelque sorte d’utilité ? Et qui pourrait justement blâmer, ou celui qui rechercherait une volupté qui ne pourrait être suivie de rien de fâcheux, ou celui qui éviterait une douleur dont il ne pourrait espérer aucun plaisir ? Au contraire, nous blâmons avec raison et nous croyons dignes de mépris et de haine ceux qui, se laissant corrompre par les attraits d’une volupté présente, ne prévoient pas à combien de maux et de chagrins une passion aveugle les peut exposer. J’en dis autant de ceux qui, par mollesse d’esprit, c’est-à-dire par la crainte de la peine et de la douleur, manquent aux devoirs de la vie. Et il est très facile de rendre raison de ce que j’avance. »
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Par ce moyen, on a pu établir des formats standards d’écriture en fonction du nombre de signes et fixer un étalon très utile pour la rédaction à la pige : le feuillet de 1 500 signes, qui sert de référence à la rémunération des pigistes (de même que pour les traducteurs et les correcteurs). Sur cette base de calcul on peut alors dire ou entendre : « T’as trois feuillets pour ton papier, pas plus… », « 4 500 signes ? Mais qu’est-ce que tu veux que j’aie le temps de raconter en 4 500 signes ? », ou encore « Ton texte est trop long, ce serait sympa que t’enlèves 500 signes ». Et ça, c’est pour la formulation courtoise, quand on a le temps de demander poliment. Dans la presse quotidienne, là où les cadences sont plus rudes, si le texte dépasse du cadre, les paragraphes en trop sont coupés sans sommation en commençant par la fin. C’est pourquoi on apprend aux journalistes à écrire des articles « en entonnoir », ou comme une « pyramide inversée » : en progressant du message essentiel jusqu’aux détails. Les études de sondage vont dans le même sens que les sabres : peu importe le type d’article, 20 % des lecteurs abandonnent après le chapô, et seulement 30 % subsistent pour un papier de plus de cinq paragraphes. Alors si en plus on démarre avec un titre en latin, c’est sûr qu’on ne retiendra plus que l’attention de la famille proche et des amis de cœur.
Latineries Pourquoi utiliser le latin ? Parce que les graphistes sont de fins latinistes, voilà tout. Si le français était la langue de la diplomatie au XVIIe siècle, le latin est toujours celle de l’imprimerie et par extension du design graphique. Rien de plus logique finalement : à
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force de mettre en page les textes des grands penseurs romains et les œuvres de références de la philosophie antique, traduites en latin par les érudits scolastiques du Moyen Âge, les « ouvriers du livre » ont naturellement intégré, par capillarité, le latin à la perfection. Et si certains graphistes d’aujourd’hui peuvent encore faire quelques fautes d’inattention en français, ils s’expriment en latin médiéval sans le moindre accent. Bien entendu, ceci est complètement faux. Comme ce faux-texte latin lui-même qui ne veut d’ailleurs pas dire grand-chose. La source originelle du Lorem ipsum se trouve dans une œuvre de Cicéron datant de 45 avant J.-C. : De finibus bonorum et malorum [Des suprêmes biens et des suprêmes maux], livre I, chapitre 10, paragraphes 3233. C’est à un agrégé de lettres classiques, justement, que l’on doit cette découverte : en travaillant sur des usages peu courants du latin dans cet extrait et en s’intéressant à certains mots rares, tels que consectetur, le professeur est parvenu à remonter jusqu’à l’origine et à isoler le passage. Quant à son usage dans l’édition, l’histoire raconte qu’il remonte au XVIe siècle, lorsqu’un imprimeur rassembla des morceaux de textes pour réaliser un livre specimen. On imagine alors qu’il avait imprimé le De finibus quelque temps plus tôt, que des pages d’épreuves traînaient aux pieds de la presse et que les caractères mobiles étaient encore en place sur une plaque. Pourquoi pas. Plus tard, dans les années 1960, le fabricant de lettres adhésives Letraset eut l’idée de reprendre la formule pour ses lignes de caractères sur feuillets transparents, ce qui participa grandement à la renommée de la citation. Et de nos jours, elle s’est démocratisée auprès de tous les professionnels de l’édition,
Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn. Nawgah’n fhtagn grah’n ngAzathoth cgrah’n Cthulhuyar k’yarnak, hupadgh syha’h fhtagnnyth throdnyth ph’’fhalma ng’fhalma grah’n zhro f’Tsathoggua n’gha naflsll’ha zhro, kn’a nw nog shugg kadishtu uln sgn’wahl Hastur y-phlegeth lw’nafh wgah’n. Zhro kadishtu Tsathoggua s’uhn shugg ron kadishtu shtunggli, nguaaah shtunggli Hastur goka shogg ooboshu, ehye gof’nn ah Chaugnar Faugnyar shtunggli ngphlegeth. Cthuvian Ipsum in American Typewritter.
Lorem Ipsum
et même plus largement encore auprès de tout utilisateur d’un logiciel de mise en page (cf. Texte > Remplir avec le texte de substitution, dans InDesign). L’intérêt du latin, dans ce genre d’exercice, est qu’il est tellement inhabituel d’en lire de nos jours que lorsqu’on en voit, il détonne, il saute aux yeux. C’est alors plus facile de s’assurer à la relecture que tout le texte de remplacement a bien été remplacé à son tour. Autre avantage : puisque le commun des mortels ne comprend pas le latin, il va forcément se désintéresser du contenu pour se focaliser sur le contenant uniquement, sur la forme. Ainsi, pour valider l’aspect formel d’une maquette, les variantes de typo, d’emplacement, de titraille, etc., il est plus commode de s’extraire du sens pour ne juger que l’aspect. On peut alors se demander si notre imprimeur du XVIe a vraiment pris le texte de Cicéron au hasard. Parce qu’à son époque, dans ce milieu-là, on en comprenait parfaitement le sens. Et le fait que ce futur texte de référence soit finalement extrait d’un traité de morale, qui enseigne que les plus grands bonheurs s’obtiennent uniquement par l’usage assidu et régulier de la vertu, laisse à penser que ce choix n’est peut-être pas si naïvement anodin…
Ipsum factum Si on compare le Lorem ipsum, traditionnellement utilisé, avec le passage de Cicéron, on constate qu’ils sont en réalité très différents. (Ce qui explique que les universitaires n’aient pas tout de suite identifié la paraphrase.) Les mots sont raccourcis, les phrases tronquées, les terminaisons abrégées, les préfixes et suffixes sautent parfois, et le résultat donne un assemblage qui n’a véritablement plus aucun sens*.
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Certains s’amusent à truffer le Lorem ipsum classique de petites cochonneries ou de blagues, ce qui peut prendre l’aspect d’un pari collégial et ajouter une bonne dose de piment lors d’une présentation à un client. D’autres inventent carrément leur propre générateur d’ipsum, à base de scripts avec des pépites : Jean-Claude Vandamme ipsum, Cthulhu ipsum, Batman ipsum, Minion ipsum, Samuel L. ipsum, Star Trek ipsum, Zombie ipsum, Hipster ipsum, Borat ipsum... et le top du top, Hodor ipsum. Au bout du compte, on peut faire du faux-texte avec n’importe quoi. Car en définitive, le principal est bien d’abord de remplir la page.
Texte : Jean Tourette
Interlude
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Bon ou mauvais ménage ? Le ménage en chiffres
Nettoyer, balayer, astiquer, les tâches ménagères sont les compagnons de toute une vie. La poussière resurgit toujours d’on ne sait où tandis que la vaisselle s’amoncelle inlassablement au fond de l’évier. Pas de doute, les activités domestiques apparaissent, de prime abord, comme une contrainte bien relou. Mais si l’on dépoussière la question et que l’on change de perspective, ne peut-on pas envisager le ménage comme un cadeau du destin ? Et si le balai nous menait sur le chemin du bonheur ?
relou
93 % Des Français perçoivent le ménage comme une obligation 7 Français sur 10 Considèrent le ménage comme une corvée
pas relou
3,1 H Temps consacré en moyenne chaque semaine au ménage
47 % Des Français apprécient de faire le ménage, source de satisfaction personnelle Après avoir fait le ménage, 72 % Des Français invoquent le sentiment du devoir accompli & 61 % Une image positive d’eux-mêmes
7% Des Français disent même éprouver du plaisir à faire le ménage 50 % Des Français font le ménage en musique
Répa r t i tio n
La répartition des tâches dans les couples français en 2018 : à quand la révolution ménagère ?
TRIER LE LINGE & LANCER UNE LESSIVE REPASSER
LAVER LES SANITAIRES BRICOLER
SORTIR LES POUBELLES
Hommes déclarent
Femmes déclarent
21 % 20 % 22 % 71 % 55 %
83 % 81 % 78 % 11 % 21 %
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Illustration : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler
Le palmarès du chiffon Tâches ménagères préférées des Français passer l’aspirateur (52 %) et faire la vaisselle (48 %)
Tâches ménagères rechignées
passer la serpillère (21 %) et faire la poussière (16 %) En bon dernier, dans son petit coin : récurer les toilettes (7 % des voix)
Le top des excuses « Je le ferai demain »
« Je n’ai pas les compétences »
« Je l’ai fait la dernière fois, c’est ton tour »
un bon classique pour 52 % des Français procrastinateurs
une tentative pour se dérober invoquée par 32 % des hommes
un besoin d’alternance exprimé par 31 % des femmes
Bric-à-brac de réflexions ménagères
Manger, bouger… et faire le ménage ! Flemme récurrente à l’idée de sortir faire du sport ? Le ménage en pilou pilou chez soi est peut-être la solution ! La très sérieuse revue anglaise “British Journal of Sports Medicine” a ainsi dévoilé en 2008 les résultats d’une vaste étude concluant que 20 minutes de ménage étaient aussi bénéfiques pour notre santé mentale et physique que 20 minutes de jogging.
En désordre, et alors ?
Le ménage, la clé du bonheur ?
Jean Paul Filiod, anthropologue français, explique que le désordre est inhérent à la vie domestique. Celui-ci permet de qualifier nos espaces. Culturellement, certains désordres sont admis voire valorisés (la chambre de l’enfant est une expression de sa créativité et la piaule d’un ado est par nature un fatras) tandis que le désordre adulte est synonyme de saleté. Qui n’a pas dit en accueillant ses amis « désolé, ne faites pas attention au désordre » ou planqué en despi ses affaires éparpillées ? Mais le désordre n’est pas si grave. L’ordre n’est que temporaire et le désordre pourrait même être valorisé comme une manière d’être. Ainsi, le « bazar organisé » est un mode de fonctionnement. Alors, vive le bordel !
Pour trouver la paix intérieure, il serait bon de mettre de l’ordre chez nous. Cette injonction de vie a le vent en poupe, assénée sur les couvertures des ouvrages de développement personnel. Papesse du sujet, considérée par le Time comme l’une des 100 personnalités les plus influentes du monde en 2015, Marie Kondo est une auteure japonaise, dont l’ouvrage « La magie du rangement » fait référence (plus de 8 millions d’exemplaires vendus !). Sa méthode KonMari est une invitation au « Less is more ». Désencombrer puis ranger pour ne garder que les objets qui nous « mettent en joie » serait la clé de la sérénité. Aimez vos chaussures comme des amies, remerciez votre plaid pour sa douceur maternelle et détachezvous donc de ce plat moche qui ne rentre même pas dans votre four.
Discussion
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Gerry, the ultimate slow movie experience Dans le genre relou, le Gerry de Gus Van Sant se pose là. Mais ne vous y trompez pas, cette interminable rando dans le désert vaut largement le détour (ou la dérive). Voici pourquoi.
Clément Arbrun
Le film chiant est la base du relou way of life. Et dans le genre, Gerry fait très fort. Le neuvième long-métrage de Gus Van Sant nous conte la déroute de Gerry et Gerry (Matt Damon et Casey Affleck) dans le désert américain. Qu’importe s’ils sont à la recherche d’une party ou du temps perdu, car le spectateur est aussi paumé qu’eux. GVS fait du « less is more » : Wilderness Trail, une équipe technique réduite au minimum, un tournage de quelques semaines et un scénario inexistant. Résultat ? Un film méditatif où l’on marche et respire entre désert caillouteux, immense ciel bleu et soleil qui crame la peau. Contemplatif, aérien, grave. CHIANT ? Yep. Mais riche de sens, à l’image de l’énigmatique étoile imprimée sur le t-shirt noir de Casey Affleck. Oui, vous pouvez roupiller devant Gerry. Mais croyez-moi, le film est bien moins aride que les terres que nos héros foulent du pied. C’est parce qu’il est si lent qu’on a le temps de l’explorer. Gerry, c’est une toile de musée sur laquelle on aime s’appesantir. Un film post-apo où un binôme de survivants en plein exode abandonne son Interceptor pour crever à l’autre bout du monde – le seul truc mécanique étant les huit cents mètres de rails de travelling posés hors champ. Non, attendez, c’est un film de zombies. Lorsqu’il déambule (très) lentement, le pas boiteux, au sein d’un désert inondé par la lumière bleutée d’un coucher de soleil, Casey Affleck semble émerger d’un film de George Romero. À moins que Gerry (expres-
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sion de jargon US signifiant « le mec raté ») soit un épisode inédit de Beavis & Butthead qui nous colle aux basques de deux débiles au langage rudimentaire, piétinant le sable sans savoir pourquoi. Le vocabulaire élargi de Matt Damon (« That’s pretty good ») et cette scène saugrenue où Casey Affleck manque de se péter les jambes en sautant du haut d’un gros rocher vont dans ce sens, tout comme ce curieux éloge du critique Jean-Philippe Tessé, qui dans Les Cahiers du cinéma voit en l’œuvre « un météore chevauché par deux Ducons ». Amusant quand on se souvient que Van Sant portait sur le tournage des jeans troués d’ado grunge (le making of nous le dévoile) tout en affirmant aux médias : « je suis un cinéaste qui refuse le style MTV ». Vous pensez encore que Gerry est le film-chiant définitif ? Pourtant, s’il y a bien une œuvre où Matt Damon n’est qu’un corps survolté, c’est celleci. Tout juste sorti de son rôle de Jason Bourne, il est un corps qui s’essouffle, s’assoiffe et s’épuise jusqu’au point de rupture, au sein d’un récit à suspens en pénurie de résolution. Bref, plus qu’un un road trip sans routes, Gerry est un film d’action à la Tony Scott. Ultime twist : ce n’est en rien un délire pour hipsters. Pour Gus Van Sant, refuser les diktats du découpage cinématographique classique revient à faire un bras d’honneur à l’industrie. « Je sais faire du cinéma traditionnel et je veux tout déconstruire », décochait l’anar à Libération avant d’expliquer : « Quand un personnage doit marcher du terrain de football vers un bureau dans l’école, je le montre. Le scénario et les
Car on le pensait plus slow life qu’un cours de yoga, mais Gerry est un manifeste no future, une sorte de rock and roll suicide.
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règles ordinaires du montage (champ/ contre-champ) sont les instruments de pouvoir des décideurs des studios qui peuvent à leur guise infléchir n’importe quel projet. » Qu’importe si cette monotonie fout nos nerfs en pelote. Car on le pensait plus slow life qu’un cours de yoga, mais Gerry est un manifeste no future, une sorte de rock and roll suicide. Gerry, c’est Anarchy in the USA ! Sous le soleil qui brûle se consume un brûlot punk. Aussi lent qu’une agonie, Gerry est une œuvre ouverte : elle dévore tout. La mythologie, le cinéma des années soixante-dix (celui d’Antonioni), la filmographie de Matt Damon, vos doutes existentiels. Si Gus Van Sant fait du bleu la couleur principale du film (celle du générique, du ciel, du keffieh de Gerry) c’est pour mieux marcher sur les pas d’Yves Klein, qui peignait ses fameux monochromes bleus afin de « sentir l’âme sans l’expliquer, sans vocabulaire, et représenter cette sensation ». Comment mieux définir ce film ? Plutôt que de le comprendre, le public – comme nous ici – le
déconstruit. C’est le cas de Mondo Glitch, internaute qui en août 2017 postait sur YouTube ses cent longues minutes, bidouillées façon glitch art. Pixellisée et saturée à l’extrême, l’image originelle du directeur de la photographie Harris Savides est parasitée par des rayures et fissures rouges et vertes, buggée et défragmentée au possible. Ne reste plus qu’un chaos au look destroy, dont les instants de marche rythmés au bruit des pas (crounch crounch crounch crounch) sonnent comme de l’ASMR. Peut-être que si l’on modifie suffisamment Gerry, il n’en restera plus que ce vers quoi GVS tend magnifiquement : le néant. Sombrant dans les abîmes, nous n’aurons plus qu’à nous délecter du vertige. Ce vertige c’est celui du film lent, quel qu’il soit, qui nous offre la possibilité de nous arrêter un moment, entre deux notifications et métros, afin de réapprendre à voir. Et peut-être, à vivre.
Texte : Clément Arbrun Images : Kiblind
Films chiants mais chouettes Le Genou de Claire d’Éric Rohmer Ah, le cinéma de Rohmer, ses plages de dialogues, ses jeux de l’amour et du hasard, son érotisme fragmentaire. À redouter un prototype du chiant frenchie, on raterait un concentré de vie aussi charnelle qu’intellectuelle. Le pied.
Rencontre avec Joe Black de Martin Brest Nostalgie. À l’époque, on pensait que faire tourner Brad Pitt dans de longs films était une bonne idée (coucou, Sept ans au Tibet). Résultat, l’affection que l’on porte à cette fable nunuche est aussi insensée que sa durée (trois heures) ou que cette punch’ : « Pense à des millénaires multipliés par l’éternité, ajoutés aux temps immémoriaux. »
Empire d’Andy Warhol Un plan fixe de huit heures sur l’Empire State Building, shooté depuis les bureaux de la Rockefeller Foundation... et c’est tout. Oui, il y a le Andy Warhol du pop art. Puis il y a celui des plans fixes interminables sur des immeubles, des gens qui dorment ou s’embrassent. Un prototype du chiant arty pour public du MoMa.
Doutes de Yamini Lila Kumar Des nanars français sur fond politique, il y en a pléthore - citons Le Désirable et le Sublime de José Bénazéraf. Doutes place la barre très haut en mixant Christophe Barbier, Benjamin Biolay et Sarkozy. Aussi slow que jubilatoire dans l’incongruité même de son existence. « Ce drame bobo ferait un bon sketch des Inconnus » dixit Paris Match.
Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein Le ciné-club vous fait fuir ? Pourtant, ce classique de 1925 est le produit le plus pop de toute l’histoire de l’Union soviétique. Sa scène du landau a été pastichée des Incorruptibles aux Simpson, de Woody Allen aux ZAZ. POP, on vous dit !
All my movies de Shia LaBeouf Novembre 2015 : Shia LaBeouf se cale sur un fauteuil de l’Angelika Film Center et décide de visionner l’intégralité de sa filmo. Durant trois jours. Entre ronflements, grimaces et rires. Retranscrit sur le web en live, ce happening-marathon est aussi démesuré que magnifique.
Enquête
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Article compte triple
Le Scrabble est-il l'activité la plus relou du monde, en particulier lorsqu'elle associe des geeks du dictionnaire, des biscuits ramollis et des silences longs comme l'hiver ? Pas du tout. D'ailleurs, son 70e anniversaire n'a rien à voir avec l'âge de ses adeptes, ni à la capitale ni au pays des volcans.
Enquête
Forum des Halles, 10 novembre. Comme chaque samedi, le ventre de Paris compte double. C'est au cœur de ses entrailles que Mattel, le créateur de la poupée Barbie, s'est installé pour célébrer le 70e anniversaire d'une autre poule aux œufs d'or mais à la tête bien faite : le Scrabble. Le géant américain, deuxième fabricant de jeux au monde derrière LEGO, n'a pas trop lésiné sur les moyens pour squatter la Canopée avec une scénographie inspirée de sa boîte collector, noire, blanche & dorée. Les gens intelligents et les bêtes curieuses peuvent ainsi s'y croiser, comme dans la vie, entre une exposition retraçant l'histoire du Scrabble, un atelier de création de lettres personnalisées, des plateaux de jeu, des champions du monde, un tout petit peu moins connus que leurs homologues du football. Michel Charlemagne, par exemple, est le premier Français à avoir décroché le titre, en 1974. « C'est extraordinaire, se réjouit l'animateur de l'événement, également en Facebook Live : il a aussi été champion, en paire,
avec Agnès Lempereur ; ça faisait Lempereur-Charlemagne... ». Lol, 3 lettres, approuvées depuis 2012 par le dictionnaire. « Le Scrabble évolue en permanence, commente Marie-Odile Panau, Présidente de la Fédération Française (15 000 licenciés), avec les mots, les nouvelles technologies et les communautés
L'inventeur du Scrabble, d'abord appelé Lexiko, Alph, It puis CrissCrossWords, éplucha entièrement une couverture du New York Times pour analyser la distribution précise des lettres et en déduire la valeur de chacune. de joueurs que nous cherchons naturellement à rajeunir. » Le happening parisien est d'ailleurs fait pour le montrer avec une pièce montée, depuis quelques semaines, sur plusieurs étages. En septembre, Mat-
tel lance une énigme quotidienne sur les réseaux sociaux pour faire gagner 70 boîtes anniversaire à sa communauté de 4 millions d'abonnés. Au cœur du Forum, le public peut également voter pour son mot préféré, parmi une liste de vieuxjeunes, dont « relou » a été injustement écarté au profit de « kéblo », « tarpin » ou « chanmé ». Lors de notre passage, « schlag » était assez loin devant. Quant à Samson Tessier, l'un des nouveaux espoirs du Scrabble français, il a revêtu le t-shirt officiel de l'opération pour une démonstration de « topping » : un mode « spectaculaire », seul face à son écran, consistant à faire le maximum de points en un minimum de temps. Felix Baumgartner n'aurait pas mieux inventé. Le premier Scrabble a été commercialisé en 1948 aux Etats-Unis, mais il trouve réellement ses racines dans les dommages collatéraux de la crise de 29. Alfred Mosher Butts, architecte new-yorkais contraint au chômage, invente le concept dont il changera le nom comme on change ses lettres : Lexiko, Alph, It, CrissCrossWords... Cela ne signifie pas qu'il s'ennuyait, pas davantage lorsqu'il éplucha entièrement une couverture du NY Times pour analyser la distribution précise des lettres et en déduire la valeur de chacune. En 1948, James Brunot, un entrepreneur américain, lui rachète le jeu, en échange d'une redevance : il le renomme Scrabble et fabrique les premières pièces. Au pays de Mickey, la belle histoire veut que le directeur de Macy's, le plus grand magasin de New York, ait découvert le jeu pendant ses vacances et soit rentré furieux en constatant qu'il était absent de ses rayons. Ainsi le Scrabble entra, un temps au moins,
Article compte triple
dans l'histoire de la hype, avant de s'exporter dans le monde entier. La première édition francophone date de 1955 et intègre notamment les villages du Club Med, qui concourent largement à son succès populaire. Aujourd'hui comme hier, il ne s'est jamais démenti : plus des deux tiers des foyers possèdent une boîte de jeu et la moitié des Français l'exhume au moins une fois par an. Au total, en soixante-dix ans de carrière, plus de 150 millions Scrabble ont été écoulés dans 120 langues et les combinaisons fructueuses n'ont évidemment pas bougé : 482 points pour un whiskey bien placé, accolé à un S ; et 1797, en langue française, pour « déshypothéquiez », dont la définition, le positionnement et la combinaison de lettres restent incompréhensibles, sans paracétamol, pour notre petite tête.
Open de France « On ne joue pas au Scrabbeul ici, on joue au Scrabble ! ». Un peu plus et on se ferait démonter par le Président
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du Comité auvergnat qui affûte son humour comme un couteau de Laguiole. Bienvenue au Courty Club de Chamalières, une petite ville cossue à la lisière de Clermont, où les Giscard d'Estaing règnent - ou presque - depuis plus de cinquante ans. La commune accueille ce week-end l'Open de France de Scrabble classique dans un bâtiment municipal, à forts néons, également partagé en semaine avec le club local de bridge. Nous y entrons, par la voix basse, car une cinquantaine de joueurs, toutes générations et régions confondues, s'est déjà plongée dans l'ambiance monacale du tournoi : un marathon de 12 parties en face-à-face, sur deux jours, dont les meilleurs repartiront avec un panier garni de produits d'Auvergne. « Au Scrabble, clairement, on n'est pas là pour l'argent : même dans un grand tournoi bien doté, les vainqueurs empochent quelques centaines d'euros au maximum. » Cédric Guiraud, Président du Club de Scrabble de Chamalières, est l'organisateur de l'événement, en
lien avec le Comité régional et la Fédération. « Le Scrabble classique, en compétition, est proche de celui que vous connaissez, si ce n'est que les joueurs ont un temps limité (20 minutes chacun) pour placer toutes leurs lettres. C'est différent du duplicate, la forme sportive la plus répandue : à partir d'un même tirage, chaque joueur a 2 ou 3 minutes, selon les versions, pour marquer le plus de points sur un mot ». Le Scrabble duplicate se pratique ainsi de façon individuelle (ou en paire) avec un nombre illimité de joueurs, en réel ou en réseau. Marie-Odile
Enquête
Panau peut en témoigner après avoir bravé, comme nous, les gilets jaunes et le pire de l'automne pour l'ambiance polaire de Chamalières. « Les grands festivals de Scrabble, à Aix-Les-Bains, Cannes, Vichy, Biarritz ou La Rochelle, se déroulent sur plusieurs jours et réunissent des centaines de joueurs, parfois plus d'un millier, qui viennent de toute la France, des îles et de l'étranger » . Ces rendez-vous annuels continuent de faire le plein, ce qui s'explique aussi par leurs endroits pas vilains. « Les Scrabbleurs viennent en festivals mais aussi en vacances, comme à Biarritz où ils jouent face à la mer. À Aix-Les-Bains, le casino est mis à disposition, entièrement et gratuitement, car la ville a bien compris que les joueurs sont aussi des touristes, surtout en basse saison. » Le Scrabble est-il l'apanage des stations thermales et des inactifs sans âge ? Pas du tout, explique Cédric, prêt à dégainer autant de bonnes raisons que de lettres dans l'alphabet. « On peut être performant dès
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l'âge de 10 ans et c'est une activité qui valorise globalement la jeunesse, puisqu'elle requiert à la fois de la mémoire, du calcul mental et de la rapidité d'analyse ». Comme de nombreux passionnés, il s'est d'ailleurs fait entraîner par son fils, avant de prendre ses responsabilités dans le club local. « À Chamalières, on a plusieurs espoirs du Scrabble français : ils se sont d'ailleurs fait remarquer lors du dernier championnat d'Europe, à Lausanne ! » Samson Tessier, par exemple, fait partie de cette nouvelle garde auvergnate, définitivement concentrée dans la pièce d'à côté. Une « ronde » vient de démarrer comme une sorte de tournante policée à chaque changement d'adversaire. Les joueurs se serrent la main, les mouches sont sur le tarmac, prêtes à s'envoler, les pièces se secouent dans un petit sac, toujours au niveau de la tête (« pour ne pas tricher, hein ! »). Puis les 7 lettres s'enchaînent, de part et d'autre, comme si c'était tout à fait ordinaire. On entend seulement les petits clapotis, comme aux
« Il y a de très belles lettres dans ton mot, mais la deuxième condition au Scrabble, c'est que ça veuille dire quelque chose. C'est chiant comme tout, je te l'accorde, mais ça rend la partie un tout petit peu plus intéressante ».
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échecs, sur les pendules de table. Si quelqu'un a mal digéré son triangle de midi, ce n'est clairement pas le moment.
K.A.W.A.X. Ah, enfin une baston ! 17h51, table 13, une belle engueulade entre esprits éclairés vient subitement renverser le régime de la majorité silencieuse. On n'a rien compris de l'affaire, sûrement parce qu'il s'agit d'un mot absent de notre vocabulaire ; mais on accourt, courageusement, au plus près du conflit. Personne d'autre ne lève la tête, tout juste entend-on quelques « chut » aux quatre coins de la salle. Le président du comité régional, également maître de cérémonie ce weekend, intervient finalement : pas pour séparer les deux scrabbleurs (loin s'en faut), mais pour les convoyer jusqu'à l'ordinateur de contrôle, à l'entrée du plateau, qui permet de vérifier la validité d'un mot litigieux. Au-delà de cet épisode, qui n'aura finalement pas déclenché de troisième guerre mondiale, l'outil est partie intégrante de la compétition : c'est au joueur qui conteste un terme de le faire vérifier, au risque une pénalité de 5 points si le moteur l'accepte. Ainsi, pendant chaque partie, un ballet assez incessant se forme devant la machine, rejetant instantanément les mots kamoulox et identifiant, à l'inverse, les hérauts du dictionnaire. Un jeune joueur, qui n'a peut être pas la quinzaine, échoue sur « raiki », mais « innue » est accepté, sous nos yeux, pour un autre. La scène rappelle inévitablement Le Scrabble de Pierre Palmade - époque nuque longue et chemise satin - qui a marqué les esprits dans ce petit monde de lettres. Le sketch met en scène une famille banale en train de jouer, dont le fils de 11 ans enchaîne les bons coups
(« érection », « fellation », etc.) et la mère lâche des néologismes aussi bankable que « Kawax »... « Oh oui, il y a de très belles lettres dans ton mot, mais la deuxième condition au Scrabble, c'est que ça veuille dire quelque chose. C'est chiant comme tout, je te l'accorde, mais ça rend la partie un tout petit peu plus intéressante ». Faut-il apprendre l'intégralité du Petit Larousse illustré, la balise officielle du Scrabble francophone, pour devenir un bon joueur ? Pour certaines pratiques, comme le duplicate, cela reste un atout majeur car il n'est pas question ici de stratégie ni d'interaction avec le jeu de l'adversaire. Il y a aussi Nigel Richards, le meilleur joueur du monde et de tous les temps, que Cédric Guiraud qualifie carrément d' « extraterrestre » malgré un physique à la croisée de Rain Man et du Yéti. Ce Néo-Zélandais a tout balayé dans la compétition internationale avant d'apprendre le Français et le dictionnaire, en seulement deux mois et de devenir champion du monde dans la foulée. « Le roi ne sera pas
là, en 2020, à La Rochelle, donc ce sera vraisemblablement plus ouvert ! ». L'avant-dernière ronde de la journée est en passe de se terminer. Les plus précoces suivent les résultats sur l'écran géant, dans la bonne humeur, pendant que les derniers tentent de liquider leurs ultimes boulets en forme de K ou de W. Nous nous esquivons, toujours à demi-mot, sans parler aux « jeunes » que Cédric tenait à nous présenter. Il pourrait être 4 heures du matin, il est seulement 19h00. Dehors Chamalières dort, comme si elle avait simplement oublié de se réveiller. Sans chômeur, le Scrabble n'aurait peut être jamais fait fortune. Et sans l'automne, sans la bruine glaçante, sans le brouillard sur l'autoroute, sans le barrage devant le péage, sans les mots ennuyeux qui restent dans la tête, sans la bande FM qui est la seule à fonctionner, cette journée debout aurait peut être été un peu moins relou.
Texte et photos : Gabriel Viry
Interlude
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Relou, mode d’emploi Ce qui est bien avec le relou, c’est qu’il qualifie tout, les situations comme les personnes. Pas de distinction sur l’autel du casse-pied, toute chose est invitée ! Qu’on cherche à l’expliquer, qu’on le provoque voire l’incarne, ou qu’on l’expérimente, le relou a cette petite teinte de quotidien qui allège sa lourdeur. Il nourrit les discussions de machine à café, pimente une vie trop lisse et nous rappelle qu’heureusement…tout n’est pas relou !
THÉORIE
TOP 5
Théorisation de l’événement relou
des événements relou du quotidien*
Développée par Edward A. Muprhy Jr, un ingénieur aérospatial américain, la loi de Murphy promet que « tout ce qui est susceptible de mal tourner, tournera mal ».
La loi de l’emmerdement maximum va plus loin en expliquant que quand quelque chose tourne mal, quelque chose de pire arrive toujours à ce momentlà. Typiquement, vous n'avez pas de parapluie un jour d'averses ; une voiture vous éclabousse au feu rouge ; un pigeon se soulage ensuite sur votre épaule.
Applications quotidiennes
La célèbre loi de la tartine beurrée affirme qu’« une tartine beurrée tombe toujours sur le côté beurré ». Cela se vérifie également avec les tartines beurre + confiture ou beurre + miel.
Dans le monde du travail, l’effet démo est la garantie d’une merde informatique au cours d’une présentation importante, alors que votre ordinateur fonctionnait comme une fusée deux heures avant.
La loi de Boob énonce que « vous ne retrouverez quelque chose qu’au dernier endroit où vous le chercherez ». Typiquement ses clés ou ses lunettes le matin.
5. Les problèmes de sousvêtements de pieds : trou dans la chaussette, collant qui se file 4. Se tromper d’un chiffre ou d’une lettre dans la nouvelle clé internet 3. Les portes du bus ou du métro qui se ferment juste devant toi, naturellement le jour où tu étais déjà un retard 2. L’ordinateur qui bug alors que le fichier de travail, quasi terminé, n’était pas enregistré 1. Faire une faute de frappe tendancieuse dans un texto et l’envoyer. Pire encore, envoyer un texto pour bitcher sur une personne… à ladite personne. RELOU ! *Source : étude menée par l’institut Kiblind auprès d’un panel de 3 personnes
ÉVOLUTION DE LA PERCEPTION DU RELOU DIRE AU REVOIR À L’AUTRE DEVANT LE COLLÈGE PASSER SA VIE SUR SNAPCHAT DEVOIR SE COUCHER PRENDRE UNE CUITE
Enfants + Ados
Parents
RELOU
PAS RELOU
PAS RELOU RELOU PAS RELOU
(MAXI POTENTIEL DE STORIES SUR INSTA)
RELOU
(NE RIEN COMPRENDRE ET SE SENTIR IEUV)
PAS RELOU (ENFIIIIN) RELOU
(MAXI POTENTIEL DE VOMITO LE LENDEMAIN)
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Illustration : Agathe Bruguière Texte : Alix Hassler
PENSEZ-VOUS AVOIR DÉJÀ ÉTÉ RELOU ? VOUS ÊTES RELOU RELOU !
OUI
NON
JAMAIS !! ET JE DETESTE CEUX QUI LE SONT !
PAR EXEMPLE, ÊTES VOUS SOUVENT EN RETARD ? RAREMENT OU SINON JE PRÉVIENS
CE N’EST PAS VRAIMENT DU RETARD, JE PRÔNE LA SLOW LIFE VOUS ÊTES PROBABLEMENT RELOU… ! éternuer sans mettre la main devant la bouche
EN PARLANT DE CINÉMA, AVEZ-VOUS DÉJÀ COMMENTÉ UN FILM EN LIVE ?
BIEN SÛR, J’ADORE RÉAGIR EN DIRECT !
JAMAIS DE LA VIE !
MES SEULES INTERACTIONS SONT ÉVENTUELLEMENT DE DEMANDER À MON VOISIN DE SE DÉCALER POUR ALLER AUX TOILETTES
JE ME CONTENTE DE MANGER DES POP CORN ET AU MILIEU DU FILM, J’ADORE M’OUVRIR UNE CANETTE DE SODA
EN PARLANT DE TOILETTES, VOUS ARRIVE-T-IL DE TERMINER LE ROULEAU DE PAPIER ET DE NE PAS LE REMPLACER ?
DÉSO, VOUS ÊTES RELOU
J’AI TOUJOURS UN COUP ET DEUX ROULEAUX D’AVANCE
JAMAIS, CAR MA TECHNIQUE EST DE LAISSER DEUX FEUILLES POUR NE PAS AVOIR À M’EN OCCUPER ;)
SERIEZ VOUS PARFAIT ? EFFECTIVEMENT JE LE CROIS JE L'AVOUE JE FAIS LES 3 RÉGULIÈREMENT VOUS ÊTES UN PEU RELOU MAIS C'EST NORMAL
NON
NON JAMAIS ! JE PENSE QUE J’AI MES DÉFAUTS
PAR EXEMPLE, VOUS SERVEZ-VOUS EN PREMIER À TABLE ? PESTEZ-VOUS QUAND IL Y A UN ENFANT DANS VOTRE WAGON DE TRAIN ? ÉCOUTEZ-VOUS DE LA MUSIQUE TROP FORT À 3H DU MAT ?
MEA CULPA, L'UNE DES 3 SITUATIONS A PU M'ARRIVER
ne pas savoir dire merci
SS
vomir ivre sur quelqu’un
VOUS ETES UN-E SACRÉ-E RELOU
TOUT LE MONDE NE FAIT PAS ÇA ?
VOUS ÊTES RELOU
OUI, MAIS CETTE PERSONNE ME PLAISAIT VRAIMENT BEAUCOUP
PAR EXEMPLE, AVEZ-VOUS DÉJÀ DRAGUÉ LOURDEMENT QUELQU'UN ?
PAR EXEMPLE, ÊTES VOUS BORDÉLIQUE ?
OUI
GLI
HEUREUSEMENT QU’ON EST AU CINÉMA CAR JE LUI FAIS LA TÊTE ET N’AI MOMENTANÉMENT PLUS ENVIE DE LUI PARLER
AT T E N T I O N , P E N T E
PAS DE PROBLÈME, IL/ELLE ME REJOINDRA DANS LA SALLE
AN
T
E
ÊTES VOUS FACILEMENT ÉNERVÉ-E PAR LES GENS EN RETARD ? EX DE SITUATION : TEL-LE AMIE-E N’EST PAS À L’HEURE POUR NOTRE SÉANCE DE CINÉMA ?
NON
RIEN DE GRAVE, RENDEZ-VOUS P.60 POUR EN SAVOIR PLUS !
Discussion
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Lourde passion On me l’a reproché, on me le reprochera sûrement encore. On m’a aussi reproché de lire de plus en plus d’obscurs ouvrages dont le lectorat doit se limiter à une poignée de spécialistes et à quelques « relous » me ressemblant. C’est une lourde passion ou une passion relou. Je me suis toujours méfié des livres, comme on se méfie d’une substance addictive. Cependant, contrairement aux substances addictives, cette substance-là nous ouvre. Arrivé en école d’art à 18 ans, mon rapport avec l’édition est encore distant, pourtant après (ou dès) mes premiers cours de graphisme une évidence m’apparaît : le livre est un objet infini. Diplômé en illustration et devenu directeur artistique en agence, je cultive le syndrome de l’imposteur… Mais le déclic, c’est la découverte du passé et d’objets passionnants pour leur relation entre forme et fond. Mon but n’a jamais été autre que l’accumulation du savoir, il n’est pas de stocker un millier d’objets sur des étagères. Ce sont, récupérés lors de mon premier emploi, des numéros de Graphis des années 1960, découpés en lambeaux et prêts à être jetés. Débutent alors des recherches pour connaître leur valeur et en trouver d’autres. Durant
Sébastien Hayez
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« le livre s’ouvre sur une réalité autre qui a été transposée dans le repli des pages. Pour autant, ils ne sont rien s’ils ne sont pas partagés avec les autres. » près de 10 ans, ma quête fut de dénicher l’intégralité des numéros, jusqu’au jour où j’ai atteint l’objectif des 280 numéros (de 1944 à 1986). Le prix fut symbolique à condition que je garde la collection intègre : 120 kg de papier transmis par un monsieur de 60 ans qui en avait hérité de son père. « C’était ça ou la benne. » Je deviens aussi malgré moi vendeur : vendre ce que j’ai en double grâce à des achats de lots, revendre pour financer mes achats, parfois pour faire de la place dans mes bibliothèques. Après cinq ans de collecte, j’ouvre le site designers-books.com. J’y montre et chronique mes lectures, puis rédige pour en apprendre davantage. Des revenus publicitaires me permettent un achat mensuel et je cherche parfois pour des contacts des pépites qui n’entrent pas dans mes collections. Car lorsque la bibliophilie se met en place, quelques thématiques apparaissent : Graphis, les numéros 1 de grands magazines de graphisme, quelques collections, des chefsd’œuvre de l’édition jeunesse illustrée. Je m’interdis d’acheter uniquement pour l’objet, aussi je lis tous les livres avant de les ranger.
Trouver un livre n’est pas difficile, ce n’est ni un travail, ni une abnégation puisqu’il y a l’excitation de l’enquêteur. J’ai une cinquantaine de requêtes enregistrées sur plusieurs sites. J’ai appris à trouver parfois sur Internet via les images, ou sur les différentes nationalités d’eBay qui ne sont pas toutes reliées. J’ai aussi appris que certains titres sont accessibles si l’on ajoute une faute de frappe, ou encore qu’un site turc de petites annonces peut être plus efficace qu’un libraire spécialisé dans l’ancien. Et si cette quête semble prenante et sans limite, il y a un juste retour. Pour chaque achat, j’ai souvent eu la satisfaction de tenir dans mes mains un objet qui m’attendait. Comme ce jour où j’ai trouvé un exemplaire sur le web du numéro 1 de Gebrauchsgraphik (1924), l’éditeur m’avait dit n’en avoir vu que dans des musées. Plusieurs fois, des achats à prix moyens sont arrivés dédicacés par leurs auteurs, que cela soit Kamekura ou Schmittel, designer pour Braun durant 30 ans. Il m’arrive encore d’acheter un lot uniquement pour un livre. Dans certains cas la surprise est totale, comme découvrir les livres de ABC Verlag, petit éditeur zurichois dont l’une des collections
Sébastien Hayez
constitue une ressource précieuse. Le véritable cadeau fut, suite à un post de blog lui étant consacré, de recevoir un jour un mail d’un des fils de l’éditeur. Nos échanges me permirent de boucler l’article que je rédigeais. De collectionneur, je deviens lentement érudit, cet être atypique qui, par le jeu du hasard et de ses goûts, va débuter une recherche. Je fais mes gammes avec un premier article pour The Shelf Journal autour de quatre grands numéros 1 de magazines modernistes, suivi d’un article sur ABC Verlag. L’une de mes dernières manies est sans but éditorial précis : la rédaction d’un mémoire de plus de 35 pages sur l’histoire des livres carrés. Pourquoi ce format était si rare dans le passé alors qu’il foisonne avec l’apparition de la modernité en art ? Voilà la cause de mon intérêt pour la conception architecturale médiévale, l’arithmologie des Pythagoriciens et l’ésotérisme antique. Le designer ancre des signes dans la matière pour faire jaillir le sens : un travail d’alchimie en somme. Mon attitude passionnée m’a coûté cher sur de nombreux plans. Le syndrome de l’imposteur est toujours actif, mais l’amour des livres et du graphisme ne m’empêche pas d’aller à la rencontre d’autres passionnés. Ainsi la quasi-totalité de mes lectures est poursuivie aujourd’hui par des échanges avec leurs auteurs internationaux. Car le livre s’ouvre sur une réalité autre qui a été transposée dans le repli des pages. Pour autant, ils ne sont rien s’ils ne sont pas partagés avec les autres. Texte : Sébastien Hayez Images : Kiblind
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À collectionner La Parade des Diplodocus Samivel, Paul Hartmann éditeur, Paris, 1933 L’Armée du Salut était à 200 mètres de chez moi. Pour 2 € j’ai eu dix livres jeunesse : du tout-venant, trois Benjamin Rabier et au milieu un Samivel en bon état, magnifique album entre BD et livre illustré. Rentré chez moi, je cherche la référence sur le web et ne trouve qu’un exemplaire à 650 €.
Publicité et graphisme dans l’industrie chimique Hans Neuburg, ABC Verlag, Zurich, 1967 Voilà un bijou de modernisme et de rigueur zurichoise et, donc, l’un des livres les plus recherchés de ma collection. Aujourd’hui vendu autour de 600 €, j’en ai trouvé 3 autres exemplaires pour Mark Blamire (designer de Trainspotting), Joe Kral (le logo de Facebook, c’est lui) et Network Osaka.
The works of Yusaku Kamekura Ogawa, Tanaka & Nagai, Rikuyo-sha Publishing, 1983 J’ai mis environ un an pour me décider à acheter cette monographie abordable. Le livre est arrivé quasi neuf dans son cartonnage deluxe, mais dédicacé par le maître du graphisme moderniste nippon à un certain Luciano Cohen, probable designer chez Olivetti.
Neue Graphik n° 1 Lohse, Muller-Brockmann, Vivarelli, Neuburg, Otto Maier Verlag, Zurich, 1958 Trouvée sur eBay sous un mauvais nom mais pour un très bon prix, cette édition originale n’était alors visible qu’en musée, jusqu’à la publication d’un fac-similé de grande qualité par Lars Muller en 2016. Honneur, mon article est cité par Catherine de Smet dans les pages de la réédition.
Wendingen n° 1 Hendricus Theodorus Wijdeveld, Architectura & Amicita, Amsterdam, 1918 Fameuse revue hollandaise consacrée à l’architecture et à la décoration d’intérieur, Wendingen m’a toujours fasciné pour ses couvertures au graphisme et aux lettrages radicaux. Un format carré, une reliure en raphia... Trouver ce numéro 1 a été une chance, et l’occasion d’une réelle dépense (d’un investissement) toute méritée pour la pièce la plus ancienne de ma collection.
The Myth about Bird B Eric Mourier & Knud Holten, Graphic College of Denmark, Copenhague, 1970 Après l’avoir croisé dans un livre, j’avais entrepris la création d’un revival du caractère : le Mourier, destiné à la fonderie Velvetyne.fr. J’ai retrouvé la trace du designer danois et lui ai soumis le fichier. En remerciement d’avoir redonné vie à son alphabet expérimental, il m’envoya l’unique exemplaire d’un livre utilisant cette typographie, mais dédicacé.
Reportage graphique
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Illustration : Simon Bournel-Bosson Texte : Maxime Gueugneau
Villars la Rouille
Reportage graphique
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Pourquoi aller au Parc des Oiseaux ? Quand, comme nous, on n’a pas l’amour des plumes chevillé au corps, c’est une excellente question. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a certaines réponses qui ne collent pas. Celui qui tient l’aventure et l’excitation pour seules raisons valables de bouger, celui-là est hors sujet. Nous n’allons pas au Parc des Oiseaux pour vivre vite et mourir jeune. Nous y allons en TER, la mine réjouie et l’esprit apaisé. Cajolés par le ronronnement du rail, nous naviguons sur la mer de la tranquillité. Il n’en faut pas plus, car le Parc des Oiseaux ne peut se vivre qu’avec sérénité.
Nous sommes en effet priés de laisser sur le quai de la gare de Villarsles-Dombes tout ce qui pourrait ressembler à de l’emportement, à de l’intensité. Oubliez également les joies faciles de la décennie 2010, la vitesse, les flashs, l’épilepsie et la tension. À vous qui trouvez sympa le sportswear Ellesse et Champions USA, colletezvous aussi le reste des années 1990 : l’attente, l’ennui et les bons plans tourisme de grands-parents qui, rappelons-nous, s’amusaient d’une ficelle et d’un bâton. Car l’idée d’un après-midi au Parc des Oiseaux de Villars-les-Dombes vient tout droit de cette époque-là, de ces années où la grande accélération n’avait pas eu lieu, de ces années où nous votions Chirac. Le temps ne vous oublie pas, à Villars-les-Dombes.
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Attends, laisse-nous le temps de nous poser. Nous sommes arrivés à Villarsles-Dombes par la grande porte et le parking de sa gare SNCF nichée au cœur d’un parcours rocambolesque entre Lyon et Bourg-en-Bresse. À première vue, la ville peut remercier la France, qui lui a donné toutes ses décorations les plus distinguées : un
hôtel de ville du XIXe, une charmante église, trois bars, une pizzeria, une boucherie, un kebab/tacos et une nationale. Vous voulez une épicerie ? On n’a pas ça, mais il y a le Aldi, si vous voulez. Excellent, un Aldi. Vous voyez la pharmacie ? Vous tournez à droite, vous avez la nat et il faut la traverser. Le strict nécessaire nous y attend,
activités touristiques ornithologiques. Elle vient se nicher au creux de la moelle épinière, pour ensuite se déverser dans chaque membre du corps. Mais c’est dans le cerveau qu’elle agit le plus efficacement. Là, son travail de polissage s’accomplit, rognant petit à petit toutes les aspérités et laissant un espace vierge à même d’accueillir tout ce qui se présente. Vidés de tout pressentiment et de toute attente, nous pouvons entrer dans le parc. La balade débute sur un petit pont de bois, les mains dans le dos. Notre œil morne – et il faut qu’il le soit absolument – repère sur la berge d’en face une flopée de flamants roses. Tu voulais voir des oiseaux, je t’en donne des gros, plein, qui sentent la poiscaille et qui beuglent. Ils sont si proches. C’est ça aussi un parc des oiseaux,
Que faire au Parc des Oiseaux ?
à moindre coût. On déjeunera donc de chips et de bières d’abbaye sur le parking du Parc des Oiseaux, toujours avec cette envie de laisser venir les choses doucement, sans précipitation. On zyeute paresseusement les jeunes de la moto-école. On dit plus rien. On sent que ça vient. La mollesse. Cette étape cruciale dans l’appréciation des
c’est pas la contemplation béate de la nature, c’est des bêtes, du boucan et des rejets. Malgré tout leurs défauts bestiaux, et leurs têtes vraiment louches vues de si près, on se plante là. On les aime tant. C’est la force de notre faiblesse mentale, tout ce qu’on nous donnera à voir aura pour nous le goût de l’inédit. Et c’est là que nous commençons à toucher le fond. Au diable le cynisme tellement à la mode chez nos contemporains et qui vient biaiser notre regard sur le réel. Devenons celui que nous ne sommes pas, celui dont nous nous moquerions bien dans notre état normal. Fuyonsle cet état routinier qui ne mène qu’au dédain. Car à trop freiner, nous ne faisons que reculer. Quel mal y a-t-il à se laisser transporter par le divertissement ? À mettre ses pas dans les pas dessinés sur le sol ?
Reportage graphique
Alors, nous nous laissons porter. Nous flottons de cage en cage, de monde en monde. Ici la Crique des Manchots, là les Bushs australiens, plus loin la Vallée des Rapaces et n’oublions pas le dernier territoire forgé par le département de l’Ain et ses partenaires : la Mosaïque africaine. Il y a quelque chose de fascinant dans ce tour du monde dombiste. Un territoire nouveau naît de cette rencontre
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du toc et du sauvage. À la fois nous faisons face à des animaux bien vivants, passionnants de bestialité, venus des quatre coins du monde et dont le Parc assure quelquefois la survie ; et pourtant nous sommes entourés des signes les plus grossiers, des nominations les plus insipides et de la nature la plus vulgaire qui soit. Dans l’état d’errance dans lequel nous sommes, ce choc nous
perturbe peu. Nous jetons à peine un œil aux panneaux explicatifs, nous commentons très peu ce qui nous arrive devant les yeux. Nous sommes ces deux promeneurs du dimanche dont les oiseaux ne font qu’illustrer joliment la discussion sans but que nous avons commencée il y a déjà deux heures. Deux heures, putain, le spectacle.
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Y a-t-il un spectacle au Parc des Oiseaux ? Oui, et même plus : il y a un spectacle payant à 15h30, soyez là 10 minutes avant. Très bien, nous sommes ici en touristes et en touristes nous nous comporterons. Alors, c’est ok pour la performance africaine, et je vais même dire que c’est ok pour que tu nous passes de pâles morceaux world music sponsorisés par Peter Gabriel et Le Roi Lion. Même si c’est un peu long. Et même s’il pleut. Ce qui s’est réellement passé durant ce spectacle est en toute franchise bluffant pour des novices comme nous. Néanmoins, nous nous devons également d’être totalement honnêtes. Malgré l’adéquation parfaite entre notre cerveau fondu et la douceur de nos divagations dans le parc, nous voulions à présent partir. Sans doute cet arrêt dans l’amphithéâtre était de trop. Celuici stoppait notre après-midi balade/ conversation. Celui-ci nous obligeait là où nous demandions la liberté. Alors, on n’a pas su, pas pu apprécier à sa juste valeur le survol des grues, aras et autres noms d’oiseaux. Au moment où il nous offrait son apothéose, nous ne rendions pas justice au Parc des Oiseaux. Tout d’un coup, nous retrouvions nos réflexes d’antan. Les portables étaient de sortie, nos esprits retrouvaient leur frivolité habituelle. Nous voulions à tout prix retrouver le monde extérieur. Le charme de la rouille avait pris fin.
Que faire après le spectacle ? Eh bien c’est tout simple, vous repassez par le magasin de souvenirs, tête baissée pour ne pas subir la tentation et vous vous dirigez naturellement vers la sortie. Évitez la nationale en prenant un bain de végétations avec le sentier Pierre Poivre fraîchement tracé et retrouvez cette ville de Villars-les-Dombes intacte, telle que vous l’aviez aimée à l’aller. Est-ce qu’elle ne fait pas plaisir à voir, après
toutes ces péripéties ? Est-ce que vous êtes pas agréablement surpris de subitement vous rendre compte que vous avez 45 minutes à tuer en attendant le prochain train ? Si vous l’êtes, bien sûr que vous l’êtes. Vous êtes d’autant plus heureux que ça vous permet de passer enfin la porte de Chez Dom, ce bar vide et pourtant gigantesque qui vous avait fait de l’œil lors du premier passage. Une Météor, deux Météor, pour faire passer ces trois plaisants quarts d’heure, et il est déjà l’heure d’y aller.
Reportage graphique Une affiche posée dans une sucette Decaux hors d'âge, au moment de partir, nous fait de l'œil. Des jardins aquatiques, Simon ! T'es chaud ?
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Discussion
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Brice Dubat
Paper please, là où s’arrête le jeu
Discussion
Arriver à son poste, lire les instructions de contrôles du jour – quelles nationalités peuvent entrer sur le territoire de la glorieuse nation d’Arstotzka ? – ouvrir le rideau de fer, regarder d’un œil hagard la file d’hommes et de femmes qui s’étend au loin, appeler la personne suivante, demander son passeport, le lire attentivement : date de naissance, photo, nom, prénom, genre, pays d’origine, permis d’entrée, puis trancher. Admis ou refusé ?
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Toute la journée, décider du sort de ces anonymes. Enfin, quand le rideau de fer tombe à nouveau, compter les maigres pièces de son salaire, payer le repas, le chauffage, le loyer, se dire que demain, on sera plus efficace. Et recommencer. Papers, Please de Lucas Pope est, de prime abord, le contraire de ce que l’o n peut attendre d’un jeu vidéo aujourd’hui. Fastidieux, lent, répétitif, extrêmement contraint, il sort – à titre de comparaison – la même année que The Last of Us, des studios Naughty Dog (Crash Bandicoot, Jak and Daxter, Uncharted) et Grand Theft Auto V, par le développeur Rockstar dont on entend beaucoup parler ces derniers temps avec la sortie du très attendu Red Dead Redemption II, western épique et grandiose. Ces deux exemples – qui, chacun à leur manière, offrent des univers d’une richesse narrative et visuelle incroyable et un divertissement de chaque instant – illustrent sans fard le contre-pied pris par Papers, Please. Minimaliste autant par choix que par nécessité (on ne fera pas l’affront ici de comparer les budgets de développement), ce ne sont pas tant les différences esthétiques évidentes qui rendent original ce jeu vidéo de contrôleur des frontières, que la manière dont le jeu traite le joueur. Là où les blockbusters cités, et une grande partie des jeux disponibles aujourd’hui, s’acharnent à être accessibles et plaisants, flattant tant la rétine que l’ego du joueur ou de la joueuse, Papers, Please se plaît à être aride, rébarbatif,
frustrant. La moindre interaction est un calvaire : tamponner le passeport, action centrale s’il en est puisqu’il s’agit de délivrer le droit ou non d’entrer sur le territoire d’Arstotzka, nécessite de sortir les tampons, placer correctement le passeport sous celui que l’on souhaite appliquer, puis tamponner à l’aide d’une manipulation supplémentaire, quand il ne s’agit au final pourtant que d’un banal choix entre deux options. Tout est relou dans Papers, Please ; les papiers d’instructions qui s’accumulent sur notre bureau, les faussaires de plus en plus habiles, le salaire qui ne suffit pas à régler toutes les factures. Et pourtant, on continue. Peut-être pour l’histoire. Au travers de ces multiples rencontres, se dessinent autant de destins que l’on devine ou imagine. Quelques lignes de dialogues, des titres de journaux, des passeports falsifiés ou des médicaments cachés pour les passer en contrebande suffisent à dessiner les vies rarement joyeuses des silhouettes qui se présentent devant nous chaque jour. Et puis des personnages récurrents viennent installer une trame plus générale, que l’on décidera d’embrasser ou d’ignorer. Mais est-ce que cela suffit ? C’est pourtant bien dans sa mécanique exigeante, requérant mémoire, observation minutieuse, sens aigu de la déduction et même intuition, que Papers, Please nous attrape. La répétitivité des tâches nous incite à devenir meilleur : puisque l’on fait toujours la
Brice Dubat
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même chose, autant la faire de mieux en mieux. On optimise ses gestes, on apprend à concentrer son attention sur les points critiques. L’aliénation du fonctionnaire qui obéit à la hiérarchie devient celle du joueur qui joue sans se questionner sur la futilité de ses actions. Le parallèle est là : on continue de jouer car la frustration laisse parfois place un bref instant à la satisfaction. Quand le soir venu, après une journée particulièrement efficace, le salaire gagné couvre non seulement tous les frais mais permet même de mettre un peu de côté, on s’en réjouit. Devenu machine à exécuter, et aussi peu gratifiante soit la tâche, on se satisfait de la maîtriser, trouvant nous-même un sens aux manipulations absurdes et redondantes qui nous sont imposées. Jusqu’à ce que le jeu nous confronte soudain à un dilemme moral, nous tirant violemment de cette routine performative.
Au-delà de ses qualités indéniables – sa direction artistique, son écriture, sa pertinence politique, ses interrogations sur les questions migratoires et les régimes autoritaires – Papers, Please s’impose surtout en monument de ce que Pierre Corbinais du site OuJeViPo.fr appelle les LabSim, les « Life’s a bitch simulators » qui cherchent moins à rendre excitante une situation réelle qu’à retranscrire l’ennui, la lassitude, ponctués d’instants de joie éphémères et dérisoires. Et, au creux de cet oxymore que sont les LabSim, ces « jeux vidéo chiants », il nous est donné de voir l’émergence des premières œuvres vidéoludiques naturalistes, et sans nul doute une nouvelle forme de critique sociale.
Texte : Brice Dubat Images : Kiblind
Pour jouer à s'ennuyer Cart Life de Richard Hofmeier,
Not Tonight de Tim Constant,
sorti en 2011 sur PC Payer son loyer, acheter à manger, penser à dormir, aller chercher le courrier… Palpitant, n’est-ce pas ? Eh bien c’est ce que propose Cart Life, l’anti-Sims par excellence. Chaque action sera aussi indispensable que pénible, pour découvrir l’histoire d’un des trois personnages que l’on peut incarner. Un jeu unique, brillant, profondément sensible et militant.
sorti en octobre 2018 sur PC Reprenant des mécaniques semblables à celles de Papers, Please, Not Tonight place le joueur dans la peau d’un videur de boîte de nuit dans l’Angleterre postBrexit. Mais les talents du joueur pour contrôler l’identité des gens pourraient intéresser bien des gens dans un État qui glisse doucement vers le fascisme.
Unmanned de La Molleindustria, sorti en 2012 sur PC Être pilote de drone dans les guerres modernes que livrent nos États, c’est d’abord se confronter à l’ennui. Unmanned nous invite à vivre cette vie peu réjouissante, critique ouverte de ces guerres à distance, et de ces métiers où l’on va tuer comme on va à l’usine.
Real Lives Educational Simulations Inc., sorti en 2001 sur PC Comment vit-on quand on est né dans les Favelas ? Ou dans une banlieue riche américaine ? Ou à Tokyo avec des parents professeurs ? Ou en Somalie ? Real Lives propose de vivre de vies générées aléatoirement en suivant des modèles statistiques très complets. Et la plupart du temps, life’s VRAIMENT a bitch.
Behind Every Great One de Deconstructeam, sorti en août 2018 sur PC On vénère les artistes en oubliant trop souvent que derrière leur œuvre se cache surtout la personne qui les soutient au quotidien. Pendant que Gabriel avance ses créations, Victorine s’occupe de la maison, du repas, du repassage… Et vous êtes Victorine.
The Waiting Game de Sisi Wei et Nick Fortugno, sorti en mai 2018, sur PC À l’inverse de Papers, Please, ici nous sommes le migrant qui attend la réponse à sa demande d’asile. Dans ce jeu fondé sur cinq témoignages, nous avons un seul choix à faire chaque jour. Continuer ou abandonner, sans savoir si l’on est proche ou non du dénouement. Quelques clics bien longs pour nous, alors, pour eux...
Playlist
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u o l e R t s i l y a l P u o y o V par...
Voyou, aka Thibaud Vanhooland, a pris la thématique "relou" au sérieux et s'est donné du mal pour sélectionner des morceaux qui forment ensemble une leçon existentielle sur la vie.
Do you know - Tirzah i don’t wanna - Homeshake Be - Common Mad - Solange ft. Lil Wayne Ambarrassed - Maty Socially akward - Kiefer That’s life tho - Kurt Vile C’est normal - Brigitte Fontaine et Aresky Nowadays - Jaylib Fighting is futile - Matthew Dear Out of sight - Jonwayne Nothing ever happened - Deerhunter Stopp - Seisku aeg velly joonas You're dead - Norma tanega Ancien Rhum for Pauline et Elephanz, Voyou s'est ensuite mis à rouler en solo et a vite tapé dans l'oeil du label Entreprise grâce à son electro pop imagé, son univers onirique et son regard espiègle sur le monde qui l'entoure. Son premier album sortira en février et on l'attend de pied ferme.
3'37" 2'40" 2'28" 3'55" 3'41" 2'22" 6'27" 4'23" 3'05" 4'59" 4'27" 5'50" 7'13" 2'25"
JEU 13 DEC CLUB LFSM
VEN 14 DEC
CARTE BLANCHE À HINDS + SPORTS TEAM + PERIODS
SAM 15 DEC
NEW MODEL ARMY
MANUDIGITAL
JEU 20 DEC
VEN 11 JAN PANAME UNITED ROCKERZ
• Club
SAM 15 DEC
PARKINGSTONE
KOMINTERN SECT + 8’6 CREW + LION’S LAW
ULI JON ROTH
• Club SAM 26 JAN EXORIA DUB TO TRANCE
MER 23 JAN
DIM 15 JAN
JOHN GARCIA & THE BAND OF GOLD
FLOGGING MOLLY
ISHIBAN + MAHOM + TETRA HYDRO K + LA P’TITE FUMÉE + MISS TEKIX
Complet
MAR 05 FEV
DIM 03 FEV
JEU 07 FEV
THE WOMBATS + CIRCA WAVES
VNV NATION
OBSCURA
LUN 11 FEV
JEU 14 FEV
VEN 15 FEV
LUN 18 FEV
MER 20 FEV
HOOBASTANK SAM 09 FEV
BOB MOSES
W
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AMINÉ
DODIE
+ FALLUJAH + ALLEGAEON + FIRST FRAGMENT
W
WHILE SHE SLEEPS
MARC REBILLET
ULI JON ROTH
W
VEN 01 FEV
JEU 31 JAN
JEU 20 DEC
ESPACE THE FATE
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PARC DE LA VILLETTE
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POP EVIL
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Sortie
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Magazine
Reliefs PÉNINSULE Depuis 2016, nous la regardions passer. On la voyait qui se baladait ici ou là, sur les étals de nos librairies préférées. Elle paradait aussi de bibliothèques bien faites en salons aimables, affichant ses couvertures impeccablement réalisées. Les thèmes annoncés fièrement sur la couverture venaient discuter avec notre esprit aventurier, habituellement bâillonné par une couardise génitale. Les galaxies, les abysses, le ciel et la mer, autant de vocables qui parlent à ceux qui ont au moins une fois mis le nez dehors. C’est notre cas. Nous étions séduits, elle le savait et nous avons aujourd’hui succombé. Il eût été en effet scandaleux d’attendre plus longtemps pour lui déclarer notre flamme, tant tourner les pages de la revue Reliefs est un plaisir. Les atouts de cette publication portée par Pierre Fahys sont en effet multiples. Là où une part non négligeable de la presse demande – à raison sans doute – de prendre son temps, Reliefs incite, quant à elle, à prendre son espace. La géographie, au sens très large, est prise ici comme un regard engagé sur notre monde. Mais c’est une géographie accueillante, au sein de laquelle viennent se lover la littérature, la biologie, la sociologie, l’écologie, la photographie, le sport et sa grande copine l’histoire. Reliefs est en effet une joyeuse agora où discutent les architectes, les chercheurs, les explorateurs, les journalistes, les artistes et les écrivains d’hier et d’aujourd’hui. Reste alors
la deuxième moitié du disque pour que l’affaire soit complète. Car là où se distingue particulièrement la revue Reliefs, c’est dans sa direction artistique. Ça n’est pas la première fois que nous louons le travail de The Shelf Company puisque nous avions déjà perdu notre dignité devant leur propre publication, The Shelf, il y a maintenant cinq ans. Mais bon sang, il faut regarder Reliefs ! Dès la couverture, la détente est de mise et la confiance totale. Le choix déterminant des illustrateurs de « une » se fait sans remous avec aujourd’hui quatre élus : Clément Vuiller, Thomas Rouzière, Stefan Glerum et Ugo Bienvenu. L’intérieur ne dément pas la réussite faciale, tant sur le choix des illustrateurs (on retrouve Josselin Facon, présent dans notre Galerie, mais aussi Isabel Seliger, Kathleen Neeley et Matteo Morelli, notamment), que sur la maîtrise d’une mise en page où se côtoient pourtant textes, photo, cartes anciennes, schémas, gravures, vues satellites et diverses autres joyeusetés. Et miraculeusement, tout coule. Aux mots des uns, Reliefs ajoute ainsi le regard des autres et boucle un travail d’une qualité rare et bienvenue. M. Gueugneau
Reliefs #8 : Sommet, sortie début novembre, 19€ reliefseditions.com
Sortie
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Jeu de construction
BÂTISSE Dans son interview promotionnelle, Paul Cox espère que ce Jeu de construction judicieusement sorti par les éditions B42 sera « un stimulant pour le lecteur ». Que M. Cox se rassure, il l’est. Cent fois. Mille fois. Ouvrage à part dans la bibliographie de l’artiste multitâche, Jeu de construction est en fait la mise en objet de son blog qu’il a écrit durant trois mois à l’occasion de son exposition éponyme au Centre Pompidou, en 2005. Prenant au pied de la lettre le principe du journal intime, il y dévoile ses occupations manuelles et spirituelles, ses obsessions, ses admirations et les choses de la vie avec un rafraîchissant naturel. Jeu de construction est une sorte de pied dans la porte de l’esprit de Paul Cox, créant une petite ouverture déjà fascinante. À travers celleci, nous apercevons un intérieur au désordre ordonné où d’innombrables idées, références et méthodes s’empilent de guingois pour former une architecture passionnante. Plutôt stimulant, donc. M. Gueugneau
Jeu de construction de Paul Cox, disponible aux éditions B42, 244 pages, 28 € editions-b42.com
Surnager au quotidien / How to stay afloat
The Artist : le cycle éternel
SALADE DE FRUITS Tara Booth nous va bien au teint. À l’heure où la vie occidentale semble se mouvoir entre l’absurdité et le désespoir, les travaux de l’Américaine sonnent comme un rempart cynique à la nullité des temps. Son dessin qui mêle naïveté militante, art du motif et couleurs hypnotiques se marie en grande pompe avec son humour mélancolique, plus profond et plus fort que bien des discours pompeux. Il n’est pas étonnant, alors, que la sortie en français de Surnager au quotidien fut très attendue par la cohorte de ses admirateurs, nombreux. Les gens aiment se faire du bien.
FRAGILE La vie complexe que nous inflige le XXIe siècle peut devenir pire pour peu qu’on prenne la peine de devenir artiste. C’est la leçon que nous délivre Anna Haifisch dans son diptyque The Artist, dont le deuxième tome vient d’être édité par les chics éditions Misma. Le trait frêle de l’autrice allemande nous conte les déboires d’un non moins frêle oiseau qui dessine des serpents jusqu’au délire. À travers ce personnage, c’est toute la condition d’artiste qui se retrouve traitée avec une justesse imparable, un dessin passionnant et un humour délicat. Le succès d’Anna Haifisch outre-Rhin n’est certainement pas dû au hasard et il nous tarde qu’il soit de même en France.
M. Gueugneau
M. Gueugneau
Surnager au quotidien/How to stay afloat de Tara Booth, disponible chez Arbitraire, 64 pages, 14 €
The Artist : le cycle éternel d’Anna Haifisch, disponible chez Misma, 112 pages, 18 €
arbitraire.fr
misma.fr
Sortie
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Hugues Micol
Cornélius
WHISKY Whisky
FANTAISIE Il peut paraître facile d’aller cirer les pompes de M. Micol. On va nous dire que sans péril, il n’y a pas de gloire et qu’on vient caresser les poils d’une bête déjà domestiquée. À ces critiques anticipées, nous sommes déjà sourds : Whisky est une merveille. Après son Scalp... chez Futuropolis, où il contait une conquête de l’Ouest américain réaliste, souillée de haine et de violence, il s’attache cette fois-ci aux fantasmes qu’elle a nourris. Ode aux westerns dans ce qu’ils ont de spectaculaire et de pittoresque, Whisky est comme la boisson qui lui donne son nom, à la fois majestueux et enivrant. Comme toujours chez Hugues Micol, le dosage est le bon. Les paysages mille fois rabâchés de rocailles et de déserts prennent ici une tournure onirique, où les couleurs et les perspectives se libèrent judicieusement des règles de la bienséance. Les cow-boys, quant à eux, sont caricaturés jusqu’au grotesque, dans leurs bagarres comme dans leur mélancolie, tour à tour trop grands, trop petits, trop sérieux ou trop risibles. Comme souvent, le Far West n’est pas ici une vérité historique, mais une zone de liberté absolue à laquelle Hugues Micol rend un hommage vibrant.
Éditions Cornélius
Hugues Micol
Cornélius
WHISKY Éditions Cornélius
Whisky de Hugues Micol, disponible chez Cornélius, 112 pages, 37,50 € cornelius.fr
Delphine Zehnder
The Labyrinth MYTHE Né en 1914 en Roumanie, Saul Steinberg fuit l’Europe face aux persécutions antisémites et émigre vers les États-Unis au début des années 1940. Il connaît rapidement le succès pour ses dessins de presse et participe pendant 60 ans au New Yorker. Cette réimpression de The Labyrinth regroupe ses travaux de 1954 à 1960. Se qualifiant lui-même d’« écrivain qui dessine », on retrouve dans ce livre le génie de son trait encré. Ses caricatures croquent la vie de ses contemporains avec un mordant satirique, une cocasserie et une fantaisie qui n’a d’égales que l’élégance, l’intelligence et l’économie de son trait. Son œuvre incontournable, recherche enjouée des potentialités artistiques et sémiotiques de la ligne, stimule et réjouit toujours autant notre regard. David Raiffé
The Labyrinth de Saul Steinberg, The New York Review Books, 288 pages, 44 € nybooks.com
L’Art Il n’est pas facile de savoir précisément ce qu’est l’art et en quoi il nous est indispensable. Chacun, d’ailleurs, possède sa réponse propre. Celle d’Eleanor Davis, fournie dans son dernier album traduit en français par Atrabile, L’Art, est loin d’être moche quand la maîtrise d’un dessin tout en humilité vient servir une ode à la puissance de la création. > L’Art d’Eleanor Davis, disponible chez Atrabile, 200 pages, 16 € > atrabile.org
Fascinus Quand la réalisatrice Ombline Ley et la photographe Anaïs Bigard-Bachmann dénichent dans une cave une collection de la revue Sexe bizarre, spécialisée dans les frivolités urinaires, l’urgence point, le livre est là. Fascinus est une compilation de photos en gros plan prises de ces magazines, détaillant l’environnement de ces fantasmes de papier glacé, à la tournure plutôt rare et dont le kitsch touche autant qu’il fascine. > Fascinus d’Ombline Ley et Anaïs Bigard-Bachmann, disponible chez FP&CF, 112 pages, 19 € > editionsfpcf.comm
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L’homme sans talent
ESQUIVE Yoshiharu Tsuge est une légende au Japon. Nous, ici, n’avons malheureusement pas le même sens des priorités dans le champ des arts graphiques. Pourtant, nous avions eu notre chance, en 2004, quand Ego comme X traduisait pour la première fois L’Homme sans talent, le chef-d’œuvre de Tsuge et maître étalon du watakushi manga, la bande dessinée introspective. Heureusement, Atrabile nous offre un deuxième tour avec une réédition fort à propos du dernier livre de l’auteur, son seul vrai roman graphique, lui qui est plus habitué aux nouvelles. Sous la plume de Yoshiharu Tsuge s’ébroue ainsi le héros pataud Sukezo Sukegawa à la recherche du meilleur moyen d’esquiver sa vie. Marchand de cailloux, cet ancien mangaka aurait pu trouver sa subsistance dans son art. Au lieu de ça, il préfère se glisser sur le côté et se faire contemplateur de sa déchéance, suivant une perversité molle envers et contre tout. Un refus de la société qui n’a rien de révolutionnaire mais qui a tout de poétique. M. Gueugneau L’Homme sans talent de Yoshiharu Tsuge , disponible chez Atrabile, 224 pages, 22 € atrabile.ch
Trixie’s Trek with Triniti
Vulome #4 DIMENSIONS Notre curiosité s’est éveillée à la découverte du nom de ce collectif de faiseurs d’images, Les Slips de Papa. Et puis après on découvre des passionnés, pour qui tout a commencé à Nantes durant leurs études. Vulome c’est leur bébé, depuis plus de 1 460 jours. Une édition qui souhaite cartographier le dessin à travers le monde en réunissant dessinateurs amateurs et confirmés autour d’un ouvrage produit à seulement 30 exemplaires, et non disponible à la vente, mais seulement à la consultation ! Pour ce numéro 4, vous retrouverez 89 artistes et il y en aura pour tous les goûts, c’est sûr, que vous soyez plutôt slips ou caleçons. Malina Cimino
Vulome #4 par le collectif Les Slips de Papa, consultable.
lesslipsdepapa.fr
COPAINS Trixie, c’est un chien ; Triniti, son compagnon humain. Tous les deux s’enfoncent dans une odyssée graphique et surréaliste, bichromique d’une case à l’autre, dans un zine à l’univers assez kafkaïen pour être lu au petit bonheur des pages. On doit cette étrange jungle – sorte de mark-making architectural – à la main habile de Jon Vaughn ; le tandem fantasque qui obéit, lui, à celle de Sean Christensen, évolue en terrain conquis parmi les digressions abstraites de Jon. Et pour une expérience narrative totale, mon tout, publié chez Moniker Press, est livré avec une bande sonore de 30 minutes, composée spécialement pour l’occasion. Zelda Mauger
Trixie’s Trek with Triniti de Sean Christensen et Jon Vaughn, disponible chez Moniker Press, 34 pages monikerpress.ca
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Eaux fortes FOISON Avec Eaux fortes, Amandine Meyer allie au talent la simplicité du trait, la maîtrise technique, la science des couleurs et le foisonnement des idées. La plongée au cœur du monde vibrant d’Amandine Meyer se fait alors au premier regard, sans forcer. L’autrice construit ici un paradis antique, coincé entre les estampes japonaises, les gravures Renaissance et le dessin actuel. Entre contemplation et narration, le livre suit son cheminement propre à travers cette nature mystique, ne laissant au spectateur que la force de l’admiration. Un ouvrage qu’il convient de garder précieusement dans sa bibliothèque et de consulter fréquemment dans un usage quasi médicinal. M. Gueugneau
Eaux fortes d’Amandine Meyer, disponible chez Misma, 64 pages, 18 € misma.fr
Yokaido
Aquarium La graphiste Fanette Mellier ne se lasse pas de jouer avec les formes, les couleurs et l’édition. Nouvelle preuve avec cet Aquarium qui plonge le bibliophile dans douze bassins à la composition savamment soupesée. Deux vues lui sont offertes, en recto et en verso, et la vérité ne se révélera qu’en portant la page à la lumière, actrice incongrue de ces jeux graphiques. > Aquarium de Fanette Mellier, disponible aux Éditions du livre, 50 pages, 25 € > editionsdulivre.com
Art’bracadabra Le livre pour enfant est décidément un terrain de jeu de choix pour les graphistes, dessinateurs et éditeurs. Et quand le joueur est du genre jeune prodige, ça peut donner le bluffant Art’bracadabra, collaboration entre le graphiste Raphaël Garnier et les éditions Amaterra donnant à voir, à toucher et à manipuler les différents ingrédients d’une œuvre d’art. > Art’bracadabra de Raphaël Garnier, disponible aux Éditions Amaterra, 52 pages, 25 € > amaterra.fr
MONSTRES Plus d’un siècle sépare le travail de ces deux géants des arts visuels japonais. L’aîné, Utagawa Hiroshige, est le grand maître des ukiyo-e, ces estampes contemplatives très populaires au tournant du XIXe et dont Hiroshige révolutionna la colorisation, notamment. Shigeru Mizuki est, lui, mangaka, et sauve de l’oubli, avec sa série Kitaro, les Yokai, ces démons qui accompagnent l’humanité depuis la nuit des temps et dont Hiroshige, artistiquement, n’avait que foutre. Le temps accomplissant ses méfaits, l’amour entre les deux artistes ne pouvait être réciproque. Mais le fait de réunir ainsi les revisites de Mizuki des Cinquante-trois stations du Tokaidô, le best-seller d’Hiroshige et les visuels originels offre une discussion artistique passionnante sur le Japon des traditions, le Japon qui n’est plus. À cela s’ajoute évidemment une beauté graphique époustouflante. M. Gueugneau
Yokaido de Utagawa Hiroshige et Shigeru Mizuki, disponible chez Cornélius, 128 pages, 35,50 € cornelius.fr
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Jazzboy
Musique
Chief Keef
DOUCE AGONIE Ancien Las Aves, Jules Cassigny laisse exploser tout le trop-plein créatif qui gonfle ses veines avec Jazzboy. Ouvrant sur des notes d’orgue électronique sorties d’outre-tombe, le premier titre de son EP Jesus Jazz plante le décor. Au cours d’une douce descente aux enfers aussi lugubre que jouissive, relevée d’instrumentations jazz et pop décadentes et prodigieuses, le sheitanesque Jazzboy nous embarque dans un art total aux forts penchants cinématographiques où il se tient là, couvert de sang. On en ressort possédé, mais tellement heureux d’avoir été bousculé des limbes à l’Eden en l’espace de quelques morceaux. Elora Quittet
TORSION Nous étions loin d’imaginer l’impact qu’aurait le rap instinctif de Chief Keef, véritable Nikola Tesla de la décennie. Chief Keef distord encore les codes de sa drill music, défiante et cinglée avec ses cuivres distordus, ses AK-47 utilisés comme caisses claires et ses murmures échappés des forêts de Twin Peaks, avec Back from the Dead 3. Six ans après ses débuts, et peu importe qu’aujourd’hui même son hologramme soit interdit d’approcher la région, Chief Keef reste le rappeur chicagoan le plus captivant à suivre. Nicolas Pellion
Back from the Dead 3 de Chief Keef, disponible chez Glo Gang/RBC Records
Jesus Jazz de Jazzboy est disponible sur les plateformes de streaming et plus encore
chiefkeef.com
Homeboy Sandman & Edan
Rémi Parson
Le cœur a ses raisons que parfois la raison comprend quand même un peu. C’est vrai que, pour notre génération, le nom d’Edan sonne particulièrement mielleux à l’oreille. Mais le retour de l’auteur de Primitive Plus, aux côtés de l’homme de Stones Throw, Homeboy Sandman, est plus qu’une madeleine et leur Humble Pi prouve que les vétérans du rap alternatif 00’s peuvent avoir des idées.
Tout juste de retour à Paris après 12 ans passés à Londres, Rémi Parson a su prendre ce que la scène anglaise avait à lui donner sans pour autant perdre de sa verve. Après un premier album sorti chez Objet Disque, l’artiste continue de sustenter son appétence pour la pop aux forts penchants new wave et lo-fi avec Arrière-Pays, essai mélancolique et contemplatif où sous ses doigts, le glacial devient radieux. EQ
> Humble Pi de Homeboy Sandman & Edan, disponible chez Stones Throw > stonesthrow.com
> Arrière-Pays de Rémi Parson, disponible chez Isolaa Records > isolaa.com
Orchestra of Spheres
Mille Colombes
Alors que l’on pénètre sur le seuil de Mirror, il faut rassembler ses esprits. L’entrée éponyme de 10 minutes fait le point avant de découvrir le cabinet de foutues curiosités savamment agencé par le groupe néo-zélandais Orchestra of Spheres. L’espace y est encombré de couleurs, de volumes et de bruits. Le souffle de l’inspiration vient des quatre coins d’une pièce que nimbe la lumière grasse du psychédélisme. Mais la maîtrise du désordre y est experte et l’aventure offerte, passionnante.
Ceux-là font partie de nos artistes préférés à Lyon et se font rares. Et comme tous les artistes français délivrant de la pop à la puissance lysergique et au phrasé subtil, le duo a été pris sous l’aile de la Souterraine. Avec leur nouveau disque, Plastique bleu, Vincent et Anna nous prouvent que des compositions aux styles audacieux s’autorisant des samples de Vivaldi, du jazz, de la new wave et même un soupçon de vocoder peuvent se compléter harmonieusement. EQ
> Mirror d’Orchestra of Spheres, disponible chez Fire Records > firerecords.com
> Plastique bleu de Mille Colombes, disponible sur leur bandcamp > millecolombes.bandcamp.com
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Homeshake
Musique
Orchid Mantis
SENSIBLERIE Ex-guitariste de Mac DeMarco, Peter Sagar a décidé de tracer sa route en solitaire depuis quelques années et une pressante envie de se livrer à l’introspection. Avec son quatrième album, Helium, Peter se débarrasse du superflu pour ne se concentrer que sur des lignes mélodiques lo-fi voire ambient, ornées de quelques discrètes envolées soul et R&B. Laissant s’exprimer toute sa vulnérabilité, le Montréalais livre ses émotions de façon brute et sensible, ajoutant sa voix sur des textures sonores tissées à la Visible Cloaks. Un minimalisme qui fait du bien.
RÊVERIES Orchid Mantis construit depuis quelques années son univers paisible, égrenant avec régularité des morceaux aux éclats dream pop. Pensé comme une possible seconde moitié de son précédent album Kulla Sunset, sorti en mars dernier, Yellow House vient de paraître chez Z Tapes (qui pour l’occasion se lance dans le vinyle). Les douze petits lampions qui constituent cet album évoquent la perte de la maison jaune de son enfance mais, traversés de lumière, exaltent une étonnante sérénité solitaire.
Elora Quittet
Manon Raupp
Helium de Homeshake, sortie le 15.02.19 via Sinderlyn/Differ-ant
Yellow House d’Orchid Mantis, sortie le 11.11 chez Z Tapes
homeshake.bandcamp.com
ztapes.bandcamp.com
JD Twitch WUNDERBAR L’Allemagne des squats aux murs humides du début des années 80, celle du krautrock, du post-punk, de la liberté d’expression et de la fureur créative. C’est exactement là où l’on se rend grâce à la nouvelle compilation de JD Twitch, moitié d’Optimo, et à sa géniale idée de réunir quelque 16 titres inédits d’artistes qui ont fait vibrer la scène underground de l’autre côté de la frontière comme Malaria!, Die Haut ou Mania D. Une immersion dans les endroits les mieux cachés de Berlin, Düsseldorf, Cologne ou Hambourg, là où la langue allemande avait repris le dessus dans la chanson et où le synthé était une arme d’expression majeure. Elora Quittet
Kreaturen Der Nacht - Deutsche Post-Punk Subkultur 1980-1985 de JD Twitch, disponible via Strut Records
strut.bandcamp.com
Eiko Ishibashi Il faut toujours prêter attention aux artistes à qui Jim O’Rourke donne sa confiance. Exemple avec la batteuse et pianiste Eiko Ishibashi, que le vieux Chicagoan aime et produit depuis de longues années et dont le label Drag City sort pour le monde The Dreams My Bones Dream. L’album est une capsule majestueuse remplie d’une pop en mutation constante, pleine de vides, de pleins et de déliés, où l’on se promène l’oreille tendue, attentive aux mille trouvailles de la Japonaise. > The Dreams My Bones Dream d’Eiko Ishibashi, disponible chez Drag City > dragcity.com
Deena Abdelwahed Activiste de l’underground tunisien, notamment membre du collectif Arabstazy, Deena Abdelwahed ne connaît pas de frontières. Débarquée à Toulouse avec ses compositions hybrides et expérimentales, la compositrice se retrouve désormais résidente de la Concrete. Khonnar, son dernier EP, délivre une techno sombre imprégnée de ses pérégrinations et associant volontiers des sons lancinés et avant-gardistes à des chants arabes traditionnels. EQ > Khonnar de Deena Abdelwahed, disponible chez inFiné > infine-music.com
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Jolies choses
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Assiettes PAULINE WOLSTENCROFT
Lingerie ESQUISSE x LAURA BERGER
Sacs CLAIRE RITCHIE
paulinewolstencroft.com
claireritchie.com.au
esquisse-lingerie.com
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Pin's WE ARE OUT OF OFFICE x STEPHANIE PECK
Bougies EARL OF EAST LONDON x GEORGES GREAVES
Chaussettes COUCOU SUZETTE
etsy.com/weareoutofoffice
etsy.com/uk/shop/AmbersTextiles
coucousuzette.com
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Sélection par Elodie Bouhlal
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Carrés de soie CANVAS POCKET SQUARES x QUENTIN MONGE canvaspocketsquares.com 08
Céramiques DEUX FOIS DEUX MAINS instagram.com/deuxfoisdeuxmains
Bougies SAMO x ALICE WIETZEL
Jupe MODETROTTER
samoparis.com 10
modetrotter.com 12
Cidre MAISON SASSY x CRAIG AND KARL maison-sassy.com
Calendrier STUDIO PÉPOUZE tictail.com/u/studiopepouze
96 © Taiyo Matsumoto / 9eArt+
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MOFO
BD Angoulême
Central Vapeur
LES DENTS DE ST-OUEN
CHARMANTE CHARENTE
GUINGUETTE ILLUSTRÉE
Niché dans le petit paradis terrestre qu’est Mains d’Œuvres, le festival MOFO signe pour sa 15e édition et affiche d’emblée sa volonté de tout bouffer, avec le requin blanc qui lui sert de visuel. Pour ça, il pourra compter sur une programmation aiguisée avec Yossarians, King Khan & Magnetix, Au revoir la société étrange, Chocolat Billy, Strasbourg, etc.
On n’en rate pas un. Chaque année, le festival de la BD d’Angoulême nous déniche le nec plus ultra de la bande dessinée. Le temps d’un week-end, la ville vivra au rythme des expositions de Jérémie Moreau, Bernadette Després ou encore de « Bien, Monsieur », entre deux débats et des remises de prix toutes plus attendues les unes que les autres.
Central Vapeur sait y faire. En plus d’organiser un concours de pesée de panier d’illustrations et de création d’étiquettes de bières, le festival invite une trentaine de collectifs d’illustrateurs et d’éditeurs de la scène inter/nationale. Il exposera aussi plein de gens merveilleux comme Antoine Maillard, Marie Lallemand et Mi-figue mi-raisin.
Du 24.01 au 26.01 à Saint-Ouen
du 24 au 27.01 à Angoulême
Du 21 au 31.03 à Strasbourg
Bordeaux Rock 15
Exposition Secours Populaire
Le Palais de la Maçonnerie typographique
UNKNOWN PLEASURES
PASS & BILLETTERIE SUR
bdangouleme.com* *et autres points de vente habituels
Ce n’est pas ce qui manque et pourtant, voici encore un argument pour aller passer un week-end à Bordeaux : le festival Bordeaux Rock. Pour ses 10 ans, ce dernier fera revivre tous nos fantasmes rock en se payant Peter Hook (Joy Division & New Order) et Thurston Moore (Sonic Youth) comme têtes d’affiches. La relève, elle, ne sera pas lésée et pourra montrer ce qu’elle a dans le ventre lors de la soirée itinérante Rock en Ville.
@ Musée de l’imprimerie
Du 23 au 27.01 à Bordeaux
Jusqu'au 24.02 à Lyon
#FIBD2019
Ventes et informations dans les gares, boutiques SNCF, par téléphone au 3635, auprès des agences de voyages agréées SNCF.
UTILITÉ PUBLIQUE Dans nos esprits, le Secours populaire est indéniablement associé à l’avion se transformant en main tendue qui est son logo depuis les années 80. Autour de ce logo, une véritable ligne graphique a pris vie grâce notamment au collectif Grapus. Trois décennies d’affiches, de journaux, de cartes postales et d’une quantité de documents qui ont aidé à la diffusion d’une noble cause.
Carte blanche à Richard Niessen
ÉPILEPSIE Bâtisse abritant tout ce que le design graphique a produit de plus merveilleux, le Palais de la maçonnerie typographique rend ses lettres de noblesse à la typographie et aux couleurs qui éclatent la rétine. Sur trois niveaux, des affiches et installations en abondance seront réparties par thématiques pour finir par un focus sur le design néerlandais. Du 16.01 au 08.03 à Pau
Agenda
Blexbolex à Fotokino GARRIGUE ENCHANTÉE
97
Mois du graphisme SANTÉ
Nuits de l’Alligator ROOTS BOOTS
De l’édition pour enfant à la presse nationale en passant par le fanzine underground, Blexbolex touche à tout. Ses livres de la série dédiée au thème de l’arrière pays ont été imprimés en sérigraphie. Fotokino exposera des originaux et des macules qui raconteront tout le processus qui donna vie à cet univers imagé aux mille et unes couleurs. .
Après avoir épluché la culture visuelle du Japon, le Centre du graphisme d’Échirolles a cette fois dans sa ligne de mire la Pologne. Il présentera pour la première fois en France une rétrospective de tout ce que le pays a fait de mieux visuellement dans les milieux du théâtre, du cinéma, du cirque, du graphisme et de l’illustration contemporaine des années 50 à nos jours.
Enfanté par la Maroquinerie à Paris, le festival Les Nuits de l’Alligator a volé de ses propres ailes et se délocalise désormais dans plusieurs villes de France. Défricheur du blues rock au sens large, il propose une programmation qui tache mais qui ne laisse pas de traces avec le rockabilly blues de Howlin’ Jaws, le postpunk de YAK ou le rock soul de The Schizophonics.
07.12 - 03.02 à Marseille
Jusqu’au 31.01 à Echirolles
Du 30.01 au 17.02 à Paris
XX
Black Movie XXe édition 18–27.1.19
Festival international de films indépendants — Genève
Mirage Festival COCKPIT ERROR
blackmovie.ch
Black Movie INDÉ-CENT
Plus juste d’année en année, le Mirage Festival se concentre cette année sur les « Turbulences » que traverse notre époque. Dans le cadre d’une saison croisée France/Roumanie, des artistes internationaux viendront questionner les changements sociétaux, économiques et technologiques auxquels nous faisons face. Tout ça, évidemment, avec une affiche qui dégomme et des performances originales.
De l’autre côté de la frontière, c’est lui le patron. Depuis 20 ans, le Black Movie Festival se fait défenseur d’une cinématographie internationale minoritaire. Brillant, il y convie chaque année des cinéastes indé du monde entier, leur laisse parfois même carte blanche, comme à Édouard Waintrop cette année, et organise des discussions dans le prolongement du nombre astronomique de films d’auteurs visionnés.
Du 03 au 07.04 à Lyon
Du 18 au 27.01 à Genève
Festival des Maudits Films MONSTRUEUX Séries B, nanars, Bis italien, cinéma de genre et d’exploitation… Et si c’était ça le vrai cinéma ? Le festival des Maudits Films le sait déjà depuis un bail. Cette année, il a décidé de dévoiler au public les plus beaux films de monstres de sa collection, de ceux de Jesus Franco, en passant par Gordon Douglas et Ishiro Honda. Tremble, grenoblois ! Du 22 au 26.01 à Grenoble
© Taiyo Matsumoto / 9eArt+
PASS & BILLETTERIE SUR
bdangouleme.com* *et autres points de vente habituels
#FIBD2019
Ventes et informations dans les gares, boutiques SNCF, par téléphone au 3635, auprès des agences de voyages agréées SNCF.