Kiblind Magazine #71 - Mystique

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KIBLIND Magazine NumĂŠro Mystique


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Kiblind magazine n°71 Mystique - Hiver 2019/20

Photo : Eli Serres - Florent Tanet. Série : Aquarium Hobby.

Édito Il est difficile de voir dans l’exercice journalier du monde des raisons d’espérer. Certains y arrivent, c’est tout à leur honneur. La plupart s’achètent des choses. D’autres délaissent nos gris trottoirs pour suivre des chemins qui, au choix, s’envolent ou s’enfoncent vers des puissances obscures et lumineuses. Ceux-là sont en quête d’une porte en travers de laquelle mettre son pied, une porte communiquant avec un grand manitou dont l’espèce nous importe peu tant qu’il fait le job. Cette recherche d’une intelligence supérieure hors du temps et de l’espace revient en trombe au moment précis où nous suffoquons, pris par le temps et perdus dans l’espace. La mystique, qui regroupe ces voies par lesquelles nous pourrions communiquer avec ces puissances infinies, nous offre ainsi une bouée de sauvetage inattendue dans notre si cartésien XXIe siècle. Elle s’hybride avec les usages de notre temps et donne à notre réel de nouvelles facettes qui surprennent et intriguent. À l’image de cette classe dessinée par Ugo Bienvenu en couverture, nous attendons les leçons qu’elle pourrait nous donner.

ENTRÉE 10

ENQUÊTE

INTRO PICTOS

57

Mystique

Des nouvelles de Séraphin

24

DISCUSSION

INTERVIEW

62

Ugo Bienvenu

Vaudou

26

INTERLUDE

CRÉATIONS ORIGINALES

64

Mystique dessiné

Démons & merveilles

34

DISCUSSION

DISCUSSION

66

Tous mystiques 44

RÉTROGRAPHIE

Tarot 47

INTERLUDE

Astro gastro 52

DISCUSSION

Voyages initiatiques et mondes intérieurs 54

Du Spirituel dans la lutte BACK 2 BACK

Messmer & Arielle Dombasle 70

SORTIE 73 REPORTAGE GRAPHIQUE

Port Grimaud 84


Contributeurs

Contributeurs

SIMON BAILLY Comme beaucoup de gens importants (Philippe Séguin…), Simon Bailly est passé par Épinal, pour y faire ses études et travailler au centre de l’imagerie en tant qu’illustrateur. Les Vosges forment bien puisqu’il travaille aujourd’hui pour Libération, le New York Times ou Gallimard.

ÉLODIE BOUHLAL Parce qu’elle possède un téléphone intelligent et qu’elle a donc le pouvoir de traîner sur Etsy, Pinterest, Instagram et Internet en général, nous lui avons demandé de nous dénicher les meilleurs créateurs, les meilleures collaborations, les choses jolies.

UGO BIENVENU Le dessinateur, animateur et réalisateur parisien Ugo Bienvenu est de ceux qui déchaînent les vivats d’une foule en délire. Ou au moins d’un groupe bien constitué d’amateurs transis, prêts à le suivre dans les nombreuses pistes qu’il ouvre à coups de courts-métrages, d’illustrations ou de bandes dessinées. Inutile de le cacher, nous en sommes. Le délicat réalisme de son trait associé à l’éclat de ses couleurs maintiennent son discours sur la corde fine entre la jouissance et le sérieux. Après avoir publié Sukkwan Island, Paiement accepté et Préférence système chez Denoël Graphic, après avoir monté sa propre maison d’édition, Réalistes, dans laquelle il a sorti son Premium, après avoir réalisé clips et films d’animation (le plus souvent avec Kevin Manach) ou non, après avoir travaillé pour L’Obs, le Festival d’Annecy, Agoria, Stylist, Edwin ou Society, il a trouvé un petit moment pour nous. Et c’est tant mieux.

> ugobienvenu.tumblr.com

SIMON BOURNEL-BOSSON On se souvient de Simon hasardant ses premiers dessins sur les tables de nos bureaux. « Le p’tiot », qu’on l’appelait. Il vole maintenant, sans nous, avec propres clients, Møme, RBMA et le Musée du quai Branly, parmi d’autres. Et parfois, quand il a besoin de réconfort, il revient au bercail nous dessiner des stations balnéaires.

MALINA CIMINO

MICHEL LAGARDE

MANON RAUPP

Passionnée de longue date par l’illustration et les jolies choses, Malina Cimino œuvre çà (Beware) et là (nous), et puis là aussi (agence Costume 3 Pièces) pour partager tout son amour. Elle fait bien.

Michel Lagarde a su associer le statut de mémoire vivante de l’illustration française avec celui de connaisseur patenté des évolutions actuelles. Un savoir qu’il distille via ses éditions Michel Lagarde, son agence Illustrissimo et la galerie Treize-Dix.

Férue de musique indépendante, Manon Raupp publie tout aussi indépendamment son fanzine Ductus Pop et envoie à la face du monde les cassettes de son label Hidden Bay Records. La déontologie nous empêche d’en faire la pub, mais achetez quand même le mini-album de Nice Apple.

THOMAS DUREL Artiste plastique de l’entre-deux, questionnant les notions de sérieux et de superficiel, Thomas Durel joue également dans la cour de l’enseignement en délivrant de belles leçons de beaux-arts, comme celle qu’il nous a confiée ici.

CHESTER HOLME Un Anglais n’est pas forcément un ennemi. Il peut aussi être un illustrateur au talent incroyable, passé par la Kingston University et bossant pour Nike, Virgin ou Usbek & Rica.

ANTHONY JAUNEAUD Scénariste et designer de jeux vidéo, Anthony Jauneaud est de ceux qui ont réalisé Night Call, sorti à la fin de l’été sur PC et Mac. Il est aussi un fin connaisseur de la chose vidéoludique et de ses trucs et astuces. Tout ça tombe très bien pour nous.

ZELDA MAUGER Actuellement en poste chez Greenpeace, Zelda est également une dessinatrice. Elle a aussi pour hobby de combler chaque mètre carré de son appartement avec des piles compactes de livres, fanzines et autres bouts de papier reliés qu’elle adore.

NATACHA PASCHAL En un livre autoédité, son Fake Vogue, Natacha Paschal a réussi à mettre à genoux tous les petits aficionados du dessin. Nous en sommes évidemment. Cyrillus aussi, la direction artistique de Grazia aussi et les connoisseurs de chez Agent 002 aussi.

NICOLAS PELLION Certainement l’un des meilleurs connaisseurs du rap actuel, Nicolas Pellion participe à l’émission « La Sauce » sur OKLM, écrit pour L’Abcdrduson, Libération et Yard et a surtout créé son propre site PureBakingSoda, qui vient de fêter ses dix ans.

FLORENT TANET Ce directeur artistique parisien est ce genre de photographe qui mêle goulûment son art aux autres champs qui le passionnent, le graphisme et la sculpture au premier chef.

GEOFFREY VALLON Journaliste freelance et amateur de jolies choses, Geoffrey Vallon joue sur toutes les surfaces. C’est pourquoi il nous livre ici ses œuvres mystiques préférées lors d’un voyage à travers la bande dessinée, les jeux vidéo et le cinéma.


STAFF Directeur de la publication : Jérémie Martinez Direction Kiblind : Jérémie Martinez Jean Tourette Gabriel Viry Team Kiblind Magazine : Maxime Gueugneau & Marie-Camille Alban - Agathe Bruguière - Alix Hassler - Jérémie Martinez Elora Quittet - Justine Ravinet - Jean Tourette - Olivier Trias - Gabriel Viry Réviseur : Raphaël Lagier Merci à : Nanon Desniou et Matthieu Sandjivy Direction artistique : KIBLIND Agence (www.kiblind.com)

INFOS Le magazine Kiblind est imprimé sur papier Fedrigoni Couverture : Symbol Freelife E/E49 Country 250g Papier intérieur : Arcoprint Milk 100g et Symbol Freelife Gloss 200g Typographies : Kiblind Magazine (Benoît Bodhuin) et Orphéon (Marine Stephan) Imprimeur : Musumeci S.p.A. www.musumecispa.it Édité à 40 000 exemplaires par Kiblind Édition & Klar Communication. SARL au capital de 15 000 euros - 507 472 249 RCS Lyon. 27 rue Bouteille - 69001 Lyon 69 rue Armand Carrel - 75019 Paris 04 78 27 69 82 - www.kiblind.com Le magazine est diffusé en France. www.kiblind.com www.kiblind-store.com

Les textes ainsi que l’ensemble des publications n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits strictement réservés. THX CBS. Contact : redaction@kiblind.com

Illustration & Conception graphique : Erwann Terrier

Ce numéro comprend un cahier supplémentaire de 16 pages pour la région Rhône-Alpes. ISSN : 1628-4146


Entrée

12

Entrée

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Roman

IN THE MOOD

Le Dernier sur la plaine de Nathalie Bernard (éd. Thierry Magnier) Artwork par Tom Haugomat

Pochettes d’albums, couvertures, posters, etc. Voici tout ce qu’on a croisé de graphique et d’illustré ces trois derniers mois et qu’on mettrait bien dans notre salon.

Disque

« III » de Ventre de Biche Artwork par Elzo Durt Affiche

Exposition de Roca Balboa @ Troyes

Revue

Disque

« The Weirdness Is Coming » par le New York Magazine Artwork par Robert Beatty

« Sunscreen » de Some Bodies Artwork par Seb Agresti

Affiche

Livre jeunesse

12e édition du Festival du film polonais Artwork par Marysia Machulska

« Le Grand Voyage » Orane Sigal KC IDY

A

D

I

T

Revue

Disque

Face to Phase de rRoxymore Artwork par Max Ammo

Varoom Illustration Magazine Artwork par Yehrin Tong

Disque

« Pleasure Centre » de Kraak & Smaak Artwork par George Wylesol

Disque

Kcidy a dit de Kcidy Artwork par Antoine Eckart

illustration & fantasy

Disque

Dimly Lit de From Indian Lakes Artwork par Raman Djafari


Entrée

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Entrée

À L’ANCIENNE François Avril

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La brèche - 2013

La maison rouge - 2017

Pour remédier à notre ignorance, le galeriste, agent et éditeur Michel Lagarde nous plonge dans l’œuvre d’une légende des arts dessinés. Rochers noirs II - 2013

> Seaside de François Avril, disponible chez Champaka Bruxelles/Dupuis, 120 pages, 45 € > dupuis.com

François Avril aime la ville. On s’émerveille devant ses paysages urbains : Paris, New York et Tokyo, sa trilogie de villes monde. C’est un dessinateur avant tout, qui remplit ses images de personnages à tête épingle qui sont surtout là pour donner l’échelle de ses compositions. C’est aussi un peintre , un vrai ! Il s’affiche depuis plus de 20 ans sur les cimaises des galeries et des grandes foires d’art contemporain, défendu par sa galerie Bruxelloise HubertyBreyne. Si l’on ne connait pas l’homme délicieux et discret, on devine cependant l’amoureux fou de dessin. Ses amis dessinateurs s’émerveillent devant la justesse de son jugement et sa collection de dessins extraordinaire forme un musée idéal où se côtoient tous ses maîtres de papier. Les amateurs de bande dessinée n’ont pas oublié qu’il a

grandi sous l’aile bienveillante de Chaland, et il aime, après une trop brève carrière d’auteur, rendre hommage fréquemment à ses héros de papier. Sa culture graphique de dessin va bien bien au delà du genre qui l’a fait connaître. L’amateur de dessin pourra songer à Lyonel Feininger ou à Saul Steinberg. Celui porté plus sur la peinture évoquera avec raison les compositions de Poliakoff ou de Nicolas de Stael. Avril est aussi un amoureux de sa Bretagne, des bords de mer. Le Avril des villes et le Avril des côtes sont à retrouver dans un Seaside de belle facture. Remercions les éditions Dupuis et Eric Verhoest qui, sous le label Champaka, redonne des lettres de noblesse au dessinateurs affiliés à la bande dessinée.

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Les maisons jumelles - 2017

Michel Lagarde

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Horizon - 2015

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Marée basse III (Bois flottés) - 2008

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Entrée

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LA BIBLIOTHÈQUE IMPECCABLE Jérémie Moreau Nous avons demandé à Jérémie Moreau, responsable des superbes La Saga de Grimr et Penss et les plis du monde, quels étaient les livres qui l’inspiraient. Juste pour voir, comme ça. Et acheter les mêmes.

LITTLE NEMO IN SLUMBERLAND, LE SECOND LIVRE DES RÊVES, WINSOR MCCAY, 2009, DELCOURT

Je l’ai découvert adulte en sortant des Gobelins, c’est immédiatement devenu mon nouvel étalon graphique, purge idéale pour me laver de toutes ces années de Disney. De mon point de vue, on n’a jamais vu plus belle planche de BD.

ALMA, CLAIRE BRAUD, 2014, L’ASSOCIATION

J’en garde le souvenir d’un vent de fraîcheur. Du spontané à l’état pur. De l’improvisation virtuose. Une BD qui vous donne envie de dessiner immédiatement, de faire exploser vos barrières et de laisser vivre vos dessins par eux-mêmes.

LA CROISIÈRE INCERTAINE, GUS BOFA, RÉÉDITION 2010, CORNÉLIUS

Faire corps Adrien M & Claire B 24.01–03.05.20 Exposition-expérience  Gaîté Lyrique

Avec quelques bouts de textes très courts accompagnés par une illustration, par petites touches sporadiques vous sentez grouiller tout un monde fabuleux, cohérent et unique. C’est drôle, c’est fin, c’est toujours juste ce qu’il faut. J’ai découvert Gus Bofa avec ce livre, je trouve que c’est une bonne porte d’entrée.

HABITER EN OISEAU, VINCIANE DESPRET, 2019, ACTES SUD

Dans la continuité des thématiques de Deleuze qui me sont chères : les manières d’être, les territoires, la ritournelle... Ces concepts abstraits appliqués aux oiseaux c’est vraiment très beau, et ça permet d’envisager le monde autrement que par l’humain. Le chant comme extension du corps de l’oiseau. Le chant comme présence actuelle. Le chant comme territoire ! Une lecture qui ne va pas manquer de m’influencer pour les créations à venir.

La Gaîté Lyrique Musiques & futurs alternatifs 3 bis rue Papin 75003 Paris gaite-lyrique.net @gaitelyrique Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Martell


Entrée

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CONTREFAÇON

Natacha Paschal

31 JANVIER

LOFOFORA + SCHLAASSS

12 DÉCEMBRE

CLAIRO

47TER

MOSCOW DEATH BRIGADE + SHAÂRGHOT + BANANE METALIK

15 FÉVRIER

JEANNE ADDED + SONGE + KIDDY SMILE + ROUGE MARY + CALLING MARIAN

POPPY

THE MAINE + STAND ATLANTIC

26 MARS

JAX JONES

02 MARS

EFTERKLANG + KRISTIN ANNA

21 JANVIER

02 AVRIL 03 MARS

HATARI

07 MARS

ASTRID S

KVELERTAK

25 JANVIER

070 SHAKE

04 AVRIL

JPEGMAFIA

28 JANVIER

L

PARC DE LA VILLETTE

19 MAI

14 MARS

GLORYHAMMER + NEKROGOBLIKON

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20 MARS

21 FÉVRIER

EQUILIBRIUM + LORD OF THE LOST + NAILED TO OBSCURITY

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18 MARS

TORI KELLY

DANCE WITH THE DEAD + DAS MÖRTAL

14 DÉCEMBRE

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TNGHT

08 FÉVRIER

13 DÉCEMBRE

W

17 MARS

SWANS

HIGHLY SUSPECT

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Entrée

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Entrée

ESPACE FUN

JEU DES 7 ERREURS par Chester Holme

Vous venez de vous enfiler une montagne d’infos : un peu de divertissement ne vous fera pas de mal. POINTS À RELIER par Agathe Bruguière

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Saint bol hic

Miss tique

JOLIS RÉBUS par Simon Bailly

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Photo : Florent Tanet

Mystique Mystique Mystique Mystique Mystique Mystique


intro pictos

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Devant nous, un les murs d’une

Mystique

Et puis, l'

Autour, . Nous sommes dans

une ville, avec d’autres

qui sont

dans d’autres maisons ou qui marchent dans la

pour aller au travail,

frappe. Le ciel s’ouvre.

La connexion est établie avec l’autre . Dieu ? Le rap ? Un jeu

côté du de

marseillais ? Peu importe

le moyen. Nous sommes comme pris

faire des courses, compter les brins d’

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dans le flash de l’

et promener leur gosse.

jetable

de la vie, insensibles à la matérialité

Le tableau est plat. Il manque quelque

de ce qui nous entoure, évoluant

chose. Et nous luttons, chaque jour

dans une

pour découvrir quoi. Où est le quelle est notre essence ?

,

d’absolu. La lumière

nous irradie. Nous sommes aveugles. Nous voyons tout. Attention à la

quand même.


Interview

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À l'image du buisson ardent qui orne la couverture du magazine, Ugo Bienvenu éclaire de mille feux l'univers de l'illustration, sans jamais donner l'impression de se consumer. Passé par les prestigieuses écoles Estienne, les Gobelins, le California Institute of the Arts de Los Angeles et les Arts décoratifs de Paris , tour à tour réalisateur, monteur, producteur, illustrateur, éditeur ou simplement auteur, le jeune parisien, qui fonce vers ses 33 ans,

Ugo Bienvenu, dessein animé ne s'arrête jamais. Préférence Système, publié aux éditions Denoël Graphic et nominé à Angoulême, est le quatrième livre de celui qu'on remarque depuis un petit moment déjà dans le monde agité de l'animation, pour ses courts métrages et ses clips magistraux. Hermès, Edwin, Marvel, Society, Relief ou les Échos, avec lesquels, entre autres, il travaille à ses heures perdues, ne s'y sont pas trompés, son destin est tout tracé.


Pourquoi faire du dessin ? Tu as eu une révélation ? Mon premier flipbook, je l’ai fait à un an et demi, deux ans. J’étais souvent dans les avions où je m’emmerdais, donc je dessinais tout le temps. Mon premier carnet de croquis, je l’ai eu à deux ans. On prenait l’avion au moins six fois par an et mes parents étaient des tarés du voyage. Tous les week-ends, on faisait huit heures de voiture aller, huit heures de voiture retour et il fallait trouver un moyen pour qu’on ne râle pas avec mes sœurs. On avait des stocks de bouquins et des stocks de carnets. J’ai lu tout Tolkien en un voyage… Je me rappelle… On allait à la Sierra Gorda, une région incroyable au Mexique, avec des canyons et les routes qui vont avec. Maintenant j’aurai plus de mal, mais à l’époque aucun souci pour lire ou dessiner

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en bagnole. Je lisais beaucoup. Pour ce qui est de la révélation, pour faire court, je cite souvent Dragon Ball parce que je viens d’une famille qui a une culture du dessin assez classique. Le territoire que je maîtrisais, c’étaient tous les trucs des années 1980 que j’adore par ailleurs (Hugo Pratt, Moebius, Ric Hochet, etc.), mais on va dire que c’était familier pour moi. Et puis un jour dans la chambre de mes grands-parents avec mon cousin, arrive ce truc à la télé… Et là tu te dis : « putain, ça ne ressemble absolument à rien de ce que je connais ». Et tu te dis aussi : « je peux faire ce que je veux en fait ». J’avais six ans et je me suis rendu compte que graphiquement, tu n’as pas à suivre qui que ce soit. Et je me mets à dessiner comme un fou parce que je me dis qu’en fait c’est possible…

Ugo Bienvenu

"Les images religieuses sont toujours remplies d’autre chose qu’ellesmêmes, une espèce de lourdeur. C’est peutêtre ça qui est d’ordre religieux dans mon travail, c’est que j’essaie de faire des images qui portent autre chose que leur simplicité apparente."

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Et puis après, deuxième claque, Princesse Mononoké. Deuxième truc où je me dis : on peut faire ce qu’on veut, on peut ramener de la poésie, et puis surtout, on n’a pas à se justifier, on est libre. Parce que Miyazaki était aussi producteur de ses films et ça lui permettait énormément de liberté. C’est pour ça qu’il a pu faire les films qu’il a faits. J’observe pas mal les parcours des gens que j’apprécie. Grâce à Miyazaki, je suis arrivé à la conclusion que la seule raison pour laquelle il était libre, c’est parce qu’il détenait les moyens de production. Voilà. C’est important d’être libre artistiquement et aussi de pouvoir vivre convenablement. L’un ne doit pas se faire au détriment de l’autre. Je ne m’achète pas grand-chose par exemple, mais si je veux m’offrir un livre, je veux pouvoir le faire sans me poser la question. Les livres sont vraiment super importants pour moi. Tous les matins par exemple, une demi-heure/ une heure, je me pose au café avant de rentrer au bureau et je me fais ma petite heure de lecture avant mon tunnel de taf. Et pourquoi une formation aussi complète ? J’ai assez vite compris que ça allait être compliqué de vivre correctement en dessinant. Pour être le plus libre possible, il faut avoir le plus de moyens possible. Je me suis dit, bon, je prends le temps de faire un maximum d’études pour capitaliser un maximum de connaissances. Je mange des pâtes pendant quatre ans mais je monte ma boîte (pendant ma dernière année d’étude) puisque de toute façon on gagne rien les premières années non plus quand on monte un projet. C’était le moment. Tu fais disette, et tu fais le pari que ça paiera plus tard. Si tu réussis pas, au pire tu auras essayé et voilà. La

Images tirées du clip pour Jabberwocky – Fog – Miyu Production, 2015.

Interview

variété des études, c’était vraiment pour être le plus complet possible. C’est un peu comme un gladiateur dans la fosse avant d’entrer dans l’arène, bon bah, je chope mes armes, je les choisis bien et j’essaie d’avoir l’outillage le plus complet possible. J’ai fait Estienne de 14 à 17 ans, après je suis allé quelques mois à Roubaix à L’ESAAT en animation. Mais j’ai détesté la manière dont ils nous apprenaient l’animation parce qu’en fait, ils

n’avaient pas vraiment d’expérience dans ce milieu-là… Un peu bizarre. J’ai rappelé Estienne qui m’avait pris en illustration et ils m’ont repris en cours d’année. Ensuite je voulais faire Les Gobelins pour avoir un vrai bagage en illustration, pour être le plus solide possible. Et puis aussi parce que ça débouchait sur un métier technique. Je savais qu’il y aurait toujours du travail. Ma mère, qui a fait arts appliqués, m’avait mis en


garde : « C’est cool d’être un artiste mais il faut aussi manger et pour ça, il te faut un savoir-faire “physique”. » Donc j’ai fait Les Gobelins. Et puis, en troisième année aux Gobelins, on ne pouvait pas faire de film en solo, il fallait pour ça aller à la CalArts en Californie, donc j’ai fait un petit dossier et j’ai été pris. Le seul but pour moi, c’était de faire mon film de fin d’année tout seul, de me frotter à cet exercice. En rentrant, c’était la fin des études aux Gobelins, je me suis dit, j’ai pas encore fini, j’ai pas eu le temps d’expérimenter. J’étais devenu un technicien pas trop mauvais mais artistiquement je ne valais pas grand-chose. Dans mes études, j’ai toujours été en réaction aux enseignements et à la philosophie de l’école. À Estienne, où l’enseignement est très théorique, j’ai essayé de devenir un bon technicien ; aux Gobelins, où on parle plutôt de pratique, j’ai essayé de devenir un auteur… Ensuite, j’ai fait un premier clip, un deuxième clip, en même temps que j’étais aux Arts Déco de Paris, en recherche. Ça s’est mal passé là-bas, on était un peu devenu la main-d’œuvre des profs, donc, je me suis barré. Et qu’est-ce qu’il me manquait ? La production. Ça tombait bien, la formation c’était quatre fois deux semaines dans l’année et tu pouvais travailler en même temps. C’était dans quatre pays différents, donc ça m’a permis de découvrir en même temps une Europe que je ne connaissais pas très bien. J’ai monté Miyu production en parallèle. J’ai tenté la Femis en scénario et je ne l’ai pas eue. Là, je me suis dit qu’il fallait peut-être arrêter. Mais les pratiques, les savoirs ne s’annulent pas, c’est pas vrai. Le but c’était d’être armé le plus possible. Ça m’a vachement servi au début.

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Ugo Bienvenu

Préférence Système, Denoël Graphic, 2019.

Interview

Pour ce numéro Mystique, on a pensé à toi alors que, paradoxalement, ton travail paraît très ancré dans le réel… Je pense que ça se sent qu’il y a des préoccupations métaphysiques dans tout mon travail. Dans « Fog » par exemple, le clip de Jabberwocky, ou « Sphere of Existence » pour Antoine Kogut, il y a des questions comme « qu’est-ce que c’est que l’image », « quel peut être le poids de l’image », et c’est sans doute lié à la religion. Les images religieuses sont toujours remplies d’autre chose qu’elles-mêmes, une espèce de lourdeur. C’est peut-être ça qui est d’ordre religieux dans mon travail, c’est que j’essaie de faire des images qui portent autre chose que leur simplicité apparente. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins d’œuvres que de produits. Je me demande si la solution ce n’est pas de jouer la carte du produit, avec ses

caractéristiques flagrantes, pour en faire une œuvre. Si on voit d’abord une œuvre, on se dit souvent que ça va être austère, compliqué, chiant, etc. Alors que si on déguise une œuvre en produit, on peut toucher les gens, les gens ont un peu plus envie d’y aller. En y repensant, dans Paiement accepté, la fin est un peu mystique, quand ils sont sur la route. Je voulais que les phares deviennent deux étoiles dans la nuit. Certes ils vont disparaître, comme tout le monde, mais ils vont briller un peu plus longtemps. Et dans Préférence système aussi finalement… Cette petite fille, elle incarne le futur et le passé à ce moment-là dans le récit. Et d’une certaine manière c’est le présent absolu et elle devient un prophète. D’ailleurs, c’est pour ça que je ne pouvais pas finir autrement. Et puis j’ai aussi fait un clip sur

Jésus dernièrement… On va le sortir en décembre pour Noël, Jésus revient. J’ai demandé à un pote de créer une musique à partir du film. Je suis parti de l’idée que, si tu superposes, en les enchaînant, les différents Jésus sans leur croix, ils vont danser. Les personnages dans le film récoltent toutes les croix de Jésus dans l’univers. Pour le dernier Jésus, en or, il ne manquait qu’un doigt de pied. Et une fois reconstitué, évidemment, il revient à la vie. La nature, c’est un élément important ? Pour moi c’est dans la nature humaine d’observer ce qui nous entoure. Quand on aura arrêté de regarder les choses, on sera mort. Du coup, la nature c’est un élément fondamental. Moi, je peux rester une journée à regarder des vagues… Une vague, elle sera toujours différente et en même temps c’est toujours la même. La nature permet ce regard,

elle permet de reconsidérer le réel. De dire sans rien dire. Tu mets un robot dans la nature, par exemple hein, et tu te dis, tiens il y a truc qui ne va pas. Et c’est ce que j’aime bien faire, accoler deux choses qui ne vont pas ensemble, tu les forces et ça fait des petites explosions nucléaires. Si j’arrive à faire des images où il y a des petites explosions nucléaires, je suis content. Et il y a cette question de la transmission… Le mystère de l’éducation… La transmission c’est toujours le truc qui me pose question. C’est notre rôle en tant qu’espèce de transmettre. De créer ces maillons infinis. Je suis focalisé là-dessus depuis toujours. Qu’est-ce que notre espèce a à transmettre aujourd’hui ? L’individualisme ? Je ne sais pas trop si ce qu’on a à transmettre aujourd’hui est valable. Du coup, se pose la question de la continuité de cette

espèce globale. Si aujourd’hui, on est voué à disparaître, ce n’est peut-être pas forcément pour rien… Si on ne vit plus pour partager alors à quoi sert l’espèce elle-même… Mais dès qu’on parle de conscience collective aujourd’hui, soit on est catho, soit on est réac, soit on est fleur bleue. Non, en fait c’est juste être humain. Je ne conçois pas le monde si on ne peut partager des choses avec des gens. La vision de l’autre est aussi, voire plus importante que sa propre vision. Elle permet d’augmenter pour chacun sa vision de l’univers. La mise en concurrence qui est de mise un peu partout aujourd’hui avec la segmentation volontaire de la société en groupe d’intérêts distincts nuit au bien commun. En jouant la carte du communautarisme, jusque dans la manière dont sont pensées les séries Netflix pour prendre un exemple récent, on tend à monter les gens les uns contre les autres.


"Et puis j’aime bien me balader dans mon univers, tourner la tête, regarder à gauche à droite ce qui s’y passe. Ce monde qui est à la fois terriblement le nôtre et en même temps pas du tout. Je peux en faire ce que je veux finalement".

expériences de commandes même si au début je me suis fait pas mal arnaquer. Le pire, c’est quand tu acceptes des boulots mal payés et où finalement, artistiquement, tu te retrouves avec un truc que tu ne peux même pas valoriser parce que ça ne te ressemble pas. Les deux-trois détails que le client va changer, ça va bousculer toute la mécanique de travail et au final, tu ne pourras pas revendiquer ce boulot. Si tu changes un truc parfois, c’est tout le système qui s’effondre. Du coup, ce que je fais en clip maintenant, c’est juste demander la confiance. Si c’est ok, tu ne verras rien sauf le résultat final. Et en édition c’est pareil. Par exemple avec Jean-Luc Fromental, mon éditeur chez Denoël Graphic, je lui dis juste : « C’est l’histoire d’un homme qui ne va pas pouvoir faire ce qu’il veut »… Et hop on signe le contrat ! Il découvre la BD deux semaines avant qu’elle sorte. J’ai besoin que les gens me fassent confiance. C’est comme ça que je me mets au maximum. Je ne peux pas les décevoir. Bon avec Jean-Luc en l’occurrence, on se parle, on est amis donc toutes les semaines on se voit, on discute de la vie, aussi du projet bien sûr, mais il ne voit rien. On en parle mais il ne me donne jamais de conseils. C’est une super formation pour moi qui gère aussi une équipe. Juste écouter, et éventuellement communiquer des solutions sans qu’elles soient dites en tant que telles. Jean-Luc est super important pour moi. S’il arrête et ça arrivera forcément, je ne sais pas comment je ferai parce que c’est la seule personne avec qui j’ai envie de travailler en bande dessinée. Et d’ailleurs, j’aurais jamais fait de BD s’il ne m’avait pas appelé. Un petit mot sur cette couverture mystique pour terminer ? Il y a la cérémonie et ça, c’est un élément très important pour moi. Erving Goffman, un sociologue amé-

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Holiday, expotisiotn personnelle, 2017.

Quels sont les travaux qui t’ont marqué ? L’ électrochoc, la fois où je me suis senti vraiment libre c’est « Fog », le clip avec la petite fille. « Sphere of Existence » (le clip avec le robot qui s’enterre) aussi. Après, évidemment Paiement accepté, où c’était la première fois que j’acceptais cette voie d’auteur de BD, et Préférence système. Ce sont les quatre trucs qui m’ont vraiment marqué. En commande, sans doute le boulot avec Hermès. J’ai la chance depuis deux ans d’avoir Hermès et Gentle Monster qui me donnent quasiment carte blanche. Edwin aussi, qui me laisse libre. C’est un ancien stagiaire qui travaille là-bas. Souvent, les gens que j’ai en stage, après il nous arrive de bosser ensemble. Quand je reçois un profil cool, quelle que soit l’école, je le prends. Même quelqu’un qui n’a pas eu de concours d’ailleurs. Je lui dis, tu viens deux jours et on voit. Comme je suis prof aux Gobelins, si ça passe bien, il reste au bureau et se prépare au concours. Et puis ça devient aussi parfois des collaborateurs. J’ai eu beaucoup de bonnes

Ugo Bienvenu

ricain, dans son livre Mise en scène de la vie quotidienne, utilise l’imagerie du théâtre pour décrire les interactions humaines. Et c’est peut-être pour ça que ce bouquin m’a vraiment marqué, a conditionné mon écriture depuis 10 ans. Ce livre parle de l’importance du rituel. Il l’a écrit dans les années 60, une époque où le rituel était encore très présent. Le rituel ce n’est pas que dans le religieux… Il découle du religieux mais il est diffus dans tout le quotidien. Le rôle du rituel, c’est de signifier que chacun a une place, sa place, mais aussi que chacun a besoin de la place de l’autre. Et mes images aussi je les construis comme ça, autour d’un rituel. Je joue avec ces rituels, comme quand je dessine le robot qui ramène les chaussures à talon sur la plage. Pour cette couverture, on comprend qu’on est dans un collège à la campagne. Un genre de photo de classe à l’américaine et puisque la croix n’a pas fait l’unanimité chez vous, je me suis dit que je voulais quand même rester dans mes références, dans mon système. Donc arrive le buisson ardent… C’est un

symbole présent dans ma culture et j’ai d’ailleurs toujours voulu le dessiner. Ce truc qui brûle depuis l’éternité et indéfiniment jusqu’à la nuit des temps… ça fait partie de ces images que j’ai dans un coin de ma tête et que j’ai toujours voulu faire. Je vais pouvoir la cocher. Mais ma croix jouet, je vais la faire, c’est sûr !

Proposition de couverture pour Kiblind, 2019.

Holidays Forever - Illustration pour Edwin

Ton esthétique actuelle, ta signature graphique, avec les robots, les personnages en combinaisons, l’environnement futuriste, mêlés à la nature, tu vas la conserver longtemps ? À un moment je n’aurai plus rien à dire avec ça. Tant que j’ai encore des choses à véhiculer, tant que je peux utiliser ces petits véhicules, je continuerai. Ça sera très présent dans le dernier livre de la trilogie. Mais je produis énormément, je fais beaucoup de choses… Sans doute que quand j’aurai tout vomi, tout craché, fait dire à ces trucs tout ce que je devais, je passerai à autre chose, un autre système, une autre forme. Mais là, j’ai quand même trouvé un truc assez jouissif parce que c’est devenu un monde, mon monde. Du coup, ça va durer encore un petit peu… Et puis j’aime bien me balader dans mon univers, tourner la tête, regarder à gauche à droite ce qui s’y passe. Ce monde qui est à la fois terriblement le nôtre et en même temps pas du tout. Je peux en faire ce que je veux finalement.

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Sphère of Existence, Artwork pour Antoine Kogut, 2018.

Interview

Exposition de Ugo Bienvenu à KIBLIND Atelier (Lyon), du 12 décembre au 24 janvier 2019. Interview  :  Jérémie Martinez


Créations originales -

L’avantage du mot « mystique », c’est qu’il se rapporte à la fois à l’universel et à l’intime. Les huit illustrateurs qui se sont confrontés à la thématique de ce numéro ont eu ainsi à faire ce grand écart, générant des propositions parlant à tous, avec une intention singulière. Ils ont pu créer avec toute la liberté que permet le format magazine, avec le moins d’indications possible de notre part. Merci donc à Josephin Ritschel, Gaëlle Loth, Junie Briffaz, Élie Huault, Liana Mihailova, Pete Gamley, Cynthia Alfonso et Claire Nicolet d’avoir bien voulu faire un peu de gymnastique.

Cynthia Alfonso | Late Light zynvaites.tumblr.com


Élie Huault | Mystique

Claire Nicolet | Vespers op. 37, Serene Light, Rachmaninov

eliehuault.tumblr.com

clairenicolet.com


Gaëlle Loth | Un été à Syracuse

Liana Mihailova | Inevitable Pull

gaelleloth.tumblr.com

lianamihailova.com


Josephin Ritschel | Naked woman in the forest

Peter Gamlen | Mystique

expeditiononearth.de

petegamlen.com


Retrouvez les artistes de cette galerie sur KIBLIND.COM

Junie Briffaz | La Visite juniebi.tumblr.com


Discussion

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Thomas Durel

Tous mystiques ! Thomas Durel, artiste contemporain et enseignant d’art, scrute ces gens qui scrutent dévotement les puissances supérieures de l’esprit.

Thomas Struth, Audience I, 2004, tirage chromogène monté sur Plexiglass.

Depuis la figure inspirée et aliénée du rhapsode Ion chez Platon, en passant par celle du génie romantique, que prolongent quelques grands artistes prophètes de la modernité, à l’instar de V. Kandinsky (qui reçoit la révélation de l’abstraction en observant, sous « la fine lumière du crépuscule », un de ses tableaux, posé à l’envers, dans un coin de son atelier), notre imaginaire commun fait de l’artiste l’être mystique par excellence. Mais au sein de la triade Artiste-Œuvre-Spectateur, le mystique ne se niche pas nécessairement là où on le croit…

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W. Blake, L’Ancêtre des jours

Bras qui peinent à trouver leur place, têtes basculées en arrière, yeux écarquillés, les personnes photographiées par l’artiste allemand Thomas Struth, dans la première image de sa série intitulée Audience, semblent vivre une expérience intense, mystique et mystérieuse, parce que l’objet de leur adoration est situé hors du champ de l’image (il s’agit ici du colossal David de Michel-Ange, mais peu importe…). L’espace dans lequel ils éprouvent cela ne ressemble pas tout à fait non plus à un espace de culte traditionnel : c’est un musée. À l’heure où les églises se vident de leurs fidèles, cette institution, qui n’a pourtant que deux siècles d’histoire, accueille paradoxalement, chaque jour, de plus en plus d’adeptes d’une certaine « religion de l’art ». Dans notre société occidentale, qui a pris acte, avec Friedrich Nietzsche, de « la mort de Dieu », Thomas Struth nous montre que c’est désormais au musée que les regardeurs, au contact des œuvres, même profanes, font l’expérience de la transcendance. Le mystique n’est donc pas nécessairement celui que l’on croit. Le plasticien contemporain, jouant bien souvent d’ironie et de second degré, s’oppose d’ailleurs à l’image que l’homme du commun se fait de l’artiste. On aime à imaginer celui-ci comme un être à part, inspiré, en connexion avec un audelà, grâce ou à cause du caractère inné

de son don. Cette figure très stéréotypée est en fait issue d’une conception romantique de l’artiste, mais elle semble être, dans l’histoire de l’art, plutôt l’exception que la règle.

1794, eau-forte, Université de Manchester. Le poète, peintre et graveur anglais anticipe la figure de l’artiste romantique, solitaire, excentrique, en proie aux hallucinations. Il nous livre des images tirées de thèmes traditionnels, ici le Créateur du monde, mais d’une grande originalité formelle et colorée.

Le caractère tourmenté et mystique d’un William Blake est incontestable, celui d’un Salvador Dali, semble pour le coup davantage joué, artificiel, stratégique, même si l’artiste espagnol nous livre, au début des années 50, quelques singulières crucifixions inspirées d’un dessin d’un de ses compatriotes, le mystique Jean de la Croix. Au début du XXe siècle, encore très imprégnés de cet idéal romantique et en opposition à une modernité jugée trop technique et rationnelle, certains grands acteurs de l’abstraction, Piet Mondrian et Vassily Kandinsky en tête, puisent dans la théosophie d’Helena Blavatsky ou de Rudolf Steiner pour justifier leurs choix esthétiques. Ces artistes font de l’art l’outil anagogique permettant l’élévation spirituelle de l’humanité. En insistant sur le caractère transcendant et prophétique de leur production, ils évitent aussi que le béotien les perçoive comme de simples motifs décoratifs déclinables sur « des cravates ou des tapis » pour paraphraser ce même Kandinsky… Quelques années plus tard, au contraire, le peintre abstrait et minimaliste américain Frank Stella

S. Dali, Christ de Jean de la Croix 1951, huile sur toile, Musée Kelvingrove, Glasgow. Le peintre surréaliste, décrit son tableau, au point de vue surprenant, comme : « une conséquence d'un état d’extase (…). Je vis le Christ en rêve dans la même position, mais dans le paysage de Portlligat".

V. Kandinsky, Quelques cercles 1926, huile sur toile, Musée Guggenheim, New York. Le peintre russe, inventeur de l’abstraction, est convaincu de la puissance spirituelle des couleurs et des formes géométriques, débarrassées de toute référence au réel, à l’instar du langage musical qui lui sert de modèle.


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Rétrographie

TAROT

A. Pozzo, Triomphe de saint Ignace de Loyola 1685, peinture à fresque, Église Saint-Ignace-de-Loyola. L’artiste italien met au point une ambitieuse fresque en trompe-l’œil, dans laquelle une architecture feinte, ouverte sur le ciel, est ponctuée d’une nuée de personnages représentés en contre-plongée. Sur le sol de l’église, un repère permet au spectateur d’adopter le point de vue idéal pour assister à l’apothéose du saint.

Le Bernin, L’Extase de sainte Thérèse 1647-52, groupe central en marbre, Église Sainte-Marie-de-la-Victoire. L’artiste imagine pour son œuvre une mise en scène complexe, constituée de divers éléments architecturaux, masquant habilement une source lumineuse extérieure, qui glisse le long de rayons dorés et révèle la virtuosité du travail de taille du groupe central.

Le Caravage, La Conversion de saint Paul vers 1600, huile sur toile, Église Sainte-Marie-du-Peuple. L’artiste manie à la perfection le clairobscur pour épurer et hiérarchiser ses scènes. Il cherche à provoquer chez le spectateur une forme d’empathie en représentant ses personnages saints avec naturalisme, comme des gens issus du petit peuple.

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Passé – Présent – Futur d’un livre d’illustrations mystiques assume le caractère purement formaliste de ses recherches, en déclarant un peu prosaïquement : « Ce que vous voyez, c’est ce que vous voyez. » Il est vrai que les œuvres d’art sont souvent surinvesties, dotées d’un pouvoir de révélation qui échappe, au moins en partie, à leur auteur. Le sculpteur, l’imagier du Moyen Âge n’imagine sans doute pas que sa production, aussi réussie soit-elle, puisse être palpée, grattée, voire mangée par le fidèle, dans l’espoir de voir le saint thaumaturge qui y est représenté favoriser fertilité ou guérison. Cet habile artisan, bien souvent à la tête d’un atelier, doit faire preuve de raison, pour que sa petite entreprise puisse prospérer économiquement. Même à l’âge baroque, Pierre Paul Rubens, aidé de ses nombreux assistants, décrit avec talent mais aussi beaucoup de distance les miracles accomplis par les mystiques Ignace de Loyola et François Xavier, fondateurs de l’Ordre jésuite, sur les possédés, les estropiés, les morts ; leur canonisation est en jeu ! Les artistes du XVIIe siècle sont d’ailleurs nombreux à représenter les liens qui unissent Dieu et les grandes figures mystiques de la religion catholique, à l’heure où celle-ci est bousculée par la Réforme. Il y a nécessité de convaincre et d’émouvoir le croyant,

de lui faire ressentir corporellement ces diverses expériences extatiques. C’est aussi pour l’artiste une occasion formidable de prouver la singularité et l’efficacité de ses choix plastiques, et de prendre ses distances avec les programmes iconographiques qui, hier encore, étaient soigneusement dictés par des théologiens. Il faut se rendre à Rome, siège du pouvoir catholique, pour admirer encore in situ ce même Ignace de Loyola aspiré par une nuée d’anges dans l’église éponyme, grâce à une habile composition d’Andrea Pozzo ; nous étonner de la très convaincante mais bien ambiguë transverbération de la mystique Sainte-Thérèse d’Avila magistralement sculptée par le Bernin à l’église SainteMarie-de-la-Victoire. S’il ne fallait choisir qu’une œuvre, dans cette profusion de propositions, ce serait sans doute celle imaginée par le Caravage à l’église Sainte-Marie-du-Peuple. L’artiste peint avec un réalisme troublant saint Paul, projeté au sol par une formidable lumière divine ; le futur apôtre peut être considéré comme le premier grand mystique de l’histoire de la chrétienté.

Texte : Thomas Durel

Le Monde, Arcane XXI, Tarot de Marseille Camoin et Jodorowsky


Rétrographie

On raconte que celui qui maîtrise le Tarot détient la clef occulte du monde. Chaque image du jeu possède un sens caché, un trésor hermétique, qui se cherche d’abord en pénétrant à l’intérieur de la carte comme on entrerait dans un tableau symboliste, en descendant au milieu des couleurs et en dialoguant avec les personnages mystérieux. Puis, mélangées et étalées les unes à côté des autres, les cartes semblent échanger de confuses paroles, des rires insouciants ou de terribles injonctions : le Tarot offre alors toute sa force narrative, raconte une histoire en image, comme un livre muet. Il appartient enfin à l’interprète, au traducteur, à l’artiste, au médium, d’en délivrer la trame. On parlera alors véritablement de mythe et de mystère : de mystique, dans son sens primordial de « domaine des choses cachées ou secrètes », terrain d’aventures spirituelles et parcours initiatique vers une réalité transcendante non discernable par le sens commun. C’est pourquoi le Tarot et ses images symboliques occupent une place de premier rang dans le mysticisme : il apparaît comme l’un des principaux véhicules pour atteindre l’autre côté des choses, relier le bas et le haut, réunir le visible et l’invisible. L’origine du Tarot est mystérieuse. On a longtemps pensé qu’il descendait des Bohémiens et avait traversé les plaines d’Europe de l’Est au rythme de leurs chariots ambulants, engendré sur le tissu cramoisi qui recouvre le plateau de bois des diseuses de bonne fortune. D’autres prétendaient qu’il nous venait de la mythique Égypte ancienne, terre de mystères et source inépuisable de la Tradition ésotérique. Pourtant, comme tous les jeux de cartes primitifs européens, il serait inspiré par les images des

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jeux orientaux des Mamelouks, les « naïbs », qui avaient gagné l’Europe via l’Espagne mauresque en empruntant la Route de la Soie. Aussi les premiers antécédents, remontant au XIIIe siècle, étaient d’inspiration sarrasine. À la fin du XIVe siècle, les imagiers ou peintres d’image multipliaient les sujets pieux ou profanes sous forme de miniatures sur parchemin et sur carton : vertus théologales, péchés capitaux, planètes ou muses.

1) Trionfi extraits du jeu Visconti-Sforza (1451)

3) Lames extraites du Tarot Oswald Wirth, avec correspondance hébraïque

4) Arcanes majeurs extraits du Tarot Thot d'Aleister Crowley, dessinés par Frieda Harris

On eut l’idée de les regrouper pour en faire des séries à usages instructif et esthétique. Ce sont ces petits tableaux illustrés qui donnèrent de nouvelles égéries aux cartes à jouer, que l’on attribue à François Fibbia seigneur de Bologne. Pour le remercier de son invention du tarocchino, on l’autorisa à placer l’écusson de ses armes et de celles de sa femme sur l’épaule de deux reines du jeu. Mais c’est un peu plus tard, dans

Tarot

l’Italie du Nord du Quattrocento, qu’une série de cartes proche de la structure actuelle fait son apparition : les « carta da trionfi ». Ces « triomphes », qui sont les premiers « atouts », sont conçues en 1451 à la cour de Philippe Marie Visconti, duc de Milan, alors passionné de jeu de stratégie. Il commanda plusieurs jeux de carte, qu’on nomme aujourd’hui « Tarot Visconti-Sforza » (1), contenant déjà la plupart des figures que nous connaissons, accompagnées d’allégories des vertus. Peintes à la main de couleurs vives, sur carton souvent doré ou argenté, elles étaient d’une grande finesse artistique.

ENSEIGNES LATINES ET ATOUTS Les tarrochi vont rapidement gagner les autres pays d’Europe. Grace au succès de l’imprimerie, les cartes se diffusent à grande échelle et deviennent très populaires au cours du XVe siècle. C’est à cette même période que la forme et la structure du jeu semblent se fixer. Il compte dorénavant 78 cartes, réparties en 4 « enseignes » (ce qu’on appelle plus communément « couleurs ») de 14 cartes à valeur croissante, de l’As au 10, puis Valet, Cavalier, Dame, Roi, et de 22 atouts. Les enseignes changent selon les pays : les plus anciennes sont celles dites latines, classées par séries de bâtons, deniers, épées et coupes, qui ont été souvent conservées dans les tarots divinatoires ; en France on les a remplacées par les carreaux, trèfles, piques et cœurs ; en Allemagne, on leur a préféré les grelots, glands, feuilles et cœurs. Quant aux atouts, ils sont généralement au nombre de 21 + 1 carte appelée Le Fou ou Le Mat (qui est à l’origine du Joker dans les jeux courants de 52 cartes). C’est exactement la même formation que

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Les Arcanes majeurs du Tarot de Marseille et leur signification divinatoire

I. LE BATELEUR la créativité, l’initiative II. LA PAPESSE la sagesse, la connaissance III. L'IMPÉRATRICE l’intelligence, l’intuition IV. L'EMPEREUR la responsabilité, le courage 2) Les 22 arcanes majeurs du Tarot de Marseille, disposés dans le sens de lecture du grand livre muet, Ancien Tarot de Marseille Grimaud, édition de Paul Marteau

le tarot à jouer classique actuel, avec sa singulière carte de L’Excuse, qui inspira si passionnément Gérard de Nerval dans son poème El Desdichado. À la fin du XVe siècle, le tarot arrive en France par l’entremise des soldats des guerres d’Italie. Au cours des décennies suivantes, plusieurs « cartiers » français produisent des jeux : les plus renommés sont Jean Dodal et Michel Fayet à Lyon, Jean Noblet à Paris, puis Nicolas Conver à Marseille. Ce dernier grava en 1760 les formes et les figures du plus célèbre des jeux de tarot, le fameux « Tarot de Marseille ». Et c’est à partir de ses moules en bois que les respectueuses maisons Camoin et Grimaud perpétuèrent chacune à leur manière la tradition des cartes phocéennes, dont l’usage ludique muta progressivement vers celui d’un livre sans paroles à usage divinatoire (2) .

LA TERRE DE MEMPHIS Alors que le jeu de tarot populaire perd progressivement de sa notoriété au cours du XVIIIe siècle, les

figures mystiques et symboliques commencent à inspirer la communauté moins « joueuse » et très érudite des occultistes français. En 1781, Court de Gébelin est le premier à s’intéresser au jeu sur un plan plus subtil, en affirmant dans son ouvrage de référence Le Monde Primitif (8e volume) que le Tarot était un recueil d’origine égyptienne hérité de la Haute Antiquité : « Si l’on entendait annoncer qu’il existe encore de nos jours un ouvrage des anciens Égyptiens, un de leurs livres échappé aux flammes qui dévorèrent leurs superbes bibliothèques, et qui contient leur doctrine la plus pure sur des objets intéressants, chacun serait, sans doute, empressé de connaître un livre aussi précieux, aussi extraordinaire. Le fait est cependant très vrai : ce livre égyptien, seul reste de leurs superbes bibliothèques, existe de nos jours : il est même si commun qu’aucun savant n’a daigné s’en occuper ; personne avant nous n’ayant jamais soupçonné son illustre origine. Ce livre est le JEU DES TAROTS. » L’hypothèse est invérifiable. Mais elle flatte inévitablement l’imagination de la société savante de l’époque

V. LE PAPE la bienveillance, le devoir VI. L’AMOUREUX le désir, la sincérité VII. LE CHARIOT la volonté, la persévérance VIII. LA JUSTICE l’équilibre, la stabilité IX. L’HERMITE l’introspection, la solitude X. LA ROUE DE FORTUNE l’évolution, le changement XI. LA FORCE la maîtrise, la puissance XII. LE PENDU le renoncement, l’abandon XIII. L’ARCANE SANS NOM la transition, le changement XIV. LA TEMPÉRANCE l’adaptation, l’information XV. LE DIABLE la tentation, la possession XVI. LA MAISON DIEU le bouleversement, le basculement XVII. L'ETOILE l’inspiration, l’imagination XVIII. LA LUNE la perception, le sentiment XIX. LE SOLEIL l’épanouissement, le bonheur XX. LE JUGEMENT l’ouverture, le discernement XXI. LE MONDE l’accomplissement, la plénitude --- LE MAT l’errance, le néant


Rétrographie

– à tendance fortement égyptomane – qui s’engouffre avidement dans la voie. Certains vont jusqu'à affirmer que le Tarot ne peut être l’œuvre d’un seul ni de plusieurs hommes ordinaires, mais qu’il est d’origine magique, comme le soutient Jean-François Alliette, connu sous l’anagramme Etteilla : «  Le Tarot est un livre de l’Égypte ancienne dont les pages contiennent le secret d’une médecine universelle, de la création du monde et de la destinée de l’homme. Ses origines remontent à 2170 avant J.-C. quand dix-sept magiciens se réunirent en un conclave présidé par Hermès Trismégiste. Il fut ensuite incisé sur des plaques d’or placées autour du feu central du Temple de Memphis. Enfin, après diverses péripéties, il fut reproduit par de médiocres graveurs du Moyen-Age avec une quantité d’inexactitudes telle que son sens en fut dénaturé ». Hermès Trismégiste, c’est-à-dire « le trois fois grand », est la référence principale et fondatrice de l’Hermétisme. Père des alchimistes, souvent associé au dieu égyptien à tête d’ibis Thot, la simple association à son nom fait entrer le Tarot dans une ère mystique. Etteilla le rebaptise à cette fin « Livre de Thot », appellation qui sera reprise cent ans plus tard par le mage Aleister Crowley. Tout le monde s’accorde alors à voir dans le Tarot cet enseignement caché, fils de la Tradition ésotérique égyptienne, que l’initié saura déchiffrer au terme d’une étude profonde.

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Tarot

chée, secrète ». On distingue ainsi les arcanes mineurs empruntés au jeu classique, des arcanes majeurs, vraies figures ésotériques. Chacune de ces 22 lames porte un numéro d’ordre et un nom inscrit sur la partie basse, à l’exception de deux : La Mort ou « l’arcane sans nom » qui revêt seulement le numéro XIII ; et celle du Mat ou du Fou, qui à l’inverse porte effectivement son nom mais est dépourvue de numéro. Si bien que selon les interprètes, elle peut se trouver au début ou à la fin du livre, en 0 ou en 22e position. Il y a quantité de manières de « lire » ce recueil d’images. La première et la plus courante se fait par trois séries de sept, du Bateleur qui va démarrer le mouvement créatif, jusqu’au Monde qui en est l’aboutissement. Le Fou peut, selon la place qu’on lui préfère, signifier le Néant, au commencement ou à la fin… Les lames vont prendre encore plus de valeur ésotérique au cours des années suivantes, par l'intermédiaire de grands occultistes. Eliphas Levi rapprochera les 22 arcanes majeurs des 22 lettres de

l’alphabet hébraïque, les amplifiant d’une dimension kabbalistique ; à l’initiative de Stanislas de Guaita, Oswald Wirth associera les 10 premières figures et les 10 sephiroth de l’Arbre de Vie, tout en laissant en 1889 une sublime réinterprétation graphique du jeu, dans son intégralité (3) ; Gérard Encausse, alias Papus, apportera sa part à l’édifice occulte et raccrochera avec la tradition nomade dans son Tarot des Bohémiens ; enfin, Arthur Edouard Waite, chantre de la Golden Dawn, créera avec Pamela Colman-Smith la version de référence des pays anglophones (nommée logiquement Tarot Waite-Smith), sur les fondements de laquelle Aleister Crowley livrera son Tarot Thot (4).

FIGURES LIBRES Depuis sa manifestation en Italie et jusqu’à nos jours, on recense près de 2000 jeux de Tarot. Nouveaux supports à utilité divinatoire ou prétexte à interprétation libérée, les cartes sont rebattues continuellement pour laisser place à l’illus-

ARCANA ARCANORUM On ne parlera plus dès lors de simples « cartes », mais de « clefs » du Tarot, encore appelées « lames » ou « arcanes », arcanum en latin signifiant en effet la « chose ca-

5) Cristina Daura, L'Hermite

6) Edward Gorey, Fantod Pack

8) Mortis Ghost, Le Pendu

tration et au style, dans le respect ou non de la tradition séculaire. Et quand on y pense, le terrain de jeu est extrêmement vaste. Plusieurs artistes ou collectifs se sont prêtés à l’exercice. Certains ont revisité quelques lames seulement, comme Cristina Daura (5) ou Edward Gorey (6) ; d’autres se sont attardés, par attirance ou par jeu, sur la série complète des 22 atouts, tels que Victoria Doche (7) et Mortis Ghost (8) ; enfin, de plus téméraires ont délivré une version intégrale des 78 cartes, avec plus ou moins de liberté créatrice devant l’original. Le Tarot Merveille & Sapin (9), par exemple, sous-titré « Jeu bel et drôle », a été entièrement repensé en conservant les noms « marseillais » des arcanes majeurs et en imposant un style très graphique et minimaliste, ne gardant des principaux personnages que les accessoires symboliques posés à l’encre dorée sur fond blanc ; et pour les mineurs, les enseignes françaises ont été retenues plutôt que les latines, avec la fantaisie d’avoir nommé chacun d’un petit nom original. Dans un autre genre, le Tarot Coupdpiedocculte Divagatoire, expédié par le collectif d’artistes de la Tribune du Jelly Rodger, guidé par Eloïse Rey et Seream, conserve lui aussi la structure d'origine. Mais il revisite toutes les cartes en leur substituant des caractères et des situations plus instinctivement extraits de notre douce époque, en fonction des vices et fantasmes de la trentaine d’illustrateurs mise en cause : Le Bateleur devient Le Banquier sous le dessin d’Hélène Bléhaut, La Papesse est vue en Call-Girl par Louis Pradel, L’Hermite est Le Chômeur pour Juliette Léveillé, L’Interdit Bancaire représente La Mort pour Matthieu Chiara, La Tempérance se cache derrière La Télévision selon Domitille Leca, La Lune se change en Time Square

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7) Victoria Dorche, extrait de son Tarot de Marseille en 22 arcanes

9) Tarot Merveille & Sapin, créé par le studio Merveilleuse Identité (photo Thomas Martin)

10) Cartes extraites du Tarot Coupdpiedocculte Divagatoire, dessiné par le collectif de la Tribune du Jelly Rodger (édition Une poingnée d'loups en laisse)

avec Guillaume Chauchat, Le Fou se sublime en Poète grâce à Justin Boillon, etc (10). La source semble bien intarissable et la liste est longue, tout autant que peut l’être l’expressivité dans l’univers de l’illustration contemporaine. Le Tarot fait preuve d’une vitalité incroyable. Le petit paquet d’images, dont on ignore la véritable origine, s’est chargé au cours du temps de trésors occultes et n’en finit pas d’exercer son pouvoir de fascination

mystique, aussi bien par son ésotérisme que par le cadre de jeu esthétique qu’offrent ses cartes. Finalement, on a envie de donner raison à Alejandro Jodorowsky, grand maître en la matière, lorsqu’il enseigne simplement que « le tarot t’apprendra à créer une âme ». Et peut-être même jusqu’à l’âme du Monde, pour ceux qui seront arrivés à la dernière clef, avec les yeux grand ouverts. Texte : Jean Tourette


Interlude

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Illustration : Agathe Bruguière Texte : Marie-Camille Alban & Alix Hassler

ASTRO GASTRO Ce qui vous arrivera de pire cette prochaine saison.

LION

VIERGE

22 juin > 22 juillet

23 juillet > 22 août

23 août > 22 septembre

Votre collègue Jean-Marc parviendra à se débarrasser des pellicules qui sont sur ses épaules, mais pas de celles qui tombent dans son dos. Il vous demandera de vous acquitter de cette tâche.

Affaire du siècle sur Leboncoin, vous dégoterez un canapé full design à un prix imbattable, livraison incluse. Il en jettera dans votre salon, mais c’est tout le reste que vous devrez jeter. Pas d’bol, invasion de bed bugs.

Ce dimanche morose où vous déciderez de ne sortir de votre lit que pour chercher le pain en tongs-chaussettes, vous croiserez votre ex et sa nouvelle moitié.

Après trois CDD et deux stages dans la même structure, on vous annoncera que vous n’êtes finalement pas embauché·e.

TAUREAU

GÉMEAUX

BALANCE

SCORPION

SAGITTAIRE

21 avril > 21 mai

22 mai > 21 juin

23 septembre > 22 octobre

23 octobre > 22 novembre

23 novembre > 21 décembre

Après avoir cuisiné votre recette signature, le bœuf bourguignon mijoté 9 heures à basse température, vous découvrirez que vos invités sont devenus vegans.

Vous ferez des heures supp au bureau et arriverez systématiquement après la fermeture du point relais. Eh oui, votre colis sera renvoyé à l’expéditeur.

Échange torride avec votre crush du moment. Un sexto par-ci, une photo par-là. Dans votre enthousiasme, vous ne vous apercevrez que trop tard que votre dernier message a été envoyé à mamie Nicole.

Après 12 mois de travail acharné, vous mettrez un point final à votre mémoire. Sorti·e pour fêter ça, vous oublierez de surveiller votre sac au bar. L’ordinateur disparaîtra, et forcément, rien n’était sur le cloud.

Plein·e de bonnes résolutions, vous vous déciderez à mettre fin à votre phobie administrative des six derniers mois. Un jour trop tard. Vos impôts seront majorés de 50 %.

CAPRICORNE

VERSEAU

POISSONS

CANCER

22 décembre > 20 janvier

21 janvier > 19 février

20 février > 20 mars

Vous perdrez au Quinté+, rien de grave, mais c’est la 365e fois de l’année. Et ça ne vous dissuadera pas de continuer.

Votre match Tinder sera plus attentionné que jamais : dîner aux chandelles, week-end surprise, petits surnoms, la totale. Cerise sur le gâteau, il/elle va bientôt faire sa demande en mariage. Qui ne vous sera pas destinée, dommage.

BÉLIER 21 mars > 20 avril À l’occasion de votre anniversaire, vous organiserez une sortie en discothèque. Un peu trop enthousiaste à l’idée d’enflammer le dancefloor, vous glisserez dans un Sex on the beach on the floor. Gros claquage aux adducteurs.


Discussion

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Geoffrey Vallon

Voyages initiatiques & mondes intérieurs

raconte les pérégrinations de deux âmes esseulées en route vers la cité mythique de Tar, ville iconique symbolisant la sagesse humaine et l’art de la guérison. Quelques années plus tard, son western psychédélique et subversif El Topo (1970) entraîne le spectateur sur la voie d’un homme en quête d’une existence méliorative par l’illumination spirituelle. On peut voir dans ces périples initiatiques une correspondance avec certaines expériences vidéoludiques qui favorisent l’introspection du joueur. Dans le conte onirique Ico (2001) de Fumito Ueda, le personnage éponyme et la princesse captive nommée Yorda fuient des créatures sombres insaisissables afin de se frayer un chemin vers la liberté. À l’instar de Fando et Lis, ils sont le cœur et l’âme du récit. Ils sont incapables de communiquer par la parole, et leur complémentarité réside dans la coordination de leurs interactions. Leurs destinées sont intimement liées et le joueur, pour trouver

Où l’on met notre pas dans les pas du journaliste Geoffrey Vallon, suivant les traînées mystiques laissées par quelques BD, films et jeux vidéo de son choix.

L’homme cherche constamment à comprendre ce qui l’entoure. Il analyse son environnement de vie, ses interactions avec autrui mais il ne semble pas se questionner fondamentalement sur ce qui occupe son espace intérieur. À l’heure où le perfectionnement des intelligences artificielles et le transhumanisme déchaînent les passions, nous sommes pourtant enclins à obtenir certaines réponses. Ouvrir une porte sur l’esprit passe nécessairement par l’abandon pour renoncer à soi et au monde tel qu’il existe. Cette initiation transcendantale est avant tout une quête de symboles intérieurs, permettant de communier avec l’inconscient et de visualiser son propre paysage mental.

En parcourant l’œ uvre anticonformiste et polymorphe de l’artiste franco-chilien Alejandro Jodorowsky, on retrouve dans son cinéma, ses dessins et ses écrits une forte symbolique spirituelle. Au travers de ses vies multiples, ce poète mystique a façonné un art pour guérir et pour ouvrir les consciences. Dans ses Fables paniques publiées à partir de 1967 dans le supplément culturel de El Heraldo de México, Jodorowsky concentre toute son avidité de création. Il y aborde des thématiques existentielles telles que la mort et l’amour, et met en exergue les nombreuses contradictions de la société moderne. À la fois maître et disciple, il distille dans ces dessins maladroits certains enseignements

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plein d’humour et de sagesse. On peut notamment mentionner cette planche au charme suranné où le disciple incarné par Jodorowsky s’adresse à son maître ainsi : « – Mais quelle position désagréable ! – Tu ne trouveras jamais une position agréable tant que tu ne seras pas bien intérieurement. Le jour où tu mettras en ordre ton esprit (même si ton corps est un sac de nœuds), tu trouveras la position agréable. » On retrouve cette quête d’accomplissement dans les voyages exploratoires qu’entreprennent les personnages de Jodorowsky au cinéma. Entre ésotérisme et surréalisme, son premier long-métrage Fando et Lis (1968)

une issue, doit résoudre plusieurs énigmes imposées par une forteresse labyrinthique. Contemplatif et singulier, Ico a contribué à l’émancipation du jeu vidéo en proposant une nouvelle forme de narration. C’est une œuvre chargée de mystères et d’émotions dont la puissance d’évocation laisse au joueur toute latitude pour se construire sa propre perception. Le jeu Journey (2012) propose également une expérience de jeu subtile où l’imagination a une place privilégiée. Une quête de l’épure portée par un minimalisme formel dans laquelle le joueur s’affranchit de tout repère pour s’adonner à l’exploration et à l’introspection. Il peut ainsi projeter ses croyances sur les ruines chargées d’histoire d’une civilisation oubliée et se laisser guider par ses propres intuitions. C’est une invitation à la méditation où les dunes infinies d’un désert de sable deviennent le réceptacle d’un aller-retour continu entre

Sélection ésotérique Les Yeux du Chat

40 days dans le Désert B

Psychonauts

Les Humanoïdes Associés, 1978 Publiée pour la première fois en 1978, cette bande dessinée révolutionnaire dans sa structure signe la première collaboration entre Moebius et Jodorowsky. Imprimé sur papier canari, le récit dépeint en jaune et noir la quête d’un enfant aveugle cherchant à voir au travers des yeux d’un chat.

Stardom, 2001 Ce carnet de sorcellerie graphique compile plusieurs dessins réalisés par Moebius à la pointe fine. Conçu pendant le sevrage de sa consommation de marijuana, cette période sensible lui a permis de donner naissance au Désert B, une région aride où il laisse libre cours à toutes les métamorphoses de son esprit.

Double Fine, 2005 Sorti de l’imagination débordante de Tim Schafer, ce jeu de plates-formes met en scène Razputin, enfant doté de pouvoirs psychiques. Au cours de son initiation pour devenir un véritable Psychonaut, il doit pénétrer l’esprit malade de différents protagonistes pour dénouer leurs traumatismes et guérir leur conscience.

Codex Séraphinianus

La Montagne sacrée

The Nomad Soul

Rizzoli, 1981 Une encyclopédie de l’étrange conçue d’après un monde et un langage inventés par son créateur Luigi Serafini. De nombreux lecteurs s’échinent encore à décrypter la complexité du langage de cet épais grimoire ésotérique dont l’univers graphique évoque une rencontre spirituelle entre Jérôme Bosch et Roland Topor.

film d’Alejandro Jodorowsky, 1973 Adaptée du Mont Analogue, roman allégorique de René Daumal, cette épopée mystique d’une grande densité visuelle et d’une symbolique hypnotisante dénonce la société moderne et ses dérives matérialistes. On y suit le pèlerinage de neuf élus gravissant la Montagne sacrée en quête de sagesse et d’immortalité.

Quantic Dream, 1999 Expérience de jeu sensorielle et subliminale où un monde futuriste propose au joueur de projeter son âme dans le corps de différents personnages. Dans la vaste mégalopole d’Omikron, on raconte même que David Bowie aurait transféré son âme dans le corps du chanteur du groupe culte des Dreamers…


Geoffrey Vallon

l’intérieur et l’extérieur de soi. On peut voir dans le désert un lieu privilégié d’où peut éclore une vision. Un endroit aride et ensorcelé qui a notamment mis en lumière les expériences chamaniques de l’é crivain Carlos Castaneda. Abondamment représenté dans la série Blueberry, le désert tient également une place prépondérante dans l’oeuvre de Jean GiraudMoebius. Ce qu’il a nommé le Désert B lorsqu’il a arrêté de fumer de l’herbe (« desherbé ») est devenu une sorte de catharsis pour s’échapper des cases et exprimer ses réflexions, ses sensations et ses désirs enfouis. Ce lieu d’expression psychique lui a permis d’entretenir un lien privilégié avec son univers multiforme et de se mettre en scène, lui-même, aux côtés des différents personnages qui jalonnent son œuvre. Par

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ce cheminement intérieur de l’artiste naquit au début des années 2000 l’œ uvre autobiographique Inside Moebius. Comme pour son ami et partenaire de carrière Alejandro Jodorowsky, le rêve et l’inconscient demeurent des thématiques qui lui sont chères. Du projet avorté Dune à la série culte L’Incal, les collaborations des deux artistes ont permis de faire évoluer définitivement la bande dessinée vers une dimension mystique. Un 9e art déviant dont les expérimentations – encouragées par le magazine Métal Hurlant – s’intéressent à la face cachée de l’existence au travers de la science-fiction.

Enquête

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Des nouvelles de Séraphin

Texte : Geoffrey Vallon Images : Kiblind

“Tu ne trouveras jamais une position agréable tant que tu ne seras pas bien intérieurement. Le jour où tu mettras en ordre ton esprit (même si ton corps est un sac de nœuds), tu trouveras la position agréable.”

Ils portent des jeans et des baskets et se fondent dans notre masse terrestre avec une facilité déconcertante. Pourtant, ces humains ont un petit truc en plus. Ils communiquent avec les morts et se rencontrent naturellement pour le faire en groupe tous les mois. Nous sommes allés rencontrer nos voisins médiums lors d’une séance de spiritisme. L’occasion également de demander – comme le veut la tradition – quelques nouvelles de nos proches passés dans l’Autre Monde…


Enquête

Si pour le commun des mortels, une balade en forêt ou une session de lèche-vitrine compulsif semblent être des activités tout à fait convenables pour un samedi après-midi, pour d’autres, aller communiquer avec des esprits de personnes défuntes en est une autre. Nous ignorions presque leur existence ou en tout cas, l’imaginions loin de nous, mais pourtant, toutes ces personnes évoluent juste là, tout à côté de nos

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tournantes. À cette époque, les personnes en quête de vérité se rassemblent dans des endroits chics où ils s’installent autour de tables rondes, les yeux fermés, pour tenter de rentrer en communication avec les esprits. Se détachant peu à peu de ce qu’il prenait pour des connaissances établies, Léon Rivail n’a d’autre choix que de s’intéresser au sujet et rencontre rapidement une femme et deux sœurs capables de dialoguer

NAÎTRE, MOURIR, RENAÎTRE... habitudes terrestres ô combien ennuyeuses. Lors d’une après-midi ensoleillée du mois d’octobre, ni une, ni deux, nous partons en direction de la ville voisine de Bron, piqués au vif par notre curiosité. Là-bas se tient un grand rassemblement de médiums prenant place comme tous les mois au sein du célèbre Centre spirite lyonnais Allan Kardec. Il faut dire que la capitale des Gaules a de quoi être calée sur le sujet. C’est en effet là qu’est né en 1804 le fondateur de la philosophie spirite Hippolyte Léon Denizard Rivail. Tout d’abord sceptique, cet instituteur et pédagogue a préféré se cacher sous ses certitudes raisonnées lorsqu’il entendit parler pour la première fois de phénomènes étranges impliquant des êtres humains vivants et décédés. Au milieu du XIXe siècle, une tendance faisant alors fureur aux ÉtatsUnis vient s’inviter dans les salons bourgeois français : celle des tables

avec les esprits. En pleine séance de spiritisme, une des deux sœurs lui révèle qu’il était druide dans une vie antérieure et que son nom était Allan Kardec. C’est une révélation pour Léon qui ne se défera plus de son nouveau blaze après ça. Après avoir méticuleusement analysé tous les comptes rendus écrits de ses expérimentations, Kardec sort son premier ouvrage sur le spiritisme, aujourd’hui devenu sacré : le Livre des esprits. Le désormais Parisien y explique cette science occulte nouvelle « qui traite de la nature, de l’origine et de la destinée des esprits, et de leurs rapports avec le monde corporel ». Cette doctrine qui croit en l’enseignement des esprits et en la vie éternelle n’a, depuis lors, cessé de faire des adeptes. Parmi les plus illustres, il se chuchote que Victor Hugo avait succombé à l’appel de l’au-delà en son temps et s’offrait ainsi quelques bavardages avec Bonaparte et Molière de temps à autre.

KARDEC PARA SEMPRE De nos jours encore, Allan Kardec demeure la superstar historique du spiritualisme. En plus d’avoir des centres à son nom un peu partout dans le monde, l’homme s’est également offert le luxe d’un biopic acheté par Netflix, de BD, de films, de telenovelas et de pièces de théâtre qui lui sont consacrées dans plusieurs pays. Sa tombe, demeurant au Père-Lachaise à Paris, est elle visitée sans relâche car elle aurait le pouvoir d’exaucer les souhaits. Mieux encore, au Brésil, le Français est toujours vénéré par 6 millions d’adeptes et 20 millions de sympathisants. L’engouement y est tel que le spiritisme est là-bas aujourd’hui considéré comme une religion d’utilité publique et que les livres du fondateur du spiritisme moderne s’y vendent encore comme des tapiocas.

Nous n’aurons d’ailleurs pas longtemps à attendre avant de nous en rendre compte par nous-mêmes. À peine sortis de notre bus en direction du Centre spirite de Bron, une femme, la cinquantaine rieuse, nous demande son chemin. Comme la vie est bien faite, c’est au même endroit que nous nous rendons. C’est donc avec cette dame au pas pressé que

nous taillons notre route. Elle nous parle du film biographique sur Allan Kardec, est surprise que nous n’ayons jamais entendu parler du « plus grand médium brésilien vivant » Divaldo Franco, aujourd’hui âgé de 93 ans, et tout ça avec un accent qui fleure bon le Brésil. Lorsqu’on lui apprend que c’est notre première fois, la Brésilienne nous rassure : « Les réunions spirites du Centre de Lyon sont les meilleures. On vient vraiment ici pour prendre des nouvelles de ses proches décédés, contrairement au Centre parisien par exemple, qui est moins intéressant. » Enfin débarqués à l’adresse qui était inscrite sur notre GPS, nous attendons avec quelques petits groupes de personnes très ponctuelles devant le portail de ce qui ressemble à une banale maison de quartier. Il est 14 heures, nous avons pris le soin d’arriver une heure en avance, comme nous le préconisait le site du Centre, pour avoir le temps de remplir une fiche de « demande de nouvelles d’une personne désincarnée ». Quelques minutes plus tard et après être passés dans un coquet jardin, nous pénétrons dans une salle aux murs jaunes quelque peu défraîchis, décorée de multiples portraits d’Allan Kardec. Quatre longues rangées de chaises en bois y sont disposées, toutes prêtes à accueillir les visiteurs, tandis qu’une grande table se trouve juste en face. À peine la porte poussée, une femme nous explique le fonctionnement d’une séance spirite et nous demande de remplir la fameuse fiche. En haut de ce papier, un message vient directement calmer nos ardeurs de groupies : « Pas de célébrités ». Malgré mon envie irrépressible d’avoir des nouvelles de Carlos, je me résous à appliquer les règles. La

36 15 AU-DELÀ

fiche explicative nous informe que si l’esprit que nous voulons convoquer est en capacité de venir, il est dirigé vers le médium afin qu’il puisse délivrer son message. Si en revanche, il ne souhaite pas venir s’exprimer, les informations le concernant seront transmises soit par son guide, soit par un des guides du Centre. Aussi, il est impossible de demander des nouvelles d’une personne décédée il y a moins de trois mois. Si elle ne va pas bien, la solution est la suivante : se rendre tous les mercredis au Centre spirite pendant trois

14h24. Les médiums commencent à arriver. Petit à petit, ils s’installent autour de la table et entrent en méditation. Ici, pas de bizarreries ni de « table volante » comme dans les années 1850, mais simplement des personnes fermant les yeux, autour d’une table en bois où sont sobrement posées des boîtes de mouchoirs et des bouteilles d’eau. Se baladant entre la trentaine et la soixantaine, les 14 médiums présents ce jour-là n’ont rien d’extravagant, eux non plus. Seule une phrase inscrite en énormes caractères sur le mur derrière eux nous rappelle bel et bien où nous sommes : « Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la loi ». Les rangées de visiteurs se remplissent de personnes de tout âge et de toute nationalité, comptant toujours une majorité de Brésiliens. Un espace « de recueillement », presque

... ET PROGRESSER SANS CESSE... semaines afin de prier pour l’esprit en question. Ces informations bien digérées, je remplis donc la feuille qui devient alors le support d’un dialogue adressé à l’au-delà. J’y demande des nouvelles de mon grand-père Séraphin, décédé il y a quatre ans à un bel âge, et en profite pour m’excuser envers lui de l’embarquer dans une expérience occulte. Une fois la feuille complétée, je la dépose à l’accueil. Elle sera ensuite placée au hasard dans un des tas de feuilles.

vide, est installé à droite. Nous apprendrons plus tard que celuici est réservé aux personnes ayant suivi une formation au Centre pour devenir médiums, mais qui n’ont pas été déclarés aptes à exercer, car ils étaient trop craintifs ou n’arrivaient pas à lâcher prise. 14h42. Le dernier retardataire a pris place. Nous sommes enfin dans le calme absolu. Devant nous, les médiums sont en méditation ;


Enquête

derrière, les visiteurs ferment également les yeux. Nous entendons enfin une musique de relaxation qui est diffusée dans toute la salle, et qui n’était pas vraiment audible jusqu’ici. À chaque réunion, un médium est désigné pour être président de cérémonie. Celui qui a été choisi pour présider la séance de ce jour nous prévient d’emblée : « Ceci n’a rien de spectaculaire ou de miraculeux, mais fait simplement appel aux lois de la nature. » Il est le médiateur entre les Guides spirituels, qui s’expriment à travers les médiums, et les visiteurs. La séance débute officiellement avec la lecture d’un passage d’un livre spirite puis d’une prière afin de solliciter la bienveillance. La première médium à prendre la parole autour de la table est une médium psychophone : elle retranscrit oralement les paroles de l’esprit. La tablée est effectivement répartie en deux groupes distincts : celui des médiums psychophones

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notions de grandeur de l’âme, d’élan du cœur et de joies intérieures. Piochant dans le tas de feuilles qui se trouve devant lui, le président de la séance appelle Pascal*, le papa de Damien* présent dans la salle. À travers les paroles de la médium, l’esprit de Pascal semble se chercher, « il a besoin de gagner en grandeur et de remettre ses pensées en place ». Comme l’explique le président pendant la séance, l’esprit, même s’il quitte son enveloppe terrestre et n’a donc plus de forme physique, continue de garder son intelligence, sa pensée et sa capacité d’apprentissage après la mort. Un nouvel esprit s’adresse à l’auditoire

« Ceci n’a rien de spectaculaire ou de miraculeux, mais fait simplement appel aux lois de la nature. »

... TELLE EST LA LOI. qui s’expriment à l’oral lorsqu’un esprit communique avec eux et celui de médiums psychographes, qui ne s’expriment que par écrit. Les yeux aussi fermés que les traits de son visage, la première médium prend donc la parole. Elle évoque des

effronté, il balance même au président que ses questions ne servent à rien. Pourtant, ce dernier essaie de l’aider. Il lui demande comment il va, mais l’esprit lui dit être blasé et errer en plein brouillard. Le président lui rappelle que la vie terrestre n’est qu’un passage mais que son âme est immortelle et qu’il ne cessera jamais de découvrir d’autres esprits, de s’instruire et de découvrir le but de la vie. Voyant que le sujet n’est guère conciliant, il l’abandonne finalement à ses questionnements et à sa mauvaise humeur.

à travers la voix fluette et quelque peu crispante d’une autre médium : « Ah, je vais pouvoir parler, c’est nouveau ! » Celui-ci est en colère, il ne cesse de répéter qu’il se pose énormément de questions. Il balbutie, se répète, s’énerve. Sacrément

C’est ensuite au tour de la mère de quelqu’un de l’assistance venu demander de ses nouvelles de s’exprimer à travers une médium. Celle-ci n’arrive pas à se faire à son changement de monde. Elle s’étonne de nous voir, de nous entendre, mais de ne pas pouvoir nous sentir. La voix pleine de sanglots, elle demande au président qui lui parle : « Tu crois que je pourrais me servir de la médium pour toucher ma fille, pour que je la prenne dans mes bras ? » Ce à quoi le médiateur lui répond qu’elle ne pourra pas retrouver exactement ce qu’elle avait sur terre mais qu’elle peut vivre cela d’une manière différente là-haut.

Enfin, la séance touche à sa fin avec un « compagnon », comme l’appellent les spirites, qui vient exprimer ses sombres pensées quant au détachement terrestre. C’est finalement une âme en peine, cherchant elle aussi des réponses à ses questions, qui viendra définitivement clore cette séance intense de 45 minutes.

ÇA VA PAPI ? 15h45. Nous voilà comme deux ronds de flan, attendant fébrilement de savoir si nos demandes de nouvelles avaient pu être prises en compte pendant la séance. Étant donné que je n’avais pas entendu mon nom ni celui de mon grandpère dans la bouche du président de cérémonie, tous mes espoirs résidaient alors dans les facultés des médiums psychographes. J’attends que la foule s’amenuise pour aller chercher ma fiche sur la table et pour voir si elle est effectivement accompagnée d’un mot. Même si les déclarations des esprits que je venais d’entendre me semblaient bien trop généralistes et consensuelles, je gardais tout de même un secret espoir. Peut-être que mon grand-père me ferait coucou ? Peutêtre qu’il allait me faire passer un message rassurant et me dire qu’il était entouré de tous les membres de sa famille partis au Ciel ? Peut-être que je le reconnaîtrais au bout d’une seconde car il m’aurait appelé par le surnom qu’il me donnait ? Peut-être donc qu’il foutrait toutes mes certitudes cartésiennes à terre et qu’il me prendrait par la main pour m’amener dans un nouveau monde fascinant.

Bon, la vérité était moins réjouissante et pas vraiment extraordinaire. « Il est bien difficile à joindre et à mettre en condition de parler. » C’est sûr, mon grand-père a senti le coup venir. Bien tranquille avec ses parents et ses frères et sœurs là-haut, il a dû se demander ce que je lui voulais et il a eu bien raison. Ayant refusé de s’exprimer car il était sur la défensive et un peu trop timide comme me l’a ensuite rapporté Gilles*, le médium sympathique qui m’a servi d’intermédiaire avec le royaume des morts, j’ai tout de même eu droit à un message de son ange gardien qui a parlé pour lui. Mon grand-père est un peu prostré par son départ mais est bien entouré. Son ange gardien salue également la sincérité de ma demande qui est « tout à fait désintéressée », assure-t-il, tout en me conseillant quand même – tant qu’à faire – de prier. Me voilà tout de même rassurée ; mon grand-père n’a pas l’air d’être un de ces esprits errants qui cherchent à donner un sens à leur vie comme la majorité de ceux que nous avons rencontrés ce jour-là. Pas vraiment convaincue, je ravale mes envies de sensationnel et me

Message de l’ange gardien de Séraphin psychographié par Gilles*

détache doucement de mes désirs secrets de plonger la tête la première dans un univers impalpable et d’en percer tous les mystères. Pas réfractaire pour autant, je ressors de là en me disant que le spiritisme, qu’on y croie ou non, est un refuge pour des personnes endeuillées et que si cela leur permet de retrouver de l’espoir le temps d’un instant, alors, il a tout à fait raison d’exister. Gros bisous Papi, promis, je t’embêterai plus.

Texte : Elora Quittet * Les noms des personnes citées ont été changés.


Discussion

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Nicolas Pellion

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Vaudou Fondateur de PureBakingSoda, le grand connoisseur de rap Nicolas Pellion plonge dans les croyances obscures des artistes tentés par la spiritualité.

“Il sort de son corps pour s’évader dans les songes et l’espace, pour fuir, ou au moins supporter, une réalité faite de bavures policières et de machines infernales.”

« Jamais je n’irai en Haïti, j’ai peur du vaudou… » Kodak Black ne foulera jamais sa terre d’origine, pourtant, il ramène en Floride le mythe du zombie haïtien. Dans ses textes, il prend des drogues pour devenir mort-vivant et métaphoriquement expier ses péchés. Vaudou, santería, idafa : aux États-Unis, les immigrés caribéens et leur culture de l’occulte s’infiltrent dans le rap. Denzel Curr y fait partie des Bahaméens qui ont importé le folklore vaudou en Floride. En 2012, Trayvon Martin, adolescent afro-américain, y était assassiné en raison de sa couleur de peau. Sa mort a créé des remous conséquents au sein de la société américaine. L’ombre de Trayvon a ainsi plané sur le débat public durant de longs mois, faisant de lui une espèce

de mort-vivant, l’une des figures clés du vaudou. Comme pour rappeler que la Floride a bien été le terreau idéal de l’épanouissement de ce culte mystérieux sur le sol US. Parce qu’il a grandi dans cette antichambre de l’enfer, Denzel Curry a logiquement été très vite attiré par le rap satanique de Three 6 Mafia. Ses chansons sont truffées de références occultes et de visions oniriques, et tiennent indiscutablement du registre fantastique. Dans ces récits du quotidien, ses amis, zombies en puissance, traînent dans les rues, tandis que ses analyses empruntent à l’astrologie. Il sort de son corps pour s’évader dans les songes et l’espace, pour fuir, ou au moins supporter, une réalité faite de bavures policières et de machines

infernales. Ce refuge dans l’imaginaire évoque ce que le musicologue cubain Alejo Carpentier appelle l’« onirisme créole ». Également observé par André Breton à la fin des années 1940 lors de son exil en Amérique centrale, ce mode de fonctionnement de l’imaginaire de la Caraïbe est à rapprocher du surréalisme dans la littérature européenne : un recours à l’irréel pour se protéger du réel, ou pour fuir le réalisme bourgeois. Poly toxicomane et hors-la-loi, Gunplay est l’auteur de disques remarquables, hantés par son héritage à la fois portoricain et jamaïcain, notamment par ses allusions à la santería. Ce culte dérivé de la religion yoruba, arrivée du Nigéria et du Bénin avec les bateaux d’e sclaves, reste aujourd’hui difficile à observer. Ses

adeptes s’inscrivent dans une tradition de discrétion et de secret, héritée de l’époque où les négriers en interdisaient la pratique. Dans ses textes, Gunplay perpétue cette tradition en évoquant le culte de manière codée. Même si, comme le faisaient parfois les esclaves, il le dissimule derrière un christianisme d’apparence, ses orishas réapparaissent régulièrement : à ces divinités de la santería, on adresse des sacrifices pour porter chance ou rompre le mauvais sort. L’apparence gangster de Gunplay dissimule mal ses cicatrices et ses traits dépressifs. Dans les passages introspectifs de ses textes abondent les tables recouvertes de bougies à moitié fondues et les crânes miniatures portés en pendentifs, autant d’artefacts religieux qui sont les gris-gris et les accessoires des rites de la santería. Et Gunplay avoue avoir eu recours aux sacrifices d’animaux pour échapper à la prison à vie. Dans la banlieue d’Atlanta, Shayaa Bin Abraham-Joseph pratique l’idafa pour

se rendre « là où les esprits vaudous viennent parler » et obtenir protection de ses orishas. Peut-être doit-il à ces divinités d’avoir réchappé au guetapens qui a causé la mort de son frère le matin de sa vingt-et-unième année. En souvenir de ce funeste anniversaire, Shayaa s’est tatoué une dague entre les yeux, et s’est débarrassé du prénom que lui a donné sa mère pour devenir 21 Savage. Ce mélange de vaudou, d’histoire de vie tragique et d’ultra-violence transpire des pistes de son album Savage Mode. Son rap susurré est aussi noir que le néant, et son sens de l’image farfelue le rend encore plus dément. Quand, d’un œil vide, il raconte lire des contes pour enfants sur la banquette arrière d’une voiture, il prend des airs de fou possédé. Sur la Côte Est, Mach-Hommy explique qu’e n Haïti les enfants entendent les bourgeois parler français, les touristes parler espagnol ou portugais, qu’à la maison on parle en créole pendant que la télévision diffuse des films en anglais.

Les Haïtiens connaissent mieux que quiconque le pouvoir de la langue, et c’est peut-être pour cela qu’ils en ont fait une arme à travers le vaudou et ses incantations. À propos de la supériorité du langage, Mach-Hommy a écrit un album intitulé HBO, pour Haitian Body Odor. Le propos y est que le véritable pouvoir est entre les mains de ceux qui poussent d’autres à agir à leur place. Charles Manson, Adolf Hitler, Martin Luther King sont, sans jugement de valeur, des exemples cités, et des figures dont les armes sont l’esprit et le langage, le charisme et l’attitude. La langue de Mach-Hommy a quelque chose d’une incantation démoniale. Il discourt sur les mélanges de mélasse et d’argent, les rites vaudous, la santería, pour finalement, à la manière d’un chaman, prendre possession de l’âme de l’auditeur.

Texte : Nicolas Pellion Image : Kiblind


Interlude

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DÉMONS & MERVEILLES Êtes-vous possédé·e par un démon ? Virus, burn-out ou intervention de Satan, comment faire la différence ? Les 5 signes qui ne trompent pas.

1 La mauvaise haleine : vous accusez le café, la cigarette, une hygiène bucco-dentaire aléatoire mais méfiez-vous, ce sont peut-être des relents sataniques.

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Vous vous exprimez couramment en ligure ancien, langue morte et disparue depuis le Ier siècle : si vous ne l’aviez pas choisie en LV3 et que vous n’avez pas suivi de session Duolingo, attention, c’est peut-être votre démon intérieur qui s’exprime.

Sentir une vibration continue : dans 95 % des cas, un passage en mode avion a considérablement amélioré le quotidien des patients.

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Une voix cassée ou gutturale : nous vous conseillons de consulter simultanément un médecin traitant et un démonologue pour savoir s’il s’agit d’un virus malveillant.

L’irrépressible envie de nuire aux autres : ce seul symptôme ne peut suffire à conclure à une possession. On ne vous le dira jamais assez, l’enfer, c’est les autres.

Playlist du démon Pour tous ceux qui ont le diable au corps ! Émile et images – Les démons de minuit The Rolling Stones – Sympathy for the devil Demon – You are my high Frank Carter & The Rattlesnakes – Devil inside me Le Grand Orchestre du Splendid – La salsa du démon 666 – Alarma Kanye West feat. Rick Ross – Devil in a new dress

Illustration : Agathe Bruguière Texte : Marie-Camille Alban & Alix Hassler

La ville de Loudun est secouée par des phénomènes étranges. Les sœurs du couvent des Ursulines crachent l’hostie, font des grimaces inhumaines, ont des hallucinations érotiques. Elles désignent le coupable d’une même voix : Urbain Grandier, prêtre séducteur qui aurait signé un pacte avec le Diable. Après un procès en bonne et due forme, le mécréant est condamné au bûcher pour le plus grand plaisir des 6 000 curieux venus lui faire un dernier coucou. Le grand gagnant de l’histoire ? Le Cardinal de Richelieu qui se débarrasse dans le même temps d’un être démoniaque et d’un ennemi politique. Le hasard fait bien les choses parfois.

Anneliese Michel, jeune Allemande très pieuse, se met à trembler violemment. S’ensuivent un goût prononcé pour les morsures et la destruction de crucifix, ainsi que de nombreuses crises de folie où l’adolescente aperçoit un visage démoniaque, le dénommé Fratzen. À partir de 1975, l’Église accepte que l’on pratique l’exorcisme sur la possédée… pas moins de 67 rituels sont menés sur une période de 10 mois, aboutissant à la mort d’Anneliese. Emprise mystique ou mauvais traitements ? La justice allemande tranche en condamnant les parents de la jeune fille pour homicide par négligence. Retour de flamme (des enfers).

Un tueur en série provoque une grande vague d’hystérie collective dans les rues de New York. Des lettres trouvées sur les lieux du crime font naître la légende du « Fils de Sam » qui dit obéir aux ordres meurtriers de son père Sam, un vampire. Il déclarera finalement lors de son arrestation la cause réelle de ses actes : il écoutait les ordres du labrador noir de son voisin, possédé par Satan. Épilogue : après avoir rejoint « Born again », une église évangélique chrétienne, il prend le nom de « fils de l’espoir » et diffuse sur YouTube des vidéos sur sa foi et ses regrets. Les voies démoniaques sont impénétrables.

18 septembre à Banyuls-sur-Mer, une bourgade proche de la frontière espagnole. Un homme est arrêté pour excès de vitesse en possession d’une grande quantité de cannabis fraîchement achetée à son dealer, un certain Jésus. Lors de son procès près de 10 mois plus tard, l’individu déclare être un « chaman connu en Suisse », souvent possédé par diverses personnalités. Cette journée d’été, c’était Michael Schumacher qui l’a obligé à conduire. Alors il a « conduit comme un fou, mais ce n’est pas de (sa) faute ». Le chaman avoue aussi fumer entre « 40 et 50 joints par jour ». Son petit secret pour inviter les esprits ?


Discussion

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Zelda Mauger

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Du Spirituel dans la lutte (et dans l’écologie en particulier)

Artiste et militante écologiste, Zelda Mauger revient sur la figure de la sorcière et de ce que son renouveau dit des combats à mener aujourd’hui.

Pour peu qu’on ait une connexion Internet, ou a minima un kiosque à journaux en bas de chez soi, impossible de n’avoir pas vu le mot de sorcière s’afficher en toutes lettres à plusieurs reprises sur un écran ou sur papier. Cette ancienne figure tutélaire, objet de tous les mythes et fantasmes, connaît depuis quelques mois un retour en grâce fulgurant, et renaît aujourd’hui avec une aura renouvelée : la sorcière s’affiche enfin comme la gardienne bienveillante, la justicière rebelle qu’elle a toujours été, et pourtant si peu souvent perçue comme telle. La popularisation et la convergence des luttes écologistes et féministes ne sont pas pour rien dans cette résurgence : à l’instar des altermondialistes et contrairement à l’image qu’on lui a toujours bâtie, la sorcière s’attache en fait à combattre les inégalités sociales tout en œuvrant à la protection du vivant. De là, il n’y avait qu’un pas avant que la mouvance écoféministe ne se réclame de la sorcellerie, et inversement. On le sait peu ou prou aujourd’hui, et notamment grâce à l’excellente Mona Chollet qui en fait la démonstration dans son ouvrage Sorcières, la puissance des femmes invaincues, les sorcières d’antan étaient des féministes notoires,

cruellement persécutées parce qu’appliquées à s’affranchir par tous les moyens du joug masculin. Certes, mais quel rapport avec le climat ? Pourquoi ce besoin de lier les causes ? Quel sérieux dans cette fantasmagorie en pointillé ? Je me suis moi-même naïvement posé la question alors que j’intégrais un groupe de militantes écoféministes. Il était question de s’adonner au décrochage d’un portrait présidentiel en guise de protestation pour le climat, mais je ne parvenais pas à comprendre pourquoi cela devait être fait exclusivement entre femmes et ouvertement revendiqué comme tel. Pourtant, il était là, le chaînon manquant : dans le patriarcat, bête noire du féminisme et de la sorcellerie réunies. La mainmise séculaire des hommes sur le monde, intrinsèquement liée au système capitaliste, débouche inévitablement selon les écoféministes sur de profondes inégalités sociales, écologiques, et sur la marchandisation du vivant. Un parallèle clair entre la domination infligée aux femmes et celle exercée sur la nature, qui légitimait dès lors la fusion de ces deux mouvements. Les écoféministes clament la prédisposition des femmes à protéger efficacement la nature, tout en exigeant de droit leur liberté : autant de messes basses qu’elles entonnent en chœur avec les sorcières de tous temps.


Discussion

Zelda Mauger

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* LEXIQUES Au sens large, UN COVEN est un rassemblement de personnes d’activités ou d’affinités similaires. Ce terme désigne également un clan de sorcières, coven en anglais, historiquement organisé par cercles de 13 membres. Starhawk le définit, elle, comme un groupe de soutien, un groupe de conscientisation, un centre d’étude parapsychique, un programme de formation du clergé, un collège des Mystères, un clan de substitution et une congrégation religieuse, tout à la fois.

Si elles affrontent des ennemis communs cependant, les sorcières, elles, adoptent une approche plus anagogique – plus atypique, aussi, que leurs consœurs de lutte. Le mouvement Wicca* affiche par exemple des valeurs humaines et écologistes très similaires mais sous l’égide d’une croyance polythéiste païenne : un cortège de dieux et déesses éclectiques, polymorphes et variables emprunté à différentes mythologies, dirigé par une double déité : la Grande Déesse et le Dieu Cornu, incarnation de la polarité binaire wiccane. À la tête de l’une de ses ramifications, proche de l’écoféminisme à tendance spiritualiste, se trouve l’écrivaine Miriam Simos, dite « Starhawk », sorcière militante bien connue s’il en est, et fondatrice en 1979 du principe d’unité Reclaiming. Contrairement à certaines obédiences féministes radicales, la communauté Reclaiming, considérée comme une approche moderne et tolérante de la sorcellerie, se veut ouverte et inclusive à tous sans égard de sexe, race, classe ou orientation, pour la plupart de ses covens*. Pour les adeptes de cette philosophie, proche du néopaganisme, la Terre est vivante, les vies sont interconnectées, et chacune est sacrée. Leurs rituels, composés de techniques chamaniques, de transes, de chants et de méditation, s’appliquent aussi bien aux guérisons personnelles et collectives qu’au militantisme social, arguant qu’il est nécessaire de soigner les individus des dommages intérieurs causés par le monde moderne afin d’influencer la société

à plus grande échelle et, au bout du compte, protéger Gaïa (comprendre : la Terre). Mais il serait réducteur de limiter la Wicca ou la spiritualité Reclaiming aux danses vaudous et aux incantations dévotes : il s’agit bien là de mêler intimement l’énergie mystique d’un groupe majoritairement féminin à des revendications et des actions politiques anticapitalistes, par l’entremise du « pouvoir du dedans ». En témoigne la fameuse danse spiralée*, cette chorégraphie incantatoire très prisée des adeptes Reclaiming : ne pourrait-on pas voir là une forme de ballet exalté à même de galvaniser des troupes avant l’action, au même titre que le haka des All Blacks ? Exception faite de procédés envoûtants et d’un certain supplément d’âme donc, le syncrétisme idéologique des néosorcières semble emprunter pour beaucoup (ou serait-ce l’inverse ?) à l’écoféminisme de résistance (incarné entre autres par la militante indienne Vandana Shiva), ainsi qu’à la nouvelle éthique féminine de la sollicitude en vogue, aussi connue sous le nom de care*. La sorcière de 2019, elle aussi, est une activiste guérisseuse, des individus comme du monde ; ses covens, semblabes à de petites associations ; son objectif, éminemment politique. En définitive, il se pourrait bien qu’une sorcière naisse aux yeux du monde chaque fois qu’une nouvelle femme prend les armes pour elle-même, pour ses pairs et la planète, et en rallie une seconde.

Texte : Zelda Mauger Images : Kiblind / Unsplash

La notion de CARE, ou éthique de la sollicitude, englobe une réflexion morale récente, issue d’approches et de recherches féministes. « Sollicitude » y est employé avec une acception particulière qui regroupe un ensemble de sens alliant attention, soin, responsabilité, prévenance, entraide… Le care valorise l’idée et le fait de vivre les uns avec les autres plutôt que les uns contre les autres.

LE PILIER DE LA WICCA : FAIS CE QU’IL TE PLAÎT, tant que cela ne nuit à personne. Les wiccans s’appuient sur le principe de tolérance et de respect de la nature. Certains croient en l’existence de la magie (noire ou blanche), considérée comme une énergie cosmique, présente en toute chose, mais pas tous : les adaptations de croyance sont nombreuses car la Wicca n’a pas d’autorité centrale.

LE POUVOIR DU DEDANS fait référence à l’énergie commune immanente et impalpable, présente en chacun : un pouvoir de création, salvateur, interconnecté entre les vivants, par opposition au « pouvoir sur », incarné par le patriarcat capitaliste et son modèle scientiste rationnel. Le divin, ici, est au sein de la nature, par opposition aux religions dites transcendantalistes (comme les grands monothéismes), souvent elles aussi patriarcales.

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À LIRE

Rêver l’obscur : femmes, magie et politique Starhawk, Cambourakis, 2015 (1982)

La sorcellerie capitaliste Pratiques de désenvoûtement Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La Découverte, 2007

Caliban et la sorcière Silvia Federici, Entremonde, 2014

La Wicca, guide de pratique individuelle Scott Cunningham, J’ai Lu, 2013 (1988)


MC 2:

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K C A B 2 K C A

© Eric Myre

MESSMER

ARIELLE DOMBASLE

Le premier arrive à rendre n’importe qui zinzin grâce au seul son de sa voix et à ses dons de magnétisme. La deuxième cultive un spiritualisme qu’elle exprime autant dans ses chansons que dans sa vie de tous les jours. On a voulu savoir ce qui s’écoutait là-haut, dans le cosmos. À écouter sur notre Spotify. Messmer, fascinateur canadien sympathique et star du paf :

Arielle Dombasle, créature mi-humaine mi-déesse et chanteuse inspirée :

4’01’’

Requiem de Gabriel Fauré Pie jesu

8’16’’

I Am the Antichrist to You Kishi Bashi

3’56’’

Requiem de Gabriel Fauré Sanctus

4’05’’

Lost in the Plot The Dears

4’50’’

Troisième leçon des ténèbres François Couperin

6’02’’

The Cinematic Orchestra Oregon

3’54’’

Ave Maria Arielle Dombasle & Era

2’34’’

6’06’’

Purple Rain Prince

6’13’’

4’27’’

Tiesto Demoni Arielle Dombasle & Era

1’10’’

3’56’’

Nights in White Satin The Moody Blues

4’26’’ 4’40’’

World In My Eyes Depeche Mode Mystifier David O’Brien Derezzed Daft Punk

1’44’’

The Eternal Joy Division

(oo) Rone

2’55’’

The Crystal Ship The Doors

2’44’’

Moan Trentemoller

5’51’’

Mother of Earth The Gun Club

4’40’’

Le Seigneur des Ténèbres Pleasure Game

4’48’’

Carthagena Arielle Dombasle & Nicolas Ker

2’44’’

5’49’’

Happiness Still in Blue Arielle Dombasle & Nicolas Ker

4’40’’

2’36’’

The Suburbs of Exile Nicolas Ker

4’40’’

Alegria Cirque du Soleil End of Line Daft Punk

Joueurs, Mao II, Les Noms

19 20

Textes Don DeLillo Adaptation et mise en scène Julien Gosselin

Irresistible Force Jane’s Addiction

Evil Dub Trentemoller

© Charlélie-Marangé

B

le a r t â é h t n o i s r e Une imm hors norme

01-02 février

mc2grenoble.fr

Photo © Simon Gosselin

Back 2 Back


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Posada

POP Où se situe la frontière entre l'artisan et l'artiste ? Le populaire peut-il être savant ? Par quels exploits entret-on dans l'histoire de l'art ? La carrière du graveur mexicain José Guadalupe Posada, né en 1852 et mort en 1913, traîne en permanence ces questions derrière elle. Lui, dont l'œuvre fut intégralement de commande, a en effet largement été sous-estimé par ses contemporains. Parce qu'il s'adressait à tout le monde et que ses sujets traitaient de la vie simple (même quand il gravait les morts), le milieu de l'art ne lui rendit que posthume les hommages qu'il méritait. Breton le publia, Rivera en fit l'égal de Goya et Eisenstein inclut de ses calaveras dans son ¡Que viva México!. Cette consécration, déjà tardive, laissait pourtant une vision partielle de son art. Dans la monographie Posada qu'elle lui consacre aujourd'hui, Laetitia Bianchi efface tous ces malentendus. À un artiste rarement considéré à sa juste valeur, elle rend un hommage vibrant avec une monographie qui aborde les multiples aspect de son talent. Le sous-titre dit sa considération : « Génie de la gravure ». Pendant 320 pages, le Posada de la chercheuse va posément démontrer le bien-fondé de cette affirmation. Décryptant l'art du graveur mexicain, Laetitia Bianchi expose son savoir et guide notre regard. Les coups de burins s'entendent, la

matière se ressent et les scènes représentées prennent vie. L'avant-gardisme de Posada s'étale alors de tout son long dans le subconscient du lecteur, de la géométrie du trait à l'expression de ses sujets. Et c'est tout simple, en neuf chapitres allant de la formation très académique de Posada à sa redécouverte tardive par Jean Charcot en 1930, le lecteur se fait manger. Soufflé qu'il était par les images superbes tirés de la collection Mercurio López Casillas, l'érudition de Lætitia Bianchi n'avait en effet plus qu'à mordre à pleine dents dans ce pauvre regardeur. Mais celle-ci, par un sursaut de sadisme, ne met pas à mort et laisse le coup final à la conception de l'objet. Laetitia Bianchi, ancienne rédactrice en chef du Tigre, sait ce qu'édition veut dire. Elle vient ici donner une leçon avec un livre magnifique, fignolé jusqu'au moindre en-tête, poli jusqu'à la dernière lettre, rendant grâce aux travaux de José Guadalupe Posada. Un écrin à l'image de cet artiste majeur. M. Gueugneau Posada de Lætitia Bianchi, disponible chez L'Association, 322 pages, 45€ lassociation.fr


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L’Espoir malgré tout, deuxième partie

HÉROS Comment se dépatouille-t-on d’une figure comme celle de Spirou, un groom que l’histoire de la bédé francophone a transformé en icône, symbole de l’héroïsme à taille humaine ? Après Le Journal d’un ingénu et L’Espoir malgré tout, premier du nom, Émile Bravo continue sa savante réappropriation du mythe, au dessin élégant et au propos subtil. En le plongeant, adolescent, dans la seconde guerre mondiale, Émile Bravo fait de Spirou un simple mortel face à l’histoire en marche. Faible, ignorant et maladroit, il se perd au milieu de ces événements, se raccrochant à un quotidien qui se délite. Et c’est en peignant cette banalité dans un contexte extraordinaire qu’Émile Bravo parvient à poser sa question à Spirou : qu’estce qu’un héros ? Les réponses se précisent petit à petit. M. Gueugneau

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BONNE COMPAGNIE Les éditions Adverse et Arbitraire se sont, en bons copains, partagé la responsabilité de publier une intégrale des œuvres du dessinateur JM Bertoyas parues dans Kobé, son fanzine auto-édité. Nécessaire ouvrage qui voit aujourd’hui se pavaner en librairie son 4e volume, le deuxième édité par Arbitraire : Nicy et ses amis. On dit nécessaire pour bien arguer de l’importance capitale du travail de l’auteur quasi lyonnais. JM Bertoyas y a rasé tous les codes habituels de la bande dessinée pour mieux construire à partir de sa propre intuition. L’abstraction se mêle à la figuration, le récit zigzague et divague, les mondes réels et dessinés croisent leur jet : l’expérience est totale, subjuguante, fascinante. On fera aussi une œillade au remarquable travail d’édition d’Arbitraire rendant toute la justice, et plus encore, au travail foisonnant de JM Bertoyas.

Collection #6

Esquisses

BON COPAIN Voilà bien deux ans que nous n’avions pas de nouvelles de cette vieille branche. La revue Collection est pourtant bien là, devant nous, les reflets nacrés de sa couverture nous faisant déjà du charme. L’opus 6 nous replonge rapidement dans nos vieilles lunes, séduits par ces longs entretiens à la parole rare et le choix des invités, surprenant parfois et enrichissant toujours. En ayant la politesse d’avoir un regard singulier sur le monde des arts visuels, les intervenants (Acacio Ortas, Hélène Bertin, Son Ni et d’autres) interviewés délivrent une parole rare et donnent à lire des réponses singulières aux questionnements artistiques. Une remise à plat des certitudes qu’on est bien contents de retrouver. M. Gueugneau

GRIBOUILLE La collection Esquisses des éditions Peintures, déjà riche de trois entrées, s’étoffe pour l’hiver de cinq titres supplémentaires, tout de go. Même principe, nouveaux joueurs : sur quelques doubles pages de papier boucher et un auteur par opus s’amasse dans un ordre savamment intriqué une avalanche de croquis et d’esquisses aux contours tranchés et vifs. On voit danser devant soi les gribouillis intimes de chacun, sobres Études chez Guano (#04), Débordements catalans pour Gues (#05), le kaléidoscope de Ish8 (#06), YYinternational punition avec Matti (#07) et la main gauche cerveau droit de Slurp (#08). C’est pas loin de la compilation d’art brut, c’est un peu comme une collection d’archives personnelles au stylo bic, c’est comme scanné sur le pouce, échelle 1, fond criard. Et attention, c’est aussi sans retouche. C’est beau, et je les veux tous. Zelda Mauger

Nicy et ses amis de JM Bertoyas aux éditions Arbitraire, 240 pages, 22 € arbitraire.fr

Mister Coconut

Collection #6 , disponible, 258 pages, 25 €

collectionrevue.com

FRUITS DE LA PASSION Quelle meilleure occasion que la sortie d’un nouveau volume de BD Cul aux éditions Les Requins Marteaux pour évoquer cette collection qui peut se targuer de compter Nine Antico, Antoine Cossé, Mrzyk & Moriceau ou encore Anouk Ricard dans ses rangs ? Pour ce nouvel opus, c’est sous le trait cartoonesque de Willy Ohm qu’on suit les aventures de Mister Coconut, aux temps des dinosaures et des partouzes. Ce dernier, après une vision de Mango, son grand-père, se voit missionner de sauver son peuple de l’extinction en se rendant aux monts Gronichons débusquer sa promise. Un parcours évidemment semé d’embuches. Esquisses #4 à #8 , disponibles chez les Éditions Peintures, 12 à 20 pages, 10 € editions peinture.com

Nicy et ses amis

M. Gueugneau

L’Espoir malgré tout, deuxième partie, d’Émile Bravo, disponible chez Dupuis, 96 pages, 16,50 € dupuis.com

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Malina Cimino

Mister Coconut de Willy Ohm, disponible chez Les Requins Marteau, 128 pages, 14 €

lesrequinsmarteaux.com

Kolya La platitude de notre quotidien nous assure un confort que nous goûtons avec délice. Alors que faire avec Kolya, ce voisin qui parle bizarre, pique des crises et fait preuve d’une effarante gentillesse. On en fait une ode à la singularité et une bédé au graphisme inédit. C’est en tout cas, ce qu’a fait l’autrice russe Lida Larina pour une première œuvre remarquable. > Kolya de Lida Larina, disponible aux éditions Çà et là, 128 pages, 17 €

Les Aventures de Boin-Boin & Grabuge Échappées du formidable journal pour enfants Biscoto, Les Aventures de Boin-Boin & Grabuge ne doivent pourtant pas coller aux mains des seuls marmots. Les lignes tortueuses d’Alex Géraudie qui nous racontent les journées de Grabuge, la lionne endormie, et de Boin-Boin, l’oiseau hystérique, sont comme des baumes pour l’âme. Celle-ci, en effet, a toujours besoin de rire très fort.

> Les Aventures de Boin-Boin & Grabuge d’Alex Géraudie, disponible chez Biscoto Éditions, 64 pages, 13 € > biscotojournal.com


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INTÉRIEURS Ces derniers temps, le nom de Charlotte Perriand a resurgi avec force. Le vingtième anniversaire de la mort de l’architecte et designer fut d’autant plus célébré qu’il permet de raconter le parcours d’une femme qui n’eut pour seul mot d’ordre que la liberté. En 1940, le fait d'être une femme qui travaille et de quitter Le Corbusier pour mener seule sa barque témoigne d’un courage hors norme. L’un des plus beaux hommages, dans tous les sens du terme, lui est rendu par Charles Berberian qui narre justement ce départ dans son Charlotte Perriand, une architecte française au Japon 1940-1942. Deux années qui la confrontent à une autre manière de voir, de penser, de vivre. Elle y forgera son art, mêlant le modernisme à la tradition, l’efficacité à l’amour du vide. En petites saynètes piochées ici et là durant son séjour, Berberian montre bien la volonté qui l’anime , brisant les murs patriarcaux et artistiques qui la séparent de son ambition. Tout cela est dessiné avec bien sûr ce trait élégant, caractéristique de l’auteur, encore adouci par des aquarelles somptueuses. Charlotte Perriand aurait sûrement apprécié ce délicat mariage du fond et de la forme. M. Gueugneau

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Charlotte Perriand

Charlotte Perriand, une architecte française au Japon, 1940-1942 de Charles Berberian, disponible aux Éditions du Chêne, 128 pages, 19,90 € editionsduchene.fr

Fanzinorama RÉCAPITULATIF En cette belle année 1989 ouvrait à Poitiers La Fanzinothèque, indispensable lieu de conservation et de valorisation de ces ouvrages à part. Pour fêter 30 ans de services bons et loyaux à la solde de l’édition souterraine, Didier et Marie Bourgoin sortent aujourd’hui Fanzinorama. Le livre se feuillette comme on va à la soirée diapositive d’antan, papa et maman commentant modestement les images d’un voyage graphique qui va du début des années 70 à maintenant. Plus de 200 fac-similés de graphzines sont ici compilés pour démontrer l’importance capitale de ces publications de l’à-côté, usant jusqu’au bout des ongles de la liberté de l’objet et qui ont façonné des générations de dessinateurs. M. Gueugneau

Edward Gorey : une anthologie GOTH La question s’est posée dernièrement de séparer l’homme de l’artiste. Inutile ici : l’homme, solitaire, autodidacte, ne souffrant que la compagnie de ses chats, se moule parfaitement avec une œuvre à nulle autre pareille, riche d’influences et extraordinaire en tout point. Gothique et surréaliste, morbide et absurde, loufoque et ombrageuse, l'œuvre de feu Edward Gorey embrasse tout à la fois, se permettant même d’être belle à en mourir. Le Tripode, amoureux du Chicagoan depuis des lustres, nous fait l’amabilité de réunir cette fois cinq œuvres en un ouvrage. Cinq œuvres qui dressent aimablement le portrait d’un génie qu’il convient de ne pas oublier. M. Gueugneau

Fanzinorama, disponible chez La Fanzinothèque / Hoëbeke, 194 pages, 25 €

Edward Gorey, une anthologie, disponible chez Le Tripode, 176 pages, 16 €

hoebeke.fr

le-tripode.net

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La Ligne de couleur de W. E. B. Du Bois INNOVATION Lors de l’exposition universelle de 1900, à Paris, le légendaire W. E. B. Du Bois, chercheur noir à l’Université d’Atlanta, présentait une exposition d’une affolante modernité sur la communauté afro-américaine. Du Bois et son équipe y usent d’un graphisme novateur et d’une science pouponne : la sociologie. La Ligne de couleur de W. E. B. Du Bois, dirigé par Whitney Battle-Baptiste et Britt Rusert, reproduit ces diagrammes, graphiques et cartes d’avant-garde en soulignant ses apports esthétiques et scientifiques. Quand l’innovation graphique mêle ses doigts au progrès social, ça donne un livre aussi beau que nécessaire. M. Gueugneau La Ligne de couleur de W. E. B. Du Bois , dirigé par Whitney Battle-Baptiste et Britt Rusert, disponible chez les éditions B42, 148 pages, 29 € editions-b42.com

Jardin & Voyage

Jardin et Voyage, deuxièmes éditions disponibles chez Éditions Matière, 328 et 200 pages, 25 et 19 € matiere.org

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Plat du jour Objet plein de plis et de couleurs, Plat du jour réunit les collages d’Anne Brugni, l’art du pop-up de Philippe UG et les mots du musicien McCloud Zicmuse pour une semaine de plats imaginaires. De l’abstraction tangible, de l’impensable palpable, de l’imaginaire concret, voilà le menu offert par les trois auteurs, pour un résultat qui explose en rétine. > Plat du jour d’Anne Brugni, Philippe UG et McCloud Zicmuse, disponible chez Les Grandes Personnes, 14 pages, 22 € > editionsdesgrandespersonnes.com

L’Oisiveraie L’histoire de Roland et ses copains qui n’ont rien d’autre à faire que de ne rien faire est un livre que David Prudhomme a sorti en 2004 aux éditions Charrette. Surtout, c’est un livre introuvable qui voit ici sa façade ravalée et son discours ravivé par des dessins entièrement refaits. On y parle toujours, on y boit encore, on y repeint une maison, L’Oisiveraie, et on y enseigne, sans en avoir l’air, une véritable leçon de vie. > L’Oisiveraie , de David Prudhomme, disponible chez L’Association, 132 pages, 22 € > lassociation.fr

TOURISME Ils sont rares, ceux qui peuvent poser leur drapeau sur un bout de terre et dire « ceci est à moi, rien qu’à moi ». Yûichi Yokoyama est de ceux-là. Le mangaka, repéré par les françaises Éditions Matière en 2004, est en effet le seigneur d’un territoire artistique unique, une enclave dans le monde de la bande dessinée. Du temps sans histoire, des personnages sans âme et des mondes sans profondeur sont les piliers des bandes dessinées de Yûichi Yokoyama. Ne subsiste alors que la représentation. La deuxième édition, par la maison montreuilloise, de deux œuvres majeures du Japonais vient nous offrir un ticket retour sur ces terres où la forme est reine. Que ce soit dans les paysages de Jardin ou dans le trajet de Voyage, c’est le dessin et ses pouvoirs qui sont à chaque fois mis à l’honneur. L’espace, le temps et leur corollaire, le mouvement, viennent trouver dans le style ultra-géométrique de Yokoyama une figuration graphique époustouflante. Le séjour dans l’œuvre du Japonais pourrait bien s’éterniser que ça ne nous gênerait pas plus que ça. M. Gueugneau


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Musique

Balladur

Baston PRENDS ÇA Une voix lointaine nous susurre quelques phrases, arrivant à se frayer un chemin à travers l’épaisse brume de fuzz qui l’entoure. Cet appel de l’entredeux-mondes nous provient du groupe Baston. Emmené par des instruments aux textures protéiformes et par des mélodies lancinantes surmaîtrisées, leur premier album « Primates » vient nous rappeler une chose : le krautrock est loin d’être mort. Influencé par Neu ! et son légendaire motorik beat, les chics types bretons arrivent avec la plus grande des aisances à rendre le moindre accord hypnotique. En arrivant à produire un bijou aussi bien façonné pour le krautrock que pour la pop, Baston nous met une déculottée bien méritée. Elora Quittet

Primates de Baston - disponible chez Howlin’ Banana

EN ROUTE Le destin a donné un sérieux coup de pouce à ceux qui se donne du mal pour écouter des choses décentes. Il a fait se rencontrer Amédée de Murcia (aka Somaticae) et Romain de Ferron et leur a susurré la joyeuse idée de former le groupe de pop déviante Balladur. Car leur musique n'est pas que l'ajout de la poésie mélodique de l'un à la science rythmique de l'autre. Elle offre, comme toutes les bonnes fusions, une troisième voie. Ce nouvel album, La Vallée étroite, offre à ce super pouvoir le terrain de jeu idoine. Écrit comme un long voyage au fil des styles et des instruments, il permet au duo d'exprimer sa complémentarité sur toutes les surfaces. L'auditeur découvre au milieu de cette pop-punk mutante des paysages multiples et saugrenus, où la claque magistrale n'est jamais très loin. M. Gueugneau La Vallée étroite de Balladur, disponible chez Le Turc Mécanique

howlinbananarecords.com

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Musique

Lesneu

U-Bahn

TALISMAN C’est comme si nous étions les perpétuelles victimes d’un amateur de magie noire. Toujours la même rengaine : on lance l’album, puis on entend cette voix planante et là, bam. Le cœur se serre. Maître de nos émotions depuis son premier EP, le Breton Lesneu nous revient avec Bonheur ou Tristesse. Composé dans la plus grande tradition DIY à l’aide d’un synthétiseur Yamaha à 18 euros dans sa maison d’enfance, ce nouvel objet précieux révèle une pop toujours aussi subtile et onirique. Se suffisant parfois à ellesmêmes ou transcendées par les sublimes harmonies vocales de Victor Gobbé, les mélodies qui l’habitent sont la douceur incarnée. Elora Quittet

DADA PUNK Leurs corps se meuvent nonchalamment dans notre époque mais leurs esprits sont restés bloqués au temps de la toute-puissance synthétique. Biberonnés aux distorsions et aux élans schizophréniques du grand Devo, les Australiens de U-Bahn viennent reprendre le flambeau. Leur premier album U-Bahn triture les codes et les machines pour faire sonner des compositions new wave et glam punk qui les classent directement dans la lignée d’Ariel Pink et de B-52. Derrière leurs dégaines à la Star Trek, les cinq zozos cachent également un très bon goût pour parler de vrais sujets comme de la toxicité masculine et des problèmes de genres. Elora Quittet

Bonheur ou Tristesse de Lesneu - sortie le 06.03.20 chez Music From The Masses & PIAS

U-Bahn de U-Bahn - sortie le 13.12 chez Melodic Records

musicfromthemasses.bandcamp.com

melodic.co.uk

leturcmecanique.bandcamp.com

Jaakko Eino Kelavi On lui donnerait le bon Dieu sans confession à la vue de ce sourire candide et de cette chevelure toujours aussi rangée. Mais ne nous fions pas à son apparente sagesse, Jaakko Eino Kelavi sait s’amuser et il le fait d’ailleurs très bien avec Dissolution. Album du lâcher-prise et des plaisirs assumés, le prince finlandais de la pop se joue des styles en mélangeant funk, electro pop et synth pop à la Hot Chip. Sublimé par la participation de la chanteuse taïwanaise Yu-Ching Huang, ce mini-album est un aller direct vers le cosmos. EQ > Dissolution de Jaakko Eino Kelavi disponible via Weird World > weirdworldrecordco.com

Gaijin Blues Récit étalé sur huit morceaux inspirés des jeux de rôle japonais, de la mythique Super Nintendo et d’une flopée de jeux vidéo pour geeks confirmés, Gaijin Blues II est une aventure en soi. L’auditeur devient protagoniste et se retrouve capturé dans un monde fictif complexe et surprenant peuplé par la technologie. Avec les productions narratives que racontent les synthétiseurs, percussions et nombreux samples, le duo polonais réussit l’exploit de nous faire lire et vivre un disque en plus de l’écouter. EQ > Gaijin Blues II de Gaijin Blues disponible via Shapes of Rhythm > shapesofrhythm.bandcamp.com

Nicolas Godin « Je ne veux entendre que des angles droits et des lignes parallèles. » Voilà le souhait qu’a exprimé la moitié de AIR lorsqu’il a enfanté Concrete and Glass. Flânerie cyclopéenne traduisant la grandeur et la complexité des plus belles constructions que l’architecture ait créées, le deuxième album de Nicolas Godin met une musique sur ses premières fascinations. Se faufilant entre des claviers et des basses suspendus et de doux chants au vocodeur, les susurrements de Cola Boyy, Kate NV, Alexis Taylor, Kadhja Bonet et Kirin J. Callinan en font un chef-d’œuvre narratif. EQ > Concrete and Glass de Nicolas Godin sortie le 24.01.20 chez Because Music > because.tv

Zatua Le label de rééditions étonnantes et superbes, Music From Memory, sait aussi écouter les bruits que fait notre monde aujourd'hui via son sub-label Second Circle. Exemple avec cet incroyable Sin Existencia des Indonésiens de Zatua qui vient transporter l'auditeur du sable poisseux à l'au-delà cosmique, du synthé trivial à la musique transcendantale. MG > Sin Existencia de Zatua, disponible chez Second Circle > musicfrommemory.com

Chain Cult Le trio grec Chain Cult, un paquet de concerts, une cassette de démos et un 7'' à son actif, sort enfin un album ! Le très attendu Shallow Grave est une avalanche tubesque : huit titres d'anarcho post-punk ultra mélodique sur lesquels la guitare, souvent aiguë, laisse toute la place nécessaire à une basse lourde et à une batterie up-tempo. Les paroles ne sont pas tout à fait réjouissantes (« We don't seem to get the problem, world turns to a nightmare » chante Jason sur End Of Days) mais qui s'en offusquera ? Malina Cimino

Shallow Grave de Chain Cult, disponible chez La Vida Es Un Mus Discos

lavidaesunmus.bandcamp.com

Myka 9 Membre fondateur de Freestyle Fellowship, Myka 9 est une figure qui a bouleversé le rap indépendant angeleno tout au long des années 90 et 2000. Son flow mélodieux, ses rimes complexes et ses collaborations poussées avec des producteurs géniaux (Daddy Kev, Prefuse 73, Factor, etc.) ont débouché sur des classiques indétrônables que SLurg. Il fallait vraiment que quelqu'un le fasse. MG > Myka 9 : the only mixtape , compilé par SLurg, disponible chez Rayon du Fond > rayondufond.com

The Time for peace is now Le label Luaka Bop rempile pour un disque de sa collection « World Spirituality Classics ». Après le bonheur The Ecstatic music of Alice Coltrane Turiyasangitananda, en 2017, la maison de l'ancien Talking Heads David Byrne s'est penché sur d'obscurs 45 tours gospel. Loin des gros clichés du genre, The time of peace is now révèle de vraies pépites soul et funk, qui fascinent dans la seconde et demande la réécoute immédiate. MG > The time for peace is now : Gospel music about us, disponible chez Luaka Bop > luakabop.com


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Jolies choses

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COUSSIN Olivia Saint-James society6.com

SKATE Element x Séverine Dietrich

JEU DE CARTES SCOPA WORLDWIDE Matière Grasse

elementbrand.fr

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TABLETTE Marion Jdanoff & Damien Tran (Palefroi) x Coco Chocolatier cocochocolatier.com

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VASE CHIEN Lucy Dickson lucydickinson.fr

SWEAT-SHIRT Olow x Jean Jullien olow.fr

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Sélection par Élodie Bouhlal

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CÉRAMIQUE Megan Campagnolo rosehoundapparel.com

HUILE Absolution x Paulette x Sophie d’Herbecourt absolution-cosmetics.com

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SAC Tess Smith-Roberts tesssmithroberts.co.uk

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TOTE BAG Agathe Sorlet agathesorletshop.com

CHAUSSETTES Jermaine Toulouse etsy.com 12

VESTE Thomas Lateur etsy.com


Sortie

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Agenda

HOW TO LOVE

FESTIVAL INTERNATIONAL DE LA BANDE DESSINÉE D’ANGOULÊME

11.02-16.02 @ PETIT BAIN, PARIS

Et si on lui retournait la question : comment ne pas aimer How to Love ? C’est chose impossible pour plusieurs raisons. Premièrement, il traite de notre sujet préféré et de celui d’à peu près toute l’humanité, l’amour. Deuxièmement, il le fait très bien. Militant du love depuis sept éditions, le festival organisé par l’équipe du Petit Bain décortique cette question qui nous taraude et la traite à travers l’illustration, la musique, l’animation, des ateliers, des tables rondes, des jeux et des performances étalés sur six jours. Tristesse Contemporaine, Mondkopf, Nova Materia et Fils de Venus viendront entre autres déverser leurs bons sentiments au Petit Bain tandis que des intervenantes nous prouveront que l’amour est la réponse à tout. EQ

30.01-02.02 @ ANGOULÊME

Est-il encore nécessaire de le présenter ? Oh oui, allez, juste pour le plaisir. Grand parmi les grands, le festival international de la bande dessinée d’Angoulême fait mieux que tout le monde. Il invite les meilleurs auteurs, remet des prix de haut vol, nous permet d’avoir des dessins griffonnés sur les nouveaux livres de nos dessinateurs préférés, organise chaque année un Spin-Off où la crème de la micro-édition se réunit et met en place des expositions renversantes dans toute la ville. Pour cette 47e édition, Robert Kirkman, dessinateur de Walking Dead, Yoshiharu Tsuge, père du watakushi manga et Catherine Meurisse, ex-Charlie Hebdo et dessinatrice émérite, auront droit à leurs expositions consacrées. Ils claqueront certainement la bise dans les couloirs à l’immense Charles Burns, invité d’honneur et artiste derrière l’une des trois affiches de cette édition. De notre côté, on se contentera d’applaudir, de prendre des notes et d’en prendre plein les yeux pendant quatre jours. EQ

MIRAGE FESTIVAL- « COSMOGONIE » 11.03-15.03 @ LES SUBSISTANCES, LYON

Qu’on se le dise, le fait d’être obsédé par l’espace est tout à fait légitime. Cette masse impalpable et lumineuse qui gravite au-dessus de nos têtes et plus globalement, de notre planète, a en effet de quoi nourrir nos imaginaires en rêveries. Cette année, le Mirage Festival nous permettra de toucher d’un peu plus près cet univers interstellaire qui nous fait tant fantasmer. Comme à son habitude, le crack lyonnais des arts numériques ne se contentera pas de survoler le sujet mais l’explorera de fond en comble en invitant des artistes à dévoiler le fruit de leurs recherches intergalactiques. Des performances et des lives viendront compléter ces propositions artistiques pour que nous ne touchions définitivement plus terre. EQ

Mirage Festival Lyon Art,

Innovation

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8e édition 11 ― 15 Cosmogonie Mars 2020 Les Subsistances

Cultures

Numériques

www.

miragefestival

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BLACK MOVIE 17.01-26.01 @ GENÈVE

Nous avons la chance de ne pas (encore) vivre dans un monde despotique où Netflix serait la seule référence en matière de cinéma. Saisissons donc cette opportunité de ne pas être condamnés à végéter devant des comédies de Noël ad vitam aeternam pour nous aventurer dans des contrées cinématographiques parallèles. Tant qu’à faire, aventuronsnous même dans une région géographique parallèle, chez nos voisins les Suisses. Dans sa capitale prend racine chaque année le festival Black Movie, porte-étendard du cinéma indépendant et des productions aventureuses et confidentielles. Pour sa 21e année d’existence, le festival genevois brillera toujours aussi fort pour sa sélection thématique de films internationaux passés sous le radar des circuits de distribution. Parmi eux, House of Hummingbird et El Principe, les premiers longs-métrages remarqués de la Coréenne Kim Bora et du Chilien Sebastián Muñoz Costa del Rio, ou encore Vitalina Varela de Pedro Costa, dernier Léopard d’or du Festival de Locarno. En plus des masterclasses et tables rondes qui se tiendront pendant le festival, un jury international sera chargé de gratifier la meilleure œuvre du Prix de la Ville de Genève. EQ

BORDEAUX ROCK 23.01-25.01 @ BORDEAUX

Comme si le fait d’être constamment nommée la ville la plus attractive de France et de produire l’un des meilleurs pinards au monde ne lui suffisait pas, Bordeaux a en plus chez elle de super festivals, à l’image de Bordeaux Rock. Fidèle représentant de la musique qui tabasse au sein de la capitale girondine, le festival se porte comme un charme depuis 2004. Pour sa 16e édition, il rassemble fièrement les boss anglais du shoegaze Ride, les piliers de la scène EBM internationale Nitzer Ebb ainsi que nos gloires nationales Frustration et Rendez-Vous. Toujours aussi attaché à valoriser le talent de ses rejetons, Bordeaux Rock baladera les festivaliers dans sept bars du centre-ville où les groupes bordelais les plus chouettes du moment se produiront. EQ

CENTRAL VAPEUR 19.03-29.03 @ STRASBOURG

Berceau de nos plus tendres et précoces émotions en termes d’illustration, Strasbourg n’a jamais cessé de nous faire sentir comme des groupies. Parmi ses fiers acteurs militant pour le bel art, le salon Central Vapeur fait office de premier de la classe. Il fêtera cette année ses dix ans à la BNU où il exhibera la rétrospective de ses plus belles œuvres. Fidèle à ses bonnes habitudes, il ne manquera pas non plus de nous faire déambuler dans les allées de la Salle de la Bourse à son salon des éditeurs et collectifs indépendants. Enfin, des expositions comme celles consacrées à 2024, à Frémok et au regretté Tomi Ungerer prouveront toute l’importance d’un festival comme Central Vapeur. EQ


Reportage graphique

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