Local contemporain 01

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Notre terrain d’analyse et d’expérimentation, la région grenobloise, est précisement circonscrit car ce territoire nous apparaît emblématique du décalage profond entre ses réalités économiques, sociologiques et urbaines, et les représentations qui en émanent ou s’y attachent. Les formes émergentes sont pourtant extrêmement riches, mais ne correspondent plus à l’image connue et assimilée de la réalité urbaine :les repères traditionnels ont perdu leur efficacité, la ville historique s'asphyxie dans un conservatisme commercial, les nouveaux espaces périphériques canalisent sans passion les consommations de masse, les réseaux de transports deviennent l'espace essentiel et crucial de la communication urbaine, les territoires marginaux se rétractent ou se virtualisent. Au-delà de la simple soumission apparente à un ordre inéluctable, des brèches existent, des pratiques s'inventent, qui échappent. Local.contemporain tente à la fois de repérer ces échappées nouvelles et de les amplifier en associant artistes, chercheurs et pédagogues afin de rétroagir sur le tissu urbain. Ce choix d’un local circonscrit n’aura évidemment de sens qu’en pleine conscience de son voisinage mondial. C’est pourquoi les artistes et les chercheurs associés à ce projet proviennent largement de territoires autres, ou y font appel pour réfléchir : ainsi les nuages de Bourgogne pour Pierre Sansot, ou la ville créole pour Patrick Chamoiseau. Loin d’affirmations péremptoires, Local.contemporain cherche à aiguiser l’attention et, si possible, à nous aider à gagner un brin de légèreté pour aborder joyeusement les défis de l’époque.

PRIX 7¤ / ISBN 2-9516858-0-7

#1 AUTOMNE 2004

Local.contemporain est un foyer de recherches originales et d’initiatives artistiques autour des territoires urbains contemporains, une accumulation de points de vue croisés - artistiques, scientifiques, pédagogiques – une petite entreprise de renouvellement du regard.

LOCAL.CONTEMPORAIN

Maryvonne Arnaud, Yves Chalas, Patrick Chamoiseau, Fabrice Clapiès, Yann de Fareins, Genevière Fioraso, Jean Guibal, Yves Morin, Bénédicte Motte, Philippe Mouillon, Pierre Sansot, Nicolas Tixier, Henry Torgue

LOCAL.CONTEMPORAIN CE N’EST PAS UNE ACTIVITÉ ORDINAIRE QUE DE S’INTÉRESSER À L’ORDINAIRE


“Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps…” Gustave Flaubert

LOCAL.CONTEMPORAIN 1 RUE JEAN-FRANÇOIS HACHE 38000 GRENOBLE CONTACT@LOCAL-CONTEMPORAIN.NET WWW.LOCAL-CONTEMPORAIN.NET LE COMITÉ DE RÉDACTION DE LA REVUE EST CONSTITUÉ DE MARYVONNE ARNAUD, BÉNÉDICTE MOTTE, NICOLAS TIXIER, HENRY TORGUE ET PHILIPPE MOUILLON. ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO FELLA ASSARI, YVES CHALAS, PATRICK CHAMOISEAU, FABRICE CLAPIÈS, YANN DE FAREINS, ANNE FAURE, GENEVIÈRE FIORASO, JEAN GUIBAL, BERNARD MALLET, YVES MORIN, GRAZIELLA MONTEIL, PIERRE SANSOT, MIREILLE SICARD. ICONOGRAPHIE MARYVONNE ARNAUD SAUF PAGES 70 À 77 : YANN DE FAREINS / GRAPHISME ATELIER OCTOBRE (RICHARD BOKHOBZA) / GRAVURE & IMPRESSION IMPRIMERIE DES DEUXPONTS, EYBENS UNE ÉDITION LABORATOIRE (ÉDITEUR 2-9516858) 1 RUE JEAN-FRANÇOIS HACHE 38000 GRENOBLE CONTACT@ LELABORATOIRE.NET CONTACT PÉDAGOGIQUE : ARCHITECTURE ET REGARDS : 04 76 01 10 40 ISBN 2-9516858-0-7 / DÉPÔT LÉGAL OCTOBRE 2004 / DIRECTEUR DE PUBLICATION PHILIPPE MOUILLON © LOCAL.CONTEMPORAIN POUR LE TITRE ET LE CONCEPT / YVES CHALAS, PATRICK CHAMOISEAU, YVES MORIN, PIERRE SANSOT, PHILIPPE MOUILLON POUR LEUR TEXTE / MARYVONNE ARNAUD, YANN DE FAREINS POUR LEURS PHOTOGRAPHIES / FABRICE CLAPIÈS POUR SON IMAGE / NICOLAS TIXIER POUR SES FLIPBOOKS / HENRY TORGUE POUR SA COMPOSITION MUSICALE.


“Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps…” Gustave Flaubert

LOCAL.CONTEMPORAIN 1 RUE JEAN-FRANÇOIS HACHE 38000 GRENOBLE CONTACT@LOCAL-CONTEMPORAIN.NET WWW.LOCAL-CONTEMPORAIN.NET LE COMITÉ DE RÉDACTION DE LA REVUE EST CONSTITUÉ DE MARYVONNE ARNAUD, BÉNÉDICTE MOTTE, NICOLAS TIXIER, HENRY TORGUE ET PHILIPPE MOUILLON. ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO FELLA ASSARI, YVES CHALAS, PATRICK CHAMOISEAU, FABRICE CLAPIÈS, YANN DE FAREINS, ANNE FAURE, GENEVIÈRE FIORASO, JEAN GUIBAL, BERNARD MALLET, YVES MORIN, GRAZIELLA MONTEIL, PIERRE SANSOT, MIREILLE SICARD. ICONOGRAPHIE MARYVONNE ARNAUD SAUF PAGES 70 À 77 : YANN DE FAREINS / GRAPHISME ATELIER OCTOBRE (RICHARD BOKHOBZA) / GRAVURE & IMPRESSION IMPRIMERIE DES DEUXPONTS, EYBENS UNE ÉDITION LABORATOIRE (ÉDITEUR 2-9516858) 1 RUE JEAN-FRANÇOIS HACHE 38000 GRENOBLE CONTACT@ LELABORATOIRE.NET CONTACT PÉDAGOGIQUE : ARCHITECTURE ET REGARDS : 04 76 01 10 40 ISBN 2-9516858-0-7 / DÉPÔT LÉGAL OCTOBRE 2004 / DIRECTEUR DE PUBLICATION PHILIPPE MOUILLON © LOCAL.CONTEMPORAIN POUR LE TITRE ET LE CONCEPT / YVES CHALAS, PATRICK CHAMOISEAU, YVES MORIN, PIERRE SANSOT, PHILIPPE MOUILLON POUR LEUR TEXTE / MARYVONNE ARNAUD, YANN DE FAREINS POUR LEURS PHOTOGRAPHIES / FABRICE CLAPIÈS POUR SON IMAGE / NICOLAS TIXIER POUR SES FLIPBOOKS / HENRY TORGUE POUR SA COMPOSITION MUSICALE.


FLUX / PRÉCIPITÉ / PATRIMOINE QUE SE PASSE-T-IL VRAIMENT SOUS NOS YEUX ? PHILIPPE MOUILLON

Que se passe-t-il vraiment ici sous nos yeux ? Que signifie vivre là aujourd’hui ? L’inscription locale a-t-elle encore un sens ? Existe-t-il encore du local ? Sommes-nous partout dans du même, dans une réplique généralisée ? Que signifie être là aujourd’hui, immergés dans le flux d’une consommation de masse mondialisée, dans la dissémination croissante des diasporas ? Que signifie être d’ici ? Ne pas se sentir d’ici signifie-t-il être mondial, d’un ailleurs ou de nulle part ? Être de nulle part aujourd’hui est-il un atout ? Peut-on cultiver une identité forte et accueillir l’autre ? Comment peut-on réconforter ceux qui vivent dans l’affliction d’avoir été arrachés du sol d’origine, et affliger ceux qui vivent ancrés dans la certitude du lieu identitaire ? Comment décentrer le regard dominant sur cette métropôle qui ne fonctionne plus selon les us et coutumes ? Pourquoi entend-on souvent dire à propos de Grenoble : “ici, il n’y a rien à voir” ? Est-ce le vide engendré par le rationalisme fonctionnaliste qui est ainsi nommé ? Est-ce une épreuve ou une liberté de vivre dans une ville où il n’y a rien à voir ? La faible identité locale est-elle un avantage économique ? Une ville n’est-elle habitable que grâce à l’accumulation de récits bricolés avec des débris du monde où du “plus” et de l’autre s’insinuent dans l’ordre de la vie quotidienne ? Hors des champs de la solvabilité et de l’utilité, existe-t-il encore de la place ? La solvabilité est-elle désormais la seule mesure du monde ? Un centre-ville n’est-il qu’un centre marchand ? De quoi le centre-ville est-il le centre ? Où est l’autour de la ville ? Que se joue-t-il entre le proche et le lointain ? Les usagers de la ville produisent quelque chose qui ressemble aux lignes d’erres dont parle Fernand Deligny et qui ne passe plus par les centralités reconnues, qui ne semble pas cohérent avec l’espace bâti, écrit et préfabriqué. Cet usage de la ville est-il insensé ou est-ce notre intelligibilité de la ville qui date ? Les pratiques contemporaines de l’espace urbain ne sont-elles pas infiniment plus riches qu’elles ne le paraissent à un regard distrait ? Ainsi en s’emparant d’un espace impensé – le rond-point- pour y déposer un signe échappant à l’esthétique dominante, au bon goût contemporain de l’élite, “quelque chose” ne résiste-t-il pas, signifiant des intérêts et des désirs bien différents de ceux habituellement inscrits dans l’espace public ? Qui parle ainsi ? À qui ? Cette hypertrophie identitaire du local est-elle une forme d’expression populaire contemporaine ? Quel est le sens de cet hyperlocal ? N’est-il que le simple revers du mondial ? Cet usage populaire de l’espace contemporain ne valorise-t-il pas des lieux perçus jusque-là comme étant sans valeur ? Ainsi les parkings des hypermarchés transformés chaque dimanche après-midi en espace dédié aux planches à roulettes, en marché de voitures d’occasion, en brocante, ne deviennent-ils pas des lieux plus intelligents grâce à cette épaisseur d’usages cumulés ? Cet usage rusé de l’espace urbain ne s’ancre-t-il pas dans les lointains du vivant ? LOCAL.CONTEMPORAIN I 2

Cette infiltration ne traduit-elle pas des désirs inexprimés dans les sondages d’opinion mais pourtant bien réels ? Ce bricolage spatial empirique n’est-il pas une forme innovante de maîtrise foncière ? Ne traduit-il pas une tentative joyeuse de garder la maîtrise d’une vie non programmée ? Assiste-ton ainsi à une réinvention de lieux communs, dont la principale qualité serait d’être surgis de nulle part ? Les formes sociales hors du champ de la solvabilité sont-elles encore visibles ? Peut-il exister encore une pratique de l’espace public qui ne passe pas par un acte d’achat ? Quels sont les rituels d’une ville active ? Où sont les gens quand la ville est déserte ? Où les gens aiment-ils faire foule ? Où sont-ils heureux d’être ensemble ? Vivent-ils définitivement dans la solitude du consommateur de masse ? Existe-t-il encore des temps communs ? Le shopping est-il devenu le nouveau donneur de temps ? Existe-t-il encore des temps publics hors des rencontres calendaires composées par la sphère marchande – les soldes, le mondial de football… ? Le temps présent n’est-il que le présent permanent ? La désynchronisation des temps sociaux est-elle une catastrophe ? Les flux, les passages, le provisoire dominent-ils cette ville ? La mobilité devient-elle un enjeu stratégique ? Est-ce une forme d’intelligence nouvelle de se débarrasser de l’ancrage ou l’ancrage permet-il de mieux aborder l’incertitude ? La mobilité est-elle subie ou choisie ? N’est-ce pas une qualité de pouvoir effacer la ville afin de la réécrire comme il est fait à Minatec ? Ou de mêler le fixe et le flux : station d’essence où l’on se donne rendez-vous, cahutes itinérantes où l’on mange un sandwich. Cette sociabilité du lieu instable tient-t-elle sa richesse du fait de ne pas être inscrit dans l’immobilité de la ville immobilière ? Le patrimoine contemporain ne serait pas alors à rechercher dans la sédimentation, l’enracinement, mais dans les procédures de détournement qui servent au faible d’ultimes recours, dans cette capacité tactique d’investir l’alentour non modélisé de l’urbanité. La jubilation ne tientelle pas dans l’adresse à repérer avant tout le monde le lieu en devenir où il fera bon vivre ? La ville se réinvente chaque jour et cette vitesse de réinvention n’est-elle pas le signe et sens de l’époque, l’essence de l’époque ? Ce mouvement serait la vitesse de libération de Grenoble - comme est qualifiée la vitesse nécessaire à la sortie de l’attraction terrestre, une ville où l’identification ne se ferait plus sur l’identité territoriale, le bâtiment remarquable, la cohérence urbaine, mais sur la qualité des usages, l’inventivité des gestes, la vivacité des relations. La montagne enfin ne seraitelle pas la seule monumentalité de Grenoble, le vecteur de mémoire et de continuité ? Bivouaquer au camp romain sur la pointe du Néron dominant la ville serait-il la véritable matrice du sentiment d’être d’ici, inscrit dans une profondeur d’espace et de temps ? La montagne serait l’exacte suture entre l’instantanéité qui domine l’époque et un temps sans compter qui nous domine pourtant. 3 I LOCAL.CONTEMPORAIN


FLUX / PRÉCIPITÉ / PATRIMOINE QUE SE PASSE-T-IL VRAIMENT SOUS NOS YEUX ? PHILIPPE MOUILLON

Que se passe-t-il vraiment ici sous nos yeux ? Que signifie vivre là aujourd’hui ? L’inscription locale a-t-elle encore un sens ? Existe-t-il encore du local ? Sommes-nous partout dans du même, dans une réplique généralisée ? Que signifie être là aujourd’hui, immergés dans le flux d’une consommation de masse mondialisée, dans la dissémination croissante des diasporas ? Que signifie être d’ici ? Ne pas se sentir d’ici signifie-t-il être mondial, d’un ailleurs ou de nulle part ? Être de nulle part aujourd’hui est-il un atout ? Peut-on cultiver une identité forte et accueillir l’autre ? Comment peut-on réconforter ceux qui vivent dans l’affliction d’avoir été arrachés du sol d’origine, et affliger ceux qui vivent ancrés dans la certitude du lieu identitaire ? Comment décentrer le regard dominant sur cette métropôle qui ne fonctionne plus selon les us et coutumes ? Pourquoi entend-on souvent dire à propos de Grenoble : “ici, il n’y a rien à voir” ? Est-ce le vide engendré par le rationalisme fonctionnaliste qui est ainsi nommé ? Est-ce une épreuve ou une liberté de vivre dans une ville où il n’y a rien à voir ? La faible identité locale est-elle un avantage économique ? Une ville n’est-elle habitable que grâce à l’accumulation de récits bricolés avec des débris du monde où du “plus” et de l’autre s’insinuent dans l’ordre de la vie quotidienne ? Hors des champs de la solvabilité et de l’utilité, existe-t-il encore de la place ? La solvabilité est-elle désormais la seule mesure du monde ? Un centre-ville n’est-il qu’un centre marchand ? De quoi le centre-ville est-il le centre ? Où est l’autour de la ville ? Que se joue-t-il entre le proche et le lointain ? Les usagers de la ville produisent quelque chose qui ressemble aux lignes d’erres dont parle Fernand Deligny et qui ne passe plus par les centralités reconnues, qui ne semble pas cohérent avec l’espace bâti, écrit et préfabriqué. Cet usage de la ville est-il insensé ou est-ce notre intelligibilité de la ville qui date ? Les pratiques contemporaines de l’espace urbain ne sont-elles pas infiniment plus riches qu’elles ne le paraissent à un regard distrait ? Ainsi en s’emparant d’un espace impensé – le rond-point- pour y déposer un signe échappant à l’esthétique dominante, au bon goût contemporain de l’élite, “quelque chose” ne résiste-t-il pas, signifiant des intérêts et des désirs bien différents de ceux habituellement inscrits dans l’espace public ? Qui parle ainsi ? À qui ? Cette hypertrophie identitaire du local est-elle une forme d’expression populaire contemporaine ? Quel est le sens de cet hyperlocal ? N’est-il que le simple revers du mondial ? Cet usage populaire de l’espace contemporain ne valorise-t-il pas des lieux perçus jusque-là comme étant sans valeur ? Ainsi les parkings des hypermarchés transformés chaque dimanche après-midi en espace dédié aux planches à roulettes, en marché de voitures d’occasion, en brocante, ne deviennent-ils pas des lieux plus intelligents grâce à cette épaisseur d’usages cumulés ? Cet usage rusé de l’espace urbain ne s’ancre-t-il pas dans les lointains du vivant ? LOCAL.CONTEMPORAIN I 2

Cette infiltration ne traduit-elle pas des désirs inexprimés dans les sondages d’opinion mais pourtant bien réels ? Ce bricolage spatial empirique n’est-il pas une forme innovante de maîtrise foncière ? Ne traduit-il pas une tentative joyeuse de garder la maîtrise d’une vie non programmée ? Assiste-ton ainsi à une réinvention de lieux communs, dont la principale qualité serait d’être surgis de nulle part ? Les formes sociales hors du champ de la solvabilité sont-elles encore visibles ? Peut-il exister encore une pratique de l’espace public qui ne passe pas par un acte d’achat ? Quels sont les rituels d’une ville active ? Où sont les gens quand la ville est déserte ? Où les gens aiment-ils faire foule ? Où sont-ils heureux d’être ensemble ? Vivent-ils définitivement dans la solitude du consommateur de masse ? Existe-t-il encore des temps communs ? Le shopping est-il devenu le nouveau donneur de temps ? Existe-t-il encore des temps publics hors des rencontres calendaires composées par la sphère marchande – les soldes, le mondial de football… ? Le temps présent n’est-il que le présent permanent ? La désynchronisation des temps sociaux est-elle une catastrophe ? Les flux, les passages, le provisoire dominent-ils cette ville ? La mobilité devient-elle un enjeu stratégique ? Est-ce une forme d’intelligence nouvelle de se débarrasser de l’ancrage ou l’ancrage permet-il de mieux aborder l’incertitude ? La mobilité est-elle subie ou choisie ? N’est-ce pas une qualité de pouvoir effacer la ville afin de la réécrire comme il est fait à Minatec ? Ou de mêler le fixe et le flux : station d’essence où l’on se donne rendez-vous, cahutes itinérantes où l’on mange un sandwich. Cette sociabilité du lieu instable tient-t-elle sa richesse du fait de ne pas être inscrit dans l’immobilité de la ville immobilière ? Le patrimoine contemporain ne serait pas alors à rechercher dans la sédimentation, l’enracinement, mais dans les procédures de détournement qui servent au faible d’ultimes recours, dans cette capacité tactique d’investir l’alentour non modélisé de l’urbanité. La jubilation ne tientelle pas dans l’adresse à repérer avant tout le monde le lieu en devenir où il fera bon vivre ? La ville se réinvente chaque jour et cette vitesse de réinvention n’est-elle pas le signe et sens de l’époque, l’essence de l’époque ? Ce mouvement serait la vitesse de libération de Grenoble - comme est qualifiée la vitesse nécessaire à la sortie de l’attraction terrestre, une ville où l’identification ne se ferait plus sur l’identité territoriale, le bâtiment remarquable, la cohérence urbaine, mais sur la qualité des usages, l’inventivité des gestes, la vivacité des relations. La montagne enfin ne seraitelle pas la seule monumentalité de Grenoble, le vecteur de mémoire et de continuité ? Bivouaquer au camp romain sur la pointe du Néron dominant la ville serait-il la véritable matrice du sentiment d’être d’ici, inscrit dans une profondeur d’espace et de temps ? La montagne serait l’exacte suture entre l’instantanéité qui domine l’époque et un temps sans compter qui nous domine pourtant. 3 I LOCAL.CONTEMPORAIN


SOMMAIRE

LOCAL.CONTEMPORAIN

LOCAL.CONTEMPORAIN

ÉDITORIAL

06.PÉRIPHÉRIQUE

Nous sommes tous des spécialistes de notre environnement quotidien. La ville invente sans cesse des espaces où se croisent les personnes, les époques et les projets. Chacun de nous y participe à sa manière. Pourtant, spécialistes comme habitants, nous sommes en mal d’images et de mots pour traduire les formes émergentes de cette réalité.

PHOTOGRAPHIES MARYVONNE ARNAUD

15.QUELLE EST NOTRE VILLE ? TEXTE YVES CHALAS

18.EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS PHOTOGRAPHIES MARYVONNE ARNAUD

35.MOI, GRENOBLE NE ME MANQUE PAS ! UN ENTRETIEN AVEC PIERRE SANSOT

39.ABÉCÉDAIRE PHOTOGRAPHIES MARYVONNE ARNAUD

58.L’ŒIL NEUF TEXTE BÉNÉDICTE MOTTE

59.TABLE D’ORIENTATIONS TABLE RONDE YVES CHALAS, GENEVIÈVE FIORASO, JEAN GUIBAL

62.SIX QUESTIONS… 68.DANS LA VILLE BLANCHE… ET NOIRE TEXTE YVES MORIN

70.INCERTITUDES PHOTOGRAPHIES YANN DE FARENS

78.J’HABITE ICI 81.L’INFLUX DU TOUT POSSIBLE TEXTE PATRICK CHAMOISEAU

86.L’HERBIER DU MOBILIER URBAIN 88.ICI OU LÀ ? IMAGE FABRICE CLAPIÈS

90.LA VILLE À VENIR INFOGRAPHIE PHILIPPE MOUILLON

91.(EN)JEUX PÉDAGOGIQUES MIREILLE SICARD, ANNE FAURE

96.TRANSVERSALES CHRONIQUES SONORES HENRY TORGUE

+.SERVIR AGITÉ CONCEPTION NICOLAS TIXIER PHOTOGRAPHIES FELLA ASSARI, GRAZIELLA MONTEIL

La plus grande part de “la ville d’aujourd’hui”, celle qui fera le patrimoine de demain, relève de la mobilité, de l’étalement urbain, de la ville à la campagne et de la campagne dans la ville, des centralités périphériques et multiples, des zones commerciales, des entrées de ville, etc. Les usages de toutes les zones trop rapidement considérées comme des “non-lieux” ou des “non-villes” sont bien plus riches et sensés que ce que leur espace formel prête à croire.

Sans jugement. Notre intuition est que ces signes, ces espaces, ces sons, ces pratiques sociales, ces actions, ces contradictions, ces rumeurs, ces projets artistiques, ces paroles, ces rêves constituent les éléments de notre patrimoine en train de se créer. N’attendons pas le tri de l’histoire pour être lucide sur notre présent. La ville ne se limite pas à l’espace. L’aménageur aimerait bien parfois que le point de vue du géomètre épuise le sujet. Mais la ville est aussi territoire de contradictions, d’affrontements sociaux, de tuilages des vies, de passages. Elle condense les époques, les déforme, les superpose, les idéalise ou les oublie. Elle entrelace les rythmes du jour et de la nuit au fil des saisons.

Nos espaces - sans doute à notre image - sont éclatés entre standardisation mondiale (rues piétonnes identiquement franchisées, publicités homogènes, formes de construction répétitives…) et local hypertrophié (revendication identitaire quartier contre quartier, surenchère d’expressions autochtones aux ronds-points d’entrée de ville, pratiques micro-locales…). Les jugements esthétiques ou sociaux traditionnels (le beau, le typique, le pittoresque…) sont devenus inadaptés pour en rendre compte.

Ce numéro 1 dresse un état des lieux. Partiel et subjectif. D’autres numéros suivront, ouverts à d’autres thèmes, à d’autres collaborations, proches et lointaines. Mais nous serons aussi présents sous d’autres formes que ces publications : local.contemporain constitue un pôle de réflexion et d’action artistique pour fédérer des interventions urbaines, régulières ou exceptionnelles, conçues par des créateurs d’ici ou d’ailleurs, en liaison avec les institutions et les collectivités locales.

En fait, la société civile invente la ville (bien autant que les politiques et les urbanistes) mais faute d’images et de mots pour les définir, nous peinons à recevoir et à concevoir l’émergence de ces nouvelles formes d’urbanité. Dans ce déficit réside un enjeu considérable car être en mesure de désigner est un préalable indispensable à la possibilité d’agir.

Derrière nos questions se profile la ville citoyenne, celle qui cherche avec ses scientifiques, qui se laisse surprendre par ses artistes et qui ouvre des pistes à ses enfants. Nous voudrions que chaque photo, chaque mot, chaque son se prolonge sous d’autres formes, donne naissance à d’autres images, à d’autres constats, à d’autres rêveries, venant de tous les lieux et de tous les âges.

Nous sommes persuadés qu’un “territoire intelligent” est un territoire où le plus grand nombre dispose des clefs de lecture, d’interprétation et d’action nécessaires à la mise en œuvre de ses choix, à la maîtrise de sa destinée. Produire des images et des mots qualifiant la ville contemporaine, tel est l’objectif de local.contemporain : traquer comment notre quotidien s’invente, mettre au grand jour notre urbanité en état de recherche, au moment où elle esquisse ses propres formulations et procède au renouvellement de ses formes.

En se proposant comme une passerelle vers l’inattendu, une méthode pour se décaler le regard et une exploration des territoires imprévus, local.contemporain veut contribuer à dégager les saveurs de notre quotidien.

5 I LOCAL.CONTEMPORAIN


SOMMAIRE

LOCAL.CONTEMPORAIN

LOCAL.CONTEMPORAIN

ÉDITORIAL

06.PÉRIPHÉRIQUE

Nous sommes tous des spécialistes de notre environnement quotidien. La ville invente sans cesse des espaces où se croisent les personnes, les époques et les projets. Chacun de nous y participe à sa manière. Pourtant, spécialistes comme habitants, nous sommes en mal d’images et de mots pour traduire les formes émergentes de cette réalité.

PHOTOGRAPHIES MARYVONNE ARNAUD

15.QUELLE EST NOTRE VILLE ? TEXTE YVES CHALAS

18.EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS PHOTOGRAPHIES MARYVONNE ARNAUD

35.MOI, GRENOBLE NE ME MANQUE PAS ! UN ENTRETIEN AVEC PIERRE SANSOT

39.ABÉCÉDAIRE PHOTOGRAPHIES MARYVONNE ARNAUD

58.L’ŒIL NEUF TEXTE BÉNÉDICTE MOTTE

59.TABLE D’ORIENTATIONS TABLE RONDE YVES CHALAS, GENEVIÈVE FIORASO, JEAN GUIBAL

62.SIX QUESTIONS… 68.DANS LA VILLE BLANCHE… ET NOIRE TEXTE YVES MORIN

70.INCERTITUDES PHOTOGRAPHIES YANN DE FARENS

78.J’HABITE ICI 81.L’INFLUX DU TOUT POSSIBLE TEXTE PATRICK CHAMOISEAU

86.L’HERBIER DU MOBILIER URBAIN 88.ICI OU LÀ ? IMAGE FABRICE CLAPIÈS

90.LA VILLE À VENIR INFOGRAPHIE PHILIPPE MOUILLON

91.(EN)JEUX PÉDAGOGIQUES MIREILLE SICARD, ANNE FAURE

96.TRANSVERSALES CHRONIQUES SONORES HENRY TORGUE

+.SERVIR AGITÉ CONCEPTION NICOLAS TIXIER PHOTOGRAPHIES FELLA ASSARI, GRAZIELLA MONTEIL

La plus grande part de “la ville d’aujourd’hui”, celle qui fera le patrimoine de demain, relève de la mobilité, de l’étalement urbain, de la ville à la campagne et de la campagne dans la ville, des centralités périphériques et multiples, des zones commerciales, des entrées de ville, etc. Les usages de toutes les zones trop rapidement considérées comme des “non-lieux” ou des “non-villes” sont bien plus riches et sensés que ce que leur espace formel prête à croire.

Sans jugement. Notre intuition est que ces signes, ces espaces, ces sons, ces pratiques sociales, ces actions, ces contradictions, ces rumeurs, ces projets artistiques, ces paroles, ces rêves constituent les éléments de notre patrimoine en train de se créer. N’attendons pas le tri de l’histoire pour être lucide sur notre présent. La ville ne se limite pas à l’espace. L’aménageur aimerait bien parfois que le point de vue du géomètre épuise le sujet. Mais la ville est aussi territoire de contradictions, d’affrontements sociaux, de tuilages des vies, de passages. Elle condense les époques, les déforme, les superpose, les idéalise ou les oublie. Elle entrelace les rythmes du jour et de la nuit au fil des saisons.

Nos espaces - sans doute à notre image - sont éclatés entre standardisation mondiale (rues piétonnes identiquement franchisées, publicités homogènes, formes de construction répétitives…) et local hypertrophié (revendication identitaire quartier contre quartier, surenchère d’expressions autochtones aux ronds-points d’entrée de ville, pratiques micro-locales…). Les jugements esthétiques ou sociaux traditionnels (le beau, le typique, le pittoresque…) sont devenus inadaptés pour en rendre compte.

Ce numéro 1 dresse un état des lieux. Partiel et subjectif. D’autres numéros suivront, ouverts à d’autres thèmes, à d’autres collaborations, proches et lointaines. Mais nous serons aussi présents sous d’autres formes que ces publications : local.contemporain constitue un pôle de réflexion et d’action artistique pour fédérer des interventions urbaines, régulières ou exceptionnelles, conçues par des créateurs d’ici ou d’ailleurs, en liaison avec les institutions et les collectivités locales.

En fait, la société civile invente la ville (bien autant que les politiques et les urbanistes) mais faute d’images et de mots pour les définir, nous peinons à recevoir et à concevoir l’émergence de ces nouvelles formes d’urbanité. Dans ce déficit réside un enjeu considérable car être en mesure de désigner est un préalable indispensable à la possibilité d’agir.

Derrière nos questions se profile la ville citoyenne, celle qui cherche avec ses scientifiques, qui se laisse surprendre par ses artistes et qui ouvre des pistes à ses enfants. Nous voudrions que chaque photo, chaque mot, chaque son se prolonge sous d’autres formes, donne naissance à d’autres images, à d’autres constats, à d’autres rêveries, venant de tous les lieux et de tous les âges.

Nous sommes persuadés qu’un “territoire intelligent” est un territoire où le plus grand nombre dispose des clefs de lecture, d’interprétation et d’action nécessaires à la mise en œuvre de ses choix, à la maîtrise de sa destinée. Produire des images et des mots qualifiant la ville contemporaine, tel est l’objectif de local.contemporain : traquer comment notre quotidien s’invente, mettre au grand jour notre urbanité en état de recherche, au moment où elle esquisse ses propres formulations et procède au renouvellement de ses formes.

En se proposant comme une passerelle vers l’inattendu, une méthode pour se décaler le regard et une exploration des territoires imprévus, local.contemporain veut contribuer à dégager les saveurs de notre quotidien.

5 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 06

07 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 06

07 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 08

09 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 08

09 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 10

11 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 10

11 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 12

13 I LOCAL.CONTEMPORAIN


PÉRIPHÉRIQUE ET QUE RETIENNENT D’ICI CEUX QUI NE FONT QUE PASSER ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 12

13 I LOCAL.CONTEMPORAIN


QUELLE EST NOTRE VILLE ? LA VILLE CONTEMPORAINE PARAÎT S’ÉDIFIER SUR DES INVERSIONS REMARQUABLES. COMMENT PENSER ET DIRE CE QUI NOUS DÉCONCERTE ? YVES CHALAS

“La métropole Grenobloise est contemporaine car c’est une ville mobile. Ces autoroutes de contournements font sa contemporaneité immédiate, je m’y reconnais” Y. C.

LOCAL.CONTEMPORAIN I 14

Nous avons dans nos têtes un modèle de ville que nous croyons être le seul modèle possible. Ce modèle est celui de la ville d’hier, ville de l’unité formelle du point de vue architectural, ville dense et essentiellement minérale, ville de l’harmonie classique, ville du quartier et du centre-ville unique et puissamment attractif, ville également des oppositions bien tranchées entre centre et périphérie, rural et urbain. Or, force est de constater, non seulement que la ville contemporaine s’étend toujours plus selon des critères et des contours qui ne sont plus ceux de la ville d’hier, mais également que nos pratiques d’urbains ne relèvent plus aujourd’hui, ou de moins en moins, de cette ville d’hier. Le déclin de la ville d’hier est réel, mais ce n’est pas pour autant la fin de la ville, de toute ville. La pensée du déclin, de la perte, du manque perçoit précisément et très bien le déclin, la perte, le manque, mais elle ne perçoit que cela. Elle est peu disposée à appréhender le changement. Elle reste éloignée de la nouveauté qui naît et qui sauve. L’effacement d’une certaine ville, classique ou haussmannienne, datée, née avec la révolution industrielle et vieillissante à l’âge de la société de communication, ce n’est pas la défaite de la ville tout court. Quand un type de ville se meurt, c’est que déjà un autre type de ville s’épanouit. Il n’est que de le reconnaître. Mais c’est précisément cette reconnaissance qui fait problème. La crise de la ville contemporaine est en partie la crise de nos représentations de la ville. Nous n’avons pas (encore) l’intelligibilité de notre condition urbaine contemporaine. Il nous faut d’urgence nous atteler à la tâche du ressaisissement de la ville. Il nous faut produire les mots et les images qu’exige une conscience claire des mutations urbaines qui ont eu lieu. Il nous faut nous débarrasser de la chimère du retour à la ville d’hier. L’histoire ne repasse pas les plats. L’enjeu n’est pas seulement esthétique ou intellectuel. Il est politique. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir, d’action urbanistique efficace sans figures représentatives préalables de la ville qui en signifient la réalité émergente et irréfragable. Comment penser et dire ces évolutions que nous observons et qui nous déconcertent par leur caractère inédit et même paradoxal à travers lesquelles, par exemple, la ville devient nature et la nature devient ville, ou encore, la mobilité est et fait ville, le territoire se confond avec l’urbain, les centres se situent à la périphérie, les vides du non-bâti donnent une unité à la disparité des pleins du bâti ? La ville contemporaine paraît s’édifier sur des inversions remarquables. L’urbain et le régional, la ville et le pays, la ville et la campagne, la ville et le nomadisme et, partant, le proche et le lointain, le

continu et le discontinu, l’aggloméré et le diffus, l’homogène et l’hétérogène, le mixte et le ségrégué, etc., qui autrefois appartenaient à des registres différents, voire antagonistes, se retrouvent maintenant réunis en un seul et même registre fondateur d’une urbanité nouvelle. La ville contemporaine semble également s’établir selon la logique non dualiste du tiers-inclus, logique du “à la fois” une chose et son contraire. Que faire sinon, comme toujours, nous aider des artistes, de leur œil et de leurs prophéties ? Émile Zola, déjà, admirant le tableau de Monet intitulé "La gare Saint-Lazare, arrivée d'un train", peint en 1877 et, bien sûr, très célèbre aujourd'hui, s'exclama, en réponse à l'étonnement réprobateur de ses contemporains déroutés (scandalisés) par la nouveauté (trivialité) du sujet choisi par le peintre : "Là est peinture aujourd'hui. Nos artistes doivent trouver la poésie des gares comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves". La réflexion d'Emile Zola devrait s'appliquer à l'urbanisme de ce siècle naissant. Il nous reste à trouver l'urbanité de cette réalité fluide, instable, proliférante, interchangeable. Ne peut-on, une fois encore, faire confiance aux artistes pour nous aider dans cette tâche ?

15 I LOCAL.CONTEMPORAIN


QUELLE EST NOTRE VILLE ? LA VILLE CONTEMPORAINE PARAÎT S’ÉDIFIER SUR DES INVERSIONS REMARQUABLES. COMMENT PENSER ET DIRE CE QUI NOUS DÉCONCERTE ? YVES CHALAS

“La métropole Grenobloise est contemporaine car c’est une ville mobile. Ces autoroutes de contournements font sa contemporaneité immédiate, je m’y reconnais” Y. C.

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Nous avons dans nos têtes un modèle de ville que nous croyons être le seul modèle possible. Ce modèle est celui de la ville d’hier, ville de l’unité formelle du point de vue architectural, ville dense et essentiellement minérale, ville de l’harmonie classique, ville du quartier et du centre-ville unique et puissamment attractif, ville également des oppositions bien tranchées entre centre et périphérie, rural et urbain. Or, force est de constater, non seulement que la ville contemporaine s’étend toujours plus selon des critères et des contours qui ne sont plus ceux de la ville d’hier, mais également que nos pratiques d’urbains ne relèvent plus aujourd’hui, ou de moins en moins, de cette ville d’hier. Le déclin de la ville d’hier est réel, mais ce n’est pas pour autant la fin de la ville, de toute ville. La pensée du déclin, de la perte, du manque perçoit précisément et très bien le déclin, la perte, le manque, mais elle ne perçoit que cela. Elle est peu disposée à appréhender le changement. Elle reste éloignée de la nouveauté qui naît et qui sauve. L’effacement d’une certaine ville, classique ou haussmannienne, datée, née avec la révolution industrielle et vieillissante à l’âge de la société de communication, ce n’est pas la défaite de la ville tout court. Quand un type de ville se meurt, c’est que déjà un autre type de ville s’épanouit. Il n’est que de le reconnaître. Mais c’est précisément cette reconnaissance qui fait problème. La crise de la ville contemporaine est en partie la crise de nos représentations de la ville. Nous n’avons pas (encore) l’intelligibilité de notre condition urbaine contemporaine. Il nous faut d’urgence nous atteler à la tâche du ressaisissement de la ville. Il nous faut produire les mots et les images qu’exige une conscience claire des mutations urbaines qui ont eu lieu. Il nous faut nous débarrasser de la chimère du retour à la ville d’hier. L’histoire ne repasse pas les plats. L’enjeu n’est pas seulement esthétique ou intellectuel. Il est politique. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir, d’action urbanistique efficace sans figures représentatives préalables de la ville qui en signifient la réalité émergente et irréfragable. Comment penser et dire ces évolutions que nous observons et qui nous déconcertent par leur caractère inédit et même paradoxal à travers lesquelles, par exemple, la ville devient nature et la nature devient ville, ou encore, la mobilité est et fait ville, le territoire se confond avec l’urbain, les centres se situent à la périphérie, les vides du non-bâti donnent une unité à la disparité des pleins du bâti ? La ville contemporaine paraît s’édifier sur des inversions remarquables. L’urbain et le régional, la ville et le pays, la ville et la campagne, la ville et le nomadisme et, partant, le proche et le lointain, le

continu et le discontinu, l’aggloméré et le diffus, l’homogène et l’hétérogène, le mixte et le ségrégué, etc., qui autrefois appartenaient à des registres différents, voire antagonistes, se retrouvent maintenant réunis en un seul et même registre fondateur d’une urbanité nouvelle. La ville contemporaine semble également s’établir selon la logique non dualiste du tiers-inclus, logique du “à la fois” une chose et son contraire. Que faire sinon, comme toujours, nous aider des artistes, de leur œil et de leurs prophéties ? Émile Zola, déjà, admirant le tableau de Monet intitulé "La gare Saint-Lazare, arrivée d'un train", peint en 1877 et, bien sûr, très célèbre aujourd'hui, s'exclama, en réponse à l'étonnement réprobateur de ses contemporains déroutés (scandalisés) par la nouveauté (trivialité) du sujet choisi par le peintre : "Là est peinture aujourd'hui. Nos artistes doivent trouver la poésie des gares comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves". La réflexion d'Emile Zola devrait s'appliquer à l'urbanisme de ce siècle naissant. Il nous reste à trouver l'urbanité de cette réalité fluide, instable, proliférante, interchangeable. Ne peut-on, une fois encore, faire confiance aux artistes pour nous aider dans cette tâche ?

15 I LOCAL.CONTEMPORAIN


ESTACADE QUI PENSAIT ENCORE QUE LE MODÈLE C’ÉTAIT NOUS ?

“On pensait que les villes du tiers-monde étaient en retard, en rattrapage. C’est l’inverse qui se produit : notre avenir est à lire dans les réalités urbaines inscrites dans ces villes. Tous les phénomènes de ville-nature, ville-territoire, ville-mobile, etc. sont inscrits dans ces villes et depuis longtemps. Alors, ce train avec le marché en dessous, c’est ce renversement… Il y a là quelque chose qui excède la modernité.” Y. C.

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ESTACADE QUI PENSAIT ENCORE QUE LE MODÈLE C’ÉTAIT NOUS ?

“On pensait que les villes du tiers-monde étaient en retard, en rattrapage. C’est l’inverse qui se produit : notre avenir est à lire dans les réalités urbaines inscrites dans ces villes. Tous les phénomènes de ville-nature, ville-territoire, ville-mobile, etc. sont inscrits dans ces villes et depuis longtemps. Alors, ce train avec le marché en dessous, c’est ce renversement… Il y a là quelque chose qui excède la modernité.” Y. C.

17 I LOCAL.CONTEMPORAIN


EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS 4 APPELLATIONS, 3 COMMUNES, 8 KILOMÈTRES QUE NOUS DONNE À VOIR LA PLUS LONGUE AVENUE D’EUROPE ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 18

19 I LOCAL.CONTEMPORAIN


EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS 4 APPELLATIONS, 3 COMMUNES, 8 KILOMÈTRES QUE NOUS DONNE À VOIR LA PLUS LONGUE AVENUE D’EUROPE ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 18

19 I LOCAL.CONTEMPORAIN


LOCAL.CONTEMPORAIN I 20

21 I LOCAL.CONTEMPORAIN


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23 I LOCAL.CONTEMPORAIN


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LOCAL.CONTEMPORAIN I 24

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EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS L’ÉPOQUE SE LIVRE-T-ELLE MOT À MOT, PAS À PAS ?

Voici ce que la ville nous donnait à lire lors d’un cheminement effectué le 21 avril 2004. Un corpus volatiles qui, d’un slogan commercial à un menu du jour, traduit les préoccupations, les valeurs, les usages, les désirs du quotidien d’une époque.

CÔTÉ IMPAIR babeloued salleson de financement billard et babyfoot babelouedsandwichs sandwichs chacun sa personnalité, chacun pour vous, nous livrons partout le à pied kebab Ankara le spécialiste spécialistededelalacourse course à pied bar américain distributeur automatique de 500 films le plat du jour / salade verte le temps tempsvous vousdonne donneraison raison envie de couleurs encadrez les bons moments, oubliez les petits bobos spécialiste farines écrasées sur meules de pierre spécialisteenenréparation réparation 7 jours/7 de 10h à 23h louez, c’est jusqu’à 2 fois moins cher station affûtage coutellerie opticien visagiste station affûtage coutellerie plats cuisinés auditorium et espace vidéo copies couleur laser et industrielles restauration rapide copies couleur laser et industrielles torréfaction de 30 à 80 % d’économies sur vos consommables cabinet d’avocats le cinéma en vidéo cabinet d’avocats salle de billard et babyfoot vendredi couscous maison mieux-être les dessous chics mieux-être kebab Ankara prix producteur retraite-prévoyance-mutualité-épargne cours de math retraite-prévoyance-mutualité-épargne plat du jour / salade verte mixte non-stop samedi lavage complet + aspi à volonté spécialités provençales vous ne ressemblez à personne le prêt conso qui donne envie deetliberté spécialités provençales farines écrasées sur meules de pierre en plus… satisfait ou remboursé automobiles tiers-tousàrisques-malussés bugnes lyonnaises maison vous ne ressemblez personne opticien visagiste maison de l’épargne dauphinoise 11h30 – 12h sans rdv automobiles tiers-tous risques-malussés restauration rapide des professionnels qui assurent engrais bio maison de l’épargne dauphinoise le cinéma en vidéo pâtisserie “pur beurre” chocolat “maison” kebab certifiés hallal des professionnels qui assurent les dessous chics venez découvrir notre espace profitez-en avant qu’il ne soit trop tard pâtisserie “pur beurre” chocolat “maison” cours de math des professionnels qui assurent ces marches ne sont pas des abribus mais un lieu privé venez espace dragées mixte non-stop samedi robes dedécouvrir mariées, notre bonbonnières, promotion : 4 pains au chocolat pur beurre Charente-Poitou des du professionnels qui assurent le prêt conso qui donne enviesoin de liberté plat jour visage épilation maquillage manucure robesd’efficacité de mariées, dragées bugnes lyonnaises maison mon épicier est un type formidable 24h pourbonbonnières, réduire intensément la cellulite promotion 4 croissants pur beurre Charente-Poitou arrondir sa retraite, c’est possible plat du jour 11h30 – 12h sans rdv beef-building prix d’un appel local depuis un poste fixe 24h d’efficacité pour réduire intensément la cellulite engrais bio new concept vidéo locaux disponibles promotion 4 croissants pur beurre Charente-Poitou kebab certifiés hallal bonbonnière dragées retouches coup sech beef-building profitez-en avant qu’il ne soitshamp trop tard soleil d’Asie froid télégestion new concept vidéo ces marches ne sont pas des abribus mais un lieu ici, technicien du produit d’entretien dites-leur combien vous les aimez bonbonnière dragées retouches privé arrivage de laine pour chaussettes pour l’été terrasse ombragée sur cour soleil d’Asie de l’ordinateur portable promotion : 4 pains au chocolat pur agréé beurreCanal+ Charentele spécialiste centre ici, technicien produit d’entretien Poitou spécialités nems,duphò, salades, sandwichs rognons au madère arrivage de laine pour chaussettes soin visage épilation maquillage manucure chez Charrad Ici retouches devis gratuit de l’ordinateur portable hamburgers / kebbab / escalope / fricassée thon le spécialiste mon épicier est un type formidable un placementnems, à capital shamp coup brush non-stop tous les jours spécialités phò,garanti salades, sandwichs arrondir sa retraite, c’est possible àchez voir Charrad urgent cycles vélomoteurs interdits dans le parc prix d’un appel local depuis un posteet fixe cartes de visite, flyers, sites web mariage baptême plateau repas devis gratuit locaux disponibles pain au levain artisan pâtissier un placement à capital garanti shamp coup sech bar américain réparation en tous genres àcybercafé voir urgent froid télégestion retouche et finitions main cartes de visite, flyers, sites web dites-leur combien vous les aimez le prêt-à-bronzer pour vous, nous livrons partout pain au levain pour l’été terrasse ombragée distributeur sur cour automatique de 500 films automobile (jeunes conducteurs, malussés) barmardi américain Canal+ le : tête de veau - sauce ravigote, le mercredi : rognons de centre veau – agréé sauce berrichonne encadrez les bons moments, oubliez les petits bobos test en condition d’examen louez, c’est jusqu’à 2 fois moins cher cybercafé rognons au madère chili con carne auditorium et espace vidéo le prêt-à-bronzer Ici retouches empruntez, respirez ! de 30/ fricassée à 80 % d’économies automobile (jeunes conducteurs, malussés) hamburgers / kebbab / escalope thon sur vos consommables conseil en gestion de patrimoine vendredi couscous le mardi : tête de veau - sauce ravigote, le mercredi : shamp coup brush non-stop tous les jours maison chacun sa personnalité, chacun son financement prix producteur rognons de veau – sauce berrichonne cycles et vélomoteurs interdits dans le parc bar américain lavage complet + aspi à volonté test mariage baptême plateau repas envieen de condition couleurs d’examen et en plus… satisfait ou remboursé chili condecarne artisan pâtissier 7 jours/7 10h à 23h empruntez, réparation en tous genres plats cuisinésrespirez ! conseil en gestion de patrimoine retouche et finitions main torréfaction

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EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS L’ÉPOQUE SE LIVRE-T-ELLE MOT À MOT, PAS À PAS ?

Voici ce que la ville nous donnait à lire lors d’un cheminement effectué le 21 avril 2004. Un corpus volatiles qui, d’un slogan commercial à un menu du jour, traduit les préoccupations, les valeurs, les usages, les désirs du quotidien d’une époque.

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29 I LOCAL.CONTEMPORAIN


EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS L’ÉPOQUE SE LIVRE-T-ELLE MOT À MOT, PAS À PAS ?

Voici ce que la ville nous donnait à lire lors d’un cheminement effectué le 21 avril 2004. Un corpus volatiles qui, d’un slogan commercial à un menu du jour, traduit les préoccupations, les valeurs, les usages, les désirs du quotidien d’une époque.

CÔTÉ IMPAIR babeloued salleson de financement billard et babyfoot babelouedsandwichs sandwichs chacun sa personnalité, chacun pour vous, nous livrons partout le à pied kebab Ankara le spécialiste spécialistededelalacourse course à pied bar américain distributeur automatique de 500 films le plat du jour / salade verte le temps tempsvous vousdonne donneraison raison envie de couleurs encadrez les bons moments, oubliez les petits bobos spécialiste farines écrasées sur meules de pierre spécialisteenenréparation réparation 7 jours/7 de 10h à 23h louez, c’est jusqu’à 2 fois moins cher station affûtage coutellerie opticien visagiste station affûtage coutellerie plats cuisinés auditorium et espace vidéo copies couleur laser et industrielles restauration rapide copies couleur laser et industrielles torréfaction de 30 à 80 % d’économies sur vos consommables cabinet d’avocats le cinéma en vidéo cabinet d’avocats salle de billard et babyfoot vendredi couscous maison mieux-être les dessous chics mieux-être kebab Ankara prix producteur retraite-prévoyance-mutualité-épargne cours de math retraite-prévoyance-mutualité-épargne plat du jour / salade verte mixte non-stop samedi lavage complet + aspi à volonté spécialités provençales vous ne ressemblez à personne le prêt conso qui donne envie deetliberté spécialités provençales farines écrasées sur meules de pierre en plus… satisfait ou remboursé automobiles tiers-tousàrisques-malussés bugnes lyonnaises maison vous ne ressemblez personne opticien visagiste maison de l’épargne dauphinoise 11h30 – 12h sans rdv automobiles tiers-tous risques-malussés restauration rapide des professionnels qui assurent engrais bio maison de l’épargne dauphinoise le cinéma en vidéo pâtisserie “pur beurre” chocolat “maison” kebab certifiés hallal des professionnels qui assurent les dessous chics venez découvrir notre espace profitez-en avant qu’il ne soit trop tard pâtisserie “pur beurre” chocolat “maison” cours de math des professionnels qui assurent ces marches ne sont pas des abribus mais un lieu privé venez espace dragées mixte non-stop samedi robes dedécouvrir mariées, notre bonbonnières, promotion : 4 pains au chocolat pur beurre Charente-Poitou des du professionnels qui assurent le prêt conso qui donne enviesoin de liberté plat jour visage épilation maquillage manucure robesd’efficacité de mariées, dragées bugnes lyonnaises maison mon épicier est un type formidable 24h pourbonbonnières, réduire intensément la cellulite promotion 4 croissants pur beurre Charente-Poitou arrondir sa retraite, c’est possible plat du jour 11h30 – 12h sans rdv beef-building prix d’un appel local depuis un poste fixe 24h d’efficacité pour réduire intensément la cellulite engrais bio new concept vidéo locaux disponibles promotion 4 croissants pur beurre Charente-Poitou kebab certifiés hallal bonbonnière dragées retouches coup sech beef-building profitez-en avant qu’il ne soitshamp trop tard soleil d’Asie froid télégestion new concept vidéo ces marches ne sont pas des abribus mais un lieu ici, technicien du produit d’entretien dites-leur combien vous les aimez bonbonnière dragées retouches privé arrivage de laine pour chaussettes pour l’été terrasse ombragée sur cour soleil d’Asie de l’ordinateur portable promotion : 4 pains au chocolat pur agréé beurreCanal+ Charentele spécialiste centre ici, technicien produit d’entretien Poitou spécialités nems,duphò, salades, sandwichs rognons au madère arrivage de laine pour chaussettes soin visage épilation maquillage manucure chez Charrad Ici retouches devis gratuit de l’ordinateur portable hamburgers / kebbab / escalope / fricassée thon le spécialiste mon épicier est un type formidable un placementnems, à capital shamp coup brush non-stop tous les jours spécialités phò,garanti salades, sandwichs arrondir sa retraite, c’est possible àchez voir Charrad urgent cycles vélomoteurs interdits dans le parc prix d’un appel local depuis un posteet fixe cartes de visite, flyers, sites web mariage baptême plateau repas devis gratuit locaux disponibles pain au levain artisan pâtissier un placement à capital garanti shamp coup sech bar américain réparation en tous genres àcybercafé voir urgent froid télégestion retouche et finitions main cartes de visite, flyers, sites web dites-leur combien vous les aimez le prêt-à-bronzer pour vous, nous livrons partout pain au levain pour l’été terrasse ombragée distributeur sur cour automatique de 500 films automobile (jeunes conducteurs, malussés) barmardi américain Canal+ le : tête de veau - sauce ravigote, le mercredi : rognons de centre veau – agréé sauce berrichonne encadrez les bons moments, oubliez les petits bobos test en condition d’examen louez, c’est jusqu’à 2 fois moins cher cybercafé rognons au madère chili con carne auditorium et espace vidéo le prêt-à-bronzer Ici retouches empruntez, respirez ! 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EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS L’ÉPOQUE SE LIVRE-T-ELLE MOT À MOT, PAS À PAS ?

CÔTÉ PAIR l’offre du mois : masculin 18 ¤ féminin 32 ¤ scooters du 50 au 500 cc restaurant climatisé au fin gourmet pain chaud l’après-midi point fax 7/7 8h-22h30 vidéo and music vivez plus fort votre retraite un conseil immobilier à vos côtés solitaire : 2000 ¤ semaine de 7h à 22h location de parking liste de mariage tout ce qui est protégé est plus libre moins d’impôts aujourd’hui, plus de retraite demain ! des offres nouvelles tous les jours votre agence a 10 ans dépôt de pain dans immeuble de standing bel appartement T3 vente de fourrures d’occasion bouffe surprise istanbul sandwichs-kebab service rapide dépannage merci la mobicarte beauté des mains, beauté des pieds artisan chocolatier torréfiés à l’ancienne spécialités indiennes seigle, campagne, noix, complet, etc la houille blanche nettoyage à domicile votre annonce par téléphone omelette au choix shamp. coupe. coiff. non-stop point conseil salon de toilettage votre PC sur mesure locaux disponibles sushimi-sushi-maki livraison à domicile utiliser le clavier pour consulter la cybervitrine veau sous la mère les gentlemen du déménagement 1 pizza achetée = 1 pizza offerte

LOCAL.CONTEMPORAIN I 30

profitez des avantages de la carte privative billard américain votre pâtissier utilise la fleur de sel de Guérande bienvenue à chacun sandwich kebab bienvenue chez votre installateur ici faites développer vos photos numériques réparation de chaussures en tout genre viande origine France rechargez et économisez jusqu’à 50 % et plus fermeture définitive – cessation d’activité prenez la clef des champs prix pratiques tous dépannages préservez votre environnement rencontres et loisirs aujourd’hui sauté de porc sauce financière avec et sans rendez-vous tenue correcte exigée de particulier à particulier ouvert non-stop de 6h30 à 21h00 plat du jour : escalope de dinde à la vénitienne toute entrée à vos risques et périls relaxologue sandwicherie network integrators vigipirate

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EN REMONTANT LE COURS JEAN JAURÈS L’ÉPOQUE SE LIVRE-T-ELLE MOT À MOT, PAS À PAS ?

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INDICE DES PRIX SELON LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ À LA LECTURE DES TRENTE-SEPT PAGES DE L’ÉDITION DU MERCREDI 5 MAI 2004 0,34 ¤ 0,80 ¤ 1,00 ¤ 4,15 ¤ 5,00 ¤ 5,50 ¤ 6,00 ¤ 6,99 ¤ 8,99 ¤ 10,00 ¤ 10,00 ¤ 12,00 ¤ 12,00 ¤ 14,00 ¤ 16,20 ¤ 116,50 ¤ 149,00 ¤ 219,00 ¤ 350,00 ¤ 499,00 ¤ 1 172,74 ¤ 1 690,00 ¤ 8 000,00 ¤ 10 000,00 ¤ 14 000,00 ¤ 16 950,00 ¤ 48 000,00 ¤ 122 000,00 ¤ 205 807,00 ¤ 214 000,00 ¤ 360 000,00 ¤ 375 000,00 ¤ 380 600,00 ¤ 400 000,00 ¤ 540 000,00 ¤ 1 090 000,00 ¤ 4 128 504,00 ¤ 9 660 000,00 ¤ 20 000 000,00 ¤ 22 300 000,00 ¤ 1 200 000 000,00 ¤ 2 000 000 000,00 ¤ 12 000 000 000,00 ¤ 12 900 000 000,00 ¤

LOCAL.CONTEMPORAIN I 32

Une minute d'appel sur un répondeur interactif pour des infos cinéma Un numéro du Dauphiné Libéré La visite de la ménagerie du Cirque Pinder Le m2 de lambris PVC blanc d'épaisseur 10 mm Une place de cinéma en semaine Un aller-retour pour les bulles de Grenoble Une place de cinéma le week-end Un sac de sport Un lot de 4 tapis auto + un tapis de coffre Une entrée pour un thé dansant à la Salle Polyvalente de l'Alliance La formule repas du midi au restaurant La Table Ronde Un livre “Les métiers de la gestion et des ressources humaines” Une place de concert de musique classique à Sainte-Marie d'en Haut Une entrée pour le match de football Grenoble-Valence Un abonnement enfants de moins de 16 ans pour 6 films à Mon Ciné La redevance annuelle pour une TV couleur Un ensemble lecteur DVD et Home cinéma Un abonnement d'un an au Dauphiné Libéré Location d'une villa en Espagne pour une semaine 8 buses anticalcaires + 1 mitigeur thermostatique SMIC mensuel brut Un ordinateur portable Voiture 306 - 318 000 km Montant du jackpot du mardi 4 mai 2004 au Keno Montant du Quarté+ régional, prix de l’Occident Voiture Alfa 147 Maestria 1.6 L. 120 ch. Cuir, Clim., Jantes alliage. Montant du Tiercé / quarté+ / quinté+ / 2 sur 4 / couplés / Prix Dominique David Un 3 pièces à Grenoble - secteur des Eaux-Claires Hôtel restaurant sur l'axe Lyon-Grenoble Un 3 pièces à Grenoble Parc Georges Pompidou - 72 m2 L'aide de la Préfecture de l'Isère pour les établissements accueillant des personnes âgées Une maison de 80 m2 à Meylan le Haut Lot pour l'aménagement d'une place à Saint-Christophe en Oisans Travaux pour l'agrandissement de la déchetterie “Les peupliers” Réclamation à 5 prévenus par Canal+ et Canal Satellite pour captation de programmes TV réservés aux abonnés Bar PMU sur le bord du lac Léman Dépenses 2003 de la commune de Montbonnot Saint-Martin Bénéfice des sirops Teisseire pour 2003 Intérêts de la vente par l'État de 500 à 600 tonnes d'or Football : Transfert de Trezeguet à Chelsea Créance de l'état sur l'Unedic Profit de la vente de 35% du capital de la Snecma par le gouvernement Liaison train Lyon - Turin Déficit de l'assurance maladie

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INDICE DES PRIX SELON LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ À LA LECTURE DES TRENTE-SEPT PAGES DE L’ÉDITION DU MERCREDI 5 MAI 2004 0,34 ¤ 0,80 ¤ 1,00 ¤ 4,15 ¤ 5,00 ¤ 5,50 ¤ 6,00 ¤ 6,99 ¤ 8,99 ¤ 10,00 ¤ 10,00 ¤ 12,00 ¤ 12,00 ¤ 14,00 ¤ 16,20 ¤ 116,50 ¤ 149,00 ¤ 219,00 ¤ 350,00 ¤ 499,00 ¤ 1 172,74 ¤ 1 690,00 ¤ 8 000,00 ¤ 10 000,00 ¤ 14 000,00 ¤ 16 950,00 ¤ 48 000,00 ¤ 122 000,00 ¤ 205 807,00 ¤ 214 000,00 ¤ 360 000,00 ¤ 375 000,00 ¤ 380 600,00 ¤ 400 000,00 ¤ 540 000,00 ¤ 1 090 000,00 ¤ 4 128 504,00 ¤ 9 660 000,00 ¤ 20 000 000,00 ¤ 22 300 000,00 ¤ 1 200 000 000,00 ¤ 2 000 000 000,00 ¤ 12 000 000 000,00 ¤ 12 900 000 000,00 ¤

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Une minute d'appel sur un répondeur interactif pour des infos cinéma Un numéro du Dauphiné Libéré La visite de la ménagerie du Cirque Pinder Le m2 de lambris PVC blanc d'épaisseur 10 mm Une place de cinéma en semaine Un aller-retour pour les bulles de Grenoble Une place de cinéma le week-end Un sac de sport Un lot de 4 tapis auto + un tapis de coffre Une entrée pour un thé dansant à la Salle Polyvalente de l'Alliance La formule repas du midi au restaurant La Table Ronde Un livre “Les métiers de la gestion et des ressources humaines” Une place de concert de musique classique à Sainte-Marie d'en Haut Une entrée pour le match de football Grenoble-Valence Un abonnement enfants de moins de 16 ans pour 6 films à Mon Ciné La redevance annuelle pour une TV couleur Un ensemble lecteur DVD et Home cinéma Un abonnement d'un an au Dauphiné Libéré Location d'une villa en Espagne pour une semaine 8 buses anticalcaires + 1 mitigeur thermostatique SMIC mensuel brut Un ordinateur portable Voiture 306 - 318 000 km Montant du jackpot du mardi 4 mai 2004 au Keno Montant du Quarté+ régional, prix de l’Occident Voiture Alfa 147 Maestria 1.6 L. 120 ch. Cuir, Clim., Jantes alliage. Montant du Tiercé / quarté+ / quinté+ / 2 sur 4 / couplés / Prix Dominique David Un 3 pièces à Grenoble - secteur des Eaux-Claires Hôtel restaurant sur l'axe Lyon-Grenoble Un 3 pièces à Grenoble Parc Georges Pompidou - 72 m2 L'aide de la Préfecture de l'Isère pour les établissements accueillant des personnes âgées Une maison de 80 m2 à Meylan le Haut Lot pour l'aménagement d'une place à Saint-Christophe en Oisans Travaux pour l'agrandissement de la déchetterie “Les peupliers” Réclamation à 5 prévenus par Canal+ et Canal Satellite pour captation de programmes TV réservés aux abonnés Bar PMU sur le bord du lac Léman Dépenses 2003 de la commune de Montbonnot Saint-Martin Bénéfice des sirops Teisseire pour 2003 Intérêts de la vente par l'État de 500 à 600 tonnes d'or Football : Transfert de Trezeguet à Chelsea Créance de l'état sur l'Unedic Profit de la vente de 35% du capital de la Snecma par le gouvernement Liaison train Lyon - Turin Déficit de l'assurance maladie

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MOI, GRENOBLE NE ME MANQUE PAS ! SUR QUOI SE FONDE NOTRE ATTACHEMENT À UNE VILLE ? UN ENTRETIEN AVEC PIERRE SANSOT

Pierre Sansot aime fabuler, parler et croit vite à ce qu’il vient de raconter. Il aimerait être citoyen d’honneur de la ville de Marseille où il est si bon d’être secoué par le ressac des populations et de naviguer d’un vallon à une colline, d’une langue à une autre. Nous lui avons demandé pourquoi il ne s’est jamais senti grenoblois.

“Les autres existent, et ils nous affectent beaucoup plus qu’on ne le croit. Et pour qu’ils nous affectent, il faut quand même les voir d’une façon qui ne soit pas tout à fait ponctuelle. C’est un bonheur d’être modifié par autre chose que par nous-mêmes” P. S.

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Je n’ai jamais acheté d’appartement, pourtant j’aurais eu les moyens, mais je ne me voyais pas y habiter. Habiter fortement. Les gens confondent : habiter, c’est ne pas pouvoir vivre ailleurs, revenir même si on est délogé. Aller d’une ville à une autre n’est pas sérieux. Habiter est un terme fort. Une ville peut-être très humaine sans que les gens y habitent. Les gens raisonnent en fonction de l’école, de l’université : ils calculent les agréments de façon utilitaire, cela n’est pas digne de l’authentique habitant. Habiter une ville, ça doit être une sorte de connivence : la ville serait assez forte pour polir ses habitants, comme l’océan les galets… les habitants au bout de quelques mois auraient un teint grenoblois, des manières grenobloises… de même que la Bourgogne a fait de fiers bourguignons, une ville peut vous polir… et même les nuages. Si j’aimais Grenoble, il faudrait que les nuages en Bourgogne ou à Marseille me déplaisent. Je me dirais “oh, ça ne vaut pas les nuages de Grenoble”. Or non, ce n’est pas le cas, quand je vois les nuages ici, je me dis “tiens, il pleut, je ne vais pas pouvoir jouer au tennis”. Alors qu’à Paris, oui, il fût une époque où le ciel de Paris m’importait. Cette collusion, cette alliance surnaturelle, est-ce qu’elle existe pour certains grenoblois ? Il faut les interroger, qu’ils vident leur tripes, pas de langue de bois… Cette affinité très profonde, est-ce qu’elle existe ici ? L’état de manque : est-ce que ces gens-là, après 2 mois d’absence, éprouvent une délivrance ? Ils sont peut-être heureux parce qu’ils retrouvent leurs amis et leurs habitudes, mais est-ce qu’ils éprouvent ce sentiment très fort qui nous affecte lorsque nous retrouvons une personne amie que nous avions perdue de vue, cet éblouissement, ce presque vertige ! Est-ce qu’ils éprouvent cela ? Il faudrait les interroger ces soit-disant habitants de Grenoble ! Moi, Grenoble ne me manque pas ! Je mets la barre très haut car je crois qu’habiter c’est important. C’est comme habiter son propre corps. Si j’aime une ville, je serais mécontent qu’on en modifie une part. C’est compliqué parce qu’une ville est en devenir. Il faut qu’elle soit toujours autre. C’est comme les enfants : ils changent et pourtant c’est toujours eux. Une ville que l’on aime, il faut la modifier, l’embellir, oui mais alors est-ce que c’est encore elle ? L’équilibre c’est : l’aimer comme elle est, avec ses défaillances, et en même temps, ne pas l’accepter telle qu’elle est, la modifier, mais pas jusqu’à la perfection. Au fond, l’attachement d’une ville est ambigu. Que je reconnaisse son timbre de voix, qu’elle ne renie pas l’histoire commune que nous avons eue ensemble, et qu’en même temps elle soit autre, qu’elle soit toujours en

mouvement. Qu’un jour aussi je ne sois plus digne d’elle, ce serait ça l’idéal. Comme un prof voudrait qu’un jour le disciple le dépasse. Aimer une ville ce serait se dire “Allez, je la quitte, elle est trop belle pour moi !”

JE VOUDRAIS QU’IL Y AIT UN LIEN SENTIMENTAL Grenoble, on tourne autour, ce qui veut bien dire que ça existe. On pourrait dire, comme les modernes, c’est pas grave : chacun son appartement, ses réseaux… c’est abandonner l’idée de ville : elle deviendrait un objet à manipuler gentiment, à améliorer, il n’y aurait plus ce lien sentimental… On nous gâte : une nouvelle patinoire, un nouveau stade, un nouveau maire… mais je voudrais qu’il y ait un lien d’une autre sorte. À Narbonne, je fais le détour pour un certain boulanger. Quand je suis pas là de quelques temps la dame me dit “on ne vous a pas vu, vous avez été malade”, c’est un village. Elle m’a acheté “Du goût de la conversation”, elle voulait une dédicace. Elle achète mon livre parce qu’il y a ce lien : j’aime son pain, et puisque j’aime son pain j’ai bon goût, si j’ai bon goût je dois bien écrire… jeu de cascade. La thèse idiote un peu utilitariste des modernes avec le dentiste à 4 km, l’urologue à Vizille, l’orthophoniste encore ailleurs. Ce libre choix me déplait : il faut tout accepter d’une ville. Mon rêve serait que le quartier soit un tremplin pour toute la ville. Que toute la ville soit dans chaque quartier, avec sa singularité, son accent propre et que toute la ville y soit quand même, d’une certaine manière. Il y a des unions de quartiers : ça c’est la vision hygiéniste, progressiste, qui n’est pas forcément mauvaise, mais je parle de quelque chose de plus absolu, quand tout est là, non par complémentarité fonctionnelle… mais comme la méditerrannée : je mets les pieds dans l’eau à Sète, à Perpignan, à San Rémo… c’est toujours elle, elle est présumée, toujours absente et toujours là. Au loin, il y a Tunis, les barbaresques, il y a des odeurs, des senteurs. Dans certaines villes idéales, et c’est le cas de Marseille, à peine suis-je sur les escaliers de la gare Saint-Charles que tout y est…

GRENOBLE NE M’A PAS MIS À L’ÉPREUVE Quand j’ai écrit “Poétique de la ville”, j’étais à Grenoble, mais dans ce livre au fond, je parlais de la capitale… Même si c’était quand même un Paris plutôt légendaire… C’est une ville dont j’étais exclu en quelque sorte, exclu du luxe, même si ma vie n’était pas en danger… Paris, quand j’étais étudiant,

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MOI, GRENOBLE NE ME MANQUE PAS ! SUR QUOI SE FONDE NOTRE ATTACHEMENT À UNE VILLE ? UN ENTRETIEN AVEC PIERRE SANSOT

Pierre Sansot aime fabuler, parler et croit vite à ce qu’il vient de raconter. Il aimerait être citoyen d’honneur de la ville de Marseille où il est si bon d’être secoué par le ressac des populations et de naviguer d’un vallon à une colline, d’une langue à une autre. Nous lui avons demandé pourquoi il ne s’est jamais senti grenoblois.

“Les autres existent, et ils nous affectent beaucoup plus qu’on ne le croit. Et pour qu’ils nous affectent, il faut quand même les voir d’une façon qui ne soit pas tout à fait ponctuelle. C’est un bonheur d’être modifié par autre chose que par nous-mêmes” P. S.

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Je n’ai jamais acheté d’appartement, pourtant j’aurais eu les moyens, mais je ne me voyais pas y habiter. Habiter fortement. Les gens confondent : habiter, c’est ne pas pouvoir vivre ailleurs, revenir même si on est délogé. Aller d’une ville à une autre n’est pas sérieux. Habiter est un terme fort. Une ville peut-être très humaine sans que les gens y habitent. Les gens raisonnent en fonction de l’école, de l’université : ils calculent les agréments de façon utilitaire, cela n’est pas digne de l’authentique habitant. Habiter une ville, ça doit être une sorte de connivence : la ville serait assez forte pour polir ses habitants, comme l’océan les galets… les habitants au bout de quelques mois auraient un teint grenoblois, des manières grenobloises… de même que la Bourgogne a fait de fiers bourguignons, une ville peut vous polir… et même les nuages. Si j’aimais Grenoble, il faudrait que les nuages en Bourgogne ou à Marseille me déplaisent. Je me dirais “oh, ça ne vaut pas les nuages de Grenoble”. Or non, ce n’est pas le cas, quand je vois les nuages ici, je me dis “tiens, il pleut, je ne vais pas pouvoir jouer au tennis”. Alors qu’à Paris, oui, il fût une époque où le ciel de Paris m’importait. Cette collusion, cette alliance surnaturelle, est-ce qu’elle existe pour certains grenoblois ? Il faut les interroger, qu’ils vident leur tripes, pas de langue de bois… Cette affinité très profonde, est-ce qu’elle existe ici ? L’état de manque : est-ce que ces gens-là, après 2 mois d’absence, éprouvent une délivrance ? Ils sont peut-être heureux parce qu’ils retrouvent leurs amis et leurs habitudes, mais est-ce qu’ils éprouvent ce sentiment très fort qui nous affecte lorsque nous retrouvons une personne amie que nous avions perdue de vue, cet éblouissement, ce presque vertige ! Est-ce qu’ils éprouvent cela ? Il faudrait les interroger ces soit-disant habitants de Grenoble ! Moi, Grenoble ne me manque pas ! Je mets la barre très haut car je crois qu’habiter c’est important. C’est comme habiter son propre corps. Si j’aime une ville, je serais mécontent qu’on en modifie une part. C’est compliqué parce qu’une ville est en devenir. Il faut qu’elle soit toujours autre. C’est comme les enfants : ils changent et pourtant c’est toujours eux. Une ville que l’on aime, il faut la modifier, l’embellir, oui mais alors est-ce que c’est encore elle ? L’équilibre c’est : l’aimer comme elle est, avec ses défaillances, et en même temps, ne pas l’accepter telle qu’elle est, la modifier, mais pas jusqu’à la perfection. Au fond, l’attachement d’une ville est ambigu. Que je reconnaisse son timbre de voix, qu’elle ne renie pas l’histoire commune que nous avons eue ensemble, et qu’en même temps elle soit autre, qu’elle soit toujours en

mouvement. Qu’un jour aussi je ne sois plus digne d’elle, ce serait ça l’idéal. Comme un prof voudrait qu’un jour le disciple le dépasse. Aimer une ville ce serait se dire “Allez, je la quitte, elle est trop belle pour moi !”

JE VOUDRAIS QU’IL Y AIT UN LIEN SENTIMENTAL Grenoble, on tourne autour, ce qui veut bien dire que ça existe. On pourrait dire, comme les modernes, c’est pas grave : chacun son appartement, ses réseaux… c’est abandonner l’idée de ville : elle deviendrait un objet à manipuler gentiment, à améliorer, il n’y aurait plus ce lien sentimental… On nous gâte : une nouvelle patinoire, un nouveau stade, un nouveau maire… mais je voudrais qu’il y ait un lien d’une autre sorte. À Narbonne, je fais le détour pour un certain boulanger. Quand je suis pas là de quelques temps la dame me dit “on ne vous a pas vu, vous avez été malade”, c’est un village. Elle m’a acheté “Du goût de la conversation”, elle voulait une dédicace. Elle achète mon livre parce qu’il y a ce lien : j’aime son pain, et puisque j’aime son pain j’ai bon goût, si j’ai bon goût je dois bien écrire… jeu de cascade. La thèse idiote un peu utilitariste des modernes avec le dentiste à 4 km, l’urologue à Vizille, l’orthophoniste encore ailleurs. Ce libre choix me déplait : il faut tout accepter d’une ville. Mon rêve serait que le quartier soit un tremplin pour toute la ville. Que toute la ville soit dans chaque quartier, avec sa singularité, son accent propre et que toute la ville y soit quand même, d’une certaine manière. Il y a des unions de quartiers : ça c’est la vision hygiéniste, progressiste, qui n’est pas forcément mauvaise, mais je parle de quelque chose de plus absolu, quand tout est là, non par complémentarité fonctionnelle… mais comme la méditerrannée : je mets les pieds dans l’eau à Sète, à Perpignan, à San Rémo… c’est toujours elle, elle est présumée, toujours absente et toujours là. Au loin, il y a Tunis, les barbaresques, il y a des odeurs, des senteurs. Dans certaines villes idéales, et c’est le cas de Marseille, à peine suis-je sur les escaliers de la gare Saint-Charles que tout y est…

GRENOBLE NE M’A PAS MIS À L’ÉPREUVE Quand j’ai écrit “Poétique de la ville”, j’étais à Grenoble, mais dans ce livre au fond, je parlais de la capitale… Même si c’était quand même un Paris plutôt légendaire… C’est une ville dont j’étais exclu en quelque sorte, exclu du luxe, même si ma vie n’était pas en danger… Paris, quand j’étais étudiant,

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MOI, GRENOBLE NE ME MANQUE PAS ! SUR QUOI SE FONDE NOTRE ATTACHEMENT À UNE VILLE ?

comme beaucoup d’étudiants je n’avais pas beaucoup à manger ; j’aimais ce froid et cette désolation, il faisait très froid… Je n’ai pas connu cette pénurie et cette désolation à Grenoble en quelque sorte. Tant mieux pour moi, mais tant pis pour Grenoble. Paris m’a importé, mais un Paris qui m’aurait cocooné ne m’aurait pas intéressé ! Moi c’est un Paris de novembre, où la solitude pèse, on en pleurerait presque d’être seul, mais aussi avec jubilation, avec la joie d’être, peut-être pas un martyr, mais un témoin authentique. Et puis c’est une question d’échelle : Grenoble en 1954 était une toute petite ville (au tennis club, il y avait les grandes familles dont la richesse venait du Gant). Par exemple pour la drague - nous c’était moins grossier, c’était la chasse - on n’approchait pas les jeunes filles à plus de 10 mètres, on n’était pas brutal… Faire ça pendant des heures à Paris c’était possible, ça nous déportait d’un quartier à l’autre, du quartier latin à la porte de Clichy ou d’Orléans, mais à Grenoble, on aurait fait dix fois, vingt fois, trente fois le tour de la place Grenette, ç’aurait été ridicule… Alors qu’à Paris je pouvais : cette immensité, cette déportation. Pour moi une ville, il fallait s’y frotter et en souffrir, il fallait en baver, ne pas se laisser faire, ne pas se laisser humilier, lui montrer qu’on était fort, qu’on était un rescapé. Cela n’aurait pas eu de sens à Grenoble, ni même à Nice ou à Lyon. C’est à Paris que j’ai fait mes premières armes, même dans le Paris actuel cela ne serait pas possible ! C’est bien aménagé… Paris-plage c’est une vision touristique de Paris. Paris à l’époque était dure : une ville ne mérite le respect que si elle est dure, si elle nous met à l’épreuve, nous grandit, si elle nous écrase, nous fait chialer. Cela vous paraît peutêtre du romantisme mal placé – il y a tellement d’occasions d’être malheureux… Cette relation très forte que j’ai eue avec Paris, je ne l’ai pas eue avec un autre être. Je sublime ? Je déplace ? Transfert ? Psychologies de bon marché ? Mais non, Paris c’était ça : il fallait que j’en réchappe.

EST-CE QUE GRENOBLE EST MA RÉSIDENCE SECONDAIRE ? Qu’est-ce que le secondaire dans une ville, dans un être ? Il y a le couple infernal principal/secondaire, comme il y a le couple ville-campagne, ville clandestine et officielle, voilà ce qui me déplait dans le secondaire. C’est un peu comme les loisirs comme complément du travail, ce que ne sont pas la belle oisiveté ou l’insouciance totale. Mais le secondaire, ça peut être aussi le clandestin : là où l’on épanche les

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passions, là où l’on n’est pas en représentation, là où l’on exprime ce qui est refoulé par le primaire. Secondaire au sens de ce qui dualise. Ce qui fait que le grenier n’est pas une pièce comme les autres. Ce qui fait que la cave, on n’y va pas uniquement parce qu’on y met du vin. Ça serait trop beau si Grenoble était, pour certains, secondaire en ce sens là. Elle serait secondaire pour moi si je ne pouvais écrire qu’à Grenoble. Secondaire si c’est la ville où je m’épends, où je deviens moi même. Or moi je ne suis que d’un seul bloc, délirant, que ce soit dans un train, à Narbonne ou ici. Pour ce secondaire il faudrait que je sois double. Mais alors, hypothèse absurde, est-ce qu’il y aurait des parisiens qui, pour se ressourcer, auraient besoin de Grenoble ? Non point des Alpes ou d’un monastère tibétain, mais de Grenoble ? C’est curieux, les grenoblois ont des résidences secondaires très proches de Grenoble. Ne la quittent-ils pas ? Il faudrait interroger les gens à Saint Martin d’Uriage. Est-ce que ces gens-là le soir ont une pensée émue pour leur appartement en bas ? La montagne fait un contrepoids terrible à Grenoble. On pourrait dire que la méditerrannée fait du mal à Nice, que l’océan fait du mal à Biarritz… et non ! ils s’appuient l’un sur l’autre. Dans Grenoble souvent c’est alternatif : oui j’aime Grenoble, mais ce qui est bien c’est le ski, la montagne, c’est la Savoie, c’est Belledonne… vous voyez ma nuance ? Dans certains cas l’arrière-pays accote le lieu, dans l’autre, oui ils font bon ménage mais il n’y a pas cette solidarité. Est-ce que la montagne est présente matin et soir, ou est-ce que ce n’est pas plutôt : on s’évade de Grenoble pour aller à la montagne ? Ce n’est pas le même sentiment.

ÊTRE DE NULLE PART Je ne suis pas un marginal du tout, je suis l’homme le plus conformiste qui soit… Mais qu’est-ce qui pourrait m’attacher ? Me marier, ce n’est pas un accident, mais j’aurais pu ne pas me marier. Avoir des enfants, c’est très bien, mais mes enfants ne sont pas tellement grenoblois… Voter ? Souvent je ne vote pas parce que je suis loin… et je ne sais pas pour qui voter… Alors qu’est-ce qui fait qu’on s’attache ? À un lieu, à un être ? J’essaie d’être sincère : incapable de me donner à autrui, serais-je un indifférent ayant des ferveurs passagères, picorant de-ci de-là ? Qu’est-ce que je pourrais picorer à Grenoble ? Il y a ce stade Lesdiguières et ses alentours. Y a-

t-il des chemins que je reprendrais pour le plaisir ? Pas sûr. En même temps, je n’ai pas la vertu du détachement, je ne suis pas un dandy. Qu’est-ce qui fait qu’on pourrait s’attacher à une ville plutôt qu’à une autre ? Je vois plutôt les signes, pas tellement les causes : en manquer, être en état de manque. Or je peux rester deux, trois mois sans être à Grenoble sans en souffrir excessivement. Inversement, la jubilation, le choc, le trémoussement, la commotion, je ne l’ai qu’à Marseille. Même à Paris je n’éprouve pas le même bouleversement. Certes il y a les gares, celles du Nord et de l’Est à qui je rends visite. Un lieu fort, c’est très rare. Une ville peuplée de gens qui se sentent de nulle part, estce que ça peut définir une identité grenobloise par défaut ? Oui, mais a minima, s’ils partagent un projet politique, comme en 1968, Grenoble ville laboratoire… À Grenoble, nous sommes de nulle part et de partout, mais en même temps nous avons des attachements… nous ne sommes pas des êtres insensibles… Grenoble serait un peu en avance.

Il n’y a pas que l’espace ou le temps qui priment. Malgré tout on se polit avec les visages que l’on rencontre quotidiennement. Les lieux importent encore. Même dans la notion de proximité, d’immeuble, qui peut paraître réduite, microscopique, on fait ses épaules, on fait son teint journalier, au contact. Ce n’est pas une vision poétique. Ou alors c’est terrible, si le monde ne nous affecte pas. S’il n’est qu’un objet à saisir… Non, les autres existent, et ils nous affectent beaucoup plus qu’on ne le croit. Et pour qu’ils nous affectent, il faut quand même les voir d’une façon qui ne soit pas tout à fait ponctuelle. C’est un bonheur d’être modifié par autre chose que par nous-mêmes.

LE MONDE N’EST PAS QU’UN OBJET À SAISIR Je ne suis pas enraciné, je ne suis pas nomade. J’ai des attachements mais pas d’attaches. Je ne pourrais pas concevoir une autre vie que celle que je vis. Avec d’autres personnes, je ne pourrais pas. Un autre métier, je ne pourrais pas. Comment mettre le nulle part en images ou en réalisations performantes ? Ce nulle part, ça n’est pas celui du nomade aux semelles de vent… Ce nulle part c’est celui de celui qui a un ordinateur et un rasoir qu’il peut brancher à Tokyo ou à Johannesbourg… L’un n’a besoin que de son courage et de lui même, l’autre continue à envoyer ses ordres à la bourse où qu’il soit, même à Vif !!! Les gens aimeraient bien que la ville soit leur ville. Ils ne sont pas acclimatés à l’idée que tout se vaut. Ou que ce qui importe c’est uniquement le domicile ou le travail. Sinon les élus peuvent démissionner et être remplacés par des gestionnaires. La ville, on s’y attache, cela importe, il y a quand même ce lien impossible, qui se dilue, mais pas totalement. Par exemple place Grenette, ou rue Félix Poulat. Les gens aiment faire foule. Ils sont heureux d’être ensemble, ils s’attardent, ils ne filent pas dare dare, ce qui veut dire que le lieu est intéressant. Il y a des moments aussi. On ne peut pas rêver d’une passion perpétuelle, de tous les instants, ce serait suffocant. Une ville aussi peut vous ennuyer. Alors il vaut mieux la quitter, avant qu’il ne soit trop tard.

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MOI, GRENOBLE NE ME MANQUE PAS ! SUR QUOI SE FONDE NOTRE ATTACHEMENT À UNE VILLE ?

comme beaucoup d’étudiants je n’avais pas beaucoup à manger ; j’aimais ce froid et cette désolation, il faisait très froid… Je n’ai pas connu cette pénurie et cette désolation à Grenoble en quelque sorte. Tant mieux pour moi, mais tant pis pour Grenoble. Paris m’a importé, mais un Paris qui m’aurait cocooné ne m’aurait pas intéressé ! Moi c’est un Paris de novembre, où la solitude pèse, on en pleurerait presque d’être seul, mais aussi avec jubilation, avec la joie d’être, peut-être pas un martyr, mais un témoin authentique. Et puis c’est une question d’échelle : Grenoble en 1954 était une toute petite ville (au tennis club, il y avait les grandes familles dont la richesse venait du Gant). Par exemple pour la drague - nous c’était moins grossier, c’était la chasse - on n’approchait pas les jeunes filles à plus de 10 mètres, on n’était pas brutal… Faire ça pendant des heures à Paris c’était possible, ça nous déportait d’un quartier à l’autre, du quartier latin à la porte de Clichy ou d’Orléans, mais à Grenoble, on aurait fait dix fois, vingt fois, trente fois le tour de la place Grenette, ç’aurait été ridicule… Alors qu’à Paris je pouvais : cette immensité, cette déportation. Pour moi une ville, il fallait s’y frotter et en souffrir, il fallait en baver, ne pas se laisser faire, ne pas se laisser humilier, lui montrer qu’on était fort, qu’on était un rescapé. Cela n’aurait pas eu de sens à Grenoble, ni même à Nice ou à Lyon. C’est à Paris que j’ai fait mes premières armes, même dans le Paris actuel cela ne serait pas possible ! C’est bien aménagé… Paris-plage c’est une vision touristique de Paris. Paris à l’époque était dure : une ville ne mérite le respect que si elle est dure, si elle nous met à l’épreuve, nous grandit, si elle nous écrase, nous fait chialer. Cela vous paraît peutêtre du romantisme mal placé – il y a tellement d’occasions d’être malheureux… Cette relation très forte que j’ai eue avec Paris, je ne l’ai pas eue avec un autre être. Je sublime ? Je déplace ? Transfert ? Psychologies de bon marché ? Mais non, Paris c’était ça : il fallait que j’en réchappe.

EST-CE QUE GRENOBLE EST MA RÉSIDENCE SECONDAIRE ? Qu’est-ce que le secondaire dans une ville, dans un être ? Il y a le couple infernal principal/secondaire, comme il y a le couple ville-campagne, ville clandestine et officielle, voilà ce qui me déplait dans le secondaire. C’est un peu comme les loisirs comme complément du travail, ce que ne sont pas la belle oisiveté ou l’insouciance totale. Mais le secondaire, ça peut être aussi le clandestin : là où l’on épanche les

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passions, là où l’on n’est pas en représentation, là où l’on exprime ce qui est refoulé par le primaire. Secondaire au sens de ce qui dualise. Ce qui fait que le grenier n’est pas une pièce comme les autres. Ce qui fait que la cave, on n’y va pas uniquement parce qu’on y met du vin. Ça serait trop beau si Grenoble était, pour certains, secondaire en ce sens là. Elle serait secondaire pour moi si je ne pouvais écrire qu’à Grenoble. Secondaire si c’est la ville où je m’épends, où je deviens moi même. Or moi je ne suis que d’un seul bloc, délirant, que ce soit dans un train, à Narbonne ou ici. Pour ce secondaire il faudrait que je sois double. Mais alors, hypothèse absurde, est-ce qu’il y aurait des parisiens qui, pour se ressourcer, auraient besoin de Grenoble ? Non point des Alpes ou d’un monastère tibétain, mais de Grenoble ? C’est curieux, les grenoblois ont des résidences secondaires très proches de Grenoble. Ne la quittent-ils pas ? Il faudrait interroger les gens à Saint Martin d’Uriage. Est-ce que ces gens-là le soir ont une pensée émue pour leur appartement en bas ? La montagne fait un contrepoids terrible à Grenoble. On pourrait dire que la méditerrannée fait du mal à Nice, que l’océan fait du mal à Biarritz… et non ! ils s’appuient l’un sur l’autre. Dans Grenoble souvent c’est alternatif : oui j’aime Grenoble, mais ce qui est bien c’est le ski, la montagne, c’est la Savoie, c’est Belledonne… vous voyez ma nuance ? Dans certains cas l’arrière-pays accote le lieu, dans l’autre, oui ils font bon ménage mais il n’y a pas cette solidarité. Est-ce que la montagne est présente matin et soir, ou est-ce que ce n’est pas plutôt : on s’évade de Grenoble pour aller à la montagne ? Ce n’est pas le même sentiment.

ÊTRE DE NULLE PART Je ne suis pas un marginal du tout, je suis l’homme le plus conformiste qui soit… Mais qu’est-ce qui pourrait m’attacher ? Me marier, ce n’est pas un accident, mais j’aurais pu ne pas me marier. Avoir des enfants, c’est très bien, mais mes enfants ne sont pas tellement grenoblois… Voter ? Souvent je ne vote pas parce que je suis loin… et je ne sais pas pour qui voter… Alors qu’est-ce qui fait qu’on s’attache ? À un lieu, à un être ? J’essaie d’être sincère : incapable de me donner à autrui, serais-je un indifférent ayant des ferveurs passagères, picorant de-ci de-là ? Qu’est-ce que je pourrais picorer à Grenoble ? Il y a ce stade Lesdiguières et ses alentours. Y a-

t-il des chemins que je reprendrais pour le plaisir ? Pas sûr. En même temps, je n’ai pas la vertu du détachement, je ne suis pas un dandy. Qu’est-ce qui fait qu’on pourrait s’attacher à une ville plutôt qu’à une autre ? Je vois plutôt les signes, pas tellement les causes : en manquer, être en état de manque. Or je peux rester deux, trois mois sans être à Grenoble sans en souffrir excessivement. Inversement, la jubilation, le choc, le trémoussement, la commotion, je ne l’ai qu’à Marseille. Même à Paris je n’éprouve pas le même bouleversement. Certes il y a les gares, celles du Nord et de l’Est à qui je rends visite. Un lieu fort, c’est très rare. Une ville peuplée de gens qui se sentent de nulle part, estce que ça peut définir une identité grenobloise par défaut ? Oui, mais a minima, s’ils partagent un projet politique, comme en 1968, Grenoble ville laboratoire… À Grenoble, nous sommes de nulle part et de partout, mais en même temps nous avons des attachements… nous ne sommes pas des êtres insensibles… Grenoble serait un peu en avance.

Il n’y a pas que l’espace ou le temps qui priment. Malgré tout on se polit avec les visages que l’on rencontre quotidiennement. Les lieux importent encore. Même dans la notion de proximité, d’immeuble, qui peut paraître réduite, microscopique, on fait ses épaules, on fait son teint journalier, au contact. Ce n’est pas une vision poétique. Ou alors c’est terrible, si le monde ne nous affecte pas. S’il n’est qu’un objet à saisir… Non, les autres existent, et ils nous affectent beaucoup plus qu’on ne le croit. Et pour qu’ils nous affectent, il faut quand même les voir d’une façon qui ne soit pas tout à fait ponctuelle. C’est un bonheur d’être modifié par autre chose que par nous-mêmes.

LE MONDE N’EST PAS QU’UN OBJET À SAISIR Je ne suis pas enraciné, je ne suis pas nomade. J’ai des attachements mais pas d’attaches. Je ne pourrais pas concevoir une autre vie que celle que je vis. Avec d’autres personnes, je ne pourrais pas. Un autre métier, je ne pourrais pas. Comment mettre le nulle part en images ou en réalisations performantes ? Ce nulle part, ça n’est pas celui du nomade aux semelles de vent… Ce nulle part c’est celui de celui qui a un ordinateur et un rasoir qu’il peut brancher à Tokyo ou à Johannesbourg… L’un n’a besoin que de son courage et de lui même, l’autre continue à envoyer ses ordres à la bourse où qu’il soit, même à Vif !!! Les gens aimeraient bien que la ville soit leur ville. Ils ne sont pas acclimatés à l’idée que tout se vaut. Ou que ce qui importe c’est uniquement le domicile ou le travail. Sinon les élus peuvent démissionner et être remplacés par des gestionnaires. La ville, on s’y attache, cela importe, il y a quand même ce lien impossible, qui se dilue, mais pas totalement. Par exemple place Grenette, ou rue Félix Poulat. Les gens aiment faire foule. Ils sont heureux d’être ensemble, ils s’attardent, ils ne filent pas dare dare, ce qui veut dire que le lieu est intéressant. Il y a des moments aussi. On ne peut pas rêver d’une passion perpétuelle, de tous les instants, ce serait suffocant. Une ville aussi peut vous ennuyer. Alors il vaut mieux la quitter, avant qu’il ne soit trop tard.

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“Vivre ensemble c’est aussi se frôler, avoir à inventer sa place et parfois se laisser chahuter par un tangage commun”. P. S.

Abécédaire LOCAL.CONTEMPORAIN I 38


“Vivre ensemble c’est aussi se frôler, avoir à inventer sa place et parfois se laisser chahuter par un tangage commun”. P. S.

Abécédaire LOCAL.CONTEMPORAIN I 38


Balade

Ciel


Balade

Ciel


Enjamber DiversitĂŠ Flux


Enjamber DiversitĂŠ Flux


GĂŠologie IcĂ´ne Hasard


GĂŠologie IcĂ´ne Hasard


Jardin


Jardin


Ketchup

Mobilier

Lisière

Nature


Ketchup

Mobilier

Lisière

Nature


Offre

Pause


Offre

Pause


Relier Quidam Solitude


Relier Quidam Solitude


Tentation

Voyage

UrbanitĂŠ

Week-end


Tentation

Voyage

UrbanitĂŠ

Week-end


Xenon Zèbres Y


Xenon Zèbres Y


L’ŒIL NEUF

TABLE D’ORIENTATIONS

IL N’Y A PAS QUE LA MONTAGNE AU BOUT DE LA RUE

YVES CHALAS, GENEVIÈVE FIORASO ET JEAN GUIBAL

BÉNÉDICTE MOTTE

Il n’y a pas que la montagne au bout de la rue, il y a aussi le lourd ressac d’un train de marchandise arrivant lentement d’on ne sait où, aussi incongru qu’une caravane en plein désert ; des forêts de signes comme des haies d’honneur ; des vaches au milieu du pavillonnaire ; des langues inconnues de nous ; des routes qui changent tous les jours de place ; des moissonneuses-batteuses dont le champ d’action lèche les voies rapides de l’Agglomération. Bref, du banal ordinaire. Ordinaire ? Faites voir : Local.contemporain c'est se tenir ici comme on part en voyage : tous les sens aux aguets, aiguisés, attentifs. Regarder, écouter, sentir de quoi est composé notre quotidien le plus banal, comme on découvre une saveur nouvelle parce que, souvent, nos images et nos mots sont dépassés par nos façons de vivre. C’est comme si nous ne disposions que du mot “diligence” pour désigner le TGV. Puisque les temps changent, il nous semble urgent d’inventer une conjugaison nouvelle et aussi des verbes, des compléments : un vocabulaire pour ici, maintenant. Car être en mesure de nommer reste un préalable à la possibilité de comprendre, ce qui se passe ici, là où nous sommes. Local.contemporain c’est comme une mission d’exploration dont cette publication est la première trace. Une accumulation de points de vue d’horizons mélangés - artistiques, scientifiques, pédagogiques – une petite entreprise de renouvellement de nos représentations. Une plongée dans l’ordinaire de nos vies (ici), parce que ça n’est pas une activité ordinaire de s’intéresser à l’ordinaire. Paysage, gestes, objets urbains, images, sons, mots saisis au vol, comme des papillons dans un filet, furtifs témoignages de l’époque. Tentative de saisir précisément ce qui s’échappe, ce qui nous échappe. Ce dont n’avons pas conscience (collectivement), tellement nous y sommes plongés - ici, aujourd’hui. Local.contemporain, c’est faire un tour par ici, non pas le tour de la question, mais plutôt un tour de questions (on en a beaucoup), posées comme une proposition d’étonnement permanent. Loin d’affirmations péremptoires, c’est chercher inlassablement à aiguiser notre regard et, si possible, gagner un brin de légèreté pour aborder joyeusement les défis de l’époque.

LOCAL.CONTEMPORAIN I 58

La rafale de questions qui ouvre cette revue, nous l’avons posée autour d’une table du Musée Dauphinois 1 à trois personnalités ayant une implication professionnelle sur la ville, mais capables de mettre à distance leur savoir et leur compétence pour laisser parler leur sensibilité urbaine. Il n’était donc pas directement question d'aménagement, de choix politiques ou de théories de l'urbanisme, mais simplement de témoignages : pressentiments et observations des formes urbaines en train d'émerger.

VISION PÉRIPHÉRIQUE EN ÉCHO À L’ABÉCÉDAIRE DE MARYVONNE ARNAUD YVES CHALAS 2

GENEVIÈVE FIORASO 3

D’emblée, je me sens bien, c’est familier, c’est tout à fait mon univers. Pourquoi ? Non par coquetterie, non parce que je suis iconoclaste et que je préfère les autoroutes à la place Saint-André, mais parce que je suis comme beaucoup de monde : tout à coup je vois Grenoble.

Je suis pas du tout une spécialiste, ni de l’urbanisme, Comme Yves Chalas, je me retrouve dans ces photos, ni de la ville, ni du patrimoine… c’est bien la ville que je vis. Pourtant, je ne peux pas dire que j’y suis bien. Je ne la déteste pas, je ne dis pas Je me reconnais assez bien dans cette ville un peu qu’il faut nier cette réalité, mais je ne la regarde pas austère, où tout le monde est là pour bosser, c’est vrai de la même manière. que c’est une ville d’ingénieurs ! Le contournement de la ville par la rocade, qu’est-ce La montagne joue un rôle majeur dans cette identité. que c’est moche ! C’est un trajet familier, que je fais Je regarde plus la montagne que vous quand je suis assez souvent, je pense au boulot, et la montagne sur ces axes que vous empruntez. Je cadre mon regard finalement, je la vois assez peu… sans doute beaucoup plus vers le panorama ! J’ai dû Ce qu’il y a de bien c’est qu’on voit les cités. Ce n’est adapter mon regard… J’ai l’habitude de regarder ce pas une ville bourgeoise, c’est une ville pauvre avec paysage en reconstruisant pour moi le mythe grenodu béton, ça a été une ville de garnison. C’est le côté blois de la ville dans ses montagnes. Et cette identité sympa. en permanence se joue sur un double plan : le proche et le lointain. Nous n’avons pas de lointain, nous avons cette montagne. Et quand on a passé 20 ans dans cette ville et qu’on la pratique un peu, on revoit le paysage à la mesure de son expérience : le Moucherotte, le St Eynard ou les arêtes du Néron. Cela conditionne une façon de voir, de trier dans le paysage ce qui nous intéresse. La ville qu’on nous présente ici je pense qu’elle pose problème. La fameuse identité grenobloise est construite sur ce fond de montagne, qui la conditionne dans sa forme et dans l’appréhension que l’on en a. Et c’est peut-être ça notre grand monument, notre patrimoine : ce cadre dans lequel elle s’est installée. Je ne peux pas m’empêcher, en tant que fonctionnaire culturel de ce territoire, de penser que nous livrons une mauvaise image de ce territoire. Qu’ont dû penser les milliers de personnes qui ont traversé cette ville la semaine dernière sur la route du ski ? Revient toujours comme un leitmotiv le désamour des grenoblois pour leur territoire, qui est mon problème professionnel majeur… J’ai presque envie de dire que c’est parce qu’elle est moche et pas riche qu’on s’y sent si bien… Moi aussi, j’en ai marre qu’on dise toujours cela, mais j’ai presque envie de retourner la proposition : elle est vilaine, mais elle est vivante. C’est bien que ça ne soit pas le Tyrol. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de patrimoine. La monumentalité d’une ville ne se mesure pas uniquement à sa monumentalité architecturale, il y a autre chose qui transpire d’une ville. Mais je ne peux pas me résoudre à dire, “ce n’est pas grave”, ou à l’inverse dire, “mettons en valeur une modernité banale”. Non, cette ville a un problème d’amour avec ses habitants. -

Grenoble, c’est la montagne, mais non pas la montagne de Stendhal : c’est la ville à la montagne, la montagne en ville ; c’est le couple “ville-montagne” imbriqué, et c’est toute la contemporanéité du rapport à la nature. Même sans pratiquer l’alpinisme ou le ski, il y a une présence très forte de la montagne. Ville et montagne pouvaient encore être pensées séparément au XIXe siècle, elles sont aujourd’hui indissociables. C’est la première image. Deuxième chose : Grenoble est une ville contemporaine car c’est une ville mobile. Ces autoroutes de contournements font sa contemporanéité immédiate, je m’y reconnais. Troisièment : c’est vraiment sans identité, ça peut être n’importe où. La modernité urbaine, ça pouvait être une uniformité ennuyeuse ou décriée. Là, tout à coup, elle est tellement présente, exarcerbée, c’est tellement partout pareil que ça devient presque une esthétique. Et puis, on le sent bien, il y a peut-être de la stratégie économique derrière ce paysage : il ne faut pas que les villes aient trop d’identité, il faut qu’elles soient ouvertes à toutes les innovations. Être trop local empêche d’accueillir l’autre, les altérités… c’est toute l’ambiguïté de l’identité. Où est la monumentalité de la ville contemporaine ? Est-ce que l’on peut s’en passer dans cet univers périurbain ? Comme le suggère Michel Corajoud, la monumentalité aujourd’hui c’est la nature. La montagne fait monumentalité à Grenoble ; elle est vecteur de mémoire, de continuité, et ça c’est très contemporain. -

1 Le 24 février 2004 2 Yves Chalas est professeur à l’Institut d’Urbanisme de Grenoble, il a notamment publié " Villes contemporaines ". 3 Geneviève Fioraso est adjointe au Maire de Grenoble, en charge du développement économique, vice-présidente de la Métro, elle coordonne l’aménagement du site de Bouchayer-Viallet 4 Jean Guibal dirige la Conservation du Patrimoine de l’Isère.

JEAN GUIBAL 4


L’ŒIL NEUF

TABLE D’ORIENTATIONS

IL N’Y A PAS QUE LA MONTAGNE AU BOUT DE LA RUE

YVES CHALAS, GENEVIÈVE FIORASO ET JEAN GUIBAL

BÉNÉDICTE MOTTE

Il n’y a pas que la montagne au bout de la rue, il y a aussi le lourd ressac d’un train de marchandise arrivant lentement d’on ne sait où, aussi incongru qu’une caravane en plein désert ; des forêts de signes comme des haies d’honneur ; des vaches au milieu du pavillonnaire ; des langues inconnues de nous ; des routes qui changent tous les jours de place ; des moissonneuses-batteuses dont le champ d’action lèche les voies rapides de l’Agglomération. Bref, du banal ordinaire. Ordinaire ? Faites voir : Local.contemporain c'est se tenir ici comme on part en voyage : tous les sens aux aguets, aiguisés, attentifs. Regarder, écouter, sentir de quoi est composé notre quotidien le plus banal, comme on découvre une saveur nouvelle parce que, souvent, nos images et nos mots sont dépassés par nos façons de vivre. C’est comme si nous ne disposions que du mot “diligence” pour désigner le TGV. Puisque les temps changent, il nous semble urgent d’inventer une conjugaison nouvelle et aussi des verbes, des compléments : un vocabulaire pour ici, maintenant. Car être en mesure de nommer reste un préalable à la possibilité de comprendre, ce qui se passe ici, là où nous sommes. Local.contemporain c’est comme une mission d’exploration dont cette publication est la première trace. Une accumulation de points de vue d’horizons mélangés - artistiques, scientifiques, pédagogiques – une petite entreprise de renouvellement de nos représentations. Une plongée dans l’ordinaire de nos vies (ici), parce que ça n’est pas une activité ordinaire de s’intéresser à l’ordinaire. Paysage, gestes, objets urbains, images, sons, mots saisis au vol, comme des papillons dans un filet, furtifs témoignages de l’époque. Tentative de saisir précisément ce qui s’échappe, ce qui nous échappe. Ce dont n’avons pas conscience (collectivement), tellement nous y sommes plongés - ici, aujourd’hui. Local.contemporain, c’est faire un tour par ici, non pas le tour de la question, mais plutôt un tour de questions (on en a beaucoup), posées comme une proposition d’étonnement permanent. Loin d’affirmations péremptoires, c’est chercher inlassablement à aiguiser notre regard et, si possible, gagner un brin de légèreté pour aborder joyeusement les défis de l’époque.

LOCAL.CONTEMPORAIN I 58

La rafale de questions qui ouvre cette revue, nous l’avons posée autour d’une table du Musée Dauphinois 1 à trois personnalités ayant une implication professionnelle sur la ville, mais capables de mettre à distance leur savoir et leur compétence pour laisser parler leur sensibilité urbaine. Il n’était donc pas directement question d'aménagement, de choix politiques ou de théories de l'urbanisme, mais simplement de témoignages : pressentiments et observations des formes urbaines en train d'émerger.

VISION PÉRIPHÉRIQUE EN ÉCHO À L’ABÉCÉDAIRE DE MARYVONNE ARNAUD YVES CHALAS 2

GENEVIÈVE FIORASO 3

D’emblée, je me sens bien, c’est familier, c’est tout à fait mon univers. Pourquoi ? Non par coquetterie, non parce que je suis iconoclaste et que je préfère les autoroutes à la place Saint-André, mais parce que je suis comme beaucoup de monde : tout à coup je vois Grenoble.

Je suis pas du tout une spécialiste, ni de l’urbanisme, Comme Yves Chalas, je me retrouve dans ces photos, ni de la ville, ni du patrimoine… c’est bien la ville que je vis. Pourtant, je ne peux pas dire que j’y suis bien. Je ne la déteste pas, je ne dis pas Je me reconnais assez bien dans cette ville un peu qu’il faut nier cette réalité, mais je ne la regarde pas austère, où tout le monde est là pour bosser, c’est vrai de la même manière. que c’est une ville d’ingénieurs ! Le contournement de la ville par la rocade, qu’est-ce La montagne joue un rôle majeur dans cette identité. que c’est moche ! C’est un trajet familier, que je fais Je regarde plus la montagne que vous quand je suis assez souvent, je pense au boulot, et la montagne sur ces axes que vous empruntez. Je cadre mon regard finalement, je la vois assez peu… sans doute beaucoup plus vers le panorama ! J’ai dû Ce qu’il y a de bien c’est qu’on voit les cités. Ce n’est adapter mon regard… J’ai l’habitude de regarder ce pas une ville bourgeoise, c’est une ville pauvre avec paysage en reconstruisant pour moi le mythe grenodu béton, ça a été une ville de garnison. C’est le côté blois de la ville dans ses montagnes. Et cette identité sympa. en permanence se joue sur un double plan : le proche et le lointain. Nous n’avons pas de lointain, nous avons cette montagne. Et quand on a passé 20 ans dans cette ville et qu’on la pratique un peu, on revoit le paysage à la mesure de son expérience : le Moucherotte, le St Eynard ou les arêtes du Néron. Cela conditionne une façon de voir, de trier dans le paysage ce qui nous intéresse. La ville qu’on nous présente ici je pense qu’elle pose problème. La fameuse identité grenobloise est construite sur ce fond de montagne, qui la conditionne dans sa forme et dans l’appréhension que l’on en a. Et c’est peut-être ça notre grand monument, notre patrimoine : ce cadre dans lequel elle s’est installée. Je ne peux pas m’empêcher, en tant que fonctionnaire culturel de ce territoire, de penser que nous livrons une mauvaise image de ce territoire. Qu’ont dû penser les milliers de personnes qui ont traversé cette ville la semaine dernière sur la route du ski ? Revient toujours comme un leitmotiv le désamour des grenoblois pour leur territoire, qui est mon problème professionnel majeur… J’ai presque envie de dire que c’est parce qu’elle est moche et pas riche qu’on s’y sent si bien… Moi aussi, j’en ai marre qu’on dise toujours cela, mais j’ai presque envie de retourner la proposition : elle est vilaine, mais elle est vivante. C’est bien que ça ne soit pas le Tyrol. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de patrimoine. La monumentalité d’une ville ne se mesure pas uniquement à sa monumentalité architecturale, il y a autre chose qui transpire d’une ville. Mais je ne peux pas me résoudre à dire, “ce n’est pas grave”, ou à l’inverse dire, “mettons en valeur une modernité banale”. Non, cette ville a un problème d’amour avec ses habitants. -

Grenoble, c’est la montagne, mais non pas la montagne de Stendhal : c’est la ville à la montagne, la montagne en ville ; c’est le couple “ville-montagne” imbriqué, et c’est toute la contemporanéité du rapport à la nature. Même sans pratiquer l’alpinisme ou le ski, il y a une présence très forte de la montagne. Ville et montagne pouvaient encore être pensées séparément au XIXe siècle, elles sont aujourd’hui indissociables. C’est la première image. Deuxième chose : Grenoble est une ville contemporaine car c’est une ville mobile. Ces autoroutes de contournements font sa contemporanéité immédiate, je m’y reconnais. Troisièment : c’est vraiment sans identité, ça peut être n’importe où. La modernité urbaine, ça pouvait être une uniformité ennuyeuse ou décriée. Là, tout à coup, elle est tellement présente, exarcerbée, c’est tellement partout pareil que ça devient presque une esthétique. Et puis, on le sent bien, il y a peut-être de la stratégie économique derrière ce paysage : il ne faut pas que les villes aient trop d’identité, il faut qu’elles soient ouvertes à toutes les innovations. Être trop local empêche d’accueillir l’autre, les altérités… c’est toute l’ambiguïté de l’identité. Où est la monumentalité de la ville contemporaine ? Est-ce que l’on peut s’en passer dans cet univers périurbain ? Comme le suggère Michel Corajoud, la monumentalité aujourd’hui c’est la nature. La montagne fait monumentalité à Grenoble ; elle est vecteur de mémoire, de continuité, et ça c’est très contemporain. -

1 Le 24 février 2004 2 Yves Chalas est professeur à l’Institut d’Urbanisme de Grenoble, il a notamment publié " Villes contemporaines ". 3 Geneviève Fioraso est adjointe au Maire de Grenoble, en charge du développement économique, vice-présidente de la Métro, elle coordonne l’aménagement du site de Bouchayer-Viallet 4 Jean Guibal dirige la Conservation du Patrimoine de l’Isère.

JEAN GUIBAL 4


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Donc il faut bien qu’on arrive à faire regarder autrement cette ville, et surtout pas en disant qu’on est à Rome ou à Venise. On le sait qu’on n’y est pas. L’identité est dans le double-fond (du proche et du lointain) et aussi dans la relation des habitants : les gens aiment la vie à Grenoble, mais pas la ville.

IDENTITÉ LOCALE : ICI, IL N’Y A RIEN À VOIR ? Je trouve qu’il y a dans cet “il n’y a rien à voir” une image extraordinaire : effectivement la ville contemporaine n’est pas une ville de paysage. On se balade dans Comboire, il n’y a rien à voir parce que c’est la réplique, le multiple, l’éphémère, l’aléa, le collage etc. Ce n’est plus un paysage. On n’est plus fixe, on bouge. Ce “non-beau”, c’est une relativisation de la vue. Alors que dans la ville classique la vue était privilégiée, dans l’esthétique contemporaine les autres sens sont sollicités : le mouvement, la cinétique, la sensation. D’autre part, on assiste à un téléscopage entre le beau et le laid, à une implosion des pôles, de ce qui était autrefois le dualisme classique : noir/blanc, jour/nuit, ordonné/désordonné, tout ça ne tient pas. Le beau et le laid se téléscopent. Nous sommes des habitants du flux et du fixe, des deux à la fois, on n’arrive plus à distinguer, comme entre le durable et l’éphémère. Ce téléscopage est à l’origine de ce que l’on pourrait dire des sensations nouvelles, contemporaines, partagées par tout le monde, avec des mots plus ou moins justes, mais ce sont des sensations partagées par tous.

J’avais une grand-mère dauphinoise, que je venais voir quand j’étais petite. Je venais d’une ville où il y avait une cathédrale, alors à Grenoble tous ces immeubles récents, beaucoup de choses nous dépaysaient. Après, il y a eu l’explosion de 68 et beaucoup de choses ont changé, mais à l’époque, il y avait quelque chose de spécifique. Beaucoup de mes neveux reviennent à Grenoble. Il faut croire que quelque chose les y attire. Il n’y a pas que ce que l’on voit ! Il y a une ambiance, un métissage, le fait que ce ne soit pas une ville astiquée, trop propre, trop belle, trop impeccable, cela donne une ambiance de liberté. Quand on se balade, il y a beaucoup de visages différents, on entend toutes sortes de langues, pour moi cela compte autant que le bâti. Il y a peut-être à Grenoble une culture profonde du fonctionnel plutôt que de l’esthétique pour elle-même. -

La question n’est pas de faire un procès. Simplement, au moment où on parle du cadre urbain, je regarde comme un fait majeur sa négation régulière. Comme conservateur du patrimoine, c’est très frustrant. Il y a dix ans, j’écrivais des textes où je me demandais “mais pourquoi ne lèvent-ils pas la tête dans la rue” ? Quand on restaure un bâtiment, tout à coup les gens s’aperçoivent de sa qualité. Quand on leur dit de restaurer, ils ne trouvent pas cela urgent, ni important. J’ai vécu laborieusement cette relation de cette ville avec son patrimoine, quel que soit le bord politique. C’est un trait distinctif. Je ne parle pas de “non-beau”, car il ne s’agit pas de forger une norme du “beau” historique, tamponnée, cachetée, validée, non ! Je parle d’un patrimoine qui est aussi bien sous l’estacade, et je dis qu’il y a un cadre urbain, dont la reconnaissance, l’attention n’est pas la même qu’ailleurs. C’est important. On peut considérer que c’est un choix, une volonté délibérée, moi je le regrette : il y a un travail sur le cadre urbain, qui le rendrait plus agréable à ceux qui déjà l’aiment. -

REPÈRES TEMPORELS / CALENDRIER COMMUN / RITUELS Il y a trois niveaux de temps, trois facettes de la temporalité : D’abord le calendrier des villes (le football, le carnaval…) qui tend à se renforcer, soutenu artificiellement, modifié parfois, où une partie de la population va. C’est plus ou moins fabriqué, plus ou moins artificiel… Il y a une périodicité qui exclue l’aléa ou l’événement. Deuxièmement, le shopping est devenu un nouveau donneur de temps, après l’Église, l’Université, l’Usine. C’est une nouvelle esthétique, une nouvelle sociabilité, un nouveau donneur de temps. Enfin, troisièmement, c’est la ville à mille temps. Il y a du monde en permanence dans les rues. Tout le monde ne fait plus la même chose en même temps. Dans les études sur les transports, on voit bien qu’il

Les cercles de sociabilité communautaires engendrent des temps communs, des rencontres importantes, même si cela n’est pas très visible. La Casa da Espana par exemple. Il y a beaucoup de cercles autour de projets et qui créent du lien. Ce ne sont pas des fêtes de masse, mais ça anime la vie de la ville. -

Il ne s’agit pas de conserver du beau, il s’agit de conserver des profondeurs, des traces et des témoignages ; il s’agit de dire “on est là depuis deux mille ans”. Et ça continue. Il ne s’agit pas de tout conserver, car on ne pourrait plus rien faire. Mais il s’agit de dire : sous la place il y a le baptistère, dans lequel les premiers chrétiens etc. Ils venaient là en groupe parce que ça devait être porteur d’un avenir que nous n’imaginons pas, une ferveur presque fanatique. Conserver parce que c’est profond dans le temps, ce n’est qu’un témoignage dont il faut pouvoir transmettre un bout. Il faut pouvoir comprendre que dans ce palais de justice on a prononcé des condamnations à mort par dizaines ! Dans ce beau monument. Savoir que les Chrétiens étaient peut-être amenés par des chefs qui leur imposaient de se baptiser… Alors quand la modernité arrive là-dessus, quand on doit

n’y a plus 2 crêtes correspondant aux heures de pointe le matin et le soir, mais une succession de pics. Certains sont catastrophés, car on peut aller vers la ville 24 heures sur 24. La ville à mille temps c’est cette désynchronisation des temps sociaux. Et plus on monte dans la hiérarchie sociale, et plus les gens sont demandeurs de tout à toute heure. Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’on est toujours devant les résultats d’évolutions qu’on ne maîtrise pas, ou prévues seulement pour partie, et pourtant cela se tient. C’est vrai, la ville c’est la foule. -

-

ANCRAGE, FONDATION, SÉDIMENTATION /-PROVISOIRE, MOBILE, FLUX, PASSAGES

Moi, ce qui me fascine dans la ville contemporaine, c’est cette adaptation face à l’incertitude. Mais l’éphémère n’est pas toujours synonyme de n’importe quoi ou d’absence d’émotion esthétique. Il se trouve qu’un peu par hasard, peut-être par la volonté d’un décorateur, on peut avoir des émotions esthétiques dans ces zones. En Allemagne, les cahutes de vendeurs de saucisses sont objets patrimoniaux. Les riverains et les esthètes veulent les supprimer du paysage, or c’est un lieu de rencontre, et pour certains artistes avec un changement de regard, cela relève presque du ready-made… Un algeco, par quelques interventions légères devient un objet patrimonial, un signe fort. Autre chose me fascine : on ne sait pas si ce sont des lieux de fixité ou de passage, ce sont les deux à la fois : ces stations d’essence où on se donne rendez-vous, ces cahutes où on mange un sandwich…

Je suis plutôt toujours étonnée de la façon dont on fait durer l’éphémère. Le palais des sports était construit pour la durée des Jeux : on le rafistole chaque année. Je trouve rassurant qu’on puisse démolir, reconstruire, réintervenir sur la ville, même si la ville, ça ne peut pas être que de l’éphémère, la ville évolue. À Minatec par exemple c’est très bien, qu’on puisse libérer le terrain, reconstruire et savoir que dans 30 ans on fera autre chose parce que les salles blanches que l’on construit seront peut-être obsolètes. C’est vrai, il faut parfois se battre pour maintenir la vie. Par exemple pour les travaux du tram, les urbanistes voulaient que tout soit impeccable, virer les camions pizzas, les contres-allées, donc plus de commerce, plus de vie, plus de bazar. La vie c’est aussi du bazar, c’est aussi le truc parfois un peu minable, mais qui fait qu’il Tout se mélange : non-lieu, lieu de service, lieu de flux… y a des gens autour. en tout cas il y a de la sociabilité, de la rencontre… Malheureusement, à certains endroits on élimine de Les urbanistes eux n’aiment pas ça car ils pensent à véritables lieux de vie parce qu’un marchand de l’image du projet, pas à la vie. Leurs cahiers des charges éliminent trop souvent l’éphémère. tomates sur le bord de la route, ça fait bidonville !

mettre du métal, du verre, du design contemporain dans l’évêché, alors on fait jouer les fonctions sociales du patrimoine. Les agents du patrimoine sont des agents sociaux ; ce sont des agents qui aident une société à vivre ensemble, à partager, à se supporter. Alors, le beau là-dedans… ! Il suffit de lire le moindre texte pour en revenir : il y a 10 ans personne ne se serait ému de la halle Bouchayer ! Il y a cette notion de temps commun qui doit être interrogée. Comme dans tout espace urbain, il y a du collectif partout. C’est un collectif à dimension variable et qui n’est pas organisé. Mais le marché St-Bruno, les puces, le café du matin scandent des moments où l’on se retrouve. Et puis il y a le néo-commun ! La fête de la musique c’est la Saint-Jean revisitée. Les fêtes du patrimoine, le second événement mobilisateur, qui constituent aussi un temps festif : il se passe des choses dans cette foule grouillante et fatiguante ! Les gens doivent aimer se retrouver puisqu’ils sont là précisément ce jour-là au musée de l’Évêché (qui est ouvert toute l’année !). Ils viennent ce jour-là, donc il y a quelque chose, même si ça n’est pas spécifiquement grenoblois. Le bain de foule est un besoin régulier. C’est ce rôle que jouaient justement “Les Fêtes” traditionnelles, les bals, les manèges, la buvette… Tout ce qui est tombé en désuétude. La ville a besoin d’avoir son propre calendrier, au-delà du calendrier régional ou national, pour que son identité s’accroche à quelque chose. À Grenoble, on ne s’est pas préoccupé de cette question.

Provisoires, il y a mille et une constructions qui le sont de fait, même si elles ne le disent pas. La patinoire l’avoue, les autres ne le disent pas. C’est une nouvelle fonction de l’architecture, utilitaire, jetable, qui a tendance à se répandre. Le problème c’est que les choses trop fluctuantes ne facilitent pas l’identification. Et puis, peut-être ne porte-t-on pas la même attention, le même égard, le même souci, parce qu’on se dit “ce n’est pas pour longtemps”, et donc on laisse faire. Ce que l’on appelle de nos vœux dans ce projet local contemporain, c’est une sorte de conscience collective urbaine. Qu’on en parle, que ce soit mis en question, non pas qu’on balaye en disant “Grenoble c’est sympa, mais il n’y a rien à voir”. Qu’on se dispute un peu làdessus.


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Donc il faut bien qu’on arrive à faire regarder autrement cette ville, et surtout pas en disant qu’on est à Rome ou à Venise. On le sait qu’on n’y est pas. L’identité est dans le double-fond (du proche et du lointain) et aussi dans la relation des habitants : les gens aiment la vie à Grenoble, mais pas la ville.

IDENTITÉ LOCALE : ICI, IL N’Y A RIEN À VOIR ? Je trouve qu’il y a dans cet “il n’y a rien à voir” une image extraordinaire : effectivement la ville contemporaine n’est pas une ville de paysage. On se balade dans Comboire, il n’y a rien à voir parce que c’est la réplique, le multiple, l’éphémère, l’aléa, le collage etc. Ce n’est plus un paysage. On n’est plus fixe, on bouge. Ce “non-beau”, c’est une relativisation de la vue. Alors que dans la ville classique la vue était privilégiée, dans l’esthétique contemporaine les autres sens sont sollicités : le mouvement, la cinétique, la sensation. D’autre part, on assiste à un téléscopage entre le beau et le laid, à une implosion des pôles, de ce qui était autrefois le dualisme classique : noir/blanc, jour/nuit, ordonné/désordonné, tout ça ne tient pas. Le beau et le laid se téléscopent. Nous sommes des habitants du flux et du fixe, des deux à la fois, on n’arrive plus à distinguer, comme entre le durable et l’éphémère. Ce téléscopage est à l’origine de ce que l’on pourrait dire des sensations nouvelles, contemporaines, partagées par tout le monde, avec des mots plus ou moins justes, mais ce sont des sensations partagées par tous.

J’avais une grand-mère dauphinoise, que je venais voir quand j’étais petite. Je venais d’une ville où il y avait une cathédrale, alors à Grenoble tous ces immeubles récents, beaucoup de choses nous dépaysaient. Après, il y a eu l’explosion de 68 et beaucoup de choses ont changé, mais à l’époque, il y avait quelque chose de spécifique. Beaucoup de mes neveux reviennent à Grenoble. Il faut croire que quelque chose les y attire. Il n’y a pas que ce que l’on voit ! Il y a une ambiance, un métissage, le fait que ce ne soit pas une ville astiquée, trop propre, trop belle, trop impeccable, cela donne une ambiance de liberté. Quand on se balade, il y a beaucoup de visages différents, on entend toutes sortes de langues, pour moi cela compte autant que le bâti. Il y a peut-être à Grenoble une culture profonde du fonctionnel plutôt que de l’esthétique pour elle-même. -

La question n’est pas de faire un procès. Simplement, au moment où on parle du cadre urbain, je regarde comme un fait majeur sa négation régulière. Comme conservateur du patrimoine, c’est très frustrant. Il y a dix ans, j’écrivais des textes où je me demandais “mais pourquoi ne lèvent-ils pas la tête dans la rue” ? Quand on restaure un bâtiment, tout à coup les gens s’aperçoivent de sa qualité. Quand on leur dit de restaurer, ils ne trouvent pas cela urgent, ni important. J’ai vécu laborieusement cette relation de cette ville avec son patrimoine, quel que soit le bord politique. C’est un trait distinctif. Je ne parle pas de “non-beau”, car il ne s’agit pas de forger une norme du “beau” historique, tamponnée, cachetée, validée, non ! Je parle d’un patrimoine qui est aussi bien sous l’estacade, et je dis qu’il y a un cadre urbain, dont la reconnaissance, l’attention n’est pas la même qu’ailleurs. C’est important. On peut considérer que c’est un choix, une volonté délibérée, moi je le regrette : il y a un travail sur le cadre urbain, qui le rendrait plus agréable à ceux qui déjà l’aiment. -

REPÈRES TEMPORELS / CALENDRIER COMMUN / RITUELS Il y a trois niveaux de temps, trois facettes de la temporalité : D’abord le calendrier des villes (le football, le carnaval…) qui tend à se renforcer, soutenu artificiellement, modifié parfois, où une partie de la population va. C’est plus ou moins fabriqué, plus ou moins artificiel… Il y a une périodicité qui exclue l’aléa ou l’événement. Deuxièmement, le shopping est devenu un nouveau donneur de temps, après l’Église, l’Université, l’Usine. C’est une nouvelle esthétique, une nouvelle sociabilité, un nouveau donneur de temps. Enfin, troisièmement, c’est la ville à mille temps. Il y a du monde en permanence dans les rues. Tout le monde ne fait plus la même chose en même temps. Dans les études sur les transports, on voit bien qu’il

Les cercles de sociabilité communautaires engendrent des temps communs, des rencontres importantes, même si cela n’est pas très visible. La Casa da Espana par exemple. Il y a beaucoup de cercles autour de projets et qui créent du lien. Ce ne sont pas des fêtes de masse, mais ça anime la vie de la ville. -

Il ne s’agit pas de conserver du beau, il s’agit de conserver des profondeurs, des traces et des témoignages ; il s’agit de dire “on est là depuis deux mille ans”. Et ça continue. Il ne s’agit pas de tout conserver, car on ne pourrait plus rien faire. Mais il s’agit de dire : sous la place il y a le baptistère, dans lequel les premiers chrétiens etc. Ils venaient là en groupe parce que ça devait être porteur d’un avenir que nous n’imaginons pas, une ferveur presque fanatique. Conserver parce que c’est profond dans le temps, ce n’est qu’un témoignage dont il faut pouvoir transmettre un bout. Il faut pouvoir comprendre que dans ce palais de justice on a prononcé des condamnations à mort par dizaines ! Dans ce beau monument. Savoir que les Chrétiens étaient peut-être amenés par des chefs qui leur imposaient de se baptiser… Alors quand la modernité arrive là-dessus, quand on doit

n’y a plus 2 crêtes correspondant aux heures de pointe le matin et le soir, mais une succession de pics. Certains sont catastrophés, car on peut aller vers la ville 24 heures sur 24. La ville à mille temps c’est cette désynchronisation des temps sociaux. Et plus on monte dans la hiérarchie sociale, et plus les gens sont demandeurs de tout à toute heure. Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’on est toujours devant les résultats d’évolutions qu’on ne maîtrise pas, ou prévues seulement pour partie, et pourtant cela se tient. C’est vrai, la ville c’est la foule. -

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ANCRAGE, FONDATION, SÉDIMENTATION /-PROVISOIRE, MOBILE, FLUX, PASSAGES

Moi, ce qui me fascine dans la ville contemporaine, c’est cette adaptation face à l’incertitude. Mais l’éphémère n’est pas toujours synonyme de n’importe quoi ou d’absence d’émotion esthétique. Il se trouve qu’un peu par hasard, peut-être par la volonté d’un décorateur, on peut avoir des émotions esthétiques dans ces zones. En Allemagne, les cahutes de vendeurs de saucisses sont objets patrimoniaux. Les riverains et les esthètes veulent les supprimer du paysage, or c’est un lieu de rencontre, et pour certains artistes avec un changement de regard, cela relève presque du ready-made… Un algeco, par quelques interventions légères devient un objet patrimonial, un signe fort. Autre chose me fascine : on ne sait pas si ce sont des lieux de fixité ou de passage, ce sont les deux à la fois : ces stations d’essence où on se donne rendez-vous, ces cahutes où on mange un sandwich…

Je suis plutôt toujours étonnée de la façon dont on fait durer l’éphémère. Le palais des sports était construit pour la durée des Jeux : on le rafistole chaque année. Je trouve rassurant qu’on puisse démolir, reconstruire, réintervenir sur la ville, même si la ville, ça ne peut pas être que de l’éphémère, la ville évolue. À Minatec par exemple c’est très bien, qu’on puisse libérer le terrain, reconstruire et savoir que dans 30 ans on fera autre chose parce que les salles blanches que l’on construit seront peut-être obsolètes. C’est vrai, il faut parfois se battre pour maintenir la vie. Par exemple pour les travaux du tram, les urbanistes voulaient que tout soit impeccable, virer les camions pizzas, les contres-allées, donc plus de commerce, plus de vie, plus de bazar. La vie c’est aussi du bazar, c’est aussi le truc parfois un peu minable, mais qui fait qu’il Tout se mélange : non-lieu, lieu de service, lieu de flux… y a des gens autour. en tout cas il y a de la sociabilité, de la rencontre… Malheureusement, à certains endroits on élimine de Les urbanistes eux n’aiment pas ça car ils pensent à véritables lieux de vie parce qu’un marchand de l’image du projet, pas à la vie. Leurs cahiers des charges éliminent trop souvent l’éphémère. tomates sur le bord de la route, ça fait bidonville !

mettre du métal, du verre, du design contemporain dans l’évêché, alors on fait jouer les fonctions sociales du patrimoine. Les agents du patrimoine sont des agents sociaux ; ce sont des agents qui aident une société à vivre ensemble, à partager, à se supporter. Alors, le beau là-dedans… ! Il suffit de lire le moindre texte pour en revenir : il y a 10 ans personne ne se serait ému de la halle Bouchayer ! Il y a cette notion de temps commun qui doit être interrogée. Comme dans tout espace urbain, il y a du collectif partout. C’est un collectif à dimension variable et qui n’est pas organisé. Mais le marché St-Bruno, les puces, le café du matin scandent des moments où l’on se retrouve. Et puis il y a le néo-commun ! La fête de la musique c’est la Saint-Jean revisitée. Les fêtes du patrimoine, le second événement mobilisateur, qui constituent aussi un temps festif : il se passe des choses dans cette foule grouillante et fatiguante ! Les gens doivent aimer se retrouver puisqu’ils sont là précisément ce jour-là au musée de l’Évêché (qui est ouvert toute l’année !). Ils viennent ce jour-là, donc il y a quelque chose, même si ça n’est pas spécifiquement grenoblois. Le bain de foule est un besoin régulier. C’est ce rôle que jouaient justement “Les Fêtes” traditionnelles, les bals, les manèges, la buvette… Tout ce qui est tombé en désuétude. La ville a besoin d’avoir son propre calendrier, au-delà du calendrier régional ou national, pour que son identité s’accroche à quelque chose. À Grenoble, on ne s’est pas préoccupé de cette question.

Provisoires, il y a mille et une constructions qui le sont de fait, même si elles ne le disent pas. La patinoire l’avoue, les autres ne le disent pas. C’est une nouvelle fonction de l’architecture, utilitaire, jetable, qui a tendance à se répandre. Le problème c’est que les choses trop fluctuantes ne facilitent pas l’identification. Et puis, peut-être ne porte-t-on pas la même attention, le même égard, le même souci, parce qu’on se dit “ce n’est pas pour longtemps”, et donc on laisse faire. Ce que l’on appelle de nos vœux dans ce projet local contemporain, c’est une sorte de conscience collective urbaine. Qu’on en parle, que ce soit mis en question, non pas qu’on balaye en disant “Grenoble c’est sympa, mais il n’y a rien à voir”. Qu’on se dispute un peu làdessus.


Comment réconforter ceux qui vivent dans l’affliction d’avoir été arrachés du sol d’origine, et affliger ceux qui vivent ancrés dans la certitude du lieu identitaire ? Que signifie être là, aujourd’hui, immergés dans le flux d’une consommation de masse mondialisée, dans la dissémination croissante des diasporas ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 62

63 I LOCAL.CONTEMPORAIN


Comment réconforter ceux qui vivent dans l’affliction d’avoir été arrachés du sol d’origine, et affliger ceux qui vivent ancrés dans la certitude du lieu identitaire ? Que signifie être là, aujourd’hui, immergés dans le flux d’une consommation de masse mondialisée, dans la dissémination croissante des diasporas ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 62

63 I LOCAL.CONTEMPORAIN


Une ville n’est-elle habitable que grâce à l’accumulation de récits bricolés avec des débris du monde où du “plus” et de l’autre s’insinuent dans l’ordre de la vie quotidienne ? Le shopping est-il devenu le nouveau donneur de temps ? Quels sont nos temps publics hors des rencontres calendaires composées par la sphère marchande – des soldes à Halloween ou au mondial de football… ? LOCAL.CONTEMPORAIN I 64

65 I LOCAL.CONTEMPORAIN


Une ville n’est-elle habitable que grâce à l’accumulation de récits bricolés avec des débris du monde où du “plus” et de l’autre s’insinuent dans l’ordre de la vie quotidienne ? Le shopping est-il devenu le nouveau donneur de temps ? Quels sont nos temps publics hors des rencontres calendaires composées par la sphère marchande – des soldes à Halloween ou au mondial de football… ? LOCAL.CONTEMPORAIN I 64

65 I LOCAL.CONTEMPORAIN


Qui parle ainsi ? À qui ? Quel est le sens de cet hyperlocal ? De quels désirs et intérêts ces espaces quotidiens sont-ils porteurs ? La montagne serait-elle la véritable monumentalité de Grenoble, le vecteur de mémoire et de continuité ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 66

67 I LOCAL.CONTEMPORAIN


Qui parle ainsi ? À qui ? Quel est le sens de cet hyperlocal ? De quels désirs et intérêts ces espaces quotidiens sont-ils porteurs ? La montagne serait-elle la véritable monumentalité de Grenoble, le vecteur de mémoire et de continuité ?

LOCAL.CONTEMPORAIN I 66

67 I LOCAL.CONTEMPORAIN


DANS LA VILLE BLANCHE… ET NOIRE YVES MORIN

“Si la ville est un film et la vie un roman, ou l'inverse, chaque journée qui débute nous constitue en acteur-spectateur de notre espace métropolitain : écran où se télescopent, entre ombre et lumière, passé, présent et futur, intimité et urbanité, figures romanesques et œuvres d'artistes, les séquences de notre vécu... Chaque séquence a sa couleur majeure, ses couleurs mineures, ses couleurs absentes...!”

SÉQUENCE 1. INTÉRIEURS

SÉQUENCE 4. SOUVENIRS

La ville blanche et noire est à portée de mains… De mon bureau, je tends le bras sur ma gauche et laisse filer mes doigts sur les tranches des ouvrages Gallimard, “Collection Blanche”, collection “L’Imaginaire”, poches en Folio, écru, crème, blanc mat ou brillant ! Puis, je tends le bras droit et effleure les ouvrages de la “Noire”, noirs et jaunes, de Fleuve Noir aux jaquettes figuratives et des éphémères éditions Fanval, rouges et noires… Au milieu de la “Blanche”, les rayonnages hébergent les Cahiers Rouges Grasset et les “10/18” polychromes, vifs, signés Ciesliewicz… Au milieu de la “Noire”, alternent le jaune paille des éditions de la Flamme d’Or et le jaune d’or des éditions de l’Instant Noir… Si, dans le roman noir, il fait toujours nuit, dans la littérature blanche, on voyage volontiers au bout de la nuit. Si, dans le roman noir, la neige est toujours sale, dans le roman blanc, les adultes sont souvent désenchantés, les enfants fatalement tristes. Quelle différence ! Problème de forme, de convention, de genre, de code et de jeu… Pour tout un chacun, citoyen mondial, citadin métropolitain et résident de proximité, entre aube blême et crépuscule, le soleil de midi est également cruel. Il met à nu la vérité du facteur humain hanté par ses désirs… Blanc et Noir peuvent-ils résister au Rouge de la passion ? Le rouge Simenon, supérieur en valeur au noir, au jaune, à l’argent et au plomb, le rouge de Thierry Jonquet ou de Frédéric Fajardie (la vie, les femmes)… Et même si la couleur originelle, la marque de fabrique, le tatouage clanique du néo-polar rougeoient, restent dans nos mémoires le bleu nuit et le bleu de méthylène. Universel roman de la ville contemporaine ? Toutes les passions, les parts maudites, les intrigues, les liaisons dangereuses, les errements, les errances, les voyages, les fuites, les retours, les déchéances, les rédemptions, les décompositions et les recompositions attendent patiemment de s’incarner… Ici-même !

Les DS noires de la fin des années 1960 qui glissent dans la nuit âpre et violente de la ville rebelle, rappellent trop les tractions-avant qui circulaient, entre l’horreur nocturne et l’aube blême des exécutions… Un quart de siècle est pourtant passé. La candeur du baby-boom est rattrapée par l’ombre portée de la grande histoire… Trente cinq ans plus tard, je feuillette “Les Boulevards de ceinture” de Patrick Modiano, collection blanche, puis ma main glisse vers l’étagère dédiée à André Héléna, anti-héros de la collection “La Poisse”, inoubliable auteur de “Les salauds ont la vie dure”, une saga consacrée aux “années sombres” : un pur chef-d’œuvre ! Tout près, le bel immeuble Citroën, cours Berriat, empreint du rationnalisme des années 1930, façon Roux-Spitz, nous rappelle chaque matin que la vie nous réserve, quelquefois, de bien noires surprises… Local.contemporain ? Chaque bâtiment possède son “double historique” qui revient périodiquement le hanter.

SÉQUENCE 2. EXTÉRIEURS Je tire des bords d’un “stabile” à l’autre pour profiter du souffle de liberté qu’Alexander Calder, cet américain qui avait choisi la France, nous permet de respirer et de retrouver, trente ans après sa disparition… Toute sa vie, Calder le transatlantique a relié les deux mondes, les époques, les procédés. Il a fabriqué l’impossible oxymore – le “mobile-stabile”, lié l’imaginaire de la préhistoire, la culture médiévale et le culte de la grande machine, annoncé Tinguely : “la plus grande stabilité, c’est l’instabilité”. Si Tinguely manque cruellement sur les places de Grenoble, nous avons Calder, collaborateur de Jean Vilar, loué par Marcel Duchamp et Jean-Paul Sartre, qui nous lègue un “noir” élucidant, rassurant et acéré, inaugurateur des temps cisaillés et boulonnés… Il ne manque à notre bonheur qu’une grande “Araignée rouge” de l’homme de Saché… Comme il aurait été jubilatoire de la retrouver sur cette Esplanade des États Généraux du Dauphiné qui devait prolonger le parvis de la Maison de la Culture ! Flashback uchronique… 1975 ! Une grande forme elliptique noire couronne le premier projet d’André Wogenscky, toujours d’un blanc éclatant. À quelques dizaines de mètres, sur les trémies des avenues Beyle-Stendhal et Berlioz, sont disposées “l’Araignée rouge” et autres créatures “caldériennes” : “animobiles”, “craggs” et “critters”, insensibles au vrombissement du Poma 2000 qui glisse vers le Sud ! Le local.contemporain peut-il échapper à la “fiction uchronique” ? Et si… ?

SÉQUENCE 3. ÉPHÉMÈRE Retour en l’An 2000 ! L’architecte Patrick Bouchain et l’artiste sétois Hervé Di Rosa, commandités par la Ville d’Annecy, promènent de ville en ville leur tribu de douze “Diroshommes” ramenée de leurs voyages et la plantent dans le parc du Symposium de 1967, le parc Paul Mistral ! Le “Dirosatlas” (douze géants de plusieurs tonnes chacun) suit de quelques mois l’inauguration de “à la nuit tombée” : projections numériques nocturnes en noir et blanc sur une “cimaise” inhabituelle, les quais sombres d’une rivière qui ne l’est pas moins ! Le passage du siècle lie nomadisme et ubiquité, la polychromie des douze totems et la “lanterne magique” des vingt-sept projections circulaires des quais ! Du Musée hors les murs au Musée imaginaire, il n’y a qu’un pas à franchir ! La refondation internationale de Grenoble, inaugurée en 1967, confirmée par l’ouverture de la “rue-fabrique” du Magasin, dans le faubourg Ouest de la Cité, en 1986, se poursuit doucement dans le centre historique, entre quais et parcs (Michallon, Mistral…)

LOCAL.CONTEMPORAIN I 68

SÉQUENCE 5. À LA VERTICALE DE LA PLAINE Anger et Puccinelli, architectes des Trois Tours (les “trois dames blanches”), avec Loyer, creusent et sculptent leurs façades d’immeubles, comme ils le feront en 1969 à Paris, avec trois nouvelles tours reliées par des passerelles. Devant la gare olympique, “Les Trois Pics” de Calder leur répondent plus discrètement. Au Sud, l’épannelage des crêtes de la Galerie de l’Arlequin clôt le triangle des Trois Vallées avec un calepinage polychrome… Noir et blanc cèdent le pas au multicolore, mais la ville blanche et noire s’offre rarement ces moments de coloriage ludique, ces “arlequinades” libératrices, au-delà des installations éphémères d’artistes et de festivaliers. Nous manque la féerie polychrome de Charles Moore, de Frank Gehry, d’Helmut Jahn et d’Arquitectonica… À la verticale éphémère de la plaine, la Fête des Rameaux dresse pourtant, d’année en année, ses manèges géants et illuminés qui défient la nuit moderne… Sanctuaire des anciens plaisirs collectifs – Luna Park, bal, fête votive – elle apparaîtrait presque insolente, exubérante, extravertie, excessive (incongrue ?) dans ce pays de salles blanches qui a perdu la plupart de ses anciennes salles obscures… Un mois “d’extraterritorialité”, rive droite, comme une petite république enfantine qui ferait un pied de nez espiègle à la cité pressée… Cirques et caravanes camperont toujours au pied des murailles. Local.contemporain ? Conserver le blanc des tôles émaillées et les belles façades haussmanniennes, l’or gris du ciment moulé et les beaux bétons artistiques, le noir des boulonnages et des murs-rideaux… Mais laisser aussi le bouquet s’épanouir !

“Sur la Ville, dont les désirs flamboient, Règnent, sans qu’on les voie, Mais évidentes, les idées” Émile Verhaeren

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DANS LA VILLE BLANCHE… ET NOIRE YVES MORIN

“Si la ville est un film et la vie un roman, ou l'inverse, chaque journée qui débute nous constitue en acteur-spectateur de notre espace métropolitain : écran où se télescopent, entre ombre et lumière, passé, présent et futur, intimité et urbanité, figures romanesques et œuvres d'artistes, les séquences de notre vécu... Chaque séquence a sa couleur majeure, ses couleurs mineures, ses couleurs absentes...!”

SÉQUENCE 1. INTÉRIEURS

SÉQUENCE 4. SOUVENIRS

La ville blanche et noire est à portée de mains… De mon bureau, je tends le bras sur ma gauche et laisse filer mes doigts sur les tranches des ouvrages Gallimard, “Collection Blanche”, collection “L’Imaginaire”, poches en Folio, écru, crème, blanc mat ou brillant ! Puis, je tends le bras droit et effleure les ouvrages de la “Noire”, noirs et jaunes, de Fleuve Noir aux jaquettes figuratives et des éphémères éditions Fanval, rouges et noires… Au milieu de la “Blanche”, les rayonnages hébergent les Cahiers Rouges Grasset et les “10/18” polychromes, vifs, signés Ciesliewicz… Au milieu de la “Noire”, alternent le jaune paille des éditions de la Flamme d’Or et le jaune d’or des éditions de l’Instant Noir… Si, dans le roman noir, il fait toujours nuit, dans la littérature blanche, on voyage volontiers au bout de la nuit. Si, dans le roman noir, la neige est toujours sale, dans le roman blanc, les adultes sont souvent désenchantés, les enfants fatalement tristes. Quelle différence ! Problème de forme, de convention, de genre, de code et de jeu… Pour tout un chacun, citoyen mondial, citadin métropolitain et résident de proximité, entre aube blême et crépuscule, le soleil de midi est également cruel. Il met à nu la vérité du facteur humain hanté par ses désirs… Blanc et Noir peuvent-ils résister au Rouge de la passion ? Le rouge Simenon, supérieur en valeur au noir, au jaune, à l’argent et au plomb, le rouge de Thierry Jonquet ou de Frédéric Fajardie (la vie, les femmes)… Et même si la couleur originelle, la marque de fabrique, le tatouage clanique du néo-polar rougeoient, restent dans nos mémoires le bleu nuit et le bleu de méthylène. Universel roman de la ville contemporaine ? Toutes les passions, les parts maudites, les intrigues, les liaisons dangereuses, les errements, les errances, les voyages, les fuites, les retours, les déchéances, les rédemptions, les décompositions et les recompositions attendent patiemment de s’incarner… Ici-même !

Les DS noires de la fin des années 1960 qui glissent dans la nuit âpre et violente de la ville rebelle, rappellent trop les tractions-avant qui circulaient, entre l’horreur nocturne et l’aube blême des exécutions… Un quart de siècle est pourtant passé. La candeur du baby-boom est rattrapée par l’ombre portée de la grande histoire… Trente cinq ans plus tard, je feuillette “Les Boulevards de ceinture” de Patrick Modiano, collection blanche, puis ma main glisse vers l’étagère dédiée à André Héléna, anti-héros de la collection “La Poisse”, inoubliable auteur de “Les salauds ont la vie dure”, une saga consacrée aux “années sombres” : un pur chef-d’œuvre ! Tout près, le bel immeuble Citroën, cours Berriat, empreint du rationnalisme des années 1930, façon Roux-Spitz, nous rappelle chaque matin que la vie nous réserve, quelquefois, de bien noires surprises… Local.contemporain ? Chaque bâtiment possède son “double historique” qui revient périodiquement le hanter.

SÉQUENCE 2. EXTÉRIEURS Je tire des bords d’un “stabile” à l’autre pour profiter du souffle de liberté qu’Alexander Calder, cet américain qui avait choisi la France, nous permet de respirer et de retrouver, trente ans après sa disparition… Toute sa vie, Calder le transatlantique a relié les deux mondes, les époques, les procédés. Il a fabriqué l’impossible oxymore – le “mobile-stabile”, lié l’imaginaire de la préhistoire, la culture médiévale et le culte de la grande machine, annoncé Tinguely : “la plus grande stabilité, c’est l’instabilité”. Si Tinguely manque cruellement sur les places de Grenoble, nous avons Calder, collaborateur de Jean Vilar, loué par Marcel Duchamp et Jean-Paul Sartre, qui nous lègue un “noir” élucidant, rassurant et acéré, inaugurateur des temps cisaillés et boulonnés… Il ne manque à notre bonheur qu’une grande “Araignée rouge” de l’homme de Saché… Comme il aurait été jubilatoire de la retrouver sur cette Esplanade des États Généraux du Dauphiné qui devait prolonger le parvis de la Maison de la Culture ! Flashback uchronique… 1975 ! Une grande forme elliptique noire couronne le premier projet d’André Wogenscky, toujours d’un blanc éclatant. À quelques dizaines de mètres, sur les trémies des avenues Beyle-Stendhal et Berlioz, sont disposées “l’Araignée rouge” et autres créatures “caldériennes” : “animobiles”, “craggs” et “critters”, insensibles au vrombissement du Poma 2000 qui glisse vers le Sud ! Le local.contemporain peut-il échapper à la “fiction uchronique” ? Et si… ?

SÉQUENCE 3. ÉPHÉMÈRE Retour en l’An 2000 ! L’architecte Patrick Bouchain et l’artiste sétois Hervé Di Rosa, commandités par la Ville d’Annecy, promènent de ville en ville leur tribu de douze “Diroshommes” ramenée de leurs voyages et la plantent dans le parc du Symposium de 1967, le parc Paul Mistral ! Le “Dirosatlas” (douze géants de plusieurs tonnes chacun) suit de quelques mois l’inauguration de “à la nuit tombée” : projections numériques nocturnes en noir et blanc sur une “cimaise” inhabituelle, les quais sombres d’une rivière qui ne l’est pas moins ! Le passage du siècle lie nomadisme et ubiquité, la polychromie des douze totems et la “lanterne magique” des vingt-sept projections circulaires des quais ! Du Musée hors les murs au Musée imaginaire, il n’y a qu’un pas à franchir ! La refondation internationale de Grenoble, inaugurée en 1967, confirmée par l’ouverture de la “rue-fabrique” du Magasin, dans le faubourg Ouest de la Cité, en 1986, se poursuit doucement dans le centre historique, entre quais et parcs (Michallon, Mistral…)

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SÉQUENCE 5. À LA VERTICALE DE LA PLAINE Anger et Puccinelli, architectes des Trois Tours (les “trois dames blanches”), avec Loyer, creusent et sculptent leurs façades d’immeubles, comme ils le feront en 1969 à Paris, avec trois nouvelles tours reliées par des passerelles. Devant la gare olympique, “Les Trois Pics” de Calder leur répondent plus discrètement. Au Sud, l’épannelage des crêtes de la Galerie de l’Arlequin clôt le triangle des Trois Vallées avec un calepinage polychrome… Noir et blanc cèdent le pas au multicolore, mais la ville blanche et noire s’offre rarement ces moments de coloriage ludique, ces “arlequinades” libératrices, au-delà des installations éphémères d’artistes et de festivaliers. Nous manque la féerie polychrome de Charles Moore, de Frank Gehry, d’Helmut Jahn et d’Arquitectonica… À la verticale éphémère de la plaine, la Fête des Rameaux dresse pourtant, d’année en année, ses manèges géants et illuminés qui défient la nuit moderne… Sanctuaire des anciens plaisirs collectifs – Luna Park, bal, fête votive – elle apparaîtrait presque insolente, exubérante, extravertie, excessive (incongrue ?) dans ce pays de salles blanches qui a perdu la plupart de ses anciennes salles obscures… Un mois “d’extraterritorialité”, rive droite, comme une petite république enfantine qui ferait un pied de nez espiègle à la cité pressée… Cirques et caravanes camperont toujours au pied des murailles. Local.contemporain ? Conserver le blanc des tôles émaillées et les belles façades haussmanniennes, l’or gris du ciment moulé et les beaux bétons artistiques, le noir des boulonnages et des murs-rideaux… Mais laisser aussi le bouquet s’épanouir !

“Sur la Ville, dont les désirs flamboient, Règnent, sans qu’on les voie, Mais évidentes, les idées” Émile Verhaeren

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INCERTITUDES PAYSAGES INSTABLES OU INSTABILITÉ DU PAYSAGE ? YANN DE FAREINS

Entre éphémère et permanence, comment se compose la mosaïque de nos paysages imbriqués ?

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INCERTITUDES PAYSAGES INSTABLES OU INSTABILITÉ DU PAYSAGE ? YANN DE FAREINS

Entre éphémère et permanence, comment se compose la mosaïque de nos paysages imbriqués ?

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J’HABITE ICI MON ICI ET TON ICI SONT-ILS LES MÊMES ICI ?

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J’HABITE ICI MON ICI ET TON ICI SONT-ILS LES MÊMES ICI ?

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L’INFLUX DU TOUT POSSIBLE FACE À LA VILLE CRÉOLE, L’URBANISTE DOIT OUBLIER LA VILLE (TEXACO. ROMAN, ÉD. GALLIMARD) PATRICK CHAMOISEAU

Toute politique urbaine devrait initier à l’imaginaire de la diversité, lequel nourrira les politiques urbaines. Tout se construira dans une lutte incessante entre les pulsions du vieil imaginaire, et les ruades de l’imaginaire de la diversité. C’est dans ce remous que se situe le champ de bataille…

Je me souviens de ce retour au pays-Martinique, du plaisir de retrouver les rues de mon enfance. Longues promenades, retrouvailles des circuits habituels… Des souvenirs dont rien n’a gardé trace demeurent encore. Ils émergent des Lieux qui ont pourtant changé. L’émoi s’ouvre auprès des arbres de la cour Perrinon. Le négrillon que j’étais s’est souvent balancé à la pointe de leurs branches aux fibres incassables. Certains ont résisté mais ils sont condamnés par un projet de centre commercial. D’autres sont morts, desséchés d’âges, réduits à une bosse sous l’asphalte… Je vois ma ville, Fort-de-France, je la retrouve mais sans la rencontrer… Des maisons se sont effondrées… Du béton sans visage a remplacé de vieilles façades au bois pensif, aucun balcon ne fonctionne plus : livrés, sans floraisons, aux mécanismes climatiseurs, ils pleurent leur rouille de fers forgés… Des maisons indivises sont laissées aux ruines franches, ou restent closes sur une rumination poussiéreuse qui les délabre jour après jour. Les vieilles mulâtresses qui animaient ces endroits ont disparu. Il n’y a personne pour prendre le frais dans le serein du soir. Personne pour sortir les petits tabourets sur lesquels on se posait les reins en fin de dimanche pour voir passer les gens, et respirer. D’ailleurs, il n’y a plus de transhumance vers l’espace vert de la savane, ou vers la messe du soir…

“Ce n’est pas le fleuve urbain qu'il faut craindre, mais un vieil imaginaire raidi, attaché aux formes anciennes, et qui ne sait plus demeurer en allant, se renforcer dans le mouvement… qui ne sait plus trouver le chiffre de la beauté” P. C.

Ce que je cherche est maintenant immobile, vieillot, vieilli, immobilisé dans une autre époque. J’ai du mal à voir les façades de béton ou les vitrines de magasins qui presque partout ont remplacé les portes et fenêtres des petites maisons. J’ai du mal à contempler les habillages de plastique, de zinc et de matières modernes que l’on remplace au gré des affectations commerciales. Une autre ville est là, informe, changeante, suivant un rythme que j’ai perdu, moi qui commence à vivre avec des souvenirs… J’ai la vieille ville en moi, en vestiges et en reconstructions mémorielles, et je dois fournir un effort pour envisager l’émergence nouvelle… Il m’est difficile de la voir car ce qui vient n’est plus une ville, mais l’amorce du grand fleuve urbain… Grand fleuve sur lequel je me penche, et murmure… … Cette ville n’a jamais été lourde, ni monumentale, ni en pierre éternelle, juste en bois offert à la dent des cyclones et des embrasements… maintenant, elle vit l’aventure de ce monde, en fluidité extrême… le fleuve urbain se développe sans faire ville, effaçant des souvenirs, n’accordant qu’une écaille mémorielle dénuée des forces pérennes qu’élevaient les villes de pierre… Cette ville créole n’a de rigidité qu’en nervures, traces subtiles, fidèle à son principe elle ira au mouvement qui ne se fixe que pour encore bouger… … le fleuve urbain a désormais ses invariants : ce sont ces paysages de cadres publicitaires, ces bâtiments de zones industrielles, ces panneaux qui se chevauchent et qui s’étagent, et qui changent sans fin au gré des déroutes et des foires du commerce… … ces invariants surgissent n’importe où : au cœur des vieilles villes, dans ses chicots, dans ses bordures, dans ses zones miteuses autrefois délaissées… ils rognent les campagnes ou les avalent sans faire ville… ils confectionnent de petits bouts de campagne sans faire campagne… créant partout le déjà-vu, l’inlocalisable, l’interchangeable, le standard d’un monde, maintenant relié, qui vit ses lieux-communs… … les mémoires des Nations, Patries ou Territoires, connaissent désormais ces proliférations d’invariants qui témoignent de forces invisibles et uniformisantes… force marchandes qui partout sont les mêmes et partout conditionnent nos vouloirs de la même manière… … le fleuve urbain a ses invariants, ils sont économiques… ils n’expriment plus une configuration locale, ils disent une emprise extérieure unique : un paradigme de consommation… il ne porte en exergue que l’idéologie marchande et la force des standardisations nécessaires au marché…

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L’INFLUX DU TOUT POSSIBLE FACE À LA VILLE CRÉOLE, L’URBANISTE DOIT OUBLIER LA VILLE (TEXACO. ROMAN, ÉD. GALLIMARD) PATRICK CHAMOISEAU

Toute politique urbaine devrait initier à l’imaginaire de la diversité, lequel nourrira les politiques urbaines. Tout se construira dans une lutte incessante entre les pulsions du vieil imaginaire, et les ruades de l’imaginaire de la diversité. C’est dans ce remous que se situe le champ de bataille…

Je me souviens de ce retour au pays-Martinique, du plaisir de retrouver les rues de mon enfance. Longues promenades, retrouvailles des circuits habituels… Des souvenirs dont rien n’a gardé trace demeurent encore. Ils émergent des Lieux qui ont pourtant changé. L’émoi s’ouvre auprès des arbres de la cour Perrinon. Le négrillon que j’étais s’est souvent balancé à la pointe de leurs branches aux fibres incassables. Certains ont résisté mais ils sont condamnés par un projet de centre commercial. D’autres sont morts, desséchés d’âges, réduits à une bosse sous l’asphalte… Je vois ma ville, Fort-de-France, je la retrouve mais sans la rencontrer… Des maisons se sont effondrées… Du béton sans visage a remplacé de vieilles façades au bois pensif, aucun balcon ne fonctionne plus : livrés, sans floraisons, aux mécanismes climatiseurs, ils pleurent leur rouille de fers forgés… Des maisons indivises sont laissées aux ruines franches, ou restent closes sur une rumination poussiéreuse qui les délabre jour après jour. Les vieilles mulâtresses qui animaient ces endroits ont disparu. Il n’y a personne pour prendre le frais dans le serein du soir. Personne pour sortir les petits tabourets sur lesquels on se posait les reins en fin de dimanche pour voir passer les gens, et respirer. D’ailleurs, il n’y a plus de transhumance vers l’espace vert de la savane, ou vers la messe du soir…

“Ce n’est pas le fleuve urbain qu'il faut craindre, mais un vieil imaginaire raidi, attaché aux formes anciennes, et qui ne sait plus demeurer en allant, se renforcer dans le mouvement… qui ne sait plus trouver le chiffre de la beauté” P. C.

Ce que je cherche est maintenant immobile, vieillot, vieilli, immobilisé dans une autre époque. J’ai du mal à voir les façades de béton ou les vitrines de magasins qui presque partout ont remplacé les portes et fenêtres des petites maisons. J’ai du mal à contempler les habillages de plastique, de zinc et de matières modernes que l’on remplace au gré des affectations commerciales. Une autre ville est là, informe, changeante, suivant un rythme que j’ai perdu, moi qui commence à vivre avec des souvenirs… J’ai la vieille ville en moi, en vestiges et en reconstructions mémorielles, et je dois fournir un effort pour envisager l’émergence nouvelle… Il m’est difficile de la voir car ce qui vient n’est plus une ville, mais l’amorce du grand fleuve urbain… Grand fleuve sur lequel je me penche, et murmure… … Cette ville n’a jamais été lourde, ni monumentale, ni en pierre éternelle, juste en bois offert à la dent des cyclones et des embrasements… maintenant, elle vit l’aventure de ce monde, en fluidité extrême… le fleuve urbain se développe sans faire ville, effaçant des souvenirs, n’accordant qu’une écaille mémorielle dénuée des forces pérennes qu’élevaient les villes de pierre… Cette ville créole n’a de rigidité qu’en nervures, traces subtiles, fidèle à son principe elle ira au mouvement qui ne se fixe que pour encore bouger… … le fleuve urbain a désormais ses invariants : ce sont ces paysages de cadres publicitaires, ces bâtiments de zones industrielles, ces panneaux qui se chevauchent et qui s’étagent, et qui changent sans fin au gré des déroutes et des foires du commerce… … ces invariants surgissent n’importe où : au cœur des vieilles villes, dans ses chicots, dans ses bordures, dans ses zones miteuses autrefois délaissées… ils rognent les campagnes ou les avalent sans faire ville… ils confectionnent de petits bouts de campagne sans faire campagne… créant partout le déjà-vu, l’inlocalisable, l’interchangeable, le standard d’un monde, maintenant relié, qui vit ses lieux-communs… … les mémoires des Nations, Patries ou Territoires, connaissent désormais ces proliférations d’invariants qui témoignent de forces invisibles et uniformisantes… force marchandes qui partout sont les mêmes et partout conditionnent nos vouloirs de la même manière… … le fleuve urbain a ses invariants, ils sont économiques… ils n’expriment plus une configuration locale, ils disent une emprise extérieure unique : un paradigme de consommation… il ne porte en exergue que l’idéologie marchande et la force des standardisations nécessaires au marché…

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L’INFLUX DU TOUT-POSSIBLE FACE À LA VILLE CRÉOLE, L’URBANISTE DOIT OUBLIER LA VILLE

… l’ici du fleuve urbain est désormais ouvert aux invariants du monde… il n’a pas les codes de la diversité, il se glisse entre les interstices des caractères locaux, puis s’élargit progressivement… il donne la part standard du monde, et domine ceux qui pensent que cette part est le monde, et qu’elle est son progrès ou l’essence de sa modernité… … l’ici du fleuve urbain dévalorise le vieux village de telle contrée, lui donne du prix ailleurs… il en fait une dimension vieillotte dans telle région, il l'ennoblit en bijou patrimonial dans une autre, là où une conscience s’est constituée et veille par une politique… … en face du fleuve urbain, il faut disposer d’une conscience qui devine combien la part standard du monde n’est pas le monde, et combien sa modernité standard n’ouvre pas forcément au futur… … pour offrir de véritables provendes le fleuve urbain demande un autre imaginaire : un imaginaire de la diversité… … la ville dans sa configuration, ancienne appartenait aux Patries, aux Territoires et aux États-nations… le fleuve urbain prépare la poétique du Lieu. Le Lieu est un espace ouvert, trans-multiculturel et transmultiracial, sensible à la complexité, imprévisible et inconnaissable, du monde relié. La complexité et l’inconnaissable du monde relié m’ont toujours fait penser à la complexité et à l'inconnaissable de la pierre philosophale des alchimistes. C’est pourquoi j’appelle le monde relié : la Pierre-monde… … les villes anciennes accompagnaient des formulations culturelles et techniques, s’accordaient aux traditions et aux forces conservatrices, et s’adaptaient sur des rythmes variables aux remous et aux ruptures des évolutions inévitables… c’est fini… … la ville naissait de l’intérieur, là où le fleuve urbain surgit de l’extérieur… la ville caressait de longues houles temporelles, là où le fleuve urbain donne dans la frappe et dans la fulgurance… la ville allait de germinations, en latences et floraisons, là où le fleuve urbain fait irruption proliférante… … la ville, sensible au monde, murmurait une culture singulière tout en commençant à s’en éloigner ; le fleuve urbain hurle d’emblée un monde dépris des vieilles communautés, soumis aux voltes technologiques et aux standards commerciaux… … mais il offre aussi ce possible qu’il faut considérer : un mouvement incessant, un horizon ouvert, une individuation forte, détachée des sacrés fixes et des dieux immobiles, la donne d’un imaginaire désormais affranchi… il ouvre en fait à cette alternative : s’immobiliser dans les nostalgies ou envisager l’imaginaire du tout-possible… … par la question urbaine, l’imaginaire du tout-possible ouvre à l’imaginaire de la diversité… L’imaginaire de la diversité ouvre à la complexité du monde et à son imprévisible, donc à l’imaginaire du tout-possible… … imaginaire ? … ce qui génère mon vouloir-faire, mon vouloir-être, mon sens du vrai, du beau, du juste, du bon… l’essentiel de notre réalité… … imaginaire de la diversité ? …. l’ample proximité avec le foisonnement hasardeux du vivant : son toutpossible à tout moment… … riche de l’imaginaire du tout-possible le fleuve urbain ne sera pas seulement ouvert au standard du monde, mais au monde lui-même en ses diversités… il sera aussi ouvert au Lieu lui-même en ses anciennetés et ses évolutions, en ses traditions et acculturations, en son fixe et son mouvement, en sa mémoire et son futur… il enracinera et ouvrira… son assise sera l’étendue, son accroche : le rhizome…

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… riche de l’imaginaire du tout-possible le fleuve urbain récapitulera la ville et épellera dans le même temps les zones neuves de l’urbain… … il pourra transporter des bouts de vieilles cités, des blocs de villes anciennes, des concrétions d’espaces antiques de pierres et de vieux temples… mais aussi du strictement marchand, du commode commercial, il explorera l’inouï des mobilités, la beauté des exigences du bien-être à loger, les mélancolies des besoins de nature, d’herbe, de fleurs et d’arbres qui vivent longtemps… il saura la paille, le bois, les audaces du verre et de l’acier dans des fulgurances qui problématiseront la beauté… … Il sera tissé de forces antagonistes entre l’asphalte et l’herbe, le culturel et le marchand, l’enraciné et le fluide, le Lieu et le monde… chacune contrainte au non-absolu, chacune ouvrant à l’autre dans un mouvement chaotique, conflictuel et complémentaire… … l’imaginaire de la diversité sait jouer des forces du tout-possible, là où l’imaginaire atavique, des cultures anciennes, peut se laisser aliéner ou s’empoisonner de nostalgie… … l’imaginaire du tout-possible, instruit des forces de la diversité, saura au cœur du fleuve urbain, susciter les mémoires du Lieu mais aussi toutes les mémoires du monde dont nous sommes désormais riches… Dans le tout-possible, la mémoire n’est plus mémoire de soi, de son Lieu, de sa ville, de son histoire, elle est mémoire de soi dans tous les Lieux, de soi dans toutes les histoires, son Lieu dans tous les Lieux …. … il n’est de Lieu que dans le miroitement des Lieux qui font la Pierre-monde… … dans le tout-possible, il y aura des espaces non-marchands, et des intervalles purement culturels ; d’autres ne seront que leur propre histoire, et d’autres des rêves de projections… il y aura des pauvretés et des richesses, des no man’s land et des espaces plus denses que les cavernes d’un Ali baba qui aurait trafiqué à l’échelle d’une Pierre-monde ou investi jusqu’à l’extrême les infinis d’un Lieu… … seule permanence dont se soucier dans le fleuve urbain : le signe de la beauté… et la vraie beauté est toujours profondeur… et la vraie profondeur est toujours neuve… … quel est le signe de la beauté ?… l’étonnement renouvelé, profond… … le Lieu est incontournable dit Glissant, c’est qu'il faut toujours l’ouvrir à la Pierre-monde sans le dissoudre, l’y accorder sans le perdre, l’y installer sans l’abandonner… La mémoire du Lieu s’organise dans l’ouvert, elle se fixe là où toute culture, toute identité, toute création se tient en devenir … … ce n’est pas le fleuve urbain qu'il faut craindre, mais un vieil imaginaire raidi, attaché aux formes anciennes, et qui ne sait plus demeurer en allant, se renforcer dans le mouvement… qui ne sait plus trouver le chiffre de la beauté… … Le Lieu sait trouver le chiffre de la beauté quand il a une conscience positive de lui-même… l’identité neuve le sait aussi dans les mêmes conditions… l’urbain nouveau peut se dompter ainsi : en conscience positive née d’un imaginaire neuf… … toute ville était déjà un extrême de l’acculturation dans le pays où elle surgissait, comme une fenêtre où les vieilles asphyxies des communautés ataviques s’oxygénaient, où les vieilles lois du clan de la famille de la tribu, de la Patrie perdaient de leur virulence… Le fleuve urbain n’a fait qu’amplifier cette tendance… maintenant, jetons les vieux manteaux, questionnons la poétique de ce fleuve pour tenter de vivre selon ce mode dont a parlé Glissant, qui veut que j’existe à force de m’accorder à la diversité, que je suis unique à force d’être divers, et que je m’exprime à force de recevoir, dans un échange où je me change sans me perdre, et me construit sans me dénaturer…

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L’INFLUX DU TOUT-POSSIBLE FACE À LA VILLE CRÉOLE, L’URBANISTE DOIT OUBLIER LA VILLE

… l’ici du fleuve urbain est désormais ouvert aux invariants du monde… il n’a pas les codes de la diversité, il se glisse entre les interstices des caractères locaux, puis s’élargit progressivement… il donne la part standard du monde, et domine ceux qui pensent que cette part est le monde, et qu’elle est son progrès ou l’essence de sa modernité… … l’ici du fleuve urbain dévalorise le vieux village de telle contrée, lui donne du prix ailleurs… il en fait une dimension vieillotte dans telle région, il l'ennoblit en bijou patrimonial dans une autre, là où une conscience s’est constituée et veille par une politique… … en face du fleuve urbain, il faut disposer d’une conscience qui devine combien la part standard du monde n’est pas le monde, et combien sa modernité standard n’ouvre pas forcément au futur… … pour offrir de véritables provendes le fleuve urbain demande un autre imaginaire : un imaginaire de la diversité… … la ville dans sa configuration, ancienne appartenait aux Patries, aux Territoires et aux États-nations… le fleuve urbain prépare la poétique du Lieu. Le Lieu est un espace ouvert, trans-multiculturel et transmultiracial, sensible à la complexité, imprévisible et inconnaissable, du monde relié. La complexité et l’inconnaissable du monde relié m’ont toujours fait penser à la complexité et à l'inconnaissable de la pierre philosophale des alchimistes. C’est pourquoi j’appelle le monde relié : la Pierre-monde… … les villes anciennes accompagnaient des formulations culturelles et techniques, s’accordaient aux traditions et aux forces conservatrices, et s’adaptaient sur des rythmes variables aux remous et aux ruptures des évolutions inévitables… c’est fini… … la ville naissait de l’intérieur, là où le fleuve urbain surgit de l’extérieur… la ville caressait de longues houles temporelles, là où le fleuve urbain donne dans la frappe et dans la fulgurance… la ville allait de germinations, en latences et floraisons, là où le fleuve urbain fait irruption proliférante… … la ville, sensible au monde, murmurait une culture singulière tout en commençant à s’en éloigner ; le fleuve urbain hurle d’emblée un monde dépris des vieilles communautés, soumis aux voltes technologiques et aux standards commerciaux… … mais il offre aussi ce possible qu’il faut considérer : un mouvement incessant, un horizon ouvert, une individuation forte, détachée des sacrés fixes et des dieux immobiles, la donne d’un imaginaire désormais affranchi… il ouvre en fait à cette alternative : s’immobiliser dans les nostalgies ou envisager l’imaginaire du tout-possible… … par la question urbaine, l’imaginaire du tout-possible ouvre à l’imaginaire de la diversité… L’imaginaire de la diversité ouvre à la complexité du monde et à son imprévisible, donc à l’imaginaire du tout-possible… … imaginaire ? … ce qui génère mon vouloir-faire, mon vouloir-être, mon sens du vrai, du beau, du juste, du bon… l’essentiel de notre réalité… … imaginaire de la diversité ? …. l’ample proximité avec le foisonnement hasardeux du vivant : son toutpossible à tout moment… … riche de l’imaginaire du tout-possible le fleuve urbain ne sera pas seulement ouvert au standard du monde, mais au monde lui-même en ses diversités… il sera aussi ouvert au Lieu lui-même en ses anciennetés et ses évolutions, en ses traditions et acculturations, en son fixe et son mouvement, en sa mémoire et son futur… il enracinera et ouvrira… son assise sera l’étendue, son accroche : le rhizome…

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… riche de l’imaginaire du tout-possible le fleuve urbain récapitulera la ville et épellera dans le même temps les zones neuves de l’urbain… … il pourra transporter des bouts de vieilles cités, des blocs de villes anciennes, des concrétions d’espaces antiques de pierres et de vieux temples… mais aussi du strictement marchand, du commode commercial, il explorera l’inouï des mobilités, la beauté des exigences du bien-être à loger, les mélancolies des besoins de nature, d’herbe, de fleurs et d’arbres qui vivent longtemps… il saura la paille, le bois, les audaces du verre et de l’acier dans des fulgurances qui problématiseront la beauté… … Il sera tissé de forces antagonistes entre l’asphalte et l’herbe, le culturel et le marchand, l’enraciné et le fluide, le Lieu et le monde… chacune contrainte au non-absolu, chacune ouvrant à l’autre dans un mouvement chaotique, conflictuel et complémentaire… … l’imaginaire de la diversité sait jouer des forces du tout-possible, là où l’imaginaire atavique, des cultures anciennes, peut se laisser aliéner ou s’empoisonner de nostalgie… … l’imaginaire du tout-possible, instruit des forces de la diversité, saura au cœur du fleuve urbain, susciter les mémoires du Lieu mais aussi toutes les mémoires du monde dont nous sommes désormais riches… Dans le tout-possible, la mémoire n’est plus mémoire de soi, de son Lieu, de sa ville, de son histoire, elle est mémoire de soi dans tous les Lieux, de soi dans toutes les histoires, son Lieu dans tous les Lieux …. … il n’est de Lieu que dans le miroitement des Lieux qui font la Pierre-monde… … dans le tout-possible, il y aura des espaces non-marchands, et des intervalles purement culturels ; d’autres ne seront que leur propre histoire, et d’autres des rêves de projections… il y aura des pauvretés et des richesses, des no man’s land et des espaces plus denses que les cavernes d’un Ali baba qui aurait trafiqué à l’échelle d’une Pierre-monde ou investi jusqu’à l’extrême les infinis d’un Lieu… … seule permanence dont se soucier dans le fleuve urbain : le signe de la beauté… et la vraie beauté est toujours profondeur… et la vraie profondeur est toujours neuve… … quel est le signe de la beauté ?… l’étonnement renouvelé, profond… … le Lieu est incontournable dit Glissant, c’est qu'il faut toujours l’ouvrir à la Pierre-monde sans le dissoudre, l’y accorder sans le perdre, l’y installer sans l’abandonner… La mémoire du Lieu s’organise dans l’ouvert, elle se fixe là où toute culture, toute identité, toute création se tient en devenir … … ce n’est pas le fleuve urbain qu'il faut craindre, mais un vieil imaginaire raidi, attaché aux formes anciennes, et qui ne sait plus demeurer en allant, se renforcer dans le mouvement… qui ne sait plus trouver le chiffre de la beauté… … Le Lieu sait trouver le chiffre de la beauté quand il a une conscience positive de lui-même… l’identité neuve le sait aussi dans les mêmes conditions… l’urbain nouveau peut se dompter ainsi : en conscience positive née d’un imaginaire neuf… … toute ville était déjà un extrême de l’acculturation dans le pays où elle surgissait, comme une fenêtre où les vieilles asphyxies des communautés ataviques s’oxygénaient, où les vieilles lois du clan de la famille de la tribu, de la Patrie perdaient de leur virulence… Le fleuve urbain n’a fait qu’amplifier cette tendance… maintenant, jetons les vieux manteaux, questionnons la poétique de ce fleuve pour tenter de vivre selon ce mode dont a parlé Glissant, qui veut que j’existe à force de m’accorder à la diversité, que je suis unique à force d’être divers, et que je m’exprime à force de recevoir, dans un échange où je me change sans me perdre, et me construit sans me dénaturer…

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L’INFLUX DU TOUT-POSSIBLE FACE À LA VILLE CRÉOLE, L’URBANISTE DOIT OUBLIER LA VILLE

… La sédimentation du fleuve urbain, sera justement son flux… sa permanence sera justement son mouvement… ce qui nous rassurera quand nous serons riches du nouvel imaginaire, ce sera justement ce flux incessant qui sera pour nous le signe de la profondeur étonnante, et même : le repère rassurant… … le temps du fleuve urbain aura ses épaisseurs et ses permanences dans la perception même de ce fleuve… … tout ancrage devrait initier à l’ouvert, et la poétique de l’ouvert donner le sens nouveau de l’ancrage… les contraires iront ensemble, le peu d’ancrage renforcera l’ancrage, et son exacerbation ouvrira au désencrage… … impossible de codifier le tout-possible, impossible de prévoir les grandes lignes d’usage de tel ou tel espace, ou le désuet rapide de tel autre… il faudra juste fréquenter habilement le provisoire et le durable, la mémoire et l’audace… les lier ensemble dans une vigilance dont le seul souci devra être la beauté… … toute politique urbaine devrait initier à l’imaginaire de la diversité, lequel nourrira les politiques urbaines… le goût du divers (et même sa sacralisation) permettra de conserver partout ce qu'il sera possible de conserver, de sédimenter ce que les forces en présence et les états de conscience permettront de sédimenter… tout se construira dans une lutte incessante entre les pulsions du vieil imaginaire, et les ruades de l’imaginaire de la diversité… C’est dans ce remous que se situe le champ de bataille, et à cet étiage que se tend l’axe du guerrier de l’imaginaire… … le guerrier de l’imaginaire est guerrier parce qu’il sait que la bataille sera sans fin, et de tout instant, et qu’il ne devra jamais baisser la garde… c’est seulement cette veille qui fait de ce pacifique non-dominateur, un guerrier… … Maintenant je regarde ma ville sans pleurer. Ne plus chercher l’ancienne, ne pas se résoudre à la banalisation marchande, aller au beau, ruminer la poétique de la Pierre-Monde, se libérer des forces anciennes pour s’ouvrir aux richesses de l’identité neuve, et, avec elle, faire du fleuve urbain l’exaltation de la nature, le beau de la culture, l’utile des forces économiques et marchandes qui devront apprendre le rythme – parfois décroissant, ou à croissance zéro – du bonheur…

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L’INFLUX DU TOUT-POSSIBLE FACE À LA VILLE CRÉOLE, L’URBANISTE DOIT OUBLIER LA VILLE

… La sédimentation du fleuve urbain, sera justement son flux… sa permanence sera justement son mouvement… ce qui nous rassurera quand nous serons riches du nouvel imaginaire, ce sera justement ce flux incessant qui sera pour nous le signe de la profondeur étonnante, et même : le repère rassurant… … le temps du fleuve urbain aura ses épaisseurs et ses permanences dans la perception même de ce fleuve… … tout ancrage devrait initier à l’ouvert, et la poétique de l’ouvert donner le sens nouveau de l’ancrage… les contraires iront ensemble, le peu d’ancrage renforcera l’ancrage, et son exacerbation ouvrira au désencrage… … impossible de codifier le tout-possible, impossible de prévoir les grandes lignes d’usage de tel ou tel espace, ou le désuet rapide de tel autre… il faudra juste fréquenter habilement le provisoire et le durable, la mémoire et l’audace… les lier ensemble dans une vigilance dont le seul souci devra être la beauté… … toute politique urbaine devrait initier à l’imaginaire de la diversité, lequel nourrira les politiques urbaines… le goût du divers (et même sa sacralisation) permettra de conserver partout ce qu'il sera possible de conserver, de sédimenter ce que les forces en présence et les états de conscience permettront de sédimenter… tout se construira dans une lutte incessante entre les pulsions du vieil imaginaire, et les ruades de l’imaginaire de la diversité… C’est dans ce remous que se situe le champ de bataille, et à cet étiage que se tend l’axe du guerrier de l’imaginaire… … le guerrier de l’imaginaire est guerrier parce qu’il sait que la bataille sera sans fin, et de tout instant, et qu’il ne devra jamais baisser la garde… c’est seulement cette veille qui fait de ce pacifique non-dominateur, un guerrier… … Maintenant je regarde ma ville sans pleurer. Ne plus chercher l’ancienne, ne pas se résoudre à la banalisation marchande, aller au beau, ruminer la poétique de la Pierre-Monde, se libérer des forces anciennes pour s’ouvrir aux richesses de l’identité neuve, et, avec elle, faire du fleuve urbain l’exaltation de la nature, le beau de la culture, l’utile des forces économiques et marchandes qui devront apprendre le rythme – parfois décroissant, ou à croissance zéro – du bonheur…

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L’HERBIER DU MOBILIER URBAIN OBJETS RITUELS, BORNES VOTIVES OU SIMPLES OBJETS DÉCORATIFS ? Il reste à établir un inventaire rigoureux de ces formes urbaines proliférantes dont il sera sans doute difficile de dire dans quelques siècles s’il s’agissait d’objets rituels, de bornes votives ou de simples objets décoratifs ! Leur présence obsédante témoigne qu’il n’est pas si simple d’avancer en ligne droite lors de la traversée de l’espace urbain contemporain. Notre entomologiste a découvert dans l’agglomération ces insectes curieux mais bien réels dont les titres devraient vous permettre d’en retrouver l’emplacement dans l’espace.

URBANUS MAXIMUS

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FONTAINUS IMPERIALIS

GOLIATHUS ESTACADIS

MEYLANUS GIGANTICA

MEGAURBANUS SINUATA

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L’HERBIER DU MOBILIER URBAIN OBJETS RITUELS, BORNES VOTIVES OU SIMPLES OBJETS DÉCORATIFS ? Il reste à établir un inventaire rigoureux de ces formes urbaines proliférantes dont il sera sans doute difficile de dire dans quelques siècles s’il s’agissait d’objets rituels, de bornes votives ou de simples objets décoratifs ! Leur présence obsédante témoigne qu’il n’est pas si simple d’avancer en ligne droite lors de la traversée de l’espace urbain contemporain. Notre entomologiste a découvert dans l’agglomération ces insectes curieux mais bien réels dont les titres devraient vous permettre d’en retrouver l’emplacement dans l’espace.

URBANUS MAXIMUS

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FONTAINUS IMPERIALIS

GOLIATHUS ESTACADIS

MEYLANUS GIGANTICA

MEGAURBANUS SINUATA

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ICI, OU LÀ ? ET SI LES LÉGIONNAIRES DU PROCONSUL LUCIUS PLANCUS NE S’ÉTAIENT JAMAIS INSTALLÉS SUR LES RIVES DE L’ISÈRE ? FABRICE CLAPIÈS

Sans doute le premier pont, jeté en 43 av. JC à l’emplacement actuel de la passerelle Saint-Laurent, n’aurait jamais vu le jour. Mais d’autres histoires se seraient alors glissées dans le site de Grenoble, nous laissant d’autres traces… Voici le jeu mental auquel s’est exercé le plasticien Fabrice Clapiès dans sa cartographie imaginaire.

Face à l’actuelle Bastille, le port, à l’échelle exacte du port de Marseille, est protégé des crues de l’Isère, mais il efface en grande partie la ville du XIXe siècle. Plus au sud, borné par un arc de triomphe, un axe élyséen parallèle au cours Jean -Jaurès durant 2 kilomètres conduit à la Place de la Concorde, au jardin des Tuileries puis au Louvre. Plus loin, mais dans le même alignement, Central Park et ses parcellaires de gratte-ciel. Dans le parc, la Maison de la radio au nord et la Butte Montmartre au sud. À la confluence de l’Isère et du Drac, l’île de la Cité et l’île Saint-Louis. Pas de cathédrale Notre-Dame pourtant car sur le site du Synchrotron il semble difficile de faire cohabiter sciences de l’atome et catholicisme ! Le Champ de Mars et le Palais de Chaillot sont installés dans les méandres de l’Isère, plein Est. Entre le Drac et le Massif du Vercors, le quartier des affaires de la Défense avec son boulevard circulaire. Tout cela tient ici à bonne échelle, aussi les zones industrielles et les grosses voies de circulation restent en périphérie, Et puis immuables le Néron, le Vercors et Belledonne, comme pour endiguer ces eaux visibles ou souterraines qui laissent tant flotter et dériver les bâtiments remarquables.

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ICI, OU LÀ ? ET SI LES LÉGIONNAIRES DU PROCONSUL LUCIUS PLANCUS NE S’ÉTAIENT JAMAIS INSTALLÉS SUR LES RIVES DE L’ISÈRE ? FABRICE CLAPIÈS

Sans doute le premier pont, jeté en 43 av. JC à l’emplacement actuel de la passerelle Saint-Laurent, n’aurait jamais vu le jour. Mais d’autres histoires se seraient alors glissées dans le site de Grenoble, nous laissant d’autres traces… Voici le jeu mental auquel s’est exercé le plasticien Fabrice Clapiès dans sa cartographie imaginaire.

Face à l’actuelle Bastille, le port, à l’échelle exacte du port de Marseille, est protégé des crues de l’Isère, mais il efface en grande partie la ville du XIXe siècle. Plus au sud, borné par un arc de triomphe, un axe élyséen parallèle au cours Jean -Jaurès durant 2 kilomètres conduit à la Place de la Concorde, au jardin des Tuileries puis au Louvre. Plus loin, mais dans le même alignement, Central Park et ses parcellaires de gratte-ciel. Dans le parc, la Maison de la radio au nord et la Butte Montmartre au sud. À la confluence de l’Isère et du Drac, l’île de la Cité et l’île Saint-Louis. Pas de cathédrale Notre-Dame pourtant car sur le site du Synchrotron il semble difficile de faire cohabiter sciences de l’atome et catholicisme ! Le Champ de Mars et le Palais de Chaillot sont installés dans les méandres de l’Isère, plein Est. Entre le Drac et le Massif du Vercors, le quartier des affaires de la Défense avec son boulevard circulaire. Tout cela tient ici à bonne échelle, aussi les zones industrielles et les grosses voies de circulation restent en périphérie, Et puis immuables le Néron, le Vercors et Belledonne, comme pour endiguer ces eaux visibles ou souterraines qui laissent tant flotter et dériver les bâtiments remarquables.

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À VOUS DE JOUER À ÉPUISER L’ESPACE ! LES PLANS DE VILLE SONT UNE MATIÈRE PREMIÈRE INJUSTEMENT NÉGLIGÉE QUI PERMET DE RÉALISER SEUL OU EN GROUPE, DE SURPRENANTS CARNETS DE VOYAGE ! Ainsi en repérant l’emplacement où vous vous trouvez actuellement sur le plan, (dans le carré H4 par exemple), vous pouvez choisir de partir à l’aventure dans les rues réelles de la ville afin de localiser, rue après rue, l’emprise au sol de ce carré. Vous pouvez ensuite tenter d’épuiser toutes les informations accumulées dans cet espace : - les noms des rues : personnages célèbres ou individus inconnus, lieux dits, mots anciens… - les types de plantations : leur forme et leur âge vraisemblable, leur état… - les matériaux dominants : pierre, béton moulé, bitume… - le mobilier urbain : sa fonction, son usage… - les odeurs : agréables, végétales, chimiques… - les bruits : proches, lointains, harmonieux … - les mots et pictogrammes présents dans l’espace : slogans publicitaires, logos…, revenir plusieurs fois sur le site, notamment d’autres jours de la semaine ou à des saisons différentes, puis reconstituer ensuite ce fragment urbain, par le repérage photographique, le carnet de croquis, l’écriture... Le jeu inverse est tout aussi stimulant : recomposer la ville manquante autour d’un carré retenu sur le plan, seul rescapé des méandres de l’histoire contemporaine. Il est intéressant de comparer ou d’assembler des fragments urbains d’autres villes : Tokyo, São Paulo ou Johannesburg, en accordant ou non les échelles, puis de discuter de ces (dis)harmonies urbaines…Des plans de villes sont disponibles sur le site www.local-contemporain.net Si vous souhaitez des conseils pédagogiques, ou débattre avec nous de vos résultats, contactez-nous par email à contact@local-contemporain.net

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À VOUS DE JOUER À ÉPUISER L’ESPACE ! LES PLANS DE VILLE SONT UNE MATIÈRE PREMIÈRE INJUSTEMENT NÉGLIGÉE QUI PERMET DE RÉALISER SEUL OU EN GROUPE, DE SURPRENANTS CARNETS DE VOYAGE ! Ainsi en repérant l’emplacement où vous vous trouvez actuellement sur le plan, (dans le carré H4 par exemple), vous pouvez choisir de partir à l’aventure dans les rues réelles de la ville afin de localiser, rue après rue, l’emprise au sol de ce carré. Vous pouvez ensuite tenter d’épuiser toutes les informations accumulées dans cet espace : - les noms des rues : personnages célèbres ou individus inconnus, lieux dits, mots anciens… - les types de plantations : leur forme et leur âge vraisemblable, leur état… - les matériaux dominants : pierre, béton moulé, bitume… - le mobilier urbain : sa fonction, son usage… - les odeurs : agréables, végétales, chimiques… - les bruits : proches, lointains, harmonieux … - les mots et pictogrammes présents dans l’espace : slogans publicitaires, logos…, revenir plusieurs fois sur le site, notamment d’autres jours de la semaine ou à des saisons différentes, puis reconstituer ensuite ce fragment urbain, par le repérage photographique, le carnet de croquis, l’écriture... Le jeu inverse est tout aussi stimulant : recomposer la ville manquante autour d’un carré retenu sur le plan, seul rescapé des méandres de l’histoire contemporaine. Il est intéressant de comparer ou d’assembler des fragments urbains d’autres villes : Tokyo, São Paulo ou Johannesburg, en accordant ou non les échelles, puis de discuter de ces (dis)harmonies urbaines…Des plans de villes sont disponibles sur le site www.local-contemporain.net Si vous souhaitez des conseils pédagogiques, ou débattre avec nous de vos résultats, contactez-nous par email à contact@local-contemporain.net

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ET SI NOUS FAISIONS NOS PROPRES ROND-POINTS ? Les rond-points de circulation sont devenu en quelques années le site privilégié d’un inventaire esthétique apparemment sans bornes, fusionnant les allégories identitaires, les compositions kitch, les évocations approximativement historiques, les particularismes locaux revendiqués…. Nous programmerons en 2005 une rencontre où sociologue, philosophe, artistes, historien d’art,…, tenteront de mieux comprendre ce qui s’exprime dans ces décorations. Nous organiserons, à la même époque, plusieurs interventions éphémères sur des rond-points de l’agglomération grenobloise : Certaines seront commandées à des artistes de différentes disciplines : plasticien, chorégraphe,…, d’autres seront ouvertes à tous et notamment aux enfants qui le souhaitent. Les projets les plus singuliers, poétiques ou étonnants seront exposés en maquette lors de la manifestation consacrée aux rond-points, publiés dans la prochaine édition de Local.contemporain, ou réalisés en vraie grandeur et installés temporairement sur sites. Si vous souhaitez vous associer à ce processus, obtenir des conseils pédagogiques ou des maquettes vierges de rond-point, débattre avec nous de vos résultats, contactez-nous par email à contact@local-contemporain.net Des supports photographiques pour répondre à cette initiative sont disponibles sur le site www.local-contemporain.net L’association Architecture et Regards, associée au développement pédagogique de local.contemporain peut d’autre part, à votre demande, intervenir auprès de tout groupe constitué.

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ET SI NOUS FAISIONS NOS PROPRES ROND-POINTS ? Les rond-points de circulation sont devenu en quelques années le site privilégié d’un inventaire esthétique apparemment sans bornes, fusionnant les allégories identitaires, les compositions kitch, les évocations approximativement historiques, les particularismes locaux revendiqués…. Nous programmerons en 2005 une rencontre où sociologue, philosophe, artistes, historien d’art,…, tenteront de mieux comprendre ce qui s’exprime dans ces décorations. Nous organiserons, à la même époque, plusieurs interventions éphémères sur des rond-points de l’agglomération grenobloise : Certaines seront commandées à des artistes de différentes disciplines : plasticien, chorégraphe,…, d’autres seront ouvertes à tous et notamment aux enfants qui le souhaitent. Les projets les plus singuliers, poétiques ou étonnants seront exposés en maquette lors de la manifestation consacrée aux rond-points, publiés dans la prochaine édition de Local.contemporain, ou réalisés en vraie grandeur et installés temporairement sur sites. Si vous souhaitez vous associer à ce processus, obtenir des conseils pédagogiques ou des maquettes vierges de rond-point, débattre avec nous de vos résultats, contactez-nous par email à contact@local-contemporain.net Des supports photographiques pour répondre à cette initiative sont disponibles sur le site www.local-contemporain.net L’association Architecture et Regards, associée au développement pédagogique de local.contemporain peut d’autre part, à votre demande, intervenir auprès de tout groupe constitué.

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TRANSVERSALES CINQ CHRONIQUES SONORES DU GRAND GRENOBLE COLLECTÉES ET MISES EN MUSIQUE HENRY TORGUE COMPOSITION ET ENREGISTREMENTS / MARUSHKA TORGUE PERCHWOMAN / STUDIO OUI-DIRE, PASCAL DUBOIS CO-MIXEUR ET MASTERING

Les prises de sons ont été effectuées entre juillet 2003 et juillet 2004 dans toute l'agglomération grenobloise, avant le début des travaux de la 3e ligne de tramway pour les espaces concernés. PRINCIPAUX LIEUX PARCOURUS 01 En transit [04’05”] se déroule dans la gare de Gières où un couple de japonais entre pour attendre le train, contemple son arrivée et le laisse repartir sans y monter.

02 Clameurs et murmures [03’46”] voudrait témoigner de la ville comme orchestre aux multiples voix à partir d'enregistrements effectués notamment au carrefour Chavant, sur et sous l'autopont du cours Jean Jaurès, Place de Catane, rue Félix Poulat, boulevard Joseph-Vallier, à Seyssinet devant la caserne des pompiers et sur la route du Murier à Saint Martin d'Hères avant de revenir au carrefour Chavant. La bande-son de scénarios croisés.

03 Nuit blanche et petit matin [04’30”] débute dans un jardin proche d'Eybens pendant une nuit de printemps. Un chat rode. Bientôt, ce sera l'aube. Un marcheur traverse le parc Paul Mistral sous la pluie avant de retrouver, au sec, les oiseaux du jardin. Un avion franchit les Alpes. Il repassera ce soir.

CHRONIQUES SONORES DU GRAND GRENOBLE TRANSVERSALESI CINQ COLLECTÉES ET MISES EN MUSIQUE PAR HENRY TORGUE 01 EN TRANSIT 02 CLAMEURS ET MURMURES 03 NUIT BLANCHE ET PETIT MATIN 04 SCÈNES D'INTÉRIEUR 05 ASPHALT-CITY

04 Scènes d'intérieur [04’00”] évoque les espaces du dedans, des voix et de la convivialité à travers la maison du tourisme, la halle et la place Sainte Claire. Du banal qui fait du bien. En sortant, la fontaine chante et s'efface devant le tram dont le grondement devient tellurique quand on l'entend du hall de la maison du tourisme.

05 Asphalt-city [03’39”] joue sur la circulation comme dominante de nos paysages sonores contemporains : on the road again, au pont de Catane dans le sens des boulevards, au-dessus de l'A 480 par temps sec puis un jour de pluie, devant l'église Saint Jean, en surplomb du cours Jean Jaurès sur l'autopont, sur le boulevard Jean Pain, avenue Gabriel Péri à Saint Martin d'Hères… C'est un morceau à écouter deux fois : la première en s'imaginant être au volant sur la route, la seconde en regardant le trafic de son balcon.

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TRANSVERSALES I

LOCAL.CONTEMPORAIN LC001/1PHONOGRAPHIQUE ET DU PROPRIÉTAIRE DE L’ŒUVRE ENREGISTRÉE RÉSERVÉS. CINQ CHRONIQUES SONORES DU GRAND GRENOBLE COLLECTÉES ET MISES EN MUSIQUE PAR HENRY TORGUE SAUF AUTORISATION LA DUPLICATION, 01 EN TRANSIT / 02 CLAMEURS ET MURMURES / 03 NUIT BLANCHE ET PETIT MATIN / 04 SCÈNES D'INTÉRIEUR / 05 ASPHALT-CITY LA LOCATION, LE PRÊT OU L’UTILISATION TOUS DROITS DU PRODUCTEUR DE L’ŒUVRE PHONOGRAPHIQUE ET DU PROPRIÉTAIRE DE L'ŒUVRE ENREGISTRÉE RÉSERVÉS. SAUF AUTORISATION LA DUPLICATION, CE DISQUE SONT POURINTERDITS. EXÉCUTION PUBLIQUE LA LOCATION, LE PRÊT OU L'UTILISATION LOCAL.CONTEMPORAIN DE CE DISQUE POUR EXÉCUTION PUBLIQUE DE ET RADIODIFFUSION VOUS ÊTES ICI LC001/1 ET RADIODIFFUSION SONT INTERDITS.


TRANSVERSALES CINQ CHRONIQUES SONORES DU GRAND GRENOBLE COLLECTÉES ET MISES EN MUSIQUE HENRY TORGUE COMPOSITION ET ENREGISTREMENTS / MARUSHKA TORGUE PERCHWOMAN / STUDIO OUI-DIRE, PASCAL DUBOIS CO-MIXEUR ET MASTERING

Les prises de sons ont été effectuées entre juillet 2003 et juillet 2004 dans toute l'agglomération grenobloise, avant le début des travaux de la 3e ligne de tramway pour les espaces concernés. PRINCIPAUX LIEUX PARCOURUS 01 En transit [04’05”] se déroule dans la gare de Gières où un couple de japonais entre pour attendre le train, contemple son arrivée et le laisse repartir sans y monter.

02 Clameurs et murmures [03’46”] voudrait témoigner de la ville comme orchestre aux multiples voix à partir d'enregistrements effectués notamment au carrefour Chavant, sur et sous l'autopont du cours Jean Jaurès, Place de Catane, rue Félix Poulat, boulevard Joseph-Vallier, à Seyssinet devant la caserne des pompiers et sur la route du Murier à Saint Martin d'Hères avant de revenir au carrefour Chavant. La bande-son de scénarios croisés.

03 Nuit blanche et petit matin [04’30”] débute dans un jardin proche d'Eybens pendant une nuit de printemps. Un chat rode. Bientôt, ce sera l'aube. Un marcheur traverse le parc Paul Mistral sous la pluie avant de retrouver, au sec, les oiseaux du jardin. Un avion franchit les Alpes. Il repassera ce soir.

CHRONIQUES SONORES DU GRAND GRENOBLE TRANSVERSALESI CINQ COLLECTÉES ET MISES EN MUSIQUE PAR HENRY TORGUE 01 EN TRANSIT 02 CLAMEURS ET MURMURES 03 NUIT BLANCHE ET PETIT MATIN 04 SCÈNES D'INTÉRIEUR 05 ASPHALT-CITY

04 Scènes d'intérieur [04’00”] évoque les espaces du dedans, des voix et de la convivialité à travers la maison du tourisme, la halle et la place Sainte Claire. Du banal qui fait du bien. En sortant, la fontaine chante et s'efface devant le tram dont le grondement devient tellurique quand on l'entend du hall de la maison du tourisme.

05 Asphalt-city [03’39”] joue sur la circulation comme dominante de nos paysages sonores contemporains : on the road again, au pont de Catane dans le sens des boulevards, au-dessus de l'A 480 par temps sec puis un jour de pluie, devant l'église Saint Jean, en surplomb du cours Jean Jaurès sur l'autopont, sur le boulevard Jean Pain, avenue Gabriel Péri à Saint Martin d'Hères… C'est un morceau à écouter deux fois : la première en s'imaginant être au volant sur la route, la seconde en regardant le trafic de son balcon.

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TRANSVERSALES I

LOCAL.CONTEMPORAIN LC001/1PHONOGRAPHIQUE ET DU PROPRIÉTAIRE DE L’ŒUVRE ENREGISTRÉE RÉSERVÉS. CINQ CHRONIQUES SONORES DU GRAND GRENOBLE COLLECTÉES ET MISES EN MUSIQUE PAR HENRY TORGUE SAUF AUTORISATION LA DUPLICATION, 01 EN TRANSIT / 02 CLAMEURS ET MURMURES / 03 NUIT BLANCHE ET PETIT MATIN / 04 SCÈNES D'INTÉRIEUR / 05 ASPHALT-CITY LA LOCATION, LE PRÊT OU L’UTILISATION TOUS DROITS DU PRODUCTEUR DE L’ŒUVRE PHONOGRAPHIQUE ET DU PROPRIÉTAIRE DE L'ŒUVRE ENREGISTRÉE RÉSERVÉS. SAUF AUTORISATION LA DUPLICATION, CE DISQUE SONT POURINTERDITS. EXÉCUTION PUBLIQUE LA LOCATION, LE PRÊT OU L'UTILISATION LOCAL.CONTEMPORAIN DE CE DISQUE POUR EXÉCUTION PUBLIQUE DE ET RADIODIFFUSION VOUS ÊTES ICI LC001/1 ET RADIODIFFUSION SONT INTERDITS.


Notre terrain d’analyse et d’expérimentation, la région grenobloise, est précisement circonscrit car ce territoire nous apparaît emblématique du décalage profond entre ses réalités économiques, sociologiques et urbaines, et les représentations qui en émanent ou s’y attachent. Les formes émergentes sont pourtant extrêmement riches, mais ne correspondent plus à l’image connue et assimilée de la réalité urbaine :les repères traditionnels ont perdu leur efficacité, la ville historique s'asphyxie dans un conservatisme commercial, les nouveaux espaces périphériques canalisent sans passion les consommations de masse, les réseaux de transports deviennent l'espace essentiel et crucial de la communication urbaine, les territoires marginaux se rétractent ou se virtualisent. Au-delà de la simple soumission apparente à un ordre inéluctable, des brèches existent, des pratiques s'inventent, qui échappent. Local.contemporain tente à la fois de repérer ces échappées nouvelles et de les amplifier en associant artistes, chercheurs et pédagogues afin de rétroagir sur le tissu urbain. Ce choix d’un local circonscrit n’aura évidemment de sens qu’en pleine conscience de son voisinage mondial. C’est pourquoi les artistes et les chercheurs associés à ce projet proviennent largement de territoires autres, ou y font appel pour réfléchir : ainsi les nuages de Bourgogne pour Pierre Sansot, ou la ville créole pour Patrick Chamoiseau. Loin d’affirmations péremptoires, Local.contemporain cherche à aiguiser l’attention et, si possible, à nous aider à gagner un brin de légèreté pour aborder joyeusement les défis de l’époque.

PRIX 7¤ / ISBN 2-9516858-0-7

#1 AUTOMNE 2004

Local.contemporain est un foyer de recherches originales et d’initiatives artistiques autour des territoires urbains contemporains, une accumulation de points de vue croisés - artistiques, scientifiques, pédagogiques – une petite entreprise de renouvellement du regard.

LOCAL.CONTEMPORAIN

Maryvonne Arnaud, Yves Chalas, Patrick Chamoiseau, Fabrice Clapiès, Yann de Fareins, Genevière Fioraso, Jean Guibal, Yves Morin, Bénédicte Motte, Philippe Mouillon, Pierre Sansot, Nicolas Tixier, Henry Torgue

LOCAL.CONTEMPORAIN CE N’EST PAS UNE ACTIVITÉ ORDINAIRE QUE DE S’INTÉRESSER À L’ORDINAIRE


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