la gauche #62

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#62 | 57e prix 1,50 euro

Belgie-Belgique P.B. 1/9352 bureau de dépôt bruxeles 7 P006555 mai-juin 2013

in 2013

année |mai-ju


sommaire rubrique

#62

née prix 1,50 euro | 57e an mai-juin 2013

3 Edito par Mauro Gasparini et Daniel Tanuro 4 Di Rupo de plus en plus à droite! par Guy Van Sinoy 6 La CGSP s'oppose aux projets d'Hendrik Bogaert par Jef Van der Elst 8 Quel avenir pour la gauche? par Guy Van Sinoy 1 0 Étendre les droits face à la précarité par Louis-Marie Barnier 1 2 Partenaires sociaux ou adversaires négociateurs? par Mathieu Desclin 1 3 Chypre: Encore une classe ouvrière dans les filets de la Troïka! par Herman Michiel

Ont contribué à ce numéro: Tassos Anastassiadis, Louis-Marie Barnier, Pauline Baudour, Sébastien Brulez, Martin Deby, Mathieu Desclin, Georges Dobbeleer, Matilde Dugaucquier, Mauro Gasparini, Herman Michiel, Roxanne Mitralias, Little Shiva, Daniel Tanuro, Luiza Toscane, Jef Van der Elst, Guy Van Sinoy.

1 4 stats photomontage par Little Shiva

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

1 6 Agriculture, lutte de classe et écosocialisme par Roxanne Mitralias

Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction.

1 8 L’Europe du sud en résistance par Tassos Anastassiadis

Adresse et contact: 20, rue Plantin 1070 Bruxelles, info@lcr-lagauche.be

2 0 Les soulèvements arabes ont besoin de la solidarité des travailleurs du monde entier interview de Luiza Toscane

Tarifs et abonements: 1,5 € par numéro; 8 € par an étranger: 18 € par an

24 Mobilisations par Matilde Dugaucquier 2 6 Les nôtres par Georges Dobbeleer et Guy Van Sinoy 27 Bouquins / Agenda

covers p1: Mû – http://imaginaction.over-blog.org/article-19036057.html p28: LCR/JAC

A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention “La Gauche” La Gauche est éditée par la Formation Léon Lesoil

e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles

www.lcr-lagauche.be 2 la gauche #62 mai-juin 2013

image credit

2 3 L’homophobie est une maladie sociale par Pauline Badour


édito

Le judoka et le toréador

photo: w w wglobalgrind.com

✒ par Mauro Gasparini et Daniel Tanuro ment laissé passer les mesures contre les La classe capitaliste utilise la crise pour mettre en œuvre des contre-réformes d'une brutalité inédite. Elles sont d'abord testées sur les populations du Sud et de l'Est de l'Europe, destinées à devenir pour le Nord ce que le Mexique est pour les USA. Une fois que ces pays ont subi leur ajustement structurel, c'est au tour des autres de connaître l'horreur de l'austérité. Chez nous, les pouvoirs à tous les niveaux enchaînent les mauvais coups: coupes budgétaires à hauteur de 23 milliards d'euros, baisse des salaires réels de 0,4 %, gel des salaires pour au moins 6 ans, perte de milliers d’emplois dans le secteur public, démantèlement des prépensions, limitation dans les faits des allocations de chômage dans le temps par leur abaissement radical sous le seuil de pauvreté, gel des dépenses en soins de santé, hausse des prix dans les transports publics... Comme si ça ne suffisait pas, il y a les licenciements massifs et les fermetures à ArcelorMittal, Ford Genk, Duferco, Caterpillar,… PS et Ecolo disent "sans nous ce serait pire". En réalité, ils pavent le chemin d’un gouvernement encore plus antisocial. La classe dominante ne tolère plus les syndicats que comme prestataires de services et négociateurs du recul social. Elle augmente la pression vers ce but. L'Open VLD et la N-VA veulent enlever aux syndicats la gestion des allocations de chômage. La N-VA attaque frontalement le mouvement ouvrier chrétien flamand (ACW). Or, il n’y a pas que la droite : le SP.a s’en prend au droit de grève dans les transports publics et la ministre SP.a de l’emploi, soutenue par Di Rupo, menace de sanctions en cas de non-respect du blocage des salaires dans les conventions. Tout ça ne serait pas possible sans la ligne désastreuse des sommets syndicaux qui démobilisent les travailleurs. ses avec des promenades sans revendications ni plan de bataille clairs. Pour Anne Demelenne et Rudy De Leeuw (FGTBABVV) comme pour Claude Rolin et Marc Leemans (CSC-ACV), le rôle des syndicats aujourd’hui est… d'accompagner les réformes néolibérales, de grappiller quelques miettes et de maquiller des reculs en victoires. C’est ainsi qu’on a notam-

sans-emploi, l’annualisation du temps de travail et l'engagement en intérim pour "motif d'insertion", sans possibilité de blocage syndical. Nous crions "casse-cou". Ce soi-disant "moindre mal" favorise le sauve-qui peut qui menace le syndicalisme d'une véritable débandade. On approche du point critique. La direction de l'ABVVMetaal en est la preuve: elle sabote ouvertement la mobilisation parce qu'elle ne veut pas faire chuter le gouvernement, et donne à celui-ci la main pour égaliser les statuts ouvriers-employés. Nul doute que Di Rupo en profitera pour semer encore plus de division…

La gauche syndicale doit présenter une alternative. Il faut lutter, oui. Les travailleurs des grandes entreprises menacées ont tout intérêt à coordonner leurs actions, à la base. Mais il ne suffit plus de lutter, les Grecs en savent quelque chose… Nous avons besoin d’élaborer un programme de revendications anticapitalistes à la hauteur des attaques. Nous avons besoin d'un vrai plan de sensibilisation et d'action élaboré de la base au sommet, pour faire de ce programme un projet social hégémonique. Et nous avons besoin d’une alternative politique à gauche du PS et d’Ecolo pour mettre ce programme en œuvre, contre les diktats européens.

Le chantier est immense. Il s’agit d’oeuvrer à regrouper toutes celles et ceux qui souffrent et luttent au quotidien contre ce système et d’articuler leurs luttes sur une alternative politique de classe. Une alternative à vocation hégémonique. Pour relayer les revendications, augmenter leur force de frappe, et donner une perspective permettant de reprendre confiance. Aucune force politique en Belgique ne peut actuellement remplir une telle fonction. Or, il y a urgence. C’est pourquoi le mouvement syndical doit agir. Il y a un an, la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut appelait à un rassemblement à gauche du PS et d’Ecolo. Cet appel est plus actuel que jamais. Il a reçu un premier début de concrétisation à travers la formation d’un comité de soutien, auquel s’est joint la CNE. Il s’agit maintenant d’élargir la brèche. En ce Premier Mai, la LCR s’adresse solennellement aux syndicalistes conscients: camarades, ami-e-s, ne soyez pas dupes du "gauchissement" verbal et pré-électoral du PS et du SP.a. L’heure de prendre vos responsabilités a sonné. L’indépendance syndicale ne signifie pas l’apolitisme, qui est une politique mortelle. Faute d’alternative anticapitaliste, la lutte des classes, d'un combat de judo, se transformera en corrida. Avec le capital dans le rôle du toréador. ■ la gauche #62 mai-juin 2013

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politique

Di Rupo de plus en plus à droite! • préserver l'assimilation des périodes d'inactivité à des Le gouvernement Di Rupo a été années de travail dans le calcul formé le 5 décembre 2011 sur base d'un de la pension. Les difficultés de la vie programme socio-économique néolibéral (licenciement, maladie, invalidité,...) après plus de 500 jours de négociations. peuvent entraîner une perte de revenu Mais plus les négociations ont duré, plus substantielle durant la vie active. Il est les efforts imposés à la population se sont légitime que ces personnes durement touchées par la vie conservent leurs droits alourdis. La note Di Rupo de juillet 2011 pré- à la pension; voyait 2,3 milliards de mesures d'austérité, • élargir ces périodes assimilées aux l'accord final de novembre 2011 s'est fait période d'inactivité pour cause de soins à sur base de 4,3 milliards de coupes bud- un enfant gravement malade." gétaires. A l'inverse les nouvelles recettes • Non! Vous ne rêvez pas! C'était bien fiscales, prévues initialement en juillet le programme électoral d'Elio en 2010, 2011 à 4,7 milliards, ont été réduites à 2,5 le même Elio qui dans son programme gouvernemental de novembre 2011 a milliards en novembre 2011. décidé: Recettes fiscales revues • le recul de l'âge minimal de la prépension à la baisse de 58 à 60 ans, le nombre d'années de carrière pour Note Di Rupo Gouvern. Di Rupo entrer en ligne de compte (juillet 2011) (novembre 2011) étant porté de 38 à 40 ans. Fin 2014, il y aura Plus-values sur actions 200 000 000 € 150 000 000 € une évaluation et l'âge minimal pourrait être Intérêts notionnels 1 400 000 000 € 557 000 000 € porté à 62 ans; • l ' â g e m i n i m u m Impôt sur la fortune 500 000 000 € 0 € pour partir en pension anticipée passe de 60 à 62 ans et les conditions Précompte mobilier 1 200 000 000 € 900 000 000 € de carrière passent de 35 à 40 ans; Voitures de société 500 000 000 € 200 000 000 € • le chômage de la 3e période et les périodes de Mais quand on compare le programme prépension avant 60 ans sont désormais gouvernemental de Di Rupo Ier, et le valorisées sur base du droit minimal par programme électoral de 2010 du même Di année de carrière (au lieu du calcul sur Rupo, l'écart est encore plus grand. C'est base du dernier salaire mensuel brut); • l'assimilation des périodes de créditcarrément Docteur Jekyll et Mister Hyde! temps prises sans un certain motif est Pensions: Docteur Di Rupo limitée à 1 an. Au-delà, cela constitue un et Mister Elio trou dans le calcul de la future pension. Le chapitre sur les pensions ("Une pension sereine"), du programme électoral SNCB: "Le PS est du PS en 2010 mérite d'être cité: fondamentalement opposé à Le PS entend: la libéralisation des services • maintenir l'âge légal de la pension: publics" retarder le droit d'accéder à la pension n'a C'est ce qu'on peut lire dans le pas de sens alors qu'en Belgique, la plupart programme électoral de 2010 du PS. des travailleurs sont (pré)pensionnés à Comme dit le proverbe: "C'est au pied du l'âge de 60 ans! mur qu'on voit le maçon!".

✒ par Guy Van Sinoy

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En 2011, avant la formation du gouvernement Di Rupo, la SNCB avait dû réaliser 50 millions d'économies. Di Rupo une fois installé dans le fauteuil de Premier ministre, décide d'appliquer au rail un plan d'austérité (2012-2014) cinq fois plus lourd: 473 millions! (253 millions en 2012, 80 millions en 2013, 140 millions en 2014). A peine assis à la table du gouvernement, les ministres Open VLD (De Croo, De Block) déposent une proposition de loi pour la scission complète d'Infrabel et de la SNCB car selon eux "la situation actuelle empêche que la SNCB travaille selon la situation du marché, ce qui est contre-productif et n'est pas justifiable". Paul Magnette, ministre des Entreprise publiques, répondra aux vœux de ses collègues libéraux en scindant la SNCB en deux entités en janvier 2013. Heureusement que le PS était opposé à la libéralisation, sans quoi on se demande ce que cela aurait donné! Rassurez-vous, nous n'allons pas passer en revue le catalogue des promesses électorales du PS non tenues car il y aurait de quoi remplir ce journal. Mais il est important de comprendre la dynamique: le PS suit une dérive inexorable vers la droite et cette dérive va en s'accélérant.

On entend parfois certains responsables politiques du PS geindre: "Oui, mais c'est pas nous, c'est les libéraux!" Comme disait Daniel Piron le Premier Mai 2012 à Charleroi: "C'est faire insulte à notre intelligence!" Le Premier ministre assume la politique de TOUT son gouvernement. Et s'il ne l'approuve pas, il n'a qu'à démissionner!

w w w.presscenter.org/fr/file/dirupoijpg

Di Rupo est responsable de l'ensemble de la politique de son gouvernement


dessin: ex trait de "Pulp Libéralisme" – http://editions-tulys.fr

• la modification de la distance (de 25 à 60 km) comme critère d'emploi convenable en matière de chômage; • la suppression de la prépension à mi-temps; • les jeunes qui quittent l'école devront désormais attendre un an avant de toucher une indemnité; • l'instauration de la Loi Salduz (assistance d'un avocat lors de l'interrogatoire) sans étude de faisabilité pour les avocats, les juges d'instruction, les policiers, les procureurs; • un conclave budgétaire de mars 2013 (2,5 milliards de nouvelles "économies"); • l'arrêt du recrutement dans la fonction publique fédérale; • un simulacre de blocage des prix de l'énergie; • un durcissement de la politique d'accueil des demandeurs d'asile et instauration d'une "carte bleue" pour les ressortissants de pays tiers hautement qualifiés; • la reconduction de la loi sur les sanctions administratives (SAC); • la diminution des allocations de chômage des chefs de ménage, des isolés et des cohabitants à partir du 1er novembre 2012; • le refus d'entériner 25 CCT sectorielles 2011-2012 qui dépassent la norme salariale de +0,3%; • le durcissement des conditions de libération conditionnelle; • le non respect des règles de concertation sociale avec les syndicats de la Fonction publique fédérale; • une réforme du Code de la nationalité restreignant l'accès à la nationalité belge; • l'introduction de la TVA sur les honoraires d'avocat (que les particuliers ne peuvent pas déduire); • l’introduction des produits blancs dans l'index des prix à la consommation; • le blocage des salaires par le biais de la norme salariale;

Le centre de gravité du gouvernement fédéral est de plus en plus à droite • l'adaptation de la norme salariale de 1996 de manière à pouvoir bloquer les salaires pour une durée indéterminée; • la mise hors jeu des organisations syndicales pour les négociations interprofessionnelles, de secteur et d'entreprise; • 400 millions supplémentaires de réduction de cotisations patronales à la sécurité sociale; • l'introduction de mécanismes favorisant la flexibilité du temps de travail (horaires glissants, hausse du plafond des heures supplémentaires,...); • la hausse de la taxation sur les assurances-vie; • la limitation à 30% (au lieu de maximum 40%) de la déduction fiscale de l'épargne-pension; • la baisse du plafond de déduction du remboursement hypothécaires pour un logement; • la limitation à 30% (au lieu de maximum 40%) de la déduction fiscale des frais de crèche; • la réduction fiscale pour garde d'enfants passe de 50% maximum à 45%; • la réduction fiscale pour la sécurisation d'une habitation passe de 50% maximum à 30%; • la réduction fiscale pour l’isolation du toit passe de 40% à 30%; • les réductions d'impôts pour maisons à basse énergie sont supprimées; • la suppression de la réduction d'impôt pour l'entretien d'une chaudière ou le placement de double vitrage; • la fin du système des prêts verts; • une nouvelle hausse des accises sur le tabac et sur l'alcool; • une nouvelle amnistie fiscale pour les riches fraudeurs; • la baisse de 5% des allocations de chômage temporaire; • le soutien de l'aviation militaire belge à l'intervention impérialiste française au Mali; • le 1er novembre 2015, 40.000 personnes seront exclues du chômage; Et la liste continuera...

politique

Passons en revue les cochonneries pondues par ce gouvernement Di Rupo:

Bien entendu toutes les péripéties du gouvernement Di Rupo ne sont toujours à mettre sur le compte de son premier Ministre. Ainsi, l'éviction de Steve Van Ackere, vice-Premier ministre en charge des Finances, est le résultat des tripatouillages de l'ACV avec les institutions financières. Mais Van Ackere, étiqueté ACV, a dû céder son poste de vice-Premier à Pieter De Crem, nettement plus à droite. D'autre part, la politique de droite du gouvernement Di Rupo laisse les coudées franches à ses ministres de droite (De Croo, Laruelle, Reynders, Turtelboom, Chastel, De Block, Bogaert) qui se permettent de mettre de l'huile sur le feu de la politique néolibérale au moyen de déclarations provocatrices.

Toujours debout ce gouvernement ? La raison fondamentale pour laquelle le gouvernement Di Rupo reste debout ne tient pas à sa force ni à sa cohésion politique, mais à la faiblesse de l'opposition politique des directions syndicales qui ont une peur bleue de le faire tomber et d'ouvrir ainsi la voie à des élections anticipées dont la NV-A tirerait profit. Mais à quoi bon tolérer ce gouvernement de coalition qui mène politique de droite sous prétexte qu'un gouvernement de droite homogène mènerait une politique encore plus à droite? On votera de toute façon l'an prochain! En pleine crise capitaliste, le choix n'est pas entre la peste et le choléra, entre une politique néolibérale et une politique super-libérale. Les travailleurs ont besoin d'un gouvernement qui mène une politique anticapitaliste qui leur rende ce qui leur a été volé au cours des vingt dernières années. Cette bataille n'est pas seulement sociale. Elle est aussi politique car elle implique l'émergence d'une nouvelle force politique de gauche capable d'être le haut-parleur de la résistance sociale à l'austérité. Et de ce point de vue, le premier anniversaire de l’Appel de la FGTB de Charleroi pour rassembler une force politique à gauche du PS et d’Ecolo tombe à pic. ■ la gauche #62 mai-juin 2013

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Fonction publique fédérale

La CGSP s'oppose aux projets d'Hendrik Bogaert ✒ par Jef Van der Elst Le jeudi 28 mars s'est tenue une réunion du Comité CGSP des sous-secteurs fédéraux. Il s'agit de la coupole syndicale CGSP pour toutes les administrations publiques fédérales (Affaires étrangères et Coopération, Défense, Economie, Emploi, Finances, Intérieur, Justice, Mobilité et Transport, Personnel et organisation, Santé publique, Sécurité sociale, etc.) En tout, quelque 80 000 agents. C'était une réunion importante car les délégués devaient prendre position sur les dernières propositions d'Hendrik Bogaert, le secrétaire d'Etat (CD&V) à la Fonction publique et de la Modernisation des Services Publics, au sein du gouvernement Di Rupo.

Dynamisme?

Nous avons relaté que le dynamisme effréné d'Hendrik Bogaert a déjà provoqué, le 7 février dernier, une manifestation syndicale et une pétition signée par près de la moitié des 80 000 fonctionnaires concernés. Après avoir "modernisé" (c'està-dire réduit) les indemnités pour les heures supplémentaires et le travail de nuit ("fonctionnaire" ne désigne pas seulement des personnes qui accomplissent du travail de bureau mais aussi ceux et celles qui travaillent sur le terrain le jour, la nuit, le week-end: douaniers, militaires, divers services d'inspection, gardiens de prison, policiers, etc.), après avoir sabré dans les possibilités de prendre une pausecarrière, après avoir fait sauter les primes de formation certifiée, après s'être vanté de réduire de 2 200 l'effectif du personnel fédéral, voilà notre Hendrik Rambo qui veut réformer la carrière de 80 000 fonctionnaires fédéraux.

Tribunal administratif

Comme le gouvernement Di Rupo suit une dynamique de centre-droit, Bogaert en profite pour traduire rapidement ses conceptions néolibérales en actes. Plus précisément, il met trois propositions sur table. La première concerne la création d'un tribunal administratif. Selon ses propres termes, afin d'éviter que le Conseil

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d'Etat ne soit pas encombré d'une foule de contentieux administratifs concernant le personnel (nominations contestées, promotions, etc.) Ce nouveau tribunal serait en pratique composé de juges à la retraite. Dans ce projet, le Conseil d'Etat n'interviendrait plus dans les questions administratives que pour casser des jugements antérieurs (un peu comme la Cour de Cassation qui n'intervient pas sur le fond de l'affaire mais sur la procédure et oblige à recommencer le recours depuis le début). Ce qui dérange le plus Bogaert, c'est que le Conseil d'Etat donne souvent raison aux fonctionnaires qui introduisent un recours.

Évaluation

Sa seconde proposition porte sur une nouvelle méthode d'évaluation. Depuis plusieurs années (à l'exception toutefois du SPF Finances, le plus gros des Services Publics Fédéraux) un système dit de "cercles de développement" existe dans les administrations fédérales. Ce système sera désormais "affiné". En lieu et place des critères actuels d'évaluation ("satisfaisant" ou "insatisfaisant") une autre échelle de critères est introduite: "à développer", "rencontre les objectifs" et "exceptionnel". A première vue, cela semble anodin. Mais cette nouvelle échelle de critères est directement liée à la troisième proposition de Bogaert sur la réforme des carrières pécuniaires des fonctionnaires fédéraux.

Ralentir la progression de carrière

Pour la première fois, l'évaluation d'un fonctionnaire par son supérieur hiérarchique aura des conséquences pécuniaires. Jusqu'à présent, ce n'était le cas que pour l'évaluation "insuffisant". Le fonctionnaire qui ne donne pas satisfaction pourrait désormais soit subir un blocage de carrière, soit même être licencié. Il pourrait aussi y avoir des conséquences pécuniaires pour celui ou celle qui n'atteint pas au moins la cote "rencontre les objectifs". Entrer dans plus détails nous mènerait trop loin. Mais l'essentiel est que quiconque obtiendra la note "insatisfaisant" ou "à

améliorer" verra désormais sa carrière pécuniaire bloquée. Ceux et celles ayant une note "exceptionnel" pourront voir leur carrière s'accélérer. Bien entendu, la note "exceptionnelle" ne sera accordée qu'exceptionnellement! Bogaert voudrait faire avaler le fait qu'un blocage ou un retard de carrière ne dépend que de la volonté du fonctionnaire concerné à s'impliquer dans son travail. C'est pourquoi il prévoit une phase de "remédiation". En pratique un retard dans l'évolution de la carrière pèsera pendant toute la carrière de l'agent concerné. En plus clair: cela risquera de se produire si vous ne plaisez pas à votre chef direct en raison de vos opinions, de vos apparences ou de tout autre critère subjectif.

Mesures d'austérité

Il ne fait aucun doute que ces mesures s'inscrivent dans un plan général d'austérité pour le personnel des services publics fédéraux. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les chiffres des tableaux comparatifs entre la situation actuelle et le plan de carrière à la sauce Bogaert. De plus, l'agent qui se trouve à l'échelle de salaire la plus élevée de son niveau et bénéficie de l'indemnité de compétence (à la suite de la réussite d'une formation certifiée) ne sait pas s'il conservera cette indemnité après le 1er janvier 2014. Pour certaines catégories, cette prime de compétence représente une situation transitoire avant de pouvoir passer, après un certain nombre d'années, à une progression dans l'échelle de traitements, Il s'agit donc bien de mesures d'austérité.

Gel des rémunérations

Certaines carrières spécifiques (notamment au SPF Finances et au SPF Justice) ont des barèmes spécifiques légèrement plus favorables (ex: le 22B) qui deviennent inaccessibles, alors que des fonctionnaires remplissent les conditions nécessaires pour y accéder. Comme Bogaert a finalement décidé de remettre tout le monde à zéro pour l'application des nouvelles règles de progression pécuniaires,


Diviser pour mieux régner

Bogaert est suffisamment intelligent pour comprendre la levée de boucliers que ses propositions vont soulever. Aussi, il veille à ce que certaines catégories de personnel s'en sortent un peu mieux. Par exemple, les agents de niveau D, les contractuels et le personnel de cuisine pourront mieux progresser. Pour ceux qui sont actuellement en service, la carrière pécuniaire pourra progresser plus vite que dans la situation actuelle. La prime de fin d'année augmentera de manière relative pour un certain nombre d'agents mais cela coûtera peu au Trésor public. D'abord parce que cela ne concernera qu'un nombre limité d'agents. Mais surtout parce que le blocage ou le retard de progression dans la carrière carrière pécuniaire de l'ensemble des agents dégagera des marges budgétaires.

Une politique de nivellement par le bas

Les nombreux militants syndicaux présents à la réunion du 28 mars ont complètement démonté les propositions du plan Bogaert, les qualifiant "d'inacceptables". Plusieurs intervenants ont souligné que ces propositions s'inscrivent en ligne droite de la gouvernance européenne et ils ont insisté sur les conséquences négatives d'une telle politique pour la société dans son ensemble, en faisant notamment référence à la situation en Grèce, en Irlande, et en Espagne. Certains ont fait part de leur inquiétude quant à l'attitude de la CCSP (Centrale chrétienne des Services publics) actuellement divisée sur le plan interne.

Action et communication

Bien que les dirigeants syndicaux ne se soient pas prononcés, plusieurs intervenants ont exhorté la direction syndicale à ne rien concéder ni à se replier

sur un compromis. Les militants ont insisté sur la nécessité de passer à l'action et sur le besoin d'une bonne communication pour expliquer largement les raisons des actions syndicales. "Nous devons bien entendu nous opposer à de telles mesures de régression sociale et, de plus, nous refusons d'aller vers une société où "L'homme est un loup pour l'homme!", s'est exclamé un délégué en faisant référence aux nouvelles procédures d'évaluation pour l'évolution de la carrière.

Fonction publique fédérale

il faudra trois ans de plus avant que ne s'ouvrent des opportunités de progression de carrière. De facto cela revient donc à un gel des rémunérations pour tous les fonctionnaires fédéraux.

Un plan d'action?

Finalement, l'assemblée a décidé à l'unanimité que la réponse à donner au plan Bogaert était un vigoureux "Non". Si le Secrétaire d'Etat persiste et ne modifie pas favorablement ses propositions, le début des négociations officielles coïncidera avec les premières actions. La réunion s'est clôturée sans adopter expressément un plan d'action mais la proposition d'un intervenant de commencer par des journées d'actions provinciales culminant avec une mobilisation nationale a été chaudement applaudie par la salle. Il a été convenu entre tous de faire connaître rapidement la position de la CGSP auprès de l'ensemble du personnel et à l'opinion publique. Il est clair que le dernier mot sur ce dossier n'a pas été dit. ■

Hendrk Bogaert

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débat LCR-PTB

Quel avenir pour la gauche? ✒ by Martin Deby Dans le cadre de l’école anticapitaliste de printemps de la Formation Léon Lesoil, le samedi 16 mars dernier, notre camarade Peter Veltmans (de la Direction nationale de la LCR-SAP) a débattu des perspectives de la gauche avec Peter Mertens (président du Parti du Travail de Belgique). L’intérêt des échanges était rehaussé par les interpellations de trois "discutants": Alda Sousa (eurodéputée du Bloco de Esquerda portugais), Leo De Kleijn (chef de fraction SP au Conseil municipal de Rotterdam) et Daniel Piron (secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB de Charleroi). Nous publions ci-dessous un ample compte-rendu essentiellement informatif.

Destruction et despotisme

Peter Veltmans ouvrit la discussion en dressant un bref panorama de la situation actuelle, une situation "sérieuse et qui ne peut hélas qu’empirer" car "le travail reste la seule variable sur laquelle les Etats européens ont encore prise", de sorte que 'la destruction de l'Etat providence' ne peut que se poursuivre". "Il faudra donc continuer à manipuler l’index, diminuer les salaires, allonger le temps de travail, reculer l’âge de la retraite, flexibiliser et précariser". Cette offensive se fait "dans le cadre d’un despotisme européen" puisque les budgets des Etats membres sont soumis à la Commission avant d’être discutés par les parlements nationaux - en violation du vieux principe libéral "no taxation without representation"(pas de taxation sans représentation, ndlr). Tout cela ne peut conduire qu’à plus de frustrations parmi des couches très larges de la population.

Social-libéralisme et PTB

La social-démocratie participe à cette attaque. Elle n’a pas tiré la moindre leçon de sa débâcle grecque. On le voit clairement en France. En Flandre, le Sp.a a perdu sa base populaire et syndicale. "La même politique, avec les mêmes conséquences, ne peut qu’entraîner les mêmes résultats". Dans ce contexte, le début de percée électorale du PTB constitue "un bol d’air pour toute la gauche", estime Veltmans. Il n’est plus question de "petite gauche": on

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discute la possibilité de réponses de gauche. Surtout, il y a un début de débat au sein du mouvement syndical sur le prolongement politique. Pour le PTB, la conclusion peut paraître simple: "Continuons à construire le PTB jusqu’à ce qu’il devienne la seule force de gauche crédible, le seul prolongement politique du mouvement ouvrier et la seule expression de toute lutte, syndicale ou autre".

Partage des tâches

"Mais ce n’est pas si simple", selon Veltmans. "Il existe en effet dans le mouvement syndical une conception très répandue sur le partage des tâches: la politique c’est une chose, le syndicalisme une autre". S’il va à l’encontre de cette conception, le PTB risque de transformer des partisans potentiels en adversaires au sein de la structure syndicale (d’où son comportement très prudent dans le conflit autour du SETCa BruxellesHal-Vilvorde, ou autour de l’Appel de la FGTB de Charleroi). D’un autre côté, en étant trop prudent, le PTB risque d’être suiviste, ce qui pourrait lui faire perdre sa crédibilité. La question se pose : le PTB donnera-t-il la priorité aux luttes ou à des calculs électoraux?

Modèle de parti

Veltmans enchaîna avec une deuxième remarque. "On voit partout apparaître de nouveaux mouvements spontanés, composés surtout (mais pas uniquement) de jeunes." Et de se référer au Mexique, au Québec, à l’Espagne, aux Occupy, etc. "Le modèle de parti rigide que le PTB a hérité du stalinisme risque de ne pas convaincre dans ces milieux". Veltmans pointa un troisième problème: l’afflux de nouveaux membres, candidats sur les listes et élus. Quoique toute organisation ne puisse que se réjouir d’un tel afflux, il y a ici aussi un risque de frictions avec le modèle de parti du PTB. Veltmans se prononce pour un modèle de parti léniniste, dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire sans les tendances autoritaires. Et d’appeler le PTB a évoluer dans ce sens.

Hégémonie et pouvoir

Pour Veltmans, la classe ouvrière a par ailleurs besoin aujourd’hui d’un parti de classe qui conteste l’hégémonie de la

social-démocratie en posant la question du pouvoir. "Un parti qui veut rompre avec l’Union Européenne pour œuvrer à une autre Europe, socialiste". Il ne pense pas que ce besoin puisse être satisfait "par une croissance linéaire du PTB". Selon lui, cette croissance peut déboucher sur la conquête de sièges parlementaires. Mais il doute que cela permette d’aller vers la naissance d’un parti de classe à ambition hégémonique, capable de poser la question du pouvoir. Selon lui, il faudrait pour cela regrouper toutes les forces qui sont en faveur d’un tel parti. Le PTB devrait jouer un rôle important à cet égard. Mais, premièrement, "une adaptation du modèle de parti du PTB dans un sens moins rigide ne ferait pas de mal". Deuxièmement, une clarification est attendue sur le type de socialisme que veut le PTB: "Faire fonctionner le Parlement autrement, comme proposé dans le livre de Peter Mertens, cela suffit-il? Ne faut-il pas aller plus loin et proposer d’autres formes de démocratie, basée sur les conseils?"

Stratégie du choc

Dans sa réponse, le président du PTB commença lui aussi par évoquer le cadre général en soulignant que la crise pèse négativement sur les rapports de forces. "Il ne s’agit pas seulement de la crise financière-économique mais aussi de la désindustrialisation à grande échelle au Limbourg, à Liège, dans le Hainaut… Ajoutez-y le travail de sape des droits démocratiques et les appels ouverts d’un Karel Van Eetvelt à appliquer une stratégie de choc contre les acquis du monde du travail, et il est clair que nous devons faire face à une période très difficile". "Nous devons donc, selon Mertens, élaborer une stratégie à moyen terme, au-delà des prochaines élections!"

A moyen terme, repolitiser

Personne ne peut sortir une telle stratégie de sa poche, dit Mertens. "Cela demande une recherche, avec des hauts et des bas et avec le pragmatisme nécessaire. Le PTB n’a donc pas toutes les réponses. Nous devons nous demander quelles sont les orientations et les méthodes que nous pouvons maintenir et celles que nous devons changer. Il faut partir de la réalité concrète. Il n’y a pas une orientation valable partout".


parfaitement possible d’accorder le droit de tendance uniquement dans les périodes de congrès, ce qui n’exclut nullement de serrer les rangs ensuite dans l’application des décisions majoritaires". Il pointa de nombreux exemples montrant que le

Thomas Weyts, Peter Mertens, Peter Veltmans

Formation et modèle de parti

Mertens ne nie pas le risque de "social-démocratisation que peut représenter l’afflux de nouveaux membres au PTB, c’est pourquoi celui-ci donne "une formation accélérée" aux nouveaux arrivants. Sur le modèle de parti, Mertens insista sur le fait que le PTB est "une organisation vivante au sein de laquelle on débat énormément." Mais "débattre est une chose, décider en est une autre. Et quand une décision est prise, il faut serrer les rangs. Il n’y a donc pas de place pour les tendances, mais nous avons des congrès réguliers." Mertens expliqua aussi que le PTB a beaucoup investi sur le terrain de la communication. Un investissement qui a contribué à ses succès électoraux, selon lui. Un autre facteur étant le travail de construction continu "dans les quartiers, les écoles et les entreprises, dont je suis fier et que nous devons poursuivre de toute manière".

Perspective politique

Les "discutants" intervinrent alors. Notamment Daniel Piron (FGTB Charleroi), qui souligna que les organisations syndicales constituent un obstacle pour la classe dominante à l’offensive mais ont, en même temps, "grand besoin d’une perspective politique, si elles ne veulent pas être continuellement poussées sur la défensive". "Il s’agit de faire émerger une initiative de rassemblement qui peut avoir le soutien de couches très larges de la population laborieuse". "Le PTB est-il prêt à s’engager dans une collaboration à gauche en vue d’une alternative politique, demanda-t-il?"

photos: LCR

Fractionnalisme? Ensuite, Peter Veltmans approfondit la question du modèle de parti, en soulignant que ce droit n’implique pas nécessairement le fractionnalisme. "Il est

face à d’autres organisations de gauche en Europe. Sur le droit de tendance, il réaffirma son scepticisme. Concernant l’appel de la FGTB de Charleroi, il souligna l’implication positive du PTB tout en demandant "davantage de discussion"

débat LCR-PTB

Répondant à Veltmans, Mertens insista sur le fait que le PTB ne s’inscrit pas dans une division des tâches entre syndicat et parti. Il plaide au contraire pour une "repolitisation" généralisée. "Chacun doit reprendre son sort en mains et se mobiliser pour les intérêts collectifs!"

droit de tendance est en fait une condition pour la construction d’un contrepouvoir hégémonique et ajouta que l’absence de droit de tendance implique le risques de "la consolidation d’un noyau dirigeant ayant tendance à ne pas supporter la critique".

Timing

Leo De Kleijn, Daniel Piron, Alda Sousa

Contrairement à Mertens, Veltmans ne voit pas l’appel de la FGTB de Charleroi comme une affaire locale, car le mouvement ouvrier ne peut pas rester sans réponse politique à la crise. "Nous n’avons que 5 à 10 ans. Attendre que le PTB soit assez grand, ce n’est pas une option". Ceci dit, pour Veltmans, l’appel de Charleroi n’est pas une machine de guerre contre le PTB: "Le but n’est pas de remplacer le PTB ou qui que ce soit mais de contester l’hégémonie du PS et de le faire à relativement court terme".

entre les partenaires, et pas via les médias. Au nom du pluralisme, il appela à l’autonomie des partenaires – donc aussi du PTB – impliquant qu’on n’essaie pas via une collaboration de remplacer le PTB. Enfin, il mit en garde contre la tentation de confondre Liège et Charleroi. Un débat intéressant, dont le dernier mot n’a pas été dit. ■ Retrouvez l'intégralité du compte-rendu du débat sur notre site www.lcr-lagauche.be.

Pluralisme Peter Mertens répéta son plaidoyer en faveur de l’approche pragmatique du PTB la gauche #62 mai-juin 2013

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social

Étendre les droits face à la précarité ✒ par Louis-Marie Barnier En Belgique, les négociations sur le statut ouvrier/employé sont à l'agenda. Ce texte de Louis-Marie Barnier (extrait d'une intervention à l’école anticapitaliste de printemps de la Formation Lesoil), militant et formateur CGT, tombe donc à pic. Car ces négociations concernent surtout les travailleurs en CDI (ex: la durée du préavis) et beaucoup moins les travailleurs précaires dont le nombre ne cesse d'augmenter. La précarité n’est pas nouvelle pour le mouvement ouvrier. On peut dire qu’elle a été longtemps la norme pour les ouvriers. En France, deux régimes se sont longtemps côtoyés, celui des ouvriers payés à l’heure et celui des salariés mensualisés. Les premiers pouvaient donner leur préavis facilement, c’est sans doute la rareté de la main-d’œuvre qualifiée qui formait la base de leur statut. Les seconds tiraient leur statut de leur stabilité dans l’entreprise, et d’abord de la confiance de leur employeur. Les années d’expansion d’après 1945 s’appuient sur l’aspiration à la stabilité de l’emploi. C’est dans les années 1960 que s’opère le basculement. La mensualisation des ouvriers (acquise en France en Mai 68) facilite le rapprochement entre ouvriers et employés: la stabilité devient la norme. La crise économique de 1973 bouleverse tout. Le syndicalisme est confronté à son mode de construction, autour des secteurs les plus organisés de la classe ouvrière. La précarité augmente,des pans de la classe ouvrières sont relégués dans des emplois précaires, ses noyaux les plus combatifs sont attaqués voire même disparaissent (privatisation, restructurations industrielles). La précarité envahit le paysage social: 12,3% des 25,8 millions d'emplois en France sont aujourd'hui précaires. Nous utilisons le terme de précaire au sens large: salariés en CDD ou en intérim, salariés des petites boîtes de soustraitance, sans-papiers, jeunes sous contrat dérogatoire. Nous refusons le terme de "précariat", qui supposerait qu’une partie du salariat deviendrait un groupe de

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référence où la précarité serait la norme. Nous considérons au contraire qu’une partie du salariat reste stable et organisée, et que ce segment même attaqué de toutes parts est à même de construire des formes de solidarité s’il en fait un de ses objectifs.

Un mode de construction concentrique remis en cause Le salariat s’est historiquement construit autour de grandes différenciations: grandes entreprises ou petites, insertion en zones urbaines ou péri-urbaines, salariés plus ou moins stables dans une même entreprise, différenciation des rôles au sein de l’organisation du travail. Le patronat joue de ces différences, pour déqualifier une partie de la main d’œuvre, la surexploiter. Le syndicalisme s’est historiquement appuyé sur les groupes "emblématiques", porteurs d’un modèle masculin d’ouvriers qualifiés de la grande entreprise, qui ont construit un rapport de force et leur a permis d’acquérir une position salariale, une capacité d’évolution professionnelle à travers un bagage de connaissances reconnues, une capacité d’autonomie dans le travail. Les autres secteurs de l’entreprise bénéficiaient, par un travail syndical d’extension, de ces acquis. Les acquis sociaux les plus symboliques (réduction du temps de travail, allongement de la durée des congés payés) étaient d’abord gagnés par les secteurs plus combatifs puis étendus au reste du salariat. Un processus d’intégration progressive dans ce noyau de certains précaires complétait le dispositif (embauche des salariés précaires en CDI après un certain temps, embauche des soustraitants dans la plus grande entreprise). Même la précarité des jeunes constituait un "sas" vers les emplois en CDI. La surreprésentation des ouvriers qualifiés dans le mouvement syndical était donc rendue légitime: ils étaient les ouvriers les plus écoutés par la direction, ceux qui savaient le mieux s’exprimer. Ces syndicalistes avaient la légitimité car ils savaient faire bénéficier de leurs acquis les couches périphériques. La crise remet en cause cette situation. La progression des droits sociaux s’est muée en une régression,

à commencer pour les salariés les plus précaires, dont les groupes auparavant "emblématiques" ne peuvent plus prendre en charge la défense. Pourtant des pistes de mobilisation existent.

Réglementer le travail face à la déréglementation de l’emploi La santé au travail des salariés précaires est une question encore peu étudiée. Le taux d’accident des salariés en contrat précaire est largement supérieur à la moyenne. Les salariés en sous-traitance se voient affectés aux travaux les plus sales, les plus dangereux. Ils sont aussi les plus exposés aux accidents du travail et maladies professionnelles. Les immigrés se voient affecter au travail pénible, bénéficient d’une couverture médicale moindre et ont des itinéraires de vie plus chaotiques. Ces salariés sont moins en capacité de refuser les situations dangereuses. Ils ne reçoivent pas les formations ou les équipements de sécurité adéquats. A partir de là, en France, des mesures sont proposées pour encadrer le travail à travers une réglementation renouvelée. Le contrôle collectif opéré auparavant par les militants syndicaux n’étant plus efficace de par l’éclatement du salariat en entreprises ou statuts différents, la loi peut s’immiscer dans l’organisation du travail. Les règlements en matière de santé au travail représentent des milliers de pages. Les règlements s’accumulent quand il s’agit de sous-traiter une activité dangereuse: les modalités d’information de l’entreprise intervenante, les protections pour le salarié sont décrites. D’un certain point de vue, le


photo: LCR

Des droits attachés à la personne?

Un autre volet de revendications vise à attacher des droits à la personne. Les droits traditionnels sont liés à une situation d’emploi, système dont sont exclus les salariés précaires. Le mouvement syndical commence à réfléchir autrement

et dès 2000 la CGT ouvre des pistes pour un nouveau statut du travail salarié. Elle propose de lier l'organisation de nouveaux droits (mobilité, permanence de la rémunération, accès à la formation, couverture sociale…) et de partager les coûts correspondants entre les employeurs. Il s’agit donc de reconstruire le salariat autour d’une "sécurité sociale professionnelle", comme la sécurité sociale avait pu le faire dans la période précédente. Il s’agit de lier les droits non à un statut d’emploi dégradé, mais à un statut salarial généralisé. Une telle ambition se heurte évidemment à la dégradation du rapport de force. Comment imposer de nouveaux droits recouvrant aussi les millions de chômeurs et précaires, quand les luttes sont majoritairement sur la défensive? Ce projet doit bien entendu se différencier des tentatives libérales où la déconnexion entre le revenu et l’emploi permettrait une liberté totale du licenciement. Une approche complémentaire de ce projet de sécurité sociale professionnelle s’appuie sur les rapports de force existant pour étendre les droits. La lutte des salariés sous-traitants de Roissy pour la reprise à 100% des salariés en cas de passation des marchés s’inscrit dans ce projet. La mise en place d’institutions communes de représentation, notamment des Comité de Sécurité et Hygiène de site, relève de la même démarche. La notion d'employeur (en tant que donneur d’ordre, direction de groupe, employeur de l’entreprise utilisatrice, etc.) devient une nécessité pour intégrer les précaires dans un statut commun. Cette autre démarche repose sur une vérité, le travail collectif rassemble les salariés, au-delà des statuts divers. Le syndicalisme est fondamentalement une

émanation du travail, il constitue une des expressions de son organisation. La construction de droits collectifs, au niveau de l’ensemble du salariat, relève d’une démarche politique.

social

contrôle opéré par la loi se substitue au contrôle opéré par le collectif de travail. A la déréglementation de l’emploi répond la réglementation du travail. Un constat s'impose toutefois: la nonapplication de toutes ces procédures. Des lois se surajoutent à des règlements, alors que les motifs de recours aux contrats précaires sont contournés en permanence. Si l’on reconnaît un travail dangereux pourquoi ne pas simplement interdire le recours à des salariés précaires pour toute travail dangereux nécessitant des protections, une formation et un suivi médical particuliers, toutes choses dont sont exclus les salariés précaires? Une liste de ces activités interdites existe en France, mais reste très largement limitée. La prise en charge par le mouvement syndical de la protection de ces salariés précaires passe par une démarche de contrôle permettant d'interdire l’emploi de précaires dans des activités reconnues comme dangereuses (en imposant le passage en CDI des salariés affectés à ces tâches). Tout droit acquis par ces groupes précaires contribue à briser le mécanisme de surexploitation et réduit d’autant l’intérêt pour les employeurs d’y recourir. Encore faut-il que l’État joue son rôle… et que le mouvement ouvrier accepte son immixtion dans l’entreprise et la relation de travail.

Unifier la classe ouvrière Il faut noter l'absence, dans ce débat sur la précarité, des précaires euxmêmes. Pour les plus précaires, pour les sans-papiers, la grève, à travers le blocage du système, signifie la reconnaissance de leur rôle dans le système productif. Mais on peut mesurer la difficulté de telles luttes, car elles ont rarement un cadre de dialogue social pour s’exprimer et les positions les plus marginales au travail s’accompagnent d’une idéologie de mépris, une domination symbolique qui retire le droit même de se mobiliser. Une approche de la relation entre syndicalisme et précarité pourrait justement bâtir cette solidarité, transgressant les frontières de l’entreprise et des statuts différents, à travers des formes de mobilisation nouvelles. Une campagne nationale pour le droit de toutes et tous à la santé au travail est nécessaire.L’unification de la classe ouvrière pour, au-delà de ses contradictions, la transformer en "sujet historique", reste donc un enjeu commun du mouvement syndical et des partis politiques. ■ (1) En 2012, 378 730 travailleurs ont été engagés sous contrat d'intérim en Belgique. Ils ont totalisé 165 millions d'heures de travail, ce qui équivaut aux nombres d'heures prestées par 94 000 personnes qui travailleraient à plein temps pendant toute l'année. (Chiffres issus du rapport Federgon, 4e trimestre 2012).

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✒ par Mathieu Desclin Tous les jours, médias, hommes politiques, "spécialistes" et même porte-parole des grandes organisations syndicales nous abreuvent du terme de "partenaires sociaux", pour désigner les représentants des travailleurs et ceux du patronat lorsque des négociations les mettent face à face. Ce terme, loin d'être neutre, est en fait un conditionnement pour nous faire considérer qu'au-delà de divergences parfois aigües, les protagonistes sont des "partenaires" au sein d'un système, l'économie de marché; qu'ils ont des intérêts communs. Et qu'il est évident que seul l'économie capitaliste représente la réalité. Or, les travailleurs n'ont globalement aucun intérêt commun avec les entrepreneurs, les banquiers, les multinationales. Dans l'économie capitaliste, l'ensemble de la richesse sociale est produite par les salariés, et une infime partie de celle-ci leur est restituée sous forme de salaires directs ou différés (les cotisations "patronales" à la sécurité sociale, par exemple). Depuis que le capitalisme existe, le patronat et les salariés véritables créateurs de la richesse, sont des adversaires irréductibles, de même que les travailleurs des grands circuits commerciaux, des services publics (administrations, enseignement, santé, etc.) auxquels les patrons et les banquiers doivent "pour faire rouler la machine" retourner une petite partie de la richesse accaparée, une part de leur profit global, suivant la même répartition entre salariés et capitalistes de ces secteurs, par exemple, de la grande distribution, tels Delhaize, Carrefour et autres... Malheureusement nos capitalistes devaient, hier suivant les pays, maintenant suivant les continents, affronter l'impitoyable lutte de la concurrence pour les marchés, la conquête ou la conservation de ceux-ci et l'élimination de leurs concurrents. Celle-ci est de plus en plus nécessaire dans le cadre idyllique de la mondialisation. Pour mener la guerre de la concurrence, ils devraient donc s'efforcer d'obtenir, sous le nom de "paix sociale",

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un armistice sur le front social. Mais dommage pour eux, cette guerre de la concurrence qu'ils ont rebaptisée du beau nom de "compétitivité" les oblige en Europe à attaquer tous les acquis sociaux que des décennies de luttes sociales et d'armistices moins défavorables avaient assuré aux travailleurs. Et sont placés en situation de "guerre sur deux fronts" comme jamais auparavant. Pourquoi? Pour réaliser un profit, il faut non seulement produire mais aussi vendre les marchandises produites dans un marché de plus en plus saturé par la mondialisation. Et donc réduire les coûts de production et les prix. Cela pouvait se faire en réduisant les salaires réels, en comprimant un peu la part dévolue à l'encadrement du système. Mais à présent les frais consacrés à faire "tourner la machine", services publics et autres activités non directement productives, ne sont plus assumables par les capitalistes, vu les exigences de la guerre de la concurrence! Alors, outre les discours sur les "partenaires sociaux", on essaie de faire passer la pilule, on essaie la douce musique du patriotisme des acteurs sociaux: NOTRE compétitivité, NOS entreprises, l'intérêt commun. Mais cette musique-là n'est en fait qu'une cacophonie grinçante aux oreilles de la masse des "partenaires travailleurs": chômage massif, licenciements, pauvreté et marginalisation, dettes abyssales à rembourser aux banques par ceux qui n'en ont jamais vu la couleur, et la liste est longue encore... Ah! Être compétitif pour que les travailleurs d'une entreprise "concurrente" se voient jetés dehors grâce aux sacrifices de ceux d'une firme qui demain à son tour devra fermer en voyant ses gros actionnaires et ses

dirigeants se retirer, les pauvres, avec leur avenir confortablement assuré! Et pourtant... Pourtant ils existent, les partenaires sociaux: banquiers, entrepreneurs et assureurs, mais aussi dirigeants politiques, défenseurs ouverts et sans vergogne et représentants sans états d'âme de l'économie du marché et du profit, seule façon d'après eux d'organiser une société: ils défendent leurs privilèges becs et ongles. Et hélas, ils existent aussi les seconds couteaux sur lesquels les capitalistes se déchargent d'appliquer leur politique: dirigeants des partis dits socialistes ou sociaux-démocrates qui cherchent désespérément à mettre quelques miettes de "social" dans leur libéralisme "propre", certains hauts dirigeants de grands syndicats qui s'évertuent à préserver leurs petits privilèges d'interlocuteurs courtiers avec des capitalistes qui "ne peuvent plus" leurs concéder de misérables miettes, jusqu'au jour où ils auront achevé de scier eux mêmes la branche sur laquelle ils sont encore inconfortablement assis... Une économie sociale, solidaire, écologique et alternative peut seule nous sauver de la catastrophe vers laquelle nous allons, et tout enfumage ne peut à la longue masquer cette terrible réalité. ■

photothèque rouge / Manel

social

Partenaires sociaux ou adversaires négociateurs?


✒ par Herman Michiel (Ander Europa) Il est étonnant qu'une petite entité économique comme celle de la Grèce ait pu devenir le cauchemar des dirigeants européens. Mais que dire alors de Chypre? Dans tous les sens du terme: moins qu'un dixième de la Grèce, une population et un PIB inférieurs à ceux de la province de Liège, un pays membre de l'Union Européenne depuis seulement 2004 et de la zone euro depuis seulement 2008. La petite île semble avoir semé la zizanie parmi ses "bienfaiteurs". Car ceux-ci, sollicités pour prêter une poignée de milliards d'euros à cette Grèce en miniature, ont piqué une telle crise de colère, qu'ils en ont oublié leur loi fondamentale, leur Règle d'Or: celle de la sainte Propriété Privée! "Dix milliards tout au plus, et au prix courant d'amples réformes du marché de l'emploi. Le reste, allez le chercher chez les épargnants, grands et petits qui peuvent aussi donner leur obole!" ont-ils dit! Un moustique anticapitaliste semblait avoir piqué les autorités européennes qui fustigeaient les oligarques russes, le système bancaire hydrocéphale et le manque de justice fiscale sur l'îlot. Quand ces dirigeants européens se sont rendu compte des dégâts provoqués dans l'opinion publique un peu tous azimuts, il était trop tard. Le Luxembourg a protesté en précisant que le système bancaire grandducal était encore plus grand sans être hydrocéphale. Les oligarques européens craignaient de subir le sort de leurs homologues russes. Le président du Parlement européen, le socialiste Martin Schulz, y a vu une opportunité pour lancer la campagne pour sa candidature à la présidence de la future Commission, en plaidant pour l'exonération des épargnants modestes. Mais en posant la barrière à 25 000 euros, au lieu des 100 000 légalement garantis, il risque d'avoir revivifié l'image d'un socialisme à la Saint-François... Qui avait commis la gaffe? La Banque Centrale Européenne a refilé la patate chaude au ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, qui à son tour l'a

refilée au gouvernement chypriote et à la Commission européenne, qui niait tout. Entre-temps, l'apprenti président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem (rebaptisé Dijsselbourde), a complètement gaffé en claironnant que la formule chypriote pourrait faire école ailleurs, ce qui a fait rire jaune les marchés financiers. Reste la question: comment une petite île peut-elle mettre en émoi tout un continent? Il doit y avoir quelque chose de pourri au royaume de l'euro, où l'une après l'autre les provinces s'écroulent, incapables de résister dans cette Grande Guerre de la Compétitivité. Pourtant, l'état-major avait déjà sévèrement sanctionné quelques bataillons, en espérant que ces mesures exemplaires suffiraient pour mettre toute l'armée au pas. La Grèce brûle, le Portugal saigne, l'Espagne entière est soumise à la garrota, mais rien n'y fait. On échappe difficilement à l'impression que les peuples de l'Europe sont indignes de toutes les merveilles que leurs dirigeants leur ont mitonnées, que ce soit la concurrence libre et non-faussée, ou une monnaie vraiment unique dans son genre ou encore la gouvernance économique que le monde entier nous envie. L'Italie a même eu l'insolence d'élire un bouffon comme représentant de la populace. La raison de cette ingratitude, qui en fait n'est qu'incompréhension, est évidente: c'est leur passé d'enfants gâtés. Un demi-siècle de conventions collectives, de vacances toujours plus longues, de systèmes de retraite et de chômage cinq étoiles... même les âmes les plus vertueuses en sortent corrompues. Redresser la situation sera une tâche ardue et de longue haleine. Mais les autorités européennes ne ratent aucune occasion pour mener ce travail de rééducation. Elles ont d'abord invité le Fonds Monétaire International sur le Vieux Continent: le FMI avec sa riche expérience acquise

Chypre

Encore une classe ouvrière dans les filets de la Troïka! auprès de peuples parfois plus incultes que les Européens. Le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne sont devenus à tel point inséparables qu'on les appelle la Troïka. La véritable aubaine pour ce travail de dressage et de rééducation c'est quand l'argent se fait rare dans les caisses de l'Etat. Un bon dresseur sait qu'un chien affamé apprend plus vite. Cela demande beaucoup de discipline de la part de la Banque Centrale pour ne pas intervenir, pour voir le "chien" souffrir, jusqu'au moment où il obéit aux ordres de son maître. C'est une telle occasion qui s'est offerte à Chypre. On peut regretter les dommages collatéraux chez les petits épargnants, mais entre-temps, nous pouvons moderniser

toute la boutique! Et n'oublions pas que cet îlot conserve encore un système d'indexation des salaires dénommé Cola (Cost of Living Adjustment). Et entre nous, nous avons bon espoir qu'en versant le Cola chypriote à l'égout, les Belges auront compris la leçon et enterreront leur "index" avant même que la troïka ne débarque à Bruxelles! Et cela, un bon dresseur vous le dira aussi: souvent un chien apprend beaucoup plus vite rien qu'en voyant un autre souffrir! ■ la gauche #62 mai-juin 2013

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35 000 exclus du ch么mage d'ici 2015. Merci Di Rupo!

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photomontage: Little Shiva usines de Charleroi par Marie Emma Paoli, 2013 militantes: les Marie Mineur, 1976

la gauche #62 mai-juin 2013

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✒ par Roxanne Mitralias Il reste si peu d’agriculteurs dans nos pays que la question agraire peut sembler secondaire. C’est le contraire qui est vrai. L’article ci-dessous est une version raccourcie d’une communication de Roxanne Mitralias dans le cadre de l’école anticapitaliste de printemps de la Formation Lesoil (*). La question agraire n’est pas qu’écologique mais aussi sociale. Depuis les années cinquante, l’industrialisation a eu des conséquences désastreuses. En France le nombre d’exploitations est passé de 2 millions en 1955 à moins de 300.000. Ce phénomène s’accompagne d’une concentration des terres et du capital. En 1955, 80% des exploitations comptaient moins de 20 hectares de superficie agricole utilisée (SAU) et 0.8% seulement occupaient plus de 100 hectares. En 2000, 12% des exploitations dépassent 100 hectares et occupent 46% de la SAU ; 30% d’exploitations comptent moins de 5 hectares mais représentent 1,5% de la SAU totale.

Fracture de classe

La pression économique étrangle littéralement une partie de la paysannerie. Elle conditionne la surexploitation de ceux qui surnagent avec peine: en 2000, 26.4% de ménages pauvres chez les agriculteurs et les salariés agricoles contre 14% dans l’ensemble de la population. Le modèle de la petite paysannerie laisse la place à un modèle d’exploitation où le paysan devient chef d’exploitation, patron de salariés agricoles. Cette salarisation s’accompagne de précarisation, due à la difficulté d’organisation et à l’augmentation du travail saisonnier. Le risque de percevoir un bas salaire dans l’agroalimentaire est 2,5 fois plus élevé que dans l’industrie. Il en résulte une fracture de classe. Deux mondes se côtoient qui n’ont pas les mêmes intérêts. Pendant que le quart des agriculteurs a un revenu inférieur à 12000 euros par an, le revenu moyen par actif non salarié a augmenté de 88%. La part des subventions dans la formation du revenu

16 la gauche #61 mars-avril 2013

atteint plus de 80% en 2004. La Politique Agricole Commune est un véritable levier de classe, puisque les subventions accordées dépendent des hectares possédés: plus tu en as, plus tu touches. Trait caractéristique de l’agriculture sous domination capitaliste, la surexploitation de la petite paysannerie et du salariat agricole a été puissamment accentuée par la mondialisation.

Souffrances

Cette surexploitation économique induit une souffrance physique et psychique. L’autoexploitation peut conduire à la maladie professionnelle, voire au suicide. En 2005, le taux de suicide des ouvriers agricoles de 25-54 ans est de 69/100.000, contre 42/100.000 chez les agriculteurs exploitants et 33/100.000 dans la population générale. Les spécificités du monde agricole qui sous-tendent cette situation sont l’isolement social, la misère affective et sexuelle, et le fait que l’activité paysanne est une affaire de plusieurs générations, ce qui amplifie le sentiment d’échec. La transformation de l’élevage en production animale est source de souffrance spécifique. Du fait de leur dépendance aux grands groupes agroalimentaires, de nombreux éleveurs sont transformés en faux indépendants. Il en résulte une intensification du travail des hommes mais aussi des animaux. Par exemple, l’intervalle entre mise bas et saillie pour les truies a été réduit de 21 jours en 1970 à 8 jours en 2003. Jocelyne Porcher a décrit avec profondeur le sens de ces évolutions: "A la différence de ce qui a pu exister au cours des dix mille ans d’élevage qui ont précédé notre ère industrielle, la souffrance des animaux devient un phénomène structurel. Ce ne sont plus des animaux qui souffrent, victimes de la violence personnelle d’êtres humains, mais des millions d’animaux, victimes d’un système conçu sur le déni du caractère vivant de l’animal et de sa capacité à souffrir. Face à cette souffrance animale existe une souffrance des êtres humains au travail qui ont

perdu également la possibilité d’exprimer des comportements libres, le sens de leur métier, et bien souvent leur dignité." (1)

Alternative

Cet éclairage montre l’enjeu en termes d’émancipation. La question de la propriété se pose au regard de la puissance des grands groupes. Mais les forces productives façonnées par et pour le développement capitaliste ne sauraient être mises au service d’un autre projet de société. Toute la manière de produire doit être changée. Le modèle industriel n’est pas compatible durablement avec le travail agricole, il est incompatible avec la logique même du vivant. La perspective est de travailler avec la nature, non contre elle. Cela permet de repenser un certain nombre de concepts. Un travail de long terme implique une production de petite échelle, de taille humaine et localisée. C’est pourquoi l’agriculture paysanne a pour principes fondamentaux l’autonomie, l’économie et la transmissibilité de la ferme. Produire ses fourrages, son énergie, ne pas gaspiller, limiter les investissements, réfléchir sur la viabilité sont les clefs d’une agriculture écosocialiste. Cette réflexion permet de réhabiliter l’artisanal, le fait main, de remettre en cause les postulats productivistes et consuméristes. Elle pose la question de la qualité, contre un système qui ne pousse qu’à la quantité.

p16 & 17: photothèque rouge / Manel

écosocialisme

Agriculture, lutte de classe et écosocialisme


Propriété

Le travail agricole nécessite de soigner le lien à la terre, à son outil de production (sol, plantes, troupeau). C’est pourquoi, il est fondamental que chaque paysan travaille sur une ferme à taille humaine dont il ait la maîtrise. Mais il n’est pas nécessaire d’en être propriétaire. Sur le Larzac, par exemple, la coopérative des Groupements Fonciers Agricoles (2) gère collectivement les terres. Chaque fermier présent sur le plateau paie un fermage (fixé par arrêté). Lorsque le bail prend fin, il "rend" les terres aux GFA. Ce GFA est un outil de gestion collective pour que la terre ne soit plus un bien de spéculation, pour installer des paysans plutôt qu'agrandir des exploitations, pour permettre une gestion cohérente et durable au niveau environnemental et humain. Ainsi, il est possible de concilier gestion collective et droit d’usage, donc de penser autrement la propriété.

Démocratie agro-alimentaire

Le système de la Garantie Participative (3) est une expérience de prise de décision démocratique et participative sur que produire, comment et avec quel

contrôle. Il permet aux producteurs et aux consommateurs de penser sur le mode de production et de commercialisation, dans une démarche de progrès et non de pénalisation, basée sur la confiance. Contrairement à la certification privée (la seule permettant d’avoir le logo européen AB), ce système n’est pas payant et n’aboutit pas à une sanction lorsque le non-respect du cahier de charges découle de raisons légitimes (problèmes techniques ou économiques, aléas climatiques). Il se base sur la réalité du terrain plutôt que sur des normes bureaucratiques. Il est particulièrement utile pour les petites fermes qui ne peuvent pas financer la certification privée ou qui ne souhaitent pas rentrer dans une logique marchande.

écosocialisme

Un débat doit être mené sur la place de l’élevage. Il s’agit de le préserver, mais d’en réinventer les contours et d’interroger la part et la qualité de notre alimentation carnée. Si on perdure à consommer et à produire du "minerai animal" alors nous aurons bientôt des prairies sans vaches, des montagnes sans moutons ni chèvres et nous mangerons de la viande de synthèse issue de manipulations génétiques. Les politiques agricoles (PAC, OMC) sont des leviers de l’industrialisation qui pousse à l’homogénéisation des territoires et des productions, donc de la nature, à l’exploitation des ressources et des travailleurs, à la concentration du capital et à la financiarisation (des terres, des matières premières, des produits agricoles). On peut imaginer un autre modèle. De nombreuses expériences concrètes montrent qu’il est possible de produire différemment. Elles préservent les savoirs et les savoir-faire pour produire en dehors de l’agriculture industrielle. En parallèle, des modes de commercialisation prônent le local avec le moins d’intermédiaires possibles: les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), les paniers paysans, les coopératives alimentaires ou certaines formes de commerce équitable, etc. Ces expériences apportent des éléments de réflexion.

Souveraineté alimentaire

La souveraineté alimentaire affirme la nécessité d’aller vers une agriculture paysanne agro-écologique capable de nourrir la population mondiale. Il s’agit de changer de politiques agricoles internationales, de s’emparer démocratiquement des questions d’aménagement du territoire et de protection de la nature, et de changer le travail pour aller vers une mixité des taches. La souveraineté alimentaire se décline à différents niveaux. Au niveau local, elle implique un remaniement profond des modes de vie, de travail, des relations dans la famille et du partage des tâches entre femmes et hommes. A un niveau plus global, elle implique le droit de chaque pays ou territoire de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à sa population, sans impact négatif sur les populations d'autres pays (cela signifie sortir de l’OMC ou du marché unique européen afin de mettre en place des politiques de soutien nécessaires). La souveraineté alimentaire est marquée au sceau de l’urgence d’une planification planétaire de la production pour satisfaire les besoins en respectant les contraintes écologiques. A travers les défis énergétique et climatique, elle est liée directement à la question de la survie. ■

1) Jocelyne Porcher, Bien-être animal et travail en élevage, INRA Editions et Educagri Editions, 2004, 264 p., pp. 248-249 2) http://www.larzac.org/organiser/gfa.html 3) http://fr.ekopedia.org/Syst%C3%A8me_ participatif_de_garantie (*) Le texte intégral de la communication de Roxanne Mitralias est disponible en ligne sur notre site www.lcr-lagauche.be

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✒ par Tassos Anastassiadis La troïka veut écraser les peuples, où en est la résistance, où en sont les alternatives politiques? Ce texte reprend une partie de l'intervention de Tassos Anastassiadis, militant anticapitaliste grec, lors de l'École anticapitaliste de printemps organisée en mars 2013 par la Fondation Léon Lesoil. Depuis quatre ans, les travailleurs grecs luttent sans relâche. Au niveau local, économique, mais aussi au niveau politique et social (et même "écologique"). Ce sont des luttes souvent dures qui ont pris plusieurs formes: mobilisation de rue, grèves y compris sauvages, grèves générales, occupations, assemblées générales dans les boites, assemblées populaires au niveau des quartiers, reprise de la production dans quelques cas, organisation des solidarités actives pour les démunis ou contre les fascistes, etc... On n'a pas connu de défaite majeure, à savoir qui puisse fonctionner en tant que telle au niveau de la conscience ouvrière, et c'est cela qui assure une continuité, un renouvellement à toutes ces luttes. Mieux encore! Ce sont des centaines de milliers de gens qui ont maintenant une expérience de lutte concrète, qui ont pris part à une assemblée générale ou à l'organisation d'un comité de quartier quelconque. Et ce sont des millions de gens qui se sont retrouvés dans les rues pour une protestation, une manifestation, etc. Ainsi, il s'agit plus d'un savoir faire restreint au sein des franges de militants politiques ou syndicales: c'est un savoir faire beaucoup plus étendu et cela concerne aussi des couches sociales qui ne s'étaient jamais auparavant impliquées dans de telles activités... Pourtant, malgré les hauts et les bas de tous ces mouvements, le sentiment qu'on en tire, c'est qu'en général on perd... Que cela vaut peut-être la peine de lutter, ne serait-ce que pour limiter les dégâts, mais que la tâche pour changer vraiment les choses est énorme. "C'est trop pour nous!". L'enjeu est décidément politique et même plus, dans la mesure où on se

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trouve confrontés à des puissances, telles que l'Europe toute entière, "nos prêteurs", les "marchés" etc... Parfois ceci se traduit par des replis, des refus, des recherches de solutions du type "sauve qui peut". Et en même temps on voit aussi des secteurs, des entreprises, des couches de travailleurs qui ont connu une défaite reprendre la lutte et aller de l'avant même tout seuls! C'est qu'au fond, quelle qu’en soit la conscience, de fait les mouvements et les luttes ont déjà eu des incidences bien réelles. Les plus évidentes sont d'ailleurs politiques: en l'espace de quatre ans, les dominants ont été contraints des former quatre gouvernements et de mobiliser pour cela tous les appareils politiques traditionnels dont ils disposaient et même plus, de la droite populaire jusqu'à la gauche "présentable", ainsi qu'un gouvernement de "techniciens" (Papademos). Pour l'essentiel, le mouvement ouvrier est entré dans la lutte avec les moyens qu'il avait à sa disposition ou qui lui ont servi pendant toute une génération, comme les syndicats, l'appel à l'appareil étatique (inspection du travail, législature, code du travail, etc.), la mobilisation dans les boites pour construire un rapport de forces et même au-delà pour appeler à la solidarité et enfin avec les idées et les pratiques des divers partis "ouvriers", dans le sens social, essentiellement de gauche.

Les travailleurs en lutte se sont retrouvés isolés

A posteriori, on peut très facilement dire que la lutte, souvent dure, n'a pas été à la hauteur. Et à cela il y a deux séries d'explications, qu'il s'agit ici de mentionner: Premièrement, à l’inverse de ce qu'on a souvent en tête, la classe ouvrière n'est pas spontanément homogène ni prête spontanément à se comporter en tant que classe constituée. Quand les attaques se mènent séparément, par entreprise, par branche, par couche des travailleurs, son unité dans la résistance passe nécessairement par les moyens par lesquels elle est déjà organisée -essentiellement les syndicats et les autres organisations ouvrières. Or la bourgeoisie,

elle, est bien constituée en classe, avec un état major qui coordonne sa guerre. Et les attaques de la bourgeoisie, avec son état major (gouvernement, troïka, etc.) sont organisées par vagues et toujours coordonnées avec un matraquage idéologique et terroriste. Or, les couches des travailleurs entrées en lutte dans toute cette période se sont retrouvées assez isolées. Or, et c'est cela la deuxième série des facteurs qui marquent la lutte des classes, ce n'est pas une période "normale". La reproduction capitaliste ne fonctionne plus "normalement" et c'est pour cela que ce qui est en jeu va beaucoup plus loin. C'est pour cela que l'attaque bourgeoise est beaucoup plus radicale, elle est décidée, violente, brutale, barbare, prête à sacrifier ses propres appareils de médiation, son propre personnel politique! Pour les luttes elles mêmes, pour leur organisation et leur efficacité, ce n'est pas seulement un problème de degré, de puissance de la mobilisation. C'est aussi et surtout un problème de portée, des moyens, de stratégie... Au-delà de la question du salaire, audelà de la question des postes de travail, c'est la codification des rapports de classe qui est soudainement et violemment mise en contestation galopante, rendant la traditionnelle médiation syndicale complètement inopérante. La convention collective est pratiquement supprimée, le code du travail s’évapore à une vitesse terrifiante, les appareils de contrôle (inspection du travail) sont disloqués... Les ripostes n'arrivent pas, ainsi, à utiliser les moyens habituels, et les appareils syndicaux perdent toute possibilité de médiation, en même temps qu'ils deviennent la cible des travailleurs (comme étant inefficaces) et des campagnes patronales et étatiques (pour irresponsabilité, pour corruption ou comme saboteurs du progrès). Cette critique d'ailleurs est souvent à double tranchant: car souvent elle

graf : “Wake Up!” by Bleeps / photo: G. Nikolakopoulos – http://whenthecrisishitthefan.com

internationalisme

L’Europe du sud en résistance


photo: http://memoireenbeton.wordpress.com/categor y/info

été rythmées par un autre facteur, décisif, le facteur politique. Même n'arrivant pas à vaincre, elles ont pourtant offert le substrat d'une sorte de convergence politique, qu'on a vu avec la chute successive de deux gouvernements, Papandreou et Papademos, et l'organisation des élections l'année dernière. De loin, au moins en Europe, cela a été presque vu comme un séisme politique, dans la mesure ou on vu dans les élections la montée soudaine d'une radicalisation de deux bords: la montée de Syriza, d'un côté, et de l’extrême droite radicale ou nazie de l'autre, avec l’éclatement ou même la disparition d'une grosse partie du personnel politique traditionnel. Du point de vue des luttes, ce moment électoral, comme moment politique a joué un grand rôle. Après avoir abattu deux gouvernements, on a enfin senti qu'on aurait la possibilité d'intervenir. C'est dans ce cadre qu'un petit parti de la gauche, où militent aussi une série des organisations de la gauche radicale, a réussi à faire passer le message que le mémorandum et les troïkas ne sont pas une fatalité, il n'y a pas de TINA, et qu'un gouvernement de gauche constitue une alternative réaliste. Par contre, pour les luttes il faut voir que les élections ont été un moment qui, tant en amont qu'en aval, ont produit un certain attentisme. En amont, car on aurait la possibilité de se saisir d'un instrument, comme Syriza ou même les autres partis ouvriers, pour se débarrasser enfin des troïkas. Mais aussi en aval, car le sentiment en gros c'était que avec les luttes

on n'a pas pu gagner et avec les élections non plus... Il semble d'ailleurs que ce sentiment continue à peser dans la souspériode actuelle.

La Grèce n'est pas une exception

Pour arriver à une sorte de conclusion, j'ajouterai un dernier point: si la Grèce a été à la pointe de la crise capitaliste en Europe, de l'attaque patronale et en même temps des luttes et des résistances, si elle le reste, cela ne veut pas du tout dire qu'elle est exceptionnelle! C'est une façon complètement fausse de lire la réalité. Bien sûr les particularités nationales pèsent, mais il est très important de voir qu'il ne s'agit pas d'un cas particulier, exemplaire ou catastrophique -et d'en tirer les conséquences. Il faut clairement avoir en tête que ce qui se passe en Grèce ne concerne pas que la Grèce: la "dévaluation interne", comme il l'appellent, à savoir la dévalorisation de la force de travail, et la destruction des capitaux, ou la vente aux enchères de la richesse publique, c'est un programme qui s'étend déjà ou va s'étendre (pour cause de "compétitivité"), à tout le continent, avec des rythmes différents peut-être, mais le même programme est là pour tour le monde. La conséquence politique majeure pour nous, en tant qu'anticapitalistes, c'est de comprendre que les travailleurs grecs n'ont pas besoin simplement de "solidarité": Ils ont surtout besoin d'une lutte commune contre le capitalisme européen, ses institutions et ses politiques. ■

internationalisme

vise en fait non pas la bureaucratie syndicale en tant que structure ou en tant que politique, mais s'étend à l'action syndicale même élémentaire, dans un sens d'alibi pour coller chacun à son propre patron et se sauver peut-être... C'est une attitude qui peut paraître bizarre de loin, mais qui est très réelle et qui n'est pas seulement individuelle, surtout après une mobilisation qui n'a pas vaincu et dans une situation où perdre son boulot peut signifier une paupérisation rapide et apparemment durable... Il n'est pas besoin d'aller jusqu'à des cas si extrêmes, pour se rendre compte de la dégradation sociale: car ce cannibalisme-là se trouve au centre de la stratégie européenne, déjà depuis longtemps sous l'adage de "compétitivité généralisée". Son application violente dans une société en crise, c'est aussi un moyen de destruction de l'unité ouvrière, des solidarités sociales, de frappes presque militaires contre l'organisation et les résistances de la classe ouvrière. Ce qui est impressionnant, c'est plutôt l'inverse: c'est que malgré tous ces moyens, les luttes ont continué à croître et à s'étendre même à d'autres couches de la société, comme avec le mouvement des "indignés", et avec d'autres moyens, comme avec des actions directes d'un nouveau prolétariat précaire comme les livreurs des pizzas et autres conducteurs de scooters! Par contre, ce qu'il faut aussi voir ce que, si toutes les luttes étaient jusqu'à maintenant plutôt défensives, elles ont aussi

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interview

Les soulèvements arabes ont besoin de la solidarité des travailleurs du monde entier ✒ propos recueillis par Mauro Gasparini

Peut-on parler de "processus révolutionnaire" dans la région arabe? Est-ce une révolution sociale, démocratique? Quel est le rôle des différentes classes subalternes (ouvriers, paysans, secteur "informel"...), et de leurs organisations (syndicats, partis de la gauche radicale) dans ce processus? Les processus à l’œuvre dans une série de pays ont vu les populations de Tunisie, d’Egypte, d’Oman, de Libye, de Bahrein et de Syrie prendre la rue en 2011, rejointes en 2012 par celles du Soudan, d’Arabie Saoudite, de Cisjordanie, du Koweït et de Jordanie. En 2013, ce fut le tour de celles d’Irak et d’Algérie de s’inscrire d’une façon très particulière dans ces mouvements. L’ébullition qui ne cesse pas indique que nous sommes au début d’un processus de longue haleine qui veut "la chute du régime" dans l’ensemble, donc un processus révolutionnaire. Dans quelques pays, la revendication est celle de réformes aujourd’hui, mais s’infléchit parfois vers un cours révolutionnaire. Ces mouvements sont le fait des peuples eux-mêmes dont les chômeurs sont le fer de lance. Parfois des syndicats (Tunisie, Egypte, Jordanie) ont

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participé à ces mobilisations. La gauche radicale y a participé lorsqu’elle existe. Ni la gauche ni les syndicats n’organisent traditionnellement les précaires ou les chômeurs. Ces derniers, notamment diplômés, se sont donné des cadres autonomes (Maroc, Tunisie, Algérie).

Quelle est la place de l’autoorganisation depuis deux ans? Y a-t-il eu une auto-organisation de masse ? Et quand elle a eu lieu, sur quelles bases celleci s’est-elle développée et a-t-elle résisté par la suite? Les femmes, la jeunesse, les minorités sexuelles ont-ils joué également un rôle? Tous ces processus ont reposé sur des populations qui sont descendues dans la rue de façon inédite et ont mis en place leur organisation propre afin d’organiser des manifestations interdites. Partout il s’est agi de structures horizontales, utilisant

les réseaux sociaux, dénuées d’idéologie, de leadership et qui n’ont pas survécu à la fuite ou la chute des dictateurs. Il s’agit de structures qui visent à organiser, sécuriser et médiatiser le mouvement et non pas à construire une alternative politique. D’ailleurs la rapidité des processus en Tunisie, Egypte, Yémen, Libye, ne leur en a pas laissé le temps. Ces structures sont particulièrement actives actuellement à Bahrein et en Syrie. Dans ce dernier pays, l’auto-organisation s’est élargie aux secours, au ravitaillement et s’est étendue dans les zones libérées des forces terrestres du régime, à l’autogestion par des structures civiles ou militaires qui sont de fait des embryons d’appareil d’Etat. Ces structures horizontales nouvelles permettent la participation de toutes les minorités regroupées par un seul objectif "démettre le régime". Par la suite ont émergé des mouvements de femmes, culturels, athées.

photo: Bradley Secker http://fr.globalvoicesonline.org/2012/12/29/133055

Luiza Toscane a été militante pour les droits de l’homme en Tunisie pendant la dictature de Ben Ali. Elle est actuellement militante pour le droit d’asile en France.


Les questions écologiques ne figurent pas dans la revendication initiale qui est "la chute du régime", mais leur non prise en compte a aggravé la crise et elles sont objectivement en amont dans la gestion

désastreuse de régions entières, notamment de l’eau, qui a conduit à l’abandon de ces dernières, à l’exode rural. Ce n’est pas pour rien que ces révolutions ne partent pas des capitales, mais de régions laissées pour compte et désertifiées dans tous les sens du terme. Des luttes prémonitoires avaient déjà éclaté en Tunisie (Gafsa, La Skhira, contre la pollution de la nappe phréatique, de la mer par le phosphate, ou de l’air) ou au Koweït (la grève des écoliers contre la pollution atmosphérique) en 2010. Actuellement des révoltent éclatent partout contre la pollution par les gaz toxiques en Tunisie (Guellala, Gabès, Sousse, Monastir), à Oman (Ghadhfan), la pollution des eaux en Egypte (Kima) et d’une manière plus organisée comme c’est le cas contre l’exploitation des gaz de schiste en Tunisie. Cette exploitation étant programmée pour toute une série de pays, du Maroc à l’Arabie Saoudite, on peut s’attendre à un mouvement de contestation. Dans les zones industrielles,

la revendication de l’emploi est parfois conjuguée à celle de solutions écologiques sur le mode: "Pourquoi supporter tant de pollution, si ce n’est pour avoir en retour au moins des emplois?" (La Shira, Tunisie ou Ghadfan, Oman)

Selon toi, est-ce que le concept de "révolution arabe" n’est pas un peu trop étroit? Quelle réalité recouvre-t-il? Notamment sur les minorités religieuses ou nationales, l’impact de ce bouleversement sur la situation en Palestine (et l’attitude israélienne entre autres par rapport à l’Egypte, la Syrie). Ce processus couvre une série de pays ayant en commun la langue arabe pour une majorité de la population et n’a pas débordé au-delà de ces frontières. Car ces pays ont des problèmes économiques structurels communs ayant entraîné un chômage massif et des modes de gouvernance communs: ce sont des dictatures corrompues. C’est la question du chômage de la jeunesse qui en est le déclencheur et tous ces mouvements mettent en avant la question de la "dignité" qui est en réalité celle de la justice sociale. Avec la communication par les réseaux sociaux, la langue arabe commune a joué un rôle d’accélérateur. Ces mouvements ont souvent touché les classes moyennes et ont posé en même temps la question des libertés démocratiques et la fin de régime despotiques et népotiques. Les minorités, à l’exception des travailleurs étrangers dans les pays du Golfe et en Libye, ont fait partie du mouvement: Berbères du Maroc ou de Libye, Kurdes ou Arméniens de Syrie, encore que beaucoup de ces derniers, disposant d’un pays de repli, aient fui en masse le pays. Et en 2012, il y a eu des luttes des travailleurs étrangers extrêmement massives dans le Sultanat d’Oman, même si elles sont restées déconnectées du reste du mouvement, et des conflits importants menés par de la main d’œuvre étrangère dans les zones franches en Jordanie. Quant aux minorités religieuses, elles sont arabes essentiellement: chrétiens d’Egypte, ou en Syrie: Chrétiens, Druzes, Alaouites, tous se sont soulevés contre la dictature d’Assad. Dans chaque pays, la population s’est soulevée contre le dictateur, en arborant son drapeau national. Il s’agit d’un soulèvement citoyen et non d’un mouvement anti-impérialiste remet-

tant en cause des frontières et partant, l’Etat d’Israël. Quand les Palestiniens de Cisjordanie sont sortis dans la rue, ils ont exigé la chute de Fayyad et d’Abbas, c'est-à-dire de leurs propres dirigeants, et ils ont repris l’hymne de la révolution syrienne quand ils ont manifesté à Hébron. Quand les Palestiniens de Jordanie se sont soulevés, c’était pour la chute d’Abdallah et aussi celle de Bachar el-Assad, alors que ce soulèvement survenait en plein bombardement d’Israël sur Gaza. En Syrie et en Jordanie, il y a eu certes un "clin d’œil" aux frères palestiniens, leur demandant d’attendre que les peuples se débarrassent de leurs dictateurs; pour autant si l’on estime que ces dictateurs étaient les meilleurs garants des intérêts des impérialistes et de l’Etat d’Israël, alors oui, ces révolutions pourraient s’avérer des bombes à retardement. Dans l’immédiat, Israël est rassuré par l’attitude du gouvernement de Morsi. En revanche, elle suit avec inquiétude et dans la division ce qui se joue en Syrie, car toute victoire révolutionnaire la priverait d’un régime bien accommodant sur le fond.

interview

Un aspect sur lequel les observateurs reviennent rarement: les questions écologiques ont-elles eu une influence, sont-elles à la source de mobilisations populaires?

Enfin, ces soulèvements populaires mettent en avant les défis immenses de la gauche anticapitaliste et révolutionnaire au niveau mondial: quelle révolution au 21ème siècle? Quelle alternative politique et sociale (re)construire? Comment faire renaître l’internationalisme dans le mouvement ouvrier notamment en occident où l’orientalisme, l’islamophobie ou le conspirationnisme semblent encore avoir une place importante? On peut aussi se demander quel est le lien, implicite ou explicite, entre les luttes de masse contre l’austérité dans le Sud de l’Europe et le bouillonnement social du Maghreb et du Machrek. Que peut-on apprendre de ces deux dernières années? Ces révolutions inattendues ont suscité un espoir quand elles ont éclaté en Tunisie et en Egypte. Depuis lors, parce que la victoire électorale de partis islamistes au Maroc, en Tunisie et en Egypte a été perçue comme une fatalité (avec le relent orientaliste du terme), la solidarité avec les révolutionnaires de toute la région a la gauche #62 mai-juin 2013

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Pour terminer, comment voistu la situation aujourd’hui, notamment avec les conséquences de la politique des Frères musulmans en Egypte, la tenue du Forum Social Mondial à Tunis (peu après une grève générale historique) et la résistance bien vivante en Syrie qui ne parvient pas à renverser le régime? La situation est très instable car les équipes gouvernementales en Egypte, Tunisie ou Yémen sont instables. Socialement, les gouvernements islamistes parce qu’ils représentent des classes moyennes ne suscitent pas l’enthousiasme, ni du côté du patronat, ni du côté des salariés. C’est ce qui explique qu’ils cherchent des gages avant même d’arriver au pouvoir et qu’ils doivent sans cesse se justifier par la suite. Et le moins qu’en puisse en dire c’est que leur faillite a été rapide. Ils sont contestés dès le début y compris par des couches sociales qui devraient leur apporter un soutien. La dernière grève générale en Tunisie a été interclassiste, le patronat y a appelé aussi et les commerces ont fermé. La question de la tenue du FSM pose la question précédente de la solidarité de façon dramatique: sa tenue en Tunisie est restée symbolique car elle répond en fait à un agenda indépendant du processus révolutionnaire dans la région. Le FSM aurait joué un rôle s’il s’en était tenu à ce qui est l’épicentre des mouvements de

contestation, à savoir les chômeurs de toute la région – la confrontation actuelle entre les mouvements de chômeurs en Algérie et le pouvoir en atteste – où s’il avait mis la solidarité avec la révolution syrienne (et bahreinie) au cœur de ses préoccupations. Tel n’a pas été le cas. Il est au diapason du campisme qui est fort dans les mouvements sociaux mondiaux par rapport à la Syrie. La Syrie est aujourd’hui l’épicentre révolutionnaire dans toute la région. Or ce peuple est dramatiquement seul. Actuellement plus de 80% des aides humanitaires proviennent… des Syriens eux-mêmes et non des institutions, Etats, au niveau international. Sans parler d’aide militaire, l’aide humanitaire ne figure pas à l’ordre du jour des internationalistes. Cette révolution solitaire sera la première du vingtième siècle et nous devons maintenant soutenir deux processus, la révolution et les communes autogérées. Nous ne sommes plus à l’époque de la commune de Paris: ces communes ne pourront vivre en autarcie, et à l’époque des drones et autres moyens de combats aériens, elles sont menacées. La libération des territoires n’est plus suffisante sans la libération politique globale. Cette révolution combine donc actuellement deux tâches parallèles. Mais pas plus que la révolution, l’autogestion en Syrie ne suscite l’empathie. La révolution en Syrie pose au-delà la question de l’humanité tout court. Peut-on accepter que se déroule le plus grand massacre de masse de ce début de siècle et se dire "révolutionnaire"? ■

affiche: LCR

interview

décliné pour disparaître, avec l’émergence des derniers mouvements. Ces mouvements qui visaient la chute du régime n’ont fait chuter que des gouvernements et non des régimes (Tunisie, Egypte, Yémen). Il n’y a qu’en Libye que l’insurrection soit parvenue à chasser les institutions étatiques. Et pourtant c’est ce pays qui curieusement a suscité le moins d’empathie. Ces mouvements ont besoin de la solidarité des travailleurs du monde entier et ils la sollicitent quotidiennement: les enseignants de Bahreïn, les médecins de Syrie, les chômeurs de Jordanie, les étudiants marocains, les femmes d’Arabie Saoudite et de Libye, pour ne citer qu’eux font sans cesse appel à la solidarité. Ces appels qui émanent des populations contredisent évidemment les explications par le "complot". Ces révolutions posent de nouvelles questions stratégiques puisque ce sont les travailleurs au chômage et non les travailleurs en activité qui en sont à l’origine. Elles posent aussi la question du renversement et de la prise de pouvoir, envisagée comme le fruit d’un rapport de force strictement politique en général. Dans le seul pays où elle a été menée à bien, la Libye, elle a été militaire et non sous la pression politique de la rue. La question se pose à nouveau en Syrie, où c’est le peuple en armes qui sera en mesure de renverser le pouvoir, battant en brèche dans les faits la révolution possible par les manifestations pacifiques, la grève générale et mouvement d’insoumission. Et si c’est le peuple en armes qui viendra à bout du pouvoir, cela implique donc que la solidarité internationale, à défaut d’acheminer elle-même les armes, se batte pour que celles-ci leur soient fournies. Or cette position est largement minoritaire aujourd’hui dans la gauche internationale y compris révolutionnaire. Quant au jaillissement de mouvements en Europe et notamment à l’Est, aux Etats-Unis et en Israël, qu’il s’agisse des indignés ou d’autres, au-delà des encouragements apportés par les pays arabes, il s’agit plutôt d’une coïncidence, car la crise qui éclate dans ces pays est récente et n’a rien à voir avec la situation de chômage endémique vieille de plusieurs décennies dans le monde arabe. De même que les pouvoirs en Europe ne sont en rien comparables avec les potentats qui se sont approprié les richesses des pays arabes. En revanche, les indignés ont pu s’inspirer des modes d’organisation arabes.


✒ par Pauline Baudour Avril 2013. La loi ouvrant l’institution du mariage aux couples homosexuels vient d’être adoptée en France, après 110 heures de discussion et des manifestations rassemblant des centaines de milliers de personnes s’opposant au mariage gay. Parmi les slogans de ces manifestants (dont des représentants de l’extrême droite), on retrouvait le "Tous nés d’un homme et d’une femme", mais aussi "On veut du boulot, pas du mariage homo". En période de crise, il est facile d’insinuer qu’il y a des urgences économiques plus importantes que le mariage homosexuel. Facile, mais inacceptable! Parce qu’il n’y a pas d’heure pour les droits humains, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes et quelle que soit leur origine ou leur orientation sexuelle.

lapins: etsy > The Abandoned Attic / photo: w w w.homophobiaday.org

Augmentation des violences homophobes

On observe une recrudescence des violences homophobes dans toute l’Europe. En France, les manifestations contre le mariage pour tous et leur médiatisation ont très sûrement joué un rôle de légitimation et d’extrémisation de cette violence (en témoignent notamment de récentes attaques lesbophobes et homophobes à Paris, lors de la 14ème édition du Printemps des Associations, organisé par l’Inter LGBT). En Russie, la Douma a récemment voté une loi punissant tout acte public constituant une "propagande de l’homosexualité auprès des mineurs". En Grèce, la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) est l’une des premières cibles, avec les immigrés, du parti néo-nazi "Aube dorée". La Belgique n’est pas en reste: si elle a adopté les lois ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels, elle est régulièrement le théâtre d’agressions homophobes. Souv enons-nous des meurtres homophobes d’Ishane Jarfi et de Jacques Kotnik survenus en 2012. Sans parler des discriminations quotidiennes: le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a enregistré 82 dossiers en 2012. Il constate une nette

augmentation des dossiers concernant des faits de violence homophobe, parfois extrême. Harcèlement, discrimination à l’embauche ou au logement sont monnaie courante pour les LGBT, et leur ampleur est difficilement mesurable car ces discriminations sont souvent tues, entre autres à cause de l’homophobie ambiante elle-même (refus d’une victimisation, honte, homosexualité non connue…) L’homophobie, c’est aussi les regards qu’on sent sur soi, les sourires, les insultes. Les blagues sexuelles suivies d’un rire gras. C’est la peur d’avoir un geste d’affection dans un lieu public. C’est la crainte qu’on connaisse son homosexualité sur son lieu de travail. C’est aussi la difficulté d’accepter et d’assumer sa sexualité. "L’homophobie, c’est qu’on ne voie jamais un couple de princes ou de princesses dans les contes de fées. On demande aux enfants d’accepter les différences, mais ils grandissent dans un monde hétéro-normé, où affirmer son homosexualité, sa bisexualité ou transsexualité est bien difficile – et courageux. Ce qui n’est pas normal, c’est qu’on considère l’homosexualité comme une différence", explique une jeune femme pour répondre à la question de ce que représente l’homophobie à ses yeux.

L’homophobie au service du capitalisme

L’homophobie, tout comme le sexisme ou le racisme, est l’une des meilleures armes du capitalisme. Elle entraîne une division des travailleurseuses et promeut l’existence d’un unique modèle familial. La famille a une fonction sociale; c’est elle qui permet de reproduire la "force de travail" et qui est chargée de transmettre d’une génération à l’autre les normes et valeurs qui maintiennent le système en place. Cette vision de la famille implique une vision binaire de la société, la norme étant d’être soit homme, soit

LGBT

L’homophobie est une maladie sociale

femme, et dans tous les cas hétérosexuel. Ce n’est donc pas un hasard si une vague d’homophobie déferle sur toute l’Europe au cœur de la crise économique! Face aux attaques homophobes, les lois sont importantes mais ne suffisent pas. Les revendications sont encore nombreuses: au-delà du mariage pour touTEs, il y a de nombreuses autres batailles à mener, notamment sur la question du don du sang et d’organe par les homosexuels, pour les droits des transsexuels (changement d’identité facilité, dépathologisation...). Les luttes sont nécessaires pour s’unir contre l'homophobie, la transphobie, ainsi que le sexisme, que des lois ne feront pas disparaître. Au sein de la gauche, on ne peut considérer les luttes LGBT comme étant subordonnées aux autres: au slogan "pas de socialisme sans féminisme, pas de féminisme sans socialisme", nous devrions ajouter la reconnaissance des droits LGBT, également indissociable du socialisme. Il s’agit d’une lutte centrale pour notre organisation: c’est touTEs ensemble, sans tenir compte de notre origine ou orientation sexuelle, que nous devons défendre l’égalité et la justice sociale pour touTEs. ■ la gauche #62 mai-juin 2013

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✒ par Matilde Dugaucquier Tout au long du mois de mars, la LCR ainsi que les JAC (Jeunes anticapitalistes) se sont mobilisés sur des thématiques qui sont au cœur de notre programme: sortie du nucléaire et écosocialisme, lutte contre l’austérité et les répressions policières ainsi que droit à l’avortement, en lien avec les thématiques féministes et antisexistes. Nous faisons ici un bref compte-rendu de ces mobilisations et revenons sur le pourquoi de leur nécessité!

dimanche 10 mars: manifestation à Tihange pour exiger la sortie du nucléaire

Le dimanche 10 mars 2013, tout juste deux ans après la catastrophe de Fukushima, près de 3000 personnes ont répondu à l’appel de l’association "Nucléaire stop Kernenergie" et du collectif "stop Tihange": elles se sont mobilisées pour dire non au redémarrage des réacteurs de Tihange 2 et Doel 3. Des militants antinucléaires d’Allemagne et des Pays-Bas étaient présents, comme en septembre 2011, date de la première manifestation à Tihange, qui avait déjà rassemblé quelque 2000 personnes. Les réacteurs Tihange 2 et Doel 3 sont actuellement à l’arrêt à cause de milliers de fissures. Au-delà de cette mesure politique immédiate à prendre – le nonredémarrage des réacteurs – c’est l’arrêt

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et le démantèlement de tous les réacteurs nucléaires, à commencer par les plus anciens, que nous exigeons. Parce que "Nos vies valent plus que leurs centrales et leurs profits", comme le rappelait la banderole du groupe de la LCR et des JAC (jeunes anticapitalistes), dans la manifestation. En fin de manifestation, notre camarade Léo Tubbax, qui est aussi un des porte-parole de "Nucléaire Stop Kernenergie", a rappelé l’ampleur des catastrophes causées par l’énergie nucléaire, l’impossibilité de stocker les déchets de façon sûre pendant des centaines de milliers d'années – le temps nécessaire pour qu’elles deviennent inoffensives – le lien intrinsèque qui existe entre nucléaires civil et militaire et la présence de l’arsenal de Kleinen Broghel en Belgique, ainsi que les alternatives à l’énergie nucléaire qui existent: une meilleur isolation des bâtiments et les sources d’énergie renouvelable. Il a rappelé également que nous avons la chance unique aujourd’hui de pouvoir empêcher le redémarrage, et ce, pour des raisons techniques: les failles. Comment faire? "Achetez quelques autocollants, mettez en fièrement sur votre vélo, sur votre auto, sur votre boîte aux lettres. Et participez aux mobilisations! Visitez notre site www.stop-tihange.org. Visitez notre page facebook: stop Tihange. Aideznous financièrement, pour que notre voix soit entendue, à côté de celle du Forum Nucléaire. Vous êtes les 99%, vous pouvez tout réaliser, tout obtenir!"

13 et 14 mars: actions à l’appel de la coalition "For a European Spring"

Dans le cadre du Sommet européen de printemps, la coalition "For a European Spring", qui rassemble diverses associations européennes contre l’austérité,

lançait un appel pour des actions partout en Europe le 13 mars et pour une manifestation européenne à Bruxelles le 14 mars. N’ayant pas reçu d’autorisation de la police bruxelloise (pour cause de "manque d’effectifs") le cortège "For a European Spring" a finalement rejoint la manifestation syndicale contre l’austérité qui avait lieu à Bruxelles le même jour. A l’issue de celle-ci, la Direction générale des Affaires économiques et financières de l’Union européenne a été occupée par 150 activistes venus de différents pays européens (Allemagne, Italie, France, Belgique…) Après une mise en scène de la remise du prix de l’austérité à Marco Buti (directeur de la DG FIN), les manifestants ont occupé le bâtiment en chantant et en dansant sous les slogans "Occupy Troïka", "Troïka Dégage" ! Une assemblée populaire a été organisée à l’intérieur où chacun pouvait expliquer en quoi consistent les mesures d’austérité dans son pays et quelles mobilisations ont lieu pour y résister. Le drapeau de l’Union européenne flottant sur le bâtiment a été remplacé par le drapeau "For a European Spring". Il s’agissait donc bien d’une action politique, symbolique et pacifique. Alors que tout se passait dans une ambiance festive, la police est intervenue et a procédé, au hasard, à des arrestations. Prétexte: le bâtiment aurait subi “des dégradations matérielles” (il y aurait eu des graffitis sur un mur). Les personnes arrêtées, parmi lesquelles se trouvaient des membres de la LCR et des JAC, ont dû donner leurs empreintes digitales et ont été photographiés. Nous craignons donc des poursuites judiciaires! Sans compter les risques d’amendes... Une fois encore, nous constatons que la seule réponse des autorités, face à l’expression légitime et pacifique des

photos: LCR

à l'action!

Mobilisations


vendredi 15 mars: manifestation contre les violences policières

Et justement, dans le cadre de la Journée internationale contre les brutalités policières, la Campagne Stop Répression de la JOC appelait le vendredi 15 mars à une manifestation unitaire contre les violences policières. Les gouvernements répondent à la crise par toujours plus d’austérité. Le désespoir et la peur servent à leur tour à justifier toujours plus de police, plus d’armée et donc plus de violence. Avec les outils de surveillance et de contrôle, la répression permet de criminaliser les mouvements sociaux. De l’accusation de rébellion à l’amende administrative, les outils répressifs de l’Etat se multiplient et avec eux l’arbitraire et la violence.

Près de 1000 personnes se sont jointes à cette manifestation qui était soutenue par une trentaine d’associations et organisations et se voulait évidemment pacifique. Les jeunes étaient présents en grand nombre, rendant le cortège très dynamique. La manifestation a grossi au fil du parcours, de nombreux jeunes et moins jeunes venant renforcer les rangs au fil de la marche. Le service d'ordre a fait du très bon boulot et a permis d'éviter les débordements. La plupart des gens sont restés du début jusqu'à la fin et la manif s'est terminée par une prise de parole devant la Bourse.

ce dans toute l’Europe. En effet, en temps de crise, les femmes sont les premières visées. D’une part, les coupes budgétaires ont un impact sur l’accès à l’avortement, mais aussi sur l’accès à la prévention et à la contraception. D’autre part, lorsqu’on coupe dans les dépenses publiques (crèches, hospices, soins médicaux…) tout ce travail se retrouve accompli, dans l’ombre et gratuitement, par des femmes. Pour faire accepter cette privatisation des services publics grâce au travail impayé des femmes, une propagande acharnée est nécessaire, qui présente les femmes comme "naturellement" dévouées à leurs familles,

"Mon corps, mon choix, ma liberté!"; "Un enfant, quand je veux, si je veux!", "Des crèches publiques, la pilule gratuite!"... Nous étions plus ou moins deux cents à manifester le 23 mars, malgré la neige, pour le droit à l’avortement et contre l’austérité. Une manifestation bien combattive, alors que celle des "pro-vie" était un flop, comme le signalait poliment la presse. En Belgique, le droit à l’avortement a été conquis il y a à peine une vingtaine d’années: depuis le 3 avril 1990, toute femme enceinte en situation de détresse a le droit de demander une interruption volontaire de grossesse. Mais ce droit est fragile et perpétuellement menacé: la preuve avec le mouvement prétendument "pro-vie" qui défend l’abolition du droit à l’avortement. Prétendument, car il est clair qu’en défendant le droit à l’avortement on ne s’oppose pas à la vie : nous revendiquons simplement le droit fondamental de chaque femme de disposer de son corps comme elle l’entend, et d’avoir un enfant si elle le souhaite. Lutter pour le droit à l’avortement implique de refuser les mesures d’austérité qui s’accumulent depuis des années, et

à leurs maris et leurs enfants, à leurs travaux ménagers. Le patriarcat au service du capitalisme justifie la pire exploitation de la femme. Dans ce contexte, nos revendications sont claires: • Contraception et avortement assisté libres et gratuits. Les moyens d’appliquer la législation (délais, démarches préalables, droit des mineures) doivent être garantis; • Exclusion totale de l’avortement de tous les codes pénaux. La reconnaissance d’un quelconque "statut de l’embryon" doit être proscrite de toute législation; • Soutien structurel, en personnel et en moyens, aux centres de santé et de planning familial qui pratiquent les IVG, promeuvent et défendent les droits sexuels et reproductifs; • Création de centres publics d’information sexuelle et contraceptive dans les écoles, les entreprises, les quartiers, les hôpitaux; • Laïcité, pour une totale indépendance des politiques publiques par rapport aux religions. ■

à l'action!

citoyens, est la répression. La Direction générale des Affaires économiques et financières de l’Union européenne rapporte au commissaire européen la situation financière des États membres. Ces rapports servent de base pour l’application des mesures d’austérité par la troïka (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne). Il est donc tout à fait normal de pouvoir exprimer notre désaccord avec ces politiques non démocratiques qui appauvrissent les populations en Europe!

dimanche 23 mars: manifestation pour le droit à l’avortement et contre l’austérité

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✒ par Georges Dobbeleer et Guy Van Sinoy Notre camarade Serge Viaene, qui fut un syndicaliste exemplaire dans l’industrie textile de Mouscron et un militant de la section belge de la IVe Internationale, est décédé le 7 mars après une longue et douloureuse maladie. Né en décembre1944 et il était devenu ouvrier qualifié à l’usine textile Motte, à Mouscron, qui a compté jusqu’à 1.800 travailleurs et travailleuses dans les années 60. Très jeune, Serge devint militant des Jeunes Gardes Socialistes ( JGS), l’important mouvement des jeunesses socialistes dirigé dans les années 60 par nos camarades trotskystes. Il fut rapidement gagné à notre organisation marxiste-révolutionnaire qui allait devenir la Ligue révolutionnaire des travailleurs en mai 1971. Délégué syndical FGTB combatif aux côtés de son camarade de la CSC Gérard Christiaens, Serge mena des luttes répétées dans l’usine Motte qui perdit cependant peu à peu son importance dans le secteur textile. La Gauche du 12 janvier 1978 décrivait cette situation et les diverses actions syndicales menées, dont l’occupation de l’Hôtel de Ville de Mouscron, un cortège de 400 voitures en ville le 7 janvier et une rencontre avec le Premier ministre pour exiger des mesures de sauvegarde de l’emploi. La situation de l’usine continua à se dégrader et le 23 mai 1981, Serge prit l’initiative d’un meeting à Mouscron avec Ernest Mandel et Jacques Yerna, pour dénoncer le déclin industriel et l’inefficacité du patronat. En décembre 1982, l’usine Motte reprise par le groupe Verbeke obtint du ministre Eyskens un soutien financier. Mais, en échange, 300 des 800 travailleurs encore en activité devaient perdre leur emploi. Cette perspective provoqua la grève avec occupation de l’entreprise. Celle-ci dura jusqu'en décembre. Habilement, le patronat fit questionner individuellement les travailleurs. S’ils acceptaient le licenciement prévu, une sorte d’avantprépension permettrait aux travailleurs de 49 à 52 ans d’échapper au chômage. Beaucoup eurent cet espoir et s’inclinèrent. Parmi les conditions il y avait bien sûr le licenciement des délégués syndicaux.

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Malgré les promesses, l’usine Motte ferma ses portes un peu plus tard.

Nous saluons ici un militant exemplaire dont le souvenir restera vivant parmi les travailleurs

du démantèlement de la sidérurgie (Liège, Charleroi, La Louvière) et des licenciements massifs chez Caterpillar, ces paroles de 1982 sont de toute actualité.

Dans La Gauche du 8 janvier 1982, Serge Viaene déclarait ceci: "Une revendication essentielle de notre programme, c'est la nationalisation des secteurs clés de l'économie, comme le textile, la sidérurgie, les constructions métalliques, etc. Dans le textile à Mouscron, l'organisation syndicale a d'ailleurs pris cette position. La nationalisation signifie que si les patrons ne savent pas garantir l'emploi, ils n'ont

Mis à l'index sur une liste noire patronale, Serge ne retrouva pas d’emploi dans l’industrie textile. Après 1982, Serge et son épouse Monique, enseignante, connurent des années difficiles. Chômeur de longue durée, Serge n'en arrêta pas moins de militer, notamment dans l'animation de l'émission Chiffon Rouge (tous les mardis de 17h30 à 19h30) sur Radio qui Chifel (RQC 95FM), une radio libre locale. En 2006, malgré de graves problèmes de santé, il participa

qu'à s'en aller. Que l'entreprise devienne propriété de l’État. Cela ne résout pas tout, évidemment. Mais si cela apporte une certaine garantie d'emploi, cela ne modifie pas encore en rien la logique du système. C'est pourquoi il faut que les nationalisations se fassent sans indemnités ni rachat, donc en expropriant les patrons. Pourquoi? Prenons le cas du textile. Mon entreprise, par exemple, a reçu 450 millions de francs (11 millions €, ndlr) ; cet argent a été versé à 83% à la Société Générale de Banque en remboursement de dettes contractées par le patron. L'argent de la collectivité sert donc à rembourser les dettes du patron, et, en prime, celui-ci licencie. Il faut mettre fin à cette situation. De plus, les entreprises appartiennent collectivement aux travailleurs parce que ce sont eux qui produisent les marchandises, les machines, et que c'est l'exploitation de leur travail qui permet aux capitalistes d'accumuler leur capital". A l'heure de la fermeture de Ford-Genk,

à la nombreuse assemblée d’Une Autre Gauche à l’ULB. Malgré les difficultés de la lutte politique pour nos forces trop restreintes, Serge gardera jusqu’à la fin un lien fraternel avec nos militants. Sans se décourager, il écrivait dans sa lettre de décembre 1982 à La Gauche: "Je tiens à tirer mon chapeau à tous les délégués et militants... Eux aussi ont des problèmes familiaux auxquels nous ne pensons pas toujours. Bravo à eux et courage dans les luttes à venir!". Ce courage, il n’en a pas manqué malgré une santé de plus en plus gravement compromise. Nous saluons ici un militant exemplaire dont le souvenir restera vivant parmi les travailleurs de Mouscron et d’ailleurs. De nombreux compagnons de lutte, ainsi qu'une délégation de la LCR, ont assisté aux obsèques de Serge et sont venus saluer la famille et les proches de notre camarade.es. ■

photo: LCR

les nôtres

Serge Viaene (1944-2013)


Deux œuvres récentes mettent en lumière Karl Marx en tenant compte de sa vie "privée": ses amis, ses amours, ses emmerdes… Parce que Karl Marx ne faisait pas qu’écrire en compagnie d’Engels: il avait aussi une vie! La publication des échanges épistolaires de Karl et Jenny Marx et la pièce de théâtre "Karl Marx Le Retour" permettent d’échapper à la déification et l’idéalisation d’un homme comme les autres, derrière ses idées qui ont tant apporté au socialisme.

Lettres d’amour et de combat

"Karl Marx et Jenny von Westphalen ont traversé côte à côte près d’un demisiècle d’épreuves. Comme ils se sont beaucoup aimés, ils se sont peu écrit." La

publication des échanges de lettres de Marx et sa femme laisse entrevoir leur quotidien mouvementé, sur fond de lutte permanente contre l’injustice et le système capitaliste. Ces lettres ont aussi le mérite de faire sortir Jenny de l’ombre dans laquelle sont systématiquement laissées les épouses de grands hommes. On découvre l’ampleur du rôle qu’elle a joué, et pas seulement en tenant leur ménage et en négociant le payement de leurs dettes continuelles. On découvre, derrière la femme amoureuse, l’érudite assoiffée de connaissances, la secrétaire qui a laborieusement retranscrit les notes de son mari, la femme cultivée pleine d’humour qui jongle avec les références

culturelles et politiques avec celui qu’elle appelait tendrement… "mon petit sanglier" (sic). Des lettres qui nous rappellent la place et l’importance de l’amour dans la vie, aussi engagée soit-elle: "L’amour que nous portons non pas à l’homme de Feuerbach, au métabolisme de Moleschott, au prolétariat, mais à notre amour chéri, en l’occurrence à toi, c’est ce qui refait de l’homme un homme" écrit Karl à Jenny en juin 1856. Karl et Jenny Marx, "Lettres d’amour et de combat", traduit de l’allemand et présenté par Jacques-Olivier Bégot, paru aux éditions Payot & Rivages en 2013. ■

Karl Marx Le Retour

D’après le texte d’Howard Zinn (également l’auteur d’"Une histoire populaire des Etats-Unis"), cette pièce de théâtre part d’un bon délire: Karl Marx a obtenu une autorisation spéciale du paradis et peut revenir sur Terre pour une heure, le temps de donner une dernière leçon de philosophie. Au lieu de Londres, il se retrouve propulsé au cœur des Etats-Unis et son capitalisme déchaîné! Pourquoi monter Karl Marx Le Retour? Parmi des dizaines de réponses pleines d’humour, la compagnie Peg Logos affirme: "Parce que Karl Marx n’est pas mort"; "Pour comprendre ce qu’on peut faire avec Marx aujourd’hui"; "Parce que nous ne sommes pas marxistes" mai aussi "Parce que nous sommes tous marxistes"… Une pièce "antidote à la résignation", qui permet aussi de confronter Marx à l’actualité (le texte a été écrit en 1999). Ce qui donne par exemple la réplique suivante: "J'avais tort en 1848, quand je pensais que le capitalisme était sur le déclin. Mon calcul était un peu en avance. Peut-être de deux cents ans (il sourit)." Karl Marx Le Retour, par la Cie Peg Logos, interprétation Michel Poncelet, mise en scène Fabrice Gardin, du 19 avril au 25 mai au Théâtre des Martyrs (Bruxelles). ■

Agenda Conférences organisées par la Formation Léon Lesoil asbl Mardi 14 mai 2013 à 19h30 OGM, boeuf/cheval, farines animales: Quand le capitalisme s'invite dans votre assiette avec

Barbara Van Dyck (porte-parole du Field Liberation Movement) et Daniel Tanuro, ingénieur agronome, militant écosocialiste et auteur du livre L'Impossible capitalisme vert.

bouquins–agenda

Karl Marx, l’homme derrière les idées

Mardi 11 juin 2013 à 19h30 60 ans d'immigration à Bruxelles

avec Hans Vandecandelaere, historien, auteur du livre Bruxelles, un voyage à travers le monde. Au Pianofabriek, 35 rue du Fort

1060 Bruxelles (métro Parvis de St-Gilles) formationleonlesoil@gmail.com tél. 0487 / 733 029

La Gauche Où trouver La Gauche à Bruxelles? En vente dans les librairies suivantes: Tropismes

Galerie des Princes, 11 1000 Bruxelles Filigranes

Avenue des Arts, 39-40 1000 Bruxelles Cent Papiers

Avenue Louis Bertrand, 23 1030 Schaerbeek Couleur du Sud

Avenue Buyl, 80 1050 Ixelles Aurora

Avenue Jean Volders, 34 1060 Saint-Gilles Volders

Avenue Jean Volders, 40 1060 Saint-Gilles Joli Mai

Avenue Paul Dejaer, 29 1060 Saint-Gilles

la gauche #62 mai-juin 2013

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