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61e année prix 2 euros | 17 mars-avril 20

BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 MARS-AVRIL 2017


sommaire

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e prix 2 euros | 61e anné mars-avril 2017

3 Édito par La Gauche La place du Trumpisme dans l'Histoire par Daniel Tanuro 4 Trump en Belgique les 24 et 25 mai: Le comité d'accueil se prépare 1 1 par Mauro Gasparini Trump et le mouvement ouvrier par Dan la Botz 1 2 En Italie, un mouvement féministe de masse est en marche 1 4 par Nadia De Mond Que font réellement les entreprises pour lutter contre le 1 6 réchauffement climatique? par Martin Willems Publifin-Nethys: L’éclatement d’une bombe à fragmentations! 1 9 par Denis Horman

2 2 Fraude fiscale et sociale dans l’Horeca par Guy Van Sinoy Il y a 20 ans: 70.000 à Clabecq par Guy Van Sinoy 24

2 6 Pacte d’excellence: L’école (toujours plus) au service du capital par Pauline Forges 2 8 Zin TV: "Impliquer les mouvements sociaux dans la création médiatique" propos recueillis par Matilde Dugaucquier 3 0 France: Qu’attendre de la présidentielle? par Christine Poupin 3 2 Petrograd, 8 mars 1917: "Le peuple veut la chute du régime!" par Jean Batou Cinquante nuances de violences faites aux femmes 34 par Sophie Cordenos

35 À lire... La Une: Illustration d'une "matrioska" utilisée par les féministes italiennes du mouvement "Non una di meno" contre les violences machistes le 26 novembre 2016 et pour la grève globale des femmes le 8 mars 2017. twitter.com/nonunadimeno

Comité de rédaction: Sébastien Brulez, Matilde Dugaucquier, Pauline Forges, François Houart, Thibaut Molinero, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy Design: Little Shiva La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale. Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction. Adresse et contact: 20 rue Plantin,1070 Bruxelles info@lcr-lagauche.org Tarifs et abonnements: 2 euros par numéro; 10 euros par an étranger: 20 euros par an Abonnement de soutien: 15 euros A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention"La Gauche”

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photomontage: Little Shiva — facebook.com/pedro.gatto.54

✒ par La Gauche Les manifestations du 8 mars dernier, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, n’avaient plus été aussi impressionnantes depuis plusieurs décennies. Des mobilisations ont eu lieu dans plus de 40 pays et se sont doublées d'un appel à la grève pour "mettre à jour la trame économique de la violence patriarcale". Un mouvement de contestation à l'échelle mondiale s'est coordonné sous nos yeux, dessinant une nouvelle géographie et s'organisant à travers les réseaux sociaux: "Une nouvelle pratique de l’internationalisme féministe" (1). Par exemple, ce sont sans aucun doute les luttes féministes en Amérique latine ou en Pologne qui auront contribué à raviver un mouvement féministe de masse en Italie [lire notre article en pages 14 et 15]. Cette émulation et cette coordination pourraient servir de source d'inspiration pour nos mobilisations à venir. N’oublions pas que c'est la manifestation des femmes le 8 mars à Petrograd qui a déclenché le processus révolutionnaire dans la Russie de 1917 [lire en pages 32 et 33]. Et pour combattre les effets dévastateurs que le capitalisme néolibéral entraîne à l'échelle planétaire, nos mobilisations se doivent elles aussi d'êtres planétaires, tout en

articulant luttes locales et luttes globales. Ces mobilisations féministes suivent de quelques semaines à peine les "women's marches" de janvier (d’autres secteurs s’y étaient joints mais l’initiative en était clairement féministe!) en réponse à l'élection de Donald Trump. Ces dernières avaient essaimé dans de nombreuses capitales, furent elles aussi multiples, massives et comptaient d'importantes revendications féministes. Que ce soit contre le "Muslim ban" fin janvier aux Etats-Unis, contre la politique climatonégationniste de Trump le 22 avril à Bruxelles (un rassemblement sera organisé Place de la Monnaie à 16h) ou encore contre la venue du Président étasunien à Bruxelles lors du sommet de l'OTAN des 24 et 25 mai [lire en page 11]. L'élection de Donald Trump et le "potentiel de barbarie sans précédent" qu'elle recèle [lire en pages 4 à 10] ont ravivé la contestation.

Ne pas se laisser Trumper, lutter ici et maintenant!

Malgré ces sursauts certes encourageants, la situation reste délétère. Et focaliser nos dénonciations sur Trump sans démasquer "nos" petits Trumps nationaux serait une grave erreur. Les murs de l'Europe forteresse (de Ceuta et Melilla à la Grèce en passant par la

édito

Géographie mondiale des contestations Hongrie) n'ont rien à envier au mur que Donald Trump veut finir de construire entre les États-Unis et le Mexique. La politique migratoire du sinistre Theo Francken, les attaques répétées de Maggie De Block contre le système de santé et la politique du gouvernement Michel de manière générale, sont autant de raisons de se mobiliser. Mais, comme pour Trump, se battre contre la droite implique aussi de couper court à toute les illusions sur le retour d'un "moindre mal". Le rapport publié récemment par l'Onem est là pour nous le rappeler: 37.000 personnes ont été exclues des allocations d’insertion sur les deux dernières années, suite aux mesures entamées par le gouvernement Di Rupo et poursuivies par le gouvernement Michel. Contre la cure d'austérité qui nous est infligée par la droite (nationaliste flamande et libérale francophone) on ne peut se contenter de vouloir revenir à une austérité "douce" administrée par une socale démocratie "dont le cœur saigne"! La seule voie possible est celle d'une alternative anticapitaliste à construire par les gens eux/elles-mêmes, sans déléguer notre pouvoir à quelques tribuns que ce soit. ■ (1) Lire Comment s’est tissé l’appel à la Grève Internationale de Femmes? par Collectif Ni Una Menos, www.lcr-lagauche.org/comment-sest-tisselappel-a-la-greve-internationale-de-femmes

Manifestantes à New York (Washington Square Park) le 8 mars 2017 la gauche #81 mars-avril 2017 3


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La place du Trumpisme dans l'Histoire ✒ par Daniel Tanuro Trump a un projet: gérer les EtatsUnis comme une grande entreprise, transformer celle-ci en forteresse du "capitalisme judéo-chrétien", la restructurer à la hussarde, puis lui rendre une hégémonie mondiale sans partage. Harcèlement du personnel, brutalité avec les concurrents, déni des externalités environnementales sont simplement copiés/ collés du niveau de son business à celui de la société. Milliardaire populiste inculte, nationaliste, raciste, sexiste, homophobe, islamophobe, antisémite, Trump ambitionne de remodeler la société US et la carte du monde au marteau, en faisant fi de ce qui existe et en brisant ce qui résiste. Diverses fractions de la classe dominante suivent les foucades du nouveau Président avec inquiétude. Pourront-elles le canaliser? Devront-elles s’en défaire? Les deux options sont ouvertes. Mais une troisième ne peut être exclue: que le boutefeu, par une fuite en avant, fasse basculer le monde dans un cauchemar de guerre et de désastre climatique. Car Trump ne tombe pas du ciel, il est un produit des contradictions capitalistes inextricables que la gouvernance néolibérale maîtrise de plus en plus difficilement et qui fragilisent à l’extrême les superstructures

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politiques dans un monde en crise d’hégémonie. Dans ces circonstances, l’autonomie relative du politique ainsi que des individus tend à s’accroître. Le pouvoir fort est tendance. Non seulement chez le protectionniste Trump, mais aussi chez ses concurrents mondialistes d’Europe et d’Asie. La menace est globale, la riposte sociale doit être à la hauteur. Appréhender la signification du Trumpisme implique de prendre du recul sur les contradictions du capital et leur évolution, d’où découle la situation actuelle. On sera alors mieux à même de comprendre que l’élection de Trump à la présidence des Etats-Unis n’est pas un accident de parcours mais le symptôme de quelque chose de plus profond, pouvant marquer le début d’une ère nouvelle. Une des caractéristiques majeures du capitalisme est la contradiction croissante entre la rationalité partielle des entreprises et l’irrationalité globale du système. Les entreprises – les grandes en particulier – mettent la science la plus moderne au service du profit pour organiser rigoureusement le travail et planifier les investissements. Par contre, l’économie et la société dans son ensemble se développent sans plan, d’une manière chaotique, selon les contraintes et les hasards du marché.

Cette contradiction est le produit de la nature même du mode de production. D’une part, les décisions sur ce qui doit être produit, comment, pour quoi, pour qui et en quelles quantités sont prises par des capitalistes concurrents, en fonction de leur seul objectif de profit. Pour survivre, chaque propriétaire de capital est tenu de ne rien laisser au hasard. D’autre part, la socialisation de la production se fait à l’aveugle. L’intérêt général, en fait, ne se définit qu’en creux: comme la manière dont la société et l’environnement se plient, pas à pas, aux impératifs de la production de survaleur.

Un tournant majeur pour les USA, un moment charnière pour le monde

Une fonction clé des superstructures politiques et étatiques est de dissimuler cette réalité, afin d’assurer au mode de production la légitimité sociale sans laquelle il ne pourrait survivre. Or, l’idéologie néolibérale et le mode de re-régulation qui en découle sont bien en peine, désormais, d’assumer cette tâche. Surtout aux Etats-Unis. Le sauvetage des banques lors de la crise de 2007-2008 constitue à cet égard un point tournant. L’idée que le système, tel qu’il est, fonctionne dans l’intérêt général, a volé en éclats. S’y ajoute le fiasco de la


photomontage: Little Shiva — facebook.com/ar tistjohngraham

De la boucherie de 14-18 à l’obsession de la stabilité

Plus la rationalité partielle du capital se développe, plus l’irrationalité globale du système s’accroît et devient menaçante. Elle s’exprime par la crise périodique de surproduction et de suraccumulation et, si nécessaire, par la guerre. Car la guerre capitaliste n’est que le prolongement de la guerre de concurrence par d’autres

moyens, pour paraphraser Clausewitz. Comme la crise, la guerre a sa place dans la rationalité partielle du capital: forme extrême de la "destruction créatrice" chère à Schumpeter, elle élimine des forces productives excédentaires, favorise l’innovation technologique et ouvre de nouveaux champs à la valorisation du capital. Au cours du 20e siècle, l’irrationalité globale s’est manifestée une première fois dans toute son ampleur sous la forme de la boucherie de 1914-1918. La révolution russe de 1917 ouvrit une brèche mais resta isolée, de sorte que la folle course productiviste du capital repartit de plus belle sur le reste de la planète. On connaît la suite: la rationalité partielle des capitaux en lutte déboucha sur la crise de 1928. Ce fut ensuite la victoire du nazisme, une deuxième guerre mondiale, la Shoah et les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki… Comme le soulignait Ernest Mandel, les Trente Glorieuses d’après-guerre ont été rendues possibles par l’ampleur des destructions qui les ont précédées (1). Dans la seconde moitié du siècle, la possibilité que le système bascule dans l’autodestruction commença à effrayer jusqu’à ses propres représentants politiques. Un moment, certains envisagèrent d’en finir militairement avec le "camp socialiste" (qui n’avait plus rien de "socialiste", mais continuait d’échapper à l’investissement capitaliste)... En fin de compte, cependant, une autre voie fut adoptée. Sous la houlette de la superpuissance US, et grâce à la longue période d’expansion d’après-guerre, le capitalisme se dota d’institutions politiques et économiques pour tenter d’empêcher

un nouveau dérapage dans la barbarie généralisée. La stabilité du monde devint une obsession. La clique bureaucratique au pouvoir en URSS la partageait, à partir de ses intérêts spécifiques: ce fut la "coexistence pacifique". Après l’effondrement du Bloc de l’Est et le rétablissement du capitalisme en Chine, les dirigeants russes et chinois intégrèrent le club des chefs capitalistes qui défendent leur part du gâteau tout en collaborant à la stabilité. Le néolibéralisme lancé par Thatcher et Reagan plus de dix ans auparavant servit de bible commune, et les médias reprirent à l’envi la formule de Fukuyama sur la "fin de l’histoire". C’était oublier que le capitalisme est incapable de juguler durablement ses contradictions. En 2007, la crise financière éclatait, prouvant que la rationalité partielle des capitaux n’avait pas cessé d’entasser des matières explosives au cœur du système. Au contraire, elle en accumulait plus que jamais.

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guerre en Irak – fomentée à coups de mensonges sur les "armes de destruction massive" – qui donne des arguments aux partisans de l’isolationnisme américain. La déstabilisation est profonde, la crise des deux grands partis bourgeois en témoigne. La question du (régime du) capitalisme est posée. Sur la gauche, cette déstabilisation a produit les mouvements Occupy, Black Lives Matter, le mouvement pour les 15 dollars et la campagne de Bernie Sanders. Sur la droite, elle a produit le Tea Party puis Trump qui prolonge, radicalise et dépasse le Tea Party. Sa victoire constitue un tournant majeur. Vu le poids décisif des Etats-Unis dans tous les domaines, on peut risquer l’hypothèse que nous sommes à un moment charnière de l’histoire mondiale, comparable aux grandes crises du 20e siècle. Un tournant majeur, plus profond, donc, que celui qui avait été impulsé par Reagan et Thatcher. Ce qui est ébranlé, en effet, c’est non seulement l’ordre néolibéral instauré depuis les années 80, mais aussi l’équilibre des relations entre puissances, le système d’hégémonie tel qu’il s’est mis en place et a évolué après la seconde guerre mondiale. C’est de cela qu’il faut essayer de prendre la mesure. En se rappelant de quoi le capitalisme est capable…

L’épuisement d’un système

On le mesure aujourd’hui. Dans le sillage de 2008, le monde fut secoué par les révolutions (et les contre-révolutions) arabes ainsi que par la crise de l’Union européenne – avec l’étranglement de la Grèce, puis le Brexit. Entre-temps, la guerre inter-capitaliste n’était déjà plus que commerciale: l’impérialisme US avait relancé la guerre tout court, en Afghanistan et en Irak. Ces guerres locales avaient un enjeu global: garder le contrôle du Moyen-Orient, lieu stratégique de l’hégémonie US sur la planète. Le résultat, on le sait, fut à l’opposé: l’Irak en ruines fournit le terreau de l’Etat islamique; toute la zone est aujourd’hui déstabilisée, avec De gauche à droite: un agriculteur par Millet, soldats 14-18, une usine Ford des années 30, discours de Nikita Khrouchtchev sur la "coexistence pacifique" et Trump par John Graham

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C’est là que nous en sommes: ce rationalité partielle qui est la cause du régime atteint ses limites. Il alimente chaos est vue comme le moyen d’en la crise du politique qui revient comme finir avec le chaos. Alors que la frénésie un boomerang vers les gouvernants et de profit du capitalisme est responsable devient un élément majeur du chaos. Au en dernière instance de la crise sociale, fondement de ce phénomène, il y a le y compris de la crise du politique, des fait que les institutions de la démocratie "capitaines d’industrie" sont vus comme parlementaire bourgeoise sont largement les sauveurs capables de débarrasser la vidées de leur contenu. Cette réalité est société de l’engeance des politiciens, des particulièrement insupportable pour bureaucrates et du mauvais capitalisme les bourgeois et les petits-bourgeois qui, des copains – financier, cosmopolite, sans d’un côté, ne peuvent pas imaginer la fin foi (le "crony capitalism", selon Bannon) du capitalisme et, de l’autre, n’ont pas qui gâte le bon capitalisme d’antan (4). prise sur les lieux de pouvoir mondiaux Pour résoudre les problèmes, il "suffirait" où le néolibéralisme tente de gérer ses qu’un Chef rétablisse l’ordre, débarrasse contradictions ("le parti de Davos", entreprises et citoyens des "charges" qui comme dit Steve Bannon). Des travailleurs les étouffent, et restaure la domination de (blancs, et mâles surtout) peuvent être l’Occident chrétien. Trump pousse cette logique jusqu’à la abusés, mais le Trumpisme exprime caricature. Avec son équipe de milliardaires avant tout une révolte réactionnaire des bigots et de généraux galonnés, le couches petites-bourgeoises et bourgeoises nouveau locataire de la Maison Blanche intermédiaires, enragées contre la s’est mis en tête de gérer les Etats-Unis à gouvernance néolibérale globalisée qui les la baguette, comme une grande entreprise. a dépossédées de leur pouvoir politique (3). Il est facile de tourner le personnage en Ramener USA Inc. dans le giron ridicule, mais il serait dangereux de le du bon capitalisme d’antan sous-estimer. Car Trump a un projet, qui Marx ironisait volontiers sur le fait consiste pour ainsi dire à restructurer que, dans la société capitaliste, la réalité radicalement la multinationale USA Inc. marche sur sa tête. C’est le cas avec Il sait que le groupe est encore dominant Trump et ses supporters. Dans l’univers mais en danger de perdre sa position de mental de ces gens, en effet, la fausse leader mondial. Dans son esprit, il faut donc frapper vite et fort. Que fait un patron qui arrive à la tête d’une entreprise dans une telle situation? Il donne rapidement quelques signes clairs de sa détermination, se défait des activités qui ne sont pas (assez) rentables, sème la peur, licencie du personnel (femmes et immigrés en premier), recentre le groupe sur son core business, augmente les cadences de travail, remonte les bretelles de ses directeurs de succursales (c’est bien ainsi que Trump a traité le Président du Mexique et le Premier ministre australien!) et établit de nouvelles alliances stratégiques pour préparer l’affrontement avec ses ennemis principaux. Le parallèle est assez clair avec les premiers pas de la nouvelle présidence.

Hégémonie, guerre sainte à l’extérieur et réaction à l’intérieur Dessin de l'artiste américano-cubain Edel Rodriguez publié à la Une Der Spiegel. twitter.com/edelstudio

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Ce qui rend Trump extrêmement dangereux potentiellement, c’est la crise d’hégémonie, autrement dit l’absence de toute puissance – ou de toute relation stable entre puissances – à même d’établir des règles, de tracer des lignes à ne pas franchir entre forces impérialistes

r tbf.be/info/dossier/donald-trump-president-nouvelle -page - de -l-histoire -americaine/detail_le -spiegel-met- en-une -un- dessin- de -trump- decapitant-la-statue - de -la-liber te?id=9521752

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menace d’embrasement régional généralisé… Pour le coup, les conséquences sont planétaires: l’Union européenne joue sa survie dans la "crise des réfugiés", le gendarme étasunien ne parvient pas à récupérer ses capacités d’intervention, la Chine et la Russie profitent de la situation pour avancer leurs pions sur l’échiquier capitaliste mondial. Le tableau est brossé à très gros traits, pour faire apparaître la montée des contradictions du système et de sa gouvernance néolibérale globale. Sorte de mécanisme despotique de construction de consensus sous contrainte de maximisation du profit capitaliste, cette gouvernance a permis d’éviter ou de mitiger des crises, mais ses dispositifs, de plus en plus nombreux et opaques, ne font que reporter les échéances sans rien résoudre. Les tensions objectives continuent à se développer, parce qu’il est de plus en plus difficile au capitalisme de compenser la baisse du taux de profit par l’accroissement de sa masse, comme le souligne François Chesnais (2). Concomitamment, la difficulté subjective de maîtriser ces tensions s’accroît parce que les partis au pouvoir s’usent à n’être plus que les exécutants d’un monstre technocratique qu’ils ont créé pour se soumettre à ses règles.


photomontage par orionnebula — designcrowd.com/community/contest.aspx?id=1671725

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ou "camps opposés". Lors de la crise des missiles à Cuba (1962), le monde fut à deux doigts de la guerre nucléaire. Tirant les leçons de l’affaire, Moscou et Washington établirent une ligne directe entre le Kremlin et la Maison Blanche: le "téléphone rouge". Il n’y a rien de semblable aujourd’hui entre la Chine, la Russie et les USA. Cette situation n’est pas sans rappeler les premières années du 20e siècle, lorsque le déclin du Royaume-Uni et la montée de l'Allemagne ont débouché sur la Première guerre mondiale. On ne peut exclure que la montée des tensions crée à l’avenir une situation où il suffirait d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. En Mer de Chine du Sud, ou ailleurs… L’essentiel pour Trump, apparemment, c’est la lutte contre la montée en puissance de la Chine capitaliste, seule rivale susceptible de menacer un jour l’hégémonie US déclinante. Sur le plan géostratégique, il faut donc séparer Moscou de Pékin et, pour cela, donner un os à Poutine: par exemple, une partie de ce que la Russie considère comme son "espace vital" en Europe centrale et au Moyen-Orient (Syrie)… De cette alliance avec le Kremlin, Trump escompte par ailleurs une collaboration dans la guerre sainte contre l’islamisme, qui est son autre obsession. Du coup, les déclarations sur "l’obsolescence" de l’OTAN et en faveur du Brexit sont moins absurdes qu’elles n’en ont l’air, et seuls les naïfs peuvent croire que le coup de téléphone à la dirigeante de Formose était une erreur due à l’inexpérience. Sur le plan intérieur aussi, il y a une logique: le racisme, l’homophobie, le sexisme, l’islamophobie, le mur avec le Mexique, le soutien aux "pro-vie", le "Muslim ban", etc., ne visent pas seulement à semer la division dans le monde du travail en désignant des boucs émissaires, pour préparer les attaques de régression sociale (contre l’Obamacare, notamment). Ces thèmes ont aussi pour fonction de souder les forces et réseaux réactionnaires blancs – dont le soutien militant sera bien nécessaire à Trump pour affronter la résistance sociale, voire les oppositions au sein de sa propre classe.

Cachez cette crise climatique que je ne saurais voir

Dans ce melting-pot, le climatonégationnisme occupe une place spécifique dont il faut dire deux mots. On a signalé d’entrée de jeu que la contra-diction entre rationalité partielle et irrationalité globale tend à s’approfondir au fur et à la gauche #81 mars-avril 2017

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Trois exemples: 1. Une partie des dirigeants syndicaux américains espèrent que le protectionnisme relancera l’emploi aux Etats-Unis [lire en pages 12 et 13]. Comme le dit Lance Selfa, "Ces dirigeants syndicaux offrent à Trump la couverture dont il a besoin pour peindre son programme économique sous une couleur ‘populiste’ et favorable aux travailleurs". Ils "fournissent une couche de légitimité à une administration dont l’intention est d’attaquer des sections entières de la classe laborieuse, y compris les immigrés et les sans-papiers." (6); 2. Le fait que Trump se réjouisse du Brexit ne fait pas de lui un "allié objectif" de la gauche opposée à l’Union européenne, comme certains "souverainistes de gauche" semblent le penser. La gauche combat l’UE au nom d’une alternative anticapitaliste, donc internationaliste. Elle n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le camp des Trump, Farage, Le Pen et Cie. 3. Dans le même ordre d’idées, la gauche n’a pas à se réjouir quand Trump parle d’obsolescence de l’OTAN. Nous combattons l’OTAN parce que nous refusons la guerre et le militarisme. Notre objectif ne peut pas être de créer "un autre dispositif de sécurité européen intégrant Moscou". Un tel dispositif augmenterait l’influence de la principale force réactionnaire du continent – la Russie – et donnerait aux USA les mains libres pour un conflit avec la Chine… Vous avez dit "pacifisme"? Le Trumpisme n’est certes pas un nazisme, mais l’usage systématique du mensonge, le nationalisme et la mobilisation réactionnaire des petits bourgeois enragés évoquent les années 30. Par ailleurs, comment ne pas rapprocher "America fisrt" et "Deutschland über alles"? "Je suis le candidat de la loi et de l’ordre", a martelé Trump pendant sa campagne électorale. Le voici à la Maison Blanche et il plaide ouvertement pour l’usage de la torture, donne l’ordre de publier hebdomadairement une liste des crimes commis par des étrangers, et attaque les journalistes au nom de "faits alternatifs"… Il serait dangereux de laisser l’indignation et la vigilance retomber en misant sur le fait que la majorité de la classe dominante américaine ne soutient pas ces foucades.

Autonomie relative du politique, rôle des individus dans l’histoire

Les grands médias se sont empressés de dire que le nouveau président devrait forcément "mettre de l’eau dans son vin".

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photo: DPA — thelocal.de/20170227/in-pics- german- carnival-floats-show-trump-no-merc y

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mesure du développement du capital. mystification dont il faut se débarrasser Cet approfondissement n’est pas que d’urgence. Ils ne veulent de cette quantitatif: de nouveaux problèmes conclusion à aucun prix. apparaissent. La crise écologique joue Or, le changement climatique est le ici un rôle clé, en particulier le défi comble de l’irrationalité globale. Peut-on climatique. En effet, les mesures à prendre en effet imaginer folie plus complète ont été si longtemps différées qu’il devient que celle-ci: une société d’une haute impossible de parer le danger sérieusement scientificité, et qui a les moyens d’agir, sans mettre en question la logique sait avec une quasi-certitude que sa d’accumulation capitaliste. dynamique d’accumulation menace de La feuille de route de la gouvernance destruction des centaines de millions globale intègre dorénavant les objectifs de gens et d’innombrables richesses du "développement durable" et de naturelles, mais ne fait en gros rien d’autre "l’internalisation des externalités". Mais que des déclarations d’intentions… Pour ni les milliers de pages sur les bénéfices Trump et Cie, cette contradiction est de trop. d’une "économie verte" ni les accords Incapables de l’affronter, ils choisissent péniblement négociés dans les sommets tout simplement de nier ce qui la fonde, et internationaux ne dissuadent le capital fourrent les accords internationaux dans de brûler massivement des combustibles le sac à jeter de la mondialisation. Voilà fossiles. Le réchauffement continue de comment le négationnisme climatique, plus belle, menaçant l’humanité d’une chassé du débat public par la porte de la méga-catastrophe irréversible, d’une science, parvient à y revenir par la fenêtre ampleur inimaginable: qui peut se de la politique. représenter les conséquences d’une hausse Un projet réactionnaire global de douze mètres du niveau des océans? Le projet de Trump est global et fait Dans un moment de lucidité, peser une menace globale. C’est le projet Nicholas Stern avait écrit que "le réactionnaire d’un capitalisme voyou, changement climatique est l’échec le brutal et très autoritaire, sorti tout droit plus grave de l’économie de marché" (5). de la tête d’un patron nationaliste qui Cet aveu a été vite enterré: trop explosif. peste contre toute contrainte: "les charges Ce n’est pas un hasard: d’une manière générale, les capitalistes, leurs idéologues sociales", les syndicats, les concurrents, et leurs représentants politiques sont "la paperasserie", la presse, les écologistes, littéralement incapables de comprendre les règles de la "bonne gouvernance"… que l’irrationalité globale découle de Un patron qui, face à ces défis, cherche la rationalité partielle du capital. Leur à diviser les travailleurs par des attaques position de classe les en empêche. Ils racistes et sexistes. Ce projet doit être devraient admettre que la rationalité combattu en tant que tel. Dans tous du capital est une fausse rationalité qui ses aspects, sans aucune ambiguïté. Ce entraîne l’humanité vers un gouffre, une jugement ne fait pas l’unanimité à gauche.


de Trump lors de la primaire républicaine, suffisante, la majorité du patronat peut s’y puis son élection à la Maison Blanche, rallier, ou laisser faire. montrent que cette autonomie est bien Analysant en détail l’ordre exécutif réelle. Les observateurs qui avaient sur le “Muslim ban”, Laleh Khalili estime pronostiqué que le tycoon serait battu qu’il a été conçu délibérément pour créer parce que Wall Street ne voulait pas de lui “l’incertitude et l’arbitraire nécessaires à se sont trompés. l’exercice du pouvoir par le fait accompli" (10). En outre, l’auteure attire l’attention Le coup monté sur le fait que cet ordre exécutif de comme méthode politique Trump a été appliqué immédiatement Comparaison n’est pas raison, mais et avec zèle par les fonctionnaires de le grand capital allemand a mis Hitler au l’administration des frontières, un milieu pouvoir pour qu’il casse le mouvement très favorable au nouveau président. On ouvrier, pas pour qu’il l’entraîne dans peut se demander comment l’affaire la deuxième guerre mondiale et dans la aurait évolué sans la résistance sociale Shoah. Or, il avait prévu de le faire, et il antiraciste spontanée et massive. l’a fait… en trompant ses interlocuteurs La crise des partis US, notamment sur ses intentions, puis en instaurant sa celle du Parti républicain, crée un condictature… Et qu’ont fait les magnats de texte favorable à la "stratégie du choc", et Thyssen, Krupp, IG Farben, Allianz et autres on ne peut que suivre Laleh Khalili quand fleurons de l’économie allemande? Ils se elle note que "cette méthode convient parsont accommodés de la situation, et ont faitement au style autoritaire de Trump et bien profité de la "destruction créatrice". de ses conseillers". Le principal de ceux-ci, Il ne faut se faire aucune illusion et garder à l’esprit que c’est la dictature – et Steve Bannon, est un stratège d’extrêmepas la démocratie – qui est inhérente au droite, fondamentaliste chrétien qui système capitaliste. Elle est quotidienne ambitionne de détruire l’establishment dans les relations de travail au sein des US pour instaurer une dictature qui fera entreprises et sur le "marché de l’emploi". la guerre à l’islam et à la Chine. Une fois Le mouvement ouvrier, par la lutte, a que des individus de ce style s’emparent du conquis des droits démocratiques, mais pouvoir politique, on ne peut pas exclure ceux-ci sont remis en cause dès que qu’ils parviennent effectivement à forcer la classe dominante sent son pouvoir l’avenir, dans certaines limites. menacé. C’était vrai dans les années Un potentiel de barbarie trente, cela reste vrai aujourd’hui. Trump sans précédent inquiète des fractions des possédants, Les conséquences seraient redoutables. mais il répond en même temps, à sa Sur le plan socio-politique, bien sûr. Mais manière, à une "demande" capitaliste, aussi sur le plan environnemental – avec car l’approfondissement des politiques des répercussions sociales et sanitaires d’austérité nécessite un pouvoir fort. Que majeures. A ce propos, il faut lire le récit ce soit sous la forme populiste ou sous de l’audition devant la commission du la forme néolibérale, la tendance autori- Sénat de Scott Pruitt, que Trump a désigné taire s’affirme partout: Erdogan, Poutine, pour diriger l’Agence de Protection de Junker, Xi Jiping, Fillon… l’Environnement: Pruitt ment effronté-

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Il est vrai que son équipe paraît divisée et hétéroclite: le pourfendeur populiste de Wall Street, Steve Bannon, y côtoie Gary Cohn, numéro deux de Goldman Sachs, qui dirigera le Conseil économique. Cependant, au cours de sa première semaine, Trump a concrétisé la plupart de ses promesses populistes, à bride abattue. Il n’est pas certain qu’il pourra continuer. D’une part, la hiérarchie militaire – dont la stratégie impérialiste est fort constante depuis Bush – n’apprécie certainement pas de voir Bannon la supplanter dans le Conseil National de Sécurité. D’autre part, des cercles très influents du grand capital US sont opposés à Trump, en particulier sur quatre points qui sont liés entre eux: la politique internationale, le protectionnisme, les migrants et la réforme fiscale. Si Trump n’est pas "recadré" sur ces questions, une partie de la bourgeoisie US pourrait vouloir se débarrasser de lui comme la bourgeoisie britannique s’est débarrassée de Thatcher en 1990 (lors de la poll tax). Car c’est la classe dirigeante – pas les individus – qui dirige en dernière instance. A l’appui de cette thèse, on peut citer les réactions capitalistes au "Muslim ban" – l’interdiction d’entrée aux USA pour les ressortissants de sept pays du Moyen-Orient. En effet, un grand nombre de patrons d’entreprises clés (Facebook, Google, Starbucks, Goldman Sachs, Citigroup, MasterCard, Ford, Coca-Cola, Amazon…) ont critiqué cette interdiction ouvertement, et parfois durement. Certains (Uber, Syft) l’ont fait par crainte d’un boycott des consommateurs, mais le fond de l’affaire est que le nationalisme blanc de Trump est en décalage complet par rapport au cosmopolitisme du personnel des grands groupes technologiques, à tous les niveaux (7). Cependant, la partie est plus complexe. D’une part, le capital est divisé: ainsi, les importateurs (Wal-Mart) sont opposés au projet de taxe aux frontières, mais les exportateurs (Boeing, General Electric) y sont favorables. D’autre part, la "base Trumpiste" se mobilise aussi: lundi 30 janvier, en réaction aux déclarations du CEO de Starbucks contre le "Muslim ban" #BoycottStarbucks était le hashtag le plus populaire sur Twitter aux Etats-Unis (8)… Affirmer que la classe dirigeante dirige "en dernière instance" – ces trois petits mots sont importants – signifie qu’il y a une double autonomie relative: de la sphère politique par rapport à la sphère économique, et des individus par rapport à la sphère politique (9). La nomination

Le "Muslim ban", un coup d’essai

ment, mais ne parvient pas à cacher qu’il ambitionne de démanteler non seulement Donald Trump n’est pas un politicien la (très insuffisante) politique climatique, bourgeois comme un autre. C’est un menmais aussi des législations clés portant sur teur sans scrupules et un manipulateur, la régulation des émissions de plomb, de à l’instar d’Hitler, de Napoléon III et de mercure, etc. (11) quelques autres figures du même acabit. Jeremy Legget pense que la capacité Or, dans les périodes de crise politique et de nuisance de Trump dans le dossier clide désarroi, où la bourgeoisie elle-même matique est limitée, parce que la transition est profondément divisée, les personnages énergétique capitaliste est irréversible (12). de ce genre sont capables de monter des coups afin de créer le prétexte de leur dic- Elle est sans doute irréversible, en effet, tature – comme Hitler le fit avec l’incendie vu que la chute des prix de l’électricité du Reichstag. Aux yeux de la bourgeoisie, d’origine renouvelable condamne les fosle national-populisme raciste, en désig- siles dans les décennies qui viennent. Mais, nant des boucs émissaires, peut faciliter d’une part, cette transition capitaliste ne l’instauration d’un régime autoritaire. S’il sauvera pas le climat, car elle ne respecte ne rencontre pas une résistance sociale ni les contraintes en termes de réduction la gauche #81 mars-avril 2017

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1) Ernest Mandel, Les ondes longues du développement capitaliste. Une interprétation marxiste, Syllepse, Paris, 2014 2) Lire François Chesnais, "Le capitalisme a-t-il rencontré des limites infranchissables?" www.alencontre.org/laune/le-capitalisme-a-t-ilrencontre-des-limites-infranchissables.html 3) Kim Moody, "Who Put Trump in the White House?", Against The Current, Jan-Feb 2017 4) Bannon a exposé sa vision stratégique dans une conférence donnée en 2014 dans des locaux du Vatican (!) La lecture de ce texte est essentielle. www.dignitatishumanae.com/index.php/this-ishow-steve-bannon-sees-the-entire-world 5) Stern Review, The Economics of Climate Change, 2006 6) Lire Lance Selfa, "Qu’est-ce que signifie ‘rendre l’Amérique à nouveau grande’?", www.alencontre. org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-quest-ceque-signifie-rendre-lamerique-a-nouveau-grande. html 7) Dan La Botz, “Trump Makes Early Enemies”, www.internationalviewpoint.org/spip. php?article4854 8) Financial Times, 31 jan. www.ft.com/ content/315f7568-e6fe-11e6-893c-082c54a7f539 9) Sur le rôle des individus dans l’histoire, lire Ernest Mandel, "Les individus et les classes sociales: le cas de la Seconde guerre mondiale", www. ernestmandel.org/new/ecrits/article/les-individuset-les-classes 10) Laleh Khalili, “With Muslim Ban, Trump and Bannon Wanted Chaos, but Not Resistance”, www.truth-out.org/news/ item/39298-sowing-mayhem-to-reap-power-thesinister-strategy-behind-trump-s-muslim-ban 11) www.nrdc.org/experts/john-walke/ trump-epa-nominee-answers-senators-contemptand-extremism?utm_source=tw&utm_ medium=tweet&utm_campaign=socialmedia 12) Jeremy Legget, "State of The Transition, December 2016", www.jeremyleggett.net/2017/01/ state-of-the-transition-december-2016-asfossil-fuel-diehards-take-over-the-white-housethe-evidence-of-a-fast-moving-global-energytransition-has-never-been-clearer 13) Sur l’impact possible des mesures climatonégationnistes que prendrait Trump, lire D. Tanuro, "Empêchons Trump de commettre un crime climatique", www.lcr-lagauche.org/ empechons-trump-de-commettre-un-crimeclimatique-contre-lhumanite-et-lenvironnement

autocollant Cheetolini par par tyfar ty — redbubble.com/people/par tyfar ty/

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orienter dans un sens anticapitaliste. Car il s’agit de tirer la leçon du succès de Bernie Sanders dans la primaire démocrate: c’est seulement en opposant une rationalité écosocialiste – la rationalité de la satisfaction des besoins humains réels, démocratiquement déterminés dans le respect de l’environnement – à la fausse rationalité partielle du capital qu’il est possible de faire barrage à Trump. Il est de l’intérêt des exploité.e.s et des opprimé.e.s partout dans le monde de marquer leur solidarité la plus large et la plus active avec les mobilisations aux Etats-Unis. D’ailleurs, il ne s’agit pas de solidarité, mais de combat commun. Car l’intérêt commun des exploité.e.s et des opprimé.e.s du monde entier est de battre Trump. Sa défaite sera celle de tous les despotes – ou candidats despotes – qui jouent du nationalisme ou du populisme pour asservir les populations. L’épreuve de force engagée aux Etats-Unis est de portée planétaire. Si le Rien n’est joué, Trumpisme est battu, ou s’il doit "dégager" tout dépend de la lutte sous la pression de la rue, cette victoire Une expression anglaise bien connue encouragera partout la contre-offensive affirme que "Every cloud has its silver des peuples. S’il devait gagner, par lining" [tout nuage a son liséré d’argent]. contre, il faudrait commencer à craindre L’impuissance de la gouvernance sérieusement le risque d’une troisième néolibérale face à l’irrationalité globale –7 février 2017 croissante ne s’exprime pas seulement à guerre mondiale. ■ droite dans le Trumpisme. Elle s’exprime aussi à gauche dans la forte radicalisation Merci à Dan La Botz et à Charles-André rendue visible par le mouvement Occupy, Udry pour leurs suggestions. puis par la campagne de Bernie Sanders pour l’investiture démocrate. L’élection de Trump renforce spectaculairement cette polarisation. Les exploité.e.s et les opprimé.e.s ont réagi immédiatement par des mobilisations massives, largement spontanées. Une semaine après la gigantesque Marche des Femmes du 21 janvier, c’est contre le "Muslim ban" que des centaines de milliers de personnes sont passées à l’action. D’autres luttes suivront. Déjà, l’appel à une People’s March for Climate le 29 avril a toutes les chances de dépasser en ampleur la grande manifestation "climat" qui avait rassemblé 300.000 personnes à New York en 2014. Dans cette lutte, il n’y a rien à attendre des politiciens démocrates. Bernie Sanders les effrayait davantage que Trump. Ils parlent de démocratie, mais incarnent une politique néolibérale à bout de souffle et qui devient elle-même de plus en plus autoritaire. La seule stratégie réaliste consiste à développer les mobilisations et à les faire converger en tentant de les des émissions, ni les échéances de celle-ci. (13) D’autre part, comme Legget l’admet lui-même, la politique internationale de Trump pourrait, par une fuite en avant dans la guerre, créer une situation de fait où la classe dominante US serait contrainte, qu’elle le veuille ou non, de renvoyer la lutte contre le réchauffement au Xème rang des priorités… Etant donné que nous sommes sur le fil du rasoir, le résultat serait terrible, et probablement irréversible. De ce point de vue, le potentiel de barbarie de Trump dépasse tout ce dont le capitalisme s’est montré capable dans le passé. Comme l’écrit François Chesnais [op. cit.]: "La rencontre par le capitalisme de limites qu’il ne peut pas franchir ne signifie en aucune manière la fin de la domination politique et sociale de la bourgeoisie, encore moins sa mort, mais elle ouvre la perspective que celle-ci entraîne l’humanité dans la barbarie."


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Trump en Belgique les 24 et 25 mai:

Le comité d'accueil se prépare

"Pissing in the Hellhole" — illustration: Little Shiva

✒ par Mauro Gasparini Donald Trump, président de la première puissance économique et militaire mondiale, devrait poser les pieds à Bruxelles au mois de mai. Un sommet de l'OTAN est en effet prévu les 24 et 25 mai prochains. Un rendez-vous important pour cette organisation militariste et impérialiste née en pleine Guerre froide et vieille de 68 ans. La résistance s'organise... A l'agenda du sommet, par exemple, il y a la question de la modernisation des arsenaux nucléaires, dans un contexte où Trump a eu des déclarations laissant entendre qu'il défendrait une nouvelle course aux armes nucléaires. Autre question à discuter lors de ce sommet, le respect de l'objectif de l'alliance que chaque Etat membre consacre 2% de son PIB au budget militaire au plus tard en 2024. Seuls cinq des 28 pays de l'Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) respectent actuellement cet objectif, dont la Grèce... L'administration Trump envoie des signaux contradictoires entre le président US qui déclare l'OTAN obsolète et son secrétaire à la défense, le général Mattis – appelé "le chien fou" – qui déclare le soutien indéfectible des EtatsUnis à l'alliance impérialiste. Trump pourrait donc bien demander la hausse de cet objectif de dépenses militaires. L'agression russe en Ukraine offre du pain bénit aux partisans d'un renforcement de l'OTAN à l'Est. Les Etats baltes ou encore "Mad Dog" Mattis

la Pologne réclament plus de soutien de leurs alliés occidentaux. L'OTAN envisage aussi de renforcer des partenariats en Asie, comme avec le Japon. Le Brexit favorise les débats au sein des classes dominantes, notamment en France et en Allemagne, sur un renforcement de la militarisation de l'Union européenne (UE), pendant que l'OTAN joue déjà à la chasse aux réfugié.e.s en Méditerrannée, en soutien à l’agence Frontex et à l'Europe forteresse. En Belgique, le gouvernement Michel a approuvé un plan en juin 2016 pour que le budget de la Défense atteigne 1,3% du PIB en 2030 – contre 0,9% aujourd'hui. Soit une hausse d'au moins 2,6 milliards d'euros. Ajoutons à cela l'achat de 34 avions de chasse F-35 prévu par notre gouvernement pour la somme de 15 milliards d'euros (tous frais compris), et on constate une fois encore que l'offensive capitaliste, raciste et autoritaire actuelle dégage une odeur de soufre et de guerre. Une campagne a lieu contre l'achat de ces avions, justement adaptés pour porter les armes nucléaires modernisées des Etats-Unis et stockées chez nous à Kleine Brogel. Mais le mouvement dit "antiguerre" est mal en point, en Belgique aussi. Beaucoup d'organisations, comme Intal, Vrede et même la CNAPD (Coordination nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie) ont sombré partiellement ou parfois totalement dans la justification de graves agressions militaires et de crimes de guerre que ce soit en Syrie ou en Ukraine, au nom d'une politique qui dénonce l'OTAN comme unique source de guerre, qui euphémise de façon caricaturale les guerres d'Assad et Poutine; et qui efface dans son discours l'existence même de mouvements sociaux dans les pays concernés. Les anticapitalistes et internationalistes, dont nous sommes, n'ont pas cédé sur les principes: nous nous sommes opposé.e.s aux interventions militaires de la Belgique, que ce soit en Afghanistan ou

plus récemment en Irak. Celles-ci n'ont jamais eu pour but d'aider les populations locales. Pour autant, nous n'avons eu de cesse de dénoncer la brutalité d'Assad et Poutine, entre autres, et de défendre une solidarité internationale des mouvements populaires pour la justice sociale, les libertés démocratiques et contre toutes les guerres contre-révolutionnaires, celles des dictatures bourgeoises corrompues comme celles des puissances impérialistes de première ou de seconde zone.

Une occasion pour reconstruire le mouvement antiguerre

Cela étant, la venue de Trump en Belgique est une occasion de choix pour le mouvement social, toutes composantes confondues, de se réveiller, de se réunifier, et de le faire sur des bases politiques saines et unitaires. Trump, par l'agenda capitaliste, hétéro-sexiste, raciste, militariste et destructeur de la planète qu'il représente, nous met face à nos responsabilités tout en permettant une convergence des luttes comme on en a rarement vue! C'est pourquoi un processus se met en place pour préparer une manifestation qui, pour être massive et pluraliste en mai, devrait refléter de façon démocratique toutes les composantes du mouvement social en Belgique, et ne pas épargner non plus les petits Trump belges, comme Théo Francken, ou simplement les laquais du Trumpisme, comme Charles Michel. Le mouvement doit s'appuyer sur les mobilisations féministes, celles des scientifiques et celles des anti-guerre notamment, mais sans oublier la dimension antiraciste, la lutte contre l'Europe forteresse et pour la régularisation des sans-papiers, et, last but not least, le mouvement syndical. Rendezvous le 24 mai pour montrer au monde que la Belgique ne veut pas de Trump et de son monde! ■ la gauche #81 mars-avril 2017

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Trump et le mouvement ouvrier

Made In China

Donald Trump a gagné l'élection présidentielle principalement en raison du vote des riches et de la classe moyenne, mais le vote ouvrier était également important et il n'aurait pas pu gagner sans lui. Trump a fait campagne pour la Présidence sur une plate-forme destinée à conquérir des électeurs de la classe ouvrière, mais surtout les travailleurs blancs. Son programme nationaliste promettait, d'une part, des projets d'infrastructure tels que la construction d'autoroutes, de ponts et de chemins de fer, et, d'autre part, l’érection d’un mur le long de la frontière sud de la nation pour repousser les immigrant.e.s qui sont des concurrent.e.s à faible salaire pour des travailleurs/euses américain.e.s natifs/ves. La combinaison des incitations économiques et de la xénophobie s'est révélée juste assez forte pour gagner quelques centaines de milliers d'électeurs de la classe ouvrière blanche de la Rust Belt qui ont fourni à Trump sa faible majorité au collège électoral.

Le cabinet du travail de Trump

Alors qu'il promettait des emplois, Trump n’a jamais promis de respecter les syndicats, les contrats syndicaux, les salaires. Trump a désigné Andrew Pudzer comme Secrétaire au Travail et Betsy DeVos comme Secrétaire à l'Education. Tous deux sont connus pour leurs positions antisyndicales. Devos, une milliardaire, a été une dirigeante du mouvement appelé "Choix de l'école": elle a promu les écoles privées contre les écoles publiques, en utilisant une partie de sa fortune immense pour le faire. Le Sénat l'a confirmée par un vote. Les syndicats d'enseignant.e.s la considèrent comme un ennemi mortel. Le candidat au poste de Secrétaire au Travail, Pudzer, qui pèse 25 millions de dollars, est le PDG de CKE Restaurants, qui gère les chaînes de fast-food Hardee et Carl's Jr. Il s'oppose aux lois sur le salaire minimum ainsi qu’à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Son palmarès en tant qu'employeur est choquant. Ses employé.e.s ont déposé de

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nombreuses plaintes contre ses franchises, l’accusant de vol de salaire, de harcèlement sexuel et de pratiques de travail déloyales. Il a également illégalement employé une travailleuse sans-papiers comme femme de ménage et a été accusé d'abus par sa femme. Trump pourrait bien avoir à retirer la nomination de Pudzer. (*)

Gagner les syndicats de branche

Lors de son premier jour de mandat, Trump a rencontré les dirigeants des syndicats du bâtiment. Ces métiers sont historiquement la section la plus conservatrice du mouvement ouvrier américain, composé de métiers tels que les charpentiers et les électriciens. Les dirigeants corpulents de ces syndicats de branche se répandent avec enthousiasme sur le nouveau Président qui a parlé aux dirigeants syndicaux de ses plans d’autoroutes, de ponts et, bien sûr, du mur à la frontière. "Nous sommes de la même industrie", a déclaré Garvey Sean McGarvey, président du North America’s Building Trades Unions. "Il comprend l’importance de l’ascension sociale, de l’accès à la classe moyenne." Un accès réservé à certains,

blancs en majorité, bien entendu. Il y a cinquante ans, les travailleurs de la construction étaient presque tous des hommes blancs. Aujourd'hui, à l'exception de la Laborers International Union, qui compte beaucoup de membres noirs et latinos, ces syndicats restent en général essentiellement blancs et masculins. Le tournant de Trump vers ces métiers est destiné à consolider sa base parmi la classe ouvrière blanche. Pourtant, ce plan ne va pas sans problèmes. Le programme de 2016 du Parti républicain demande l'abrogation de la loi Bacon-Davis de 1931, qui stipule que les projets de travaux publics paient les salaires locaux en vigueur (généralement l'échelle syndicale). Cette loi a été absolument essentielle au maintien des salaires et des revenus des travailleurs de la construction. Si Bacon-Davis était renversé, l'impact sur les métiers serait désastreux. Quand Trump a été interrogé sur Bacon-Davis, il a refusé de s'engager mais, quelques jours plus tard à peine, le sénateur républicain Jeff Flake de l'Arizona a présenté un projet de loi pour suspendre Bacon-Davis sur les projets

photo: Sean Posey — billmoyers.com/stor y/workers-arent-hearing- democrats/

✒ par Dan La Botz


L'AFL-CIO – Neutralisé

La stratégie Trumpiste de séduction des métiers du bâtiment semble avoir neutralisé efficacement l'AFL-CIO, la plus grande et la plus importante organisation ouvrière du pays, qui avait soutenu Hillary Clinton. Le président de la fédération, Richard Trumka, ancien président du United Mine Workers Union (UMW) – dont les membres ont largement voté pour Trump parce qu'il soutient l'utilisation du charbon – semble hésiter à défier directement Trump par crainte de perdre le soutien de puissants syndicats de branche. Trumka a déclaré aux médias que l'élection était un référendum "sur le commerce, sur la relance de l’industrie, sur la relance de nos communautés". Il a ajouté: "Nous allons travailler à faire de plusieurs de ces promesses une réalité. S'il est prêt à travailler avec nous, conformément à nos valeurs, nous sommes prêts à travailler avec lui". Il n'est pas surprenant que Trumka ait visité le Président quelques jours après l’élection et ait dit qu'il avait eu une "conversation productive".

Gel de l’embauche au fédéral, une gifle aux syndicats de fonctionnaires

Tout en étreignant les ouvriers blancs des métiers de la construction, Trump a simultanément agressé les fonctionnaires fédéraux, dont un nombre important sont des travailleuses noires. Il a signé une ordonnance exécutive qui gèle l'embauche pour les organes de l’exécutif, qui comptent 1,2 million d'employés. Les syndicats fédéraux ont rapidement critiqué cette décision, formulant leurs objections en termes de service à la société

afin de gagner l'appui du public. "Ce gel de l'embauche signifierait des files plus longues dans les bureaux de la Sécurité sociale, moins d'inspections du travail, moins de surveillance des pollueurs et plus de risques pour l'approvisionnement alimentaire et en eau potable de notre nation", a déclaré J. David Cox Sr., de l’American Federation of Government Employees (AFGE). Le gel de l’embauche réduira également une source majeure d'emplois permanents, à temps plein, – bien que souvent faiblement rémunérés – avec des vacances et des avantages pour la santé de nombreux travailleurs, surtout des travailleurs noirs et des femmes.

La Cour suprême et les États

Le choix du juge fédéral Neil M. Gorsuch pour la Cour suprême sera très probablement approuvé par le Sénat. L'arrivée de Gorsuch créera une majorité conservatrice pour trancher dans l’affaire "Janus vs. AFSCME". Cela signifie qu’il sera très probablement mis fin à la capacité de l’American Federation of County, State and Municipal Employees (AFSCME) de percevoir les cotisations des membres non syndiqués qu'ils sont obligés de représenter. Il en résultera la disette financière pour de nombreux syndicats d'employés publics, ce qui les obligera à réduire le personnel et les rendra moins efficaces. Beaucoup pourraient carrément disparaître. Les syndicats des secteurs public et privé seront confrontés au défi des lois dites du "droit au travail" qui mettent les syndicats sur la touche. Le but est de mettre fin au système dit du "closed shop" qui consiste en ceci que, sur le lieu de travail, si la majorité vote pour un syndicat, tous les travailleurs doivent adhérer au syndicat et payer des cotisations. Vingt-huit États disposent actuellement de lois sur le "droit au travail". Partout où les républicains ont le pouvoir, ils vont passer des lois sur le droit au travail au niveau de l'État. Le 1er février, les représentants Joe Wilson, R-S.C., et Steve King, R-Iowa, ont déposé au Congrès un projet de loi qui instaurerait le "droit au travail" dans tout le pays.

Certains travailleurs se joignent à la résistance

Alors que les métiers de la construction et les Teamsters ont adopté le projet de Trump, de nombreux autres syndicats sont entrés dans l'opposition. Les enseignant.e.s ont été à l'avant-garde de la résistance. La Fédération américaine des Enseignants (AFT) a mobilisé 250 sections

locales dans plus de 200 villes la veille de l'inauguration, dans le cadre de la Journée nationale d'Action "Reclaim Our Schools", contre Trump. L'Association nationale de l'Education (National Education Association), le plus grand syndicat du pays avec 2,7 millions de membres, a demandé à ses membres de quitter les écoles le jour de l'inauguration, pour protester contre Trump. Les membres de la section locale 10 de l'International Longshore and Warehouse Union (ILWU) à Oakland, en Californie, un syndicat de dockers avec une longue histoire radicale et 50% d’affiliés noirs, ont cessé le travail le jour de l'inauguration. En dehors du mouvement syndical, les travailleurs/euses du secteur des services et de l'industrie des technologies de l'information ont émis des protestations importantes. La New York Taxi Workers Alliance – qui est une ONG, pas un syndicat – dont de nombreux membres sont des immigrés musulmans, s’est manifestée à l'aéroport de JFK, contre la politique de Trump à l’égard des migrant.e.s. Dans le même temps, les techniciens de Google en Californie et à Comcast Philadelphie manifestaient aussi contre cette politique. Sur ce point, les sections non organisées du mouvement ouvrier semblent plus actives que celles des syndicats.

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routiers fédéraux. Le président général des Teamsters (chauffeurs de camion), James P. Hoffa, félicite également Trump. Beaucoup de Teamsters travaillent dans les métiers du bâtiment, conduisant les camions à benne, les camions de ciment et livrant les poutres d'acier sur le chantier [j’ai fait ce job]. Les Teamsters ont loué Trump pour ce qu'ils appellent le "but de bon sens" de ses projets d'infrastructure. M. Hoffa a également félicité Trump pour avoir retiré les États-Unis du Partenariat transpacifique, ainsi que pour sa promesse de réviser ou d'abandonner l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Les Teamsters veulent aussi que Trump modifie la clause de l'ALENA qui permet aux camionneurs mexicains de franchir la frontière vers les États-Unis.

Un moment critique

L'attaque de Trump contre les syndicats intervient à un moment critique. Le taux de syndicalisation est seulement de 10,7%, soit une baisse de 0,4 point par rapport à 2015. L'adhésion syndicale a diminué d'un quart de million de travailleurs/euses au cours de la même période pour s'établir à seulement 14,6 millions. Les grèves aux États-Unis restent peu nombreuses. C’est le cas depuis longtemps, mais surtout depuis la Grande Récession de 2008. Les travailleurs/euses et les syndicats continuent à encaisser le choc de la présidence de Trump, élu il y a quelques semaines à peine, mais on peut s’attendre à une résistance croissante lorsque ses politiques anti-ouvrières se clarifieront. Nous avons besoin à la fois d'un mouvement à la base dans les syndicats et de campagnes de syndicalisation des travailleurs/euses non syndiqué.e.s, combinés à la vision radicale que les travailleurs/euses doivent avoir un rôle dominant dans le syndicat, sur le lieu de travail et dans la société. ■ *Cet article a été écrit avant que Pudzer renonce à être Secrétaire au Travail.

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d’une femme par un fiancé, un mari ou un ex n’est que la pointe de l’iceberg. Ainsi, de la confluence des pratiques Depuis désormais plus de trois mois un nouveau mouvement féministe, qui des collectifs de jeunes féministes et de surprend par son ampleur, sa composition l’expérience de centres antiviolence gérés et sa radicalité, a fait irruption sur la scène par les femmes, est né un appel à la mobiliitalienne. Les premiers signes de la matu- sation nationale à l’occasion de la journée ration d’une nouvelle génération féministe, du 25 novembre. Cette mobilisation a été avec ses propres codes d’expression et sa conçue comme le début d’un processus propre sensibilité politique, étaient déjà de réflexion et d’action qui s’en prend à visibles ces deux dernières années dans toutes les formes de violences structurelles les initiatives italiennes, notamment à envers les femmes. L’appel, rédigé à Rome Rome, pour le plein exercice du droit à sous le nom de "Non Una di Meno", a l’avortement – prévu par la Loi 194 mais été accueilli avec enthousiasme et dans qui n’est pas garanti dans la pratique des plusieurs villes des assemblées locales se hôpitaux à cause de la présence crois- sont auto-convoquées pour préparer la sante des "objecteurs de conscience" – et manifestation. Contrairement au passé, en solidarité avec les luttes des femmes ces rendez-vous – parfois à l’initiative de espagnoles contre le projet de loi anti- nouveaux collectifs de jeunes féministes ou de groupes informels souvent liés aux avortement du ministre Gallardon. Cette fois aussi l’inspiration est espaces occupés – qui se sont adressés à venue des mobilisations féministes tout le monde à travers les réseaux sociaux internationales contre la violence ont connu un grand succès. machiste dans de nombreux pays latino- 150.000 femmes dans les rues américains, et pour l’égalité salariale en de Rome Islande et en Pologne, qui ont encouragé Le samedi 26 novembre 2016, au l’envie de réagir à une situation de moins 150.000 femmes, LGBTIQ et un violence structurelle envers les femmes certain nombre de (jeunes) hommes qui caractérise l’Italie et dont l’assassinat solidaires sont déscendu.e.s dans la rue

✒ Nadia De Mond

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en formant une marée colorée, joyeuse et incontenable qui a envahi le centre de Rome. Cette manif, pleine d’énergie et de volonté de bouleverser le monde, auto-organisée, sans le support des structures traditionnelles de la gauche, s’est déroulée dans un esprit unitaire, inclusif des instances antiracistes, antipatriarcales et LGBTIQ. Il s’agit d’un mouvement qui est certainement hostile envers les gouvernements du PD (Renzi d’abord et Gentiloni ensuite) à cause des attaques à la santé publique, aux conditions de vie des travailleuses et des précaires, à l’autodétermination des femmes en matière reproductive (voir la promotion du "Fertility Day" de la ministre Lorenzin). A cause aussi de la suspension des financements aux centres antiviolence et de la politique migratoire qui, dans les faits, est punitive et empêche les nouveaux/elles arrivé.e.s d’avoir une vie digne sur notre territoire. Mais en même temps, le mouvement ne se reconnait dans aucune autre force politique ou syndicale établie. Cette manifestation, qui est allée au-delà de toute expectative, a été suivie d’une journée d’élaboration de contenus, avec une assemblée nationale articulée

photo: Isabel Viele — radioeco.it/non-una- di-meno-26-novembre -2016

féminisme

En Italie, un mouvement féministe de masse est en marche


s’engager pleinement pour sa réussite, tandis que la CGIL [Confédération générale italienne du Travail] a décidé de ne pas adhérer mais d’inviter seulement sa base à faire des assemblées dans les lieux de travail sur le sujet. Ce nouveau mouvement féministe, qui exprime un refus radical de l’existant, tire sa force de la combinaison d’actions massives de protestation et d’action directe avec les expériences capillaires d’autogestion et d’entraide, dans les centres antiviolence, dans l’éducation à la différence, dans les collectifs d’étudiantes et dans les espaces occupés, qui font allusion à la construction d’une société libérée du machisme, du racisme, de l’homo-lesbo-transphobie, et qui dépasse les logiques du marché capitaliste. Il se sent partie d’une marée – seraitce la fameuse troisième vague? – de protagonisme des femmes qui traverse le monde et qui met en cause les politiques misogynes et excluantes d’un establishment qui a perdu toute crédibilité. C’est le premier mouvement de masse qui secoue le sentiment d’impuissance et de passivité qui semble avoir frappé l’Italie depuis que le centre-gauche de Renzi est arrivé au pouvoir en promettant de moderniser le pays en faisant redémarrer l’économie, en rajeunissant sa classe politique et en alignant son fonctionnement aux standards d’efficience européens. Espérons que ce mouvement, unique par sa force d’autoorganisation, dirigé par une nouvelle génération de femmes – dans lequel nous sommes pleinement engagées – pourra se consolider et donner un nouvel élan pour la reprise des mouvements sociaux dans leur ensemble. ■

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en huit tables (chacune d’environ 200 nationale, qui s’est conclue récemment à personnes, provenant de tout le pays) Bologne, a défini la plateforme – résultat qui se sont penchées sur les différents des discussions approfondies lors des aspects de la violence (hétéro)patriarcale: tables – et les modalités de la grève: choix du cadre juridico-légal à la violence d’endroits symboliques pour réaliser économique, au travail et dans le welfare; des flashmob, soutien aux travailleuses de l’éducation sexiste à l’école aux medias; précaires ou soumises au chantage du de l’accompagnement féministe pour patron à travers des "actions de trouble" sortir de la violence au plan de santé sex- (qui dérangent le déroulement du service uelle et reproductive; de la double ou triple ou de la production), choix d’un symbole violence que vivent les femmes immigrées unique – les couleurs noir et fuchsia et au sexisme dans les mouvements sociaux. les poupées russes – à exposer à la fenêtre Cette élaboration mènera à l’écriture d’un ou à porter pour manifester l’adhésion à plan féministe antiviolence, partant d’en la grève aussi de la part de celles qui ne bas, en contraste avec celui qui est en sont pas en mesure de quitter leur poste; préparation de la part du gouvernement et en plus des assemblées dans les lieux de travail et dans les écoles pour bloquer qui sera présenté en juin. les cours et discuter de la violence et de Refuser les comportements l’oppression des femmes. de genre imposés Ensuite on se donnera rendez-vous Pendant ce temps, "Non Una di sur les places centrales de toutes les villes Meno" a accueilli positivement l’appel à la fin de l’après-midi, où on créera des "Ni Una Menos" argentin à une grève connexions nationales et internationales internationale des femmes à l’occasion entre manifestantes, pour conclure du huit mars 2017. Une journée dans dans quelques villes en soirée avec des laquelle nous proclamerons: "Si nos vies cortèges du type "reprenons-nous la nuit" ne valent rien, nous nous arrêtons". Nous (Reclaim the Night) ou sous le slogan "les ne produisons pas, nous ne soignons pas, rues sures sont faites par les femmes qui y nous ne consommons pas, nous "faisons passent" (et pas par les "forces de l’ordre"). grève" en refusant les comportements de genre imposés. Autogestion, entraide et Galvanisé par la manifestation éducation à la différence océanique, dans laquelle des milliers Tout en gardant bien en main de jeunes filles – et garçons – sont l’autonomie du mouvement, "Non Una descendues dans la rue pour la première di Meno" a lancé l’invitation et le défi fois, le mouvement s’est encore étendu à tous les syndicats, majoritaires et de en s’articulant dans des assemblées base, à rejoindre l’action en proclamant par ville, qui travaillent dans l’optique une grève générale de 24 heures, le seul soit d’approfondir les thèmes des tables moyen par lequel les employées peuvent nationales soit de préparer concrètement faire grève légalement. Jusqu’ici il n’y a la grève des femmes du huit mars chacune que quelques syndicats de base qui ont sur son territoire. Une deuxième assemblée répondu positivement à l’appel sans

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✒ par Martin Willems, secrétaire permanent CNE "Les entreprises sont les plus importants moteurs de création d’activité économique, d’emplois et de richesse pour notre pays. Une croissance économique durable passera donc inévitablement et prioritairement par une amélioration de la compétitivité des entreprises." – Accord du gouvernement belge, 10 octobre 2014 Dans la vulgate de l’économie dite libérale, les entreprises sont les moteurs de l’action; les mécanismes de marché les régulent et résolvent naturellement les problèmes. La solution aux défis environnementaux serait la "croissance économique durable", qui résultera naturellement d’un tissu d’entreprises dynamiques et compétitives. Cette croyance religieuse est professée avec une foi aveugle par notre gouvernement; en témoignent son catéchisme, l’accord gouvernemental d’octobre 2014 et sa politique constante depuis. Mais qu’en est-il en réalité? L’inquiétude quant au réchauffement climatique ne date pas d’hier; nous fêterons bientôt les 20 ans du protocole de Kyoto. Avec l’accord de Paris (COP 21) fin 2015, le monde entier (Trump excepté) prend enfin au sérieux ce réchauffement et s’engage à un effort d’envergure en vue de le limiter à deux degrés, voire 1,5 degré s’il était encore possible. [Lire "Cette ‘transition écologique’ n’est pas la nôtre!", La Gauche #80, janvier-février 2017] Dans ce contexte, nous devrions maintenant constater que les acteurs économiques prennent le problème à bras le corps et changer drastiquement nos habitudes. Mais les entreprises, puisque d’elles devrait provenir notre salut, sontelles vraiment occupées à lutter avec acharnement contre le réchauffement climatique?

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Les résultats au niveau national de la lutte contre le réchauffement climatique

L’évolution des émissions de CO2 de la Belgique n’est pas mauvaise (-14,3% entre 1990 et 2013). Mais les observateurs s’accordent à y voir surtout le résultat de la conjoncture: cette diminution est moins l’effet de bonnes politiques que l’effet de la crise économique. Par ailleurs il faut comprendre qu’il s’agit là des émissions dites "territoriales". Soit les émissions liées à l’activité sur le territoire. Mais cela ne représente pas les émissions liées à la consommation des habitants du territoire. En effet, ce chiffre ne reprend pas les émissions causées dans d’autres pays par la production des biens et services importés. Lorsque cette correction est faite et que l’on intègre les flux de marchandises, on constate que le résultat est cette fois une augmentation des émissions de 19,2% sur la même période (1). La conclusion n’est pas difficile à tirer. Oui, les émissions de CO2 de la Belgique, et plus largement de l’UE, ont diminué en comparaison avec 1990. La diminution est la plus importante dans le secteur industriel. Par contre le secteur des transports a très fortement augmenté. Comment expliquer cela? La Belgique et l’UE connaissent une très importante désindustrialisation. Les industries polluantes sont délocalisées dans d’autres régions du monde. Les marchandises produites sont ensuite importées vers nos pays. Au total, les émissions de nos régions, flux de marchandises intégré, n’ont jamais cessé d’augmenter. Et encore ne prend-on pas en compte les émissions liées aux transports intercontinentaux, qu’ils soient maritimes ou par avion. Vu leur nature extraterritoriale, ils ont toujours été laissés de côté par les différents protocoles climatiques. Pourtant leur évolution pose question; avec une quote-part d’environ respectivement 4 et 3,5% des émissions mondiales, et surtout des progressions de l’ordre de 10% par an,

il s’agit d’un enjeu majeur. On retrouve donc dans ces chiffres la traduction de la mondialisation: délocalisation de la production et inflation des transports. Au niveau mondial, les émissions de CO2 ont augmenté de 61% depuis 1990!

Les entreprises face aux mesures publiques de protection de l’environnement

Les pouvoirs publics, tant européens que nationaux, ont pris diverses mesures en vue d’inciter les entreprises à diminuer leur consommation énergétique. Notamment le "marché européen du carbone", le système communautaire d’échange de quotas d’émission. En janvier 2017, le quotidien flamand De Morgen révélait que 40 millions d’euros du fonds flamand pour le climat avaient été utilisés en subsides aux entreprises consommant beaucoup d’énergie, afin de compenser l’augmentation du coût de celle-ci du fait des politiques environnementales. Le ministre régional compétent justifiait ainsi cette politique: "Les pays voisins le font aussi. Si nous ne le faisons pas, ces entreprises pourraient quitter l’Europe et causer encore plus de tort au climat". L’article précise encore que ces entreprises ont obtenu plus de compensations que le surcoût réel, certaines jusqu’à quatre fois plus (2). Les exemples sont nombreux de ces industries lourdes qui ont obtenu – gratuitement – des quotas d’émission de la Région wallonne et qui, lorsque leur activité s’arrête, continuent à les recevoir pendant des années. Elles les revendent ensuite sur le marché, ce qui tombe à point nommé pour faire financer par la collectivité le coût du démantèlement de leur outil ou leur passif social. L’effet de la politique énergétique publique est donc neutralisé pour les entreprises qui, en passant, non seulement font payer la facture de la transition énergétique au citoyen (dont les impôts alimentent ce "fonds climatique" et ces quotas

illustration: Little Shiva

chronique syndicale

Que font réellement les entreprises pour lutter contre le réchauffement climatique?


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L’action des entreprises, au niveau micro-économique

Qu’en est-il des préoccupations environnementales au niveau microéconomique, dans la vie quotidienne des entreprises? Les entreprises et leurs travailleurs/euses ne sont pas insensibles à la question. Mais quel en est le résultat concret? Parmi les réalisations que l’on peut communément observer, on trouve: – Les entreprises qui promeuvent les déplacements "propres": remboursement des kilomètres parcourus en vélo, installation de parkings, de vestiaires et de douches pour les cyclistes, mise à disposition de vélos, de vélos électriques ou de voitures électriques et/ou de bornes de rechargement. – Les entreprises qui se soucient de l’efficacité énergétique de leurs bâtiments: construction de bâtiments à faible consommation énergétique voire passifs, installation de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes, etc. – De plus en plus d’entreprises ont une politique de télétravail partiel (le plus souvent il s’agit d’un travail partiel au domicile). Dans cette politique interviennent des considérations environnementales (diminution des déplacements) parmi d’autres (comme la diminution des espaces de bureau en vue d’économies). Ces efforts ne sont malheureusement pas encore généralisés. Quand ils existent, ils ne font pas toujours partie d’une réelle politique de moyen et long terme; ils sont parfois purement cosmétiques, voire paradoxaux comme les très visibles bornes électriques destinées uniquement à recharger les gros véhicules dits "hybrides" des dirigeants, qui n’ont de vert que leur vernis, tant leur bilan énergétique est désastreux. Mais on constate rarement une réflexion sur l’ensemble de l’activité de

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l’entreprise, sur le chemin de production, sur le cycle de vie des produits. Ainsi en va-t-il de la politique de mobilité. Une entreprise fait circuler ses travailleurs qui, en règle générale, doivent se rendre chaque jour sur leur lieu de travail. La circulation automobile liée aux déplacements professionnels ne fait qu’augmenter, provoque une congestion et une part significative des émissions polluantes. Il y a des initiatives à la marge, souvent venant des travailleurs euxmêmes: télétravail, covoiturage, etc. Mais je n’ai jamais vu d’entreprise mettre au point une politique ambitieuse de réduction des déplacements de ses travailleurs/ euses, notamment en incitant à la proximité du domicile, en tenant compte de ce facteur à l’engagement, en déplaçant ses sites d’exploitation en fonction, en favorisant significativement le covoiturage, l’utilisation du vélo et des transports en commun. Au contraire, l’effet le plus marquant des entreprises sur la mobilité en Belgique, c’est bien sûr la prolifération des véhicules de société, ce pour des raisons purement fiscales et parafiscales, avec pour résultat un très fort incitant à l’utilisation individuelle de la voiture pour les déplacements professionnels. Plus fondamentalement, la tendance de fond des entreprises à délocaliser le travail vers des pays socialement moins exigeants ne fait que s’accroître. Si presque tout le monde s’est résigné à voir disparaître petit à petit l’industrie lourde de notre pays, c’est aussi le cas des activités de service. Très nombreuses sont les entreprises du secteur tertiaire à délocaliser leurs activités comptables et financières, leurs activités techniques (IT et ingénierie), voire leur activité de marketing et de vente. Derrière l’automatisation et la vente en ligne, il y a toujours un volet délocalisation. Si les caissières de supermarché sont remplacées par des bornes automatiques, ces bornes sont gérées à distance en near- ou offshore. Derrière un site de vente en ligne, il y a une équipe technique délocalisée.

Ces délocalisations de l’activité, et même lorsqu’il ne s’agit que de gestion informatique à distance, ont toujours un coût environnemental significatif, en termes d’énergie et de transports, que ce soit des marchandises ou bien des travailleurs. S’il y a une tendance au télétravail partiel, il y a aussi une multiplication des déplacements longs et lointains des travailleurs/euses, suite à une organisation de plus en plus internationale du travail dans les grandes entreprises. Lorsqu’une entreprise envisage de se restructurer, elle doit mener une concertation sociale, notamment dans le cadre de la procédure Renault (cas des licenciements collectifs). Lorsqu’on objecte à un projet de délocalisation le coût environnemental que cela induit, cet argument n’est jamais pris sérieusement en compte.

Organiser collectivement l’économie

Qu’on le veuille ou non, l’impact environnemental des entreprises est externalisé et n’est donc que marginalement pris en compte dans les décisions de ces entreprises. Les tentatives d’internaliser cet impact, comme le marché des quotas d’émission de CO2, sont totalement inefficaces, voire contre-productives. Il y existe bien sûr quelques entreprises plus visionnaires mais qui le sont justement parce qu’elles s’écartent, par choix politique, des règles communes de gestion. Croire que des mécanismes de marché découlera la préservation de notre environnement et de la vie sur terre est donc totalement illusoire. Continuer à le croire est criminel alors que nous sommes aujourd’hui au bord du précipice. La solution ne peut venir que de la mise en place d’une autre organisation de l’économie. Une organisation dans laquelle le profit individuel n’est pas considéré comme la valeur suprême; une organisation dans laquelle le choix de savoir que produire, où et comment, n’est pas considéré comme une liberté individuelle et n’est plus laissé à l’arbitraire des plus riches, mais décidé et organisé collectivement avec comme seule mesure d’efficacité le bien commun. ■ (1) Ozer, P. (2016) L’impact climatique du développement. In A., Zacharie (Ed.), La nouvelle géographie du développement - Coopérer dans un monde en mutation (pp. 89-102). Bruxelles, Editions Le Bord de l’Eau, Collection La Muette, http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/204296 (2) www.demorgen.be/wetenschap/ veertig-miljoen-uit-klimaatfonds-gaat-naarvervuilende-bedrijven-b83791ca/

bikearc.com

chronique syndicale

"gratuits"), mais en profitent pour se sucrer au passage si elles en ont l’occasion. Lorsqu’il est question de politiques environnementales publiques, le scénario est cousu d’avance: les entreprises crient au handicap de compétitivité, menacent de délocaliser, font du chantage à l’emploi et exigent des compensations. Peu de résultat au final, si ce n’est des systèmes opaques et compliqués, mis en place laborieusement, qui occasionnent distorsions économiques et détournement d’argent public. Les tentatives d’intégrer la préservation de l’environnement dans les mécanismes de "marché" sont donc des échecs patents.


https://openwall.citizenlab.co/posts/rCjbY5hFqKDYbNSKw/separation- des-mandats-prives- et-publics-publifin

L’éclatement d’une bombe à fragmentations! ✒ par Denis Horman Fin décembre 2016, coup de théâtre! La presse révèle que 24 membres du PS, MR et CDH, la plupart originaires de la province de Liège, siégeant dans les "comités de secteur" de Publifin – la plus grosse intercommunale de Wallonie – touchaient, depuis juin 2013, entre 1.340 et 2.871 euros bruts par mois, pour des réunions peu fréquentes et seulement consultatives! Cette situation est apparue d’autant plus choquante que plusieurs mandataires n’assistaient que très rarement aux réunions. Vu l’ampleur du scandale, on n’a pas tardé à supprimer ces "comités de secteur", dont l’utilité fut alors perçue comme particulièrement douteuse, si ce n’est pour entretenir, entre mandataires, la discrétion, le silence sur un système édifié, année après année, étape

par étape, avec la complicité des instances politiques, socialistes d’abord, mais aussi social-chrétiennes et libérales. Derrière les "lampistes", c’est bien tout un système élitiste, gangrené par le pouvoir et l’argent, qui allait être poussé sur la place publique. L’intercommunale Publifin (exTecteo) est née du regroupement de plusieurs entités liégeoises actives dans la distribution de l’énergie (électricité, gaz). Elle est aujourd’hui une structure hybride, à mi-chemin entre le public et le privé. C’est un véritable holding, structure faîtière d’une série de filiales (une septantaine de sociétés), déléguant ses activités opérationnelles à sa filiale Nethys, société anonyme de droit privé. Les actionnaires de PublifinNethys sont 76 communes, la Province de Liège et la Région wallonne (1). L’intercommunale Publifin a donc organisé de fait la privatisation d’un bien public, avec la bénédiction du parlement wallon. Celui-

Belgique

Publifin-Nethys:

ci avait, lors de la législature précédente (PS-CDH-Ecolo), voté deux décrets permettant que les distributeurs de gaz et électricité soient des sociétés de droit privé. Sous l’impulsion de son patron, son administrateur-délégué Stéphane Moreau (PS, bourgmestre démissionnaire de la commune d’Ans), Nethys, privatisée en 2012-2013, est devenue un puissant groupe économique, avec des soutiens politiques, les fédérations provinciales socialiste, libérale et humaniste. L’ensemble du groupe Publifin-Nethys a réalisé, en 2016, un chiffre d’affaire estimé à plus d’un milliard d’euros pour un bénéfice net de 70 millions d’euros. Il occupe un total de 3.000 emplois directs et un millier d’indirects (2). Comme le résume le quotidien financier l’Echo: "Bienvenue dans ce que certains appellent le "système Moreau", fait de cache-cache juridique, de mélange

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privées dans le but de payer moins d’impôts ou de les élucider. Quelle incohérence chez certains parlementaires socialistes d’agir de la sorte" (5). Il aurait pu ajouter – ce qu’il s’est bien gardé de faire – qu’à la tête de PublifinNethys il y avait trois hommes, André Gilles (PS), Dominique Drion (CDH) mais aussi Georges Pire (MR). Tous trois cumulant les mandats publics et privés dans plusieurs conseils d’administration du groupe Publifin-Nethys et percevant, pour l’ensemble de leurs mandats respectifs, des dizaines de milliers d’euros bruts, chaque année: 365.600 pour André Gilles, 150.900 pour Dominique Drion et 309.000 pour Georges Pire (6).

Le pouvoir, les comportements oligarchiques, la loi du silence, l’argent….

Le séisme provoqué par la nébuleuse Publifin-Nethys n’est pas circonscrit à la province de Liège. Pas une semaine ne passe sans que l’on apprenne que des élus, ayant des fonctions à différents niveaux des institutions, accumulent même parfois des dizaines de mandats dans des organismes publics ou privés et usent de leur pouvoir politique pour s‘en mettre plein les poches. Certes, tout cela dans la légalité: les élus belges, comme dans la plupart des pays, ont le droit d’exercer de front une autre profession ou d’être rétribués comme membres de conseils d’administration

d’entreprises privées. Mais cela peut mener à de graves soupçons de conflits d’intérêts. Et surtout provoquer une vague d’indignation, alors que la moitié des salarié.e.s belges gagnent moins que le salaire médian (1.950 euros nets). L’affaire fit grand bruit, également en Flandres, en février: Siegfried Bracke, le Président de la Chambre, l’homme politique le mieux payé du pays (16.900 euros nets par mois), exerçait en même temps un mandat non déclaré et bien rémunéré dans l’entreprise privée Telenet. Depuis, il a dû démissionner de ce mandat. L’indignation est encore plus grande dans une partie de la population, sensible aux "valeurs socialistes", quand des élus du monde socialiste s’adonnent, sans état d’âme, aux mêmes pratiques et, qui plus est (cela se passe aussi dans les autres partis), osent tenir des discours lénifiants sur "l’éthique en politique". Il en va ainsi quand ces citoyen.ne.s apprennent que Stéphane Moreau, CEO de Nethys, touche un salaire brut par an (salaire fixe et partie variable), estimé à 960.000 euros; quand la presse révèle que quatre des cinq membres de la commission de vigilance de la fédération liégeoise du PS étaient financièrement liés au groupe Publifin. Depuis, ils ont été pressés de démissionner... des démissions en cascade ici ou là. C’est qu’il faut se redonner une belle apparence pour les prochaines élections!

photo: L'Avenir

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des genres entre politique et économie, d’opacité et de filiales à tiroirs, d’un brin d’intimidation et d’une politique de rémunération généreuse, n’incitant pas ceux qui en bénéficient à se poser trop de questions" (3). Ainsi, en 2014 et 2015, Newin, une des filiales de Publifin-Nethys dans l’intégration des services informatiques, aurait versé au total 4,4 millions d’euros de tantièmes à ses douze administrateurs, parmi lesquels huit politiques (six mandats PS, un MR et un CDH). Si la somme a été partagée équitablement entre les douze, chacun aurait reçu 190.000 euros au titre de 2014 et 170.000 euros l’année suivante. Pour les deux années en question, Nethys (Publifin), l’actionnaire unique de Newin se serait donc volontairement privé de 90% des bénéfices de sa filiale (4). C’est autant que l’intercommunale Publifin (avec ses 76 communes) n’a pas reçu pour assurer ce que devrait être sa mission de service public d’intérêt communal. Le député européen Louis Michel (MR) y a été de son petit refrain perfide: "Publifin, c’est de l’argent public, géré par un mécanisme d’économie privée, sans que les porteurs de ce genre d’activités n’aient le moindre compte à rendre. Ce sont les gens qui crient haro sur le libéralisme et le capitalisme qui ont mis en place des structures opaques et nébuleuses. Et ce sont les mêmes qui créent des sociétés


Stéphane Moreau, administrateur délégué de Nethys

Chaque parti et instance politique y va subitement de ses propositions pour la suppression ou du moins la limitation du cumul des mandats, pour la transparence et la publication des rémunérations, des patrimoines, de la liste complète des mandats publics et privés, etc.

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La politique: une carrière ou un engagement?

"Je ne suis pas sûr que certaines pistes lancées aujourd’hui soient les plus indiquées", signale Louis Michel. "Limiter le parlementaire à un mandat rémunéré 4.800 euros nets par mois? Vous obtiendrez un Parlement coupé de la réalité, peuplé de fonctionnaires et d’enseignants, mais déserté par le monde de l’entreprise et les avocats" (7). Quel mépris pour les fonctionnaires, les enseignants…! En fait, pour ce parlementaire, il faut laisser le job aux professionnels de la politique, "ceux qui ont le talent, l’intelligence et la formation pour accomplir un job où ils pourront tout simplement gagner davantage". Regardez moi, voudrait nous dire ce cher Louis, comme tout eurodéputé, je gagne 6.600 euros nets par mois, hors indemnités de toutes sortes et jetons de présence aux réunions… Tout cela, parce que je le vaux bien! Quoi d’étonnant si la réponse d’une enseignante à ces propos du ténor libéral a fait un carton, avec plus de 25.000 partages en 24 heures. Une carte blanche qui rappelait à tous les élus que "la politique n’est pas un jeu dont le but est de s’en mettre plein les poches et dont les règles sont édictées par ceux-là mêmes qui en profitent". La politique n’est pas une carrière professionnelle: "C’est un engagement à organiser la société au service de la population". Il y en a qui en font une carrière dans les parlements de 15, 20 ans et plus, alors qu’une tournante, avec deux législatures maximum, le non cumul des mandats et une rémunération ne dépassant pas, par exemple, celle d’un travailleur qualifié, comblerait déjà fortement le fossé entre des élus déconnectés de la réalité et la précarité de larges couches de la population.

L’affaire Publifin-Nethys montre de manière saisissante et écœurante comment ceux qui sont chargés d’administrer le bien public le vampirisent au profit de leur intérêt personnel. Comment ils se transforment en capitalistes, profitant de leur pouvoir politique pour siphonner les sociétés qu’ils sont sensés administrer pour le bien des citoyens. Ils jettent ainsi, encore un peu plus, le discrédit sur un secteur public déjà trop souvent perçu comme inefficace, gaspilleur, bureaucratique et déjà tellement malmené, démantelé, ouvert à la concurrence, à la privatisation, depuis plusieurs années. Avec, il faut bien le dire, la caution des instances politiques, non seulement "libérales", "humanistes", mais aussi "socialistes", voire même "écologistes". Alors, va-t-on continuer à le déréguler, le démanteler, le privatiser, au nom de la lutte contre les "pourris"? Ou alors va-t-on lutter pour que le bien public devienne ou redevienne un bien commun, sous le contrôle effectif des communautés locales?

Pour une démocratie active!

Nous avons besoin d’un contrôle démocratique direct! Ainsi pourrait-il en être de conseils d’administration élus où siègent des conseillers communaux, des représentant.e.s d’organisations de consommateurs, des syndicats, des organisations sociales et de citoyen.ne.s directement élus. Il nous appartient, mouvements de gauche – politique, syndical, social, démocratique… – de débattre et d’avancer, ensemble, une série de propositions, de revendications concrètes pour imposer, à la base, un contrôle actif et effectif sur la gestion du bien public. Des expériences de démocratie participative, comme celle de l’instauration, il y a plusieurs années, d’un budget participatif au niveau communal à Porto Alegre au Brésil – et bien d’autres – devraient stimuler notre réflexion commune. ■

Qu’est-ce qu’une intercommunale?

Belgique

Que fait-on du secteur public?

C

’est une association de plusieurs communes, au moins deux, qui doit servir à gérer une matière d’intérêt communal. Ainsi retrouve-t-on des intercommunales dans la gestion du gaz, de l’électricité, de la distribution de l’eau, dans la gestion des déchets, dans le secteur des soins de santé, etc. Des services qui, lorsqu’on les regroupe, permettent aux communes de réaliser des économies d’échelle parfois très importantes. Selon les chiffres du Crisp (2015), il y a en Belgique quelque 323 intercommunales (au moins 106 en Wallonie), affichant un chiffre d’affaires dépassant les 10 milliards d’euros et occupant plus de 38.000 emplois. Les intercommunales sont (devraient être!) par définition des structures entièrement publiques, dont le capital est détenu par les communes, les provinces ou encore, pour les intercommunales interrégionales, sous la tutelle d’un gouvernement régional. Leurs activités de service public doivent (devraient!) contribuer au bien-être de la population et les bénéfices ristournés aux actionnaires que sont les différentes instances politiques doivent (devraient!) contribuer à une amélioration continue des services rendus à la population. Aujourd’hui, ce n’est qu’une minorité d’intercommunales qui fonctionne avec des structures entièrement publiques. La majorité a un statut hybride, avec une multitude de filiales, de sociétés anonymes échappant à tout contrôle. Publifin en est un bel exemple. ■

1. Le conseil provincial – avec la majorité actuelle PS-MR – (61,1%); 76 communes – quasiment toutes dans la province de Liège – (38,4%) et la Région wallonne (0,4%) 2. L’Echo, 21/01/2017 3. Ibid. 4. Ibid. 5. Le Vif, 03/02/2017 6. Le Soir, 02/02/2017 7. Le Vif, 03/02/2017

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✒ par Guy Van Sinoy, Inspecteur d’administration fiscale retraité "Qu’est-ce qu’on fait avec le montant de la TVA? On partage en deux?" A peine la question posée au garçon de restaurant que celui-ci fait un rapide aller-retour vers la caisse et m’apporte la souche TVA. Comme c’est le cas dans pas mal de restaurants, la souche TVA n’est pas remise spontanément au client au moment où arrive l’addition. C’est pourtant une obligation légale. Dans les quartiers où abondent les touristes, tels celui de la Grand Place de Bruxelles, il m’est arrivé de devoir attendre un bon quart d’heure avant que le patron ne retrouve derrière le comptoir son carnet de souches TVA qu’il n’utilisait jamais! Par ailleurs, toutes les marchandises achetées par un restaurant pour préparer et servir des repas (aliments, boissons, serviettes de table en papier, accessoires, etc.) doivent faire l’objet d’un bon de livraison et d’une facture délivrés par le fournisseur. Cela permet notamment lors d’un contrôle fiscal d’avoir une première estimation du

chiffre d’affaires sur base des achats et du rendement moyen dans le secteur. Il est donc tentant, pour un patron de l’Horeca [Hotels, restaurants, cafés], d’effectuer une partie de ses achats sans facture et ainsi de ne pas déclarer toutes ses recettes.

A quoi sert une souche TVA?

Les souches TVA délivrées par un restaurateur permettent de contrôler ses recettes. Elles servent d’autre part à justifier les déductions fiscales de certains contribuables (indépendants, professions libérales, sociétés) qui ont la possibilité de déduire des "frais de représentation" (notamment des repas pris au restaurant avec de présumés clients en vue de conclure des affaires). Dans la mesure où ces frais de représentation sont fiscalement déductibles, inutile de vous dire que les intéressés n’oublient pas de réclamer la souche TVA qui leur permettra une économie d’impôt! Mais alors qu’en est-il du client ordinaire qui ne peut pas déduire des frais de restaurant? S’il paie par carte bancaire, le restaurateur émettra une souche TVA

(car il existe alors une preuve bancaire de recette) sans toutefois la remettre au client s’il ne la réclame pas. Cette souche TVA émise mais non remise au consommateur servira à gonfler fictivement des frais de restaurant d’autres clients qui ont la possibilité de les déduire. Il est fréquent que des comptables proposent à leurs clients de gonfler leurs frais professionnels en mettant à leur disposition des souches TVA émises par des restaurateurs mais non remises aux convives. Et si le particulier paie en liquide, il est fort probable que la souche TVA ne sera pas émise du tout. Dans ce cas, le restaurateur gagne sur les deux tableaux: il encaisse la TVA payée par le consommateur tout en ne la reversant pas à l’administration de la TVA et il encaisse une recette "en noir" qui ne sera pas comptabilisée dans son chiffre d’affaires. Et le montant des recettes "en noir" peut rapidement grimper quand on sait, par exemple, qu’une bouteille de vin se paie dans un restaurant 3 à 4 fois son prix dans le commerce de détail!

Fraude fiscale et fraude sociale

Quand un commerçant encaisse de l’argent "en noir", cet argent n’apparaîtra jamais dans sa comptabilité. Cet argent noir servira à payer "en noir". A payer quoi? D’une part des marchandises. Certains petits établissements de l’Horeca achètent ainsi dans certaines grandes surface où l’on voit parfois des "particuliers" pousser des méga chariots remplis à ras bord d’un même aliment (chips, riz, huile, pâtes). A ce stade, cela reste de la fraude à petite échelle. Les grands établissements de l’Horeca ne vont pas, eux, se fournir au petit magasin du coin. Il est arrivé dans le passé que certains fournisseurs de produits plus onéreux (vins, alcools, viande, poisson, etc.) aient mis sur pied une ingénierie comptable permettant de livrer sans facture à grande échelle. Par exemple, en gonflant les bons de livraison de viande livrée aux collectivités (cantines scolaires, maisons de repos) et en fournissant en noir une partie de la marchandise au secteur Horeca.

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legabox.be/2014/07/05/la-souche -tva-va- disparaitre

Belgique

Fraude fiscale et sociale dans l’Horeca


A consommer sur place ou à emporter?

Q

Baisse du taux de TVA et flexi-jobs

De tous temps, les responsables du secteur Horeca se sont lamentés, prétendant être victimes d’une "fiscalité excessive". En 2004, ils ont été entendus pas le ministre des Finances de l’époque, Didier Reynders, car le taux de TVA des boissons non alcoolisées servies dans l’Horeca est passé de 21% à 6%. Vous avez vu le prix de votre café ou de votre Coca baisser, vous? Moi pas! En 2010, rebelote, le taux de TVA pour les repas servis dans les restaurants est passé de 21% à 12%. A l’époque, Reynders faisait même miroiter un éventuel passage du taux à 6% pour les repas servis dans les restaurants. Le gouvernement Michel est allé plus loin en créant, depuis le 1er décembre 2015, le statut de flexi-jobs pour les travailleurs du secteur Horeca. Celles et ceux qui travaillent 4/5e temps dans une entreprise de ce secteur peuvent être engagé.e.s dans le cadre d’un flexi-job (payé 9,50€ l’heure!) dans une autre entreprise du même secteur. Il n’y a pas de cotisations sociales à charge de l’employeur pour ce genre de contrat: seulement une cotisation spéciale libératoire de 25% du flexi-salaire (donc 25% de 9,50€ l’heure = 2,38€ l’heure!) et ce flexi-salaire n’est pas soumis à l’impôt des personnes physiques. En clair, il s’agit de légaliser le travail au noir. Comme il n’y a pas de cotisations sociales cela ne compte pas pour la pension, pour les congés payés, pour le pécule de vacances et pour le calcul des indemnités de chômage ou de maladie.

Belgique

L’usage le plus répandu dans l’Horeca est cependant le paiement d’une partie du personnel "en noir": soit totalement (emploi de travailleurs sans papiers sous-payés), soit partiellement (heures supplémentaires payées mais non déclarées). La fraude fiscale (à la TVA, aux impôts directs) débouche inévitablement sur la fraude sociale (fraude à la Sécurité sociale, au précompte professionnel des salariés). Ces pratiques de fraudes à grande échelle constituent un fléau pour tout le personnel du secteur Horeca, y compris pour le personnel des entreprises en règle sur le plan fiscal et social et qui sont soumises à une concurrence déloyale. Il faut casser cette fraude si l’on veut sortir les travailleuses et travailleurs de l’Horeca de la précarité. Les organisations syndicales du secteur Horeca connaissent d’ailleurs les moutons noirs du secteur.

Par contre cette cotisation libératoire de 25% est déductible fiscalement pour l’employeur! Cela ouvre la voie à tous les abus car comment s’assurer que les travailleurs concernés travaillent bien à 4/5e temps dans un secteur où le travail au noir est un sport national? A ce jour, il existe plus de 20.000 contrats de flexi-jobs dans l’Horeca… Notez bien qu’une fois lancé, pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Le 6 février dernier, Philippe De Backer, Secrétaire d’État (Open VLD) à la Lutte contre la Fraude fiscale (sans rire!) vient de proposer que le système des flexi-jobs soit étendu aux pensionnés car "les pensions ne sont pas élevées". D’un côté on restreint les pensions en allongeant la durée de la carrière et en neutralisant les périodes assimilées, et de l’autre on voudrait étendre les flexijobs aux pensionnés. C’est à vomir!

De la Black Box à la Blague Box

Le cadeau des flexi-jobs accordé par le gouvernement Michel aux patrons de l’Horeca était censé "compenser" l’entrée en vigueur à partir de 2016 d’une Black Box [boîte noire] reliée par câble à chaque caisse enregistreuse et censée comptabiliser pour le compte de l’administration fiscale toutes les recettes des restaurants ayant une recette annuelle de plus de 25.000€ (donc quasiment tous les restaurants). Outre le fait qu’il est inouï d’accorder une "compensation" aux entreprises qui déclarent la réalité (c’est-à-dire qui ne fraudent pas), il s’avère que cette fameuse

uand vous passez commande au McDo ou au Quick, on vous demande: "Pour emporter ou pour consommer sur place?" Ce n’est pas seulement pour savoir s’il faut préparer un plateau ou un sachet pour emballer la boustifaille. C’est d’abord pour connaître le taux de TVA à appliquer. Emporté c’est 6%, consommé sur place c’est 12%. Mais le prix est le même, me direz-vous! Et oui, si c’est pour emporter, McDo ou Quick mettent un peu plus de sousous dans leur popoche! ■ – GVS

Black Box tourne à la blague. Début 2017, il s’avère que la plupart de ces boîtes ne sont tout simplement pas connectées, qu’il est impossible pour l’administration fiscale de contrôler à distance si elles le sont et que le nombre de contrôleurs fiscaux en charge de ce secteur est insuffisant pour contrôler sur place les 25.000 restaurants du pays… Alors que faire? Il ne faut pas compter sur ce gouvernement de droite, qui a mis sur les rails les flexi-jobs, pour lutter efficacement contre la fraude fiscale et sociale dans l’Horeca. Les outils pour endiguer une telle fraude ne manquent cependant pas. Il suffirait, par exemple, de permettre à chaque client d’un restaurant de pouvoir échanger sa souche TVA contre un billet de Win for Life auprès de la Loterie nationale pour voir affluer vers celle-ci un déluge de souches TVA (et un déluge de rentrées fiscales dans les caisses de l’État). Mais chacun peut, avec ses moyens, lutter contre la fraude fiscale et sociale dans le secteur de l’Horeca. Chaque fois que vous vous rendez dans un restaurant, exigez une souche TVA et de préférence payez par carte (les établissements qui refusent les cartes sont à priori suspects de fraude). Il ne s’agit pas seulement de justice fiscale, il s’agit surtout de s’opposer aux pratiques mafieuses qui plongent les travailleurs de ce secteur dans une précarité sans fond. ■ la gauche #81 mars-avril 2017

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70.000 à Clabecq ✒ par Guy Van Sinoy Le dimanche 2 février 1997, à l’appel de la délégation syndicale des Forges de Clabecq, 70.000 personnes manifestent pour l’emploi dans les rues de la localité. C’est la première fois (et la seule à ce jour) qu’une délégation d’usine mobilise autant de manifestant.e.s. Ce jour-là, le JT de 13 heures de la RTBF s’est même fait en direct depuis la cour de l’usine. Mais revenons d’abord quelques années en arrière pour comprendre les raisons de cette mobilisation impétueuse.

La lutte contre les brimades patronales

Dans les années 50, la dictature patronale régnait aux Forges de Clabecq. Pour un oui ou pour un non, un ouvrier était sanctionné. La plupart des délégués FGTB de l’après-guerre étaient devenus contremaîtres et des centaines d’affiliés, dégoûtés, avaient brûlé leur carnet syndical dans la cour de l’usine. La situation a changé à l’automne 1962: à la suite d’une diminution de prime et de la mise à pied d’un ouvrier lamineur, tous les ouvriers sont partis en grève en réclamant la levée des sanctions et une prime de fin d’année de 200 heures de salaire. Après 26 jours de grève, les ouvriers ont obtenu satisfaction.

Le renforcement de la force syndicale ne s’est cependant pas opéré de façon linéaire. En 1970 deux délégués FGTB, Alphonse Sabbe et Émile Desantoine ont été licenciés – ainsi qu’une vingtaine d’ouvriers combatifs (dont pas mal de travailleurs immigrés) – pour "fait de grève". Cette défaite, qui illustre la férocité de la répression patronale, va marquer la nouvelle génération de militants syndicaux qui émergera au cours des années 70 et 80, à l’époque où la crise de la sidérurgie éclate. Giovanni Capelli, le premier ouvrier italien élu délégué FGTB rappelait: "Dans les années 70, le travail lourd et insalubre était généralement réservé aux immigrés. Il y avait beaucoup de racisme. Comme je connaissais le français, beaucoup me demandaient de les aider pour les papiers. J’ai passé des jours et des nuits à discuter pour casser l’autoritarisme des cadres et des petits chefs."

La lutte contre les pertes d’emplois

Au début des années 70 des dizaines de milliers d’ouvriers travaillaient en sidérurgie en Belgique. Ces effectifs vont fondre comme neige au soleil au fil des plans de restructurations et des fusions. Les appareils syndicaux métallos FGTB, puissants

Francine Dekoninck à la manif en Wallonie, vont se livrer à une "guerre des bassins" mortelle entre Liège (Gillon) et Charleroi (Staquet) pour tenter de se sauver en laissant couler les autres. Dans cette rivalité entre bureaucrates, les usines de taille moyenne (Clabecq, Boël) ne pesaient pas lourd. En 1982, la manifestation nationale des sidérurgistes à Bruxelles donna lieu à des affrontements spectaculaires (300 blessés dont 200 gendarmes). Les travailleurs des Forges vont se battre pied à pied contre les licenciements et lutter pour arracher à chaque fois un plan social lors de la fermeture de certains outils: le train à fil (1975), l’usine à oxygène (1980), la fonderie (1984), les Cokeries de Vilvorde (1986). Le nombre de travailleurs est passé de 5.750 en 1973 à 4.475 en 1979.

Un noyau combatif de militants FGTB émerge

Dans ce contexte de lutte à reculons, un noyau syndical FGTB combatif va se cristalliser. Au début des années 80, alors que la direction de Clabecq licencie un à un plusieurs dizaines d’ouvriers pour "absentéisme", la tension monte au sein de la délégation FGTB sur la riposte à mener. Quelques militants décidés à mener un syndicalisme plus combatif forment un petit noyau oppositionnel qui va grandir au fil des ans pour bientôt regrouper plusieurs dizaines de militants. Aux élections sociales de 1987, le comité Agir autrement élabore un programme de syndicalisme de combat grâce auquel la FGTB remporte les élections sociales. En 1989, une grève permet d’arracher l’embauche de 150 temporaires, la garantie salariale pour les ouvriers reclassés, l’augmentation des primes d’équipe, une augmentation du salaire horaire.

La lutte contre le plan Dessy

En septembre1992, Dessy, patron des Forges, annonce un nouveau plan de restructuration: 300 pertes d’emplois dans l’immédiat, une baisse de salaire de 10% pendant un an, la suppression de la prime de fin d’année pendant trois ans et à terme la fermeture de la phase liquide (aciérie, haut-fourneau, coulée

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photos fournies par Guy Van Sinoy

histoire rebelle

Il y a 20 ans:


La lutte contre la fermeture

En 1996, les actionnaires privés, (Dessy) se retirent des Forges et la Région wallonne prend le relais. La fermeture

Le plus beau jour de ma vie prochaine s’annonce d’autant plus que la Commission européenne, représentée par Karel Van Miert (spa), s’oppose à la recapitalisation des Forges par la Région wallonne sous le prétexte de "ne pas fausser la concurrence". Quand la délégation FGTB s’adresse à la Centrale des Métallos FGTB pour demander son aide, celle-ci répond: "Tout ce qu’on peut faire c’est vous payer 1 jour de grève!" La délégation des Forges sait qu’elle ne peut pas compter sur le soutien de l’appareil syndical. C’est pourquoi, depuis des années, elle a tissé des liens avec tous les secteurs qui luttent (Cockerill, Sidmar, VW, Caterpillar, les enseignants, les étudiants, etc.). A chaque manifestation, il y avait une importante délégation des Forges et une banderole. Cette solidarité patiemment tissée au fil des ans portera ses fruits à la Marche multicolore du 2 février 1997. Le 20 décembre 1996, alors que la faillite s’annonce, les travailleurs apprennent en assemblée que la Région wallonne a signé un protocole permettant aux banques d’être les créanciers prioritaires. La manifestation qui suit l’assemblée descend sur Tubize et saccage tous les sièges bancaires. La faillite est prononcée le 3 janvier 1997 et le 13 janvier chaque travailleur reçoit son C4. Ils n’auront désormais plus besoin de l’indemnité de grève de leur centrale pour continuer la lutte. Comme les curateurs proposent de supprimer tout de suite 500 emplois et de supprimer tous les acquis sociaux, la tension monte entre les ouvriers et les curateurs. L’usine est de fait occupée par les ouvriers qui empêchent la sortie des produits finis. Les assemblées de mobilisation se succèdent en préparation de la Marche du 2 février annoncée dès 1996. Après chaque assemblée, des dizaines d’autocars emmènent les ouvriers aux quatre coins du pays pour y diffuser des centaines de milliers de tracts. Michel Nollet, Président de la FGTB, tentera de freiner la mobilisation, en vain. Et lorsqu’il prendra conscience que la marche du 2 février est un succès considérable, il proposera à la délégation des Forges de prendre la parole au meeting final pour remercier les manifestants de venir si nombreux. "Cela on peut le faire nous-mêmes!", ont répondu les délégués de Clabecq. ■

C

e matin du 28 mars 1997, je suis à l’assemblée des travailleurs de Clabecq, dans la vieille usine. L’ambiance est tendue car beaucoup d’ouvriers ont cru qu’après la marche multicolore des 70.000, la situation serait débloquée pour sauver l’emploi. Le sentiment général est qu’il faut passer à l’action. La délégation a pris contact avec le cabinet du ministre de l’Intérieur Vande Lannote pour informer qu’on allait occuper symboliquement l’autoroute à Wauthier-Braine. Nous parcourons à pied les 6 km jusqu’à la bretelle d’autoroute. En chemin, on apprend que Vande Lanotte a donné un accord verbal. Quand nous arrivons au pied de la bretelle, les gendarmes sortent des bois et nous attaquent. Les autopompes entrent en action. Les gendarmes pensaient sans doute que les travailleurs étaient venus les mains vides. Ce n’est pas le cas: quelques camions transportent du sable, des bâtons et quelques outils. Deux bulldozers tractopelles montés sur pneus accompagnent la manifestation. Ils s’inter­posent à l’avant et neutralisent les canons à eau sous haute pression des autopompes. Les pierres volent, les bâtons aussi, les gendarmes reculent, certains en pleine débandade. Quelques camions de gendarmerie sont renversés à coups de tractopelles. Cela dure une dizaine de minutes mais c’est du costaud. Nous n’avons pas pu finalement occuper l’autoroute, mais nous rentrons fiers de nous à l’usine. Comme dans Astérix, où les Gaulois dérouillent les légions romaines, des ouvriers exhibent leurs trophées sur le chemin du retour: matraques, boucliers, casques arrachés aux gendarmes. Sur le chemin du retour, des habitants nous apportent du café, les enfants d’une école sont sortis pour nous applaudir: leur père ou un oncle travaillent peut-être aux Forges. Arrivés à l’usine, chacun fait sécher son pull sur des fils tendus devant un feu de palettes. Je suis fourbue car j’ai marché plus de 10 km, mais c’est le plus beau jour de ma vie. Celui où les ouvriers de Clabecq ont flanqué une raclée aux gendarmes. A l’instant même, personne ne sait encore que les images de cette bataille homérique vont faire le tour du monde sur toutes les chaînes télé…■ – Francine Dekoninck

histoire rebelle

continue) ce qui ramènerait l’emploi de 2.100 à 900. Les travailleurs réagissent par une manifestation à Tubize (5.000 participants) le 30 septembre. Fin octobre le bureau de conciliation impose un référendum sur l’acceptation du plan Dessy. La délégation FGTB refuse car cela reviendrait à cautionner le licenciement de collègues sous la pression d’une menace de restructuration. Une assemblée générale de 1.800 ouvriers rejette le principe du référendum sur le plan Dessy. La délégation FGTB organise un référendum alternatif sur la fermeture de la phase liquide, la baisse de salaire de 10%. 89% des travailleurs votent "Non". La direction refuse le résultat de ce référendum alternatif et impose d’autorité une baisse de salaire de 10%. La grève éclate le 5 novembre. Pour tenter d’imposer son plan, Dessy enregistre une vidéo dans laquelle il pleurniche devant la caméra que "Nous sommes tous dans le même bateau…", et fait réaliser 2.000 copies qui sont acheminées par porteur au domicile des travailleurs. La propagande patronale s’invite ainsi dans le salon de chaque famille ouvrière. Pour faire monter la pression, Guy Spitaels, Ministre-président de la Région wallonne, conditionne l’octroi d’une aide de la Région wallonne de 200 millions de FB (5 millions €) à l’acceptation du Plan Dessy. Fin novembre, après plusieurs semaines de grève, une légère majorité d’ouvriers se résigne à accepter la baisse de salaire de 10%. La délégation CSC signe la convention, la délégation FGTB refuse car elle ne veut pas cautionner la baisse des salaires. Il suffit qu’un syndicat signe pour que la convention soit valable. La bureaucratie syndicale nationale des métallos FGTB fait cependant pression pour que la délégation de Clabecq signe. Comme elle refuse, la délégation FGTB des Forges est "suspendue" par l’appareil syndical et n’est pas autorisée à participer au congrès national des Métallos FGTB. La délégation FGTB mobilise alors ses militants, loue des autocars et ce sont 150 militants FGTB des Forges qui déboulent au congrès national. La rupture est désormais totale entre l’appareil syndical des Métallos FGTB et la délégation FGTB des Forges qui a échappé à son contrôle.

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L’école (toujours plus) au service du capital ✒ par Pauline Forges Le Pacte d’excellence, c’est ce projet de réforme de l’enseignement amené par la ministre de l’Enseignement CDH de l’époque, Joëlle Milquet (et repris par la ministre qui lui a succédé, Marie-Martine Schyns). La grande innovation repose sur la "consultation large" à la base du Pacte: en effet, tous les acteurs de l’enseignement ont été invités à participer à son élaboration à travers des groupes de travail. En février, les syndicats enseignants se sont pourtant prononcés contre le Pacte. Pourquoi? Commençons par le début: comment est né le projet du Pacte d’excellence? Une émission d’Arte (*) a mené l’enquête et démontre que le 31 juillet 2014, Joëlle Milquet, alors à peine nommée ministre de l’Education, a rencontré Etienne Denoël, le patron belge de McKinsey (un des plus gros cabinets de consultance au monde). Une note confidentielle ressort de cet entretien, dans laquelle on retrouve les grandes lignes du Pacte. Par la suite, le gouvernement confiera à McKinsey le diagnostic de l’éducation wallonne. En mars 2016, le Pacte d’excellence rentre dans sa deuxième phase: durant trois jours, plein d’acteurs de l’éducation sont réunis à Spa pour amener leurs propositions. Des consultants de McKinsey assistent aux débats, analysent et chiffrent les propositions émises selon leurs critères (coût et efficacité). Ainsi, la fin du redoublement est considérée comme une mesure très rentable. Interrogée sur l’implication de McKinsey dans le Pacte, la ministre Schyns a déclaré: "Qu’on puisse bénéficier du soutien, en termes d’aide à la décision, de la part d’un consultant qui en plus, a une expertise dans d’autres pays sur le monde de l’éducation, moi ça me paraît important. Je pense qu’il ne faut pas voir non plus le mal partout où il est; je veux croire que, clairement, il n’y a pas toujours des arrière-pensées dans ce genre

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de soutien, mais qu’il y a une réelle plusvalue et une volonté pour que nos élèves en soient les premiers bénéficiaires." On aimerait croire à cette fable: des entreprises qui financent l’école dans un but altruiste, pour participer à l’élaboration d’un monde meilleur... Retour à la triste réalité capitaliste: si la Wallonie n’a payé le géant de la consultance qu’à hauteur de 38.000 euros pour des services dont le coût est estimé entre six et huit millions d’euros; si le reste a été financé par des fondations d’entreprises, c’est évidemment parce que l’enseignement représente un enjeu crucial pour les entreprises, pour peu qu’il soit mis à leur service. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer.

Les élèves, dans le Pacte, ne sont perçus que sous deux angles: comme de futurs consommateurs, et comme une future main-d’œuvre. En réalité, toutes les propositions émises ont pour objectif de bien les préparer à ces futurs rôles. L’accent est mis sur "l’acquisition des compétences de base", de la 1ère maternelle à la 3ème secondaire? Parce que la formation qui suit, de la 4ème à la 6ème secondaire, et axée sur la réflexion et le développement de l’esprit critique de l’élève, n’a pas d’intérêt dans cette vision des choses (elle est même perçue comme négative). Le cours d’histoire disparaît au profit d’un cours général, mêlant géographie, histoire, formation économique et sociale? Même chose, un cours d’histoire approfondi a peu d’intérêt pour former la main-d’œuvre de demain. On met l’accent sur l’importance de "rendre l’élève autonome dans ses apprentissages", de le rendre capable

"de se former lui-même tout au long de sa vie"? Du pain bénit pour les futurs employeurs. C’est assumé: il s’agit d’"assurer l’adéquation de l’enseignement avec le monde socio-économique" (comme l’a déclaré Joëlle Milquet). Si l’esprit critique s’y fait rare, on retrouve tout au long des 300 pages du Pacte d’excellence "l’esprit d’entreprendre", parmi un vocable chéri du patronat: "mobilité", "adaptabilité", etc. Et puis, il y a les conditions de travail des enseignants. La taille des classes n’est pas abordée dans le pacte (alors qu’imposer une taille minimale est indispensable pour pouvoir mener une pédagogie différenciée). Il n’est pas non plus question de refinancer l’enseignement: les mesures envisagées dans le Pacte le sont avec l’enveloppe budgétaire actuelle (le budget évoqué – 300 millions d’investissements, "avec 250 millions d’effet retour" – ne permet pas de réel changement des conditions actuelles). Si les heures de coordination, de planification, de formation augmentent de manière spectaculaire (on parle dans le pacte d’un "cadre organisationnel souple"), il n’est pas question de revalorisation salariale. On parle par contre de "pilotage par objectifs". Cette pratique de management consiste à contractualiser les missions d’enseignement sur base d’objectifs à atteindre (avec une obligation de résultats), évalués en fonction d’indicateurs – et ce dans un contexte de renforcement du pouvoir des directions. La répétition de deux mentions "défavorables" consécutives pourra conduire à la fin de la relation de travail avec l’enseignant... Toutes ces mesures constituent autant de violentes attaques contre le métier d’enseignant. Enfin, il y a ces belles idées comme celle du tronc commun (il s’agit d’ailleurs d’une revendication des syndicats, et de la LCR). Le principe: offrir la même formation à tou.te.s les élèves, de la 1ère maternelle à la 3ème secondaire, sans dis-

illustration: Little Shiva

enseignement

Pacte d’excellence:


enseignement tinction entre filières générale, qualifiante ou professionnelle. Ces différentes approches (y compris l’approche artistique) seraient intégrées à une formation unique, commune à toutes et tous. Problèmes: rien ne garantit, dans le Pacte, que ce soit un réel tronc commun, c’est-à-dire qu’au sein du tronc commun certaines écoles ne feront pas des classes par niveaux, ni qu’il ne s’agisse pas d’un instrument pour ramener l’adossement (consistant à "adosser" les écoles primaires aux écoles secondaires et à regrouper des écoles entre elles, cette mesure aurait pour conséquence la disparition de nombreuses petites écoles). A l’issue du tronc commun, les élèves n’auront plus le choix qu’entre deux filières: la transition, menant aux études supérieures; et la qualification, aboutissant à un métier. Aucun passage entre ces deux filières n’est prévu. Ces dernières décennies ont vu l’école se calquer toujours davantage sur les attentes des entreprises. L’approche par compétences ou la certification par unité d’apprentissage étaient autant de pas dans cette direction. Ce n’est pas par hasard que le Pacte d’excellence bénéficie du soutien de tant de lobbys et d’entreprises comme McKinsey: il permet de franchir de nouvelles limites en adaptant non seulement le contenu des apprentissages aux attentes du patronat, mais aussi la structure de l’enseignement – en adoptant les pratiques managériales du privé. Non, ce Pacte n’est pas pensé pour les élèves: ils et elles en sont la proie. Elèves, parents, enseignant.e.s: si on veut le combattre, mobilisons-nous maintenant! ■ *Vox Pop, "McKinsey sur les bancs de l’école", www.youtube.com/watch?v=_9T1Hvmk-hA

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✒ propos recueillis par Matilde Dugaucquier Quelques caméras, l'un ou l'autre micro et beaucoup de bonne volonté ont été à l'origine de Zin TV. En quelques années, ce média citoyen qui se défini aussi comme une "télé d'action collective" a gagné une légitimité incontestée au sein des luttes et des mouvements sociaux. Rencontre avec Anne-Sophie, permanente bénévole à Zin TV.

Peux-tu revenir aux origines de Zin TV? De quel constat est né ce projet et comment a-t-il démarré? Il y a en fait eu plusieurs points de départ. Ronnie, un des permanents, animait des ateliers vidéo dans les quartiers, mais il s'est rendu compte que ça restait de l'ordre de l'occupationnel et qu'il n'existait pas d'espace de diffusion pour la parole qui s'y exprimait. Par ailleurs,

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Zin TV part du postulat que les gens des quartiers ou des mouvements connaissent mieux que personne ce qu'ils vivent. On veut donc leur donner les outils qui leur permettent de s'exprimer car souvent ces personnes se trouvent mal ou peu représentées dans les médias. On s'est donc inspiré de pas mal d'initiatives. Une partie d'entre nous a travaillé dans les médias communautaires au Venezuela où, suite au changement politique qui a eu lieu, le gouvernement a déployé de grands moyens dans la création de médias communautaires pour relayer des problématiques locales. Ce projet se basait lui-même sur des modèles plus anciens, notamment l'expérience des groupes Medvedkine en France.

Du coup de quels horizons viennent les membresfondateurs de Zin TV? La bande de départ était assez multiculturelle et c'est de là qu'est venu le nom. Le Zineke c'est un personnage métissé, multiculturel, un peu bâtard

même. C'était important de présenter une grande mixité, car il y a aussi une culture dominante à la télévision. Et il faut dire que les cultures dites "étrangères" ne sont pas vraiment bien représentées, surtout en ce moment. Mais à part les quatre permanents, il y a plein de personnes qui sont passées par Zin TV, et c'est plutôt elles qu'il faut mettre en valeur.

Justement, Zin TV n'est pas seulement un outil de communication, c'est aussi un outil pédagogique, un lieu d'apprentissage et d'échange. Qui participe et que peut-on y faire? On se veut être un média d'action collective, ça veut dire qu'il faut donner les outils aux gens pour qu'ils puissent se représenter eux-mêmes. Nous ne sommes pas une boîte de production gratuite: on essaie d'impliquer les mouvements sociaux et les gens dans la construction de leur propre message politique. Ça passe par des ateliers, des formations, la mise à disposition de matériel, etc. Les ateliers qu'on propose exigent différents niveaux d'implication, parce que les participants ont la plupart du temps un boulot et peu de temps à investir. C'est pour cela qu'on a mis en place la permanence vidéo des luttes sociales – PVLS – où on apprend à couvrir des sujets courts sur le tas. Donc ça ne demande pas quatre jours de formation: les gens viennent et nous on leur fournit les clés pour qu'ils puissent partir, filmer et monter leur vidéo rapidement, sans avoir à être désespérés par la quantité d'images au montage. C'est une approche plutôt branchée sur l'actualité, où on a moins le temps de réfléchir au format. Car un autre enjeu, qui constitue aussi une réflexion continue, c'est de ne pas répéter les mêmes formes que le journalisme classique. On est tellement inondés d'images qu'il est difficile de sortir de ces cadres. C'est là que la formation plus

cecinestpasunjeune.org/index.php/zin-tv

interview

Zin TV: "Impliquer les mouvements sociaux dans la création médiatique"


Du coup, ça m'amène à me demander comment vous vous situez par rapport aux médias dominants... C'est une bonne question, et nous mêmes nous rendons compte qu'on n'est pas encore vraiment parvenus à se définir, bien qu'on y travaille avec le temps. On se demande tout le temps ce qu'est le journalisme citoyen. Je pense qu'en fait on ne fait pas le même boulot. Eux ont des contraintes de production, notamment. Récemment un article assez virulent, intitulé "Le journalisme citoyen n'exite pas" est sorti dans La Libre (1), auquel nous avons soumis une réponse qui n'a pas été publiée (2). L'auteur, André Linard, prétend que les journalistes relatent la réalité et que la parole citoyenne n'a pas la neutralité qu'eux estiment avoir. Et ce qui fait notre différence, c'est que nous, justement, on veut assumer une subjectivité, on n'est pas en train de se voiler la face: toute image est suggestive. Et si eux ne l'admettent pas, on a un problème. Ce qui pourrait également nous différencier, c'est que notre but n'est pas de produire nous-mêmes, comme je le disais

tout à l'heure. Notre but est d'arriver à ce que le message des quartiers soit relayé et que les mouvements s'impliquent. On peut aussi être une plate-forme qui permette de rassembler les mouvements sociaux, ce que ne fait pas forcément le journalisme (rires). Après, sur la question du financement par exemple, je pense que nous aussi on va y être confrontés, et qu'on va devoir se demander comment rester indépendants des organes qui nous financent. Les journalistes revendiquent également un certain professionnalisme. Effectivement les gens avec qui nous travaillons n'ont pas fait d'école de journalisme: ils apprennent à raconter quelque chose via les ateliers qu'on leur donne. Mais est-ce qu'un journaliste qui a fait cinq ans d'études connaît mieux le terrain que quelqu'un qui le vit au quotidien? Nous on n'est pas d'accord avec ça. Après, apprendre aux gens à s'écarter de leur propre subjectivité c'est aussi tout un travail. Nous pensons que montrer deux points de vue opposés ne revient pas à être objectif, on trouve ça débile. Mais prendre ses distances avec sa propre réalité c'est aussi important.

On a déjà abordé certaines des difficultés auxquelles vous faites face: il y a quelque chose que tu veux ajouter par rapport à cela? Je te lirais bien la phrase de conclusion de notre réponse à l'article de La Libre: "Cher Monsieur Linard, si tous les journalistes faisaient vraiment et correctement leur boulot, il n’y aurait point de lanceurs d’alerte, de WikiLeaks, il n’y aurait pas

Kairos, Zin TV et Sans Papiers TV… ou même le collectif Krasnyi, radio Panik… il n’y aurait pas de journalisme citoyen!" Parce que si tous ces médias existent, c'est que fondamentalement certaines paroles ne sont pas relayées. Voilà pourquoi on est là aussi. Après, ce qui est compliqué, et je veux insister là-dessus, c'est comment impliquer les mouvements dans la création de ce média. C'est aussi à eux de venir proposer des sujets, de réaliser que ça prend du temps, de s'impliquer dans les ateliers et dans les réunions de rédaction qu'on va mettre en place, pour inviter les partenaires à venir présenter leurs projets aux équipes de tournage. On veut que ce soit un vrai lieu de rencontre. Car si on se contente de recevoir un mail et d'envoyer une équipe de tournage on se retrouve dans cette position où on ne connaît pas les gens qu'on va filmer. L'une des difficultés supplémentaires c'est qu'on n'a aucune source de financement ni de personnel. Mais les contributions ne doivent pas forcément être financières, c'est la participation qui est importante. Car plus on produira, plus on fera circuler nos vidéos, plus on pourra avoir un impact sur l'opinion publique et amener notre point de vue sur le monde. ■

interview

professionnelle – de cinéma – intervient. Par ailleurs, on alimente en permanence le site avec des réflexions sur ce qu'est une image. Car l'image raconte quelque chose et constitue un acte politique en soi, ou au moins un acte de positionnement dans le monde. Pour te donner un exemple assez frappant: une de nos équipes est allée filmer la grève des cheminots et une relation de confiance s'est établie car elle y était souvent et suivait la grève de l'intérieur. Et forcément, quand ils filmaient, ils étaient proches des cheminots. À tel point que les journalistes sont venus se plaindre que l'équipe Zin TV était tout le temps dans le cadre et les empêchait de faire leur boulot. Et c'est là toute la différence: eux sont éloignés et filment en téléobjectifs et nous, on était avec les cheminots. Affirmer cette subjectivité fait aussi partie de notre démarche. Ce qui était chouette dans ce cas, c'est que ce sont les cheminots qui ont pris notre défense face aux journalistes, en affirmant notre légitimité à être là, avec eux. Car notre but c'est aussi d'être avec les mouvements et ça, ça demande que ceux-ci s'investissent dans le média. Ce sont eux qui peuvent amener d'autres porte-paroles, d'autres images et d'autres messages. Nous on amène des outils pour cadrer cela et le rendre intelligible.

(1) André Linard, "Le journalisme citoyen n’existe pas", La Libre, 30 septembre 2016, www.lalibre.be/ debats/opinions/le-journalisme-citoyen-n-existepas-57ed2de7cd70871fc422cc0f (2) Journal Kairos, ZIN TV, Sans Papiers TV, collectif Krasnyi, radio Panik, "Ainsi, le journalisme citoyen n’existerait pas?", Zint TV, 7 octobre 2016, www.zintv. org/Ainsi-le-journalisme-citoyen-n

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France

Qu’attendre de la présidentielle?

▼ Jean-Luc Melenchon, Benoit Hamon,

Emmanuel Macron,Francois Fillon, Marine Le Pen

✒ par Christine Poupin Il y a quelques mois, une seule question résumait l’enjeu de la présidentielle: qui se retrouverait face à Marine Le Pen au second tour: Hollande, le président sortant – éventuellement son premier ministre Valls – ou Sarkozy, sorti il y a cinq ans? Depuis, Sarkozy puis Hollande puis Valls ont été éjectés de l'arène électorale.

Rien ne se passe comme prévu

Ces rebondissements sont la partie immergée de la crise profonde qui secoue le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (ex-UMP), les deux partis qui ont été alternativement au gouvernement. Ils payent d'une impopularité record les politiques qu'ils ont mis en œuvre au service des capitalistes, comme la majorité de leurs partis jumeaux en Europe et ailleurs. Cependant, les institutions de la 5ème république donnent en France une dimension particulière à cette crise. La primaire, inaugurée par le PS pour la présidentielle de 2012 est devenue incontournable à droite, au PS et chez les Verts. Ces "élections-avant-l'élection" ont systématiquement sorti les sortants – ou à défaut les plus proche de l’exercice du pouvoir. Ni Sarkozy, ni Valls, ni même Duflot, n'ont franchi le premier tour.

Ni à droite…

La droite semblait avoir trouvé son champion. Fillon l’avait emporté en bénéficiant du rejet de Sarkozy. Il avait mobilisé la fraction la plus réactionnaire de l'électorat de droite en jouant sur son image de père-la-morale. Il se prend aujourd'hui les pieds dans le tapis (de luxe): Emplois fictifs, népotisme, appropriation d'argent public, conflits d’intérêts, trafic d'influence... Faute de solution de rechange, la droite est à ce jour contrainte de garder un candidat carbonisé. Au-delà, c'est tout le système politique qui est en cause comme en témoigne le silence assourdissant des autres partis. Un député sur cinq emploie un membre de sa famille. Les affaires Fillon révèlent aussi que les partis "de gouvernement" sont liés aux mêmes

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cabinets de conseils des intérêts capitalistes dans une seule et même oligarchie.

Ni au PS

Le Parti socialiste est rattrapé par le bilan du quinquennat. La baisse du chômage se fait attendre, le pouvoir d’achat des classes populaires recule, les conditions de santé et de logement se détériorent, les grands projets productivistes se mettent en place contre les populations concernées. Attentats instrumentalisés pour renouveler sans cesse l'état d'urgence, migrant.e.s traqué.e.s et harcelé.e.s, ce gouvernement mène une politique encore plus sécuritaire que son prédécesseur sur fond de racisme et d'islamophobie d’État qui ne font qu'encourager les violences policières, accroître les discriminations et la criminalisation des quartiers populaires... Hollande ne peut même pas se présenter, Valls qui prend la place est battu dès le premier tour de la primaire. Le vainqueur, Hamon, candidat "frondeur" bénéficie d'un vote sanction, d'un effet différé, certes déformé, de la mobilisation du printemps 2016, du refus du projet d'aéroport à NotreDame-des-Landes ou de la déchéance de nationalité... La crise du PS est désormais ouverte entre l’orientation social-libérale portée par Hollande et Valls, assumée par l’essentiel de l’appareil, d’évolution vers une force républicaine-démocrate; et celle de Hamon de maintien d’un PS dans la gauche social-démocrate traditionnelle.

Un "antisystème" tellement dans le système!

Crise globale de légitimité oblige, l’étiquette la plus revendiquée, la plus

usurpée aussi, est celle de candidat "horssystème", voire "anti-système". Emmanuel Macron joue le candidat hors parti, s’exonère du bilan du quinquennat, alors qu’il est désormais le seul candidat à porter l’essentiel du bilan des gouvernements socialistes. Il a été secrétaire général adjoint de la Présidence dès 2012, à l’origine du CICE [Crédit d’impôt pour la compétitivité et l'emploi] et du pacte de responsabilité, puis ministre de l’Économie, portant les deux lois les plus rejetées par les classes populaires (celle qui porte son nom et la loi Travail). Il a le culot d’intituler son livre "Révolution" alors qu’il met en œuvre la contre-révolution néo-libérale. Ayant le vent en poupe dans les sondages et les média, faisant salle comble pour ses meetings, il engrange les ralliements de transfuges du PS et de la droite.

"Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde"

Le Front national avait recueilli le plus grand nombre de voix lors des régionales fin 2015 et la mobilisation contre la loi Travail n’a pas inversé cette dangereuse situation. Malgré l'élimination de Hollande-Valls et Sarkozy, ses "meilleurs ennemis", Marine Le Pen est en tête dans tous les sondages pour le premier tour. L’extrême-droite reste le principal réceptacle d’un vote protestataire réactionnaire, raciste, de rejet des partis ayant géré le pays depuis vingt ans. Bien qu'elle soit mouillée dans un détournement d’argent public au Parlement européen de plus d’un million d’euros, Marine Le Pen se présente comme "la candidate de la


Mélenchon 2017

La campagne de Mélenchon n'est pas celle du candidat du Front de Gauche en 2012. Mélenchon 2017 veut rassembler "le peuple" contre la "caste" et "l'oligarchie financière", un discours populiste qui cible le mauvais capitalisme financier pour mieux épargner ce qui serait le bon capitalisme productif. Revendication d'un "indépendantisme français", dénonciation de "l'Europe allemande", la Marseillaise qui clôt tous ses meetings n'est pas qu'un symbole! Pire, avec le dérapage sur les travailleurs détachés qui "volent le pain des français", le burkini "provocation politique" ou sa volonté de lutter "contre les causes des migrations", il tourne le dos au nécessaire combat contre l’islamophobie, au combat antiraciste et humanitaire pour la liberté de circulation et d’installation, comme il bafoue aussi la plus élémentaire solidarité internationaliste à l'égard du peuple syrien en refusant de condamner Poutine et Assad. La campagne est menée sous l'égide de la France Insoumise, sous une apparente horizontalité, un outil taillé sur mesure pour s'affranchit de toute démocratie et de toute démarche unitaire. Lancée très tôt en prenant ses anciens partenaires de vitesse, cette candidature apparaissait néanmoins comme le seul outil électoral anti-austérité et anti-FN.

Photothèque Rouge/JMB

Nous n’avons pas besoin d’un super champion pour se battre dans le cirque, mais d’en finir avec le cirque!

La victoire de Hamon suscite une pression unitaire avec pas moins de trois appels, "Pour un front solidaire et écologique", "Pour une coalition entre Hamon, Mélenchon et Jadot", "Un candidat mais pas trois!". Nous partageons l’inquiétude des militant.e.s pour le climat, des opposant.e.s à la loi travail, des soutiens aux migrant.e.s, des féministes,

des altermondialistes qui soutiennent ces appels car l'extrême-droite et la droite extrême sont menaçantes et Macron serait un remède qui empirerait le mal. Mais nous ne sortirons pas de cette situation catastrophique avec les outils qui l’ont créée. Ni Hamon ni Mélenchon ne renonceront à leur candidature et surtout aucune n’est un levier pour construire le rapport de force sans lequel rien n’est possible, ni la résistance, ni la conquête des quelques mesures positives qu’ils avancent. Nous représenter nous-mêmes, construire nos propres outils politiques, élaborer notre programme à partir des exigences portées par nos luttes voilà ce que nous devons impérativement faire ensemble.

France

France du peuple", "contre la droite du fric et contre la gauche du fric". Le racisme baptisé "priorité nationale" reste le pivot de son discours, la dénonciation de "l’ultralibéralisme" et de l’Europe ne peut masquer le refus d’affronter le MEDEF [Mouvement des entreprises de France] et le patronat en général: pas d'augmentation du SMIC [Salaire minimum de croissance – le salaire horaire minimum légal] mais les bonnes vieilles recettes de défiscalisation des heures supplémentaires et d'exonérations de cotisations sociales, sans parler du très réactionnaire salaire maternel...

Construire une alternative radicalement anticapitaliste

Cette impérieuse nécessité d’une nouvelle expression politique des exploité.e.s et des opprimé.e.s est la raison d’être de la campagne du NPA. Sous le slogan "Nos vies pas, leurs profits" sont mises en avant des mesures qui répondent aux principales urgences sociales et écologiques: la réduction massive du temps de travail ; la continuité du salaire pour tou.te.s payée par les cotisations patronales; des services publics et la gratuité pour satisfaire de manière égalitaire les besoins essentiels et mettre en œuvre la transition énergétique vers 100% de renouvelables; l’arrêt du nucléaire et des projets productivistes… Ces mesures imposent l’expropriation des banques et des secteurs clés (énergie, eau, transports, distribution…) et leur socialisation sous gestion ouvrière et citoyenne, la planification démocratique, une démocratie réelle qui rompe avec la politique professionnelle, les institutions de la Vème république et de l’Union européenne. Résolument antiraciste, féministe et internationaliste, à l’opposé de tous les "votez pour moi, je m’occupe de tout", la campagne du NPA avec Philippe Poutou veut contribuer à la construction d’un outil utile pour les mobilisations et porteur d’un projet émancipateur écosocialiste. Les mobilisations suite à l’interpellation violente et au viol d’un jeune homme en banlieue parisienne montrent que rien n’est écrit d’avance. La manifestation du 19 mars pour la justice et la dignité, contre la hogra [terme de l'arabe algérien qui signifie mépris], l’humiliation, le racisme, les violences policières et la chasse aux migrant.e.s peut bousculer une ambiance électorale dominée par les options racistes et sécuritaires. ■

Philippe Poutou la gauche #81 mars-avril 2017

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histoire rebelle

Petrograd, 8 mars 1917:

"Le peuple veut la chute du régime!" ✒ par Jean Batou La révolution russe a été déclenchée par les manifestations et les grèves spontanées suscitées par la Journée internationale des femmes dans les quartiers ouvriers de Petrograd. Ce rendezvous avait été proposé par les femmes du Parti socialiste d’Amérique, dès 1909, avant d’être repris par la Deuxième Internationale, en 1910, sur proposition de Clara Zetkin et d’Alexandra Kollontaï. Le 19 mars 1911, plus d’un million de manifestantes avaient ainsi défilé pour le suffrage féminin, l’arrêt des discriminations et le droit au travail, en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse. Quelques jours plus tard, 140 ouvrières, dont une majorité d’Italiennes et de juives d’Europe orientale, périssaient brûlées dans une fabrique textile de New York, liant plus que jamais les luttes des femmes à celles du mouvement ouvrier.

Agir sans ordre et désobéir aux ordres…

Dans les jours qui précèdent le 8 mars 1917 (23 février, selon le calendrier julien), les cercles sociaux-démocrates russes préparent des actions mesurées (réunions, discours, tracts, débrayages) dans un climat électrisé par la guerre, le froid polaire et les interminables files d’attente devant les boulangeries. Personne ne songe à une véritable grève, encore moins à une insurrection. Les dirigeants bolcheviks considèrent que tout mouvement d’envergure serait prématuré. Or, le lendemain à midi, tandis qu’une foule immense de femmes marche vers le centre-ville, les ouvrières textiles de Vyborg (nord-ouest de la capitale) ont abandonné leur travail dès le matin, enjoignant les métallos à la solidarité. Les militant.e.s des partis ouvriers ne peuvent dès lors que soutenir un mouvement de grève qui touche vite plus de 100.000 travailleurs/ euses. Mais comment la police et la troupe va-t-elle réagir à une telle démonstration,

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de surcroît en temps de guerre? Quelques drapeaux rouges surgissent, tandis que les femmes se dirigent vers le parlement pour exiger du pain. Le lendemain, la moitié des ouvrier et ouvrières sont en grève, tiennent des meetings devant les usines, avant de converger vers le centre, aux cris de "À bas l’autocratie!", "À bas la guerre!". "L’expédition avait les allures d’une armée d’ouvriers faméliques partant en guerre", écrit Orlando Figes (La Révolution russe, 2007). La foule envahit les quartiers, déjouant les barrages policiers, assommant des gendarmes. Le pouvoir attendra le 10 mars pour ordonner à la police de tirer, tandis que la grève se généralise. La foule rend coup pour coup, mais cherche à fraterniser avec l’armée: "Plus hardiment que les hommes, [les femmes] s’avancent vers les rangs de la troupe, s’agrippent aux fusils, supplient et commandent presque…" (Trotsky, Histoire de la Révolution russe, 1950). Le même jour, le tsar télégraphie au commandant de la place pour qu’il en finisse avec les troubles. L’armée va donc devoir parler: tandis que la capitale dispose de 3.500 policiers, sa garnison compte 150.000 hommes – des bataillons de réserves, destinés à retourner au front. Bercé par une étrange douceur printanière, le dimanche 11 mars s’annonce décisif: de tous les faubourgs, la foule déferle vers le centre, évitant les ponts fermés par la police, traversant la Neva sur la glace. Les tirs sont plus nourris: le nombre de blessés et de tués augmente. Que va faire la garnison de Petrograd? Dans l’aprèsmidi, des Cosaques ont accepté un bouquet de roses rouges – symbole de paix et de révolution – d’une jeune fille sortie des rangs des manifestant.e.s; ailleurs, ils sont intervenus contre la police aux côtés de la population. Ce soir-là, une compagnie s’est mutinée pour protester contre le mitraillage de la foule. À ce moment, "les nouvelles proportions des forces gîtaient mystérieusement dans la conscience des

ouvriers et des soldats" (Trotsky, ibid.).

L’insurrection imprévue

Le lundi 12 mars, dans la foulée de la grève générale et des manifestations, l’heure est à l’insurrection armée, même si les partis, jusqu’aux bolcheviks, n’en perçoivent pas l’imminence. Devant les casernes, les ouvriers se heurtent au feu des mitrailleuses. Mais comment obtenir d’autres armes que les pistolets pris à la police? Le sort de la révolution repose sur le ralliement des moujiks [paysans pauvres] en uniforme... Au matin, l’une après l’autre, les casernes se mutinent. Il n’est plus temps de reculer. Des officiers subalternes, animés de sympathies démocratiques, et des ouvriers, prennent la direction des opérations. Ainsi, le sergent socialiste-révolutionnaire Fedor Linde voit une jeune fille se faire écraser par un cheval cosaque: "Elle a hurlé. C’est son hurlement inhumain, pénétrant, qui a déclenché quelque chose en moi. J’ai sauté sur la table et j’ai crié à tue-tête: ‘Amis! Amis! Vive la révolution! Aux armes! Aux armes, ils tuent des innocents: nos frère et sœurs […] Plus tard, on a dit qu’il y avait quelque chose dans ma voix qui rendait mon appel irrésistible… Ils ont suivi sans comprendre… Ils m’ont tous rejoint dans l’attaque contre les Cosaques et la police. Nous en avons tué quelques-uns. Les autres ont battu en retraite…" (cité par Figes). Le feu fait rage, certaines unités refusant de céder. Pourtant les mutins se sont emparés de l’Arsenal, ils ont réquisitionné les automobiles, jusqu’à la Rolls-Royce d’un grand-duc. "Ce fut la première révolution sur roues", dont les voitures, hérissées de baïonnettes ressemblaient à "d’immenses hérissons devenus fous", témoignera Gorki. Toute la population civile fait corps face à l’appareil répressif. Les postes de police, les prisons, les tribunaux sont mis à sac. Le langage corporel change: les soldats portent leur casquette à l’envers, laissent


il ne sera pas question dans l’immédiat, ni de la fin de la guerre, que l’on se contentera dès lors de déclarer "défensive". Les événements des 8 au 12 mars 1917 à Petrograd n’ont pas été révolutionnaires parce qu’ils ont été menés par une direction révolutionnaire, mais parce qu’ils ont vu "l’irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées" (Trotsky, ibid.). De la même façon, il y a 6 ans, le renversement des dictatures de Ben Ali et de Moubarak par les masses tunisiennes et égyptiennes a marqué le début d’un processus révolutionnaire… Pour autant, une fois une révolution amorcée, son issue dépend de nombreuses circonstances, et parmi elles, avant tout, des forces politiques qui réussissent à en prendre la direction, ainsi que de leur programme, ce qu’a bien montré la Russie de 1917, d’avril à octobre, mais aussi, a contrario (pour le moment), la région arabe, depuis fin 2010. ■

histoire rebelle

leur tunique déboutonnée; les femmes s’habillent en hommes, "comme si en inversant les codes vestimentaires sexuels, elles renversaient aussi l’ordre social"; on flirte, on s’embrasse, on fait même l’amour dans la rue (Figes, ibid.). Le soir tombé, on ne compte pas le nombre de victimes – sans doute 1.500 (beaucoup plus qu’en octobre). Mais la révolution est installée au Palais de Tauride, siège du parlement (la Douma), qui va bientôt abriter le Soviet et le Gouvernement provisoire. Le reste du pays emboîtera le pas à Petrograd sans confrontations, avec quelques jours de retard dans les grandes villes, quelques semaines dans les régions plus éloignées des centres. La Révolution de février, initiée par des débrayages et des manifestations de femmes, a triomphé grâce à une grève générale et à une insurrection, appuyées in extremis par une mutinerie de la garnison. Que voulait-elle? Du pain, des droits populaires, et la conclusion rapide de la guerre. Aucun parti ne l’avait dirigée, encore moins planifiée. Comme l’écrira le socialiste-révolutionnaire de gauche Mstislavski, en 1922: "La révolution nous a surpris, nous autres membres du parti, profondément endormis, comme les Vierges folles de l’Evangile".

▲ L'Empereur Nicolas II

et sa famille

▼ Manifestation des ouvrières

de Petrograd le 8 mars 1917

rbth.com/longreads/1917

"Le paradoxe de février"

Mais à qui les insurgés victorieux allaient-ils remettre le pouvoir? Aux chefs socialistes qui n’avaient joué aucun rôle significatif dans la révolution, et qui allaient se charger de mettre en place un "comité exécutif provisoire du soviet des députés des ouvriers", dont les 50 membres ne comptaient pas un seul délégué d’usine. Pourtant, ils n’entendaient pas prendre la direction des affaires eux-mêmes. À partir d’une vision "marxiste" réductrice, ils jugeaient que la bourgeoisie d’affaires pouvait seule exercer le pouvoir dans un pays aussi "arriéré" que la Russie, s’empressant pour cela de le céder à un groupe de députés libéraux de la Douma, favorables à une monarchie constitutionnelle. Ce dernier allait former un gouvernement provisoire, soutenu par le Soviet, sous condition de garantir un ordre démocratique. C’est ce que Trotsky a appelé "le paradoxe de février". Seules les abdications successives de Nicolas II, sous la pression de l’étatmajor, puis de son frère Michel, sous la pression populaire, forceront les nouveaux dirigeants du pays à déléguer le choix de nouvelles institutions à une Assemblée constituante future. Du partage de la terre, la gauche #81 mars-avril 2017

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✒ par Sophie Cordenos Alors que la suite des aventures d’Anastasia Steele et Christian Grey, Cinquante nuances plus sombres est sorti dans les salles obscures pour la date symbolique (et à haut potentiel marketing!) de la Saint-Valentin, il est bon de se repencher sur ce best-seller douteux et d’en comprendre les mécanismes qui tendent à rendre la violence conjugale… glamour! Dans un style médiocre, le premier tome du roman (tout de même vendu à quelques 40 millions d’exemplaires à travers le monde à sa sortie!), rempli de formulations grotesques et de répétitions, se présente comme un "porno pour mamans" ou bien encore comme un "manuel d’éducation sexuelle pour jeunes filles". Or très vite au cours de la lecture, on se rend compte que non seulement la relation entre les personnages est très lointaine de la réalité: une jeune femme vierge de 21 ans rencontre un jeune milliardaire autoritaire, accro au sexe et aux pratiques sadomasochistes (SM); mais qu’en outre, elle semble faire délibérément l’éloge du viol et de la violence conjugale. Fascinée et manipulée par le beau milliardaire, l’héroïne accepte coups, viols, fessées "érotiques", violence psychologique, privations des libertés élémentaires, etc. Il est intolérable et dangereux de présenter ce récit comme une romance, car la relation et la sexualité apparaissent ici

E.L. James, auteure de la série "50 Nuances..."

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clairement comme abusives. Plus qu’une pratique de jeux sexuels SM, il s’agit ici d’une tentative de dégradation de l’autre, de déshumanisation, et de sexualité non égalitaire. Pire encore, le livre, et donc le film par extension, tend à faire croire aux femmes qu’être dominée et manipulée est leur désir profond et caché.

L’histoire tend à faire croire aux femmes qu’être dominée et manipulée est leur désir profond et caché. En effet, le roman insinue, tout au long du récit, qu’une femme doit s’abandonner à un homme puissant et dominateur pour une sexualité épanouie. Pour les plus novices en matière de relation amoureuses et sexuelles, le message du roman est assez clair: n’hésitez pas à forcer votre partenaire, elle ne sait pas ce dont elle a besoin, elle aimera sûrement ça! La chercheuse en psychologie Amy Bonomi, de l’Université du Michigan, a analysé la maltraitance exposée dans le récit et en conclut qu’Anastasia Steele "souffre des réactions typiques des femmes maltraitées". Il est interpellant de constater que les statistiques sur le lectorat

de Cinquante nuances de Grey de cette docteure en santé publique montrent que les lectrices de ce roman auraient 25% de plus de chances d’avoir un partenaire qui abusent d’elles verbalement, 34% de chances en plus que leur partenaire les suivent dans la rue, et plus de 75% de chances qu'elles fassent des régimes radicaux ou consomment des produits amincissants.

En bref, cette série littéraire érotique banalise sans complexe la violence conjugale jusqu’à la rendre glamour. Il est dangereux de constater que de nombreuses jeunes femmes déclarent s’identifier à l’héroïne soumise et violentée et la décrivent comme "ordinaire". Le succès de ces romans prouve également et tristement que les jeunes femmes semblent manquer cruellement de confiance en elles et ce, même au sein de leurs relations amoureuses. Il est très inquiétant d’imaginer les conséquences que la popularité de ce best-seller, dont 70 millions d’exemplaires sont à l’heure actuelle en circulation, pourrait avoir sur certaines femmes. Faire la promotion d’un tel récit est moralement condamnable. En conclusion, si "Cinquante nuances" semble être une lecture sexy et divertissante et si aller voir le film en amoureux pour la Saint Valentin semble romantique, l’image de la sexualité qu’il véhicule va à l’encontre de la dignité et de l’émancipation des femmes. Selon une étude menée en 2015, en Belgique, 12,7% des femmes ont déclaré avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles. Plus de 25% de ces coups et blessures ont lieu au sein même du couple. ■ Sources: SOS Violence www.sosviolence. brussels, Vie Féminine, Collectif contre les violences familiales et l’exclusion

yahoo.com/news/fifty-shades-ask- e -l-james-twitter- chat-145756707.html

culture

Cinquante nuances de violences faites aux femmes


Octobre 1917: forts du soutien de milliers de soldats, de marins et d’ouvriers en armes, les bolcheviks prennent le pouvoir à Petrograd. Encore calomniés, pourchassés et emprisonnés quelques semaines auparavant. Ils marchent à la tête d’un mouvement qui s’apprête à bouleverser le cours de l’histoire mondiale en instaurant le premier système politique communiste à l’échelle d’une nation tout entière. A contre-courant des historiographies traditionnelles de la révolution russe – stalinienne et occidentale – Alexander Rabinowitch décrit magistralement l’enchaînement des événements qui, de la chute du tsar en février, ont conduit au renversement du gouvernement provisoire et à la révolution d’Octobre. Un récit au jour le jour où l’on suit Lénine de cachette en réunion secrète. Trotsky haranguant Ces articles de Yassin al-Haj Saleh, les soldats à la forteresse Pierre-et-Paul, grande figure intellectuelle de l’opposition les longues séances du Comité central ou démocratique syrienne, n’ont jusqu’à les efforts de Kamenev pour s’allier les présent jamais été regroupés en un seul socialistes plus modérés, jusqu’à l’épisode volume, ni en arabe ni dans une autre tragi-comique de la prise du palais d’Hiver. langue. Précédés d’une introduction L’activité incessante des militants au sein précisant le contexte de chacun d’eux des multiples organes du parti durant et classés par ordre chronologique, ils ces mois décisifs témoigne d’un fonccouvrent l’histoire du soulèvement syrien tionnement à mille lieues du mythe de depuis son déclenchement en mars 2011 l’avant-garde disciplinée, aux ordres de et constituent l’analyse interne la plus fine Lénine: un parti bolchevik décentralisé et de cet événement majeur dans l’histoire traversé de désaccords, en débat permanent moderne du Proche-Orient. Analyse origi- et à la tactique mouvante, qui a su mieux nale non seulement du régime né du coup qu’aucune autre force politique ressentir et d’État de 1970, à partir de ses slogans et porter les aspirations des masses populaide ses emblèmes, mais aussi des origines res. Une étude classique et un remarquable sociales et culturelles de l’extrême vio- tableau politique et social de Petrograd en lence dont il a toujours fait preuve, ainsi 1917. que de la militarisation du soulèvement et de l’intrusion des djihadistes, qui, en se Alexander Rabinowitch (2016) conjuguant, ont abouti à ce que l’auteur Les bolcheviks prennent le pouvoir: désigne comme le “nihilisme guerrier”. La révolution de 1917 à Petrograd Le dernier texte, le plus dense, “Le sultan Ed. La Fabrique, Paris moderne”, fait la synthèse des dizaines (530 pages, 28 euros) ■ d’articles et chroniques publiés par lui durant une dizaine d’années dans la presse sur la nature du régime des Assad, père et fils, alliant despotisme, communautarisme, clanisme en un “État sultanien” (par référence entre autres aux mamelouks) de type nouveau.

La Question syrienne

Yassin al-Haj Saleh (2016) La Question syrienne Actes Sud, Paris (240 pages, 22 euros) ■

Où trouver La Gauche En vente dans les librairies suivantes:

Bruxelles

à lire...

Les bolcheviks prennent le pouvoir

Aurora

Avenue Jean Volders 34 1060 Saint-Gilles

Candide

Place Georges Brugmann 2 1050 Ixelles

Joli Mai

Avenue Paul De Jaer 29 1060 Saint-Gilles

Tropismes

Galerie des Princes 11 1000 Bruxelles

Volders

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Charleroi Carolopresse

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la gauche #81 mars-avril 2017

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Du 24 au 26 mars 2017 à Molenbeek De Bruxelles à Washington, en passant par Madrid, l’instabilité politique est porteuse de dangers mais aussi d’espoirs, à condition de s’organiser et de passer à l’action. Les Rencontres anticapitalistes de printemps de la Formation Léon Lesoil sont un rendez-vous incontournable de ce début d’année pour faire le point avec celles et ceux qui résistent. Anticapitalistes, antiracistes, féministes, écologistes et syndicalistes, militantEs et auteurEs de la gauche critique, des quatre coins de Belgique, de l’Europe et même au-delà, vous y retrouveront pour se rencontrer, pour préparer ensemble les batailles à venir… et pour faire la fête!

OÙ?

À l’auberge de jeunesse Génération Europe, 4 rue de l’Elephant, 1080 Bruxelles

COMMENT?

Inscriptions sur le formulaire en ligne: http://bit.ly/2lCjvkE et en effectuant un virement avec la communication RAP 2017 sur le compte ECF, 20 rue Plantin, 1070 Bruxelles. IBAN: BE40 7320 4262 3063 BIC: GKCCBEBB

COMBIEN?

Informations et tarifs sur le site www.lcrlagauche.org ou au 0472/57.84.67 Facebook: Rencontres Anticapitalistes De Printemps 2017 Twitter: #ReleverLaTête

éditeur responsable: André Henry, 20 rue Plantin, 1070 Bruxelles // design: Little Shiva


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