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prix 1,50 eu
20 re-décembre b m e v o n | e é ro | 57e ann
Belgie-Belgique P.B. 1/9352 bureau de dépôt bruxeles 7 P006555 nov-dec 2013
sommaire
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née prix 1,50 euro | 57e an 13 novembre-décembre 20
3 Edito par La Gauche 4 2014: La LCR mènera campagne avec le PTB par le Secrétariat de la LCR-SAP 6 Dix objectifs anticapitalistes par Freddy Mathieu 8 Go to hell Wilfried Martens! par Daniel Tanuro 9 Concertation: de dangereuses "recommandations" par Daniel Tanuro 1 0 Il y a 40 ans: la lutte des LIP entretien avec Charles Piaget 1 2 bpost: facteurs low cost par un postier en colère 1 3 Le peuple syrien ne se soumettra pas. Ni face au régime, ni face aux jihadistes. entretien avec Joseph Daher
Ont contribué à ce numéro: Pauline Baudour, Sébastien Brulez, Charlotte Declabecq, Matilde Dugaucquier, Michel Etxebarra, Mauro Gasparini, Freddy Mathieu, Little Shiva, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy, Louis Verheyden La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale. Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction.
1 8 Retour sur le combat des Afghans par Matilde Dugaucquier et Charlotte Declabecq
Adresse et contact: 20, rue Plantin 1070 Bruxelles, info@lcr-lagauche.be
2 2 ULB: réforme anti-mai 68 passée en coup de force par Matilde Dugauquier et Michel Etxebarra
Tarifs et abonements: 1,5 € par numéro; 8 € par an étranger: 18 € par an Abonnement de soutien: 15 euros
24 Les Philippines après Haiyan: incurie des possédants, urgence de la solidarité par Pierre Rousset 2 5 1500 manifestant·e·s à Varsovie: "System change, not climate change" par Louis Verheyden 2 6 Avec les liquidateurs de Fukushima par Guy Van Sinoy 27 Agenda / lectures
covers p1: Isabelle Marchal / www.facebook.com/isabelle.marchal
p28: Fadia Afashe http://syriemdl.net/2013/03/26/fadia-afasheune-artiste-en-quete-despoir/
A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention “La Gauche” La Gauche est éditée par la Formation Léon Lesoil
e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles
www.lcr-lagauche.org 2 la gauche #65 novembre-décembre 2013
image credit
2 3 L’orgasme féminin, une question politique par Pauline Baudour
image: Little Shiva
✒ par La Gauche Blocage des salaires, dégressivité des allocations de chômage (et récemment suppression de six mois d’allocations de chômage pour les femmes enceintes licenciées), baisse des cotisations patronales (ce que les patrons appellent "les charges"); mais aussi sanctions administratives communales (lire en page 7), répression contre les demandeurs d'asile afghans (lire page 18) ou contre les étudiants à l'ULB (page 22), etc. Difficile d'être exhaustif tant la liste des mesures antisociales est longue. Aux commandes, un Premier ministre "socialiste" et un gouvernement ambidextre (droite-"gauche") qui mène une politique d’austérité décomplexée. Même chose à Charleroi, où le président du même PS pourchasse les pauvres plutôt que de combattre la pauvreté. Ou en Wallonie, où la Région, présidée par le PS Jean-Claude Marcourt, va prêter 138 millions d'euros au groupe ArcelorMittal alors que celui-ci massacre l’emploi et ne paie quasiment pas d’impôts. Et là, cette politique est assumée aussi par Ecolo qui, au niveau régional, ne s'oppose même plus au traité européen – TSCG – qui grave l'austérité dans le marbre avec contrôle du budget des Etats par la Commission et la Cours de Justice européennes. D'un autre côté, proximité de 2014 oblige, le PS essaie de recentrer son discours "à gauche". Il organise notamment un colloque à l'ULB sur "Pourquoi être socialiste aujourd’hui?" et son président Paul Magnette s’insurge contre "le recours abusif aux travailleurs étrangers détachés en Belgique, qui crée une concurrence déloyale à l’égard des travailleurs résidant en Belgique et des entreprises". Mais le PS et ses alliés européens défendent
l’Europe forteresse qui garantit une main d’œuvre sans-papiers à très bon marché pour le patronat belge, et vote les traités européens qui libéralisent l’économie et poussent à l’hyper-concurrence vers le bas des conditions de travail, de salaire et de vie des travailleur-ses. L'offensive communicationnelle dans les mois à venir va une fois de plus se déployer sur le thème du "vote utile" pour le "moindre mal" et le maintien de l’unité du pays face au national-libéralisme de la N-VA. Le PS et son homologue flamand le sp.a espèrent ainsi rester aux affaires au-delà du 25 mai 2014 et poursuivre, voire amplifier, la politique néolibérale. C’est un secret de polichinelle: la prochaine coalition aura notamment à son programme une nouvelle réduction
édito
Droite-gauche, le jeu de jambes électoraliste du PS massive des "charges patronales", afin de satisfaire les patrons qui exigent un "choc de compétitivité". Le patronat a exprimé son objectif à plusieurs reprises, par la voix de la FEB ou du VOKA: faire reculer les salaires directs et indirects (ce qu’ils appellent "coût salarial") de 15%. La récente décision de réduire – temporairement – la TVA sur l’électricité de 21 à 6%, dans le cadre d’un soi-disant "plan de relance", donne la mesure du "moindre mal" social-démocrate. En effet, le modeste avantage pour les ménages (une centaine d’euros par an) est contrebalancé par l’évitement d’une indexation et s’accompagne de nouveaux cadeaux aux patrons. Pendant ce temps-là, le compte à rebours continue inexorablement pour les chômeuses et chômeurs: nous aurons voté de sept mois à peine que 55.000 d’entre elles et eux seront exclu-e-s du bénéfice des allocations. La dégradation des rapports de forces permet au patronat d’être de plus en plus arrogant et exigeant. Les directions nationales des organisations syndicales portent une très lourde responsabilité dans cette situation. Depuis la grève de 24h du 30 janvier 2012, elles ont surtout été préoccupées de saucissonner les luttes, se contentant d’actions presse-bouton pour lâcher la pression quand celle-ci devenait trop forte. Le résultat est une succession de défaites, parfois sans combat. Leur complicité avec leurs "amis politiques" a semé au sein du monde du travail un sentiment d’impuissance qui risque d’avoir de graves conséquences pour la suite. La combativité n’est pourtant pas morte. On le voit au niveau des administrations locales, où la population, à Colfontaine par exemple, a montré sa disponibilité à se solidariser des luttes pour l’emploi et pour la qualité du service public. Sous la surface, le mécontentement est profond. Il faut lui donner une perspective stratégique, à la fois sur le plan de l’unification des luttes à la base et sur le plan d’une alternative politique à gauche du PS et d’Ecolo. Les deux dimensions sont inséparables. ■
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politique
2014: la LCR mènera campagne avec le PTB ✒ par le Secrétariat de la LCR-SAP La fin du tunnel est loin d’être en vue. Nous ne sommes qu’au début d’une gigantesque offensive du capitalisme européen contre le monde du travail, les jeunes et les femmes. Depuis 2008, dans l’UE, plus de deux mille milliards de dettes privées des banques ont été transformés en dettes publiques, et ces dettes "publiques" servent de prétexte à une austérité féroce. Ces sacrifices imposés à la majorité de la population aggravent les déficits et la récession. Mais la classe dominante n’en a cure: elle continue de plus belle. Pourquoi? Parce que son objectif n’est pas purement économique mais stratégique: elle veut briser la résistance sociale, démanteler ce qui reste de l’Etat-providence, réduire le secteur public à sa plus simple expression et affaiblir structurellement les syndicats. Le glissement du discours patronal sur la compétitivité est révélateur: pour les patrons, il ne suffit plus que le "coût du travail" soit aligné sur les autres pays européens – c’est dorénavant sur le marché mondial, face aux capitalismes "émergents" de Chine et d’ailleurs que les travailleurs et travailleuses du Vieux continent devraient être "compétitifs".
L’UE, machine de guerre
L’Union européenne et ses gouvernements sont au service de cette politique cruelle et injuste. La structure même de l’UE en fait une machine de guerre capitaliste, et fournit un alibi aux gouvernements nationaux: "Ce n’est pas nous, c’est l’Europe", disent-ils. Mais l’Europe, c’est eux! Le nouveau traité européen (TSCG) qui grave la "règle d’or" dans le marbre, c’est eux! L’Europe forteresse qui repousse, enferme et déporte les demandeurs d’asile, c’est eux. Le Conseil, seul organe de pouvoir effectif, est composé des chefs d’Etat et de gouvernement. Le Parlement européen n’a quasiment aucun pouvoir réel. La Commission, seule habilitée à proposer des initiatives législatives, est composée par les Etats membres... L’influence des lobbies patronaux vient encore d’être mise en lumière par
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le projet de communication de la Commission sur le marché de l’électricité. Ce texte a été dicté par le secteur des énergies fossiles et la Table Ronde des Industriels européens. Les patrons veulent moins de renouvelables et des centrales au gaz de schiste, comme aux Etats-Unis – pour que le courant soit moins cher. Et tant pis pour la catastrophe climatique dont le typhon qui a ravagé les Philippines montre pourtant le danger!... Le fait qu’un ancien de Goldman Sachs – Mario Draghi – dirige la Banque Centrale Européenne est symbolique: toutes ces institutions sont liées au grand capital qui exploite le travail et pille les ressources naturelles.
Social-libéralisme
C’est peu dire que la socialdémocratie collabore à l’offensive de régression sociale et de destruction écologique. En Allemagne, en GrandeBretagne, en France, en Italie, en Grèce, en Espagne, au Portugal… partout, les partis "socialistes" au garde-à-vous ont appliqué le programme néolibéral et productiviste. En Belgique, le PS et le Sp.a sont au gouvernement depuis vingtcinq ans. Un moindre mal? Non: comme dans les autres pays, les "socialistes" ont activement contribué au démantèlement de nombreuses conquêtes sociales (droits à la prépension, aux allocations de chômage) et des services publics (sousfinancés, libéralisés voire privatisés), au tournant sécuritaire et à la transformation de l’impôt au service du patronat et des plus riches. Ils sont maintenant prêts à s’attaquer au contre-pouvoir syndical, en cassant les conventions collectives, et ils discréditent les luttes des travailleurs. Comme dans les autres pays, cela favorise un glissement à droite de l’opinion: montée du racisme, de l’islamophobie, du sexisme, du chacun pour soi et de la droite extrême. La polarisation à droite coïncide chez nous avec une polarisation communautaire. Cette particularité ne doit pas amener à la fausse conclusion que le PS et le Sp.a seraient le dernier rempart contre une scission de la sécurité sociale. En coulisse,
le PS est déjà d’accord avec le MR et le Cdh pour dire que le prochain gouvernement réduira drastiquement les cotisations patronales à la Sécu. En réalité, c’est la politique social-libérale du PS et du Sp.a qui alimente la montée du national-libéralisme de la NVA... Et celle de l’extrême-droite. Car quel message donne le président du PS quand, en tant que bourgmestre, il pénalise la mendicité à Charleroi? Qui, si ce n’est l’extrême-droite, se réjouit de la violence policière que les bourgmestres PS de Bruxelles et de Saint-Josse ont déchaînée contre les Afghans et contre les squatters du Gèsu? Une dynamique dangereuse se met en place, qui pave le chemin pour des coalitions encore plus à droite – avec ou sans le PS et le Sp.a.
2014, quel enjeu?
C’est dans ce contexte général qu’il faut situer les élections législatives, régionales et européennes de mai 2014. Quel est l’enjeu, pour la gauche? Faire en sorte que se poursuive une politique qui, au nom du moindre mal, planifie l’exclusion de dizaines de milliers de chômeurs et de chômeuses? Non, l’argument "sans le PS ce serait pire" est "une insulte à notre intelligence" – comme disait le secrétaire régional de la FGTB de Charleroi, Daniel Piron... L’enjeu, le vrai, est d’ouvrir une première brèche dans le monopole de la social-démocratie et des Verts sur la représentation parlementaire "à gauche". De donner une expression politique anti-austérité au désespoir et à la colère qui s’accumulent dans une partie de la société. De montrer au PS et au Sp.a que l’heure approche où ils ne pourront plus berner leur base sociale avec de belles promesses, qu’ils jettent aux orties sitôt les élections terminées. De poser un jalon vers une nouvelle expression politique des exploité·e·s et des opprimé·e·s. Un peu partout en Europe, la dégénérescence de la social-démocratie (et des Verts) libère un espace politique pour des forces plus à gauche. La Belgique, jusqu’à présent, fait exception. C’est le résultat d’une multitude de facteurs: contrôle social-démocrate sur la base syndicale
politique
et bas niveau politique des mouvements sociaux, d’une part, sectarisme stalinien de la principale formation de gauche (le PTB) et incapacité des autres à s’unifier durablement autour d’un projet anticapitaliste novateur, d’autre part. Or, cette situation est en train de changer. Deux éléments en attestent: 1°) l’évolution du PTB, qui lui a permis de s’élargir et de réaliser un début de percée lors des élections communales et provinciales d’octobre 2012; 2°) le fait que de plus en plus de syndicalistes et de militants d’autres mouvements sociaux comprennent la nécessité de mener le combat aussi sur le terrain d’une alternative politique.
photo: LCR
Prendre ses responsabilités La LCR a donc décidé de voir la réalité en face et de prendre ses responsabilités en ayant à l’esprit l’intérêt de l’ensemble des travailleur·ses. En Flandre, nos camarades du SAP ont conclu un accord avec le PTB: nous serons présents sur les listes PVDA+. Le communiqué commun des deux organisations est clair: "Pour la première fois depuis longtemps, les élections de mai 2014 offrent la possibilité, par un vote pour le PTB+, d’avoir des élus de gauche (…) qui donneront une voix claire à la lutte contre la politique d’austérité. (…) Le PTB et le SAP ont une vision différente sur quantités de questions. Par cet accord, nous renforçons la gauche. De la sorte, nous pouvons aider à faire avancer la lutte contre l’austérité, le chômage et pour une alternative radicalement sociale, écologique et démocratique". La situation en Belgique francophone est différente: le PTB n’y est pas aussi hégémonique qu’en Flandre. Surtout, l’appel de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut et l’écho qu’il a reçu (notamment à la CNE) permettent d’espérer faire un premier pas en direction d’une recomposition en profondeur du mouvement ouvrier, à la fois sur le terrain politique/électoral et sur le terrain social/syndical. Cette chance doit être saisie. C’est pourquoi la LCR travaille depuis des mois en faveur d’une proposition qui réponde à la fois à quatre objectifs: la volonté de la gauche syndicale de poser un jalon vers une alternative politique unitaire à gauche du PS et d’ECOLO, le souci légitime du PTB de ne pas abandonner son sigle, l’autonomie des autres formations de gauche et à la volonté de "personnalités" indépendantes de participer au processus.
Programme anticapitaliste d’urgence
Le succès dépendra en premier lieu du PTB. C’est lui qui a les cartes en mains. En Belgique francophone, le "programme anticapitaliste d’urgence" de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut constitue une contribution solide au regroupement des forces. C’est principalement sur cette base que la LCR prendra ses responsabilités. Nous espérons que d’autres feront de même, car c’est aujourd’hui le seul moyen pour que l’appel de Daniel Piron et de ses camarades reçoive un début de concrétisation politique et électorale – et il est essentiel qu’il en reçoive un, fût-il imparfait. La LCR (et le SAP en Flandre) maintiennent leur complète indépendance politique vis-à-vis du PTB. Nous mènerons notre propre campagne en appelant à voter de préférence pour nos propres candidat-e-s qui défendront notre programme: anticapitaliste, internationaliste, féministe, écosocialiste. Certains prétendront peut-être que "la LCR se couche devant le PTB", etc. C’est
ridicule. "Eux c’est eux, nous c’est nous". Nous le prouvons dans la solidarité avec la révolution syrienne, dans la lutte contre la bureaucratie syndicale et contre le patriarcat, dans la défense de l’écosocialisme et de l’auto-organisation des luttes. Comme le dit le communiqué en Flandre: "Le PTB et la LCR ont des visions différentes sur beaucoup de questions". En même temps, le PTB change, chacun s’en aperçoit. Nous suivons son évolution en espérant qu’il rompra avec le mao-stalinisme sans rompre avec l’anticapitalisme... et sans adopter la posture pseudo-radicale purement verbale qui est celle du PC grec ou du PC portugais. Mais ces questions-là, pour importantes qu’elles soient, ne nous empêcheront pas de mener campagne loyalement pour que Raoul Hedebouw et Peter Mertens soient élus à la Chambre… Et tant mieux s’ils ne sont pas seuls. Notre souhait: que ce soit le début d’une nouvelle période de luttes communes à gauche. ■ Le 15 novembre 2013 la gauche #65 novembre-décembre 2013
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syndicalisme de combat
10 objectifs anticapitalistes ✒ par Freddy Mathieu La FGTB Charleroi-Sud Hainaut vient de publier une nouvelle brochure. Après les 8 questions autour du thème "politique et indépendance syndicale", voici 10 objectifs d’un programme anticapitaliste d’urgence, sous le titre sans équivoque "Changer de cap maintenant". Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensons de la brochure 8 questions (1), nous ne pouvons que le redire après cette deuxième publication qui offre aux militants une série d’explications, d’arguments et surtout de revendications face à l’offensive du capital. La FGTB de Charleroi se place ainsi dans le prolongement de l’importante assemblée d’avril 2013. "La déclaration commune de l’assemblée du 27 avril 2013 à la Géode disait : ‘Il est illusoire de penser qu’on peut réformer le capitalisme pour qu'il devienne un "bon" capitalisme de relance. Il faut donc être clair: il faut une stratégie pour sortir du capitalisme et le remplacer par un autre système qui satisfait les besoins de la population et préserve notre planète’", rappelle la conclusion du document.
Le capitalisme est en crise
Dès la première page, le ton est donné. "Nous ne sommes donc pas face à un phénomène passager de récession, auquel succèdera une expansion, mais face à une crise globale dont tous les aspects (financier, économique, social, alimentaire, environnemental, culturel, idéologique...) nous renvoient à la nature du capitalisme. Ce sont les lois fondamentales du système (la course au profit, la concurrence et le marché) qui sont au cœur du problème... et des solutions". Et des "solutions" le document n’en manque pas. Il est évident qu’en une vingtaine de pages il n’est pas possible de développer une analyse détaillée et complète du capitalisme d’aujourd’hui et de tous ses ravages mais la brochure brosse les dix thèmes à partir d’un schéma qui rend la compréhension facile: une description, des revendications, des explications, des exemples, des chiffres-clé.
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Un catalogue?
En fin de document, les syndicalistes mettent les points sur les "i" : "Nous nous refusons à en faire un catalogue de bonnes intentions dans lequel chacun pourrait venir puiser des éléments à sa guise. Ce programme et ses articulations doivent être compris comme une dynamique qui tend vers un changement radical des rouages de la société". Qu’il s’agisse de Refuser le chômage massif en répartissant le travail entre tous pour "Travailler moins, travailler tous (et vivre mieux)" ; ou encore de Redistribuer les richesses en "reprenant aux patrons, par la hausse des salaires et une fiscalité redistributrice, les points de valeur ajoutée confisqués aux salariés depuis le début des années 1980", les syndicalistes de Charleroi revisitent les textes des congrès syndicaux, si âprement discutés et si rapidement remisés dans les tiroirs, pour en faire un vrai plan de bataille. Les 10 objectifs s’articulent entre eux, ne se limitant pas aux thèmes syndicaux classiques. Le sommaire de la brochure en dit long, outre les deux points ci-dessus on notera également: Pour de vrais services publics; Pas touche à la sécu; Pour une fiscalité juste; Désarmer la finance; Dette publique: on ne paie pas!; Pour une autre Europe; Pour notre terre; Un monde solidaire. Et pour chaque thème la volonté de décortiquer les responsabilités et d’avancer des propositions radicales ("qui vont à la racine").
Un outil
Comme les 8 questions qui a été tirée en milliers d’exemplaires (en français et en néerlandais), il est évident que la brochure 10 objectifs ne s’adresse pas qu’aux militants de la FGTB Charleroi, c’est un outil précieux pour toutes celles et ceux qui veulent "comprendre le monde pour le changer". Elle doit tourner dans les équipes syndicales, dans les formations syndicales, dans les associations et les organisations. C’est le souhait des syndicalistes de Charleroi : "Ce programme anticapitaliste d’urgence n’est pas à prendre ou à laisser. Nous allons l’enrichir ensemble dans la démocratie qui bourgeonnera dans nos combats", concluent-ils.
2014 n’est pas loin Dès le discours du Secrétaire Régional de la FGTB Charleroi en mai 2012 il était clair que la question d’un prolongement politique aux luttes des travailleurs était posée sous un angle nouveau. "Surtout, l’appel de la FGTB de Charleroi-Sud Hainaut et l’écho qu’il a reçu (notamment à la CNE) permettent d’espérer faire un premier pas en direction d’une recomposition en profondeur du mouvement ouvrier, à la fois sur le terrain politique/électoral et sur le terrain social/ syndical", analysait une déclaration récente de la LCR (lire en pages 4 et 5). La brochure 8 questions, s’appuyant sur la Déclaration de principes de la FGTB (1945), redonnait un sens aux interactions entre combat syndical et combat politique. En septembre nous citions un extrait de cette brochure: "La stratégie alternative proposée par la FGTB Charleroi-Sud Hainaut permet, à ses yeux, de retrouver 'une vraie indépendance syndicale': élaborer nous-mêmes, en tant que mouvement syndical, notre programme de lutte, en fonction d’une seule préoccupation: les besoins des travailleur·euse·s. En les encourageant à s’impliquer activement et démocratiquement, afin que ce programme et ces luttes soient les leurs. Alors, au lieu que les partis nous dictent leur politique, c’est nous qui exigerons des partis qu’ils s’engagent à lutter avec nous pour ce programme.'" (2) Les 10 objectifs prolongent et concrétisent cette démarche et s’adressent aussi à ceux qui vont briguer les suffrages des travailleurs. Ceci vient bien à point dans la perspective des élections de 2014 pour lesquelles une dynamique unitaire est en train de voir le jour, même si elle est encore timide, même si un certain nombre de "puristes", de "sceptiques" qui se posent des questions ou déprécient ces efforts, arguent que "'avoir des élus' n'est pas un but en soi, la question est pourquoi faire? Pour défendre quelle position?" A ceux-là nous conseillons la lecture de la brochure de la FGTB Charleroi. ■ (1) Voir l’article de Denis Horman: www. lcr-lagauche.org/huit-questions-huit-reponsessur-independance-syndicale-et-politique (2) Ibid.
photo de Monique Wittig: http://readmoniquewittigin2013.wordpress.com — Le corps lesbien: w w w.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&livre_id=1895
Des SAC pour punir le sexisme et l'homophobie? Non merci!
Depuis peu de temps (suite au reportage de Sofie Peeters, Femme de la rue et à des agressions homophobes), la Ville de Bruxelles a décidé de sanctionner (avec les fameuses sanctions administratives communales, ou SAC) "tout acte relevant du sexisme ou de l'homophobie". A première vue, on pourrait penser que c'est une bonne chose. Mais d'emblée une série d'objections se soulèvent: premièrement, qu'entend-on par sexisme et homophobie? Comme le pointe Irène Kaufer (dans son article Une loi antisexiste, oui mais... paru dans la revue Politique de septembre-octobre), il y a un côté restrictif à ces définitions, car on suppose qu'il y a une ou des victime(s) et auteur(e)(s) bien identifiés, alors qu'on peut se sentir agressé dans sa dignité de bien des manières (par exemple à travers la pub). Comme pour toutes les SAC, on est dans le domaine de l'arbitraire: à partir de quand considère-t-on qu'il y a sexisme ou homophobie? Mais surtout, outre qu'elles n'ont aucun effet (on constate déjà que très peu de plaintes sont déposées et que les amendes ne sont pas payées), le premier argument à opposer contre ces amendes est le même que celui adressé contre toutes les SAC: ce n'est pas par la répression qu'on pourra lutter contre le sexisme et l'homophobie! S'il existait une réelle volonté de les combattre, il faudrait se tourner en premier lieu vers l'éducation.
Monique Wittig
féminisme
Brèves féministes
Pink screens, festival en tous genres
Pendant dix jours (du 7 au 18 novembre), films, expos, débats et fiestas se sont enchaînés au cinéma Nova, pour célébrer la diversité. Cette année, le festival a mis l'accent sur ce qui se passe à l'Est du continent européen – "l'occasion de soutenir le festival Side by Side de SaintPetersbourg, confronté à l'intransigeance des autorités de la ville et du pays", soulignent les organisateurs (pensons aux récentes lois russes réprimant durement les homosexuel·le·s). Valait le détour: Lesbian Curves, un porno lesbien hymne aux grands formats célébrant la "body positivity", également mise à l'honneur par une exposition. On a aussi pu assister à une (re)lecture de la féministe radicale Monique Wittig, ou à de nombreuses performances... www.pinkscreens.org ■ la gauche #65 novembre-décembre 2013
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Belgique
Go to hell, Wilfried Martens! ✒ par Daniel Tanuro Le chœur des louanges adressées à Wilfried Martens, décédé le 11 octobre dernier à 77 ans, illustre on ne peut mieux le consensus politique autour de la politique néolibérale et de ce qu’elle implique: les riches plus riches, les pauvres plus pauvres, le renforcement des corps répressifs et la défense réactionnaire des institutions. A l’intention des jeunes générations (et très accessoirement, des amnésiques volontaire), il vaut la peine de rappeler qui était Wilfried Martens et ce qu’il a fait. Wilfried Martens est d’abord l’homme du complot dit "de Poupehan". Ensemble avec quelques complices (dont Jef Houthuys, président de la CSC!), il a concocté en secret les plans de l’offensive thatchérienne brutale de 1982-86. Sous prétexte (déjà) de réduire le déficit budgétaire et de rétablir la compétitivité des entreprises, cette offensive se
Wilfried Martens
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composait notamment de trois sauts d’index. Des économistes ont estimé que, sur une carrière, cette mesure enlevait à un ménage de travailleurs l’équivalent d’une maison moyenne. Dans le même temps, les riches n’étaient pas oubliés. En dépit des discours sur la réduction des déficits, le précompte mobilier était ramené à 10% et décrété "libératoire" (autrement dit, les revenus du capital n’étaient plus cumulés avec les autres revenus pour déterminer la base imposable). La Libre Belgique écrivit à l’époque que l’on avait dû "sabler le champagne" dans les conseils d’administration et les grandes familles. On ne détaillera pas ici l’ensemble des mesures injustes qui ont constitué les différentes "trains" de mesures lancés par les gouvernements de droite entre 1982 et 1987. On se contentera de dire que, du point de vue de la classe dominante, ces trains de mesures étaient nécessaires parce que, jusque-là, la force du mouvement ouvrier avait empêché la bourgeoisie belge de mener une série d’attaques qu’elle estimait indispensable. Au début des années 80, Fabrimétal (actuellement Agoria) avait posé clairement ses exigences, à travers une petite brochure intitulée "Le mal belge". Le but de Martens était de les satisfaire. Pour ce faire, il fallait mettre le mouvement ouvrier à l’écart, l’éloigner des centres de décision, et neutraliser ses relais politiques éventuels. C’est pourquoi le "programme de Poupehan" incluait de gouverner par arrêtés royaux, en vertu d’une loi de pouvoirs spéciaux qui mettait le pouvoir législatif hors-jeu. En même temps, le soutien de Jef Houthuys permettait d’isoler la FGTB (et la gauche de la CSC). De ce fait, il devenait possible d’affronter les réactions ouvrières en limitant au maximum le risque d’une explosion sociale. Mais Jef Houthuys ne fut pas le seul "allié objectif" de Martens. Rejeté dans l’opposition de 82 à 87, le PS resta "au balcon" (ce sont les termes de son président de l’époque, Guy Spitaels) pendant que les travailleurs et travailleuses multipliaient les grèves et les manifestations en défense de leurs droits. Quant à la direction de la FGTB, il faut malheureusement dire qu’elle flancha au moment crucial: à
l’annonce du premier "train" de mesures, alors qu’il avait chauffé ses troupes à blanc, G. Debunne reculait et déclarait: "Il faut réussir la dévaluation"… En 82, puis encore en 84, on n’est pas passé loin de la grève générale… Mais, en fin de compte, le mouvement ouvrier a subi une défaite dont nous payons encore les conséquences.
Martens ne fut pas seulement l’homme du tournant de l’austérité
Martens ne fut pas seulement l’homme du tournant de l’austérité mais aussi "l’homme des missiles", en dépit de la mobilisation pacifiste de centaines de milliers de gens, il imposa à toute force l’installation en Belgique des missiles nucléaires de l’OTAN, les Cruise et les Pershing. Avec un tel palmarès, pas étonnant que Martens ait été l’homme de la répression. En mars 83, la gendarmerie tenta de réprimer durement une grande manifestation des sidérurgistes à Bruxelles. Trois syndicalistes furent emprisonnés – dont feu notre camarade Daniel Eskenazi. En parallèle, à l’Intérieur, le libéral Jean Gol lançait les "microfiches B". Martens avait été premier ministre avant 82, il le fut aussi après – dans les deux cas avec la social-démocratie. En 1990, il eut à gérer la "crise de l’avortement": le roi Baudouin invoquait sa conscience pour refuser de signer la loi sur la dépénalisation de l’avortement. Martens concocta une solution avec le Palais: "l’incapacité temporaire de régner". Là aussi, une fois de plus, toute la classe politique s’inclina – social-démocratie en tête – au nom de la stabilité de l’Etat. Last but not least, Martens, quand il a quitté la politique belge, s’est distingué en accueillant la formation de Berlusconi dans le Parti Populaire Européen, qu’il présidait. Pas mal, pour un personnage qui avait commencé sa carrière politique plutôt à gauche et qui, jusqu’à la fin, s’est réclamé du Mouvement Ouvrier Chrétien au sein du CVP (actuellement CD&V). Voilà l’homme dont on salue aujourd’hui le rôle historique. "Un grand homme d’Etat", a déclaré le Premier ministre. Martens était effectivement un serviteur fidèle du capitalisme, tout comme Di Rupo. Go to hell, Wilfried Martens! ■
✒ par Daniel Tanuro Syndicats et patrons vont-ils s’accorder sur la nécessité de diminuer les cotisations patronales à la Sécurité sociale et de prolonger la vie des centrales nucléaires? C’est la question qui se pose à la lecture du projet de "Manifeste des partenaires sociaux wallons" et des "Recommandations" qui en découlent… "Améliorer la compétitivité de l’Industrie en Belgique" : c’est sous ce titre que la FGTB, la CSC, l’UWE et l’UCM, recommandent au prochain gouvernement de réduire de 20% le coût salarial des entreprises exposées à la concurrence internationale, sans toucher au "salaire poche" des travailleurs. Coût pour le budget de la Sécu: entre 7 et 8 milliards d’Euros par an. Pour combler le trou, le document évoque plusieurs pistes: rediriger les aides aux entreprises, "réduire les coûts de fonctionnement de l’Etat", rehausser les taux réduits de TVA, taxer revenus locatifs et plus-values immobilières, percevoir un précompte sur les livrets d’épargne, taxer les émissions de CO2, revoir l’impôt des sociétés (sans toucher au taux réduit des PME), globaliser les revenus des particuliers…
photo p9: Denis Horman
Réduire les "charges"
Certaines de ces pistes sont progressistes (globalisation des revenus), d’autres non (la taxe CO2 est un impôt indirect, injuste… dont les industries exportatrices et polluantes seraient exemptées!) Mais rien n’est tranché, et l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est que c–e texte s’incline devant le dogme libéral: le déclin de l’industrie est dû à un "écart salarial" – il faut donc baisser les cotisations patronales à la Sécu, cela "aura sans aucun doute un impact positif sur l’emploi". Ecart salarial? Le groupe d’experts désigné par le gouvernement a conclu que, en tenant compte des aides aux entreprises, il est de… 0,55% par rapport aux pays voisins. Du coup, les "Recommandations" ajustent le tir: "L’écart provient de plus en plus de pays autres que les pays Européens
Belgique
Concertation: de dangereuses "recommandations" voisins", l’objectif est donc de "récupérer des parts de marché par rapport aux autres concurrents sur le marché mondial". On trouve toujours un bâton pour frapper la Sécu…
Prolonger Tihange
Deuxième handicap: "le coût de l’énergie". Le texte constate que les prix du gaz et de l’électricité évoluent plus vite que l’inflation, qu’ils sont en général plus élevés que chez les voisins (mais pas en Allemagne), et qu’ils sont plus importants en Wallonie que dans les autres régions. Ces écarts ne s’expliquent pas des prix de production accrus (ils ont baissé depuis 2008, par suite d’une demande affaiblie) mais par "les tarifs de distribution, les taxes et la contribution aux renouvelables". Toucher à la distribution et aux taxes est délicat, vu l’état des finances communales. Le texte pointe une autre piste: "Les choix posés jusqu’à présent en termes de promotion et de financement des énergies renouvelables s’avèrent extrêmement coûteux", lit-on. "A moyen et à long terme, il est essentiel que les choix de mix énergétique (…) préservent la compétitivité de l’industrie belge en lui garantissant un coût de l’énergie acceptable." Passant allègrement au-dessus du scandale de la rente nucléaire, le texte recommande 1°) de prolonger l’activité des centrales dont l’arrêt "conduirait inéluctablement à un renchérissement important de l’énergie électrique" ; 2°) de "repenser d’urgence la croissance du renouvelable" à la lumière de la "crise actuelle en matière de certificats verts".
Freiner les renouvelables?
Le système des certificats verts est mauvais, mais cet arbre ne doit pas cacher la forêt: les "Recommandations" plaident en effet contre l’objectif wallon "très ambitieux" (en fait, totalement insuffisant!) de 20% de sources renouvelables en 2020 et note que, grâce au gaz de schiste, "les EtatsUnis réindustrialisent activement"… On retrouve ici l’exigence des patrons du secteur européen des énergies fossiles
(qui ne sont pas exposés à la concurrence de la Chine): pour défendre leurs profits dans le contexte d’une demande faible, ils veulent "réduire le rythme auquel l'Europe installe des parcs éoliens et des panneaux solaires" et… ouvrir la porte au gaz de schiste (voir sur notre site l’article Fossiles pas contents). En janvier 2012, dans une "Lettre ouverte aux syndicalistes", la LCR mettait en garde: s’ils ne rompent pas avec la concertation sociale, les syndicats seront amenés à s’aligner toujours plus sur la logique libérale. Baisser les "charges", prolonger le nucléaire et freiner les renouvelables, c’est un programme patronal. Plutôt que ces peu recommandables "Recommandations", le mouvement syndical devrait proposer un plan de réformes de structures anticapitalistes pour mettre l’industrie au service des besoins sociaux et de la transition énergétique en Europe. ■ Retrouvez l’article Fossiles pas contents… Syndicats attention! sur le blog de Daniel Tanuro www. lcr-lagauche.org/fossiles-pas-contentssyndicats-attention/ la gauche #65 novembre-décembre 2013
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il y a 40 ans: la lutte des Lip
On faisait de l'autogestion sans le savoir ✒ entretien avec Charles Piaget, dirigeant de la grève: propos recueillis par Rachel Choix pour l'Anticapitaliste (hebdomadaire du NPA) À l’époque syndicaliste à l’usine Lip de Besançon, Charles Piaget a été un des principaux animateurs de la grande lutte de 1973. Toujours actif, il est aujourd’hui militant dans une association de lutte contre le chômage. Quarante ans après la grande manifestation des Lip, nous revenons avec lui sur ce conflit important de l’après-68 qui garde toute son actualité.
Quel fut le point de départ de la lutte des Lip?
Il y a eu un travail de 15 ans avant 68 pour construire et faire vivre un collectif au sein de l’entreprise. Pendant cette période, le fonctionnement syndical habituel a été remis en question. La démocratie s’est développée, les délégués ne décidant pas seuls. Les décisions se prenaient en AG, après du travail en commissions. Les tâches
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tant pratiques qu’intellectuelles étaient partagées entre tous. De plus, il existait de longue date un travail unitaire entre la CGT et la CFDT au sein de l’usine. Donc en 68, on était prêts... et assez forts pour occuper l’usine! Cela a été un banc d’essai et un déclencheur pour les luttes des années suivantes. Avant 73, il y eut des conflits importants, fin 69 et fin 70, pour les salaires et contre les licenciements. En 69, au départ, seuls 20% des 1 000 ouvrier·e·s que comptait l’usine débrayèrent, et c’est après un travail de persuasion dans les ateliers, quand l’idée de la grève était devenue majoritaire, qu’elle fut lancée. 70 % des ouvrier·e·s furent grévistes, l’usine occupée. Tout cela a préparé la mobilisation de 73.
Comment était organisée la lutte et pourquoi était-elle si populaire?
Il y avait un fort respect de la démocratie, le rejet des directives syndicales venues d’en haut. Ce sont les salariés eux-
mêmes qui ont organisé leur lutte et les moyens pour la mener. Un Comité d’action a été créé. Il y avait des valeurs de base : le refus du racisme, du sexisme, de la violence. Il y avait une vraie solidarité. Tout était débattu, élaboré collectivement. L’usine était ouverte, les journalistes circulaient librement (certains passeront plusieurs jours dans l’usine), ils interrogeaient qui ils voulaient. Un travail de réflexion entre tous a posé la question: Comment gagner? Comment tenir? Les patrons misaient sur l’usure du conflit à cause des pertes de salaires dues à la grève. Pour éviter ce piège, nous avons décidé de relancer la production: "On fabrique, on vend, on se paye!". On se prenait en charge. On faisait de l’autogestion sans le savoir. C’était un outil pour ne pas couper les salaires.
La forme de la lutte doit préfigurer la nouvelle société. 80 à 100 Lip sillonnaient la France, la Suisse, l’Allemagne pour populariser le conflit et vendre les montres. Les délégués restaient dans l’usine et participaient à toutes les tâches. La lutte a été populaire, car l’unité au sein de l’usine existait, ça n’était pas si fréquent. La riposte au coup par coup, les initiatives, l’imagination, la vie démocratique, le fait que l’usine était ouverte à tous, correspondait à une attente de la population. Le coté "Robin des Bois", avec la reprise de la production à notre compte, la lutte du "pot de terre contre le pot de fer", des ouvriers face à une multinationale... Tout cela a compté. Des travailleurs ordinaires ont montré qu’ils pouvaient faire des choses extraordinaires en choisissant un autre mode d’organisation.
Quelles difficultés avez-vous rencontré?
Nous avons eu des problèmes avec les directions syndicales. Le syndicat doit apporter ses connaissances, son expérience, mais la lutte appartient à ceux qui la font, chacun a les mêmes droits, et il ne doit pas y avoir de prérogatives des cadres syndicaux. Il était difficile de lutter contre la hiérarchisation, elle était intériorisée chez les individus. C’est le problème de la soumission. On cherche des sauveurs, alors qu’il faudrait se rassembler sur la base de l’égalité des droits et lutter ensemble. Chaque fois qu’il y a un leader, il y a déficit démocratique. Même s’il y avait une conscience des discriminations que subissaient les femmes, cela n’était pas assez pris en compte. Heureusement les femmes se sont organisées et ont pris toute leur place dans le mouvement. Plus tard, en 78, il y a eu la créations de coopératives issues de Lip, on savait que c’était un pis-aller. Il fallait respecter les règles du marché (rembourser les prêts au détriment des salaires...) Le statut de coopérateurs ne vient pas tout seul, car le salariat était ancré dans la tête des gens...
Tu as été mis en avant lors du combat des Lip. Comment as-tu réussi à ne pas céder aux sirènes du pouvoir?
La pression des médias et la fatigue due à la lutte a fait qu’il y a eu une spécialisation de certaines tâches, mais les porte-parole étaient contrôlés. Par exemple
Charles Piaget
Chronologie de la lutte des travailleurs de Lip Juin 1973: A l'annonce d'un plan de
j’ai été suspendu trois semaines du porteparolat pour avoir dépassé mon mandat lors d’une interview... En reprenant les notes prises au cours du conflit, je me suis rendu compte que je n’étais à l’origine d’aucune des idées importantes développées pendant la lutte: ça rend modeste!
Comment vois-tu la situation actuelle?
Bien des occasions ont été manquées de changer la société. Le capitalisme avale les crises, et on n’est pas assez nombreux aujourd’hui pour inverser le rapport de forces. Il y a le problème de la soumission, et les médias jouent un rôle important de formatage.
"La forme de la lutte doit préfigurer la nouvelle société"
Le discours actuel de la socialdémocratie, en particulier sur la fiscalité, montre la faiblesse des idées de gauche. Il y a plus d’ouverture à gauche avec le déclin du PC, mais en même temps son leadership était malgré tout une force. Il y a le problème du pouvoir, de la corruption à tous les niveaux. La citoyenneté est basse, on cherche des sauveurs, le populisme avance. Il est difficile de faire passer le message que la misère, le chômage, sont la conséquence des inégalités sociales. Il faut se rassembler sur la base de l’égalité des droits et lutter. C’est long de créer des solidarités. Chez Lip, on a mis quinze ans à faire vivre un collectif. Il y a des éléments positifs, le développement de l’écologie par exemple. Les idées circulent assez vite grâce au développement des nouveaux moyens de communication, ça aide dans certains mouvements. Il existe des luttes partout dans le monde: en Chine, en Afrique... Il y a une aspiration sous-jacente de démocratie, d’égalité, à mieux vivre... Ça bouge, ça invente, nos valeurs renaissent à travers de nombreuses formes de lutte sociales, écologistes... ■
licenciements et de gel des salaires, les travailleurs de l'usine de montres Lip partent en grève, occupent l'entreprise, se saisissent du stock de pièces détachées, relancent la production et vendent les montres. Les visiteurs affluent à l'usine. L'assemblée générale met sur pied six commissions de travail: production, vente des montres, gestion du stock, accueil, popularisation, entretien et sécurité. 3 août1973: les grévistes distribuent la première "paie sauvage".
il y a 40 ans: la lutte des Lip
"On fabrique, on vend, on se paye!"
15 août 1973: alors que les négociations ont commencé depuis quelques jours entre les syndicats, le Comité d'action et un médiateur nommé par le gouvernement, les gardes mobiles investissent l'usine et chassent les travailleurs. La nouvelle se répand vite, des nombreuses usines avoisinantes partent en grève et les travailleurs viennent en découdre avec les forces de l'ordre. 31 août 1973: distribution de la seconde
"paie sauvage". 29 septembre 1973: une manifestation
internationale de soutien aux travailleurs de Lip rassemble 100.000 personnes à Besançon sous un déluge de pluie. fin janvier 1974: l'assemblée générale approuve le plan de relance de l'usine (850 réembauches). La 7e et dernière "paie sauvage" est distribuée. La délégation syndicale signe les accords. Les travailleurs restituent leur trésor de guerre: 10 tonnes de matériel et un chèque de 2 millions de FF (300.000 euros). ■
DVD: Les LIP: L'imagination au pouvoir, film de Christian Rouaud, 2007, 118 minutes. En vente à la librairie La Brèche (14,90 euros) www.la-breche.com ou contactez l'administration de la LCR-SAP, 20 rue Plantin, 1070 Bruxelles.
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✒ par un postier en colère Tous statutaires, pas de souscontrats!
La poste est aujourd'hui une société anonyme de droit public dont l’État détient 51% du capital. Le groupe bancassurance CVC détient 49% dont une partie vient d'être mise en bourse. Et comme toujours dès qu'un actionnaire privé entre en jeu, l'entreprise fonctionne selon la logique du profit (gains optimalisés, dividendes rapides, augmentation de la productivité, réductions de personnel). En 1991, lors de l’autonomisation de La Poste en entreprise publique, un contrat de gestion a été prévu entre la direction de La Poste et le gouvernement fédéral. L'article 29 de la loi sur les entreprises publiques autonomes prévoit que le personnel doit être statutaire. Les contractuels ne peuvent être engagés que pour des périodes exceptionnelles de pic de travail (élections, nouvel-an). Mais depuis lors l'eau a coulé sous les ponts.
Course au profit et dégradation des conditions de travail
Depuis le passage de la poste au statut de société anonyme de droit public, en 2000, on engage de manière permanente des contractuels, malgré les recours introduits par la CSC et la CGSP au Conseil d’État. Alors que la loi sur le contrat d'emploi ne permet que quatre contrats successifs à durée déterminée (chez un même employeur - maximum quatre CDD de six mois), le gouvernement a dérogé à la loi pour la poste où cinq CDD de six mois successifs sont permis. Dans la même logique, la poste essaie de remplacer durablement les statutaires par des contractuels qui représentent aujourd'hui 1/3 du personnel. Jusque-là les facteurs statutaires et les contractuels avaient des rémunérations plus ou moins équivalentes, à quelques détails près.
Facteurs Low Cost
Entre-temps la direction a créé le statut de facteur auxiliaire: des contractuels précaires et sous-payés qui font le même travail que les statutaires et que les contractuels. Ce sont surtout des jeunes, leur salaire est lié au salaire des pays voisins.
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Ils ne perçoivent que 1.200 à 1.300 euros net par mois (célibataire sans enfants), ne bénéficient pas de la même progression salariale que les statutaires, et n'ont pas accès au service social de la poste. Les chèques repas des facteurs auxiliaires ont une valeur inférieure à ceux des statutaires. Cela met les facteurs en concurrence et crée la précarité pour les jeunes: difficulté de payer un loyer, de constituer la garantie, de s'installer en ménage, d'avoir des enfants.
Nouvelle organisation de la distribution du courrier
Aujourd'hui la direction veut réorganiser la distribution du courrier en fusionnant la soixantaine de bureaux distributeurs existants et répartis à travers le pays, en une demi-douzaine de bureaux distributeurs (un par centre de tri). Il est prévu que les facteurs auxiliaires ne partiront plus d'un bureau de distribution mais d'un point de dépôt (un garage, une libraire, un particulier…) et distribueront le courrier pendant toute leur journée de travail (7h36) et n'effectueront plus de tri. Il s'agit là d'un tout autre travail que celui d'un facteur "normal" qui trie d'abord sa tournée et ensuite distribue tous les produits pendant sa tournée (courrier, recommandés, pensions, paquets contre remboursement, vente de timbres, perception des paiements des bulletins de versement, etc.). Le facteur auxiliaire n'aura pas de contact avec les collègues
du bureau de poste… ni avec l'usager puisque son travail se limitera à déposer le courrier dans la boîte aux lettres. D'une manière générale, la multiplicité des statuts et des différents contrats rend plus difficile la défense des travailleurs mais aussi l'unicité syndicale. La nouvelle répartition des tournées isolera les facteurs auxiliaires de leurs collègues, sera un frein à la solidarité et rendra encore plus difficile la défense collective des travailleurs de la poste.
Luttons contre le travail précaire! La conclusion d'une convention collective est en vue. Le hic est que le système de négociations est constitué d'enveloppes budgétaires à ne pas dépasser: tout acquis pour une catégorie se fait au détriment d'une autre. Des délégués CSC de Charleroi et de Bruxelles ont donc proposé d'organiser une action de défense des facteurs auxiliaires d'autant plus que plusieurs ont porté plainte en justice pour discrimination. Un rassemblement de postiers, initialement prévu le 15 octobre, a été reporté au 21 octobre par les permanents syndicaux, puis à nouveau déplacé au 29 octobre. Ces reports successifs sans consultation de la base ne facilitent évidemment pas la conscientisation et la mobilisation. Mais pourquoi se limiter à un rassemblement de 200 militants CSC? Pourquoi la CGSP est-elle aux abonnés absents? ■
photo: Belga
travail précaire
bpost: facteurs low cost
✒ entretien avec Joseph Daher: propos recueillis par Mauro Gasparini
peinture par Fadia Afashe: w w w.fairobser ver.com/ar ticle/paint-suffering-syrian-ar tist- cr y-help // w w w.facebook.com/FadiaAuthentiqueAr t
Joseph Daher est militant du Courant de la Gauche révolutionnaire en Syrie et de SolidaritéS en Suisse, où il vit et termine sa thèse de doctorat. Mauro Gasparini a pu le rencontrer à Lausanne et a réalisé cette interview pour La Gauche.
Quel est l’état de la situation en Syrie après l’accord de l’ONU sur les armes chimiques? Y a-t-il eu des changements significatifs sur le terrain?
Tout d’abord, sur le plan humanitaire, la situation est catastrophique. Quasiment plus de la moitié de la population syrienne est déplacée à l’intérieur ou réfugiée à l’extérieur du pays. Dans plusieurs régions, des famines ont été provoquées par le régime. Notamment dans la Ghouta orientale, la banlieue et la périphérie de Damas, Deir Ez Zor, ou le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk à Damas. Des pans entiers de villes ont été détruits, comme à Homs, et de nombreux quartiers sont bombardés continuellement, et cela même dans les territoires dits "libérés". L’inflation ne cesse d’augmenter et on constate un appauvrissement général de la population syrienne. Sur le plan politique, les accords "américano-russes" sur les armes chimiques du régime syrien ont représenté un véritable blanc-seing donné au régime Assad. Il a regagné une certaine légitimité au plan international, et tout le monde a pu constater que les soi-disant "menaces", la soi-disant "ligne rouge" d’Obama, etc., n’étaient que des mots. Et qu’il n’y a pas de véritable intention d’intervenir en Syrie. Par contre, il y a une volonté occidentale de ne pas laisser une totale victoire au régime, afin de pouvoir arriver à une solution de type "yéménite", autrement dit une solution qui maintient la structure du régime, en référence à ce qui s’est passé récemment au Yémen. Le seul
point de débat entre les pseudo "soutiens" occidentaux à la révolution syrienne, qui défendent en fait avant tout leurs intérêts, et les alliés du régime syrien, c’est la question de Bachar El-Assad. Sinon ils sont tous d’accord sur la nécessité d’une transition pacifique qui maintient les structures politiques du régime.
Syrie
Le peuple syrien ne se soumettra pas. Ni face au régime, ni face aux jihadistes. qui est dirigée par Haytham Manna. C’est cette partie de l’opposition qui depuis le début de la révolution pousse pour un "dialogue" avec les côtés du régime qui n’ont "pas de sang sur les mains", sans
Une partie de l’opposition syrienne pourrait soutenir une telle solution. Mais estce réaliste par rapport à la structure du régime syrien, sa nature clanique et la relation de la famille Assad avec les forces de sécurité, les services secrets ainsi qu’une partie de la bourgeoisie?
La solution yéménite fonctionne au Yémen. Le président Saleh a démissionné. Son second, un général, a pris le pouvoir en bonne entente avec la famille de l’exprésident. La différence en Syrie, c’est qu’on ne pourra pas avoir ce qui s’est passé en Tunisie ou en Egypte: là on avait une bourgeoisie et les militaires d’Egypte qui avaient un intérêt à faire partir Moubarak pour faire cesser le processus révolutionnaire. Idem en Tunisie: la bourgeoisie avait intérêt à ce que Ben Ali dégage pour maintenir ses privilèges. Ce n’est pas le cas en Syrie, où l’imbrication entre le régime, la famille Assad, les services secrets, l’armée et une partie de la bourgeoisie est très forte. A cela, il faut ajouter le facteur communautaire. Le régime des Assad a construit les services de sécurité à travers des liens claniques et confessionnels. Ce n’est pas pour autant un régime purement "sectaire alaouite": il dispose de soutien dans différentes communautés religieuses. Une partie de la bourgeoisie veut le départ d’Al-Assad, mais pas celle qui est liée avec ce dernier et donc avec les services de sécurité et l’armée, au contraire de l’Egypte. Une partie de l’opposition accepterait un rôle pour Bachar dans l’avenir, c’est celle
définir exactement le rôle pour Assad. Ils sont déjà prêts à accepter que le viceprésident Farouk Shareh soit à la tête d’un gouvernement de transition. Peut-on imaginer qu’on a fait la révolution et tous ces sacrifices pour mettre au pouvoir le vice-président, qui selon eux n’aurait "pas de sang sur les mains" (sic)? C’est une folie. C’est pour cette raison que cette opposition a perdu l’essentiel du peu de soutien dont elle bénéficiait avant sur le terrain. Ensuite, il y a une opposition divisée sur les conditions pour aller négocier à Genève II. Le mouvement populaire en Syrie est clairement contre tout accord qui permettrait à Bachar de rester ou une solution "yéménite". Le slogan il y a quelques semaines dans les manifs c’était d’ailleurs: "la solution n’est pas à Genève, mais à La Haye" (NDLR: siège de la Cour Pénale Internationale). La coalition la gauche #65 novembre-décembre 2013
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Pour les syrien·nes, toute transition doit marquer le "début de la fin" pour le régime de Bachar Al-Assad. Tu as évoqué les soutiens au régime. Qui soutient encore le régime Al-Assad actuellement? Quelle est encore sa base "populaire" si j’ose dire?
Il reste jusqu’à aujourd’hui le soutien des services de sécurité et du haut échelon de commandement de l’armée de l’armée et d’une partie non-négligeable de l’administration. La bourgeoisie sunnite de Damas dans une grande majorité reste un soutien populaire important aujourd’hui. La situation d’Alep est différente étant donné la manière dont la ville a été sectorisée: les divisions au sein de l’opposition syrienne, les combats des forces islamistes – djihadistes – contre l’Armée Syrienne Libre, rendent la situation assez anarchique. La bourgeoisie d’Alep, divisée, reste un soutien du régime. Dans les villes sous l’occupation du régime syrien, la vie a l’air "plus facile", à cause du siège imposé par l’armée du régime et des bombardements sur les zones libres. Les bourgeois de Damas veulent sauver le régime ou bien une "transition douce" par crainte de devoir fuir comme la bourgeoisie d’Alep, avec la destruction des moyens de production et des entreprises. Malgré la représentation des minorités religieuses dans l’opposition, le manque de clarté du CNS, qui n’a pas dénoncé assez clairement et rapidement les groupe djihadistes jusqu’à ce qu’ils se retournent contre les forces de l’opposition populaire, a fait que beaucoup dans les minorités ont peur de "l’après-Bachar" sans pour autant le soutenir. Le soutien au régime a fortement baissé, mais celui-ci a encore les moyens de répression les plus importants et une administration encore en marche à Damas, ainsi que le capital financier.
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L’aide de différents pays étrangers et groupes politiques sectaires comme le Hezbollah et différents mouvements d’Irak a permis au régime de tenir politiquement, économiquement et militairement, permettant d’ailleurs au régime syrien de récupérer militairement, avec l’aide du Hezbollah et d’autres groupes sectaires, certaines zones libérées. Cela n’encourage pas les gens à rejoindre l’opposition.
Au sujet de l’influence étrangère sur la situation en Syrie, le fait que l’Iran s’ouvre par rapport aux USA pourrait-il avoir un impact sur la situation en Syrie?
Cette ouverture, réciproque, vient tout d’abord de questions internes à l’Iran. Le pays connaît une crise économique et sociale aiguë, une inflation très importante et donc également une augmentation des
revendications sociales. Les mollahs avaient en plus peur que les soulèvements populaires dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord n’arrivent chez eux, et répètent les évènements de 2009. L’ouverture vise à un allègement des sanctions internationales. De même, les élections iranienne en juin 2013, loin d’être démocratiques, avaient pour objectif principal du régime, du Guide et des Gardiens de la Révolution, d’éviter un nouveau soulèvement populaire similaire à celui de 2009 et de canaliser les frustrations du peuple à travers un candidat loyal au régime. Ensuite, l’Iran et les USA sont prêts à faire un échange de bons procédés. Deux axes de l’impérialisme au Moyen-Orient, Russie, Chine, Iran, Syrie d’un côté, et USA, pays du Golfe de l’autre – liés à des dynamiques capitalistes différentes, sont en collaboration conflictuelle, parce qu’un soulèvement par le bas les met en cause. Ils veulent donc apaiser les rivalités inter-impérialistes sur différents terrains, notamment celui de la Syrie, pour stabiliser la situation. Ça n’arrange personne que le régime syrien tombe. L’ouverture de l’Iran vers les USA est donc aussi un échange de bons procédés à partir d’intérêts communs. C’est suite à ça que l’Arabie Saoudite a protesté contre le rapprochement USA-Iran.
On voit les palestiniens qui vivent en Syrie crever de faim dans le camp de Yarmouk. Est-ce que le mouvement "propalestinien" en Occident et dans la région se remet en question par rapport à la Syrie?
Les problèmes du mouvement propalestinien en Europe datent d’un certain moment mais dans les périodes de tensions
La Mémoire Créative de la Révolution Syrienne – w w w.creativememor y.org – 1: Yamen Youssef / no comment – 2: Ala’ Hamameh / Zaatari Refugee Camp – 3: Mohammad Omran / From Al-Bayda To Ras Al-Nabeh
Syrie
nationale syrienne, dirigée principalement par les Frères Musulmans et les libéraux, avec le soutien des occidentaux et du Golfe, vu la pression de la base, a dû défendre le même point de vue, même s’ils ne sont en fait pas opposés à tout prix à une solution yéménite qui n’inclurait pas Bachar. D’ailleurs ils ont récemment dit qu’ils étaient prêt à participer à la conférence de Genève II sous certaines conditions.
silence face aux revendications populaires des activistes kurdes. Les Kurdes ont constitué une partie très importante du soulèvement populaire depuis le début en 2011. Le régime a essayé d’acheter les Kurdes en donnant à un certain nombre d’entre eux la nationalité et en leur promettant une certaine autonomie. Cela n’a pas arrêté le mouvement populaire kurde même si des partis kurdes étaient satisfaits et espéraient gagner plus, comme par exemple le PYD (PKK syrien). Ce dernier maintenait une politique ambiguë avec le régime syrien malgré les trahisons de celui-ci. La Turquie est vue comme
Est. Là, le rôle néfaste de la Turquie a été de laisser passer les organisations islamistes djihadistes qui, tout comme les nationalistes arabes, ne reconnaissent pas l’autonomie kurde. La montée des djihadistes qui attaquaient beaucoup de villages kurdes a affaibli l’opposition qui était en train de se construire par le bas contre le PYD, pour se réunir derrière ce dernier et faire bloc face aux attaques des jihadistes et groupes islamistes, qui ont même eu lieu certaines fois en collaboration avec des brigades de l’ASL. On parle aujourd’hui de créer un conseil autonome au Nord-Est de la Syrie. Barzani, le dirigeant kurde irakien dit que
Syrie
et de soulèvement populaire, on voit les contradictions exploser. Ça s’est notamment passé avec beaucoup de partis islamistes dans la région: Hezbollah, Hamas, Frères Musulmans, etc. Concernant le mouvement pro-palestinien en Europe, on voit toutes les limites à vouloir s’allier avec des pays soi-disant "anti-impérialistes". Un mouvement qui se dit construit par le bas, pour l’émancipation mais s’appuie sur des dictatures bourgeoises comme l’Iran, réactionnaires à tous les niveaux (femmes,...), ne peut pas espérer la libération de la Palestine. Le Hezbollah n’a pas une politique de libération des peuples dans la région, il défend tout d’abord ses intérêts politiques et ceux de ses alliés les plus proches, l’Iran et la Syrie. Le Hezbollah qui se dit "résistant" ne fait rien pour les réfugiés palestiniens au Liban ou en Syrie. Il ne milite pas pour les droits
On voit toutes les limites à vouloir s’allier avec des pays soi-disant "anti-impérialistes". civiques de réfugiés palestiniens au Liban et s’allie avec le général Aoun qui a un discours raciste envers les Palestiniens. Ce problème d’alliance se pose avec la Turquie aussi, qui a des relations avec Israël, opprime le peuple kurde, etc. Le mouvement pro-palestinien doit revenir à sa logique de départ: baser la libération du peuple palestinien sur la libération des autres peuples de la région. Tout régime renversé dans la région est un pas en avant pour la libération de la Palestine. Cela n’empêche pas de soutenir la résistance du peuple palestinien, mais son destin est lié à ceux des peuples la région. La route de la libération de Jérusalem passe par Damas, Beyrouth, Amman, le Caire, Tunis...
La place des Kurdes dans le mouvement aujourd’hui en Syrie n’est pas très claire: l’attitude du régime, du PYD (PKK en Syrie), les débats internes aux Kurdes et les relations avec le reste de l’opposition syrienne...
Il faut tout d’abord se rappeler l’Intifada kurde en 2004 en Syrie qui avait été réprimée très durement par le régime, qui avait aussi aidé à livrer Ocalan à la Turquie. Dans sa grande majorité l’opposition syrienne, à part quelques sections, n’avait d’ailleurs pas marqué les esprits par son très faible soutien ou
"l’ennemi principal". Mi-2012, le régime syrien s’est retiré de plusieurs villages, à majorité kurde, au profit du PYD. En pratique, l’idée était de rester en retrait dans les zones contrôlées par le PYD. Dans cette autonomie, le PYD avait la milice kurde la plus armée et la plus importante. D’autres organisations kurdes étaient dans le processus révolutionnaire. En fait, les échanges n’ont jamais arrêté entre PYD et le régime, mais il y a eu aussi des conflits militaires entre eux. Et le PYD ne laissait pas certains des activistes kurdes pro révolution participer au processus révolutionnaire, ce qui a amené à une frustration populaire contre cette attitude du PYD. Il y a eu des arrestations contre les jeunes activistes et des manifestations dans plusieurs villes contre le PYD et leur autoritarisme. On a alors vu l’apparition progressive des djihadistes notamment dans le Nord-
si jamais les djihadistes allaient trop loin, les kurdes irakiens interviendraient. Même la Turquie regrette d’avoir laissé passer autant les djihadistes et un des membre du PYD a été reçu par Erdogan. Les Kurdes restent attentifs mais participent au soulèvement populaire. Le PYD a des relations avec l’opposition syrienne, mais en même temps, l’opposition syrienne officielle, le CNS, n’a pas donné de garanties au niveau des droits des Kurdes dans une future Syrie. Le Courant de la gauche révolutionnaire en Syrie défend l’autodétermination du peuple kurde en Syrie et dans la région. Le soutien à l’auto détermination du peuple kurde ne nous empêche pas de souhaiter qu’il soit un partenaire à part entière dans le combat contre le régime criminel d’Assad, dont ils font partie depuis le début, ainsi que contre les forces réactionnaires islamistes, la gauche #65 novembre-décembre 2013
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régional. On ne peut pas nier que 30 à 40 ans d’autoritarisme forcené jouent dans la façon de construire une direction politique. C’est un vrai problème! On voit ça aussi en Égypte, en Tunisie où il y a pourtant une direction politique qui a une base populaire assez large. Le problème en Syrie est bien plus aigu parce que la dictature y a été encore plus féroce: sans une totale soumission au régime, impossible de faire de la politique. C’est en poussant en avant vers la révolution, la libération, l’auto-organisation, qu’on peut faire émerger une direction politique par le bas. Il y a tout à reconstruire en Syrie, pas seulement les infrastructures, mais aussi une nouvelle politique. Beaucoup de gens sont en demande de ça et rejettent la dichotomie "régime versus djihadistes", et l’opportunisme de l’"opposition des hôtels" à l’étranger.
En Belgique, un certain Haytham Manna fait la tournée pour prôner le dialogue avec le régime. Où en sont la gauche et les "communistes" en Syrie, leur composition, leurs débats et leurs orientations? Il y a un héritage historique du stalinisme syrien représenté par Khalid Bakdash défendant la bourgeoisie nationale, la révolution par étapes, qui est resté jusqu’à aujourd’hui. Il a théorisé la solidarité avec le régime nationaliste Baath, la soumission des syndicats aux "intérêts nationaux", etc. Qadri Jamil qui représente cette théorie – même s’il a fait une scission du PC – était dans le gouvernement jusqu’à récemment. Mais une grande partie des jeunes de ces "PC" d’origine stalinienne a suivi la révolution
Une question qui fait débat chez les marxistes révolutionnaires par rapport aux processus en cours dans la région c’est "peut-on faire la révolution en demandant ''simplement'' la chute du régime, sans perspectives socialistes directes?" Autrement dit: est-ce qu’une révolution "démocratique bourgeoise" est possible dans ces pays?
Marx disait à ce propos que nous agissons, mais pas dans les conditions que nous avons choisies. La révolution parfaite c’est un rêve. Penser que la révolution bolchevique s’est faite comme cela, de manière mécanique, c’est complètement faux. Ce n’est pas très marxiste non plus de négliger la part de choix humains: il y a des conditions objectives bien sûr mais également des conditions subjectives. Ensuite, quand le peuple se soulève, je pense que le devoir de tout marxiste est de se mettre à ses côtés, de radicaliser le mou-
La Mémoire Créative de la Révolution Syrienne – w w w.creativememor y.org – 1: Abdul Karim Majdal Al-Beik / Fell In Khalidiya 1 – 2: Youssef Abdelke / La maman du mar tyr
Syrie et dans la construction d’une future Syrie démocratique, socialiste et laïque. Avec toutes les pressions qu’il y a pour "aller à Genève II", il semble que ça crée des fractions importantes dans l’opposition. On a en plus l’impression que l’opposition "à l’extérieur" n’a jamais réussi à se connecter avec le terrain. Des camarades disent que la révolution ne sera gagnée que si l’opposition arrive à construire une direction politique sérieuse et crédible pour la population. Depuis le début on a une opposition syrienne, le Conseil National Syrien, complètement déconnectée du mouvement populaire et qui n’a gagné sa légitimité que sur le plan international parce que c’était les acteurs les plus prompts à répondre aux intérêts occidentaux, du Golfe, dirigée par les Frères musulmans et les libéraux. La dynamique a été ensuite différente dans la nouvelle Coalition nationale dans laquelle le CNS est rentré, avec Michel Kilo soutenu par l’Arabie Saoudite – alors qu’il dénonce les islamistes par ailleurs... Des divergences persistent. Michel Kilo et son équipe sont pour aller à Genève tandis que le CNS sous pression du mouvement populaire ne veut y aller qu’à certaines conditions. L’Armée Syrienne Libre ne veut pas y aller, ou à certaines conditions très précises. Elle n’a jamais réellement été soutenue par les occidentaux et les pays du Golfe qui ont supporté, au contraire, les islamistes et les djihadistes. Il y a une pression internationale sur l’opposition "officielle" qui a des liens avec l’étranger d’aller à Genève pour négocier un accord "yéménite". En ce qui concerne le problème de la direction politique, il est nécessaire de le replacer dans le contexte
depuis le début en formant leurs propres comités communistes. Un autre courant s’est développé dans les années 60-70, l’Organisation de l’Action Communiste, et a souffert directement depuis sa naissance de la répression par le régime, avant même que celui-ci ne s’attaque aux islamistes. Elle avait, à l’époque, une présence importante en Syrie avec des militants très capables. Une partie est aujourd’hui dans l’opposition. Le courant de la Gauche Révolutionnaire Syrienne est également présent depuis le début, avec ses petits moyens, dans le mouvement populaire, les comités locaux, etc. On a le Parti du Peuple dont viennent Georges Sabra et Burhan Ghalioun, qui est un parti "social-libéral" qui vient d’une scission du PC de Riyad al-Turk, critique du stalinisme, qui a aussi subi la répression mais qui a abandonné le marxisme. On a des intellectuels comme Salameh Kaileh, intellectuel syro-palestinien, qui a aussi un petit groupe derrière lui avec l’Alliance de Gauche. Donc on trouve une gauche un peu partout qui joue un rôle sur le terrain. Mais le poids de la stratégie d’alliance avec la bourgeoisie nationale et le nationalisme arabe, de l’analyse du Baath comme un parti "de gauche" des PC traditionnels pèse lourd, dans toute la région. On a ainsi vu en Egypte le responsable du PC soutenir Moubarak jusqu’au dernier jour.
texte de Trotsky, "Penser", qui dit que si, dans une situation où l’Italie fasciste aide pour ses propres intérêts la population algérienne sous occupation française, les ouvriers français ne devraient pas refuser cette aide. Parce que les ouvriers algériens vont lutter contre le colonialisme français. Le premier ennemi des syriens aujourd’hui c’est Al-Assad. Cette aide ne va pas évidemment pas venir sans conditions politiques. Mais quand on demande d’armer les composantes démocratiques de l’Armée Syrienne Libre, on met en avant les contradictions de nos propres bourgeoisies. Ce qui est le devoir de chaque organisation socialiste
Quand le peuple se soulève,
le devoir de tout marxiste est de se mettre à ses côtés. Il y a deux tâches urgentes pour les socialistes révolutionnaires aujourd’hui construire le parti, nécessaire parce qu’un mouvement populaire peut s’essouffler et virer à droite comme à gauche. Ainsi en Egypte, une grande partie du mouvement populaire soutient la répression des Frères musulmans. Nous condamnons à juste titre cette répression, mais si on avait un parti révolutionnaire de masse on pourrait avoir une influence plus grande. Dire maintenant "on va se retirer" est une folie: on continue, on construit le parti avec un programme, et en même temps on construit le mouvement, l’autre tâche fondamentale. C’est ce que font aussi les camarades égyptiens en construisant le Front du Chemin de la Révolution, un troisième pôle révolutionnaire contre l’ancien régime et les islamistes, pour la radicalisation des masses. Nous espérons des processus révolutionnaires depuis tellement longtemps, maintenant nous en avons devant nous, qui sommes-nous pour dire "ils ne répondent pas à nos conditions"? Ce serait se mettre hors du temps et de la réalité. Un dernier aspect fait polémique: la question des armes. En Belgique la LCRSAP a défendu qu’il fallait livrer des armes aux forces démocratiques de l’opposition, bien reprises dans un rapport récent de l’Arab Reform Initiative. Crois-tu que les bourgeoisies impérialistes vont finir par le faire, et est-il légitime que nous, marxistes révolutionnaires, le leur demandions? Cette question renvoie en partie au
révolutionnaire et internationaliste. Les bourgeoisies de nos pays ne veulent pas voir une victoire de la révolution, depuis presque trois ans c’est évident. Genève II, les positions adoptées par les puissances impérialistes, des médias bourgeois qui se limitent aux
combats entre djihadistes et régime... Que faire dans cette situation? Nos bourgeoisies tolèrent la livraison d’armes de leurs alliés du Golfe vers les organisations islamistes, ce qui rend la situation encore plus catastrophique, et favorise une logique de guerre confessionnelle et sectaire. Nous sommes quasiment persuadés que nos gouvernements bourgeois refuseront cette aide directe, mais c’est très important de défendre cette option dans notre discours. Nous n’avons pas les moyens des pays du Golfe, mais ce qu’on peut faire également c’est aider les civils, les camarades, les réfugiés et attaquer les règles d’asile et d’immigration de nos propres pays : "vous dites que vous aidez la Syrie et vous fermez encore plus vos frontières?" Nous devons également contrer la propagande, qu’elle soit de la gauche stalinienne, de l’extrême-droite ou des médias bourgeois qui opposent djihadistes et ancien régime ; et populariser ce qui vit sur le terrain, les forces démocratiques à soutenir, les formes d’auto-organisation qui se sont fortement développées dans de nombreuses régions. C’est le rôle de la gauche révolutionnaire et internationaliste ici: nous opposer à nos bourgeoisies et soutenir l’autodétermination de chaque peuple. ■
Syrie
vement au maximum possible et non de se demander si on a un programme parfait, une classe ouvrière assez nombreuse et organisée, en bref une check-list de 10 critères où l’on abandonne si on n’en a pas 5 sur 10. Ce genre de raisonnement est catastrophique. Certains camarades l’ont suivi par rapport à la Syrie et se sont retirés du combat en réduisant tout à une prétendue opposition entre deux forces également réactionnaires. Au nom de quoi peut-on nier, même si ce n’est pas notre horizon, qu’une véritable démocratie bourgeoise demain en Égypte, en Syrie, en Tunisie serait une avancée par rapport aux régimes dictatoriaux?
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✒ par Matilde Dugaucquier et Charlotte Declabecq Depuis quelques semaines, un collectif d’environ 400 sans-papiers/demandeurs d’asile déboutés afghans fait parler de lui à travers des actions menées pour obtenir un statut en Belgique. Chassé·e·s d’occupation en occupation, humilié·e·s à plusieurs reprises et durement réprimé·e·s, les Afghans font toujours preuve de plus de détermination. Cette lutte exemplaire remet diverses questions au centre du débat: auto-organisation des opprimé·e·s, politiques migratoires européennes inhumaines et encore plus mises à mal en période d’austérité, répression… La Gauche consacre ce dossier à la lutte du Collectif des Afghans et à la question des sans-papiers plus largement.
"Votre répression n’arrêtera pas notre lutte": chronologie partielle de la lutte des Afghans
Cela fait plusieurs mois que le Collectif des Afghans se mobilise contre la politique d’expulsions vers l’Afghanistan pratiquée par la Belgique. Du 11 au 15 juillet de cette année, 300 Afghan·e·s alerté·e·s par l’annonce de la planification d’une expulsion par vol collectif occupent l’église du Béguinage de Bruxelles, organisant différentes actions et discussions à l’attention des politiques
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et du public. Le 11 septembre, ce collectif décide d’occuper le bâtiment situé au 127 rue du Trône afin de pouvoir mener d’autres actions, résolu à faire entendre sa voix. Environ 450 personnes – hommes, femmes et enfants – investissent les lieux; elles ne réclament rien de plus que la fin des expulsions vers l’Afghanistan et un statut leur permettant de vivre et travailler dignement en Belgique, fût-il temporaire. La solidarité se met rapidement en place. Un comité de soutien coordonné par la CRER (Coordination contre les Rafles, les Expulsions et pour la Régularisation) accompagne les Afghans dans l’organisation de leur vie quotidienne mais aussi et de leurs actions politiques. L’agenda est chargé: conférences de presse, rencontres, manifestations presque quotidiennes
devant le CGRA (Commissariat général aux Réfugiés et Apatrides), devant les cabinets respectifs de la secrétaire d’Etat à la Politique de Migration et d’Asile, Maggie De Block, du Premier ministre, Elio Di Rupo, des ministres de l’Intérieur, Joëlle Milquet, et de la Défense, Pieter de Crem, etc. Les Afghans déposent des demandes de rencontre officielles à l’adresse des deux premiers mais celles-ci restent lettre morte. De Block nie avoir reçu une telle demande. Di Rupo, pour sa part, prétend ne pas pouvoir recevoir le collectif tant que sa ministre compétente ne l’a pas fait. Après une semaine de lutte intense et en échange d’une promesse de rendez-vous la semaine suivante, les Afghans annulent une manifestation prévue le vendredi 20 septembre à la rue de la Loi, devant le cabinet de Di Rupo. Ils patienteront jusqu’au mercredi 25 septembre, date à laquelle ils se rendent à nouveau rue de la Loi pour rappeler au Premier ministre sa promesse. Mais la manifestation pacifique dégénère. La police n’hésite pas à recourir aux autopompes et au gaz lacrymogène face aux manifestants, invoquant une incursion dans la zone neutre et une attitude violente de la part des Afghans (certains auraient "bousculé des barrières", dixit un policier sur place). Plus de 70 personnes sont finalement arrêtées, deux belges et une immense majorité d’Afghans; 40 Afghans sont envoyés en centre fermé, tous des hommes qui constituent en quelque
photos: w w w.facebook.com/jeunes.anticapitalistes
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Retour sur le combat des Afghans
Maggie De Block: w w w.she.be
"De wet is de wet", la loi est la loi, martèle Maggie
Ce déploiement de violence inouï aura au moins eu le mérite d’élargir le cercle de solidarité autour des Afghans. Le collectif est affaibli mais ceux qui trouvent encore la force de se mobiliser tentent d’occuper l’Eglise Sainte-Croix à Ixelles puis la VUB. Ils se rendent enfin à l’ULB, la police aux trousses. Là, un comité de soutien se forme instantanément pour entrer en négociation avec les autorités universitaires. Celles-ci acceptent de mettre à disposition une salle de sport pouvant accueillir 70 personnes pour une durée de trois jours. Pour le comité de soutien ULB, il s’agit donc de tirer le plus grand parti de ces quelques
jours de tolérance sur le campus. Une conférence de presse et une assemblée générale sont convoquées. Les autorités y mettent du leur, fournissant un auditoire d’une capacité de 1000 places et invitant l’ensemble de la communauté universitaire à venir écouter le récit des Afghans et de leurs soutiens. En parallèle, une nouvelle série de manifestations est planifiée. Le collectif est finalement reçu dans les bureaux du PS le mercredi 02 octobre et par Maggie de Block le lendemain, sans pour autant obtenir de résultats: "De wet is de wet", la loi est la loi, martèle Maggie, résolue à se montrer sourde aux demandes légitimes du collectif. La manifestation du vendredi 04 octobre marque cependant un tournant. Des groupes de soutien se sont formés sur différentes universités et hautes écoles de Bruxelles (ULB, EOS, IECS...), les étudiants se mobilisent et environ 400 personnes, dont une moitié d’Afghans, se réunissent rue de Loi. Une délégation est finalement reçue par le chef de cabinet de Maggie De Block et un conseiller juridique de Di Rupo. Après près de deux heures d’entretien, Selma Benkhelifa, avocate de réfugiés afghans issue du Progress Lawyers Network, commente la rencontre: "Aucune porte n’a été ouverte. C’est très négatif. Elio Di Rupo n’a pas daigné nous voir. Mais son équipe a bien répété que le Premier ministre soutiendra la politique de Maggie De Block, quoi qu’elle fasse...". Le conseiller juridique en question annonce tout de même que le Conseil du Contentieux des étrangers est en train de réviser le dossier de 10 des 40 personnes envoyées en centre fermé le 25 septembre: leur détention est en fait illégale et elles finiront par être libérées au compte-goutte. Le soir même, le collectif qui n’est plus le bienvenu à l’ULB trouve refuge dans un bâtiment vide de Saint-Gilles ; le bourgmestre PS Charles Picqué assure qu’il les tolèrera jusqu’au lundi midi. N’ayant trouvé d’autre solution de logement à cette date, les Afghans décident de réinvestir le bâtiment rue du Trône. Les deux semaines suivantes sont ponctuées de nouvelles actions de sensibilisation sur les universités et hautes écoles, organisées grâce au soutien actif de comités étudiants et parfois de professeurs, et de manifestations. L’annonce, le 14 octobre, de la mort quelques mois plus tôt d’Aref, 22 ans, fait l’effet d’un détonateur et pose un nouveau jalon important dans le mouvement de soutien aux Afghans. Le jeune homme était arrivé en Belgique en mars 2009 dans le but
d’y demander l’asile et avait été débouté, le CGRA estimant sa région d’origine dans la province de Kaboul sûre. Après avoir mené une grève de la faim en 2010 et essuyé 4 réponses négatives à ses recours successifs, il s’était retrouvé à dormir à la gare du Nord et avait fini par accepter un retour "volontaire" en 2013. Il a été tué par balle, sans doute par les Talibans, quelques mois plus tard. Les Afghans se saisissent de l’affaire pour convoquer une conférence de presse et dénoncer la procédure de retour "volontaire", pilier de la politique de De Block, dont l’aboutissement n’est en fait rien d’autre que le résultat de pressions psychologiques et administratives multiples et des "erreurs d’appréciation" du CGRA. Bien qu’un débat s’initie timidement dans les grands médias, le CGRA et l’administration de De Block ne remettent nullement en cause cette pratique ni leur estimation des risques encourus par les Afghans renvoyés en Afghanistan. De plus, suite à la catastrophe de Lampedusa du 3 octobre, dans laquelle 360 migrants clandestins originaires de la corne de l’Afrique ont trouvé la mort, le collectif SP Belgique initie une nouvelle manifestation qui se tient le samedi 19 octobre. Elle a pour mot d’ordre "hommage aux victimes d’une politique migratoire cynique et inhumaine" et veut réunir plusieurs collectifs de sans-papiers et leurs soutiens. Au-delà de leur propre lutte, les Afghans semblent avoir saisi l’importance de joindre leurs forces à celles d’autres groupes de sans-papiers ; ils se rendent en nombre à cette manifestation qui réunit environ 500 personnes, ce qui n’est pas mal si on considère le temps imparti à la mobilisation. Cercueil symbolisant la mort d’Aref et mise en scène du naufrage des victimes des politiques migratoires devant l’esplanade du Parlement européen sont de la partie. La veille, un groupe d’activistes avait peinturluré en rouge les portes de l’Office des Etrangers pour dénoncer sa politique criminelle. S’en était sans doute un peu trop pour les autorités. Le mardi 22 octobre, le CGRA doit présenter son rapport annuel 2012 à la Commission de l’Intérieur de la Chambre du Parlement fédéral. Plusieurs associations de défense des étrangers (Ciré, "Vluchtelingenwerk Vlaanderen" et Ligue des Droits de l’Homme) et l’avocate Selma Benkhelifa sont présentes pour demander un moratoire sur les expulsions vers l’Afghanistan. Dehors, les Afghans manifestent toujours. Vers 14h, ils sont alertés de l’expulsion en cours du 127
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sorte la tête du mouvement. Parmi ceux qui restent, on compte un grand nombre de blessés par contusion et morsures de chien, y compris des enfants. Dès le lendemain, le reste du collectif se rend à nouveau devant le cabinet de De Block. Après un sit-in sur place, les Afghans rentrent à la rue du Trône et organisent une conférence de presse pour commenter les événements de la veille; à l’entrée, une banderole indique "Votre répression n’arrêtera pas notre lutte". Une fois la presse partie, la police arrive sur place pour procéder à l’expulsion du bâtiment. Celle-ci relève d’une véritable opération coup de poing: prise d’assaut du bâtiment par le toit, coups de matraques sur les portes pour terroriser l’assistance, injures et violence verbale ("Vous allez devoir apprendre à vivre séparés de vos familles et ça commence maintenant"), etc. Rapidement, les associations qui entourent le collectif dénoncent le caractère illégal de l’expulsion: l’ordre est rédigé au nom du SAMU, exploitant du bâtiment qui a renoncé à l’expulsion et c’est la Ville, qui n’est pas propriétaire du bâtiment, ou le propriétaire du bâtiment qui en a demandé l’exécution. Tandis que les différentes parties en jeu se revoient la balle, les familles afghanes se dispersent dans la nature...
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rue du Trône, où sont restées une dizaine de personnes, principalement des femmes et des enfants. Ils décident alors de faire un sit-in rue de la Loi jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. Au moment où ils décident de se lever dans le calme, la police donne la charge recourant de nouveau allègrement aux chiens, autopompes, gaz lacrymogènes, coups de matraques et... insultes racistes. Les femmes et les enfants sont poussés sur le trottoir tandis que les hommes sont encerclés sur la rue. Bilan des opérations: un blessé grave à la tête qui sera hospitalisé et 168 arrestations, dont Selma Benkhelifa et Samir, le porteparole du collectif. A partir de ce moment, l'Office des Etrangers dispose de 24 heures pour décider de relaxer les personnes arrêtées, de les envoyer en centre fermé en vue d'un rapatriement ou encore de leur ordonner de quitter le territoire. Tout le monde sera finalement relâché sans encombre, si ce n’est le choc provoqué par la violence inouïe – voire même inédite – dont on fait preuve les forces de l’ordre. Et la lutte continue: le mardi 29 octobre, le collectif se rendait au siège du cdH pour exiger la libération de leurs camarades toujours détenus en centre fermés depuis le 25 septembre... Les Afghans trouveront un temps refuge à Schaerbeek... jusqu’à ce que le propriétaire de l’immeuble occupé ne les chasse. A l’heure d’écrire ces lignes, ils ont dû regagner leur point de départ, l’Eglise du Béguinage, en attendant de trouver une solution de logement durable. Depuis le 16 novembre, environ 150 personnes y dorment à même le sol. Le 22 novembre le directeur de l’Office des Etrangers, Freddy Roosemont, vient leur rendre visite muni de... cartes invitant au retour volontaire, provoquant ainsi la colère des Afghans et de leurs soutiens. Le soir même, deux jeunes belges membres du comité de soutien décident en leur nom propre d’entamer une grève de la faim "au finish", écœurés par tant d’indifférence de la part tant de nos chers dirigeants que du citoyen lambda. Cette action apparaît comme un cri de désespoir. Pourtant, toutes les possibilités de luttes n’ont pas été épuisées. Le 28 novembre, une nouvelle manifestation à l’appel des Comités de soutien étudiants rassemblait quelques 300 personnes solidaires des Afghans. Ceux-ci commencent par ailleurs à se rendre compte de la nécessité d’élargir leur lutte à d’autres collectifs de sans-papiers... ■
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Europe forteresse,
austérité, Maggie, l’Afghanistan et les Talibans…
Si la lutte des Afghans émeut des pans de plus en plus larges de la société, c’est que l’Afghanistan n’est notoirement pas un pays sûr et que la demande de protection formulée par ses ressortissants apparaît comme plus que légitime. De l’autre côté de la barricade, le refus catégorique des autorités d’entrer en dialogue avec ce collectif qui a fait la preuve de sa détermination s’inscrit dans le cadre de politiques migratoires européennes toujours plus restrictives, surtout en période d’austérité. On le sait, depuis la mise en place de l’espace Schengen et la chute du mur de Berlin, l’Europe se transforme en une véritable forteresse inhospitalière aux migrants venus des tous les continents, qu’ils soient réfugiés politiques, issus d’un pays en guerre ou simples migrants économiques en quête d’un avenir meilleur. Les politiques migratoires, notamment celle de l’asile, ne cessent de se durcir et toutes les avancées en matière d'"harmonisation" visent en fait à diminuer les flux de potentiels candidats migrants/demandeurs d’asile. Cela est encore plus vrai en période d’austérité: les migrants, tout particulièrement les plus vulnérables parmi eux, sont parmi les premiers ciblés par les mesures violemment antisociales prises tant au niveau européen qu’à celui des Etats. Chez nous aussi, la politique menée par la secrétaire d’Etat à la Politique de Migration et d’Asile, Maggie De Block (Open VLD) en matière d’asile, vise essentiellement à faire "plus efficace"... et pour moins cher: accélérations des procédures (et donc des refus), établissement d’une liste de "pays sûrs" pour lesquels les demandes sont traitées en 15 jours, au mépris de l’écoute individuelle de chaque trajectoire migratoire et du délai nécessaire pour introduire un recours, intensification de la politique dite de "retour volontaire", multiplication des retours forcés, campagnes de dissuasions dans certains pays d’origine, etc. Et cela marche: pour 2012, le CGRA se targuait d’une diminution de 15% du nombre de
demandes d’asile par rapport à 2011. Depuis le début de cette année, la diminution est de 25% en moyenne. En juin dernier, Fedasil annonçait ainsi la fermeture de plusieurs centres d’accueil, le nombre de place libres s’étant multiplié. C’est d’ailleurs comme cela que certaines familles afghanes hébergées au centre d’accueil du 127 rue du Trône se sont retrouvées à la rue et ont par la suite décidé d’occuper l’immeuble. Toujours en juin, le cabinet De Block annonçait fièrement qu’il rendrait au gouvernement 90 millions d'euros issus de son budget 2013 "grâce à ces nouvelles mesures", à la grande satisfaction du comité ministériel restreint qui tenait dans le même temps ses travaux budgétaires. Cette somme devrait finalement atteindre les 45 millions, dont 10 millions seront généreusement réaffectés à la lutte contre la pauvreté infantile, au Contentieux des étrangers qui traitent les recours et... à l’Office des Etrangers. Maggie De Block fait donc "bien son travail", comme aime à le répéter Di Rupo qui ne cesse de chanter ses louanges et, en période pré-électorale, tout le monde en tire son épingle du jeu... ou presque. Le 1er octobre, l’annonce de l’expulsion du désormais célèbre "plombier afghan" Navid Sharifi, 23 ans, vivant en Flandres depuis 5 ans et considéré par beaucoup comme "parfaitement intégré", vers l’Afghanistan, un pays qu’il avait quitté encore enfant, faisait grimper De Block de quelques points dans les sondages, sa cote de popularité s’élevant ainsi au-dessus de celle de Bart De Wever. C’est Elio, qui se positionne lui et son gouvernement comme un rempart face aux dangereux nationalistes flamands, qui a dû être content, comme le faisait justement remarquer un panneau brandi à la manifestation du 19 octobre. Le collectif des Afghans se voit donc pris en otage entre restrictions budgétaires et funestes enjeux électoraux. En réalité, environ 60% des demandeurs d’asile afghans obtiennent au moins une protection subsidiaire – permis de séjour et de travail d’un an – en Belgique.
photos: JAC
des Afghans reste mobilisé, nos autorités semblent prendre leur revanche sur les autres Afghans sans-papiers présents sur le territoire belge (en tout, environ 1000 personnes). Les arrestations se multiplient, une cinquantaine d’Afghans sont à ce jour en centre fermé et expulsés au comptegoutte dans le plus grand secret et dans le mépris des procédures légales, comme en témoignent les témoignages recueillis par le collectif Getting the Voice Out. La dernière en date a eu lieu le 27 octobre...
Soutenir les Afghans, lutter avec les sans-papiers
Au-delà de la lutte contre l’austérité dont les sans-papiers comptent parmi les premières victimes, la mobilisation d’un collectif aussi organisé et décidé que celui des Afghans pose de nombreuses questions. La première est celle de l’organisation par les syndicats d’une couche importante de la population – environ 100 000 personnes, qui sont en fait des travailleurs et des travailleuses. Ce n’est pas un hasard si les migrant·e·s qui n’ont pas accès à un séjour légal en Belgique ne sont pas systématiquement renvoyé·e·s "chez eux". Réduit·e·s à la clandestinité, ils et elles sont contraint·e·s d’accepter les boulots les plus ingrats et mal payés pour subsister. Totalement dépourvus de droits, ils et elles travaillent dans des conditions qu’aucun·e travailleur ou travailleuse "belge" n’est disposé·e à accepter. Cette réserve de main d’œuvre ultra-flexible et à bas prix permet ainsi d’exercer une pression sur les salaires. En ce sens, leur organisation pour la défense de leurs droits et pour leur régularisation constituerait une avancée dans la lutte pour les droits économiques et sociaux de tous et de toutes. En l’absence d’une telle organisation,
se pose surtout la question de l’autoorganisation des sans-papiers et de la convergence de leur lutte avec celles d’autres collectifs. Là, les organisations de gauche ont un grand rôle à jouer, dans le respect de l’autonomie des collectifs. Car, comme l’illustre de façon remarquable la lutte des Afghans, si le soutien logistique et humanitaire – organisation d’une occupation, nourriture, soins médicaux, soins aux enfants, etc. – sont, certes, des éléments importants, la question du soutien politique est cruciale. Il s’agit pour le comité de soutien aux Afghans d’élaborer des actions avec le collectifs et d’autres en parallèle de leur lutte, afin d’assurer cette convergence, de sensibiliser dans les quartiers, en particulier autour de l’occupation, sur les lieux de travail et dans les associations où nous sommes actifs, dans les écoles et les universités et d’encourager un maximum de gens à venir rejoindre les Afghans sur le terrain. C’est en ce sens que s’est créé un groupe de travail "mobilisation étudiante" lié au comité de soutien aux Afghans. L’accent mis sur la mobilisation étudiante est bien entendu lié aux événements qui ont récemment secoué la France. Ceux-ci démontrent une nouvelle fois que la jeunesse est parmi les couches de la population les moins perméables à la xénophobie et au racisme ambiants. Car la lutte au côté des sans-papiers a également comme corollaire la lutte contre un racisme de plus en plus ancré, notamment au sein des organes de police, fait de nouveau illustré par la brutalité policière dont ont été victimes les Afghans ces dernières semaines. Pour que cela n’ait plus jamais lieu, brisons l’isolement et montrons notre solidarité aux Afghans. Liberté de circulation et d’installation pour tou·te·s! ■
dossier demandeurs d'asile
Les 40% restant sont condamnés à la clandestinité ou enfermés en centres fermés en attente d’une expulsion. Les expulsions vers l’Afghanistan n’étaient pourtant plus pratiquées en Belgique jusqu’en 2010, date de l’entrée en fonction du gouvernement Di Rupo. L’Afghanistan n’étant notoirement pas un "pays sûr", nous l’avons dit, le CGRA s’ingénie à y trouver des "zones" sûres, par exemple Kaboul, vers lesquelles on pourrait renvoyer les demandeurs d’asile qui en sont originaires. Cette estimation ne tient absolument pas compte de la situation extrêmement mouvante dans ce pays ni de la recrudescence de la violence, observable alors que les troupes étrangères s’apprêtent à quitter le pays pour le laisser... aux mains des mêmes Talibans qu’elles étaient venues combattre 12 ans auparavant au nom du djihad mondial contre la terreur... La situation ne manque pas d’ironie quand on sait que la Belgique est impliquée militairement dans le conflit et que le SPF Affaires étrangères considère la situation sécuritaire de ce pays comme "très problématique" et déconseille formellement aux citoyens belges de s’y rendre. L’ambassade d’Afghanistan en Belgique elle-même refuse de voir ses ressortissants renvoyés vers un Etat qui ne peut assurer leur protection et ne délivre pas de laissez-passer pourtant nécessaires à la procédure d’expulsion. L’Office des Etrangers fabrique donc aux Afghans expulsables des laissez-passer européens, une procédure décriée par les associations de défense des droits de l’homme et dénoncée comme contraire au droit international. "De wet is de wet", oui mais pas à tous les niveaux... Combien d’Aref et de Navid Sharifi seront encore victimes d’une politique injuste et inhumaine? Alors que le Collectif
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université
ULB: réforme anti-mai 68 passée en coup de force pourront s'exprimer. Pour faire entendre ces revendications, l'assemblée vote une action de blocage de la séance du CA du 14 octobre. Le BEA prend acte mais refuse de se joindre à l’action.
✒ Matilde Dugauquier, Michel Etxebarra Le 17 juin le Conseil d’Administration (CA) de l’ULB adoptait un projet de réforme de ses statuts. Les axes proposés ne représentent ni plus ni moins qu’un retour au mode de gouvernance d’avant mai 68. Pour les cercles étudiants de gauche de l’ULB, cette réforme et la manière dont les autorités universitaires tentent de la faire passer en stoemeling est inacceptable. À quelques jours de l’adoption définitive des nouveaux statuts, un début de contestation voit le jour. Il sera vite étouffé dans l’oeuf.
Une réforme aux accents gestionnaires et managériaux
Comme l’expliquaient d’anciens étudiants administrateurs dans une carte blache publiée le 7 juillet dans La Libre Belgique: "Tout ce projet découle d’une hypothèse très simple: décider à plusieurs, surtout lorsqu’on n’est pas tous d’accord, c’est “peu efficace”. Au nom de “l’efficacité”... il faudrait donc réduire la taille des conseils décisionnels en donnant un maximum de pouvoir à un trio de topmanagers [Comité exécutif dominé par le Recteur – ndlr]..." Parmi la myriade de réformes envisagées, la séparation du CA en deux entités (une pour la gestion qui pourra consulter le patronat et une pour la politique académique), efface toute opposition possible des corps dits "minoritaires" (étudiants, travailleurs, chercheurs), un des derniers acquis de démocratie qui persistait de Mai 68. Ainsi, "la création de deux organes distincts parachève le schéma: l’université devient alors une entreprise comme une autre, dont la nature est de vendre ses produits – travaux de recherches, cours, 'innovations'". La création d’un poste de Directeur Général n’est qu’un autre symbole du refus de la gestion collégiale qui a longtemps fait la singularité de l’ULB.
Des manoeuvres autoritaires sans précédent
Ce que les étudiant·e·s récusent, c’est tant le contenu du projet que le coup
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de force via lequel les autorités veulent le faire passer. Selon les statuts mêmes de l’ULB, l’organisation d’un débat démocratique au sein de la communauté universitaire est nécessaire pour mener à bien une telle réforme. Or, des groupes de travail d’"experts" ont tablé sur le projet presque secrètement pendant deux ans. C’est vers la fin du mois de mai 2013, en plein blocus, que les étudiant·e·s ont étés informés d'un projet de réforme de la "gouvernance" de l’ULB, sans pour autant que les autorités prennent le soin de communiquer massivement à ce sujet (les informations, communiquées par email, étaient à peine visible). Des "consultations" de la communauté universitaire se sont déroulées en toute intimité dans des salles de petite capacité et à moitié vides, faute de communication suffisante. Le projet est ainsi approuvé le 17 juin, tandis qu’une écrasante majorité d’étudiant·e·s n’a toujours pas connaissance de son existence. Le vote final est prévu pour le 14 octobre. Le Bureau des Étudiants Administrateurs (BEA), délégation étudiante au CA, qui s'oppose partiellement à la réforme pour des raisons de représentation étudiante, convoque plusieurs assemblées générales qui prennent la forme de séances d’information et n’ont pas vocation à devenir des assemblées décisionnelles. Lors de la dernière de ces séances, organisée le 10 octobre, une cinquantaine d’étudiant·e·s mettent la pression pour que l'AG adopte des revendications et actions. Ils revendiquent le report de la réforme après les élections universitaires de décembre, l’initiation d’un véritable débat contradictoire sur l’ULB concernant la réforme et la mise en place d’un référendum où tous les membres de la communauté universitaire (étudiants, travailleurs, chercheurs, professeurs)
La journée du 14 octobre restera gravée dans les annales du surréalisme belge
Ce jour-là, le Président de l’ULB, Alain Delchambre, se rend à la salle du CA pour leurrer les étudiant·e·s qui pensent ainsi bloquer le bon endroit. Il faut préciser que la police est déjà présente sur le campus à ce moment. Mais un autre groupe d’étudiants a repéré les membres du CA en train de monter dans un car pour se rendre dans un lieu inconnu, hors de l'université. Ils décident alors de bloquer le car. Sourdes à la demande des étudiants d’établir un dialogue, les autorités font usage de la force: l’ordre de faire avancer le car est donné mais les étudiant·e·s ne plient pas. Un deuxième car est affrété tandis que les membres du CA descendent progressivement du premier; il sera bloqué également. C’est alors que la police intervient. Suite aux coups de matraque, morsures de chien et utilisation du gaz au poivre, les autorités décident tout de même de rétrocéder. Mais pas question pour elles de reporter le vote après les élections universitaires. Le jeudi 17 octobre, le CA se réunit à la place Royale, en zone neutre où il est interdit de manifester sous peine d'arrestation immédiate et sanction administrative communale (SAC) ; tout un symbole. Sous couvert d’"efficacité" et de "démocratie", l’ULB a bel et bien enterré la démocratie héritée de mai 68. Les quelques étudiants avertis par le caractère anti-démocratique de la réforme sont stigmatisés, taxés d’"extrémistes" et de "minorité agissante" dans une campagne de légitimation lancée en parallèle de ces événements. A l’heure décrire ces lignes, la désinformation continue à l’aide d’une vidéo lancée en ligne par le service de communication de l’ULB, qui vise à vanter les mérites d’une réforme au caractère prétendument révolutionnaire. ■
estampe de Hokusai: Le Rêve de la femme du pêcheur
✒ par Pauline Baudour Du 25 septembre au 26 octobre se jouait la pièce "Je mens, tu mens" au Théâtre des Martyrs. Le titre de la pièce évoque le mensonge qui entoure le sexe dans notre société, et plus particulièrement l’orgasme féminin. Alors que deux couples d’amis passent la soirée ensemble, le vin aidant, les langues se délient et ils en viennent à parler sexe. L’une des deux femmes, l’aînée, n’a jamais parlé à personne de ce qu’elle considère comme un défaut, une anomalie dont elle est coupable: elle ne parvient pas à jouir lors de la pénétration. Le terme "frigide" est plusieurs fois répété, martelé. Les réactions dans la salle de théâtre le prouvent: on touche là à un sujet tabou qui concerne toutes les femmes. La société patriarcale est parfaitement reflétée par la pièce: alors que les hommes descendent à la cave choisir le vin, les femmes restent à la cuisine. Pendant que ceux-ci s’inquiètent de leurs performances – ce n’est pas tant l’absence de plaisir de leurs compagnes qui les préoccupe, sinon le fait de sentir leur virilité remise en question – celles-là osent enfin parler, entre elles, du mythe de l’orgasme vaginal. Parce qu’au cours du spectacle, à renforts de
citations (notamment du docteur Freud, pas vraiment un ami du féminisme pourtant!) on découvre sans surprise que l’orgasme vaginal EST un mythe, et le clitoris un inconnu. L’auteure de la pièce, Susann HeenenWolff, dont c’est le premier texte pour le théâtre, est psychanalyste et professeure de psychologie clinique à l’UCL et à l’ULB. "Depuis longtemps, on parle dans les magazines féminins des difficultés des femmes à atteindre l’orgasme par la seule pénétration", explique-t-elle. "Mais on a beau expliquer les raisons de ce trouble, on a beau proposer des traitements pour y remédier, il semble que cette difficulté reste bien présente et soit plutôt structurelle. Il ne s’agit donc pas d’un trouble qui relève d’une histoire individuelle, mais d’une difficulté qui se niche dans la nature même de la sexualité de la femme." Or, comme l'un des deux personnages féminins de la pièce, beaucoup de femmes pensent être la cause du problème... et simulent l'orgasme pour rassurer leur compagnon. La libération sexuelle était au centre des revendications de la deuxième vague féministe, dès les années 60. Oui, l'orgasme féminin est aussi une question politique, et "Je mens, tu mens" est
féminisme
L’orgasme féminin, une question politique un spectacle qui a le mérite de soulever la question: comment expliquer que le clitoris demeure un mystère – y compris pour nombre de femmes – malgré les avancées scientifiques dont nous jouissons aujourd’hui? La réponse, malheureusement, est évidente: le plaisir féminin n’a aucune importance dans un système patriarcal où ce qui compte, c’est la reproduction (de la force de travail). Pas besoin de jouir pour faire des enfants. Ce qui explique sans doute qu’on se soucie si peu d’apprendre aux femmes comment elles fonctionnent: dans les cours d’éducation sexuelle, à l’école, on enseigne l’appareil reproducteur et les moyens de contraception. Le clitoris? Un détail. Résultat: très peu de femmes savent que leur clitoris mesure environ 11 centimètres (au repos!), et encore moins comment fonctionne cet organe surdoué du plaisir féminin, qui cumule plus de 10 000 terminaisons nerveuses. En parler et refuser les tabous, c’est déjà un bon début. ■ Je mens, tu mens, un spectacle de Susann Heenen-Wolff par la Cie Biloxi 48. A lire: La Fabuleuse histoire du clitoris, de Jean-Clause Piquard aux éditions Blanche (préface d’Osez le féminisme).
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✒ par Pierre Rousset Le supertyphon Haiyan vient de dévaster les Visayas, au centre de l’archipel philippin, alors que s’ouvre à Varsovie la 19e conférence internationale sur le climat. L’an dernier, un autre cyclone meurtrier avait endeuillé les Philippines alors que ladite conférence se tenait à Doha. Les délégués gouvernementaux avaient salué la mémoire des victimes, avant de conclure qu’il était urgent de ne rien faire. Gageons que cette année, il en sera de même. L’heure est à la ruée sur les gaz de schistes. Les lobbies de l’énergie dictent leur loi. Ainsi, pour la Table Ronde des Industriels européens, "la compétitivité" doit être considérée "aussi importante" que "les objectifs de réduction de CO2."
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Rien ne doit remettre en cause leurs profits et leur pouvoir (1). Il serait impossible de "prouver" que tel ou tel cyclone n’aurait pas eu lieu sans le réchauffement atmosphérique. Certes, mais là n’est pas la question (2). Haiyan est le plus puissant typhon ayant touché terre jamais enregistré dans le monde. Pour son malheur, l’archipel philippin subit de plein fouet la violence des phénomènes météorologiques exceptionnels qui se forment dans l’océan Pacifique. La liste des typhons meurtriers ne cesse de s’allonger: Frank (Fengshen, 2008), Ondoy (Ketsana, 2009), Sendong (Washi, 2011), Pablo (Bopha, 2012) et maintenant Yolanda (Haiyan, 2013). Le pire peut-être encore à venir: les cyclones se multiplient, leurs trajectoires se modifient.
Le "message" d’Haiyan est clair: voici ce que signifie pour les populations le chaos climatique – en particulier pour les secteurs les plus pauvres qui vivent souvent dans des zones à risque: menacées d’inondations, d’éboulements, d’une montée des eaux maritimes... Or, en ces temps d’urgence, la corruption ainsi que la destruction des services publics au nom des dogmes néolibéraux et des intérêts privés ont contribué à rendre l’Etat impotent. Incurie de la communauté internationale des possédants, incurie criminelle aussi de la présidence philippine. Le désastre était annoncé, mais rien n’a été fait pour évacuer les habitants des zones les plus exposées. Des stocks solidement protégés de vivres et de matériel médical n’ont pas été constitués. Des centres de secours n’ont pas été préétablis alors que les autorités connaissaient les risques encourus et alors que les communications étaient encore aisées. Les élites philippines semblent tout ignorer de la politique de prévention des catastrophes et s’en soucier comme d’une guigne. Certes les riches, les vrais, peuvent se retirer des zones menacées. Aux autres, aux autorités locales, aux pauvres en particulier de se débrouiller sur place avec bien peu de moyens. Les télévisions de monde entier et les reportages des journalistes ou des "chasseurs de cyclones" qui s’étaient, eux, rendus sur place nous ont permis de prendre la mesure de la catastrophe (3). La ville portuaire de Tacloban (220.000 habitants) a été littéralement rasée et on craint qu’en ce seul lieu le nombre de morts se monte à quelque dix mille. Les hôpitaux sont dévastés, le personnel n’a plus de médicaments. A l’abandon, les survivants errent dans les ruines pour trouver de l’eau, de la nourriture, de quoi s’habiller, de quoi reconstruire un abri... et le président Benigno Aquino dénonce les "pillages", se donnant pour objectif de "rétablir l’ordre": les tanks de l’armée arrivent plus vite que l’aide alimentaire
photo: AP/Aaron Favila
écosocialisme
Les Philippines après Haiyan: incurie des possédants, urgence de la solidarité
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photo: mediActivista
ESSF vous tiendra régulièrement informés via le site www.europesolidaire.org de la situation et de l’utilisation du fonds de solidarité. n’est distribuée! Plutôt que de pointer du doigt, de criminaliser les victimes, Aquino ferait mieux de tirer les conséquences de son incapacité à protéger les populations, à prévenir le désastre. Tacloban n’est pas la seule localité sinistrée, tant s’en faut. Haiyan est passé sur de nombreuses îles des Visayas, outre Samar et Leyte dont parlent les médias: 41 provinces ont été plus ou moins gravement touchées par le typhon. Les communications sont très difficiles. Il est aujourd’hui impossible d’estimer le nombre de victimes et des destructions. Les Nations unies ont prévenu qu’en ce qui concerne le bilan final, il fallait"s’attendre au pire". Impossible de ne pas être en colère face à un tel désastre; l’heure cependant est à la solidarité. L’aide internationale commence à affluer; et c’est tant mieux. Aussi indispensable qu’elle soit, l’expérience montre aussi ses limites, voire ses effets pervers comme la situation dramatique en Haïti ne cesse de nous le rappeler. Les secours doivent être conçus pour redonner un véritable pouvoir de décision aux populations sinistrées. Les victimes ne redoivent pas être traitées comme des assistées attendant la charité! L’autoorganisation des milieux populaires doit être facilitée afin qu’ils soient à même de défendre leurs intérêts en un moment de grande faiblesse et de grande dépendance, de grand désarroi aussi. Sinon, les plus démunis risquent d’être plusieurs fois victimes: de la catastrophe naturelle, de la distribution inégalitaire de l’aide, puis d’une reconstruction inégalitaire au profit des possédants. Secours d’urgence (eau, nourriture, soins médicaux...), réhabilitation
et reconstruction doivent aussi être liés: l’aide ne doit pas se résumer à une intervention ponctuelle, mais se poursuivre dans la durée. C’est dans cet esprit, dans cette perspective, que l’association Europe solidaire sans frontières a lancé un appel à la solidarité financière (4), pour aider nos partenaires philippins à secourir des victimes notamment là où le gros de l’aide internationale n’ira pas. ■ Article publié sur www.europe-solidaire.org le 12 novembre 2013 1) Daniel Tanuro, Fossiles contents, Commission aux ordres, www.lcr-lagauche.org 2) Encore que des scientifiques font bien le lien entre la puissance de Haiyan et le réchauffement climatique. Voir sur ESSF (article 30311), Philippines: Typhoon Haiyan influenced by climate change, scientists say.
face à un harcèlement policier, d’abord à la frontière polonaise – deux heures de fouille pour ne rien trouver – puis dans toutes les gares, même là ou le train se s’arrêtait pas, un cordon policier sur le quai. Un hélicoptère de l’armée a survolé le train tout le long du parcours polonais. L’accueil à la gare centrale de Varsovie était surprenant: nous étions isolé·es des autres voyageurs, comme en quarantaine, et escorté·es au-dehors par des centaines de robocops. La manifestation était forte d’environ 1500 personnes, et encadrée par environ 300 robocops arrogants et agressifs. Les responsables de la police prétendaient qu’ils voulaient nous protéger des fascistes, qui furent pourtant invisibles.
écosocialisme
Pour envoyer des dons:
3) Voir sur ESSF (article 30290), Philippines: les premiers témoignages de " l’apocalypse " après le passage de Haiyan. 4) Voir sur ESSF (article 30296), Les Philippines frappés par les typhons: un appel urgent à la solidarité financière.
1500 manifestant·e·s à Varsovie: "System change, not climate change" ✒ par Louis Verheyden (Varsovie) Les gouv ernement s v oulaient avoir un sommet climatique (COP 19) tranquille à Varsovie. Des évènements comme le super-typhon aux Philippines ne sont pas du genre à déranger leurs pourparlers tranquilles, qui servent surtout à gagner du temps jusqu’à la COP 21 de Paris, en 2015. Deux années gagnées, c’est toujours ça. Et au diable le rapport du GIEC qui énonce clairement les raisons pour lesquelles il ne reste pas beaucoup de temps pour sauver le climat comme nous le connaissons d’un basculement vers un climat nettement plus hostile pour les travailleur·euses et paysan·nes des régions les plus pauvres du monde. C’était sans compter sur Climat et Justice Sociale Belgique. Contre vent et marées, C&JS a su réunir des partenaires pour rassembler 700 personnes dans un train vers Varsovie. Il a pourtant fallu faire
Pourtant la manifestation était plutôt combative et animée, surtout grâce au groupe des COMAC. Elle nous amené du centre culturel au lieu où se déroule le sommet. La teneur de la manifestation était clairement radicale, avec le slogan "system change, not climate change" que certains groupes, notamment les verts, essayaient de tempérer. La mobilisation en Pologne était décevante: les Polonais ne formaient que la moitié de la manifestation, le reste étant heureusement formé de délégations étrangères, dont le train belge. ■ la gauche #65 novembre-décembre 2013
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Japon
Avec les liquidateurs de Fukushima… ✒ par Guy Van Sinoy L'hebdomadaire Courrier International a récemment consacré un dossier* aux conditions de travail hallucinantes des liquidateurs de Fukushima. Il s'agit du personnel chargé de "nettoyer" le site nucléaire dévasté le 11 mars 2011 par un séisme suivi d'un tsunami. Trois réacteurs étaient entrés en fusion et avaient explosé, provoquant de considérables fuites radioactives.
Rien n'est stabilisé
Les affirmations des autorités japonaises, fin 2011, affirmant que le site était stabilisé se sont révélées mensongères. En avril 2013 une nouvelle fuite a été détectée, en août on a découvert que 300 tonnes d'eau hautement radioactive s'étaient répandues dans l'océan, en septembre des vapeurs suspectes sont à nouveau apparues au-dessus du réacteur n°3. C'est dans ces conditions que des travailleurs employés par des firmes de sous-traitance s'activent à "nettoyer" le site.
Une journée de travail à Fukushima
La journée commence par un trajet en bus jusqu'à un camp où les travailleurs enfilent une première combinaison de protection. Une fois arrivés sur le site ils reçoivent une autre combinaison et un dosimètre. Le travail proprement dit peut alors commencer. Il est de courte durée car ils doivent prendre un repos de 2 à 3 heures pendant lequel ils mangent dans des bâtiments préfabriqués où ils sont à l'étroit. Ils repartent ensuite sur le chantier et en fin de journée repassent déposer leur dosimètre et passer les examens de contamination.
Doses limites à ne pas dépasser
Les quantités de radiations reçues par un organisme s'expriment en millisieverts (mSv). En France, la dose admissible pour la population civile est de 1 mSv par an. Pour les travailleurs du nucléaire la dose à ne pas dépasser est de 20 mSv/an en France et de 50 mSv/an au Japon. Après la catastrophe, les autorités japonaises ont
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relevé ce taux à 100 mSv/an. Aujourd'hui sur les 20.000 liquidateurs de Fukushima plus de 150 ont été exposés à plus de 100 mSv. Mais aux endroits critiques, la radioactivité est très élevée. Un liquidateur en zone critique peut être exposé à 18 mSv en 1 heure, soit presque la dose maximale annuelle admise en Europe! De plus, dans les zones hautement radioactives les microprocesseurs des robots tombent souvent en panne et il faut y envoyer des êtres humains pour les récupérer.
Dangerosité, précarité, surexploitation…
Dès qu'un liquidateur atteint la dose maximale admise, il risque de perdre son emploi, surtout chez les petits soustraitants. Or les travailleurs des petits sous-traitants sont souvent envoyés sur les sites les plus dangereux. Pour éviter de perdre leur gagne-pain, la tentation est donc grande chez certains liquidateurs de falsifier leur dosimètre ou d'enfiler une combinaison propre juste avant l'examen de contamination en fin de journée. Dans son livre Tête de Turc (1986), le journaliste allemand Günther Walraff avait déjà mentionné que les intérimaires occupés dans les centrales nucléaires allemandes trafiquaient leur dosimètre pour ne pas perdre leur job. De plus, les chiffres relevés sur les dosimètres n'intègrent pas les temps de trajets et de pause alors que les ouvriers restent exposés à la radioactivité pendant ces périodes. La plupart des liquidateurs ont peu de connaissances à ce sujet car ils n'ont reçu aucune formation. Ils sont littéralement de la chair à canon. Les équipements de protection entravent considérablement les mouvements
et contribuent à retarder l'exécution des tâches. Serrer une vis n'est pas une chose facile quand on porte trois paires de gants en caoutchouc et une paire de gants de travail. Travailler avec un masque intégral en été est à la limite du supportable. Un sous-traitant direct facture habituellement de 600 à 750 euros la journée de travail d'un liquidateur… avant de confier le travail à des sous-traitants de deuxième, troisième, puis de quatrième rang qui prélèvent eux aussi leur marge. En bout de course, le liquidateur perçoit un salaire de 75 à 100 euros par jour!
Rafistolage à court terme Démanteler l'ensemble du site coûterait plusieurs milliards pendant 20 à 30 ans. Le groupe Tepco, propriétaire de la centrale, n'en a pas les moyens et l'État a déjà dû recapitaliser le groupe. Cela n'a pas empêché une politique de réduction des coûts sur le terrain. Un exemple: les vêtements de travail sont désormais nettoyés, redistribués et réutilisés à plusieurs reprises. Des plaintes sont apparues car les vêtements sont parfois tachés ou malodorants. Les casquettes ont tellement rétréci au lavage qu'il est impossible de les porter! La plupart des liquidateurs ne sont pas qualifiés ; ils étaient auparavant chauffeurs de bus, pêcheurs et ont perdu leur emploi avec la catastrophe. Les vétérans qualifiés n'ont pas le temps de transmettre leur savoir. L'insuffisance des ressources humaines et financières hypothèque gravement la mise en sécurité du site. Les accidents risquent donc de continuer à se produire. ■ * Courrier International n°1194 du 19 sept. 2013
L’épopée des verriers du Pays Noir: c’est sous ce titre que notre camarade André Henry nous livre le récit de sa vie militante. Ouvrier dès l’âge de quatorze ans, André Henry a, avec ses camarades, écrit quelques-unes des plus belles pages d’histoire du mouvement ouvrier belge de l’après-guerre. Co-édité par les Editions Luc Pire et la Formation Lesoil, l’ouvrage sera disponible dès la mi-décembre. Pensez-y pour vos cadeaux de fin d’année... Pour vous mettre l’eau à la bouche, nous reproduisons ici le texte de la quatrième de couverture: "En 1975, un travailleur vidange sa voiture dans la fosse de son usine en grève-occupation. Le patron qui passe par là lui tombe dessus: 'Mais que faitesvous là? Avez-vous au moins demandé l’autorisation... au comité de grève?'" Cet épisode surréaliste est illustratif du double pouvoir que les verriers de Glaverbel Gilly sont parvenus à imposer dans leur entreprise de la région de Charleroi. Pendant une vingtaine d’années, ils y ont construit un syndicalisme de combat basé sur le meilleur de la tradition ouvrière. Leur ténacité et leur insolence ont permis de remporter des victoires mémorables. André Henry, délégué principal Centrale Générale-FGTB à Glaverbel Gilly pendant douze ans, retrace la surprenante épopée du combat des travailleurs de Glaverbel contre une multinationale confortée par des gouvernements complices et la bureaucratie syndicale. A travers une série d’anecdotes cocasses et sur fond des événements marquants de l’histoire ouvrière, cette chronique d’une lutte de classes est aussi le récit de vie émouvant d’un militant sincèrement engagé tant sur le plan syndical que politique. Puisse cette expérience décrite dans L’épopée des verriers du Pays Noir être source d’inspiration pour tous ceux et celles qui, aujourd’hui, luttent pour que le monde change de base. André Henry L’épopée des verriers du Pays Noir Editions Luc Pire, 204 pages
Où trouver La Gauche? En vente dans les librairies suivantes:
Bruxelles Tropismes
Galerie des Princes, 11 1000 Bruxelles Filigranes
agenda / lectures
La Gauche
L’épopée des verriers du Pays Noir: une autobiographie d’André Henry
Avenue des Arts, 39-40 1000 Bruxelles Couleur du Sud
Avenue Buyl, 80 1050 Ixelles Aurora
Disponible dès le 15 décembre auprès de la Formation Léon Lesoil au prix promotionnel de 15 euros (+3 euros de frais de port). Pour un envoi postal, verser 18 euros par exemplaire sur le compte de la Formation Léon Lesoil: 20 rue Plantin 1070 Bruxelles IBAN BE09 0010 7284 5157 BIC GEBABEBB mention "André Henry"
conférences Au Pianofabriek, 35 rue du Fort, 1060 Bruxelles (métro Parvis de St-Gilles)
Salle Casablanca II, entrée gratuite Mardi 12 novembre 2013 à 19h30 La lutte contre racisme au travail – L'exemple des Forges de Clabecq avec Fabian Defraine (enseignant,
Avenue Jean Volders, 34 1060 Saint-Gilles Volders
Avenue Jean Volders, 40 1060 Saint-Gilles Joli Mai
Avenue Paul Dejaer, 29 1060 Saint-Gilles
Mons Le Point du Jour
Grand'Rue, 72 7000 Mons Couleur Livres
Rue André Masquelier, 4 7000 Mons
Wavre Librairie Collette Dubois
Place Henri Berger,10 1300 Wavre
auteur d'une étude sur la lutte contre le racisme aux Forges) et Silvio Marra (ancien délégué FGTB aux Forges, aujourd'hui retraité et animateur à Forest de Quartier Sans Racisme). Mardi 10 decembre 2013 à 19h30 Fascisme 2.0 – Lutter contre le retour de la peste brune en Europe avec Yiorgos Vassalos (Grèce,
chercheur, militant contre la gouvernance européenne) et Bernard Schmid (France, chercheur, auteur et conférencier antifasciste). la gauche #65 novembre-décembre 2013
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