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60e année prix 2 euros | 16 mars-avril 20
BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 MARS-AVRIL 2016
sommaire
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3 Édito par La Gauche A nous la rue! par Pauline Baudour 4 Agressions sexuelles de Cologne… et après? par Léa Dubuisson 6 Pas de racisme au nom du féminisme! par Femke Urbain 8 Grève des femmes de la FN en 1966: Une lutte exemplaire 9 et à contre-courant par Francine Dekoninck Bas les pattes du droit de grève et de la liberté d’action syndicale! 1 2 par Denis Horman Quand la SNCB harcèle un délégué syndical: 1 4 solidarité avec Jordan! par Guy Van Sinoy Menace d’exclusion de la CGSP par Florence Dupin 1 6 Elections sociales et crise du syndicalisme par Florent Gallois 1 7 Ciel tourmenté sur les droits des réfugié.e.s à la Côte 1 8 (et éclaircies possibles) par Matilde Dugaucquier
2 0 Aidez-nous à arrêter définitivement les réacteurs nucléaires Tihange 2 et Doel 3 par Correspondant De la déchéance de nationalité à la déchéance du PS 2 1 par Christine Poupin
2 2 Peut-on être contre la guerre en Syrie en se taisant sur le régime de Damas, l’Iran, le Hezbollah, la Russie...? par Ariane Perez 24 Il se passe quelque chose aux Etats-Unis! d’après Vincent Présumey 2 6 Un plan B pour désobéir à l'Europe austéritaire par Sébastien Brulez 2 7 Agenda / Où trouver La Gauche? La Une D'après le travail d'Aleksander Rodchenko et Varvara Stepanova, avec Lucie Nardella à la place de Lilya Brik. Interprétation graphique: Little Shiva
Comité de rédaction: Sébastien Brulez, Matilde Dugaucquier, Pauline Forges, François Houart, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy Design: Little Shiva La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale. Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction. Adresse et contact: 20 rue Plantin,1070 Bruxelles info@lcr-lagauche.org Tarifs et abonnements: 2 euros par numéro; 10 euros par an étranger: 20 euros par an Abonnement de soutien: 15 euros A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention"La Gauche”
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édito
Pour l'auto-organisation des femmes! Gulabi Gang
photo: Jörg Böhtling
✒ par La Gauche La date du 8 mars nous donne chaque année l’occasion de redire à quel point la lutte pour les droits des femmes est incontournable. Au-delà des récupérations médiatiques voire mercantilistes, des mobilisations et manifestations ont lieu pour remettre cette lutte quotidienne, trop souvent oubliée ou invisibilisée, au centre des enjeux politiques. C'est même un des principes mis en avant dans notre projet anticapitaliste: la lutte contre le patriarcat et les oppressions spécifiques exercées sur les femmes (1). Pour cette lutte, comme pour celles de tou.te.s les exploité.e.s et opprimé.e.s, notre approche est celle de l'auto-organisation. C'est d’ailleurs précisément dans cette optique qu'ont eu lieu deux manifestations importantes début mars: une manifestation féministe non-mixte le 5/03 à l'initiative de Féminisme Yeah et une manifestation des Femmes Sans Papiers le 6 mars [lire notre compte-rendu en pages 4 et 5]. Mais la mobilisation ne doit pas s'arrêter à cette date symbolique du 8 mars. Non seulement nous devons rester vigilant.e.s pour défendre certains acquis constamment remis en cause par les réactionnaires de tous bords (comme le droit à l'avortement); mais en plus nous devons affronter les mesures régressives et rendre les coups au gouvernement Michel-De Wever. Car en s'attaquant à la sécurité sociale, aux conditions de travail ou aux droits des réfugié.e.s, ce gouvernement néolibéral s'attaque spécifiquement aux droits des femmes. Le relèvement de l’âge légal de la pension à 67 ans, voté en 2015, affecte déjà prioritairement les femmes: "Pour bénéficier de la pension anticipée il faut désormais compter 42 années de passé professionnel. Or la carrière moyenne des femmes atteint 36,6 ans et celle des hommes 42,2 ans. En conséquence, de nombreuses femmes seront exclues de la possibilité de partir à la pension anticipée. Les femmes sont pénalisées en raison de situations passées. Les discriminations
existant sur le marché du travail trouvent ainsi leur prolongement dans la réglementation sur les pensions. Les femmes sont victimes d'une double peine", indique le front commun syndical qui a récemment déposé un recours devant la Cour constitutionnelle contre cette mesure. Mais cela ne suffit pas au ministre Bacquelaine qui renchérit avec une nouvelle réforme. "Un retour en arrière de 20 ans", avertissent les syndicats. En effet, la limitation ou la suppression des années assimilées dans le calcul des années de carrière et du calcul de la pension touchera, là aussi, principalement les femmes."Aujourd’hui la pension moyenne d’une ouvrière en Belgique est de 701 euros par mois. Si le ministre des Pensions touche aux périodes assimilées, chômage ou prépension, il pourrait réduire de près de 40% la pension moyenne. On tomberait alors à une pension de 400 euros par mois, c’est comme les pensions en Grèce. Une régression énorme", expliquait récemment Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral FGTB. Alors que les femmes gagnent toujours 20% de moins que les hommes et que plus de 40% d’entre elles sont soumises à un travail à temps partiel non voulu. Ce gouvernement ne se contente pas de renvoyer les travailleurs à des conditions de travail et à un rapport de force syndical digne du XIXème siècle [lire notre article sur la liberté d'action
syndicale en pages 12 et 13], il prétend également renvoyer les travailleuses à la maison et dans une précarité extrême. Combien de temps faudra-t-il encore au gouvernement Michel-De Wever pour nous ressortir le vieux slogan pétainiste: "Travail, famille, patrie"? Mais heureusement, l'histoire n'est pas linéaire. Elle est faite de soubresauts, d'avancées et de reculs."L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes", écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste. Et nous en sommes toujours-là. Ce début d'année a aussi été marqué par la commémoration du 50e anniversaire de la grève des femmes de la FN à Herstal [lire en pages 9 à 11]. Ces ouvrières, aujourd'hui célébrées pour leur bravoure et leur lutte pour l'égalité salariale, ont été à l'époque au mieux ignorées, au pire combattues par le patronat et par les bureaucraties syndicales. C'est peut-être la principale leçon à retenir de cette expérience d'auto-organisation: les luttes se mènent toujours à contre-courant, mais c'est la persévérance et l'unité qui permettent d'arracher de grandes victoires.■ (1) Écouter à ce sujet la formation donnée par Marijke Colle en 2014 pour la Formation Léon Lesoil, Féminisme et marxisme. Téléchargeable sur www.soundcloud.com/formationlesoil/sets/ feminisme-et-marxisme
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✒ par Pauline Baudour Le week-end des 5 et 6 mars, à l'approche de la journée internationale des droits des femmes, la rue était aux femmes! Le 5 mars à la manifestation féministe non-mixte et le 6 mars à la manifestation des Femmes Sans Papiers. Retour sur ces deux manifs complémentaires. "A qui la rue? A nous la rue!" Le 5 mars, on ne pouvait ignorer la manifestation qui s'est déployée de la gare du Midi au parvis de Saint-Gilles: elle était en effet composée d'une centaine de participantes, uniquement des femmes (la manifestation était ouverte à toute personne ayant vécu ou vivant une oppression en tant que femme ou perçue comme telle). Contre les violences envers les femmes, et mettant l'accent sur le paternalisme, le déni des violences machistes, la culpabilisation et l'instrumentalisation du féminisme, cette manifestation organisée pour la deuxième année consécutive à l'initiative de Féminisme Yeah dégageait cette fois encore une énergie, une force particulières. Elle joue très certainement un rôle d'"empowerment": se retrouver entre femmes et porter des messages communs rend plus fortes; c'est dans des moments comme celui-là que s'élève la conscience de la dimension collective et politique des oppressions faites aux femmes. Dans une ambiance dynamique, solidaire et inclusive, le cortège s'est arrêté à plusieurs endroits symboliques: tout d'abord devant l'hôtel Conrad, où une vingtaine de femmes esclaves au service d'une princesse des Emirats avaient été découvertes en 2008. C'est en entonnant l'hymne des femmes, au refrain de "levons-nous, femmes esclaves, et brisons nos entraves", que nous avons dénoncé l'exploitation des femmes du monde entier. L'arrêt suivant a eu lieu au n°29 de la rue Blanche, devant cette maison qui abrita l'auto-organisation des femmes dans les années 70. C'est Nadine Plateau (l'une des fondatrices de l'Université des Femmes et de Sophia) qui nous a rappelé l'accueil de femmes chiliennes pendant la dictature, ou encore les cours de mécanique par et pour les femmes qui ont eu lieu dans ces
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murs. Une agora féministe s'est ensuite tenue place Morichar, permettant de faire entendre des réalités souvent ignorées ou taboues et de libérer la parole. C'est avec la perspective de lutter en permanence, au quotidien, que la manifestation s'est achevée en chanson au Parvis de SaintGilles. Notons que l'escorte de la police était particulièrement visible et oppressante (surtout lorsqu'il a été demandé aux participantes de marcher sur le trottoir, toute une partie du trajet!). Toujours d'actualité, résonnait dans la rue et dans les cœurs le slogan:
"Ne me libère pas, je m'en charge!"
Organisée par le Comité des Femmes Sans Papiers et la Coordination des Sans Papiers de Belgique, la manifestation des Femmes Sans Papiers avait lieu le lendemain. Pourquoi deux manifestations de femmes distinctes? Une marché, le dimanche 6 mars, dans les manifestation commune avait été évoquée, rues de Bruxelles pour la régularisation mais l'importance de mettre en avant la de toutes et tous les sans papiers, malgré situation des femmes sans papiers sans le temps particulièrement infect. Un bloc noyer leur message parmi d'autres reven- femmes s'est créé au fil de la manif et a dications est vite apparue, tout comme la fini par prendre la tête du cortège, en nécessité d'une manifestation non-mixte. chantant "oh la la, oh lé lé, solidarité En effet, la manifestation des Femmes avec les femmes sans papiers!" Un succès Sans Papiers était quant à elle ouverte aux pour une manifestation qui a permis hommes, venus en nombre les soutenir. de visibiliser celles qui sont trop souvent Ce sont environ 500 personnes qui ont maintenues dans l'ombre. ■ ht t p : / / b l a c kco f f e e p o e t. co m / 2 0 1 1 / 0 9 / 2 3 / b l a c k- co f f e e - p o e t - re a d s - h i s - l e t te r - to wendy-babcock-at-babcocks-memorial-september-15-2011/
à l'action...
A nous la rue!
Ă l'action... photos: LCR
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féminisme
Agressions sexuelles de Cologne… et après? ✒ par Léa Dubuisson Les agressions sexuelles commises autour de la gare de Cologne pendant la nuit du nouvel an ont fait couler beaucoup d’encre. Un peu plus de deux mois plus tard, l’agitation est quelque peu retombée. Mais il y a déjà de quoi tirer quelques leçons des réactions qu’elles ont suscitées. D’abord, ces agressions et leurs suites directes démontrent que les politiques sécuritaires ne sont pas faites pour les femmes. Pendant la nuit du nouvel an, les 200 policiers locaux et fédéraux ont ordonné une évacuation temporaire de la place, et contrôlé une centaine de personnes. Mais les interpellations concernaient essentiellement des vols ou des bagarres. Selon témoignages, les agents ne faisaient que peu de cas des femmes qui venaient leur signaler une agression sexuelle. Sur son site internet, la police a d’ailleurs indiqué le lendemain que la nuit de la Saint-Sylvestre s’était déroulée "calmement", "comme l’an passé".
Les politiques sécuritaires ne sont pas faites pour les femmes
Ensuite quand, à partir du 3 janvier, le buzz a démarré sur base des témoignages que des femmes agressées ont diffusé via les réseaux sociaux, c’est surtout sur les auteurs de ces violences que les polémiques se focalisent immédiatement. C’est d’ailleurs dans ce sens que les responsables politiques s’expriment. En Allemagne, le 8 janvier, le chef de la police est suspendu pour avoir refusé du renfort, avoir tardé à révéler les faits et, surtout, avoir caché l’origine des auteurs. Le lendemain, Angela Merkel annonce un retour direct aux frontières pour les étrangers coupables de délits, même ceux condamnés avec sursis. A l’étranger, d’autres en profitent pour en remettre une couche, comme Theo Francken (secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration) qui invente les cours de"respect de la femme"pour les demandeurs d’asile, idée rapidement reprise un peu plus tard en Suisse. Il est clair que, à travers ces positions politiques, la priorité s’oriente vers des politiques
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migratoires encore plus répressives tout en alimentant la stigmatisation des migrants. Malgré le fait que le caractère massif et apparemment exceptionnel de ces agressions simultanées interpelle tout de même, ce n’est que plus tard que les responsables politiques s’en prennent, formellement du moins, aux violences sexuelles. Le 10 janvier, le ministre de la Justice allemand annonce un durcissement législatif dans l’année contre violences sexuelles avec l’élargissement en droit pénal des notions de viol (désormais également valable quand la victime ne se défend pas) et d’agression sexuelle (désormais aussi en cas d’attouchement). Une avancée qui, si elle se concrétise, irait dans le bon sens mais qui ne présage rien du changement des mentalités. Deux jours plus tard, la maire de Cologne invite d’ailleurs les femmes à se tenir à un bras de distance des inconnus. Comme si c’était aux femmes de changer de comportement et non aux hommes d’éviter d’être agresseurs.
Et les voix de gauche?
Si ces réactions politiques ne sont malheureusement pas étonnantes, il est désolant de devoir constater que les réactions à gauche se sont aussi exprimées dans
le même ordre de priorités, en s’étendant bien plus largement sur les agresseurs présumés et sur l’instrumentalisation de l’affaire à des fins racistes que sur les agressions sexistes en tant que telles. Certaines voix dites progressistes, y compris parmi les féministes, ont lourdement insisté sur les adéquations soi-disant plus importantes entre le machisme et les cultures arabo-musulmanes, prônant une attention spécifique à certaines catégories de la population pour lutter contre les violences sexistes et dénonçant le soi-disant aveuglement angélique de celles et ceux qui s’abstiennent de telles critiques. D’autres voix, y compris parmi les antiracistes, ont tenté de minimiser et de remettre en cause les témoignages des femmes agressées, en insistant sur le fait qu’on ne sait pas très bien ce qu’il s’est passé la nuit du nouvel an; en s’interrogeant sur la pertinence de l’attention de l’opinion puisque "ce genre d’agression a lieu tout le temps de toute façon", ou encore en recherchant des excuses aux auteurs présumés, poussés à agir de la sorte par des conditions de vie précaire. Comme si le premier souci était de préserver les coupables et non de défendre les victimes.
En Belgique, 3.000 viols par an
En Belgique, les violences sexuelles sont dans 98% des cas commises par des hommes, généralement proches des victimes: le conjoint (48%), un membre de la famille (10%), une connaissance (13%), une personne liée au travail (7%). Dans la moitié des cas, ce sont des faits répétés et, pour 65% des victimes, il s’agit de la plus grave expérience violente de leur vie (1). 3.000 viols sont enregistrés par an en Belgique (8 viols par jour). Mais beaucoup de victimes ne portent pas plainte et seulement 4% des plaintes pour
dessins: Arnold De Spiegeleer
Un nouveau journal: JSP, le journal des Sans-Papiers Le numéro 0 du JSP vient de sortir de presse, à l’initiative d’un groupe de personnes avec ou sans-papiers. Un tout bon premier numéro qui dresse un tableau des résistances des sans-papiers, le vécu quotidien dans l’extrême précarité. Mais le JSP c’est aussi des analyses, des conseils cinéma et lecture, un agenda des actions, réunions et conférences... Sans compter les bonnes adresses pour en savoir plus sur tout ce qui touche aux migrations... La Gauche souhaite bon vent à cette nouvelle gazette! Contact: 0466 026112 Rue Locquenghien 12,1000 Bruxelles. ■
féminisme
Heureusement, des voix féministes se sont aussi élevées pour remettre les choses à l’endroit, à l’image de l’initiative #ausnahmslos qui rassemble des femmes de différents horizons pour refaire le focus sur l’origine et la nature des agressions (les violences machistes) plutôt que sur leurs conséquences (l’instrumentalisation politique à des fins racistes et sécuritaire), tout en dénonçant avec autant de force ces deux aspects. En effet, il est essentiel de rappeler que les violences sexistes ont pour point commun d’être avant tout perpétrées par des hommes envers des femmes parce qu’elles sont femmes, en reflétant et en perpétuant le rapport de pouvoir qui assure la domination des premiers sur les secondes. Si leurs formes varient, elles existent dans toutes les cultures et toutes les classes sociales, elles s’expriment partout, tout le temps, et avant tout dans la discrétion du foyer.
viol aboutissent à une condamnation (2). En 2014, le parquet a enregistré plus de 60.000 cas de violence entre partenaires, soit près de 170 cas par jour (3). En 2013, 157 femmes sont mortes de violences conjugales en Belgique (4). Depuis 2001, un Plan d’Action national (PAN), dont la dernière version vient d’être approuvée pour les années 2015-2019, est censé coordonner les mesures contre les violences faites aux femmes. Mais sans budget spécifique (soidisant trop difficile à calculer étant donné la variété des niveaux de pouvoir impliqués) et se consacrant essentiellement aux mesures de prévention qui reposent sur l’associatif sous-financé, ces plans ne sont pas en mesure d’apporter les moyens structurels nécessaires pour accueillir et accompagner les victimes dans leur processus de résistance et de reconstruction. Les violences machistes sont banalisées dans les médias qui classent les violences conjugales comme des "conflits de couple" ou des "drames familiaux" dans la rubrique faits divers. L’accueil des victimes dans les services de police, de santé ou de justice, est encore trop souvent inadapté,
peu respectueux, paternaliste et décourageant. Les femmes en séjour précaire, sous la menace constante d’une expulsion ou de la perte d’un titre de séjour temporaire dans le cadre du regroupement familial, n’ont aucun recours [lire notre article en page 8]. Il n’y a que trois refuges spécialisés sur les violences conjugales côté francophones. Le Set d’Agression sexuelle (SAS) qui permet de rassembler des preuves médico-légales en cas de viol pour appuyer la plainte est peu pratiqué et dans des conditions souvent pénibles pour les victimes. Et la liste des problèmes en matière de lutte contre les violences machistes est encore longue…
Remettre les choses à l’endroit
Vu l’ampleur du chantier, il n’est pas question de noyer le poisson en causant d’autre chose. Pas question non plus d’en profiter pour alimenter les politiques racistes et sécuritaires auxquelles sont déjà consacrées des millions d’euros tandis les femmes en sont les premières laissées pour compte et que les budgets alloués à la lutte contre ces violences machistes restent pour leur part ridiculement bas et inadaptés. Et pas question enfin de laisser sur le côté celles qui sont les premières concernées par le sexisme et le racisme: celles qui sont stigmatisées, discriminées et violentées à la fois en tant que femmes et à travers leur origine ou leur religion. Remettre les choses à l’endroit, en partant avant tout des victimes, est la seule démarche qui permette de ne pas prioriser mais de combattre à la fois les violences machistes tout en évitant les amalgames et récupérations racistes.■ (1)Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, Belgique, 2010 (2)Amnesty International, Belgique, 2014 (3)Institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes, Belgique, 2013 (4)Police Fédérale, Belgique, 2014
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✒ par Femke Urbain Suite aux agressions sexuelles qui se sont déroulées à Cologne durant la nuit de la Saint-Sylvestre – qui impliquaient, selon des premières allégations qui se sont avérées fausses, un certain nombre de demandeurs d'asile – le secrétaire d’État à l'asile et à la migration Théo Francken imposait des cours de "respect de la femme" à l'ensemble des centres d'accueil pour réfugiés. Il pavait ainsi une voie royale à d'autres politiciens racistes, notamment le bourgmestre de Coxyde Marc Van den Bussche, qui s'était déjà fait remarquer pour son recours à une brigade spéciale de la police locale (VIP – Very Irritating Police) pour "tracer" les réfugié.e.s dans sa commune [voir notre article en page 18]. Celui-ci s'était ainsi lancé dans une diatribe visant à exclure les demandeurs d'asile de la piscine communale, alléguant des accusations qui, une fois de plus, se sont avérées en partie erronées. Sans relativiser la gravité des faits qui ont effectivement été commis, nous refusons cette instrumentalisation raciste du féminisme. Les violences contre les femmes ont lieu partout et tout le temps et le gouvernement de droite est le premier responsable de la dégradation des conditions de vie des femmes dans notre pays. Ce soudain intérêt de Théo Francken pour la sécurité des femmes contraste fortement avec le sort qu'il réserve lui-même aux femmes migrantes. Alors que nous nous réunissions avec d'autres devant son cabinet pour protester contre sa politique raciste, nous avons pu écouter le témoignage de Maïmouna, militante sans-papiers du collectif Ebola, qui occupe actuellement un bâtiment sur la commune de Saint-Josse. Nous le retranscrivons partiellement ici.
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Témoignage de Maïmouna, militante sans-papiers du collectif Ebola
Je fais partie du collectif de femmes sans-papiers et je suis là aujourd'hui pour vous parler de notre condition. Monsieur Francken dit que ce sont les immigrés qui violent la loi dans ce pays et veut leur montrer comment traiter les femmes. Or avant qu'on commence à parler des demandeurs d'asile, nous les femmes sans-papiers qui vivons en Belgique n'avons jamais osé nous exprimer sur ce que nous vivons ici. Les sans-papiers que vous voyez ici, ce sont des femmes qui sont mortes à l'intérieur d'elles-mêmes. Elles subissent tout ce contre quoi vous êtes protégées, vous les belges. Quand nous sortons dans la rue, nous regardons toujours derrière nous: si ce n'est pas la police qui nous fait peur, ce sont les hommes qui abusent de nous parce que nous sommes sans-papiers. Quand tu affirmes: "Je suis une femme, je suis là et je suis sans-papiers", ces gens ils peuvent faire de toi ce qu'ils veulent. Nous sommes toutes pareilles n'estce pas? Alors pourquoi subissons-nous chaque jour ce contre quoi vous êtes protégées? Nous sommes exposées à tous les dangers et nous pleurons à l'intérieur parce que si nous sommes violées, si nous sommes abusées et que nous croisons un policier il ne nous demande pas: 'Montremoi tes blessures. Comment tu as été violée et comment tu as été tabassée?'. Il nous dit: "Donne-moi ta carte d'identité". Si tu n'as pas ta carte d'identité, c'est que tu n'as pas été violée ou que c'est toi qui a provoqué ce viol. Nous ne sommes pas protégées, ni nous ni nos enfants. Dans l'occupation Ebola qui compte 125 personnes aujourd'hui, il n'y a que 25 femmes. Il n'y a pas de portes à nos chambres puisque c'est une maison abandonnée. Mais nous pouvons dormir tranquilles, car jamais un homme n'a abusé d'une femme chez nous. Mais dans
la rue nous avons tout le temps peur. Mais ce ne sont pas les demandeurs d'asile qui nous violent ici… La proposition que monsieur Francken a faite, il peut la réaliser. Je suis d'accord mais à condition qu'il nous protège nous aussi. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas de papiers que nous ne devons pas être protégées nous aussi... Nous sommes toutes des femmes et nous sommes toutes pareilles. Nous, nous venons de l'étranger, certes. Mais si nous sommes ici c'est parce que nous nous réclamons des droits humains, qui disent que les femmes ne sont pas des jouets pour les hommes. Le fait de ne pas avoir de papiers veut dire qu'on peut faire de nous ce que l'on veut, et nous voulons que ça s'arrête. Si un jour vous entendez qu'une femme parmi nous s'est suicidée, ce sera parce qu'elle n'aura pas été protégée. Vous, les femmes belges, nous vous invitons à nous soutenir, à nous sortir de là. Parce qu'on n'en peut plus, c'est un fardeau qu'on arrive plus à supporter. Nous voulons vivre comme tout le monde et avoir une dignité. Au lieu de cela nous sommes en train de perdre notre dignité parce que le gouvernement a décidé tout simplement de nous oublier, de nous laisser vivre dans la misère. À ceux qui partent en Afrique pour filmer la misère: vous n'avez pas besoin d'aller en Afrique pour faire vos documentaires, allez dans les occupations voir ce qu'il se passe. Nous sommes abusées, violées, nous sommes devenues des prostituées sans le vouloir, et on en a marre. Cela ne peut pas durer. Nous pouvons rester des sanspapiers mais nous ne pouvons pas rester des objets sexuels. ■
dessin: Arnold De Spiegeleer
féminisme
Pas de racisme au nom du féminisme!
histoire rebelle
Grève des femmes de la FN en 1966:
Une lutte exemplaire et à contre-courant ✒ par Francine Dekoninck Médias, instituts d'histoire et syndicats commémorent aujourd'hui le 50e anniversaire de la grève des ouvrières de la Fabrique nationale (FN) pour l'égalité salariale. Et pourtant, en 1966 les femmes de la FN ont dû affronter de nombreux obstacles… dont le moindre ne fut pas leur propre bureaucratie syndicale!
À la FN, la grève démarre spontanément Mercredi 9 février. Dès le matin, les ouvrières arrêtent spontanément le travail et parcourent les ateliers en chantant L’Internationale. Les délégués syndicaux tentent d'arrêter le mouvement. Ils n'y parviennent qu'en promettant de présenter les revendications au patron le 16. Mercredi 16 février. Les femmes se réunissent en assemblée. Les délégués expliquent que la direction refuse la discussion (1). L'un propose de déposer un préavis de grève. Il est hué. Pour la première fois les femmes chantent:
Le travail, c'est la santé Pour ça faut être augmentées. S'ils refusent de nous la donner Faut pas travailler. Le syndicat a demandé, La direction a refusé, Mais nous les femmes, il faut marcher Pour faire trotter nos délégués. (2) Toutes les femmes qui interviennent réclament la grève au finish jusqu'à satisfaction de la revendication des 5 Francs d'augmentation de l'heure. La délégation refuse d'appuyer la grève et en réfère à la Régionale. Jeudi 17 février. Les jeunes ("gamins machines") ont rejoint la grève des femmes. Dans la matinée 3.000 femmes se rassemblent à La Ruche (local socialiste à Herstal). Les permanents Ruth (FGTB) et Braham (CSC) proposent aux femmes de revendiquer 2,16F (différence entre le salaire "femme machine" et le salaire national manœuvre de dernière catégorie). Ils sont hués et traités de "vendus" quand ils demandent la reprise du travail.
Samedi 19 février. La direction de la FN annonce qu'elle n'ira pas plus loin que l'accord national conclu la veille (1F de l'heure). Les syndicats revendiquent 3,90F pour les femmes "à la journée" et 4,29F pour les "femmes machines". Lundi 21 février. A 9h les ouvrières se réunissent dans la cour de l'usine et se rendent à La Ruche où se tient la 2ème assemblée. Sur les pancartes on peut lire: "Plutôt lutter un jour comme un lion que vivre cent jours comme des moutons" et "Nos cinq francs tout de suite!" Les syndicats reconnaissent la grève. Les ouvrières des ACEC Herstal (Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi) observent des arrêts de travail en solidarité. L'après-midi se constitue le Comité d'Action des Ouvrières de la FN, appuyé par le Parti communiste wallon (PCW, pro chinois). Par manque de pièces, 2.000 ouvriers de la FN sont mis en chômage. À Herstal, les Femmes prévoyantes socialistes (FPS) tiennent une journée d'étude avec trois exposés: "La Diététique ou comment bien se nourrir","Comment entretenir les tissus en fibres naturelles ou artificielles?","Comment tirer parti des fleurs de saison?"
Les directions syndicales reprennent les choses en main Lundi 28 février. La 3e assemblée rejette les propositions patronales (deux augmentations de 0,60F). Barbe (secrétaire adjoint Métal FGTB) propose l'élection d'un Comité de Grève de 24 femmes (18 FGTB, 6 CSC). L'objectif de ce comité ne sera pas de diriger la grève (les permanents gardent l'essentiel des contacts avec la direction) mais de tenter de la gauche #76 mars-avril 2016
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histoire rebelle
Cinq francs ça valait combien en 1966? Un kilo de pommes de terre coûtait 5F, un kilo de tomates 20F, un kilo de champignons 60F, un kilo de rôti de porc 72F. A la FN les réviseurs gagnaient 43F de l'heure, les réviseuses 32F, les "hommes spécialisés aux machines" 50,77F de l'heure, les "femmes machines" 36,42F. ■
EXPOSITION: Femmes en colère
Expo du 16/2/2016 au 26/3/2016, de 10h à 17h, fermé le dimanche, entrée gratuite. Anciens bâtiments Pré-Madame, Rue du Tige 13, 4040 Herstal (entrée par la rue John Moses Browning). Bus 6 au départ de la Place Léopold (Liège). marginaliser le Comité d'Action. Les conseillers communistes d'Herstal (PCB, pro Moscou) saluent la "dignité des grévistes qui poursuivent leur lutte sans troubler l'ordre public" et demandent au bourgmestre "d'assurer le maintien de l'ordre". Mercredi 9 mars. 5e assemblée des grévistes de la FN. À la tribune: des représentantes des FPS et des parlementaires femmes du PSB (Parti socialiste). Exposé de Barbe de la situation de l'industrie en Wallonie ("Il ne suffit pas de revendiquer, il faut encore qu'il y ait des usines!") La parole n'est pas donnée à l'assemblée. Lundi 14 mars. Assemblée des 300 ouvrières des ACEC Herstal le matin. Le Comité d'Action de la FN diffuse un tract. Les ouvrières ne sont pas en tenue de travail. Après une discussion houleuse, elles refusent le vote secret et partent en grève. Aux ACEC à Charleroi, les travailleuses sont réunies en assemblées syndicales dans les quatre secteurs de l'usine. Elles mandatent leurs délégués pour déposer un préavis de grève et réclament une assemblée générale le plus tôt possible. Lundi 21 mars. 6e assemblée à la FN. Des délégations syndicales d'autres usines sont présentes. Le Comité de grève propose d'organiser une manifestation
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de rue. Aux ACEC à Charleroi, assemblée syndicale où des ouvrières réclament le départ de la grève et une manifestation le lendemain. Les délégués annoncent que sans référendum préalable le syndicat ne reconnaîtra pas la grève. Ils sont hués.
Aux ACEC Mardi 22 mars. Alors que les ouvrières des ACEC Ruysbroeck avaient accepté à 82 % les propositions nationales du conciliateur social, les ouvrières des ACEC Herstal, réunies en assemblée refusent le référendum. Aux ACEC Charleroi plus d'une centaine d'ouvrières refusent de participer au référendum. Résultat: 513 contre, 408 pour, 29 abstentions. La délégation syndicale des ACEC Charleroi estime que le pourcentage de votes négatifs est insuffisant pour déclencher une grève. Jeudi 24 mars. Une délégation du Comité d'Action de la FN est à l'entrée des ACEC à Marcinelle et exhorte les ouvrières à cesser le travail. Un peu plus tard les travailleuses de trois départements (Câblerie, Transformateurs, Moyennes machines) débrayent. Les délégués tentent vainement de s'opposer au mouvement. Les ouvrières quittent leurs ateliers et se dirigent vers le département Electronique.
Les délégués essaient de les empêcher d'entrer mais les femmes de l'électronique sortent à leur tour. Un cortège se rend à Charleroi devant les locaux de la FGTB et de la CSC. A 14 heures, les ouvrières de la pause de l'après-midi ne commencent pas le travail. On apprend que la direction des ACEC accepte de négocier. Lundi 28 mars. 7e assemblée des grévistes de la FN à La Ruche. Barbe (FGTB) dénonce l'intervention d'ouvrières de la FN aux ACEC à Charleroi. Il propose une manifestation à Liège le 7 avril pour rencontrer le Gouverneur de la province. Aux ACEC Herstal, la grève est officiellement reconnue. Jeudi 31 mars. Assemblée aux ACEC Charleroi. Les délégués expliquent la proposition patronale (1,70F échelonnés sur deux ans). Les ouvrières la rejettent, repoussent une proposition de 24h de grève et exigent le dépôt immédiat d'un préavis de grève générale. Ce préavis est finalement déposé le 4 avril et doit venir à expiration le 15 avril. Jeudi 7 avril. Manifestation des femmes grévistes liégeoises (FN, ACEC, Schreder) à Herstal. Les ouvriers encore au travail à la FN et aux ACEC font une grève de solidarité. À l’issue de la manifestation les dirigeants syndicaux et une responsable des FPS prennent la parole. Mercredi 13 avril. Assemblée des ouvrières des ACEC Charleroi. La majorité d'entre elles n'est pas en tenue de travail. Une délégation du Comité d'Action de la FN est devant les portes. Davister (FGTB) défend les nouvelles propositions patronales de la veille (augmentation de 2F étalée sur deux ans). Il se fait prendre à partie par les ouvrières et déclare qu'en cas de débrayage les syndicats ne paieront aucune indemnité de grève. Aucun vote ne peut intervenir. En fin de matinée, la grève est pourtant effective à 90%. Sous l'impulsion du PCW, un Comité d'Action est mis sur pied aux ACEC Charleroi. Jeudi 14 avril. Violents incidents à l'entrée des ACEC Charleroi entre délégués syndicaux et piquets de grève mis en place par le Comité d'Action. Des femmes sont brutalisées par des délégués au département Electronique. Les syndicats organisent un référendum sur les propositions patronales de la veille. La moitié des ouvrières refuse d'y participer. Résultat: 208 pour, 355 contre, soit une majorité de 62,7 % de contre. Les syndicats invoquent que le quorum de 66% pour le déclenchement d'une grève n'est pas atteint. 300 ouvrières seulement
une délégation du Comité de Grève. Elle accepte l'installation d'une délégation féminine et promet "de revoir fin 1967 la question des classifications professionnelles". Le travail reprend à Charleroi. Le lendemain, aux ACEC Herstal les délégués annoncent la formation prochaine d'une délégation syndicale féminine et font état de la promesse patronale de revoir prochainement les classifications professionnelles. Un référendum à bulletin secret accepte l'accord de la veille à Charleroi. La grève est terminée aux ACEC.
La fin de la grève à la FN Lundi 25 avril. Manifestation de Herstal à Liège. Y participent les grévistes de la FN et de nombreuses délégations d'entreprises, des banques et des grands magasins. Les FPS encadrent le cortège. Au meeting final prennent la parole des responsables régionaux FGTB et CSC, les FPS, les Ligues ouvrières féminines chrétiennes et la présidente du Comité de Grève. Mardi 26 avril. Conciliation au ministère du Travail. Les patrons proposent 2F étalés sur deux ans. Les représentants syndicaux font une contre-proposition: femmes à la journée 3F25 en deux étapes, femmes au rendement 4F25 en trois étapes. Mercredi 27 avril. 10e assemblée des grévistes de la FN. Des ouvrières crient "Grève générale!" Les dirigeants syndicaux font état des propositions patronales mais taisent leurs contre-propositions. L'assemblée est houleuse et la parole n'est pas donnée aux grévistes. Le permanent FGTB déclare ne pas accepter les propositions patronales mais être prêt à négocier. Vendredi 29 avril. Aux Ateliers Schreder à Ans, les délégués annoncent que les patrons concèdent 3,61F d'augmentation étalés sur deux ans et la fin de la discrimination entre les salaires masculins et féminins au 1/1/1968. Les grévistes acceptent par applaudissement. Dimanche 1er Mai. On retrouve dans tous les cortèges le mot d’ordre "À travail égal, salaire égal!" Jeudi 5 mai. Dernière assemblée générale des grévistes de la FN, convoquée d'urgence et présidée par Lambion (FGTB). La direction propose 2F d'augmentation dès la reprise du travail et 0,75F au 1/1/1967. Neuf ouvrières prennent la parole: quatre sont pour la proposition, deux sont contre, et les autres demandent que le vote soit reporté à une autre assemblée. On procède cependant immédiatement au vote à bulletins secrets bien que plus de la moitié des grévistes soient
La lutte pour l'égalité est une longue marche qui est loin d'être finie
histoire rebelle
reprennent le travail à Marcinelle et 250 à Marchienne. Le quotidien Le Peuple (PS) titre: "ACEC: pour la FGTB et la CSC la grève est terminée". Vendredi 15 avril. Peu après la reprise du travail aux ACEC Charleroi, les ouvrières de la Mécanique débrayent à nouveau, suivies par celles de la division Transformateurs. L'après-midi 500 travailleurs, hommes et femmes, de la division Electronique se joignent au mouvement. Aux ACEC Herstal où se tient une assemblée, les dirigeants syndicaux défendent les propositions patronales (2F étalés sur deux ans) et insistent sur le fait que "Liège est isolé" et qu'à Charleroi "ni les ouvrières ni les syndicats ne sont pour la grève". Rires, cris et huées. Les responsables syndicaux s'opposent à un vote à main levée. En fin d'après-midi les événements de Charleroi sont connus. Les ouvrières applaudissent à la reprise de la grève. Les dirigeants syndicaux imposent le référendum et les grévistes exigent de contrôler le dépouillement. Résultat: 92 pour la proposition, 105 contre, 4 abstentions. Une cinquantaine d'ouvrières a refusé de voter. La grève continue. Samedi 16 avril. Changement de tactique du PCB (pro Moscou) aux ACEC Charleroi (où Robert Dussart, membre du PCB, est délégué principal FGTB). Le Comité d'Action s'élargit à des militantes du PCB, et prend le nom de Comité de Grève. Il regroupe une quarantaine d'ouvrières. Une délégation de ce comité rencontre Davister (FGTB) et Doyen (CSC) pour insister sur la légalité de grève ("Nous étions en grève le 13 avril, or pour une grève en cours il suffit d'une majorité simple pour décider de la poursuite de la grève"). Le comité propose aussi de revendiquer 2,50F étalés sur deux ans et exige une assemblée en dehors de l'usine le lundi 18. Refus des permanents syndicaux. Lundi 18 avril. Aux ACEC Charleroi le Comité de grève entraîne les grévistes (80 % des femmes) vers la Maison des 8 Heures où se tient une assemblée. Les délégués syndicaux se rallient à la grève. Accompagnés par cinq ouvrières du Comité de Grève, ceux-ci se rendent au Palais du Peuple pour rencontrer les dirigeants syndicaux. À la fin de la réunion, un communiqué est publié annonçant la constitution d'une représentation syndicale féminine. Mardi 19 avril. La direction des ACEC reçoit les délégués syndicaux et
Rappelons quelques dates: 1949: Les femmes votent pour la première fois aux législatives (30 ans après les hommes!). 1969: La loi sur le contrat de travail interdit le licenciement des femmes pour cause de grossesse ou de mariage. 1971: Egalité des allocations de chômage entre hommes et femmes. 1974: Egalité parentale (avant cela une femme seule qui accouchait devait adopter son propre enfant pour devenir légalement sa mère). 1976: Les femmes peuvent ouvrir un compte bancaire sans le consentement de leur époux. 1990: Dépénalisation partielle de l'IVG (art 350 du Code pénal). En 1966, l'égalité entre les hommes et les femmes est une idée qui est donc loin d'être partagée dans de nombreux milieux: patronat, syndicats, hommes politiques, chez les hommes d'une manière générale mais aussi auprès de nombreuses femmes. ■ absentes. 1.320 votent pour, 205 contre, 20 bulletins sont nuls. La grève des femmes de la FN est terminée...
En conclusion
Si vous êtes révoltées par l'attitude des bonzes syndicaux après avoir lu cet article et que vous n'avez pas déchiré votre carnet syndical, vous êtes sur la bonne voie pour lutter à l'intérieur de votre syndicat à la fois pour la démocratie syndicale, un syndicalisme de lutte et une égalité totale entre hommes et femmes… Mais sur ces trois terrains, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir! ■ (1) Les informations reprises dans cet article proviennent de Lutte de Classe, revue de la Section belge de la Quatrième Internationale, n°9, octobre 1966. (2) Les paroles de ce chant de lutte seront édulcorées par la presse syndicale de la façon suivante: Mais nous les femmes, il faut marcher / Il faut aider nos délégués.
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✒ par Denis Horman "Nous ne sommes qu’au début d’une régression sociale qui vise à liquider ce qui reste de nos acquis sociaux déjà terriblement mis à mal depuis 30 ans (…). L’attaque contre les acquis et l’attaque contre les syndicats sont évidemment liées (…). C’est une véritable guerre qui est lancée contre les travailleurs et les travailleuses (…). L’avenir du syndicalisme se joue ici et maintenant". (Lettre ouverte de la LCR aux syndicalistes, mars 2012)
L’escalade dans l’offensive
Le blocage de la E40 à Herstal, lors de la grève tournante organisée par la FGTB liégeoise le 19 octobre 2015, et les deux décès attribués à ce blocage allaient servir de prétexte à une violente offensive du patronat et des partis du gouvernement Michel-De Wever pour saper le droit de grève et le vider de sa substance. Des médias n’hésitèrent pas à relayer cette offensive: un quotidien de la Cité ardente titrait même "FGTB-Stop"! Déjà en décembre 2014, en prévision de la grève générale du 15 décembre, plusieurs dirigeants d’entreprises avaient lancé un appel en vue d’une action judiciaire pour obtenir préventivement l’interdiction des piquets de grève. Fin 2015, ce sont les partis de la coalition gouvernementale qui sont montés au créneau. Le MR, le parti du Premier ministre Michel, déposait à l’initiative de son président Olivier Chastel et de son chef de groupe à la Chambre, une proposition de loi consacrant le "droit au travail"."Nous ne voulons pas remettre le droit de grève en question, en dépit des excès constatés lors de certaines actions syndicales", tenait à préciser Olivier Chastel, s’empressant toutefois d’ajouter: "Le droit de grève n’est pas absolu: il s’arrête là où le droit au travail commence". La proposition de loi du MR ne touche pas au droit de grève en tant que tel, mais bien à la "liberté de travailler": "Cela implique pour chaque travailleur non gréviste le droit de pouvoir accéder librement à son lieu de travail, d’y circuler et
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d’y accomplir ses activités (…) Toute atteinte illégitime portée volontairement à l’exercice de ces libertés est interdite". C’est de fait l’interdiction des piquets de grève qui se trouve au cœur de cette proposition. La N-VA et l’Open VLD soutiennent cette proposition et vont plus loin. Ces deux partis ont déposé à la Chambre un projet de loi visant à changer le statut des syndicats. L’Open VLD – comme la N-VA – plaident pour doter les organisations syndicales de la "personnalité juridique". Ils estiment que l’on ne peut plus accepter que les syndicats, organisés jusqu’à présent en simples associations de fait, sans responsabilité juridique, échappent à toute obligation de publication de leurs finances.
La personnalité juridique: un missile sur le syndicalisme de lutte!
Interviewé par La Gauche, Francis Gomez, président des Métallos et de la FGTB liégeoise, attire l’attention sur les conséquences de la personnalité juridique: "Cela impliquerait par exemple l’obligation pour les syndicats de révéler les montants financiers dans leurs caisses de grève. Ce serait aussi les rendre responsables des ‘débordements’, des dommages causés et des infractions commises pendant les actions syndicales, avec de lourdes sanctions financières à la clé. Ce serait ni plus ni moins un moyen de briser la capacité d’action du mouvement syndical, de limiter drastiquement sa capacité et ses moyens de résistance".
Groupe des dix – la coupole qui réunit au sommet patrons et syndicats – est d’actualiser et de compléter l’accord non contraignant, le "gentlemen’s agreement" du 18 février 2002, entre employeurs et syndicats. Cet engagement sur l’honneur balisait le comportement des deux parties en cas de grève. Les patrons s’engageaient à privilégier la concertation sociale et à ne pas recourir à la justice en cas de conflit, "aussi longtemps que tous les moyens de concertation n’ont pas été épuisés". Les syndicats s’engageaient à respecter toute la procédure, parfois longue, avant de déclencher un mouvement, et de ne pas couvrir les actions spontanées. Ceci n’avait pas empêché, depuis, des patrons du privé ou d’entreprises publiques ou semi-publiques d’avoir recours aux tribunaux, requêtes unilatérales, huissiers et astreintes. Ni d’engluer, bon gré mal gré, les syndicats dans la concertation sociale, au détriment de plans de mobilisation… Avec les piètres résultats que l’on sait!
Une bombe à fragmentation
Il ne faut pas aller chercher très loin les sources d’inspiration du nouveau protocole présenté au Groupe des dix. Elles émanent des propositions de loi évoquées plus haut, ainsi que des prises de position patronales et gouvernementales. Voici les principales mesures sur lesquelles les "partenaires sociaux" devraient marquer leur accord: –"Épuiser toutes les voies de concertation, médiation et conciliation avant de procéder à des actions collectives (…), en Un nouveau "gentlemen’s complétant les procédures existantes, la agreement" pour le règlement forme, le contenu et le délai pour annondes conflits cer valablement une action, ainsi que les Et le CD&V dans tout ça? Fin octo- mesures qui seront appliquées en cas de bre 2015, son ministre de l’Emploi, Kris non-respect des règles et procédures sectoPeeters, appelait le patronat et les syndicats rielles ou interprofessionnelles…" à se mettre à table pour une "modernisa–La porte largement ouverte à la tion du droit de grève". "L’exercice du droit responsabilité juridique: "Dans le préde grève doit être adapté aux circonstances avis, lors d’une action, mention explicite d’aujourd’hui", déclarait-il dans Le Soir du sera toujours faite des données d’identité 29 octobre 2015; "les gens ont de plus en et de contact d’une personne, ainsi que plus de réticences avec la grève: ils veulent l’organisation qu’elle représente. Seuleexercer leur droit au travail, mais cette ment dans ce cas, le préavis de l’annonce possibilité ne leur est pas toujours laissée". sera valable (…). Cette personne se Concrètement, l’enjeu des discus- porte garante du bon déroulement de sions qui allaient commencer dans le l’action (…) et veillera à prendre toutes
photos: LCR – w w w.flickr.com/photos/image -bank
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Bas les pattes du droit de grève et de la liberté d’action syndicale!
Et maintenant?
"Ce ‘gentlemen’s agreement 2.0’ (!) va à l’encontre des droits les plus élémentaires des travailleurs", nous déclare encore Francis Gomez. "Ce ne sont pas quelques amendements à la marge qu’il faut discuter. C’est le rejet en bloc de ce protocole qu’il nous faut opérer. Car, ce qu’il vise, c’est le démantèlement du droit de grève luimême, de la solidarité de classe; c’est briser
la capacité du monde du travail d’agir en tant que collectif et de construire un rapport de force face à l’offensive du patronat et du gouvernement". Devant la rupture (provisoire!) de la concertation sociale dans le Groupe des dix, le gouvernement a déjà laissé entendre qu’il n’excluait pas le recours à la voie législative pour codifier le droit de grève, son encadrement et son application. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir où ça va nous mener! Il faut tout faire pour empêcher ce type de codification par la loi. Mais l’alternative n’est certainement pas, pour les syndicats, la reprise de la négociation au Groupe des dix, avec le revolver sur la tempe! L’alternative, c’est au contraire de sortir de l’engluement de la concertation dans laquelle les directions de la FGTB et de la CSC sont en train de s’enfoncer de plus en plus profondément. L’avenir du syndicalisme se joue ici et maintenant. Il n’y a pas d’alternative, il faut recréer un climat de mobilisation impliquant la masse des travailleur.euse.s, avec ou sans emploi, du privé et du public, de la FGTB et de la CSC. Seule la lutte de tous, syndicats et mouvements sociaux tous ensemble permettra de barrer la route à cette offensive du patronat et du gouvernement. Autrement dit, il faut chasser ce gouvernement de malheur et imposer un changement de cap fondamental, anticapitaliste! ■
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les précautions nécessaires pour prévenir des actes illégaux et/ou juridiquement punissables visés au point 1". –Le point 1 touche aux piquets de grève, vidés de leur mission, de leur fonction: "Les partenaires sociaux désapprouvent fermement des actes comme, par exemple (1) les blocages d’autoroutes (déjà interdits par le Code pénal!), mais aussi les zonings industriels (…); (2) "Le piquet de grève qui s’accompagne de violences ou d’entraves à la liberté du travail par contrainte exercée sur les non-grévistes ( …); le droit de grève doit s’exercer dans le respect de la liberté du travail des nongrévistes (…), ainsi que du droit pour la direction de l’entreprise de pénétrer dans les locaux". –Et pour conclure,"il appartient aux pouvoirs publics, en cas de dérapage ou d’actes illicites, d’assumer leurs responsabilités et d’intervenir de manière appropriée, en vue d’y mettre fin"!
Les piquets de grève encore plus nécessaires aujourd’hui qu’hier!
"Nous respectons le droit de grève, mais celui-ci ne peut plus être exercé comme dans les années 80 et 90", nous dit-on en substance et sur un ton mielleux, et cela au nom du droit et "la liberté du travail". En vérité, les piquets de grève sont encore plus nécessaires aujourd’hui qu’hier. Sans ces piquets devant leur entreprise, un nombre croissant de travailleurs et de travailleuses ont peur de faire grève. Surtout dans les PME: les travailleurs intérimaires, à temps partiel, avec contrats à durée déterminée, avec une part de la rémunération soumise au bon vouloir de la hiérarchie hésitent deux fois plutôt qu’une à faire grève, alors qu’ils et elles ont encore bien plus de raisons de se mettre en grève! ■
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Quand la SNCB harcèle un délégué syndical: solidarité avec Jordan! ✒ par Guy Van Sinoy Jordan Croeisaerdt, 35 ans est accompagnateur de train à la SNCB depuis 12 ans. Son job, il l’adore. Il aime rappeler que la SNCB est l’une des dernières sociétés nationales en Belgique et qu’il est important de sauvegarder ce service public. Il est aussi militant CGSP Cheminots et délégué CPPT (Comité pour la Prévention et la Protection au Travail). Son père, pensionné, était poseur de voies et délégué CGSP. Voici comment Jordan conçoit son travail de délégué.
Faire participer collectivement les collègues
"En théorie, le travail d’un délégué CPPT est de siéger en réunion tous les mois pour tout ce qui concerne la protection au travail. Mais pour moi, avant d’être délégué, je me considère d’abord comme un militant. Je ne m’arrête pas à la théorie. Il y a tout un travail qui doit être fait à la base, avec les affiliés et les affiliées, pour relayer au mieux leurs revendications, les faire participer à l’argumentation et la défense de leurs problèmes pour impliquer au maximum les collègues et arriver en force lorsque je siège au CPPT."(1)
Mener la bataille de l’information
"Lorsque nous préparons une grève nous travaillons et mettons beaucoup d’énergie sur l’information. Quand j’observe la façon dont les médias parlent des grèves, je suis scandalisé. Lors de la dernière action, j’ai été interviewé par quatre ou cinq médias différents. Pas un mot, pas une ligne n’a mentionné nos revendications. La seule chose qui les intéressait, c’était de faire du sensationnel ('sabotage du rail' ou 'prise d’otage des voyageurs'). Le message syndical, qui est avant tout le message du personnel est passé à la trappe! Je me dis parfois qu’il faudrait arrêter de jouer le jeu des médias de masse qui détournent nos informations et utiliser nos propres moyens de diffusion de l’information (You tube, Facebook, etc.) Comme le font les opposants dans les pays
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où n’existe aucune liberté d’expression".
La grève du rail du 6 et 7 janvier
Face aux nouvelles mesures de recul social annoncée par Jacqueline Galant (baisse de la dotation publique, hausse de la productivité, pertes d’emplois, atteintes au statut du personnel, attaques contre le droit de grève, la CGSP Cheminots et la CSC Transcom avaient, dès le mois de décembre 2015, déposé en front commun un préavis de grève générale du rail de 48 heures, les 6 et 7 janvier. A la dernière minute les ailes flamandes des deux syndicats (ACOD Spoor, ACV Transcom) ont décidé unilatéralement de ne pas faire grève. Résultat: la grève a été quasi-totale en Wallonie, peu suivie en Flandre sauf à Anvers, partielle à Bruxelles où la direction d’Infrabel a eu recours aux tribunaux et aux huissiers pour restreindre l’impact de la grève et permettre aux trains de navetteurs qui circulaient en Flandre d’arriver dans les gares de la capitale.
La division syndicale facilite le recours aux tribunaux
Cette division syndicale est un poison mortel qui permet aux employeurs de recourir plus facilement aux tribunaux de Première instance où des juges peu scrupuleux (les tribunaux civils sont incompétents dans les conflits sociaux qui ont un caractère collectif) prennent des ordonnances en référé assorties de lourdes astreintes pour disperser les piquets de grève. On a pu le vérifier en octobre 2015 lors de la grève du rail de 24 heures (où seule la CGSP faisait grève) et lors de la grève des centres de tri postaux (où seule la CSC faisait grève). Chez Bpost, la direction s’était même permis de violer la loi en mettant au travail des intérimaires pendant la grève!
Quand les juges ne respectent pas la loi…
En octobre 2015, les huissiers s’étaient présentés au piquet de grève de la cabine de signalisation de la gare du Midi munis d'une ordonnance interdisant l’accès aux installations. Deux responsables syndicaux de l’Interprofessionnelle FGTB, venus sur place en solidarité, avaient réceptionné l’ordonnance pour pouvoir introduire un
appel en justice. Pour la grève du 6 et 7 janvier, l’ordonnance avait été prise par un juge avant les vacances de fin d’année dans des conditions surréalistes. En effet, pour que la procédure judiciaire soit respectée, l’urgence est une exigence essentielle pour pouvoir prendre une mesure en référé. Cette exigence est même d’ordre public et ne peut en aucun cas être écartée (2). L’ordonnance, prise en décembre 2015 et dirigée contre des piquets de grève qui n’existaient pas encore (la grève devait se dérouler les 6 et 7 janvier) ne respecte pas la loi. De plus elle ne respecte pas le caractère urgent puisque entre la mi-décembre et le 6 janvier des éléments nouveaux de la négociation syndicale avec la ministre Galant pouvaient encore intervenir. Inutile de dire que Jacqueline Galant, en cette fin d’année 2015, a pris soin de ne pas tenter de relancer la concertation et de laisser pourrir la situation. Elle misait exclusivement sur les mesures coercitives pour "mener le dialogue social". Preuve de plus qu’elle n’a pas sa place à la tête d’un grand service public (3).
Des huissiers déguisés en cowboys
Les 5 et 6 janvier 2016, l’huissier Célestin Plugers, s’est présenté, accompagné d’adjoints, aux différents piquets de grève mis en place gare du Midi à Bruxelles. Le 6 janvier dans la matinée, il était présent dans la matinée au piquet devant l’entrée principale du bâtiment d’Infrabel qui abrite le centre de régulation de la circulation ferroviaire (85 rue de France). Plusieurs dizaines de militant/es syndicaux étaient sur place. L’huissier n’a relevé aucune identité (il n’en a d’ailleurs pas le droit) et n’a signifié aucune ordonnance à quiconque. Aucun officier de police n’a relevé d’identité. Mais une astreinte de 1.000 euros (1.668,89 euros avec les frais d’huissier!) pour non respect d’une ordonnance de justice a été présentée au domicile du camarade Jordan Croeisaerdt. Qui a communiqué l’identité et le domicile du camarade Jordan à l’huissier? Poser la question c’est y répondre. Infrabel accuse
syndical-social le camarade Jordan "d’avoir bousculé un directeur et d’avoir eu un comportement violent à l’égard d’une femme enceinte". Le scénario le plus probable est qu’Infrabel a noté (et peut-être même photographié et filmé) les cheminots qui se trouvaient aux différents piquets, pour ensuite en remettre la liste aux huissiers en recommandant de s’acharner particulièrement sur certains et en particulier sur le camarade Jordan. De surcroît l’ordonnance semble irrégulière car l’adresse de l’endroit concerné (85 rue de France) n’y figure pas. Notons aussi que le bâtiment possède plusieurs entrées (notamment rue Bara) et que ceux et celles qui ont tenté d’entrer par le 85 rue de France l’ont fait uniquement pour provoquer le piquet.
photomontage: Little Shiva
Procédure inquisitoire et acharnement contre un délégué
Mais ce n’est pas tout. Le 26 janvier, Jordan a été convoqué par sa direction pour être mis "hors sécurité"(mise à pied) et interrogé sur la présence d’une équipe de journalistes dans les locaux de la SNCB pendant la grève. Plusieurs dizaines de camarades se sont rassemblés ce jour-là devant les bureaux de la direction pour protester contre ce harcèlement moral. Début février, des responsables de la SNCB ont procédé à la fouille, sur le lieu de travail, de l’armoire personnelle de Jordan,
en son absence. Il s’agit d’une violation de l’art. 22 de la Constitution et de la Convention européenne des Droits de l’Homme car le respect de la vie privée est garanti et étendu au lieu de travail. Le 18 février, Jordan Croeisaerdt a à nouveau été convoqué par sa direction. Visiblement une étape supplémentaire pour essayer de casser son moral.
Se battre sur deux fronts
Le camarade Jordan a bien entendu reçu le soutien de sa centrale syndicale. La FGTB Wallonne a immédiatement apporté son soutien et deux actions en justice ont été introduites: l’une contre l’astreinte (devant le juge des saisies), l’autre contre l’ordonnance proprement dite. Un Comité de soutien à Jordan a vu le jour, a lancé une pétition et propagé l’idée d’un meeting de soutien. Il est clair que le tribunal n’est pas le lieu privilégié où les travailleurs peuvent défendre le mieux leurs droits. Comme l’écrit Jordan sur sa page Facebook: "Le Code pénal empêche les pauvres de voler les riches… le Code civil permet aux riches de voler les pauvres…" Il n’empêche qu’il faut se battre pied à pied pour y défendre ses droits. Il est important de mobiliser le plus largement possible aux audiences. Prochaines audiences les 1er et 4 avril à 9 heures (Tribunal de Première Instance,
rue des Quatre Bras 14, 1000 Bruxelles). Le plus important est cependant le développement de la campagne de solidarité. Le vendredi 11 mars à 19h30, la Formation Léon Lesoil organise en collaboration avec la LCR une conférence à la FGTB de Liège (Place St-Paul) où Jordan prendra la parole. Le vendredi 18 mars à 18h, à l’initiative du Comité de soutien, un grand meeting pour le droit de grève, organisé par la CGSP de Bruxelles (Cheminot, ALR, Enseignement) aura lieu rue du Congrès 17, 1000 Bruxelles. Prendront notamment la parole: Marc Goblet, Jordan Croeisaerdt, un de ses avocats et des syndicalistes de Goodyear (France) poursuivis par les tribunaux pour faits de grève. Ne laissons pas passer une telle provocation sans réagir! Sans quoi, demain, dans n’importe quel secteur et dans n’importe quelle entreprise, des huissiers déguisés en cowboys ou en livreurs de pizzas viendront délivrer des astreintes à domicile sans même que l’identité des grévistes et les faits ne soit établis. ■ (1)"Interview de Jordan Croeisaerdt, cheminot et délégué syndical CGSP", 1er janvier 2016, anticapitalisme.be. (2) Tribunal civil de Nivelles, 17 mars 1992 (Journal des Tribunaux, 1993, p. 109). (3) A propos de Jacqueline Galant, lire notre article dans La Gauche n° 75, p.16, " Sauvée par la N-VA et par Daesh".
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Menace d’exclusion de la CGSP à récupérer, au lieu de 80€ brut en sursalaire et 1 jour à récupérer. (1) La CGSP nationale reproche à notre Notre camarade Guy Van Sinoy, militant FGTB de longue date, ancien délégué camarade non pas d’avoir exercé son de la Centrale Générale, et par la suite droit à la liberté d’expression, mais d’avoir de la CGSP, est menacé d’être exclu de la signé le message de son nom, accompagné CGSP. Et donc de la FGTB. Pour toutes de la mention "un militant CGSP en celles et tous ceux qui le connaissaient colère", ce qui, selon eux "engagerait la (tant à la FGTB qu’à la CSC), c’est une CGSP". C’est évidemment de la foutaise! Si les dirigeants de la CGSP doivent surprise de taille. La direction nationale de la CGSP lui parfois mordre sur leur chique et garder reproche d’avoir publié sur internet un un silence de réserve quand certains message très critique sur les dirigeants secteurs commettent des boulettes grosses de la CGSP-Poste qui avaient signé un comme des maisons, ce devoir de réserve accord rabotant les salaires dans les ne concerne évidemment pas les simples affiliés qui ont le droit à la parole, en tant centres de tri. que militants de base de leur syndicat et Quelques exemples: pas en tant que citoyen lambda. –Pour un travail de 3h48 le samedi Il s’agit d’une mesure d’intimidation au service colis: perte de salaire de 25€ à l’encontre de tous ceux et de toutes celles pour un statutaire, perte de 15,08€ pour qui, en bas, en ont marre de l’attentisme un distributeur auxiliaire (DA, payé des directions syndicales alors que le à 10,58€ brut de l’heure). Et pour les gouvernement Michel détruit des dizaines contractuels ce temps de travail ne d’années de conquêtes sociales. Ne nous compte pas pour la pension. laissons pas intimider! Osons dire tout –Pour un travail au CTI commençant haut ce que beaucoup pensent tout bas! le dimanche à 21h30: un DA recevra Notre camarade, de son côté, con26,42€ brut en sursalaire et 2h30 tinuera bien entendu à exprimer son
✒ par Florence Dupin
Oui à la privatisation?
point de vue. Reste à voir si à l’avenir il continuera à signer ses articles en tant que "militant CGSP en colère" ou bien en tant qu'"ex-militant CGSP en colère et exclu pour avoir exercé sa liberté de parole". ■ (1) Voir à ce sujet: www.lcr-lagauche.org/ la-greve-dans-les-centres-de-tri-de-bpost/ et www. lcr-lagauche.org/responsables-nationaux-de-lacgsp-poste-quattendez-vous-pour-aller-travailler-leweek-end-dans-les-centres-de-tri/
seulement pour la distribution du courrier. Guy Van Sinoy Où sont passés la CGER, le Crédit communal, le Crédit à l’Industrie, Belgacom, Pour être capables de s’opposer la Régie des Voies aériennes, la Sabena, aux privatisations, les syndicats doivent la Régie des Transports maritimes? Et non seulement rompre avec le social✒ interview de Guy Van Sinoy demain sans doute la SNCB? libéralisme du PS (Di Rupo a amorcé la privatisation de Belgacom en 1994) Comment expliquer cela? Florence Dupin: Pourquoi la Depuis 1945, le contexte politique a mais pouvoir élaborer un programme direction de la CGSP-Poste changé. Au moment de la déclaration de anticapitaliste alternatif, le populariser accepte-elle des baisses de Principes de la CGSP, l’Armée soviétique largement et entamer une lutte concrète salaire? Pour rester compétitif occupait la moitié de l’Europe, des partis pour le réaliser. En 2014 la FGTB de sur le marché? N’est-ce pas communistes puissants existaient en Charleroi a élaboré un tel programme. Il suicidaire pour un syndicat? Europe de l’Ouest et les militants commu- a cependant été mis de côté par les autres régionales de la FGTB. Guy Van Sinoy: Quand on se rend nistes avaient un poids réel dans la CGSP. Face au rouleau compresseur du sur le site de la CGSP-Poste, on tombe Georges Debunne a d’ailleurs consacré néolibéralisme, sans réarmement proen quelques clics sur le cours de l’action toute son énergie à combattre l’influence grammatique, les syndicats courent à Bpost en bourse. Étonnant, non, pour un communiste dans la CGSP. Au début des l’abattoir. Et s’ils se résignent aux privasyndicat? On est évidemment à des mil- années 1990, changement total de décor: tisations, ils en arrivent parfois à détruire lénaires de la Déclaration de Principes l’URSS s’effondre, est livrée au pillage leur propre aile gauche. J’ai notamment de la CGSP de 1945 qui revendiquait "la des oligarques, les idéologues bourgeois en mémoire la décapitation en 1998, par nationalisation des transports publics, de proclament la "Fin de l’Histoire", l’Union les dirigeants de la CGSP Télécom, de toute l’électricité, du gaz, ainsi que la socialisa- européenne impose à coup de directives la délégation CGSP Belgacom Liège (Guy une privatisation du secteur public. tion des entreprises d’intérêt public et des Lemaire, Olivier Paulus, Jean-Louis Claesgrands trusts bancaires". On mesure le Ces privatisations n’étaientsens, Henri Bartholomeus et d’autres) qui luttait contre la privatisation. ■ chemin parcouru en sens inverse. Et pas elles pas inéluctables?
16 la gauche #76 mars-avril 2016
Elections sociales et crise du syndicalisme ✒ par Florent Gallois
photos: LCR – w w w.flickr.com/photos/image -bank
Dans un contexte catastrophique…
Salaires bloqués, acquis rognés, conditions de travail dégradées, statuts effilochés. Flexibilité galopante, discriminations croissantes – celle des femmes en particulier. À tous ces reculs encaissés au boulot s’ajoutent les effets des mesures contre les "inactifs" de la classe ouvrière: les jeunes, les sans-emploi, les malades, les pensionné.e.s. Sans oublier les attaques contre les services publics, la politique fiscale (les riches plus riches et les pauvres plus pauvres) et la "politique d’asile"(l’aubaine d’un tiers-monde et d’une "délocalisation à domicile" pour les patrons). Le monde du travail est attaqué sur tous les fronts: le front de la relation directe entre travailleurs et employeurs, le front de "l’armée de réserve" (la droite cherche à la grossir et à "l’activer" toujours plus efficacement), et le front des solidarités globales, de la redistribution des richesses (y compris le droit à l’asile). Objectif ultime de cette offensive capitaliste: balayer les conquêtes sociales et démocratiques, ramener la classe ouvrière à l’état d’atomisation du 19e siècle. Les syndicats constituent un obstacle à la réalisation de ce projet. La classe dominante en est consciente. C’est pourquoi elle développe une tactique qui consiste à agresser violemment les syndicalistes qui résistent, tout en expliquant que l’agression cessera si les syndicats acceptent de coopérer à la politique patronale. Cette coopération est appelée "concertation", pour rassurer. Mais, en fait, il ne s’agit même plus de cela. La concertation, c’est la collaboration à la réalisation d’objectifs communs. Selon nous, la concertation fut toujours un jeu de dupes. Mais u ne chose est certaine: aujourd’hui, les objectifs de la négociation sont de plus en plus ceux de la classe dominante. C’est le cas dans les entreprises, bien sûr, mais aussi aux niveaux sectoriels et interprofessionnels. Deux facteurs aggravent la situation. 1°) Les syndicats n’ont plus "d’amis
politiques" à aiguillonner pour tenter d’améliorer la concertation. Démocratie chrétienne et social-démocratie sont gangrenées par le néolibéralisme. On l’a bien vu sous le gouvernement Di Rupo, et on continue à le voir avec le CD&V aujourd’hui au sein du gouvernement Michel. 2°) La CES. Elle devrait coordonner l’action au niveau européen, mais ne le fait pas. Cette CES, en fait, est un acteur de la "gouvernance" néolibérale, pas un organe de défense des travailleurs/euses. De tout cela, nos syndicats devraient conclure qu’un changement de stratégie est nécessaire et urgent. La stratégie de concertation, de collaboration à l’Union européenne (UE) et d’aiguillon sur les "amis politiques" a fait son temps. Elle met le syndicalisme en crise et le pousse dans une impasse où il risque l’écrasement. Une nouvelle stratégie devrait combiner quatre éléments: lutte de classe, convergence avec les autres mouvements sociaux, internationalisme et contribution à l’émergence d’une nouvelle représentation politique. Malheureusement, ce n’est pas dans ce sens-là que s’orientent les directions majoritaires de la FGTB et de la CSC. À l’automne 2014, leur plan d’action avait soulevé un véritable espoir. Chacun a vu que les 3,5 millions de syndiqué.e.s constituent une force potentielle énorme. Mais certains dirigeants semblent avoir encore plus peur de cette force que des patrons et du gouvernement… Le plan d’action a été sacrifié sur l’autel de la "concertation". Elle n’a rien rapporté aux travailleurs/euses. Par contre, elle a permis au gouvernement d’échapper à la chute, d’abord, puis d’exploiter les attentats terroristes pour faire progresser ses projets antidémocratiques et antisyndicaux, en détournant l’attention de l’austérité…
… Plus que jamais, votons pour des syndicalistes de combat!
Voilà le contexte des élections sociales. Elles ne concernent qu’un quart des salarié.e.s, mais il est d’une importance stratégique qu’ils/elles se mobilisent, dans les deux grands syndicats, pour élire des candidat.e.s combatifs. Qui se considèrent comme les représentant.e.s des travailleurs/euses face au patron, pas
Février 1975: les travailleurs du verre en colère ont envahi les bureaux d'une multinationale à Paris. André Henry (au micro) et ses camarades ont été les acteurs de cette lutte exemplaire. André a écrit ses mémoires, qui retracent une des plus belles pages de l’histoire du mouvement ouvrier après-guerre: L’épopée des verriers du Pays noir. www.lcr-lagauche.org/category/rubriques/ livre-andre-henry/ comme ceux d’une bureaucratie. Qui organisent des assemblées sur les lieux de travail et respectent le mandat de la base. Qui cherchent l’unité d’action, dans leur entreprise, leur secteur et au niveau interprofessionnel. Qui luttent contre la précarisation, les sous-statuts, l’intérim. Qui refusent le racisme, l’islamophobie, le sexisme et toutes les discriminations. Au CE, il s’agit d’anticiper au maximum la stratégie patronale. Il faut veiller à ce que l’information soit donnée effectivement, et la recouper à partir du vécu des travailleurs/euses, du suivi de la presse, des contacts avec les collègues d’autres entreprises, le cas échéant. Le CCPT est au moins aussi important. L’offensive capitaliste n’est pas un concept abstrait: elle se traduit par une dégradation générale des conditions de travail et donc aussi par des attaques concrètes contre la santé. Il s’agit de choisir des candidat.e.s qui ne se soucient pas seulement des ampoules grillées mais qui ont une démarche active d’investigation et de contrôle axée sur le bien-être physique et psychique des collègues. Tout cela demande un travail d’équipe, coordonné – c’est la tâche de la délégation syndicale. Renforcer de telles équipes est décisif pour l’avenir! ■ la gauche #76 mars-avril 2016
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droits humains
Ciel tourmenté sur les droits des réfugié.e.s à la Côte (et éclaircies possibles) ✒ par Matilde Dugaucquier
Déshumanisation rime avec répression
Déshumanisation rimant bien avec répression, en certains endroits des personnes interpellées ont été marquées
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à l'encre indélébile et les points de distribution d'aide alimentaire dispersés. Le désormais célèbre gouverneur de la province a pour sa part appelé les habitant.e.s et les associations à ne pas "nourrir les réfugiés", perpétuant la métaphore qui consiste à comparer ceux-ci à des mouettes. Fin février, Jan Jambon invoquait pour sa part, et comme cela est d'usage, une "menace grave pour l’ordre public et la sécurité intérieure" afin de pouvoir déroger à Schengen et rétablir les contrôles aux frontières avec la France. Cette mesure et le déploiement de 290 policiers ont, à l'heure d'écrire ces lignes, permis d'intercepter quelques dizaines (224) d'exilé.e.s supplémentaires en une semaine. Ce n'est "pas mal" mais ce n'est certainement pas la "menace grave" à laquelle on s'attendait. La palme du racisme décomplexé revient très clairement au bourgmestre de Knokke, le (comte!) CD&V Léopold Lippens qui, le 24 février dernier, déclarait à Sudpresse en avoir raz-le-bol "qu’on ne parle plus que des migrants, de l’EI, des musulmans". Comme solution, il envisageait l'ouverture d'un Guantanmo pour "illégaux"(la torture en moins) et des expulsions accélérées, traitant au passage les "Français" de "SainteNitouche" pour leur gestion de la frontière, louant le travail de la NV-A sur le dossier migration (à l'opposition des "socialistes" avec lesquels nous aurions eu "80 000 illégaux en plus" qui, en l'espace d'un an,
auraient pu obtenir "des cartes de séjour et le droit de vote"[sic.]). Le comte regrettait également la bonne époque de l'Europe à neuf et des frontières fermées et mettait en garde contre l'islamisation du continent: "Il y a trois millions de musulmans qui veulent arriver en Europe. Supposons qu’ils aient trois enfants. Ils seront 20 millions de plus dans 20 ans puis, un jour, ils seront 100 millions".
Un petit accent médiéval
Ce qu'il y a de positif avec cette déclaration, c'est qu'elle met en exergue le caractère profondément réactionnaire, raciste, islamophobe et sexiste ("SainteNitouche") de l'idéologie d'une noblesse foncière (la famille Lippens notamment) profondément imbriquée dans le capitalisme et le jeu politique belges, qui lui donne son petit accent médiéval tellement rafraîchissant. Le comte fait au passage étalage de son ignorance profonde du droit international et des droits des personnes migrantes, du bilan du gouvernement dit "socialiste" sur le dossier migration entre 2011 et 2014 (le dossier en question avait été confié à l'Open VLD Maggie De Block qui était parvenue à réduire le nombre de demandes d'asile à un niveau historiquement bas) et du droit électoral dans notre pays. En ce sens, il est étonnant que le secrétaire d’État à l'asile et à la migration Théo Francken n'ait pas suggéré un cours d'intégration à ce monsieur, mais passons. À l'heure d'écrire ces lignes, la
photos: Chichi Povitch / dessin: Arnold De Spiegeleer
Quiconque lit la presse francophone n'a pu passer à côté: suite à l'annonce (et la mise en application) du démantèlement de la Jungle de Calais par les autorités françaises, des centaines d'"illégaux" et "clandestins" s'apprêteraient à "prendre possession" de la Côte belge afin de "s'infiltrer" dans les camions et ferrys qui traversent la Mer du Nord vers la Grande-Bretagne. À la mi-janvier, les dix bourgmestres de la Côte et le gouverneur de Flandre occidentale Carl Decaluwe (CD&V) en venaient ainsi à "demander du renfort" auprès du ministre de l'Intérieur Jan Jambon (NV-A). Cela afin de se prémunir de "tentatives" (forcément insidieuses) d'établir sur notre beau littoral un camp similaire à ceux de Calais et Grande-Synthe (près de Dunkerque), ce qui provoquerait des "dégradations" irréparables et nuirait irrémédiablement à la saison touristique et à l'industrie du transport dans la région. La déferlante répressive et raciste ne s'est évidemment pas faite attendre. Déjà avant "l'appel à l'aide" des bourgmestres, environ 700 exilé.e.s en transit avaient été appréhendé.e.s à la Côte en quelques semaines. Depuis lors, les interpellations et la destruction de bivouacs éphémères se sont intensifiées, en particulier à Furnes et à Zeebruges, localités les plus "touchées" du fait de leur parking autoroutier et port maritime respectifs. À terme, les bourgmestres voudraient voir installé un centre mobile pour enregistrer de force les personnes interpellées, comme cela se fait en Hongrie, et la désignation d'un fonctionnaire de l'Office des étrangers pour la Flandre occidentale.
Une mobilisation européenne réussie
Heureusement, comme cela est souvent le cas dans pareil drame, il y a une lumière au bout du tunnel. Le 27 février dernier, suite à un appel européen émanant du camp de Calais, quelques milliers de personnes se réunissaient dans les rues de Bruxelles pour demander des voies de passage légales, une protection tout au long du trajet sur le continent européen et des conditions d'asiles renforcées. Dans le contexte actuel, ces mots d'ordres apparaissent comme clairs et pertinents, et la mobilisation bruxelloise peut être considérée comme une réussite, signalant que le beau mouvement né au mois de septembre n'est pas mort. La mobilisation fût aussi une réussite au niveau européen puisque ce sont 120 villes dans 28 pays qui ont manifesté ce jour-là. Côté flamand,
le fait que la radicalisation droitière du discours des élus de la Côte s'accompagne de tentatives d'implantation dans la région du mouvement "anti-islam" Pegida ne doit pas surprendre. Mais cela provoque également un sursaut au sein du mouvement de solidarité dont les composantes flamandes étaient jusqu'à présent essentiellement actives au sein des camps de Calais et de Grande-Synthe. Ainsi, la manifestation organisée le 6 mars dernier à Zeebruges par Pegida s'est-elle accompagnée d'une contre-manifestation à laquelle participaient des groupes tant flamands que francophones. Idéalement, cette mobilisation commune devrait permettre aux forces actives de se recomposer pour affronter l'été. Car avec le retour du printemps et l'intensification attendue des tentatives de traversées en Mer du Nord, une confrontation directe avec la politique menée à la Côte est probable et souhaitable. Si l'instauration d'un camp d'exilé.e.s n'a jamais été un scénario idéal du point de vue de ceux-ci, il a jusqu'à présent été le moyen le plus efficace pour infléchir les politiques répressives honteuses du gouvernement et rallier un maximum de citoyen.ne.s lambda à la lutte, de manière à pouvoir aborder avec elles/eux des questions fondamentales telles que la politique migratoire européenne, Frontex, la liberté de circulation, le sort des "sanspapiers", etc.
Auto-organisation des réfugié.e.s
Autre élément en jeu, et non des moindres: en Europe, partout où les exilé.e.s ont fait face à la violence policière et aux dispositifs répressifs, ils et elles se sont insurgé.e.s et autoorganisé.e.s. À travers toute la "route des Balkans", ils/elles ont manifesté à chaque
droits humains
dernière mesure répressive envisagée par la majorité N-VA-CD&V-Open VLD consiste à aggraver les peines infligées à toute personne qui entre illégalement dans un port: jusqu'à deux ans de prison en cas de dégradation de clôture et quatre en cas de récidive. Un projet de loi a été déposé en ce sens. De toute évidence, si le ralliement d'une frange des élus CD&V aux positions de la N-VA en matière de migration (voire le dépassement de celles-ci) semble causer du rififi au sein du parti – de la même manière que les gesticulations du bourgmestre Open VLD de Coxyde, Marc Van den Bussche, ont fait sourciller certains libéraux flamands – cela ne suffit pas à déstabiliser une majorité qui maintient et renforce sa ligne sur ce dossier. Et tout cela se passe dans le mépris impuni des droits et de la dignité élémentaires des exilé.e.s et sous le regard hébété d'un mouvement de soutien aux réfugié.e.s désemparé face à la violence de la situation.
point de passage bloqué, dénonçant souvent le caractère déshumanisant et raciste du contrôle des frontières. Entre la Grèce et la Macédoine, où les personnes restent coincées par dizaines de milliers, des barrières ont carrément été enfoncées. En Grande-Bretagne, ils/elles ont dénoncé haut et fort leur marquage par des signes distinctifs. Le démantèlement de la Jungle de Calais a donné lieu à un appel des réfugié.e.s de Paris à manifester dans les rues de la capitale française et à ne pas renoncer à leurs droits les plus élémentaires. Chez nous, nombreux/ses sont les réfugié.e.s impliqué.e.s dans les mouvements de solidarité, notamment au sein de la plate-forme citoyenne née de la mobilisation de septembre. Jusqu'à présent, la seule solidarité déployée à Zeebruges a émané de l’Église catholique et pris la forme d'une aide humanitaire s'adressant à des exilé.e.s considéré.e.s comme des objets passifs et vulnérables qu'il conviendrait de protéger. Mais si les réfugié.e.s sont effectivement en recherche d'une "protection" légale, les événement récents rappellent qu'ils/ elles sont les sujets principaux de la lutte pour la conquête de leurs droits et de leur dignité. C'est sans doute cette sortie de la posture de victime passive, pour faire irruption dans le jeu politique, qui est le développement le plus inquiétant du point de vue des autorités à travers toute l'Europe... et le plus prometteur pour le mouvement de solidarité. ■ la gauche #76 mars-avril 2016
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nucléaire
Aidez-nous à arrêter définitivement les réacteurs nucléaires Tihange 2 et Doel 3 ✒ par Correspondant Depuis ses débuts, la LCR (et avant cela le POS et la LRT) participe activement au combat pour la fermeture des centrales de Tihange 2 et Doel 3. Nous nous battons pour sortir du nucléaire, à cause du danger immédiat que posent certains réacteurs, et à cause des dangers que posent les déchets à très, très long terme. Nous ne voulons pas tenir compte des intérêts des 1% de la population ni des gouvernements qui possèdent ensemble presque toutes les actions Electrabel. Ce gouvernement est antisocial et pro nucléaire. Il ne pense qu’à rendre les riches plus riches, le plus rapidement possible. Il ne tient pas compte de la sécurité des citoyen.ne.s ni du long terme. Il se cache lâchement derrière les études de l’Agence fédérale de Contrôle nucléaire (AFCN), qui devrait être le chien de garde des citoyen.ne.s contre le danger nucléaire, mais qui se comporte en réalité comme le toutou de Madame Engie. Nous invitons chacun.e à participer à cette mobilisation, en soutenant financièrement l’action judiciaire entreprise courageusement par l’ASBL Nucléaire Stop Kernenergie. Même le plus petit don est le bienvenu. Nous reproduisons ci-dessous leur appel.
Appel de Nucléaire Stop Kernenergie
Nous faisons appel à votre solidarité pour nous aider à arrêter les réacteurs Tihange 2 et Doel 3 dont les cuves comportent de milliers de microfissures. En effet, nous avons dû constater que le ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, en charge de la sécurité nucléaire dans notre pays, s’est montré indifférent à la remise de la pétition de 166.000 signatures qui réclamaient l’arrêt définitif de Tihange 2 et Doel 3. Nous avons dû constater aussi que nos multiples autres démarches pour obtenir une expertise indépendante n’ont pas été entendues. Nous estimons que l’Agence fédérale de Contrôle nucléaire se
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Manifestation le 17 avril à 14h STOP Tihange 2 Doel 3 PRESTO! départ gare Liège-Guillemins info: 04 76 / 34 99 33 stop-tihange.org nucleaire-stop-kernenergie.org Remember Fukushima! comporte davantage comme le gardien des intérêts d’Engie/Electrabel que comme l’instrument de la protection des citoyens face aux différents risques nucléaires. Comme vous pouvez le suivre dans les médias, nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter. Les réactions viennent de partout et notamment du Luxembourg, de la Hollande et de l’Allemagne. Nous nous sommes donc adressés au tribunal de première instance de Bruxelles à travers l’ASBL Nucléaire Stop Kernenergie pour demander en référé l’arrêt des réacteurs Tihange 2 et Doel 3 en attendant une expertise indépendante. Une seconde requête, portée par plusieurs dizaines de particuliers est en cours de préparation. Ces requêtes coûteront cher. Nous devons compter les frais de procédure, d’expertise et d’avocats. Nous nous attendons à un coût total situé entre 12.000 et 50.000 euros en fonction du parcours en justice. Nous avons besoin de vous pour réunir cette somme. Chaque virement est extrêmement important, quel qu’en soit le montant, et sera apprécié. Toute somme dépassant le coût de notre action sera utilisée exclusivement pour une action antinucléaire en Belgique. Vous trouverez sur notre site www.not2d3.be plus d’informations. Voici ce que vous pouvez faire pour nous aider: Virer aussi rapidement que possible ce que vous pouvez (les nombreuses petites sommes sont importantes) au compte réservé à cet effet: IBAN: BE98 5230 8078 3493 BIC: TRIOBEBB de Nucléaire Stop à Blegny
à lire... Maman noire et invisible Avec l'auteure Diaratou Kebe et la militante Fania Noel, à partir des thèmes de ce livre la conversation s'ouvrira sur les questions de la négrophobie et la misogynoir en France. L'aventure de la maternité vue par une maman noire en France: grossesse, éducation, et surtout... discrimination et racisme! Pourquoi ce livre? Parce que Diariatou Kebe, une jeune femme noire française, ne se "voit" nulle part dans les magazines, dans les livres, à la TV: rien pour ses cheveux, sa peau, son masque de grossesse, ses vergetures, etc. Alors, à la naissance de son fils, elle crée un blog qui aborde la maternité et l'éducation d'un bébé noir dans la France d'aujourd'hui. Son blog est devenu un livre. Avec humour, l'auteur nous parle de son quotidien, de ses interrogations et lève le voile sur un racisme de tous les instants, dans un pays qui se veut tolérant. Entre guide et essai, le livre de cette maman noire pose un regard étonnant sur la société. ■ Diaratou Kebe (2015) Maman noire et invisible. Paris, éditions La Boîte à Pandore 13,90 €, à commander à la Librairie La Brèche: www.la-breche.com
✒ par Christine Poupin (Paris) Jamais depuis les trente dernières années, pourtant riches en contre réformes néolibérales, un gouvernement n’avait autant fait la preuve que régression sociale et régression démocratique sont indissociables. Etat d’urgence, déchéance de nationalité, destruction du Code du Travail, le gouvernement Hollande-Valls fait plus fort, plus systématique et plus brutal que tous ceux qui l’ont précédé.
photomontage: Little Shiva
Après les attentats du 13 novembre, la "stratégie du choc"
Au-delà de l'état d’urgence déjà prolongé deux fois trois mois, avec la modification constitutionnelle actuellement en discussion, il s’agit de faire durer un état de police et d’exception, d’instaurer un état d'urgence sans recours ni contrôle de l'autorité judiciaire dans des cas "de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique". Cas qui peuvent être étendus sans limite bien audelà du seul terrorisme. Avec l’assignation à résidence élargie "à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public". Ce n’est plus le délit qui est sanctionné, mais le comportement, dans l’arbitraire total. Le projet de loi de réforme pénale, pour "renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à disposition des autorités administratives et judiciaires, en dehors du cadre juridique temporaire mis en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence", avec pour objectif "d’obtenir des outils performants susceptibles de réduire la nécessité de l’état d’urgence", prévoit d’augmenter considérablement les pouvoirs donnés à la police et à l’administration sans le contrôle d’un juge. Elle instaure une justice prédictive, fondée sur la suspicion et non sur des preuves et des faits. En outre elle donne le signal d'une véritable immunité accordée aux forces de l'ordre. Après la succession de lois sécuritaires dites "antiterroristes"
France
De la déchéance de nationalité à la déchéance du PS adoptées ces 15 dernières années, la quantité se transforme en qualité, marquant un tournant autoritaire et liberticide.
Politique de la peur
La déchéance de la nationalité était jusqu’alors un marqueur de la droite et de l’extrême-droite. L’annonce initiale par Hollande visait toutes les personnes françaises nées d’un ou deux parents étrangers et ayant conservé leur nationalité étrangère. Au-delà de l’instauration de deux catégories de citoyens, ceux qui le seraient vraiment et ceux qui ne le seraient pas complètement au motif que leurs parents n’étaient pas français, il s’agit bel et bien de lier terrorisme et immigration. Suite à la levée de bouclier, y compris dans les rangs de la majorité, la version adoptée par l’Assemblée nationale concernerait, en apparence, toute la population et non les seuls binationaux… au risque de fabriquer des apatrides! La peste ou le choléra! Maniant la politique de la peur, le gouvernement attise racisme et islamophobie, construit délibérément un "autre" forcément dangereux, contre lequel "l’unité nationale" serait sensée se défendre. Dans le même temps, l’État français s’enfonce toujours un peu plus dans un traitement indigne des migrant.e.s et sans-papiers.
Du droit du travail, faire table rase
Plus récemment, le projet de loi touchant au droit du travail, présenté par la ministre El Khomri, annonce la couleur dès son intitulé: "Loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs", en mettant sur le même plan protection des salarié.e.s et protection des entreprises. L’article premier précise même que les droits fondamentaux des salarié.e.s peuvent être limités par "les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise". L’objectif est clairement la mise à mort du droit du travail comme limitation du pouvoir absolu de l’employeur sur les salarié.e.s en situation de subordination. La méthode est celle de l’inversion de la hiérarchie des normes en établissant la possibilité
pour des accords d’entreprises – là où le chantage à l’emploi est le plus efficace – de revoir à la baisse le Code du Travail. Durée du travail, majoration des heures supplémentaires, licenciements, santé au travail, etc. : aucun domaine n’échappe à l’entreprise de démolition. Le fait que cette politique soit menée par le Parti socialiste désarme encore d’avantage ce qui reste du mouvement ouvrier organisé et rend plus indispensable et urgente la construction de nouveaux outils de résistance, de solidarité et d’expression politique des exploité.e.s et des opprimé.e.s. ■ la gauche #76 mars-avril 2016
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Syrie
Peut-on être contre la guerre en Syrie en se taisant sur le régime de Damas, l’Iran, le Hezbollah, la Russie...? ✒ par Ariane Perez Le 15 janvier dernier, Christine Delphy ouvrait un meeting (1) qui se tenait à la Bourse du travail [à Paris] et faisait suite à un appel d’intellectuels (2) paru le 24 novembre dernier dans la presse, appel se voulant une réponse non seulement à l’état d’urgence institué par le gouvernement [français] mais aussi "à la guerre" proclamée par ce même gouvernement. C’est ce second aspect que je vais aborder.
Assad? Connais pas...
[...] Le problème avec cet appel et d’autres assez proches, ce n’est pas tant ce qu’ils disent... que ce qu’ils ne disent pas. Car enfin, de quoi parlons-nous? De la guerre en Irak et en Syrie où la France intervient par des frappes aériennes. Or, il semblerait qu’un certain nombre d’acteurs de premier plan dans ces guerres ont disparu des radars de nos signataires. – Quid de Bachar el Assad qui, depuis bientôt cinq ans, torture, emprisonne, bombarde, affame son peuple et qui a provoqué la mort de plus de 250.000 personnes en Syrie et le départ de millions de réfugiés? – Quid de l’Iran qui a formé les terribles milices paramilitaires chiites dont les exactions et tueries répétées en Irak, ne sont pas pour rien dans la "protection" qu’on cherchée les tribus sunnites dans l’Etat islamique? L’Iran qui depuis le début de la révolte des Syriens contre le dictateur Assad soutient implacablement ce dernier envoyant armes et troupes contre les insurgés? – Quid du Hezbollah dont le tragique siège de Madaya, ville affamée depuis plus de sept mois par le groupe libanais, vient de révéler au grand jour son rôle de fer de lance dans la contre-révolution syrienne? – Quid de la Russie qui, après avoir armé et instruit l’armée syrienne, soutenu inflexiblement Assad dans toutes les instances internationales, déverse depuis
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le mois de septembre 2015 ses tapis de bombes sur les insurgés? Aucun de nos anti-guerre n’a visiblement entendu parler de l’Iran, du Hezbollah, de la Russie ou d’Assad. Est-ce à dire que l’Iran, le Hezbollah, la Russie interviennent en catimini, sous faux drapeau? On peut leur reprocher bien des choses, mais pas cela. C’est avec tous les honneurs que l’Iran a enterré à Téhéran le brigadier général Hamid Taghavi, tombé "en martyr en Irak" en décembre 2014 et dont le corps fut veillé au siège des gardiens de la Révolution. Tout comme Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais présentait les honneurs en octobre 2015 à l’un des plus hauts responsables militaires du mouvement, Hassan Hussein al-Hage tué également dans les combats en Syrie. Quant aux Russes, à l’inverse de la stratégie des petits hommes verts sans identification menée en Crimée et dans le Donbass, ils n’ont eu de cesse de mettre en scène de façon outrancière leur intervention directe, le déploiement de leurs navires, de leurs avions, de leurs forces spéciales. On a pu voir des photos du métropolite de Moscou bénir les avions qui partaient en Syrie et les communiqués de victoire se succéder, couvrant les protestations des ONG qui pointent les bombardements indiscriminés de civils, d’écoles, d’hôpitaux. L’Etat islamique n’est pas la principale préoccupation de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie. Leurs cibles prioritaires ce sont les insurgés antiAssad, leur but est de sauvegarder le régime, quel que soit le prix final que devra payer le peuple syrien. Mais de tout cela, nos "anti-guerre" n’ont visiblement jamais entendu parler. Delphy se plaint de ne pas avoir de photos de morts ou de chiffres des civils tués? Eh bien qu’elle suive un peu les organisations de droits de l’homme syriennes, elle aura des images, des vidéos, des chiffres, des schémas, des témoignages. Quant au Hezbollah, n’est-il pas le héros de la guerre
contre Israël? C’est d’ailleurs cette expertise qui fait de lui la cheville ouvrière du soutien à Bachar et nous vaut sans doute ce silence.
Intervention ou nonintervention?
Comment juger cette apparente cécité? Prenons une comparaison: si pendant la Première Guerre mondiale, les militants ouvriers et les révolutionnaires réunis à Zimmervald avait fait une déclaration dénonçant vigoureusement les pays de l’Entente, la France, la Grande-Bretagne, la Russie... tout en "oubliant" de mentionner (je dis bien de mentionner, même pas de condamner !) l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie? Auraient-on pu décemment taxer ces militants "d’antiguerre"? Non, bien évidemment. Le titre de soutiers de la Triplice aurait été plus adapté à de tels "pacifistes". Alors entendons-nous bien, l’intervention aérienne des Occidentaux, dont la France, contre l’Etat islamique, soulève une question importante: ses effets positifs compensent-ils les effets négatifs? Il est indéniable que les bombardements sur la zone contrôlée par l’EI et notamment sur ses infrastructures pétrolières ont eu un effet d’attrition sur le groupe jihadiste. De même, le soutien aérien occidental a permis la reconquête de Ramadi par l’armée irakienne et de Sinjar par les Kurdes. Mais outre les inévitables victimes civiles, surtout dans un contexte d’utilisation systématique par l’EI de boucliers humains, le rejet de toute intervention étrangère par les tribus sunnites n’est pas à négliger. Les Occidentaux devraient-ils se contenter d’armer, de former et d’entraîner les groupes locaux qui luttent contre l’EI mais aussi contre Assad? Il est indubitable que le credo de l’EI "tous contre nous" qui s’est encore trouvé renforcé par l’intervention des Russes est un argument de poids dans le recrutement international qui caractérise ce groupe. On doit d’ailleurs discuter l’intérêt militaire même de la participation de la France aux frappes. En effet, contrairement à la
Syrie
vision apocalyptique de Christine Delphy, les frappes françaises comptent pour... 5% des frappes de la coalition contre l’EI. Bien des observateurs sérieux n’ont d’ailleurs pas manqué de railler le décalage entre la posture martiale de Hollande et la réalité militaire sur le terrain. Mais quoiqu’il en soit, cette discussion, difficile, ne peut avoir lieu qu’avec ceux qui dénoncent les crimes d’Assad et de ses soutiens. Car que signifie aujourd’hui se focaliser sur l’intervention occidentale en "oubliant" les interventions russes et iraniennes sinon un soutien hypocrite au boucher de Damas dont l’EI est le "meilleur ennemi du monde"?
Les doux liens du commerce
Il en va de même pour les ventes d’armes. L’EI sont d’immondes salauds nous disent les signataires de l’appel, mais l’Arabie Saoudite à qui nous vendons des armes ne vaut guère mieux. On ne peut qu’approuver à 100% la définition des Saoudiens comme fieffés salauds. Mais là encore, nous rappelons à nos "pacifistes" que l’Iran, sur lequel ils ne pipent mot, a à son actif plus 966 exécutions en 2015, numéro deux mondial derrière la Chine et le "modéré" Rohani en a plus de 2000 depuis son accession au pouvoir. La pantalonnade des statues capitoliennes en Italie vient nous rappeler que grands principes et commerce sont deux choses bien distinctes. Gageons que le futur accord sur la centaine d’Airbus n’est que l’apéro d’un repas qui s’annonce copieux et où la morale ne sera guère invitée. [...] [Par ailleurs], si les monarchies du Golfe ont changé de fournisseur, tournant le dos au traditionnel ami américain en la matière, ce n’est pas parce qu’ils ont découvert tout à coup les vertus du meilleur-avion-de-chasse-du-monde (dixit Dassault) mais pour envoyer un signal à Barack Obama dont le dégel avec l’Iran est considéré par les régimes sunnites comme une véritable trahison. [...]
Et pourtant ils existent...
Pour conclure, non le terrorisme n’est pas une simple réponse aux méfaits des Occidentaux. C’est une arme qui vise par des moyens limités à effet de levier, à déstabiliser les sociétés dans un but politique bien défini. C’est pourquoi il frappe toute une série de pays d’Afrique et d’Asie, citons en vrac, la Tunisie, la Belgique, l’Indonésie, l’Inde, le Pakistan, le Kenya, la Somalie, le Cameroun, le Nigeria, l’Algérie, la Turquie, l’Egypte, l’Afghanistan, l’Irak, le Yémen, la Syrie, et... l’Arabie Saoudite. [...]
La France n’est donc qu’une des cibles. Une cible importante idéologiquement, comme MANIFESTATION l’a bien montré la violente dénonciation NATIONALE par l’EI des enseignants et de l’Education contre l'achat nationale. Certains des pays touchés par ce d'avions de chasse terrorisme sont impliqués dans les Dimanche 24 avril guerres du Moyen-Orient, d’autres non, Départ: 14h gare centrale, Bruxelles montrant ainsi que faire des attentats N'oubliez pas de signer et diffuser la une "réponse" aux Occidentaux, qui chez pétition: www.pasdavionsdechasse.be/fr/ Delphy prend l’allure d’une véritable pas-davions-de-chasselégitime défense, c’est refuser de se signez-la-pétition colleter avec la signification politique de ces mouvements. Avec leur dimension et vocation internationales affirmées, ils sont porteurs d’un projet de société Paris, le 28 janvier 2016 dont le califat de l’EI est une vitrine. Et bien entendu, aucune réponse militaire Ce texte est une version courte de seule ne viendra à bout du phénomène. l'article publié sur www.europeToutefois, je trouve plaisant que ceux qui solidaire.org n’ont que le racisme post-colonial à la (1) http://lmsi.net/Contre-la-guerre bouche pour tout expliquer, dénient à ces (2)"A qui sert leur guerre?", Libération, "ex-colonisés" la découverte que firent 24 novembre 2015, www.liberation.fr/ les Européens au XIXe siècle, à savoir planete/2015/11/24/a-qui-sert-leurguerre_1415808 l’intérêt d’une Internationale. [...] ■ la gauche #76 mars-avril 2016
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Etats-Unis
Il se passe quelque chose aux Etats-Unis! ✒ d’après Vincent Présumey Nous publions ici, sous une forme très raccourcie et comme contribution au débat, une analyse de Vincent Présumey. Merci à l’auteur qui nous a autorisés à utiliser son texte. Il se passe quelque chose aux EtatsUnis! Pendant des mois, on a entendu parler d’un gros abruti, le milliardaire Donald Trump, qui casse la baraque au parti républicain. Mais on entend de plus en plus parler aussi du sympathique socialiste – socialiste! – Bernie Sanders, qui casse la baraque au parti démocrate! Alors, on pourrait vous répéter ce refrain d’extrême-gauche: "Ce qui se passe n’est que la réfraction déformée de la lutte des classes aux Etats-Unis, tout ceci souligne qu’il y a besoin d’un parti ouvrier indépendant dans ce pays, il faut dire à tous ces jeunes et tous ces travailleurs qui soutiennent Sanders qu’il ne faut pas être dupes puisque le parti démocrate est un parti capitaliste". On ne vous le répètera pas, parce qu’il faut, au risque de se tromper, partir de l’analyse concrète des situations concrètes.
Ankylose au sommet
L’impérialisme nord-américain est le plus puissant du monde mais il est sévèrement en crise. Son éruption interventionniste après les crimes du 11 septembre 2001 l’a finalement affaibli, conduisant à la fois à l’élection d’Obama et à la faillite de Lehman Brothers. Après deux mandats d’Obama, la crise au sommet et le mécontentement en bas sont spectaculaires. Au sommet, le fait le plus frappant est une ankylose qui aboutit à un quasi nonrenouvellement des élites dirigeantes. Côté démocrate, huit ans après, Hillary Clinton incarne le président "normal" des Etats-Unis, choisi par Wall Street et les grandes firmes. Côté républicain, depuis l’échec de la fuite en avant "néocons" des années Bush, on voit une série de candidats tous aussi riches et timbrés les uns que les autres.
24 la gauche #76 mars-avril 2016
The Donald
Le pire est le milliardaire Trump. Il finance sa campagne en entrepreneur, avec un discours anti-élites, anti-Washington, anti-Wall Street. Il prétend que les salaires monteront quand les hispaniques seront virés, appelle à casser du musulman, salue Poutine en "vrai chef d’Etat", s’oppose au traité transatlantique: un mélange de protectionnisme, de défense des "petits" contre les "gros", de clientélisme, avec une très forte dose de racisme. Les couches prolétariennes qui ont cru faire partie de la "classe moyenne" et qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts adhèrent souvent à ce discours qui, pour réactionnaire qu’il soit, n’est pas celui de l’"establishment". Mais le populisme de Trump ne peut gagner les hispaniques et encore moins les noirs, vu son racisme. Du coup, la candidature Trump ne peut suffire à faire imploser la classe politique. C’est l’irruption de Bernie Sanders qui introduit un élément de crise politique sans précédent dans l’histoire des Etats-Unis.
The Bern
Derrière le "phénomène Sanders" il y a la poussée des luttes sociales depuis la crise: grève générale au Wisconsin, nombreuses grèves dans divers secteurs, mouvement pour le salaire minimum à 15 dollars de l’heure, mouvement Occupy Wall Street. La recherche d’une expression électorale de cette effervescence s’était déjà traduite localement, notamment dans l’élection à Seattle de Kshama Sawant, institutrice d’origine indienne membre du groupe Socialist Alternative. Mais personne ne pensait possible de rééditer un tel exploit à l’échelle nationale: le financement, les médias, et les "primaires" verrouillent complètement le système. Bernie Sanders s’est porté candidat à l’investiture démocrate à l’été 2015. Il n’était pas, auparavant, membre du parti. Ni les secteurs de gauche qui excluent toute intervention dans le parti démocrate, ni ceux qui, inversement, y font du lobbying, ne l’ont appuyé d’emblée. Mais des millions de petits dons spontanés (Sanders refuse tout don d’entrepreneur ou trop
élevé) ont fini par agréger des montants officiellement comparables à ceux des "grands" candidats. Un des réseaux de soutien à B. Sanders s’intitule Occupy Democrats! De fait, bien des jeunes et des travailleurs qui le soutiennent n’ont pas d’illusions sur ce parti en tant que tel. Qui est Bernie Sanders? Né en 1941 dans une famille juive polonaise décimée par les nazis, il grandit à Brooklyn et rejoint, dans les années 1960, la Young People's Socialist League (YPSL), organisation de jeunesse du Parti socialiste américain, participant notamment au mouvement pour les droits civiques des noirs. Le PS américain était alors dominé par le courant de Max Schachtman, l’un des fondateurs du courant trotskyste aux Etats-Unis, mais qui, dans cette période, dérive vers la droite en choisissant le "camp occidental" contre le bloc soviétique. Pris entre cette dérive et les nombreux mouvements gauchistes de la jeunesse, le PS américain, créé en 1903, explose en 1973. Sanders est proche du principal courant issu de cette explosion, les Democratic Socialists of America. Pendant trois décennies, Sanders fait son trou dans le Vermont, un Etat rural proche du Canada. Il conquiert d’abord la mairie de Burlington, puis le poste de sénateur de l’Etat, siégeant au Congrès où il est depuis deux décennies le seul élu non affilié à l’un des deux grands partis (tout en votant généralement avec les démocrates ou avec leur aile dite "progressiste"). Bernie Sanders est donc issu du mouvement ouvrier. Cela ne fait pas de lui un "révolutionnaire", mais il se réfère toujours à la "classe ouvrière", ce que ne font plus les leaders du PS chez nous. Sa décision d’aller chercher l’investiture démocrate fait-elle de lui un "candidat capitaliste"?
La nature de la campagne Bern
La campagne de Sanders intervient dans le contexte de crise du système politique US et, au lieu d’offrir une accalmie à cette crise, elle l’aggrave. Tout "révolutionnaire" ferait bien de s’enfoncer cette réalité dans la tête: oui, les "primaires" sont un
L’enjeu du vote noir
Le principal obstacle dans la conquête d’une majorité à l’investiture démocrate revêt maintenant un sens politique de première importance: il
Etats-Unis
cirque, mais aux Etats-Unis, aujourd’hui, c’est dans "les primaires" que se rencontrent la recherche d’une issue par la masse de ceux d’en bas et la crise de renouvellement de ceux d’en haut. Les masses s’intéressent aux primaires et, de façon croissante, elles y participent. Côté Trump, ce sont des familles de blancs déclassés qui viennent mettre le bazar; côté Sanders, c’est la jeunesse qui a rappliqué pour le mettre au même niveau que Clinton dans l’Iowa, puis très au-dessus dans le New Hampshire, ouvrant une formidable brèche dans le "système". Disons-le au risque de surprendre, les primaires prennent parfois un tour de démocratie directe dans la tradition des town meetings de la révolution américaine! L’enthousiasme des jeunes est en train de se développer en mouvement de masse. Le mouvement ouvrier traditionnel est placé devant un choix. Les états-majors syndicaux soutiennent H. Clinton, seules les fédérations AFL-CIO des infirmières, des postiers, et des télécommunications, soutiennent Sanders. L’appui du CWA, Communications Workers of America, en date du 17 décembre dernier, pourrait "booster" les soutiens syndicaux. Il a conduit à la neutralité du syndicat de la métallurgie, parti d’abord pour appuyer Clinton. Nous ne sommes pas du tout dans une dynamique "pure" de genèse d’un parti ouvrier basé sur les syndicats. Si l’on s’en tient à ce que dit Sanders, on est dans une dynamique "populaire" et "antiWall Street" de "révolution politique": le président ne pourra rien contre les trusts, affirme-t-il, si le peuple organisé et mobilisé n’est pas derrière lui, voire devant. Pour créer une sécurité sociale "à la française", généraliser le salaire minimum à 15 dollars de l’heure, subventionner les coopératives, racheter les dettes des étudiants, il faudra augmenter les impôts sur la richesse et sur le capital, ce qui nécessitera une population mobilisée. L’espoir qui commence à mettre en mouvement des millions de jeunes et moins jeunes aux Etats-Unis n’est pas la réalisation d’un vieux programme "progressiste" ou "socialiste révolutionnaire": il s’agit bien de porter The Bern à la Maison Blanche, pour changer la vie quotidienne.
Bernie Sanders s’agit du vote noir. Le caucus noir des représentants au Congrès appelle les noirs à voter Clinton. Les pires arguments surgissent. Sanders, nous dit-on, est un blanc, et les travailleurs blancs qu’il prétend représenter ne comprennent rien aux "problématiques afro-américaines". En plus c’est un homme: les noirs, après avoir élu l’un d’eux, sont invités à élire une femme, ce qui serait tout de même mieux qu’un vieil homme blanc! Les noirs, le mouvement d’émancipation afro-américain, se trouve, maintenant, devant un dilemme et une responsabilité. Outre la montée des luttes de classe, les huit années d’Obama ont vu la question noire reprendre une acuité sans précédent. Le président est "noir" mais les noirs dans la vie réelle n’ont connu aucune amélioration. Pire, le déchaînement policier assassin contre eux s’est fortement aggravé. Cela entraîne
une intense réflexion collective. Voter Clinton, comme on vote pour un puissant protecteur, comme on vote pour les bons blancs qui veulent vous secourir, serait pour les masses noires rester dans la soumission. Percevoir, et rapidement, que c’est le vote Sanders qui est émancipateur, voilà l’enjeu des prochaines semaines.
Que faire tout de suite? Premièrement, soutenir S a n d e r s . Deuxièmement, faire basculer le vote noir du clientélisme à l’intervention active dans la lutte des classes, par le vote Sanders. Troisièmement, faire campagne pour un maintien de Sanders quoi qu’il arrive (même s’il ne gagne pas l’investiture démocrate, NDLR). En dehors de ces trois axes immédiats, toute politique révolutionnaire aux Etats-Unis aujourd’hui ne saurait être que pâle littérature. Avec ces trois axes, on peut, on doit, organiser! ■ la gauche #76 mars-avril 2016
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Europe
Un plan B pour désobéir à l'Europe austéritaire ✒ par Sébastien Brulez Du 19 au 21 février, plusieurs centaines de personnes – près de 3.000 selon les organisateurs – se sont réunies à Madrid pour réfléchir à un "Plan B" pour faire face aux diktats austéritaires de l'Union européenne. L'appel (1) avait été lancé par plus de 160 personnalités, dont les élus de Podemos au Parlement européen Lola Sánchez et Miguel Urbán (ce dernier étant aussi membre d'Anticapitalistas), et a recueilli plus de 14.000 signatures.
Réformer l'UE ou rompre avec elle?
Le ton du week-end était donné dès l'assemblée d'ouverture: après la déroute grecque et la capitulation du gouvernement Tsipras, il s'agit de repenser l'Europe, de rompre avec l'Europe du capital et de mettre en route un mouvement social européen radical de rupture. Différentes thématiques ont été abordées dans les ateliers et forums: la question de l'euro, le système bancaire, le féminisme, la crise climatique et écologique, l'Europe forteresse et les réfugiés, la nécessité d'un audit citoyen de la dette, le TTIP et les traités de libreéchange "de nouvelle génération", etc. (2) L'événement a regroupé à la fois des organisations sociales et politiques. C'est peut-être là sa force et c'est aussi l’ambition du mouvement à construire: "L'Europe a besoin qu'un mouvement indigné comme le 15-M déborde ses institutions", a indiqué Miguel Urbán en
référence au mouvement indigné espagnol apparu le 15 mai 2011. L'ex-ministre des Finances du gouvernement Tsipras, Yanis Varoufakis, était également présent après avoir lancé son mouvement DiEM25 à Berlin quelques semaines plus tôt. Avec l'idée d'un "changement raisonnable" et son appel du pied aux sociaux-démocrates et libéraux "responsables", son approche apparaît cependant moins rupturiste que celle défendue par Urbán et les initiateurs du plan B madrilène. De leur côté les deux principaux dirigeants de Podemos, Pablo Iglesias et Iñigo Errejón n'ont pas participé aux rencontres. Seul le responsable des questions économiques du parti, Nacho Álvarez, y a participé. Il a indiqué qu'il existe selon lui des marges de manœuvres au sein de la zone euro, réaffirmant en quelque sorte l'orientation de la direction de Podemos, qui diffère là aussi de celle des eurodéputé.e.s à l'initiative de ce plan B.
Mobilisation contre l'austérité le 28 mai
Un des enjeux du week-end était de voir sur quelles initiatives concrètes allait déboucher cette rencontre. La conférence s'est terminée par un appel à une journée européenne d'actions contre l'austérité le 28 mai (date correspondant à l'anniversaire de la Commune de Paris). Mais au-delà de cet appel à l'action, que peut-on attendre de cette dynamique? Il faut tout d'abord souligner le bol d'air frais que constitue cette initiative dans le contexte actuel. Fermetures des fron-
tières, austérité, politiques répressives, négociations de traités prédateurs, la situation européenne est des plus moroses et aucune issue ne se dessine à l'horizon. Le seul moyen de faire vaciller "l'architecture autoritaire, oligarchique, patriarcale et néolibérale" de l'Union européenne, c'est de combiner à la fois une crise politique et sociale dans un ou plusieurs pays (l'Espagne, le Portugal, de nouveau la Grèce?) et une mobilisation sociale européenne en soutien aux forces progressistes aux prises avec les institutions de l'UE.
"Pas seulement de l'austérité, une guerre de classes!" Un des constats sur lesquels s'est clôturée cette conférence est que les institutions de l'UE actuelle ne sont pas réformables: "La nature profondément antidémocratique de ces institutions reflète leur objectif originel et actuel: servir les intérêts du secteur privé, financier et des différentes élites constituées en oligarchies"(3). La déclaration finale est également claire sur la nature de l'austérité: "Ce n'est pas seulement de l'austérité: il y a une guerre de classes en Europe, impliquant le pillage des droits des citoyens et des biens communs". Le texte appelle à un processus constituant et à "désobéir aux diktats antidémocratiques quand on est au gouvernement, comme obligation démocratique minimale". Au-delà de l'appel à la mobilisation le 28 mai, les organisateurs entendent maintenant étendre ce plan B au niveau local et régional. Comme le commentait une des participantes: "Il s'agit d'articuler la dialectique entre résistance et alternatives. Construire un nouvel imaginaire politique, voilà l'élément clé". ■
(2) Les vidéos des interventions (en espagnol) sont disponibles ici: https://www.youtube.com/channel/ UCffvXv6gRinxIQVOt7VeRDw (3) Lire la déclaration finale en espagnol ici: http:// planbeuropa.es/declaracion-para-una-rebeliondemocratica-en-europa/
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photo: Sébastien Brulez
(1) Disponible en français ici: http://planbeuropa. es/llamamiento/?lang=fr
Conférencesdébats organisées par la Formation Léon Lesoil
Dans le numéro 74 de La Gauche, la Formation Léon Lesoil lançait un appel au soutien financier en vue de récolter 3.000 euros. Nous en avons besoin pour équilibrer notre budget et lancer de nouvelles activités en 2016. Cet appel a été relayé par l'envoi d'un courriel aux personnes qui reçoivent habituellement le programme d'activités de la Formation Léon Lesoil. Fin février 2016, nous avions reçu 2.830 euros (versements, cartes de soutien). Certes nous n’avons pas atteint l’objectif fixé, mais c’est quand même un beau résultat. Merci à toutes celles et ceux qui ont versé un soutien! Un dernier sprint avant l’arrivée? Si vous n’avez pas eu l’occasion de verser votre soutien ou si vous étiez distrait, vous pouvez encore vous rattraper en piquant un sprint avant le franchissement de la ligne d’arrivée et remporter non pas le maillot jaune du fonds de lutte mais celui du meilleur sprinter… Versements au compte IBAN BE09 0010 7284 5157 de la Formation Léon Lesoil, rue Plantin 20, 1070 Anderlecht, avec la mention "soutien". Un grand merci!
Mardi 12 avril 2016 à 19h30
Espagne 1936: Revolución!
Conférence-débat avec Vincent Scheltiens, historien. Au Pianofabriek, 35 rue du Fort 1060 Bruxelles (M° Parvis St-Gilles) Infos: 0487 209 062
En vente dans les librairies suivantes:
Bruxelles Tropismes
Galerie des Princes, 11 1000 Bruxelles
Volders
Avenue Jean Volders, 40 1060 Saint-Gilles
Charleroi Carolopresse
Boulevard Tirou, 133 6000 Charleroi
Mons Le Point du Jour Grand'Rue, 72 7000 Mons
Wavre Librairie Collette Dubois Place Henri Berger, 10 1300 Wavre Samedi 23 avril de 14h15 à 18h
Visite de l'exposition de photographies "Génération Tahrir"
photo: Pauline Beugnies
Où trouver La Gauche
agenda
Appel au soutien financier: un dernier sprint avant l’arrivée?
L’auteure, Pauline Beugnies, nous présentera son regard jeune, internationaliste et féministe sur la révolution égyptienne. Suivie d’une conférence-débat: Du printemps arabe à l’hiver islamiste? Révolutions et contrerévolutions, bilan d’étape Avec Fathi Chamkhi, fondateur de RAID-ATTAC Tunisie, porte-parole du Front populaire à l’Assemblée nationale tunisienne; Baudouin Loos, journaliste au Soir, spécialiste du monde arabomusulman; Pauline Beugnies, photographe. Au Musée de la Photographie 11, avenue Paul Pastur 6032 Charleroi (Mont-sur-Marchienne) PAF: 5 euros (tarif "groupes" au Musée de la Photographie)
La plupart des ouvrages commentés ou recommandés dans La Gauche peuvent être commandés en ligne à la librairie La Brèche à Paris.
Librairie La Brèche
27 rue Taine, 75012 Paris, France Tél: 00 331 48 28 52 44 contact@la-breche.com Catalogue en ligne: www.la-breche.com
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