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60e année prix 2 euros | 016 juillet-août 2
BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 JUILLET-AOÛT 2016
sommaire
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e prix 2 euros | 60e anné juillet-août 2016
3 Édito par La Gauche Loi Peeters: la flexibilité jusqu'à l’indigestion 4 par Freddy Mathieu et Daniel Piron Le néolibéralisme, «un cauchemar sans fin»? par Henri Wilno 7 Retour sur l’histoire du mouvement ouvrier flamand 8 par Pips Patroons Détachement de travailleurs, dumping social, chômage, 1 0 nationalisme et… Brexit par Martin Willems La photographie comme témoin des luttes par Sophie Cordenos 1 2 Presse «féminine»: business et stigmatisation 1 4 par Sophie Cordenos Les crétineries sexistes lors des manifestations syndicales: 1 5 basta! par Evie Embrechts
Comité de rédaction: Sébastien Brulez, Matilde Dugaucquier, Pauline Forges, François Houart, Thibaut Molinero, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy Design: Little Shiva
Tyrannie du travail, crise de la tyrannie par Daniel Tanuro 1 6
La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.
Dossier: Dopé par les sondages, le PTB en appelle à un 1 7 Front populaire par Daniel Tanuro
Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction.
Dossier: Le Front populaire et la grève générale de 1936 1 8 par Guy Van Sinoy
Adresse et contact: 20 rue Plantin,1070 Bruxelles info@lcr-lagauche.org
L’avertissement du Brexit par Mauro Gasparini et Daniel Tanuro 22 STIB: les fonds de pension roulent encore au charbon 24 par Thibaut Molinero Derrière les bavures policières, la violence capitaliste 25 par Guy Van Sinoy Mobilisations contre la Loi Travail: Après le 14 juin, le combat 26 continue par Léon Crémieux
2 8 "Unis, nous pouvons!" Une coalition qui peut changer la donne en Espagne entretien avec Manolo Gari 30 Syrie: Silence, on tue par Mauro Gasparini Nucléaire belge: pression des voisins par Léo Tubbax 32
Tarifs et abonnements: 2 euros par numéro; 10 euros par an étranger: 20 euros par an Abonnement de soutien: 15 euros A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention"La Gauche”
La Gauche est éditée par la Formation Léon Lesoil e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles
À Cannes, Ken Loach reçoit la Palme d’or... anti-austérité! 33 par Alain Krivine À lire... 34
35 Agenda / Où trouver La Gauche? Solidarité contre la répression photos par PPICS 36
La Une: photo par Sophie Cordenos
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✒ par La Gauche Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces dernières semaines ont été mouvementées. Les mois de juillet-août, généralement propices au relâchement militant, s'annoncent comme les vacances de tous les dangers. Chez nous, les importantes mobilisations des travailleurs/euses, initiées par les agents pénitentiaires, suivies par les cheminot.e.s et dans certaines régions par les éboueurs, les agents communaux, ou encore les enseignant.e.s, se sont essoufflées. Et la grève générale du 24 juin prévue de longue date dans le plan d'actions syndical n'y a pas changé grand-chose. Alors, bonnes vacances et rendez-vous le 29 septembre pour la prochaine manifestation? C'est apparemment le scénario qui se dessine devant nous. Pourtant, il n'est plus à démontrer que les plans d'actions avec des mobilisations espacées de plusieurs semaines voire de plusieurs mois ne mènent nulle part. Pas plus que la revendication d'un retour à une hypothétique "vraie concertation". Le dégoût exprimé par certain.e.s militant.e.s après une longue lutte ayant mené à l'impasse, faute d'un débrayage coordonné avec d'autres secteurs, en dit long sur les conséquences de la tiédeur des directions syndicales. Cette année nous célébrons les 80 ans des congés payés, arrachés à la suite de grèves générales massives en France et en Belgique [lire notre dossier en pages 17 à 21]. Pourtant un acquis aussi basique que la semaine de 40 heures est aujourd'hui remis en cause par le gouvernement avec le projet de loi Peeters, la version "suédoise" de la loi Travail [lire en pages 4 à 6].
les seules propositions qui émergent pour "redonner un sens à l'Europe" ne font que réaffirmer le pathétique "projet européen". François Hollande le résume à lui seul: "Sécurité, la protection des frontières, la lutte contre le terrorisme, la capacité à pouvoir nous défendre ensemble", sans oublier la sacro-sainte croissance avec le "soutien à l'investissement". Le "projet européen" concocté par les classes dominantes se résume donc à ceci: sécuritaire et néolibéralisme. Cette politique va droit dans le mur. Il est urgent d'opposer une alternative de gauche à l'Europe du capital, sans quoi les mouvements réactionnaires (en Angleterre, en France et ailleurs) continueront de tirer les marrons du feu en surfant sur la peur, le repli et la xénophobie.
Au-delà des échéances électorales
Dans ce contexte, et comme si ce n'était pas suffisant, les élections du 26 juin dans l’État espagnol ont elles aussi amené leur lot de déceptions. Le Parti populaire en est sorti vainqueur et la coalition Unidos Podemos n'a pas réussi à dépasser les sociaux-libéraux du PSOE. L'entretien que nous publions dans ce numéro [p. 28-29] a été réalisé avant le scrutin, il revient sur l'alliance entre Podemos et les communistes d'Izquierda Unida.
édito
Colère et frustrations Un des premiers constats que nous pouvons faire, c'est qu'un projet de transformation sociale ne peut reposer sur des espoirs électoraux déconnectés d'une mobilisation massive. Comme le signale le communiqué d'Anticapitalistas du 28 juin, il est nécessaire de déployer l'unité électorale sur le terrain social et des résistances. Afin de créer une alternative pour les classes populaires, utile pour les mouvements sociaux, de rupture et dans la diversité. Cette tâche est vraie pour nos camarades de l’État espagnol mais elle est tout aussi vraie pour nous-mêmes, et elle ne peut être qu'européenne. Au projet européen néolibéral et sécuritaire, nous devons opposer le projet d'une autre Europe solidaire, juste et généreuse. Au rejet nationaliste et xénophobe de l'Europe, opposons un projet internationaliste, ouvert et tolérant. Nos aïeuls ont conquis les congés payés de haute lutte, à nous aujourd'hui de défendre de haute lutte ce qu'ils/elles nous ont légué. Mais à nous aussi de lutter pour de nouvelles conquêtes sociales, pour un nouveau projet de société. N'exigeons pas seulement le retrait des lois travail, battons-nous pour la réduction du temps de travail. L'histoire continue, et nous sommes celles et ceux qui la font! ■
dessin: Arnold De Spiegeleer
Sécuritaire et néolibéralisme: le seul projet de l'UE
En Belgique et en France, ces projets de loi Travail font partie de l'offensive européenne de démantèlement des droits des travailleurs/euses. L'Union européenne, institution au service des intérêts des classes dominantes du continent, n'a pour unique projet que le néolibéralisme et la guerre en règle contre les travailleurs/ euses [lire en page 7]. Passée la surprise du vote en faveur du Brexit [page 22], la gauche #78 juillet-août 2016
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Belgique
Loi Peeters: la flexibilité jusqu'à l’indigestion ✒ par Freddy Mathieu et Daniel Piron La loi Peeters, comme la loi El Khomri en France, vient parachever une longue dégradation de la protection du travail. C’est une législation qui sert de clé de voûte pour solidifier tout l’édifice de l’offensive néolibérale. L’objectif du gouvernement est clair: "une nouvelle organisation du travail qui doit offrir une plus grande flexibilité au niveau des heures prestées". Elle organise le temps des travailleurs en fonction des seuls intérêts de l’entreprise, y soumettant par là même leur vie en dehors de celle-ci. C’est la raison pour laquelle elle vise aussi à éviter la contrainte de négocier avec les représentants des travailleurs qui sont des "empêcheurs"de flexibiliser à outrance. Début avril, lors de la présentation des lignes de force de ses propositions, Kris Peeters a précisé le timing. Il présentera un projet de loi "avant les vacances", "de manière à ce que le texte puisse sortir ses effets avant la négociation du prochain accord interprofessionnel et des négociations sectorielles qui s’ensuivront en 2017-2018". Des négociations? "Le futur cadre prévoira le ‘menu’ et les mesures dont pourront s’emparer les secteurs professionnels", estime le ministre.
Un socle...
La loi fixera un socle commun qui sera d’application générale et immédiate. Le socle est composé de 4 mesures: La première, celle sur laquelle se sont focalisées beaucoup de réactions, c’est l’annualisation des 38h de temps de travail. "Pour permettre aux entreprises de s’offrir plus de souplesse, selon les cycles d’activité, le temps de travail ne sera plus calculé par semaine (un contrat de 38 heures/semaine) mais par an". L’annualisation du temps de travail se combine avec la possibilité d’étendre d’office et pour tous le nombre possible d’heures supplémentaires à 143 heures avant de pouvoir récupérer. Même si aujourd’hui existent déjà par secteur des dispositions comparables, elles ont été limitées et encadrées. Elles donnent
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lieu à des compensations négociées. Dans ce cas-ci, la loi généraliserait l’augmentation incontrôlée du temps de travail. On peut dire adieu aux 38h. Théoriquement, le travailleur ne pourrait travailler plus de 9 heures par jour dans le cadre de référence, et au maximum 45 heures par semaine. Mais des dérogations sont possibles par secteurs qui pourraient porter la journée à 11h et la semaine de travail à 50h. Retour au 19e siècle! Deuxième mesure: complémentairement le socle comprendra 100 heures en plus du quota minimum d’heures supplémentaires, exigibles sans justification, sans concertation et éventuellement sans récupération (au final ces heures pourraient soit être payées, soit mises en compte sur un fumeux "compte épargne carrière"sur base d’un "accord individuel avec l’employeur"). Ce système, reposant sur des accords individuels, ne pourra donc pas être contrôlé par les délégations syndicales ni par le Conseil d’Entreprise. Un secteur pourra même passer à 360
Petit calcul Concrètement cela signifie que l’horaire moyen de travail va passer de 38 à 40 heures par semaine dans le meilleur des cas, voire 45 et plus si on y ajoute les heures sup’ possibles au-delà des 143h en fonction des conventions sectorielles particulières. Le nombre maximum d’heures sup’ possibles sera de 143h et les récup’ ne seront obligatoires que lorsque le quota sera dépassé, c’est-à-dire après des mois, voire si ça se présente, à la fin de l’année. Il ne sera pas possible de fixer des limites inférieures par convention sectorielle. Vos délégués n’auront plus la possibilité de négocier des compensations ou des limitations pour l’extension à un an de la période de référence pour le respect de la durée hebdomadaire moyenne de travail. ■
heures supplémentaires dans ce système moyennant la conclusion d’une convention collective de travail (CCT). Le troisième volet du socle commun consiste en un investissement dans la formation. Le gouvernement définit un objectif global de cinq jours par an de formation par travailleur (mais rien ne dit que chaque travailleur aura droit à ces cinq jours...), équivalent à 1,9% de la masse salariale au niveau interprofessionnel. Ca fait plus de 25 ans que les entreprises échappent par différentes techniques à leurs obligations en matière de formation. Nul doute que les patrons contourneront une nouvelle fois la législation ou l’accommoderont à leur sauce. Enfin, dernier chapitre du socle, un cadre légal pour le télétravail occasionnel sera défini.
... et un menu
A côté du socle imposé à tous, le gouvernement vous tend un menu "susceptible d’être activé par secteur". Avant de vous parler des plats, plus ou moins indigestes, qui seront proposés au menu, il convient d’expliquer comment le ministre conçoit cette "concertation"dans les secteurs. Toutes ces modifications peuvent être imposées sans accord sectoriel. Il suffit qu’une organisation (éventuellement patronale) pose la question dans la commission paritaire, pour que – même sans accord sectoriel – ces modifications puissent être activées au niveau de l’entreprise. On comprend bien que l’objectif est de remplacer les législations qui protègent le travail par d’autres qui ouvrent complètement le champ de la flexibilité. A la place d’un socle minimum qu’on peut (pouvait) améliorer par convention, on instaure des socles maximum auxquels on ne peut déroger, même par convention. Dans ce cadre, la "concertation", au niveau d’un secteur ou d’une entreprise, ne pourrait porter que sur ce qui vise à rendre le travail plus long, plus flexible, plus pénible, moins bien payé, encore plus soumis aux impératifs de l’entreprise. L’ensemble de ces "réformes"ne visent pas
Belgique à rendre le travail plus supportable pour le travailleur mais au contraire à l’obliger à travailler plus pendant certaines périodes au gré des exigences de l’employeur et à réduire le coût salarial induit par le sursalaire pour les heures supplémentaires. L'annualisation du temps de travail permet évidemment aux patrons de ne pas payer autant d'heures supplémentaires que sous le régime actuel.
photo: PPICS — http://web.facebook.com/ppicsbanquedimages
Pour mettre les syndicats hors-jeu
On comprend pourquoi ces mesures vont de pair avec les attaques contre les organisations syndicales que mènent le gouvernement et le patronat. Des attaques qui prennent des formes diverses: juridiques (astreintes et envois d’huissiers, requêtes unilatérales...), médiatiques (en décrédibilisant les actions syndicales auxquelles on associe systématiquement des mots outranciers –"prise d’otage", "grève sauvage"–), législatives (imposer le "service minimum", menaces d’instaurer la "personnalité juridique"). Mais ce qui est visé avant tout c’est l’activité quotidienne des syndicats. Avec leurs milliers de délégués, avec leurs services juridiques, leurs accompagnateurs syndicaux à l’ONEM, etc., les syndicats représentent une
entrave sérieuse aux offensives patronales. Particulièrement en Belgique où le niveau d’adhésions aux syndicats ne faiblit pas, une étude universitaire récente vient encore de démontrer qu’une large majorité de la population a une opinion favorable sur l’utilité des syndicats (1). Il faut donc les affaiblir. Par exemple, en imposant des restrictions drastiques aux prépensions, en privant les jeunes du droit aux allocations de chômage avant même leur inscription, on détourne les jeunes et les travailleurs plus anciens de l’affiliation syndicale, ce qui vide les organisations syndicales par les deux bouts. Mais c’est surtout une stratégie capitaliste qui misérabilise les vieux et précarise les jeunes pour prendre le gros du salariat en tenaille, ce qui a comme résultat d’écarter les plus précarisés de la "protection"collective de l’action syndicale.
Réagir globalement
A la faveur des luttes en France, les réactions contre les mesures de la Loi Peeters redonnent une nouvelle occasion aux organisations syndicales de retourner au charbon. Les 80.000 manifestants du 31 mai, la grève exemplaire des gardiens de prison, celle de la SNCB – démarrée par des actions spontanées – les mouvements dans les entreprises publiques... tout indique que les travailleurs sont prêts
à renouer avec le combat. Des secteurs syndicaux (CNE, CGSP Wallonne) ont placé ces actions dans l’objectif d’en finir avec le gouvernement. Le mouvement ouvrier peut atteindre cet objectif, mais il y a une condition préalable: il faut exclure d’aller discuter la couleur de la nappe, ou le partage des miettes à la table du gouvernement Michel-De Wever. ■ (1) "D'après l'étude IPSO-KUL, menée en 2014 et 2015 auprès de 719 francophones et 1.183 Flamands, une large majorité des répondants (70% en Flandre et 76% en Belgique francophone) a une opinion plutôt favorable des syndicats."www. levif.be/actualite/belgique/les-syndicats-sonttoujours-necessaires-pour-7-belges-sur-10/ article-normal-490245.html Une autre étude (Randstad) montre que les syndicats peuvent compter sur la confiance des travailleurs et que l’assise des syndicats n’est pas seulement grande mais aussi en augmentation. En effet, 68% estiment que les syndicats jouissent de la confiance des travailleurs. Chez les nonsyndicalistes, ce pourcentage est toujours de 63%. 71% estiment que les syndicats savent ce que vivent les travailleurs. Et plus de la moitié se sentent impliqués dans le syndicat en entreprise (53% par rapport à 44% il y a 4 ans). www.randstad.be/fr/apropos-randstad/communiques-de-presse/detail/s/ news/34bb5b0f-8536-4cf3-9d2b-02f8d8362088/ la-participation-des-salaries-dans-les-entreprisesreste-mesuree
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Il reste beaucoup de flou sur les intentions de Kris Peeters et du gouvernement. Mais ce qui filtre (notamment au Conseil National du Travail*) ne laisse rien présager de bon!
Le compte épargne carrière Dans le cadre de l’annualisation de la durée du travail [voir page 4] le/la travailleur/euse qui n’aurait pas ou pas pu récupérer ses heures supplémentaires pourra les verser sur un compte sous forme de jours de congé à prendre on ne sait quand ou à convertir en salaire. Pour l’instant, ce compte serait instauré au niveau de l’entreprise. Mais le but final n’est-il pas d’étendre le système de manière à réduire le recours aux systèmes d’aménagement du temps de travail et à faire payer par les travailleurs/euses euxmêmes leurs interruptions de carrière?
Le travail de nuit reculé de 2 heures Actuellement le travail est considéré "de nuit"entre 20h et 6h. Peeters propose de reculer à 22h le début du travail de nuit. Concrètement: votre employeur peut vous contraindre à travailler jusqu’à 22 heures! La protection particulière pour les jeunes et les femmes enceintes disparaît. Et quid des primes de pénibilité liées au travail de nuit?
L’intérim jusque 67 ans? Kris Peeters voudrait créer un statut d’intérimaire à durée indéterminée. A première vue, cela peut sembler positif même si on ne sait pas comment serait payé l’intérimaire entre deux missions puisqu’il n’y a pas de chômage temporaire en intérim. Entre deux missions il/ elle risque d’être payé.e au smic. Un.e intérimaire CDI ne pourra pas refuser une mission puisqu’il/elle sera tenu.e par un CDI ou s’il/elle le fait, il/elle pourra être sanctionné.e au niveau du chômage. Flex-
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ibilité et précarité accrue. D’autant que l’intérim explose: de 7.811.097 contrats en 2004 à 11.877.300 en 2014; et que ce sont souvent des missions à temps partiel: en 2004 les contrats d’intérim de moins de 24h représentaient 44% des contrats, en 2014, 61%.
Le temps partiel à géométrie variable Au menu? Flou sur les heures de prestation dans le règlement de travail, des horaires connus 24h à l’avance et la fin du sursalaire pour les heures complémentaires. C’est un projet qui est déjà en discussion au Conseil National du Travail depuis quelques temps, le ministre veut "simplifier"le travail à temps partiel à horaire variable avec durée de travail variable. L’idée est de permettre à l’employeur de modifier les horaires du travailleur au jour le jour en le prévenant la veille. Le système de sursalaire pour les heures complémentaires (c’est-à-dire supplémentaires par rapport à l’horaire partiel) sera modifié: au lieu d’être dû après 39h complémentaires (pour une période de référence d’un an), le sursalaire ne sera dû qu’après la 3e heure/semaine. Le crédit d’heures sans sursalaire est ainsi porté de 39 à 156 heures/an. De même, les modifications apportées à l’horaire à la demande du/de la travailleur/euse (par exemple un changement d’horaire avec un.e collègue) ne seront pas considérées comme des heures complémentaires sur lesquelles un sursalaire est dû. Le/ la travailleur/euse devra prester quatre fois plus d’heures complémentaires sans sursalaire. L'annualisation touche plus particulièrement les femmes dont une grande partie travaille à temps partiel car le temps plein leur est refusé (selon les études sur le sujet, le temps partiel clairement volontaire ne représente que 7,9% des cas). www.setca.org/News/Documents/ projet%20de%20loi-temps%20partiel.pdf
photomontage: Little Shiva
Belgique
Les plats les plus gratinés
✒ par Henri Wilno Dans un ouvrage récemment publié (1) deux universitaires français constatent que dans la crise le néolibéralisme, non seulement ne s’est pas effondré, mais "s’est renforcé en se radicalisant". Pourtant le tableau n’est pas brillant: la fameuse reprise de la zone euro dont on nous rebat les oreilles est limitée. Certes, les perspectives actuelles de croissance sont meilleures que les évolutions enregistrées de 2012 à 2014, mais ce n’est pas le premier rebond depuis la récession de 2009: en 2010 et 2011, la croissance avait été plus rapide. Même si la reprise actuelle se matérialisait, le chômage de masse perdurerait avec un taux de chômage prévu pour se replier au voisinage de 10%. Par ailleurs, l’économie mondiale n’est pas à l’abri d’aléas: les ingrédients d’une nouvelle crise financière sont réunis. Et dans la zone euro, la Banque centrale européenne ne cesse d’augmenter le calibre de son "bazooka"monétaire (l’expression est de son président, Mario Draghi): elle vient de lancer un programme de rachat d’obligations d’entreprises car son programme antérieur de rachat de titres d’Etat ne donne pas les effets escomptés.
Face à de tels résultats et au recul de l’économie européenne sur la scène mondiale, une interrogation perdure chez certains: pourquoi les institutions européennes et les Etats-membres de l’Union s’obstinent-ils dans ces politiques? Ses dirigeants sont-ils stupides? Dans un ouvrage publié en 2012 (2), le keynésien prix Nobel d’économie Paul Krugman défendait un tel point de vue: il serait facile de sortir de la situation présente "si les personnes occupant des positions de pouvoir comprenaient les réalités". Rien de plus erroné que cette vision, Draghi, Merkel, Hollande, Michel… ne sont pas de sombres crétins "attachés à des doctrines économiques mal inspirées"(selon une autre expression de Krugman): ils mènent une politique qui correspond aux intérêts des classes dominantes européennes.
Chômage et misère sociale ne sont pour eux que des dommages collatéraux.
Aucun secteur significatif de la bourgeoisie dans aucun des paysmembres de l’UE ne soutient un retour à des politiques keynésiennes. Il n’y a plus de marge pour les politiques socialedémocrates d’aménagement à la marge du système. Et les résistances sociales ne sont, à ce jour, pas suffisantes ni pour imposer une logique anticapitaliste, ni même pour contraindre les bourgeoisies à faire la part du feu. Dans l’Etat néolibéral, la force motrice est la fraction internationalisée de la grande bourgeoisie: si, souvent, est mise en exergue sa composante financière, en fait celle-ci est organiquement liée à sa composante industrielle et commerçante. Comme le soulignent également Pierre Dardot et Christian Laval, le néolibéralisme n’est pas un ultralibéralisme qui voudrait réduire l’Etat à sa plus simple expression. Le néolibéralisme met au contraire l’Etat au service de son projet social et économique. Il s’agit avant tout d’une politique de redressement des taux de profit et de casse du "modèle social"hérité de l’après deuxième guerre mondiale et des luttes des années 60-70. Sur le plan du droit du
analyse
Le néolibéralisme, "un cauchemar sans fin"? travail et des relations professionnelles, Schroeder avait engagé le mouvement en Europe continentale avec les Harz, les Espagnols avaient suivis, ensuite est arrivé le "job act"de Renzi; aujourd’hui, c’est en France la loi El Khomri et en Belgique la loi Peeters. Le paiement de la dette publique est sanctifié et utilisé comme justificatif permanent de l’austérité. L’offensive contre les droits sociaux est noyée dans un discours sur les archaïsmes et le libre-choix des individus. Les médias dominants pilonnent les grévistes. Tout est fait pour opposer les différentes catégories populaires et persuader chacun que son voisin est un privilégié ou un profiteur. Malgré cela, la base sociale du néolibéralisme est assez restreinte tandis que montent frustrations et mécontentements (souvent récupérés par l’extrême-droite). Non seulement les travailleurs mais diverses couches de la petite et moyenne bourgeoisie redoutent certains des effets des politiques mises en œuvre. Il est donc essentiel pour les dominants de sortir des choix politiques décisifs de la délibération démocratique. La gestion de la monnaie et du système bancaire est donc confiée à des banques centrales indépendantes et, dans la zone euro, supranationale (la Banque centrale européenne). Dans l’Union européenne, le respect des règles de la concurrence, les politiques d’austérité et les contre-réformes sociales sont surveillés par la Commission, la Cour de Justice et le Conseil européen qui considèrent les résultats des élections nationales comme des clapotis sans grande importance. Et si d’aventure il vient aux peuples, frustrés dans leurs votes, l’envie de protester directement, ils se heurtent à des appareils sécuritaires et policiers renforcés. ■ (1) Pierre Dardot, Christian Laval, Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme détruit la démocratie, éditions La Découverte, Paris 2016 (2) Paul Krugman Sortez nous de cette crise… maintenant!, Flammarion 2012
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histoire rebelle
Retour sur l’histoire du mouvement ouvrier flamand ✒ par Pips Patroons Trois caractéristiques ont marqué la naissance à la fin du 19e siècle du mouvement ouvrier flamand: une industrialisation tardive (Gand et Anvers excepté), l’influence du mouvement pour l’émancipation culturelle de la Flandre et, last but not least, un anticléricalisme libéral et bourgeois partagé par la socialdémocratie face à la force idéologique et organisationnelle de l’Église. L’industrialisation du nord du pays à partir des années 1960 liée à son déclin en Wallonie et suivie par une fédéralisation poussée a changé la donne, mais les résidus du passé n’ont pas disparu pour autant.
Un bloc culturel chrétien
Les travailleurs flamands partagent avec ceux de Wallonie un même esprit de combat. C’est sur le plan politique que se situe la différence. Le syndicalisme social-démocrate est depuis sa naissance fondamentalement réformiste, lié organiquement à un parti qui avait confiance uniquement dans les victoires électorales. Les syndicats chrétiens, nés à partir de 1891 suite à l’encyclique Rerum Novarum comme un mouvement ouvertement antisocialiste, s’étaient inspirés de la structure de la socialdémocratie allemande. La vie entière de ses adhérents, de leur naissance à leur mort, était organisée sous l’œil vigilant de l’Église: ses institutions formaient un bloc culturel, adossé d’abord au Parti catholique réactionnaire, et après 1945 à la nouvelle démocratie chrétienne. Celle-ci comprenait les trois "états sociaux"[standen]: entrepreneurs, classes moyennes et travailleurs. Dans ce système les représentants du MOC [Mouvement ouvrier chrétien] avaient droit à des portefeuilles ministériels et c’est là-dessus que comptaient les dirigeants syndicaux pour répondre aux intérêts de leurs adhérents. "L’action commune"socialiste ne pouvait se comparer à ce bloc culturel chrétien, mais dans les deux cas le réformisme "électoral"surdéterminait la lutte des travailleurs.
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Le bloc culturel chrétien a été intimement lié, à travers le bas clergé, au mouvement flamand. Là où la social-démocratie ouvriériste mettait l’accent sur le "bifteck", renvoyant la question culturelle à des lendemains radieux, l’Église a été plus intelligente. Mais c'est surtout l’attitude pour le moins ambiguë de la social-démocratie concernant la législation linguistique qui a jeté le mouvement flamand dans les bras de la droite (par exemple quand le POB a donné à ses parlementaires la liberté de voter selon leur bonne volonté sur cette question). Ajoutons que les Wallons (droite et gauche) ont rejeté la proposition flamande du bilinguisme sur tout le territoire, mais l’exigeaient en Flandre. C'est à partir de ce moment que le mouvement flamand s’est replié sur lui-même et resta méfiant envers l’unitarisme belge. Et dans l’esprit de beaucoup de gens, cette vieille rancune anti-francophone continue à entretenir le populisme nationaliste flamand. Autre faute capitale de la social-démocratie: son attitude anticléricale primitive qui la mena à s’allier au parti libéral plutôt que de chercher des alliances avec les travailleurs chrétiens pour défendre leurs intérêts de classe.
Le réformisme
Le mouvement ouvrier belge est fondamentalement réformiste. Cela signifie que les forces sociales et les organisations sur lesquelles le mouvement repose obéissent à des méthodes politiques (et à des théories qui les justifient) qui préconisent la lutte électorale pour transformer la législation dans l'intérêt des travailleurs. D'où cette croyance dans l'harmonisation des rapports entre les "partenaires sociaux"dans le cadre de l’État qui serait un instrument socialement neutre, et non pas au service des relations de production capitalistes. La social-démocratie donnait, dès ses débuts, la priorité à la lutte pour le suffrage universel, accompagné d’un vaste mouvement coopératif pour atténuer la misère ouvrière. Cela a marqué profondément la mentalité ouvrière: on sait se battre mais
l’abolition de l’État bourgeois n’est pas envisagée. Le mouvement ouvrier chrétien a suivi un autre chemin pour aboutir au réformisme, et c’est en cela qu’il s’est différencié du mouvement ouvrier socialiste. Si l’idéologie chrétienne traditionnelle et ses dogmes sont aujourd’hui en retrait, les liens entre le MOC flamand et les institutions chrétiennes sont solides (enseignement, soins de santé, Louvain). Ces institutions partagent des attitudes chrétiennes comme les "œuvres de miséricordes"("visiter les malades", "héberger les réfugiés", etc.). On y est moins sec que chez les socialistes, bien que parfois non exempt d’hypocrisie. Pour résumer: si le MOC véhicule une idéologie plus ou moins structurée d’origine chrétienne, le mouvement socialiste flamand n’est plus qu’une machine électorale et clientéliste défendant même jusqu'à un certain point le néolibéralisme.
Les temps changent
Syndicalisme jaune à son origine, le syndicalisme chrétien s’est transformé, par la logique des choses, en syndicalisme réformiste, tout comme la FGTB. Si les mouvements ouvriers chrétien et socialiste sont toujours liés à "leurs"partis respectifs, on constate qu’ici et là, bien que timidement, sous la poussée de l’attaque néolibérale à laquelle ces partis participent, ces liens commencent à être remis en question. Notons que le parti socialchrétien n’est plus majoritaire en Flandre. A partir de 1970 des voix s’élevèrent pour critiquer le rôle "pastoral"du syndicalisme chrétien, surtout parmi la JOC et la KWB (Ligue des Travailleurs catholiques). Le 4 mars 1978, le MOC ratifiait un document qui prenait position contre le capitalisme, reconnaissait la lutte de classe, prenant un cours anticapitaliste et souhaitait une société dans laquelle l’économie devait servir la communauté et non pas le profit, basée sur l’autogestion et une démocratie partant de la base.
Un fédéralisme néfaste
A partir de 1970 la crise économique s’annonçait, accompagnée d’une attaque
de l’interrégionale wallonne en mars 2004 contre la politique de l’emploi du gouvernement fédéral, la secrétaire Mia De Vits (flamande et appartenant à la mouvance Frank Vandenbroucke) quitta la FGTB, révélant une crise qui touchait l'organisation syndicale de plein fouet. Les scissions communautaires s’annonçaient. C’est ce qui arriva début 2006 dans un bastion syndical historique, celui des métallos. La politique des gouvernements auxquels participaient la démocratie chrétienne flamande (CVP, puis le CD&V) obligea le MOC à chercher d’autres "amis politiques privilégiés". Il constatait que ses adhérents votaient pour d’autres partis que ceux recommandés par son hebdomadaire, notamment pour Agalev, un peu moins pour le SP.A, mais aussi pour le Vlaams Belang et la N-VA. Au congrès du MOC flamand en 2004, le partenariat privilégié avec le CD&V ne fut pas aboli, mais on stipulait que des alliances avec des politiciens d’autres partis, favorables au programme du MOC, étaient possible. Notons quand même la grande méfiance du MOC envers la N-VA et sa politique néolibérale. ■
Ernest Mandel et la Belgique En 1964, suite à la grève de l’hiver 1960-61, Ernest Mandel publiait dans La Gauche une série d’articles intitulée "La Belgique entre néo-capitalisme et socialisme"*. Il nous paraît intéressant de renvoyer le lecteur vers cette lecture dans le contexte actuel. Après un survol historique du développement socio-économique de la Belgique, l’auteur développe sa vision sur la question nationale au lendemain de la grève. Son point de départ est le développement inégal des deux régions et le déclin industriel de la Wallonie. Il relie la revendication fédéraliste à des réformes de structures anticapitalistes, réalisées par la lutte. Il s’agissait de réformes ouvrant le chemin vers le socialisme dans le sens du "programme de transition". Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, les structures et les institutions de la Belgique ont bien changé. Il y a bien eu le fédéralisme, mais pas de réformes de structures anticapitalistes. L’approche méthodologique de Mandel pour analyser la problématique Belge et pour proposer une solution anticapitaliste reste cependant valable. ■
histoire rebelle
photo: Photos Amsab-ISG — http://solidaire.org/ar ticles/il-y-150-ans-fut-fonde -le -vooruit- gand
néolibérale de plus en plus dure. Cette crise a fortifié les exigences fédéralistes flamandes: la séparation ne pouvait que profiter à la Flandre. En 1992 l’Accord de la Saint-Michel transformait la Belgique en un État fédéral. Toujours selon le schéma réformiste, la neutralité supposée de l’État belge fut cette fois-ci remplacée par la neutralité non moins illusoire des communautés. Cette attitude ne pouvait que renforcer le populisme des partis nationalistes flamands. Depuis la grève générale de l’hiver 1960-61, la discorde s’était installée dans la FGTB. L’appel de l’épiscopat, qui se fit surtout sentir en Flandre, suscitait l’idée qu’une reconversion industrielle du sud du pays n’était possible que dans une Wallonie fédéralisée. Déjà en 1995, une aile flamande s’était constituée à l'intérieur de la FGTB. Il semblait de plus en plus difficile dans l’État fédéral de concilier les politiques syndicales appliquées en Flandre et en Wallonie. La FGTB wallonne se méfiait de toute "réforme"qui pouvait mener à des conventions collectives par communauté ou à une scission de la sécurité sociale. Suite à la manifestation
* Ernest Mandel, La Belgique entre néo-capitalisme et socialisme, La Gauche n°21, 22 et 23, mai-juin 1964. Disponible en ligne sur www. ernestmandel.org/new/ecrits/article/ la-belgique-entre-neo-capitalisme
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chronique syndicale
Détachement de travailleurs, dumping social, chômage, nationalisme et… Brexit ✒ par Martin Willems, Secrétaire permanent CNE
La débâcle continue
D’abord quelques nouvelles du front. La multinationale Exide, qui avait racheté les batteries Tudor à Archennes, annonce la fermeture définitive du site, qui n’était déjà plus qu’un centre de distribution. IBM Belgique annonce son intention de licencier 233 travailleurs/ euses sur 1498 (après s’être débarrassé de 30% de son personnel, en douce, depuis 10 ans). Tech Mahindra, après avoir repris en sous-traitance la gestion des systèmes d’information de Mobistar il y a moins de deux ans, annonce le licenciement de plus d’un tiers du personnel transféré. Point commun de ces annonces: il ne s’agit pas d’industrie, que beaucoup se sont résignés depuis longtemps à considérer comme condamnée. Il s’agit de logistique, de services et de nouvelles technologies, justement les secteurs économiques supposés prendre le relais et créer de l’emploi. Autre similitude: il s’agit chaque fois d’une forme de délocalisation. Désormais le service sera rendu à distance par des travailleurs en Pologne, en Roumanie ou en Inde. Travailleurs dont certains se déplaceront régulièrement jusqu’en Belgique, pour assurer la liaison et réaliser ce qui doit être fait sur place.
Une économie artificielle, un différentiel de compétitivité savamment organisé
Notons d’abord que ces évolutions généralisent un modèle économique reposant toujours plus sur le transport et la circulation fébrile des hommes et des marchandises. Cela crée une énorme fragilité du modèle. Si du jour au lendemain les prix du pétrole quadruplaient, tout le système serait pris à la gorge. Il ne faut pas chercher plus loin la raison de la plupart des conflits et intrigues internationales. Cela démontre aussi l’hypocrisie totale
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de la lutte contre le réchauffement climatique et l’impossibilité d’un capitalisme "vert". A quoi riment les quelques efforts pour verdir nos modes de vie si dans le même temps les dépenses énergétiques, la circulation des marchandises et la consommation explosent? L’autre constat, ce sont les ravages du dumping social sous ses différentes formes. Off-shoring implique délocalisation, licenciement et fermeture. Même les travailleurs envoyés de l’étranger, durant des périodes plus ou moins longues, sont occupés chez nous sous l’un ou l’autre statut de "détaché", donc avec des conditions de travail de leur pays dit "d’origine". Cela revient à délocaliser, en restant sur place. On connaît les très nombreux travailleurs sous contrat indien qui remplacent d’autres travailleurs jugés trop chers (un exemple récent est celui d’Atos qui, comme le révèle le magazine Trends, licencie des travailleurs tout en faisant venir des indiens aux compétences similaires). Les règles actuelles de détachement de travailleurs/euses au sein de l’Union européenne déciment des secteurs aussi variés que la construction, le transport, les abattoirs, mais aussi les services et les nouvelles technologies. Dernière innovation en date de l’"ingénierie sociale": les travailleurs indiens avec passeport roumain. Sans doute qu’il s’agit de contourner les contrôles timidement renforcés suite aux excès récents. Pour "importer de la main-d’œuvre"de l’extérieur de l’UE, il faut notamment prouver que des profils équivalents n’existent pas dans le pays hôte. En utilisant la porte du détachement de travailleurs au sein de l’UE, il suffit alors de passer par le pays de l’Union le moins contrôlant.
Brexit: les Polonais à la mer
En suivant les débats récents au Royaume-Uni, à l’occasion du referendum du 23 juin sur le Brexit (rester ou sortir de l’UE), on constate qu’un sujet éclipse tous les autres: l’immigration. Et il ne s’agit pas,
ou très peu, de l’immigration récente de réfugiés fuyant les zones de conflit (Syrie par exemple). Ce qui cristallise le mécontentement populaire, c’est l’immigration de travailleurs/euses accusé.e.s de voler l’emploi des Britanniques. Ce que rejettent beaucoup de partisans du Brexit, c’est la libre circulation des travailleurs/euses au sein de l’UE, et en particulier la levée des restrictions à la circulation des travailleurs issus des "nouveaux états membres"depuis 2006. Le fameux syndrome du "plombier polonais". Et il est évident que les règles actuelles de l’UE en la matière posent problème. Non pas que la solution soit au repli national. La libre circulation des travailleurs/euses est une formidable avancée. Mais pour autant que s’appliquent à tout travailleur, résident ou non, toutes les règles en vigueur là où il travaille: droit social, conventions collectives et sécurité sociale. Et non le système qui prévaut actuellement pour le détachement au sein de l’UE: les règles du pays d’origine du travailleur continuent à s’appliquer à quelques exceptions près. Ce qui fait que peut travailler partout dans l’UE un travailleur polonais aux conditions de travail polonaises (sauf le salaire minimum), conditions que par ailleurs l’inspection du travail du pays "hôte"est incapable de vérifier. Mais il ne s’agit aucunement d’un problème de nationalité. Le problème n’est pas que ce soit un travailleur polonais. Le problème est qu’en un même lieu sont mises en concurrence les conditions de travail des différents États membres. Pour finir en une vaste enchère au moinsdisant social qui ne peut résulter qu’en l’alignement sur les plus mauvaises conditions sociales. Ce ne sont évidemment pas les travailleurs/euses, d’aucun pays, qui sont les grands gagnants. D’autant plus que, la nationalité du travailleur étant indifférente, tous les montages sont possibles, par exemple de proposer à un résident belge de travailler en Belgique, mais aux
chronique syndicale photomontage: Little Shiva
conditions de travail roumaines, via une société-écran dans ce pays.
Les travailleurs/euses doivent s’attaquer en priorité à ce cheval de Troie Détachement dans l’UE: fausser destructeur, qui nourrit toutes les dérives nationalistes et explique la montée de à dessein la concurrence l’extrême droite. Mais le repli nationaliste La commissaire européenne Mariest la mauvaise réponse au problème: il ne anne Thyssen tente actuellement de faire réviser la directive sur le détachement, fera qu’exacerber la mise en concurrence mais timidement: imposer les conditions et la division des travailleurs/euses. de rémunération du pays où est réalisé le Mettre les patrons en travail, mais pas l’affiliation à la sécurité concurrence plutôt que les sociale. La différence de cotisation sociale travailleurs/euses maintiendra un différentiel et le dumping C’est la libre circulation des capitaux social, avec la ruine finale des systèmes et des marchandises qu’il faut restreindre de sécurité sociale les plus avancés. Mais et soumettre à des conditions sociales même cette timide réforme est bloquée et environnementales drastiques. Il ne par onze pays membres, surtout des pays faut pas limiter la libre circulation des de l’Est, qui font malheureusement preuve travailleurs/euses. Appliquer à tous les d’hypocrisie et de myopie. Car comment un gouvernement polonais peut-il conditions de travail en vigueur sur un cautionner que ses résidents, lorsqu’ils territoire, c’est permettre aux travailleurs/ travaillent comme détachés dans un pays euses de choisir les meilleures, et les libérer où les conditions de travail sont meilleures, du boulet de leurs mauvaises conditions ne bénéficieraient pas des mêmes droits, de travail d’origine. C’est mettre plutôt salaire et sécurité sociale, que les résidents les patrons en concurrence, et les forcer à du pays "hôte"? C’est cautionner que leurs s’aligner sur le haut s’ils veulent conserver ressortissants se fassent exploiter loin de leur main-d’œuvre. En attendant cette prise de conscience, chez eux. On comprend que le gagnant de les restructurations et délocalisations se ce système est encore une fois le patronat, poursuivront, et alimenteront la rancœur surtout des pays les plus riches, qui ont trouvé là l’arme fatale pour détricoter et la frustration, qui ne sont pas les meilleurs carburants pour le progrès social. ■ inexorablement tous les acquis sociaux.
Retrouvez La Gauche en ligne! Quelques articles à lire sur le net: Comment unifier les luttes? Lettre ouverte à Peter Mertens, président du PTB par Thomas Weyts, Mauro Gasparini, Daniel Tanuro Merci la grève! par Romain Bothuyne Turquie: La guerre permanente du gouvernement contre les femmes par la Commission femmes de Yeniyol www.lcr-lagauche.org Un site mis à jour quotidiennement, des analyses sur l’actualité belge et internationale, des prises de position pour intervenir dans les luttes, mais aussi des blogs thématiques comme le blog "écosocialiste"de Daniel Tanuro ou le blog "culture"de Pips Patroons. Rejoignez-nous et suivez-nous sur les réseaux sociaux! ■ la gauche #78 juillet-août 2016
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*Polaroïd 600
✒ par La Rédaction La Gauche inaugure une nouvelle rubrique. Dès ce numéro nous ouvrons désormais nos pages "points de vue"à un.e photographe, artiste, militant ou simple témoin, occasionnel.le ou acharné.e, mais toujours avec les deux pieds bien ancrés de ce côté-ci de la barricade. Des photos des luttes, des photos dans les luttes. Des photos de et par celles et ceux qui luttent au quotidien. Donner le point de vue des exploité.e.s et des opprimé.e.s, au propre comme au figuré, voilà le but de cette rubrique. "Points de vue"au pluriel, parce que même si nous partageons la position commune du rejet radical du capitalisme destructeur, nos points de vue peuvent être différents. Et que nos vécus et nos analyses soient différents, cela ne constitue pas un obstacle mais bien une richesse. Montrons et revendiquons les richesses de notre classe, non seulement dans les manifestations mais aussi, de manière plus générale, dans les différentes façons de résister, de créer, d'inventer. Bref, dans les différentes formes que prend la vie de celles et ceux qui résistent jour après jour. Affichons tous ces instants de vie, majuscules ou minuscules, qui nous permettent de nous reconnaître, de nous identifier en tant que classe, en tant que sujet collectif agissant pour la défense des intérêts du plus grand nombre. Car contrairement à ce que ce que voudraient nous faire croire les dominants et leurs chiens de garde, nous avons beaucoup plus de choses en commun que de choses qui nous divisent. Cette rubrique a pour vocation de nous ouvrir les yeux sur ce qui nous rassemble, dans toute notre diversité. ■
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photos: Sophie Cordenos / w w w.flickr.com/image -bank
points de vue
La photographie comme témoin des luttes
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1 et 5: Manifestation contre le gouvernement Michel. Mons, mai 2016 2 et 3: Fête des Travailleurs/euses, «Non aux 45h!» Charleroi, 1er mai 2016 4: Marche contre la terreur et la haine, Bruxelles, avril 2016
Sophie, 29 ans, bibliothécairearchiviste et photographe à ses heures perdues. Elle découvre la photographie en recevant son premier Polaroïd* à l'âge de dix ans et étudie finalement la photographie numérique et argentique, des années plus tard, à l'Académie des Beaux-Arts Alphonse Darville de Charleroi. Elle s'est d'abord intéressée à l'exploration urbaine et aux photographies événementielles avant de se tourner vers la photographie engagée. Elle reste en constante recherche de la photo qui raconte une histoire et qui sensibilise. ■
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Sophie Cordenos
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✒ par Sophie Cordenos A côté des magazines féministes, les magazines féminins véhiculent une certaine "identité féminine". Ils servent souvent de vitrines papiers, de catalogues de produits à acheter absolument et donnent une image peu flatteuse des femmes: narcissiques, frivoles et dépensières.
Paradoxes frustrants
Bien souvent, ces publications donnent une vision schizophrénique et impossible de la femme. Au sein d’un sommaire d’un même magazine, il n’est pas rare de constater des paradoxes frustrants: – Acceptez votre corps tel qu’il est MAIS n’oubliez pas d’acheter ce produit qui vous aidera à perdre votre cellulite! – Soyez sexy MAIS pas trop,
n’ayez pas l’air d’une allumeuse! – Ayez une sexualité libérée MAIS pas trop, faites attention à votre image, ne passez pas pour une fille facile! – Ayez une vie sociale riche MAIS faites attention à vos rivales, ne vous faites pas piquer votre mec! Et bien d’autres exemples encore…
Editions spéciales rondes: mise en valeur ou stigmatisation?
Régulièrement cette presse féminine nous demande "d’aimer notre corps", ou nous donne des astuces pour plus de confiance en soi. Pourtant elle n’hésite pas bombarder ses lectrices de régimes tous plus absurdes les uns que les autres et à rédiger des "éditions spéciales femmes rondes"en étiquetant ses mannequins de "rondes"sans pour autant étiqueter les autres mannequins du magazine de "minces". Ainsi, en créant une édition spéciale, elle provoque une stigmatisation encore plus intense. Au final, le but à peine dissimulé de ces éditions spéciales n’est bien sûr pas de faire plaisir à ses lectrices, mais de vendre un maximum de produits en touchant un maximum de lectrices qui se sentiront mises en valeur par une édition spéciale qui leur est consacrée.
Minceur = confiance en soi?
Tout récemment encore, j’ai été interpellée par un titre de magazine féminin qui indiquait: "En perdant du poids
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j’ai trouvé le courage de quitter mon conjoint violent". Un tel slogan sous-entend très clairement que la vie d’une femme sera meilleure une fois ses kilos en trop éliminés! Le sujet de la violence conjugale est bien trop grave pour être mis en relation avec une histoire aussi superficielle que des kilos en trop. Dès lors, faut-il mincir avant de fuir les coups de son mari? En plus de donner une image futile de la femme, de tels titres peuvent s’avérer dangereux pour les femmes en situation de violence.
Homme-femme: chacun son rôle
A y regarder de plus près, trois quart des articles de presse féminine concernent la mode, la beauté, l’hétérosexualité, la mise en valeur de vedettes masculines pour le plaisir des yeux, la décoration d’intérieur, la maternité et naturellement, le shopping. Des activités domestiques, individuelles et consuméristes en somme. La plupart du temps les articles plus généraux d’information, les pages culturelles ou politiques sont réduites à leur plus simple expression ou sont carrément inexistantes. Suivant le même fonctionnement que les "éditions spéciales rondes", il n’est pas rare de voir des dossiers consacrés aux femmes exerçant un "métier d’hommes". Un peu à la manière de bêtes de foires, des femmes relatent aux autres femmes leur quotidien "d’hommes", mettant encore davantage l’accent sur le caractère exceptionnel et anormal de la chose. A propos du monde du travail, bien qu’on nous présente régulièrement des exemples de femmes battantes et indépendantes, il n’est pas rare d’y voir des "conseils mode pour le bureau". Parce qu’évidemment, il ne faut pas oublier de montrer ses nouveaux achats à ses collègues! En conclusion, si acheter un magazine en vitesse en attendant son train est un acte anodin, il faut rester attentive au contenu et garder un œil critique sur ces articles qui cantonnent les femmes à des rôles prédéfinis et qui, au final, offrent un contenu plus lucratif qu’informatif.. ■
w w w.cosmar xpolitan.tumblr.com
féminisme
Presse "féminine": business et stigmatisation
✒ par Evie Embrechts Suite à la manif du 24 mai 2016 Il y a régulièrement des gens au syndicat qui se demandent pourquoi si peu de femmes participent aux manifestations. Je soutiens le syndicat. Tout comme la plupart des féministes. Maiiis… nous attendons alors un minimum d’effort de ces syndicats: lorsque trop d’hommes se comportent en sexiste de bas étage, il est temps d’agir. Un minimum de formation et de manière de traiter de tels problèmes est nécessaire d’urgence. Il se passe déjà quelque chose? Eh bien, ce n’est clairement pas efficace. Nous n’avons pas envie de types qui viennent rire de nous, qui jettent des pétards entre nos jambes, qui font mine de se masturber, etc. C’est juste incroyable que nous devions encore dire ça et incroyable que ça se produise. Ce 24 mai n’était pas la première fois, lors des manifestations syndicales précédentes c’était la même chose. Les femmes ne sont pas l’ennemi. Ça devrait être évident en fait. Le slogan n’est pas: "Travailleurs de tous les pays unissezvous et comportez-vous de manière infantile vis-à-vis des femmes", ok?
w w w.evieembrechts.com/book
D’où vient le problème?
Ce que nous voyons ici est l’effet assez simple de syndicats qui ont trop longtemps ignoré le sexisme. Les gens de gauche ne se sentent pas automatiquement à l’aise sur le plan du sexisme, un effort doit se faire aussi dans ce domaine. Ensuite, la question se pose de savoir ce qui anime ces hommes. On dirait presque qu’ils se comportent en adolescents pubères irritants. Mais les manifestations, au-delà de l’atmosphère parfois joyeuse, sont une chose sérieuse. Nous venons en rue pour nous opposer à la politique néolibérale qui nous démolit toutes et tous. Et vraiment, allons-nous nous comporter de façon ridicule dans un tel moment? Ça nous divise, oui.
Le féminisme pourrait nous unir, le sexisme nous divise
L’ambiance en devient complètement pourrie. Le message est clair: "Cet
espace, l’espace public, il est 'à nous'". Aux hommes, donc. Et ils doivent encore le faire remarquer. Les féministes dénoncent tout ça depuis longtemps déjà. Nous parlons souvent, dans la gauche, de reprendre les rues. Et à juste titre, elles sont à nous, la classe des travailleurs. Mais les femmes comme groupe spécifique sont aussi repoussées dans les espaces publics, ou remises à leur place. Non, personne ne croit que crier "hé, nichons!"ne lui apportera un quelconque succès. Ces phénomènes ne se produisent que dans le but de bien montrer que cet espace appartient aux hommes. Si ce genre de comportement continue à se produire, de plus en plus de femmes resteront à la maison – c’est simplement logique. Les syndicats font du bon travail et nous en avons besoin plus que jamais. Mais
Feminisme een nieuw begin Tel est le titre du livre consacré par Evie Embrechts au féminisme et ses thèmes principaux. Embrechts s’adresse aussi bien au public des féministes actuelles qu’aux féministes qui avaient participé à la fameuse "deuxième vague"du féminisme des années 70. Evie Embrechts a pris cette initiative courageuse pour essayer de combler le vide qui existe en langue néerlandaise sur ce thème. Son point de départ, c’est sa propre prise de conscience. Les féministes n’ont pas obtenu l’abolition définitive de l’oppression et de l’exploitation des femmes. La lutte "féministe"par et pour les femmes reste absolument d’actualité. Les thèmes mis en avant par Evie sont liés aux problèmes et au vécu des femmes d’aujourd’hui. La violence, la pornographie, l’impact de l’industrie de beauté, la prostitution, etc. Ces thèmes sont devenus dominants dans le contexte d’une mondialisation approfondie. Mais Evie ne se contente pas de descriptions. Elle discute du mouvement des femmes en tant que mouvement qui nous change individuellement et qui nous permet en
il est aussi absolument nécessaire qu’ils soient inclusifs. Qu’ils travaillent aussi pour que ce pays et ces rues soient à nous tou.te.s, et pas seulement aux hommes.
féminisme
Les crétineries sexistes lors des manifestations syndicales: basta! Conclusion Tous ensemble, ça veut dire: tou. TE.s ensemble. Pas un petit club macho qui exclut les femmes et se plaint ensuite en disant que les femmes ne soutiennent pas la résistance sociale. Il est temps de montrer un peu plus de solidarité dans ces manifestations et d’attaquer le sexisme. Des hommes peuvent aussi s’exprimer contre ce comportement irritant et infantile et aider ainsi à rendre les manifestations et syndicats plus inclusifs en pratique. Les rues sont à nous. A nous tou.TE.s. ■ Traduction: Michèle Marteaux même temps, par l’action collective, de lutter pour nos revendications et de construire une autre vision sur les femmes et sur la société. Le livre se veut un début de réflexion pour de nouvelles perspectives concernant la libération des femmes. Il fait le lien entre les différentes luttes par les féministes à l’intérieur du mouvement féministe (luttes des lesbiennes, des trans, des femmes "racisées") et dans la société. Le féminisme prôné par Evie Embrechts est un féminisme anticapitaliste et pluriel. Il envisage la libération de tous les groupes opprimés par une pratique solidaire et autogérée. Le livre n’est pour l’instant disponible qu’en néerlandais. Il est possible de le commander au Uitgavenfonds Ernest Mandel. ■ –Marijke Colle Door storting van 20€ + 4,70€ verzendingskosten / exemplaar op het rekeningnummer van het Uitgavenfonds Ernest Mandel, met vermelding van het aantal gewenste exemplaren en "boek feminisme". BE45 0011 9341 9389 BIC GEBABEBB
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✒ par Daniel Tanuro Du point de vue anthropologique, le travail désigne l’activité consciente par laquelle l’être humain transforme l’environnement et ses ressources pour produire son existence sociale. Le travail n’est alors rien d’autre que la médiation indispensable entre l’humanité et le reste de la nature, qui est caractéristique de notre espèce. Du point de vue sociologique, cette définition générale n’a guère d’utilité parce qu’elle ne permet pas de saisir les spécificités du travail dans les différents types de société. Or, le travail dans la société capitaliste est fort différent du travail dans la société féodale, et encore plus différent du "travail"chez les chasseurs-cueilleurs. Prenons par exemple le rapport au temps: dans les sociétés précapitalistes le travail structure le temps, tandis que dans le capitalisme c’est le temps qui structure le travail… Poser correctement la question du travail aujourd’hui nécessite de prendre en compte non seulement sa définition générale, telle qu’elle s’applique à tous les modes de production, mais aussi et surtout la forme spécifique qu’il prend dans le capitalisme.
Le capitalisme est une société de production généralisée de marchandises.
Pour la majorité de la population, le travail prend la forme du salariat, c’està-dire la vente de la marchandise "force de travail"aux propriétaires des moyens de production. Le système est régi par la valeur, indicateur exclusivement quantitatif dont la mesure est le temps de travail. La concurrence pour le profit pousse constamment à la hausse de la productivité. Les décisions sur ce qui est produit, comment, dans quel but et en quelle quantité ne sont pas prises par les producteurs directs mais par les propriétaires des moyens de production, en fonction de leurs attentes de profit. Le travail est aliéné. Loin d’être vécu comme déploiement des potentialités du producteur à travers sa contribution à l’existence sociale, il est
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vécu comme contrainte et dépossession. L’aliénation du travail a une influence majeure sur la conscience. Comme la socialisation du travail s’opère par l’achat et la vente, les décisions sont tranchées en dernière instance par "le marché", par "l’économie", c’est-à-dire par des abstractions qui dissimulent des rapports sociaux d’exploitation. Ces abstractions obéissent à la loi de la valeur qui, bien que sociale, s’impose d’elle-même, au même titre que la loi de la pesanteur. Personne ne peut y échapper. Le capitalisme est la première société de l’histoire où l’obligation du travail, la hausse de sa productivité et la menace du chômage sont tyranniques, car découlant de "lois de l’économie"qui semblent naturelles. Ni l’esclave ni le serf n’étaient soumis ainsi à un mécanisme automatique, indépendant de toute décision humaine. On a longtemps cru que "travail"vient du latin "trepalium"[torture]. Cette étymologie est contestée aujourd’hui, mais le travail capitaliste n’est pas une partie de plaisir. L’évolution du système entraîne une spécialisation et une parcellisation croissantes. La mécanisation et l’automatisation augmentent, la production et les échanges sont de plus en plus mondialisés. L’extension de la production marchande envahit et gangrène tout. Elle dicte sa loi à la recherche et à la création, détruit l’environnement, engendre toujours plus de productions inutiles ou nuisibles et de technologies dangereuses. Les opérations de promotion et de spéculation gaspillent une quantité croissante de force de travail. Non seulement le temps de travail mange le temps de vie, mais en plus ce temps passé au travail est flexibilisé, précarisé et contrôlé scientifiquement pour extraire jusqu’à la dernière goutte de valeur. On parle de "travail en miettes", de "travail sans qualités", de "perte de sens du travail".
La tyrannie du travail est en crise.
Cette crise s’exprime d’un côté par l’épidémie de burnout, de l’autre par la révolte contre le travail – celle des jeunes
en particulier. Elle est systémique, car soustendue par une contradiction majeure: d’une part le système n’appréhende la richesse que sous la forme de la quantité de valeur, par la mesure du temps de travail; d’autre part, la loi de la valeur elle-même a créé une situation où la vraie richesse ne dépend plus du travail. Elle dépend du savoir et des machines qui créent la possibilité de réduire radicalement le travail en quantité, d’en améliorer radicalement la qualité, d’en changer les instruments et de le réencastrer dans la vie. Dans Age de pierre, âge d’abondance, l’anthropologue Marshall Sahlins décrit avec malice le bonheur des peuples indigènes qui ne consacrent que deux heures par jour à l’activité productive. Ce bonheur est à notre portée pour peu d’en finir avec le capitalisme, son productivisme et… son travail. ■
illustration: Little Shiva
Marx, et ça repart!
Tyrannie du travail, crise de la tyrannie
photo: w w w.lavenir.net/cnt/dmf20140502_020
✒ par Daniel Tanuro Selon les sondages, le PTB devient le troisième parti en Wallonie. Avec 13,5% des intentions de vote, il progresse de 8% par rapport à mai 2014, passant devant le Cdh (12%) et devant Ecolo (10,1%). L’électorat glisse à gauche: par rapport à 2014, le PS perd 6,2%, le Cdh 2% et le MR 5,7%, tandis qu’Ecolo progresse de 1,9%. Le score du PTB est moins impressionnant à Bruxelles, mais néanmoins remarquable: 7,8% (+3,8% par rapport à mai 2014). Cette percée du PTB sème la panique dans la social-démocratie. Le PS espérait se refaire dans l’opposition, mais ça ne marche pas, au contraire: 1) Le PS ne parvient pas à faire oublier ses 25 années de gestion de l’austérité; 2) Elio Di Rupo s’accroche alors qu’il incarne les pires mesures de régression sociale, notamment l’exclusion des chômeurs; 3) Le PS reste au pouvoir en Wallonie où il poursuit la même politique; 4) Le "peuple de gauche"est écœuré par les méfaits du gouvernement Hollande en France. Le PS est coincé et le PTB en profite. Au parlement, les excellentes interventions des élus PTB-GO font mouche. Avec son image de parti de gauche raisonnable, axé sur la redistribution des richesses, le PTB veille à ne pas effrayer l’électorat par un programme anticapitaliste d’ensemble. La dénonciation du racisme, de l’islamophobie et de la politique sécuritaire ne sont pas non plus prioritaires à ses yeux. Cependant, en dépit de cet opportunisme, la percée du PTB est très positive: elle exprime la recherche d’une alternative portée par un parti qui ne trahit pas ses promesses. Pour se sauver, la social-démocratie veut mouiller le PTB dans la participation au gouvernement, au nom du "moindre mal". Réponse de Raoul Hedebouw: "Les quatre partis traditionnels francophones ont voté le traité d’austérité européen, y compris la gauche. Dans ce cadre-là le PTB ne peut pas participer au pouvoir"(RTBF, Le grand oral, 21 mai). Il précise: "Le danger, c’est de finir par accepter les règles du système. La
social-démocratie est entrée dans le jeu. Le PTB reste un parti anticapitaliste, il ne croit pas que l’économie de marché résoudra les problèmes sociaux et écologiques, ni éthiques et moraux." (Le Soir du 20 mai). A court terme, le PTB exclut d’entrer dans un gouvernement. Il a raison, c’est un piège. Mais ce refus s’avèrera contradictoire avec son soutien de plus en plus net à la stratégie de concertation des directions syndicales (1). En effet, on ne peut pas dire d’un côté "non"à la politique du "moindre mal"et de l’autre "oui"à la stratégie syndicale de concertation, car la première est le complément de la seconde. En cherchant à concurrencer le PS comme ami politique des directions de la FGTB et de la CSC, le PTB s’expose donc à ce que celles-ci l’appellent un jour à "prendre ses responsabilités"… avec le PS. David Pestieau, vice-président, confirme que le PTB n’exclut pas de participer à une coalition: "On ne va pas au pouvoir à tout prix pour avoir des postes, on veut avoir un rapport de force, pour peser sur les décisions". Le PTB se définissait jadis comme "le parti de la révolution". Aujourd’hui, son succès électoral l’amène à se reposer la question de la stratégie pour transformer la société. Raoul Hedebouw: "Nous devons résoudre la question stratégique pour les dix ans à venir. Les sondages sont l’expression d’une envie de gauche et de sortir du cadre libéral. Mais ce ne sont pas deux ou trois députés en plus au PTB qui changeront la donne. Avant tout, il faut créer un rapport de forces extraparlementaire. Sans cela, rien n’est possible". Sur la centralité de ce rapport de forces, nous sommes bien d’accord, c’est l’abc de l’anticapitalisme. Mais comment articuler lutte extraparlementaire et percée politique sans contester la stratégie des directions syndicales… qui cadenassent la lutte extraparlementaire? Raoul Hedebouw en appelle à "l’esprit du Front populaire": "Mai 1936, dit-il, avait été le point de départ d’un mouvement splendide en Belgique et en France, qui allait générer le Front populaire, qui ira chercher les 40 heures semaine, les congés payés…".
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Dopé par les sondages, le PTB en appelle à un Front populaire Or, ce n’est pas le Front populaire qui a décroché les 40 heures et les congés payés, mais la vague de grèves spontanées avec occupation des entreprises. Ouvrant une situation pré-révolutionnaire, elle a débordé les bureaucraties syndicales et le Front populaire s’y est opposé. Le secret des victoires ouvrières, c’est l’auto-activité et l’auto-organisation des exploité.e.s et des opprimé.e.s, pas les accords entre appareils. Des débats restent en effet nécessaires pour "résoudre la question stratégique"… ■ (1) Ce soutien s’accentue: le PTB a dit des grèves récentes qu’elles risquaient d’être "contreproductives"et il s’est démarqué de la CNE et de la CGSP wallonne qui veulent faire tomber le gouvernement.
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Le Front populaire et la grève générale de 1936 Dossier grève générale et Front populaire A l’occasion du 80e anniversaire des grèves de 1936, il nous a paru intéressant de publier un dossier à ce sujet. D’abord parce que la grève de 1936 en Belgique est fort peu connue par un large public, ensuite parce que la grève générale de 1936 en France (bien plus connue que la grève belge) est souvent associée et confondue avec le Front populaire, et enfin parce que le porte-parole du PTB, Raoul Hedebouw se revendique aujourd’hui du Front populaire. Il nous paraît donc important d’avoir un débat fraternel avec le PTB à ce sujet tout en n’oubliant pas de tirer les leçons du passé. ■
✒ par Guy Van Sinoy Au début des années 30, la France traverse une crise capitaliste profonde: la production industrielle est tombée plus bas qu’en 1913, les produits agricoles s’entassent faute de trouver acquéreurs. Les prix industriels baissent de 22%, les prix agricoles s’effondrent. Il y a 400.000 chômeurs en 1933, 1.200.000 un an plus tard auxquels s’ajoutent 2.000.000 de chômeurs partiels. Un sentiment d’angoisse étreint la population. D’autant plus que les scandales financiers s’accumulent. Notamment l’affaire Stavisky, un escroc arrêté puis vite relâché après avoir réussi à reporter son procès 19 fois de suite! L’extrême-droite en profite pour dénoncer le régime. Le 6 février 1934, à l’appel des organisations d’anciens combattants et des ligues fascistes plusieurs dizaines de milliers de parisiens manifestent aux abords de l’Assemblée nationale aux cris de "A bas les voleurs!", "Daladier (1) démission!". Les combats avec la police font rage; il y a 15 morts et des milliers de blessés, dont 57 par balles. Le 12 février, les ouvriers socialistes et
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communistes manifestent ensemble contre l’extrême-droite. Cet épisode sera un électrochoc pour le mouvement ouvrier.
Du sectarisme gauchiste à l’opportunisme le plus plat
Au début des années 30, le Parti communiste français (PCF) a traversé – comme tous les PC du Komintern stalinisé – un cours gauchiste: appel constant à créer des comités de grève, voire des soviets, là où il n’y avait pas l’ombre d’une grève, dénonciation systématique de la social-démocratie présentée comme "l’ennemi principal". En Allemagne, cette tactique gauchiste qui mettait dans le même sac les fascistes et les "sociauxfascistes"avait facilité l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. A la suite de ce désastre, le Komintern opère, dans tous les pays, un tournant à 180° (2). L’URSS recherche des alliés pour faire contrepoids au IIIe Reich, allant même à adhérer à la Société des Nations (que Lénine considérait comme une "caverne de brigands"). L’Humanité (quotidien du PCF) du 31 mai 1934 reproduit un article important de la Pravda: "Le Komintern estime que l’appel au front unique devant la menace fasciste est nécessaire dans certaines conditions. Un pareil appel est possible en France où la social-démocratie n’a pas encore été au pouvoir, où les ouvriers socialistes pensent que leur parti ne suivra pas le chemin de la social-démocratie allemande."Le PCF décide alors de proposer un pacte d’unité d’action à la social-démocratie (SFIO). Mais ce tournant métamorphose le PCF qui, pour se rendre acceptable, abandonne l’antimilitarisme et l’anticolonialisme pour se convertir au patriotisme et défile désormais derrière le drapeau tricolore au son de La Marseillaise.
Le Front populaire et les élections de 1936
En juillet 1934 la SFIO accepte la proposition du PCF. Sous prétexte de s’adresser aux "classes moyennes", le PCF se tourne alors, fin 1934, vers le Parti radical. Ce virage est facilité par la
signature du pacte d’assistance francosoviétique entre Staline et Laval (un ancien socialiste passé à droite). En janvier 1936, le programme du Rassemblement populaire (Radicaux, SFIO, PCF) est adopté. Sur le plan économique, il prévoit notamment une réduction du temps de travail, une amélioration des pensions (sans les chiffrer). Il est évident que les masses populaires sont bien plus à gauche que ce programme modéré. En mars la CGT (social-démocrate) et la CGT-U (communiste) fusionnent. Au deuxième tour des élections législatives de mai 1936, le PCF a 72 élus (+62), la SFIO 146 (+53), L’Union socialiste et républicaine 25 (-20), les radicaux 106 (-53), différentes listes se réclamant du Front populaire 26. La Droite a 220 élus (-40); au détriment du centredroit. Dans chaque camp, les positions se sont radicalisées. Le soir du 3 mai, à l’annonce des résultats du deuxième tour, des manifestations spontanées se forment dans les quartiers ouvriers au son de L’Internationale. Les fascistes se terrent. Les négociations pour la formation du gouvernement vont durer un mois. Dès le départ, le PCF entend ne pas y participer tout en le soutenant de l’extérieur. Les radicaux de leur côté ont perdu 400.000 voix et ils savent qu’une bonne partie de leurs élus doivent leur élection au Front populaire.
Grèves spontanées avec occupation
La grève démarre aux usines Bloch (Dassault) à Courbevoie le 14 mai. A l’issue du premier jour de grève, les ouvriers restés à l’usine décident d’y passer la nuit. Le lendemain la direction cède et signe un accord collectif sur le relèvement des salaires, le paiement des jours de grève et la reconnaissance du droit aux congés payés. Le 24 mai, à l’appel de la CGT, une manifestation socialiste-communiste rassemble 600.000 personnes au cimetière du Père Lachaise. Le 26 mai les grèves s’étendent dans la métallurgie parisienne: Hotchkiss, Farman, Renault, Fiat, Citroën, Chausson,
Brandt, Talbot, etc. La plupart de ces usines sont occupées. Pour la bourgeoisie, il s’agit d’un acte révolutionnaire qui porte atteinte à la liberté de travail et à la propriété privée. Mais face à la force du mouvement de grève les patrons restent prudents. Ils veulent surtout éviter l’évacuation des usines par la force et un conflit sanglant qui mettrait de l’huile sur le feu. Le 28 mai, Jacques Duclos, secrétaire du PCF déclare: "Nous obéissons à une double préoccupation: d’abord éviter tout désordre; ensuite obtenir que des pourparlers s’engagent le plus tôt possible en vue d’un règlement rapide du conflit". En fin d’après-midi, un accord intervient et la plupart des usines en grève reprennent le travail le lendemain. Mais le mouvement rebondit et le 2 juin les grèves s’étendent à tous les secteurs d’activité: terrassiers, transport, chimie, pétrole, textile, meuble. La métallurgie reste la branche la plus touchée. Dans certaines usines les patrons sont enfermés dans leur bureau et les ouvriers coupent le téléphone. La CGT lance un appel: "Les patrons doivent rester libres d’entrer et de sortir des établissements."Le 4 juin, la grève s’étend encore: restaurants et hôtels, livre, bâtiment, gaz, habillement. Partout la grève est appuyée par la sympathie passive de la population. Ce jour-là le gouvernement de Front populaire est constitué avec à sa tête Léon Blum (SFIO). Mais la grève continue à s’étendre y compris en province.
image: w w w2.war wick.ac.uk/ser vices/librar y/mrc/studying/modules/noncurrent/france
Les accords Matignon
Patronat et syndicat se rencontrent le 7 juin à l’hôtel Matignon pour tenter d’aboutir à un accord permettant de mettre fin aux grèves. Pour obtenir l’évacuation des usines, dont l’occupation viole les principes sur lequel repose tout l’édifice de la société capitaliste, le patronat est prêt à tout admettre, espérant que, si la classe ouvrière se contente de promesses d’avantages matériels, il sera possible demain de lui reprendre par bribes ce qu’on lui a arraché par la force. Dans la nuit, le texte de l’accord est rendu public: convention collective, reconnaissance syndicale dans les entreprises, hausse des salaires de 15%, aucune sanction pour fait de grève. La presse de la SFIO et du PCF crie victoire. Mais les grèves ne s’arrêtent pas. Le gouvernement mène alors tambour battant les réformes sociales: semaine de 40 heures, deux semaines de congés payés. A noter que cette dernière mesure
Trotsky et le Front populaire Léon Trotsky, en exil en France de juillet 1933 à juin 1935, a pu suivre de près la radicalisation de la classe ouvrière vers la gauche et le tournant du PCF vers la droite. En été 1935 il a été expulsé après une campagne haineuse des staliniens. "Le Front populaire est une alliance du prolétariat avec la bourgeoisie impérialiste représentée par le parti radical et d'autres débris, plus petits de la même espèce. Dans tous les domaines, le parti radical qui conserve, lui, sa liberté d'action, limite brutalement celle du prolétariat. Le parti radical est lui-même en train de se décomposer: chaque élection nouvelle montre que les électeurs l’abandonnent à droite et à gauche. Au contraire, les partis socialiste et communiste – en l'absence d'un véritable parti révolutionnaire – se renforcent. La tendance générale des masses travailleuses, y compris des masses petites-bourgeoises, est évidente: elles vont à gauche. L'orientation des chefs des partis ouvriers n'est pas moins évidente: Ils vont à droite." (novembre 1935). "L'organisation de combat ne peut pas coïncider avec les syndicats ni les partis, qui n'embrassent qu'une partie insignifiante de la classe et sont soumis à une bureaucratie archi-réactionnaire. La nouvelle organisation doit répondre à la nature du mouvement lui-même, refléter la masse en lutte, exprimer sa volonté la plus arrêtée. Pas besoin ici d'inventer des formes nouvelles: il y a apparaissait à la bourgeoisie comme quelque chose d’inouï: "Comment! Payer des ouvriers à ne rien faire?". Mais devant le rapport de forces, le patronat s’écrase.
"Il faut savoir terminer une grève"
Le PCF, qui ne veut pas se couper de la petite-bourgeoisie et de la paysannerie, veut mettre fin aux grèves. L’Humanité du 12 juin publie l’appel de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, "Il faut savoir terminer une grève!". A partir de ce moment, les grèves refluent. La 14 juillet,
des précédents historiques. Les ateliers et les usines élisent leurs députés, qui se réunissent pour élaborer en commun les plans de la lutte et pour la diriger. Il n'y a même pas à inventer de nom pour une telle organisation: ce sont les soviets de députés ouvriers". "Le gros des ouvriers révolutionnaires marche aujourd'hui derrière le Parti communiste. Plus d'une fois dans le passé, ils ont crié: ‘Les soviets partout!’, et la majorité a sans doute pris ce mot d'ordre au sérieux. Il fut un temps où nous pensions qu'il était prématuré, mais, aujourd'hui, la situation a changé du tout au tout. Le puissant conflit des classes va vers son redoutable dénouement. Il faut préparer la victoire. ‘Les soviets partout?’ D'accord. Mais il est temps de passer des paroles aux actes." (9 juin 1936) ■ un million de manifestants défilent à Paris pour fêter les acquis, même si chacun a le sentiment "qu’on aurait pu arracher plus si on avait continué." En 1938, Daladier, chef du Parti radical, constituera un gouvernement avec la droite et mettra fin à l’existence du Front populaire. ■ (1) Edouard Daladier, chef du Parti radical, Président du Conseil en 1934. (2) Ce tournant sera entériné au VIIe Congrès du Komintern, en juillet 1935. (3) Au lieu du drapeau rouge et de L’Internationale.
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La grève de 1936 en Belgique
✒ par Ernest Mandel* La grève générale de juin 36 en Belgique fut influencée par la puissante vague gréviste en France. Elle obéit aussi à des impératifs propres à la Belgique: d’une part une inquiétude dans les rangs ouvriers après les élections du 24 mai qui avaient vu une progression spectaculaire de l’extrême-droite (Rex, VNV), d’autre part un blocage du niveau de vie des travailleurs depuis la crise économique de 1929-1932. Le gouvernement d’Union nationale (Catholique-Libéral-Socialiste) au pouvoir depuis mars 1935 fut reconduit après les élections. L’étincelle qui mit le feu aux poudres fut l’assassinat de deux militants ouvriers à Anvers par un activiste fasciste. Mais en dernière analyse, cette grève générale fut l’explosion ouvrière qui faisait suite à la crise économique de 1929-32 et à son cortège de misère. Le désir des travailleurs de changer de fond en comble le désordre social, de le remplacer par un ordre socialiste était profond.
Anvers, Liège, Borinage, les trois détonateurs
Les dockers d’Anvers cessèrent spontanément le travail le mardi 2 juin contre l’avis des dirigeants syndicaux qui publièrent un manifeste "Ouvriers du port, pas de suicide! Pas de grèves irraisonnées!" Pendant une semaine, la grève des dockers d’Anvers resta isolée, bien que de petites corporations s’y joignirent progressivement: ouvriers du diamant, ouvrières couseuses de sacs, conducteurs d’autobus, vicinaux, etc. Mais, le 9 juin, 3.000 mineurs de La Batterie, à Liège,
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arrêtèrent le travail et occupèrent le charbonnage pour protester contre une amende infligée à deux d’entre eux. Le lendemain, la grève sur le tas s’étendit spontanément à 6.000 mineurs du pays de Liège, à des ouvriers du bâtiment dans diverses régions flamandes, et à des travailleurs de la céramique au Borinage. Le 12 juin, le bassin charbonnier liégeois était complètement paralysé et les travailleurs occupaient la FN à Herstal. Au Borinage, le charbonnage du Crachet à Frameries fut occupé et on débraya à l’usine Coppée à Boussu. Les mineurs borains, puis les mineurs de tout le pays, décidèrent la grève générale pour le 15 juin. La grève s’étendit au textile de Mouscron, Templeuve, etc. A partir du 13 juin, ce fut un raz-demarée: grève générale à Liège dans la métallurgie et dans les services publics, 250.000 grévistes dans le pays le 15 juin, plus de 400.000 le 17 juin, un demi million le 18 juin. Successivement, les métallos du Centre, de Charleroi, de Gand, toutes sortes de corporations en Flandre orientale, en Brabant wallon, à Verviers, dans le Tournaisis, dans la vallée de la Senne et dans la Basse-Sambre, puis finalement les travailleurs de Bruxelles et les métallos d’Anvers se lancèrent dans la bataille La reprise du travail commença le 22 juin chez les dockers d’Anvers, le 26 chez les mineurs. A Seraing, à Herstal et ailleurs, la grève se poursuivit encore quelques jours.
Les acquis et les limites de la grève belge de 1936
Les dirigeants de la Commission syndicale du POB (1) purent affirmer que les objectifs de la grève furent presque tous atteints. En effet, quelques jours avant le début des grèves, la Commission syndicale avait formulé un programme en quatre points: la réadaptation des salaires avec un minimum de salaire de 32 francs par jour, la semaine de 40 heures dans les mines (au lieu de 48) sans perte de salaire, la reconnaissance syndicale, une semaine de congés payés. Trois de ces quatre conquêtes restèrent
acquises; la semaine de 40 heures dans les mines fut abolie quelques années plus tard, sous prétexte de défense nationale, et ne fut plus rétablie intégralement. L’acquis de ‘36 fut neutralisé dès 1939; il déboucha sur la démoralisation et l’apathie; de 1936 à 1940, le mouvement ouvrier recula sans cesse. Même si la grève générale pose la question du pouvoir politique (qui dirige?), les grévistes de juin 36 en Belgique ne remirent qu’instinctivement en question le régime capitaliste, sans avancer consciemment un programme de revendications anticapitalistes. ■ (*) Nous reproduisons ici, dans une version raccourcie, l’article d’Ernest Mandel, paru dans La Gauche du 10 juin 1961. (1) Jusque 1937 le syndicat socialiste était la Commission syndicale du Parti ouvrier belge (POB). Tout syndiqué était donc indirectement membre du POB. La CGTB, organisationnellement distincte du POB remplacera le Commission syndicale.
w w w.lcr-lagauche.be/cm/index.php?view=ar ticle&id=606:la- greve - de -1936- en-belgique&option=com_content&Itemid=53
victoire du Front populaire
dossier
Occupation, comité de grève et la question du pouvoir En France, dans de nombreuses usines occupées en 1936, l’organisation et l’ordre ont été exemplaires. A la grille de l’usine, un drapeau rouge et une affiche (xe jour de grève). A l’intérieur, le pouvoir était concentré entre les mains du comité de grève, subdivisé en commissions, dirigées chacune par un responsable. Les noms des responsables étaient affichés dans l’entreprise. Les principales attributions du comité de grève étaient: la discipline intérieure (délivrance des bons de sortie), la surveillance des prescriptions sévères (interdiction du vin et de l’alcool, maintien d’une moralité rigoureuse), l’organisation des piquets de grève (rondes de prévention des incendies, entretien des locaux et des machines), le ravitaillement, la liaison avec les comités du Front populaire, les loisirs (bals, spectacles), la gestion des fonds de grève. Cependant il n’y a pas eu en 1936 en France de coordination des comités de grève qui sont restés isolés usine par usine. Une fédération de ces comités de grève aurait permis de négocier directement avec le patronat, au lieu de laisser ce pouvoir de négocier à la direction de la CGT et au Front populaire. Un comité de grève pose la question du pouvoir dans l’entreprise (Qui dirige?); la fédération des comités de grève pose la question du pouvoir politique dans le pays. ■
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✒ par par Mauro Gasparini et Daniel Tanuro (membres de la direction de la LCR/SAP) Le résultat du référendum au Royaume-Uni est d’une extrême importance pour la situation sociale et politique en Europe. La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne approfondit la crise de cette institution créée par et pour les grands groupes capitalistes du continent. Les bourses plongent comme jamais depuis la crise mondiale de 2008, la livre sterling et l’euro aussi et Cameron a déposé sa démission. Le Royaume-Uni risque également d’imploser, car l’Ecosse et l’Irlande du Nord, nations opprimées, sont opposées à la sortie de l’Union européenne: l’Ecosse pourrait ainsi imposer et gagner un nouveau référendum sur son indépendance. Un pôle impérialiste majeur, deuxième économie de l’UE, dont la City de Londres est le symbole de la finance mondiale, voit
sa position affaiblie. L’UE elle-même voit rebondir spectaculairement sa crise, rampante depuis des années, et en particulier depuis la crise grecque en 2015. Pourtant, il n’y a aucune raison de se réjouir pour les travailleurs/euses, et en premier lieu les immigré.e.s et racisé.e.s du Royaume-Uni et du reste de l’Europe. Nous vivons en effet le référendum grec à l’envers, moins d’un an après. Là où le référendum organisé par Tsipras en juillet dernier était gagné (contre la volonté de celui-ci) sous pression d’une population exigeant une rupture avec l’austérité imposée par l’Union européenne, le référendum britannique a été lancé sous pression de la droite et de l’extrême-droite du pays, qui ont hégémonisé totalement les débats référendaires, avec le soutien de la presse de caniveau. Ainsi, ces forces réactionnaires, ultralibérales, autoritaires et racistes sortent de loin comme les premières bénéficiaires à court terme du Brexit. Il n’y pas de "Lexit"
(sortie par la gauche) possible à court terme au Royaume-Uni. Corbyn est également attaqué par la droite du Labour pour n’avoir pas assez fort défendu l’UE telle qu’elle est. Nigel Farage, l’infâme leader raciste de UKIP, a osé dire que "cette victoire a été obtenue sans un seul coup de feu", alors que Jo Cox, députée de gauche britannique, soutien des réfugié.e.s et féministe, a été assassinée il y a quelques jours par un militant nazi britannique. Cruel symbole, Jo Cox était aussi aimée par les syrien.ne.s, qu’elle soutenait contre Assad, Daesh et l’Europe forteresse. Or les réactionnaires pro-Brexit ont su manipuler la crise des réfugiés et les attentats, euxmêmes produits de la contre-révolution sanglante en Syrie et de la fermeture des frontières. Coupable de crime avec préméditation contre les peuples d’Europe, et en premier lieu le peuple de la Grèce, coupable de crime contre l’humanité envers les réfugié.e.s qu’elle laisse mourir à ses frontières, l’Union européenne est gravement affaiblie. Mais, là non plus, ne nous réjouissons pas trop vite: les forces d’extrême-droite du continent sont en première ligne pour approfondir cette crise et ouvrir la voie, comme en Angleterre, à des projets ouvertement racistes, encore plus réactionnaire que celui de l’UE. De Le Pen en France à Wilders aux Pays-Bas, en passant par le Parti du Peuple danois, ce sont en effet ces forces qui appellent un peu partout aujourd’hui à des référendums sur le modèle du Brexit. Le référendum du Brexit sonne comme un grave avertissement aux forces de gauche, au mouvement social et aux anticapitalistes de toute l’Europe. Le 26, c’est l’Espagne qui se rend aux urnes. Et là, c’est une coalition de gauche radicale qui va représenter la contestation de l’ordre établi. La crise de l’Union européenne ne pourra que se renforcer suite à ces élections également.
La gauche doit enfin oser trancher la question stratégique de son attitude face à l’UE
Courir à la rescousse de ce projet, comme la social-démocratie et la CES [Confédération européenne des Syndicats] l’ont fait dans la crise grecque (ainsi que Tsipras lui-même!), c’est donner au
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photo: http://wccftech.com/brexit-will-raise -uk-tech-prices/
Europe
L’avertissement du Brexit
photomontage: Little Shiva
Après l’Irak, l’Afghanistan et la Syrie, à nouveau la Lybie?
OTAN
capital le bâton pour continuer à battre le monde du travail. La gauche doit assumer la rupture avec les institutions de l’UE et la désobéissance à ses politiques. Il ne s’agit pas de "changer l’UE", mais de la briser. Pas au nom d’un repli nationaliste et raciste, mais au nom du projet internationaliste d’une AUTRE EUROPE – sociale, écologique, démocratique et généreuse – mise sur pied par une Assemblée constituante des peuples. Nous reprenons ces mots de l’appel d’Olivier Besancenot (NPA), Miguel Urban (Podemos) et Antonis Davanellos (Unité Populaire) pour un Austerexit qui avait suivi la capitulation de Tsipras: "Sortir de l’Europe du capital ne revient pas, selon nous, à imaginer les frontières comme un parapluie contre l’austérité. Elle est un point d’appui pour bâtir une autre Europe, aussi fidèle aux intérêts des peuples que celle-ci l’est aux intérêts des banquiers. Nous ne voulons pas plus du règne de la troïka que celui de nos castes nationales". Faute d’assumer un projet radicalement alternatif à l’austérité dont l’UE est un des outils majeurs aujourd’hui, faute d’un projet institutionnel alternatif à cette UE autoritaire elle-même, nous risquons de laisser la droite radicale, néofasciste et raciste s’emparer à la fois du mécontentement social et de la frustration démocratique, pour les détourner au profit d’un projet réactionnaire. Le danger est majeur. Telle est la leçon principale à tirer du Brexit. Le point de départ et le levier de la stratégie alternative dont la gauche a besoin pour ouvrir la voie à cette autre Europe est l’organisation et la coordination de la lutte acharnée contre l’austérité et le racisme, la voie de la convergence des luttes sociale, féministes, écologiques pour mettre à bas nos gouvernements austéritaires et de plus en plus autoritaires. La magnifique mobilisation contre la loi travail en France le montre: la crise profonde du capitalisme européen ouvre autant de graves dangers que de possibilités de changer ce monde, à condition de nous rassembler sur des bases claires. Les responsabilités de la gauche anticapitaliste et internationaliste sont immenses. La LCR s’engagera de toutes ses forces pour les assumer. Dans notre pays, cela commence par un combat pour radicaliser la mobilisation contre le gouvernement Michel Jambon, en rompant avec la funeste stratégie de concertation qui paralyse le mouvement syndical et l’expose au risque d’un affaiblissement majeur. ■ – 25 juin 2016
Le 18 mai s’est tenue au SHAPE, à Casteau, une réunion du Comité militaire de l’OTAN, avec à l’ordre du jour la préparation du sommet des chefs d’État et de gouvernement de Varsovie prévu en juillet 2016. D’importantes décisions devraient y être prises: 1) Le redéploiement de l’OTAN autour des flancs Sud (face aux Jihadistes) et Est de l’Europe (face à Poutine); 2) La préparation d’une brigade de 5.000 soldats capable d’intervenir en 48 heures. Le 18 mai, le général Joseph Dunford, chef d’état-major des armées US, a insisté sur la nécessité de préparer une nouvelle intervention anti-Daesh en Lybie, "avec d’autres nations que les Etats-Unis, même si la mission se fera sur le long terme". Histoire de dire que comme en Irak, Afghanistan et Syrie, ça va durer longtemps. Sur le terrain, des commandos français, britanniques, américains et italiens opèrent déjà pour évaluer l’influence du gouvernement libyen de Fayez alSarraj(reconnu par l’ONU) et du général Haftar, chef autoproclamé de l’armée nationale libyenne qui contrôle l’Est du pays (avec le soutien de l’Egypte). La Belgique fera-t-elle partie de cette nouvelle intervention militaire impérialiste? ■ Source: Le Canard Enchaîné, 01/06/2016
Fayez al-Sarraj Khalifa Haftar Joseph Dunford
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ecosocialisme
STIB: les fonds de pension roulent encore au charbon!
✒ par Thibaut Molinero Mis à part quelques inconscients climatosceptiques, tout le monde s'accorde désormais sur l'urgence de s'engager et d'agir pour éviter un réchauffement climatique qui déstabiliserait considérablement la planète, abandonnant des peuples entiers à une précarité encore plus extrême, et entrainant une crise migratoire sans précédent. Respecter les engagements internationaux de la COP21 nécessite de garder 89% des ressources européennes de combustibles fossiles sous terre [voir La Gauche #77]. Pour faire respecter cet impératif, des citoyen.ne.s s'engagent dans des actions de désobéissances climatiques: notamment à travers des actions de blocage d'exploitations polluantes, des boycotts de l'industrie fossiles, et des campagnes de désinvestissement. Ces dernières visent l'élimination des placements (actions, obligations et fonds d'investissement) des entreprises impliquées dans l'extraction de combustibles fossiles. Ces campagnes se fondent sur une base morale: s'il est condamnable de causer le réchauffement climatique, il l'est tout autant de tirer profit de projets climaticides. Désinvestir de ces projets permet 1) d'envoyer un signal symbolique fort en faveur de l'abandon des énergies fossiles, 2) de ne plus soutenir et par conséquent
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légitimer l'extraction des combustibles, 3) d'être cohérent vis-à-vis des engagements politiques envers la lutte contre le réchauffement climatique. Lors de la COP21, un communiqué du mouvement 350.org annonçait que plus de 500 institutions (organisations, universités, villes…) représentant 3.400 milliards de dollars d'investissement s'étaient déjà engagées à désinvestir une part de leurs actifs des 100 plus grandes entreprises du secteur pétrolier et gazier (selon le Fossilfreeindexes).
Malheureusement, la Belgique manque encore à l'appel
Une proposition de résolution déposée au parlement de la Région de BruxellesCapitale en novembre 2015 (A-259/1) mentionne que 48% des subsides énergie sont encore affectés aux combustibles fossiles, mais également que les réserves financières des autorités bruxelloises, le fonds des pensions des fonctionnaires bruxellois, et les fonds de pension des membres du personnel de la STIB-MIVB sont investi dans ces grandes entreprises des énergies fossiles. Selon Greenpeace, la STIB y a investi près de 2,5 millions d’euros! Une campagne collective est donc lancée, afin que la STIB y désinvestisse ses fonds de pension le plus vite que possible. Ceci est non négociable si la STIB entend "privilégier résolument les solutions qui respectent l’environnement".
Ces dernières années, le mouvement de désinvestissement a pris de l'ampleur. Celui-ci a même touché le Rockefeller Brothers Fund qui s'y est engagé l'année dernière. Mais leur soudaine prise de conscience morale ressemble plus à du Greenwashing intéressé. En effet, désinvestir des activités liées au carbone n'a pas d'impact sur le rendement financier, et s'avère même positif (de 1,2%). Le charbon commence désormais à être reconnu comme un mauvais investissement. En cause: la baisse de consommation; la baisse des prix qui le rendent peu rentables pour les réserves difficilement exploitables; les oppositions citoyennes croissantes via des actions de désobéissance civile; les risques liés à l'exploitation comme les accidents majeurs; les risques géopolitiques; et les décisions politiques telle la taxe carbone. Tout ceci donne des arguments en faveur des campagnes de désinvestissement, mais n'assure pas la morale écologique des grandes institutions. De plus, le réinvestissement dans les énergies renouvelables reste difficile. La campagne STIB doit être vue comme un premier pas vers un autre modèle de transport public: gratuit, de qualité, et fonctionnant uniquement aux énergies renouvelables. Elle doit nous amener à rester vigilents contre toute tentative de privatisation du secteur, et contre tout modèle basé sur un capitalisme vert. ■
✒ par Guy Van Sinoy La résistance acharnée des salarié/ es et d’une partie de la jeunesse contre la Loi travail El Khomri (semblable aux mesures que Kris Peeters voudrait appliquer en Belgique avec sa proposition d’annualisation du temps de travail) force l’admiration. Depuis des mois, manifestations et grèves se succèdent pour s’opposer au démantèlement de la législation du travail qui protège les salariés de l’arbitraire le plus total. Face à cette résistance, le tandem Hollande-Valls n’oppose que la répression policière la plus brutale. Attaque des cortèges par des robocops armés jusqu’aux dents, agressions contre des manifestants opérées par des flics en civils avec des armes "non létales"[voir encadré]: spray au poivre, matraques télescopiques, tonfas, flashball, grenades, l’arsenal s’est considérablement étoffé au cours des dernières années. Voici ce qu’écrivait, il y a près de 50 ans, en mai 1968, Jean-Paul Sartre à propos de la répression brutale des manifestations:
"La répression est une action continuellement exercée par la classe des exploiteurs contre ceux qu’elle exploite. Elle peut prendre la forme de la violence organisée, engager des nervis armés; elle peut se réduire à la menace permanente de licenciement, aux brimades, à l’isolement systématique, dans l’entreprise, du militant syndiqué; elle est toujours là, présente, inévitable, parce que seule la violence – qu’elle se déchaîne ou qu’elle se montre – peut soutenir et prolonger cette violence fondamentale qu’est l’exploitation. En ce sens tout – et d’abord l’embauche et la prétendue liberté du travail – est violence et peut se transformer en répression. La répression sanglante et armée, le maintien du désordre existant par le ramassis en uniforme qu’on appelle les forces de l’ordre, n’est qu’un cas particulier de l’action répressive qui s’exerce en permanence contre les travailleurs dans la société où nous vivons. […]
France
Derrière les bavures policières, la violence capitaliste Nous dénonçons cette répression, non pour améliorer le régime, mais pour faire voir à tous, à cette occasion, l’ignoble nudité qu’il essaie de masquer [nous soulignons]. Notre
but profond, par-delà nos objectifs immédiats – le secours apporté à nos camarades – doit être le renversement de la classe dominante: avec sa destruction et avec elle seule prendra fin la répression. […] Nous ne condamnons pas la classe dirigeante et son appareil d’Etat pour des crimes qui auraient pu ne pas être commis mais, tout au contraire, pour des crimes qu’ils ne pouvaient pas ne pas commettre et qui montrent clairement que notre combat est politique." –Jean-Paul Sartre Il n’y a pas de bon gaullisme,1968 Sauf qu’aujourd’hui cette violence contre celles et ceux qui protestent est exercée par un gouvernement qui se prétend socialiste! Hollande, en véritable président kamikaze, bat tous les records d’impopularité. Sa politique suicidaire ouvre un boulevard électoral au Front national. Y aura-t-il à gauche un ou une candidat.e crédible pour faire barrage au FN? ■
illustrations: Little Shiva
que) s e r p u (o " s le ta lé Les armes "non Le flashball: Réservés au départ aux situations extrêmes, les flashball, qui tirent des balles en caoutchouc à 186 km/h (l’impact est comparable à celui d’une balle de 38 spécial) sont désormais utilisés quotidiennement. Quelques mètres ou un mauvais angle suffisent à entraîner un dommage irréversible. Le taser: L’utilisation du taser, qui envoie une décharge électrique de 50.000 volts, est aussi en hausse. Cette arme est utilisée par la Police nationale, la gendarmerie et l’administration pénitentiaire depuis 2006. Depuis 2010, les municipalités peuvent aussi équiper leurs policiers municipaux.
Les grenades: La France est le seul pays européen à avoir encore recours à des grenades de différents types pour ses opérations de maintien de l’ordre. En 2014, c’est une grenade offensive qui provoquait la mort de Rémi Fraisse, 21 ans, sur le site du barrage de Sivens. Le ministère de l’Intérieur a ensuite interdit l’utilisation de ces armes. Mais d’autres types de grenades restent utilisés, comme celles dites de désencerclement, qui projettent 18 galets en caoutchouc. Placage face contre terre: Il faut signaler la dangerosité des gestes d’immobilisation utilisés par les forces de l’ordre, comme le placage ventre contre
terre, jambes repliées peut tuer. Depuis 2005, ces techniques ont fait huit morts. Le ministère de l’Intérieur fait preuve d’une opacité flagrante sur ces cas de violences policières. Au-delà de quelques exemples médiatisés comme celui de Rémi Fraisse, il n’existe aucune statistique, aucun chiffre publics sur l’utilisation des armes et des victimes des opérations de police. Les seules données chiffrées dont on dispose sont éparses et incomplètes. ■
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✒ par Léon Crémieux Pour le gouvernement et les medias contrôlés par le pouvoir et les grands groupes, la journée du 14 juin devait être un non-évènement, le baroud d’honneur d’un mouvement essoufflé. Pourtant, c’est un immense cortège qui a défilé dans les rues de la capitale, traversant les quartiers Sud-Ouest de Paris de la Place d’Italie aux Invalides. Quatre heures après le départ du carré de tête, des groupes attendaient encore pour démarrer… Alors que la CGT a annoncé 1,2 millions de manifestants, le gouvernement n’a vu dans les rues que 120.000 personnes, mettant un point d’honneur à ce que ce chiffre soit le plus bas annoncé depuis le 31 mars. Mais surtout, la seule communication médiatique et gouvernementale depuis la manifestation aura concerné "la violence des casseurs", une dizaine de vitres brisées et des murs tagués d’un grand hôpital pédiatrique parisien qui se trouvait sur le parcours. Concernant le fond du dossier, le Premier ministre a comme posture que le dossier est clos, la loi est bouclée, il n’y aura aucune modification et la mobilisation sociale doit immédiatement disparaître des écrans médiatiques. D’ailleurs, il menaçait même d’interdire les prochaines manifestations annoncées pour la semaine suivante.
La mobilisation a la vie dure
Ce fut la plus grosse manifestation parisienne depuis le début du mouvement, il y a trois mois, deux ou trois fois plus grosse que celle du 31 mars. Evidemment, il s’agissait d’une montée nationale, mais plusieurs grandes villes étaient aussi dans la rue, comme Marseille, Toulouse, Strasbourg, Rennes… De même, l’ambiance n’était pas à un dernier tour de piste. Car dans cette manifestation, comme dans toutes les actions menées depuis des semaines, l’état d’esprit est à la détermination. Un grand nombre de salariés venait
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d’entreprises grandes ou petites du secteur privé, de toutes les régions, le plus souvent amenés en cars par la CGT, mais aussi par Force ouvrière ou Solidaires. Le cortège, les mots d’ordre témoignaient de la détermination dans l’exigence de retrait de la loi El Khomri et du rejet du gouvernement du PS. Malgré la propagande quotidienne menée depuis des mois à la radio et à la télé par le PS et l’ensemble des commentateurs et prétendus experts économiques et sociaux, les salariés sont toujours vent debout contre cette loi: dans tous les sondages, seulement 30% de l’opinion soutient le maintien du projet de loi. 70% – et la quasi-totalité des salariés – veulent son retrait pur et simple ou au moins de profondes modifications. Pourtant, le mouvement n’a pas encore réussi à faire plier le gouvernement. Car les données présentes depuis le début du mouvement sont toujours là.
Le gouvernement est toujours aussi faible
Sa crédibilité se réduit semaines après semaine comme une peau de chagrin. Le couple dirigeant Valls-Hollande affiche le visage de dirigeants forts, d’un Etat de plus en plus policier pour masquer leurs faiblesses. Le Premier ministre joue sur ce registre en répétant à l’envie que la France est en guerre face au terrorisme, que la République doit être défendue et on assiste désormais à une hystérisation médiatique, orchestrée par le gouvernement, de tout événement qui peut entrer dans cette grille de lecture. Il en a été ainsi, au matin du 14 juin, après le meurtre d’un couple de policiers en Région parisienne qui est devenu une attaque terroriste de première importance. A la suite de ce fait divers meurtrier, le ministre de l’Intérieur a accédé à une vieille revendication des syndicats réactionnaires de policiers et de l’extrême droite: l’autorisation du port d’armes pour les policiers en dehors du service. Les dégradations subies par la façade de l’hôpital pour enfants le 14 juin ont,
elles, été sublimées par le Premier ministre en "un hôpital dévasté", alors qu’aucun manifestant n’a pénétré à l’intérieur. Mais cette mise en scène médiatique d’un "acte inhumain", va servir à justifier, peut-être, l’interdiction de prochaines manifestations. Ironiquement, le leader de Force ouvrière, Jean Claude Mailly a répondu à cette menace en disant qu’il faudrait parallèlement interdire les prochaines matches de l’Euro 2016, prétexte à de multiples affrontements avec au moins déjà un mort et des blessés graves. Sur ce terrain de l’Etat policier et de la mise en scène d’un pays en guerre, le gouvernement se fait prendre à son propre jeu, la droite et le Front national lui reprochant désormais sa faiblesse devant le désordre social. Ce climat de violence d’Etat, le gouvernement et sa police l’applique aux manifestations. Au moins 150 manifestants ont été blessés le 14 juin, 15 ont dû être dirigés vers des services d’urgence et au moins un est dans un état grave, sa colonne vertébrale atteinte par une lacrymogène tirée à tir tendu. L’utilisation des flash-balls, de LBD [lanceur de balles de défense], de grenades de désencerclement et des lacrymogènes amène à blesser sérieusement les manifestants, sans parler des charges contre les cortèges avec l’usage intensif des matraques. Le gouvernement cherche donc à sortir de la situation après le 14 juin en faisant monter la tension et les violences policières. Le but est d’arriver à casser définitivement le mouvement social avant le deuxième passage de la loi à l’Assemblée nationale début juillet.
Du côté du mouvement les choses sont toujours contradictoires
Les échéances données par l’Intersyndicale nationale, beaucoup trop espacées, surtout depuis la mi-mai ne permettent pas de construire le rapport de force, d’acculer le gouvernement à
horloge: w w w.sergiospeaks.com/personal- development/over worked-11-signs-you-need-a-break
Après le 14 juin, le combat continue
photo Loi Peeters: w w w.flickr.com/photos/image -bank/albums/72157667768207550
France
Mobilisations contre la Loi Travail:
photo Loi Travail: w w w.r tl.fr/actu/societe -faits- divers/en- direct-loi-travail-une -journee - de -manifestations- dans-toute -la-france -les-transpor ts-for tement-per turbes-7782271127
Philippe Martinez gère mais ne veut pas pousser davantage à l’affrontement. Ainsi, a-t-il explicitement refusé de profiter du lancement de l’Euro 2016, le 10 juin, pour acculer le gouvernement sur la défensive, désavouant les équipes syndicales qui avaient renforcé la grève sur les lignes de transport desservant les stades de foot. De même, l’Intersyndicale n’a pas tracé de plan de mobilisation crescendo après le 14 juin. La prochaine échéance est seulement une journée le 23 juin et l’Intersyndicale appelle moins à renforcer les grèves qu’à multiplier les signatures de pétitions. L’Union départementale CGT des Bouches du Rhône, pour sa part, s’appuyant sur la force du 14 juin avec 300 entreprises du privé de la région marseillaise en grève ce jour-là, a lancé un appel à la grève de 48h, les 23 et 24 juin, dans l’état d’esprit d’enclencher un réel bras de fer. Une nouvelle fois, rien n’est réglé dans cette mobilisation qui dure depuis 4 mois, en ayant plusieurs fois renouvelé ses forces. ■ 16 juin 2016 Article écrit pour la revue Viento Sur et publié sur www.europe-solidaire.org
France
la défaite. La détermination des équipes syndicales combatives a permis jusqu’à aujourd’hui de maintenir la force du mouvement, mais beaucoup de secteurs, d’entreprises, sont entrés en grève de façon dispersée, reprenant quand une autre démarrait. Le seul moment où le gouvernement a été à deux doigts de céder, ces dernières semaines, a été fin mai, lorsque le blocage des dépôts de carburants et la grève des chauffeurs routiers a mis à sec 30% des stations-services. Faire céder le gouvernement n’est possible que par un blocage de la vie économique du pays, au moins assez fort pour créer une situation dans laquelle l’isolement social et politique de l’exécutif l’oblige à céder. De cette question, beaucoup de syndicalistes sont conscients depuis le début du mouvement. C’était le sens de l’appel "On bloque tout", lancé le 22 mars par 100 syndicalistes, essentiellement CGT et Sud. C’est aussi l’état d’esprit de nombreuses équipes syndicales qui, notamment depuis la mi-mai ont multiplié les blocages, les grèves, comme celles du ramassage et du traitement des ordures ménagères dans plusieurs villes de France. Les salariés des raffineries de pétrole ont tenu plusieurs semaines, mais l’impact de leur grève a été cassé par l’importation massive de carburant par les grands groupes. Les grèves de la SNCF, des pilotes d’Air France, vertébrées sur des revendications locales n’ont pas pu donner depuis le 1er juin, une vigueur comparable à la tension des deux semaines précédentes. Cela d’autant plus, à la SNCF, qu’avant d’imposer à la CGT une grève reconductible à partir du 1er juin, il y avait eu, depuis mars, plusieurs journées isolées ou de 48 h, usant une partie des forces. Pourtant, d’autres secteurs, travailleurs des centrales nucléaires, des ports, de la verrerie, de l’agro-alimentaire sont aussi entrés dans l’action ces dernières semaines. La force de ce mouvement et la composition des manifestations brise l’image brossée depuis des années d’un mouvement syndical et revendicatif limité aux salariés de la fonction publique. Depuis, des mois, ce sont les salariés de l’industrie, des transports, du commerce et des services qui structurent la mobilisation. Bloquée dans une situation dont elle n’est pas maîtresse, la direction de la CGT essaye de louvoyer, notamment depuis la mi-mai. Prise en tenaille entre la force du mouvement qui la pousse en première ligne et le blocage de toute marge de négociation avec le gouvernement,
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✒ par solidaritéS Podemos a signé une alliance avec Izquierda Unida pour les élections du 26 juin. Pour mieux comprendre les enjeux de ce rendez-vous électoral, le journal suisse solidaritéS s’est entretenu avec Manolo Gari, membre d'Anticapitalistas* et de Podemos.
Comment s’est fait l’accord entre Podemos et Izquierda Unida (IU)? Suite à la présentation séparée de IU et de Podemos le 20 décembre dernier, un groupe de personnes – artistes, universitaires, etc. – a lancé un appel à l’unité des listes de ces deux formations, qui a été le détonateur d’un processus de rapprochement entre eux. En partie par nécessité, mais aussi parce qu’une très large partie de leur électorat et de leurs militant.e.s l’exigeaient pour tenter de battre le PP. L’objectif: arriver en tête le 26 juin! Cela a conduit à un débat sur le programme commun et la représentation de chaque organisation sur les listes. Sur le dernier point, la formule adoptée assure à IU, force minoritaire, une présence significative au parlement et au sénat. Ainsi, Podemos reconnaît IU comme force nécessaire et fait, selon moi, une autocritique par rapport à son attitude antérieure.
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Les deux organisations ont gagné du crédit dans l’opinion publique et vont progresser; l’unité devrait aussi leur assurer un meilleur "rendement"des votes en termes de sièges. Le dernier sondage donnait à Unidos Podemos ou Unidas Podemos (le nom est aussi décliné au féminin) une avance suffisante pour dépasser le PSOE et tutoyer le PP en nombre de sièges.
Quels sont les principaux points du programme électoral commun? Il a fallu déposer les listes très vite et il y avait 52 circonscriptions électorales à couvrir pour le parlement et le sénat. D’où un programme consensuel pour les deux, qui a ses qualités, notamment sa tonalité féministe et écologiste, même si elle pourrait être améliorée. Sur l’Europe, il exprime un rejet du modèle de construction de l’UE et de l’euro, mais il dit peu de choses sur les alternatives. Ses quelques propositions sont très générales, du type "conférences pour traiter de la dette, du déficit ou du plan de stabilité", mais ne disent rien sur ce qu’il faudra défendre, hormis la réduction de l’austérité. Ce programme pose mal le problème de la dette: il n’évoque pas un modèle de restructuration concret, alors que ce sera la question clé pour le prochain gouvernement, qu’il soit de gauche ou "de grande coalition"(PSOE-PP). En cas de "grande coalition", il faudra mener une
politique systématique d’opposition; en cas de gouvernement de gauche, ce sera la première question à aborder. Le programme de UP se centre sur la question du déficit, en partie avec l’espoir, déjà agité par Varoufakis et Tsipras, que de bons négociateurs pourraient obtenir certaines marges de manœuvre. Mais quelles mesures prendre en cas d’agression de la troïka, en particulier de la Banque Centrale et de la Commission européenne? Aucun plan B n’est précisé. Enfin, le programme social – logement, nouvelles relations de travail, hausses de salaires, etc – est dans l’ensemble correct.
Les sondages prévoient que UP dépasse le PSOE, mais que le PP arrive en tête. Si c’était le cas, comment l’UP et le PSOE réagiraient? Dans les sondages, l’abstention reste élevée, et les experts disent qu’elle va pénaliser la gauche, tandis que la fidélité des électeurs/trices de droite est plus forte. Il faut donc mobiliser l’électorat populaire avec d’autres motivations et espérances que celles soulevées par les élections du 20 décembre dernier en mettant en avant des thèmes mobilisateurs. Le mouvement social est dans l’expectative, marqué par l’attentisme électoral. Et cela ne favorise pas UP, parce que cette coalition résulte des mobilisations. Il est cependant possible qu’elle réalise le score qu’on lui prédit,
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Etat espagnol
"Unis, nous pouvons!" Une coalition qui peut changer la donne en Espagne
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* Section espagnole de la IVe internationale.
Déclaration d’Anticapitalistas avant les élections du 26 Juin ✒ par Anticapitalistas Nous nous trouvons au milieu de semaines de grande importance. Au cours de cette campagne électorale, des contradictions multiples se font jour tout comme de nombreux projets différents. La lutte politique qui se déroule actuellement condense des batailles de nombreuses années, des conflits sociaux de longue durée. De fait, ces élections ne sont pas justes des élections de plus. L’importance de cette bataille électorale se reflète dans la nervosité des porte-parole des élites économiques, politiques tout comme au sein de la société civile. Les attaques paniquées qu’expriment chaque jour ces grandes entreprises que sont les moyens de communication constituent une bonne démonstration de cela: les citoyens voteront mal! Les radicaux sont à nos portes! Ces élections sont historiques parce que, pour la première fois depuis longtemps, une force qui représente les aspirations au changement des gens est en position de les gagner. Unidos Podemos [front électoral constitué de Podemos, des listes de convergence dans différentes communautés autonomes, d’Equo et d’Izquierda Unida] est l’expression de la prise de conscience du fait que l’économie ne peut continuer d’avoir pour signification des bénéfices pour un petit nombre et l’exploitation de la majorité, que la démocratie ne se réduit pas à l’acte de voter, que nous avons le droit de bâtir une vie en jouissant d’un certain nombre de garanties fondamentales. Ces revendications sont légitimes et raisonnables. Mais elles ne pourront être satisfaites qu’au travers de la lutte. Personne ne nous en fera cadeau. Il est indispensable de les conquérir au moyen de victoires électorales, de mobilisations sociales ainsi que par l’autoorganisation populaire autonome. Contre les corrompus, contre les banques, contre les institutions européennes dirigées par des fanatiques des coupes budgétaires et de l’austérité ainsi que – pourquoi ne pas le dire? – contre un certain sens commun qui nous a été inculqué pendant des
décennies, un sens commun selon lequel nous ne pouvons rien faire d’autre que d’entrer en concurrence avec les autres travailleurs, qu’il n’est pas possible de changer les choses. Notre combat est politique, économique et culturel. C’est une lutte de longue durée. Les enjeux sont aussi élevés à court terme: remporter ces élections est un premier pas indispensable pour commencer à faire de ses revendications des réalités. Le PP, le PSOE et Ciudadanos constituent un bloc politique qui, si n’est pas monolithique, a pour objectif le maintien du statu quo, d’assurer la poursuite des politiques d’austérité accompagnées d’une limitation des droits et d’un approfondissement du tournant autoritaire qui relègue la démocratie au statut d’une simple question formelle. Leur défaite serait une victoire de nos aspirations. Notre victoire est une opportunité pour que nos rêves commencent à prendre forme. Anticapitalistas lance un appel pour une participation active à cette campagne. Chaque vote, chaque meeting, dans chaque quartier, dans chaque entreprise, notre force réside dans notre capacité à atteindre les lieux auxquels les grands appareils des partis ne peuvent accéder, car nous ne sommes pas un corps étranger, car nous faisons partie des personnes qui travaillent. Le temps d’une grande mobilisation populaire pour défaire les partis des élites est venu. Nous devons nous préparer pour les défis qui suivront la victoire. Pour cette raison, c’est le moment de voter Unidos Podemos et, simultanément, de s’organiser partout où cela est possible. C’est le moment de gagner les élections et de commencer à tout changer. ■
Etat espagnol
et même qu’elle le dépasse, parce qu’elle suscite un espoir nouveau. Si UP participe ou tente de participer à un gouvernement, le PSOE aura un sérieux problème: il est en crise depuis longtemps, avec beaucoup de dissensions internes. Une part croissante de sa base électorale, surtout dans la jeunesse, a rejoint Podemos. Son électorat est formé de nombreux retraité.e.s, parce que le pays a beaucoup vieilli. Il traverse donc l’un des pires moments de son histoire, mais il n’est pas mort. Le PSOE est lié à la Constitution de 1978, qui a placé au centre le maintien du statu quo politique. Il ne conçoit pas l’UE très différemment que le PP, ce qui tranche avec la vision de Podemos, voire de UP, malgré ses ambiguïtés. Il est d’accord avec le PP sur le Pacte de stabilité, sur Maastricht, etc. Il a peut-être une vision plus sociale, mais cela ne l’a pas empêché d’appuyer une politique inhumaine sur l’immigration et les réfugié.e.s. Il a plus en commun, en termes de programme, avec la droite, même si sa base électorale est plus proche de celle de UP. Le plus probable c’est que les multinationales, les grandes entreprises espagnoles et les grands moyens de communication, qui ont déjà commencé à faire campagne, dans ce sens, exercent de fortes pressions pour une "grande coalition". C’est un risque sérieux et il faut le dire clairement. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas mener la bataille dans le but de gagner. Je crois que UP doit se porter candidat à présider le gouvernement. Il doit avoir l’audace et le courage de dire "Oui, nous voulons et nous pouvons gouverner, et nous allons le faire à notre manière en affrontant tous les risques que cela suppose!"■
Déclaration d'Anticapitalistas, publiée le 8 juin 2016, traduction A L’Encontre.
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✒ par Mauro Gasparini Dans l’article ci-contre, notre camarade Ghayath Naisse fait le point sur la situation toujours dramatique en Syrie. Alors que la Belgique s'apprête elle aussi à rejoindre la danse macabre des avions et hélicoptères qui déversent une pluie de bombes et missiles sur le pays, ceux d'Assad et Poutine en tête, on constate encore et toujours l'absence de solidarité internationale avec les syrien.ne.s, y compris à gauche. Les syrien.ne.s ont mobilisé à plusieurs reprises début mai à Bruxelles (et dans des dizaines de villes dans le monde) pour dénoncer la destruction des quartiers insurgés d'Alep par les forces pro-Assad. La LCR-SAP y était, mais bien seule. Les dernières années ont confirmé les craintes que l'absence de soutien à l'opposition démocratique syrienne ne pouvait que conduire à plus de tragédies, alors que le clan Assad bénéficie de parrains (sous-) impérialistes fidèles (Russie, Iran, Hezbollah). Assad, maintenant soutenu par les bombardements directs de la Russie, a réaffirmé au Parlement fantoche syrien sa volonté de reprendre le contrôle de tout le pays. Il a été acclamé par les parlementaires-supporters criant: "Notre âme, notre sang, nous les sacrifions pour toi, Bashar". Un tel objectif est pourtant impossible, après plusieurs centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés et déplacés, des destructions inouïes, et vu le nombre hallucinant d'atrocités, y compris sectaires, commises par ce régime à bout de souffle. Les amis autoproclamés du peuple syrien ont d'autres priorités que la démocratie et la justice sociale dans le pays: les USA veulent refouler Daesh et ménager l'Iran, et font pression sur l'opposition pour qu'elle accepte de négocier une transition avec Assad alors que le régime et la Russie mettent les bouchées doubles pour l'écraser. Ils se coordonnent même dans une joint operations room à Bagdad avec les régimes irakiens, Assad et russe dans la lutte contre Daesh. En Irak la bataille de Fallujah, menée par le régime et les milices chiites ultrasectaires dirigées par l'Iran, fait craindre le pire pour les civils qui habitent la ville contrôlée par Daesh. La France est dans les
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faits concentrée sur la lutte contre Daesh. Elle a aussi envoyé dans ce but 100 forces spéciales aider les FDS (Forces démocratiques syriennes, alliance de différentes factions arabes autour du PYD kurde) aux côtés des 300 forces spéciales US. Les secteurs démocratiques de l'insurrection continuent à demander des armes anti-tanks et anti-aériennes (ces dernières étant bloquées par les USA) pour se défendre contre Assad et Daesh. Les villes assiégées par le régime, comprenant près de 450.000 habitant.e.s dans tout le pays, appellent aussi à l'aide. "Larguez de la nourriture, pas des bombes!". Un appel à peine écouté par les grandes puissances. Daraya, assiégée depuis 2012, n'a pu compter que sur la livraison au compte-gouttes par l'ONU de quelques médicaments et de nourriture en quantité totalement insuffisante, dans une ville où nombre d'habitants doivent manger les animaux domestiques et de la soupe à l'herbe pour ne pas mourir de faim. Daraya était à nouveau bombardée par le régime dans les heures qui ont suivi la livraison... Les frappes continues sur les zones libérées et sur les zones contrôlées par Daesh ont fait 224 morts sur la seule première semaine de Ramadan. De nombreuses installations de santé ont à nouveau été bombardées par les forces pro-Assad. Un.e syrien.n.e meurt toutes les 50 minutes dans la contre-révolution aux multiples visages qui ravage le pays. Et depuis l'accord Turquie-UE sur les réfugiés, la police turque a tué de nombreux/ euses syrien.ne.s qui fuient encore leur pays; sans protéger les activistes syrien. ne.s qui s'opposent à Daesh et à Assad, dont plusieurs se sont fait assassiner en Turquie par Daesh, notamment autour de Gaziantep qui compte maintenant 350.000 réfugié.e.s syrien.ne.s. Le ballet diplomatico-militaire cynique continue en cette période de Ramadan, avec notamment une réunion entre les ministres de la Défense iranien, russe et du régime Assad début juin. Celle-ci suivait la quatrième rencontre entre Poutine et Netanyahu depuis un an (contre une seule rencontre israéloétats-unienne), lors de laquelle Israël a réaffirmé son soutien à l'intervention
russe "antiterroriste"en Syrie (une hotline relie les deux états-majors), et lui a proposé un partenariat sur le gaz israélien. Le tout couronné par un échange symbolique de tanks israéliens entre les deux gouvernements... Israël met la priorité sur sa lutte à la fois contre le Hezbollah libanais et contre les Frères musulmans, dont le Hamas est la branche palestinienne et qui sont une composante importante de l'opposition syrienne, par rapport à la lutte contre Daesh. A contrario, les brigades de l'Armée syrienne libre et d'autres brigades rebelles continuent à se battre contre Daesh, et à regagner du terrain à certains endroits, notamment dans le Sud du pays, au centre, et dans les régions proches de la frontière turque. Enfin, comme le rappelle notre camarade Joseph Daher, le cessez-le-feu même partiel de mars-avril a montré son utilité en permettant le retour de centaines de manifestations populaires dans les zones libérées de la Syrie pendant des semaines. Un vrai bol d'air pour les courants démocratiques en Syrie pour qu'ils s'organisent dans les communautés tout en repoussant les fondamentalistes islamistes qui veulent les étouffer et ont intérêt à une guerre continue pour augmenter leur influence et leur pouvoir. Ces organisations démocratiques syriennes ont plus que jamais besoin de notre solidarité. Elles constituent le meilleur rempart à la fois contre la dictature sanglante du clan Assad et contre les criminels intégristes de Daesh.■
https://joelartista.com/syrian-refugees-the-zaatari-project-jordan/
Syrie
Syrie: "Silence, on tue!"
✒ par Ghayath Naisse L’hégémonie des forces djihadistes, en particulier Daesh et Jabhat al-Nosra (dont l’émergence a été favorisée par le régime et les États du Golfe contre l’Armée syrienne libre) est devenue le prétexte des grandes puissances impérialistes, USA et Russie en tête, pour intervenir directement en Syrie. Des puissances qui semblent trouver une certaine entente d’intérêts en Syrie: elles gèrent en commun "le dossier syrien"comme le disent souvent leurs officiels... Après la visite le 23 mai dernier du général américain Votel, chef du commandement central à Roja et sa rencontre avec les forces militaires kurdes YPG, ces dernières ont annoncé le début de la campagne militaire de libération de Raqqa, le fief de Daesh en Syrie, cela au nom des forces coalisées: YPG et d’autres bataillons arabes, turkmènes et assyriens, sous le nom de "Syrie démocratique". Ces forces sont soutenues par l’aviation américaine et par quelques centaines des forces spéciales américaines au sol. Pour l’instant, cette campagne a permis de libérer quelques villages au nord de Raqqa, mais reste encore un peu loin de la ville. Daesh avance au niveau de la campagne est
d’Alep, et vers Deir ez-Zor dans l’est du pays. Dans Alghota, près de Damas, la guerre fait rage entre deux factions réactionnaires, et le régime en profite pour avancer. Dans le sud du pays, la guerre n’est pas finie entre Daesh et d’autres groupes, et le régime gagne encore du terrain. Bref, les combats dans diverses régions reflètent la volonté de toutes les parties d’améliorer leur situation militaire en vue de renforcer leurs positions dans les négociations en cours à Genève.
"Négociations"ou mouvement populaire?
Pour accélérer ces négociations, les USA soutiennent la campagne de Raqqa, et la Russie donne un délai aux groupes "modérés"pour se séparer de Jabhat alNosra, avant qu’elle devienne la cible de ses bombardement. La date butoir du 25 mai a été reportée "pour donner du temps à l’administration américaine pour convaincre ces modérés de se séparer de alNosra", selon les déclarations russes. Deux principaux dirigeant s "islamistes"de la haute commission de négociation ont été poussés à démissionner, et la commission a aussi déclaré qu’elle va intégrer l’opposition soutenue par Moscou, ainsi que celle soutenue par Le Caire, dans les négociations avec le
Syrie
Révolution, guerres et négociations... régime. De plus, un journal proche du régime syrien a divulgué le 24 mai un projet de constitution pour la future Syrie préparé par l’administration de Poutine... Tous ces éléments laissent à penser que les deux grandes puissances veulent "imposer"une solution à toutes les parties et en premier lieu au peuple syrien, une solution qui reproduit le régime en place greffé par une partie de l’opposition bourgeoise. Pour autant, l’ASL n’a pas disparu, et le mouvement populaire reste vivant: il renoue avec les mots d’ordre de la révolution de 2011, en particulier avec les manifestations quasi quotidiennes à Ma’arrat al-Numan [contre le Front Al-Nusra, branche syrienne d'Al Qaeda], Salqin, Kifr Nubil et Saraqib, contre le régime et les forces réactionnaires. Et à Hama, 800 prisonniers politiques démocrates ont pris le contrôle de la prison centrale depuis un mois. Les deux attentats suicides du 23 mai perpétrés par Daesh dans deux grandes villes de "la Syrie utile"du régime, Jableh et Tartous, ont révélé l’étendue de la contestation et la colère qui germent dans cette région contre le régime, et qui ne va pas tarder à exploser. [...] ■ Article publié dans l’hebdo L’Anticapitaliste (02 juin 2016)
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Grande-Bretagne
Nucléaire belge: pression des voisins! ✒ par Léo Tubbax Nouveaux problèmes
Tihange 2 a encore une fois déclenché le 10 juin suite à un problème hors zone nucléaire. Bon nombre d’incidents affectant la salle des turbines arrêtent automatiquement le réacteur nucléaire parce que l’arrêt de la turbine provoquerait une surchauffe dans le réacteur ce qui peut causer une réaction en chaîne, prélude d’une catastrophe dans ce réacteur fragile. Electrabel minimise en évoquant qu’avec 320.000 pièces dans un réacteur, c’est normal qu’il y en a une qui casse de temps à autre. D’autant plus que l’usine du Creusot (Saône-et-Loire), reprise par AREVA, a triché dans le contrôle technique d’un grand nombre de composants destinés au nucléaire, dont une partie a été livrée en Belgique lors de la construction des réacteurs de Doel et Tihange. Une bonne raison pour arrêter les réacteurs?
Nouvelles pressions
Le nucléaire ne peut pas fonctionner sans une carapace politique et médiatique. Un processus démocratique de prise de décision à propos du nucléaire, à supposer que les citoyen.ne.s disposent des informations correctes et du temps pour en débattre, mènerait à l’arrêt de la filière. Cette carapace est en train de craquer sous la pression des citoyens organisés de façon unitaire qui s’épanouit dans le nouveau climat électrique. Depuis l’Energiewende, suite à la catastrophe de Fukushima, la bourgeoisie allemande ne se sent plus liée par le vœu de silence à propos du nucléaire. Ses médias ouvrent la porte aux informations et analyses des initiatives citoyennes contre le nucléaire, d’autant plus largement quand il s’agit de réacteurs appartenant à des producteurs comme Engie-Electrabel et EDF-Luminus, concurrents des géants allemands. Les Pays-Bas ont suivi. Environ 80 villes et communes des deux pays se sont regroupées pour déposer une plainte au Conseil d’Etat contre la Belgique, dénonçant la qualité déplorable de son
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industrie nucléaire, spécialement de Doel 3 et Tihange 2. Une Commission (réellement) indépendante réunie à l’initiative de la ministre allemande de l’Environnement a conclu que le redémarrage des deux réacteurs caducs était une aberration. Aujourd’hui, même le Grand Duché du Luxembourg, bastion du conservatisme, rejoint les protestations. A l’initiative de la plate-forme "Atomkraaft: Nee, merci" la ville de Wiltz, représentant 30 villes et communes du Duché, a décidé de se joindre à une nouvelle plainte, cette fois au civil à Bruxelles. Du côté belge, la Ville de Visé fut la première à adopter une motion en faveur de la fermeture de Tihange 2. Un groupe de citoyen.ne.s belges, regroupé.e.s dans la plate-forme not2d3, envisage une autre plainte au civil contre les menaces à l’environnement et à la tranquillité des citoyens qu’est l’exploitation des réacteurs caducs. Le gouvernement belge ne peut rester insensible aux pressions des gouvernements, parlements et autorités locales allemandes, néerlandaises et luxembourgeoises. Mais la vitesse à laquelle ces plaintes seront traitées et le choix du juge qui en sera saisi sont des paramètres qui échappent aux plaignants, mais probablement pas au gouvernement. Le ministre des Affaires étrangères trouvera probablement une issue diplomatique, permettant un droit de regard des autorités voisines sur la sécurité des centrales. La plainte de not2d3 permettra de faire pression "en tant que citoyens belges". Elle disposera d’arguments juridiques plus solides, mais son issue positive est loin d’être assurée.
Comment éviter la catastrophe?
La question n’est plus si Tihange 2 et Doel 3 seront fermés, mais bien si les réacteurs seront fermés avant ou après un accident grave. La discussion entre pro et anti nucléaires continue, mais même dans le camp pro nucléaire des voix se font entendre pour la fermeture de ces deux réacteurs "hors normes de sécurité". Le danger nucléaire, civil et militaire, concerne évidemment toutes les classes
sociales. Mais le nucléaire a la faveur de la bourgeoisie belge pour deux raisons. La première est le dividende que produit l’action Engie. Chaque réacteur produit un million d’euros de bénéfice avant impôts par jour! La deuxième est plus honteuse: la grande industrie belge a toujours été favorisée outrageusement au niveau de la facture énergétique, aux frais des ménages. Le prix minime du kilowatt nucléaire est depuis 40 ans un frein puissant à l’investissement dans des installations électriques à haut rendement. L’industrie belge, qui utilise 60% de l’électricité en Belgique, consommerait en moyenne 30% d’énergie en plus par produit qu’une firme concurrente allemande. L’arrêt du nucléaire augmentera immanquablement la facture électrique de la grande industrie, qui frôle aujourd’hui le prix de revient. La fermeture des réacteurs devra donc se faire contre la volonté du 1% de la population qui nous exploite et contre son gouvernement. Il faut arracher la conduite des affaires électriques des mains d'Engie. La revendication que la CGSP a inscrite dans sa déclaration de principe: la nationalisation des grandes sociétés de l’énergie et leur transformation en service public pourrait constituer un point d’appui solide pour propager cette lutte dans le mouvement ouvrier, seul à même de mettre hors d’état de nuire Engie et ce gouvernement pro nucléaire et antisocial. ■
photo: http://w w w.moviemail.com/blog/cinema-reviews/2946-Versus-The -Life -and-Films- of-Ken-Loach-Film- of-the -Week
✒ par Alain Krivine Enfin une bonne nouvelle que personne, y compris lui-même, n’attendait... Notre ami Ken Loach vient de décrocher la Palme d’or pour son dernier film Moi, Daniel Blake. Il faut dire que ce film et son auteur sont à l’opposé du climat fétide de pacotille qui règne pendant ce festival, où tout le monde semble obsédé par la "montée des marches", le tapis rouge et les habits portés par ce beau monde. Il est vrai que tout cela a peu à voir avec la vie d’un prolétaire anglais âgé, empêché de travailler à cause de son cœur, et confronté à l’absurdité d’une administration sociale… Lors de la remise de son prix, devant un public un peu effaré, Ken n’a pas hésité à s’en prendre à "un projet d’austérité, conduit par des idées que nous appelons néolibérales qui risquent de nous mener à la catastrophe". [...] Cinéaste, Ken Loach a été de tous les combats, y compris historiques, que ce soit avec Land and Freedom pour la révolution espagnole ou Le vent se lève sur l’indépendance de l’Irlande. Militant, il a défendu la cause palestinienne ou dénoncé l’Europe libérale, en particulier
Ken Loach
son représentant David Cameron. Ainsi, après la remise de son prix, Ken a même ajouté que "ce qui se passe en Angleterre est inacceptable. Le gouvernement néolibéral de David Cameron met fin aux droits des travailleurs et met gravement en danger la démocratie. À travers ce petit film, je veux dire qu’il faut garder espoir et surtout être solidaires". Et en ce qui concerne la France, il n’a pas hésité à soutenir les candidat.e.s du NPA à l’occasion de différentes élections [il en a fait de même en Belgique, en soutenant les candidat.e.s de la LCR sur les listes PTB-GO lors des élections de 2014]. À presque 80 ans, Ken Loach est resté un militant, et son succès à Cannes est un signe des temps. Les ravages provoqués par la politique des classes dominantes, non seulement en Angleterre mais aussi dans toute l’Europe et dans le monde, révoltent au point de franchir tous les barrages et de trouver des porte-parole au plus haut niveau de la création artistique. Un geste politique qui est un bel encouragement pour toutes celles et ceux qui se battent quotidiennement pour changer un monde injuste et inhumain. ■ Texte publié sur europe-solidaire.org.
cinéma
A Cannes, Ken Loach reçoit la Palme d’or... anti-austérité! Extrait du
discours de Ken Loach pour la Palme d’Or à Cannes 2016
Recevoir la Palme, c’est quelque chose d'un peu curieux car il faut se rappeler que les personnages qui ont inspiré ce film sont les pauvres de la cinquième puissance mondiale qu’est l’Angleterre. C'est formidable de faire du cinéma, et comme on le voit ce soir c'est très important. Le cinéma fait vivre notre imagination, apporte au monde le rêve mais nous présente le vrai monde dans lequel nous vivons. Mais ce monde se trouve dans une situation dangereuse. Nous sommes au bord d'un projet d'austérité, qui est conduit par des idées que nous appelons néolibérales qui risquent de nous mener à la catastrophe. Ces pratiques ont entraîné dans la misère des millions de personnes, de la Grèce au Portugal, avec une petite minorité qui s'enrichit de manière honteuse. Le cinéma est porteur de nombreuses traditions, l'une d'entre elles est de présenter un cinéma de protestation, un cinéma qui met en avant le peuple contre les puissants, j'espère que cette tradition se maintiendra. Nous approchons de périodes de désespoir, dont l'extrême-droite peut profiter. Certains d'entre nous sont assez âgés pour se rappeler de ce que ça a pu donner. Donc nous devons dire qu'autre chose est possible. Un autre monde est possible et nécessaire. ■
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à lire…
Défier le récit des puissants
Petit dictionnaire de la fausse monnaie politique La manipulation par les mots. Mondialisation financière, crise économique, sociale et politique sans fin, réchauffement climatique, guerres, attentats, catastrophes humanitaires... Notre société change et bascule dans une nouvelle ère. En témoigne ce petit abécédaire langagier qui en dit long sur l'air du temps: "l’unité nationale", "la République intransigeante", un "Je suis Charlie" spontané et solidaire détourné en slogan inquisiteur, la force du travail métamorphosée en "coût du travail", les vagues de licenciements en "plans de sauvegarde de l'emploi", les cotisations sociales en "charges", les préjugés racistes en "problème de l'immigration", "assimilation", "musulmans de France", etc., autant de nouvelles formules dont on ne cherche plus à analyser ni l'origine ni la portée. Trop répétitives pour être spontanées, ces expressions de la pensée dominante inondent les plateaux télé, tournent en boucle sur les ondes et irriguent la plume de nombreux éditorialistes. Une violence verbale contre laquelle nous devons aussi nous dresser. Olivier Besancenot (2016) Petit dictionnaire de la fausse monnaie politique Editions Le Cherche Midi, Paris (144 pages, 12 euros) ■
Macaroni! "Le vieux chiant", c'est comme ça que Roméo appelle son grand-père. Alors, quand il apprend qu'il va devoir passer quelques jours avec lui à Charleroi... c'est une certaine idée de l'enfer pour le gamin de 11 ans. Pourtant, cette semaine s'avérera surprenante à bien des égards. Peut-être grâce à Lucie, la petite voisine, qui parlera de son "nono" à elle et qui lui fera découvrir la beauté des terrils, peutêtre grâce à son papa qui, pour la première fois, évoquera son enfance, certainement grâce à Ottavio qui derrière ses airs de vieux bougon cache une vie faite de renoncements et de souffrances. Une vie qu'un gamin d'aujourd'hui ne peut imaginer. C'était une simple semaine de vacances, ce sera l'occasion de lever le silence qui pèse sur des hommes de trois générations. Une BD, un récit humain et touchant qui nous parle de l'immigration italienne, du travail des mineurs, de transmission et du difficile accouchement de la parole quand, une vie durant, on a été habitué à se taire. Dessin: Zabu, scénario: Campi (2016) Macaroni!, Editions Dupuis, Marcinelle (24 euros) ■
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Défier le récit des puissants, c’est défier ces films "parfaits" formatés par Hollywood, faisant de nous des citoyens passifs, dociles, sans esprit critique. Car il y a bel et bien une esthétique de la soumission. En revanche, y a-t-il une esthétique de la résistance? Ken Loach répond "oui". Mais soyons clairs. S’il est un des rares aujourd’hui à assurer que la lutte des classes est toujours aussi vivante, il ne cède jamais pour autant à la propagande. Il dit: "Je ne filme jamais un visage en gros plan; car c’est une image hostile, elle réduit l’acteur, le personnage à un objet". Or on peut faire ce qu’on veut d’un objet, l’exclure, l’expulser… Mais si la caméra est comme un œil humain, alors elle capte toutes les présences, les émotions, les lumières, les fragilités. Et nous devenons tous des "film makers". Ken Loach, Palme d’or à Cannes en 2006 pour Le vent se lève, et à nouveau palme d'or en mai 2016 pour Moi, Daniel Blake, est sans conteste l’un des plus grands cinéastes engagés de notre temps. Il partage sa vie entre ses films, sa maison de production Sixteen Films à Londres, et son jardin de Bath où il vit avec sa famille. Ken Loach (2014) Défier les puissants Editions Indigènes, Paris (46 pages, 5 euros) ■
Appel au courrier des lecteurs On écrit beaucoup, on publie des interviews, on vous livre nos analyses… mais on vous lit très peu. Pourtant, nous sommes persuadé.e.s que vous avez des choses à dire! C’est pourquoi la rédaction de La Gauche ouvre un nouvel espace destiné à accueillir vos avis, vos coups de gueule, vos suggestions, vos remarques sur nos articles, etc. Envie de contribuer au courrier des lecteurs? Ecrivez-nous (soyez concis – entre 500 et 1000 signes) à info@lcrlagauche.org en indiquant "courrier des lecteurs"dans le sujet du courriel; ou par courrier postal à La Gauche, 20 rue Plantin, 1070 Bruxelles. ■
L’agenda des conférences-débat organisées par la Formation Léon Lesoil est en train de s’étoffer. Pour la rentrée nous préparons non seulement un cycle de conférences à Bruxelles, mais également dans plusieurs villes du Hainaut. Le travail est en préparation et les intitulés des conférences ne sont pas encore tous définitifs. Mais voici déjà quelques dates à noter.
Bruxelles
Pianofabriek, Rue du Fort 35 1060 Saint-Gilles Mardi 13 septembre à 19h30 Solidarité contre la répression des syndicalistes Mardi 11 octobre à 19h30 Détecter le radicalisme: gare aux dommages collatéraux! Il est prévu d’organiser cette dernière conférence également à Louvain-la-Neuve (date et lieu encore à déterminer)
Charleroi
Brasserie de Charleroi, place du Manège 6000 Charleroi Jeudi 29 septembre à 19h Allocation universelle: percée vers l’égalité ou miroir aux alouettes? avec Mateo Alaluf Jeudi 13 octobre à 19h Uberisation du travail avec Douglas Sepulchre
La Louvière
Maison des Associations, place Mansart 7100 La Louvière Jeudi 22 septembre à 19h Nucléaire: insécurité technologique et précarité du travail avec David Jamar et Luc Michel Jeudi 20 octobre à 19h Assistants sociaux: aidants ou délateurs? avec Bernadette Schaeck
Mons
Auberge de jeunesse Rampe du Château 2 7000 Mons Jeudi 15 septembre à 19h Centres commerciaux: triomphe du consumérisme et défaite de la cité avec Pascal Lorent
Où trouver La Gauche En vente dans les librairies suivantes:
Bruxelles Aurora
Avenue Jean Volders 34 1060 Saint-Gilles
Candide
Place Georges Brugmann 2 1050 Ixelles
Joli Mai
Avenue Paul De Jaer 29 1060 Saint-Gilles
Tropismes
Galerie des Princes 11 1000 Bruxelles
Volders
Avenue Jean Volders 40 1060 Saint-Gilles
Jeudi 27 octobre à 19h Uberisation du travail avec Douglas Sepulchre
Charleroi
Formation approfondie
Boulevard Tirou 133 6000 Charleroi
Samedi 1er et dimanche 2 octobre Auberge de jeunesse Rampe du Château 2 7000 Mons
Carolopresse
Mons Le Coin aux étoiles Rue Notre-Dame 79 7000 Mons
La Formation Léon Lesoil organise un week-end de formation approfondie à destination des militant.e.s. Les deux thèmes abordés cette année seront:
Wavre
Samedi: Classe et syndicalisme au XXIe siècle
Place Henri Berger 10 1300 Wavre
Dimanche: Actualité et nécessité des luttes antiracistes Les détails de cette formation seront disponibles prochainement. Infos et inscriptions via formationleonlesoil@ gmail.com ou au 0487 / 209 062
agenda
Cycle de conférences "La Gauche en débat" à la rentrée 2016
Librairie Collette Dubois
La plupart des ouvrages commentés ou recommandés dans La Gauche peuvent être commandés en ligne à la librairie La Brèche à Paris.
Librairie La Brèche
Rue Taine 27, 75012 Paris, France Tél: 00 331 48 28 52 44 contact@la-breche.com Catalogue en ligne: www.la-breche.com
www.lcr-lagauche.org info@lcr-lagauche.org
www.facebook.com/lcr.sap.4 www.twitter.com/LcrSap4
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Solidarité contre la répression ✒ communiqué LCR-SAP Mardi 24 mai, en fin de la manifestation syndicale contre la politique du gouvernement Michel, quelques dizaines de manifestants éloignés du parcours sont harcelés par des policiers en civil déguisés en manifestants. La tactique est simple: se précipiter à deux ou à trois sur un manifestant, le déséquilibrer pour le faire tomber puis le traîner sur le sol sur une centaine de mètres vers les robocops. Le commissaire Vandersmissen, au milieu de ses agents en civil, pourchasse les manifestants à coup de spray au poivre. Un grand gaillard surgit et décroche un coup de poing au commissaire qui vole au tapis. Un avis de recherche est publié et le suspect se présente à la police. Il s’agit de Tanguy Fourez, militant FGTB. Immédiatement, Marc Goblet exprime "sa condamnation ferme de cet acte incompréhensible"et annonce l’exclusion immédiate de l’intéressé de la FGTB. On aurait aimé entendre de la bouche de Goblet une "condamnation ferme"de l’arrogance répétée de Vandersmissen à l’égard des syndicalistes, progressistes, sans papiers en lutte, systématiquement harcelés et menacés par le médiatique commissaire. On attendait une tolérance zéro des organisations syndicales face aux agressions sexistes commises lors des manifestations qu'elles organisent. On en est loin... De son côté, le PTB s’est empressé de s’aligner sur Goblet en "condamnant catégoriquement cet acte moralement et politiquement inadmissible". Soyons clair. Le moyen de combattre efficacement la politique antisociale du gouvernement Michel ne consiste pas à boxer les commissaires mais à faire tomber ce gouvernement par la grève générale. Mais la célérité avec laquelle la direction de la FGTB et celle du PTB condamnent "fermement"ou "catégoriquement"révèle un souci de respectabilité envers les institutions de l’ordre établi.
Mobiliser le plus largement possible pour soutenir Tanguy Fourez face aux tribunaux
Comme tout syndiqué menacé d’exclusion, Tanguy Fourez a le droit d’être entendu et de se défendre au sein des instances de sa centrale syndicale, au lieu d’être traité comme un pestiféré. On n’a pas moins de droits au syndicat que devant les tribunaux bourgeois. Vandersmissen a choisi comme avocat Sven Mary, un habitué des procès sulfureux qui entend se constituer partie civile pour "tentative de meurtre". Rien que ça! A ce stade, nul ne sait exactement pourquoi Tanguy à boxé Vandersmissen, qu’il ne connaissait sans doute pas. Probablement une froide colère de voir ses copains de manif agressés par les flics en civils. Toujours est-il qu’il faut mobiliser le plus largement possible pour soutenir Tanguy Fourez face aux tribunaux. Dans la guerre sociale contre Michel et le patronat, ne laissons aucun militant ouvrier aux griffes de la répression bourgeoise. ■