Le Jaseur Boréal - Vol. 6 No.4 - Avril 2017

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LE JASEUR

BORÉAL Mars 2017


TABLE DES MATIÈRES

L’économie perma-circulaire: nouveau paradigme salvateur?

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Le choix de la fenêtre

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Mangrove et philosophie arboricole

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L’Arctique : le nouveau « Nouveau Monde » ?

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Quoi de neuf sous les Tropiques?

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Introduction du paradoxe de la boîte

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Le jour où j’ai compris pourquoi mon père écoutait la radio

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Lac Courge

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Première chronique de la Basse-Saint-Charles

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La complexité de la restauration des sites

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Ce que nous sommes

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Le CARM 2017

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Un hiver en Bavière

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Galerie d’art

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Abhinivesha

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Le comité du Jaseur Boréal, votre journal étudiant Coordonnatrire : Clara Canac-Marquis Collaborateurs : Anne Voyer, Béatrice Côté, Emma Côté, Nadia Larocque Lemay, Marimay Loubier et Zacharie Bousquet

lejaseurboreal@ffgg.ulaval.ca /lejaseurboreal

Graphiste : Vanessa Audet Photo de la page couverture prise par Marie-Christine Laurin Tirage : 90 exemplaires Distribution : pavillons Abitibi-Price et Gene-H.-Kruger

Imprimé sur du papier Rolland Enviro100

La réalisation du journal est rendue possible grâce à la contribution financière du Fonds d’investissement étudiant et de vos associations étudiantes. Merci !

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LE MOT DU COMITÉ Chers lecteurs, chères lectrices, Vous avez en votre main la toute dernière édition de la saison 2016-2017 du meilleur journal facultaire connu : le célèbre Jaseur Boréal. Du début à la fin, cette édition vous fera valser entre photos, poésies, textes scientifiques, pelletées de nuages, informations sur les pratiques d’ailleurs, rêves, dessins et blagues. Nous croyons qu’en cette diversité de textes et de sujets réside la force de notre journal : libre comme un oiseau. Bref, attachez-votre tuque1 et laissez-vous porter par la lecture! À l’automne prochain! D’ici là, nous vous souhaitons un bel été! Plongez-y tête première. -Le comité

Photo prise par Marimay Loubier

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Comme dit le dicton : en avril, ne te découvre pas d’un fil. Vol. 6 n°4

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L’économie perma-circulaire : nouveau paradigme salvateur?

Par Étienne Belles-Iles, étudiant en environnements naturels et aménagés Compte rendu de la conférence de l’institut EDS Vers une économie perma-circulaire? Le développement durable a échoué, force est de le constater. C’est ainsi que Dominique Bourg entame la table ronde dont il est l’invité principal. Le philosophe, professeur à l’Institut de géographie et de durabilité de l’Université de Lausanne, doit présenter un concept dont il semble être le théoricien : l’économie perma-circulaire. Je présente ici un résumé de cette conférence. Si la latitude que laissait l’expression développement durable a probablement contribué à sa popularité, elle a aussi mené à sa dérive. Qu’en est-il après trois décennies d’apparition du développement durable (DD)? Les inégalités et la dégradation de l’environnement, les deux enjeux auxquels le DD se proposait de répondre, sont toujours criants. Ainsi, le DD ne nous a pas empêché de poursuivre un développement où l’économie (lire ici la croissance) emporte le mot de la fin dans la plupart des décisions politiques. C’est pourtant exactement l’idéologie que nous devons délaisser selon Dominique Bourg. Le philosophe nous rappelle que, si la croissance a eu des effets bénéfiques considérables pour nos sociétés, surtout lors des 30 glorieuses, les 40 dernières années ont néanmoins été le théâtre d’un recul considérable au niveau du bien-être humain. En promouvant une croissance sans réflexion, nous avons réussi, dans les dernières décennies, à abaisser le niveau de bien-être à un niveau équivalent à celui des années 1920. En effet, nous n’en sommes plus à améliorer les conditions de vie essentielles, bonifier l’éducation, les infrastructures et les services sociaux, mais bien à développer des petits objets et de petites technologies (pensons aux sept générations de iPhone) favorisant une consommation toujours plus effrénée. Mais n’avons-nous pas fait des progrès, le recyclage n’est-il pas bien implanté dans notre société? À cette question, Dominique Bourg répond que bien des stratégies (écoconception, recyclage, économie de fonctionnalité) ont vu le jour pour dématérialiser l’économie et diminuer notre empreinte écologique, mais qu’elles n’assurent pas « l’authenticité d’une économie circulaire » (LesEchos.fr, [en ligne], le 10 février 2016).

économique « seulement » circulaire, il est impossible d’« épargner » les ressources. Bourg donne l’exemple de l’extraction de minerai de fer : « Le recyclage, ça représente des peanuts (il faut bien être Français pour dire ça). […] Comme nous consommons toujours plus avec une croissance qui s’incrémente, tout le recyclage de fer réalisé représente à peine 5% de ce que nous avons consommé ». Pour Bourg, c’est inévitable : les ressources s’épuiseront sans un changement profond de la société. Quant aux inégalités, Bourg le dit clairement, le portrait n’est pas plus coloré : comme le rapportait Oxfam, les huit personnes les plus riches cumulent à elles seules les revenus des 3,6 G les plus pauvres. Faut-il crier la mort du DD pour autant, alors qu’il semble en plein essor? Là n’est surtout pas l’objectif du philosophe, car il ne sert à rien de cracher, selon lui, sur ce qui est derrière nous. Il vaudrait mieux s’en servir comme d’une base pour préciser une construction. On comprend donc que l’économie perma-circulaire n’est pas une sous-catégorie de développement durable, mais ne le contredit pas non plus. Mais on se demande toujours qu’est-ce que l’économie perma-circulaire? Après les 20 minutes de présentation du conférencier et les 40 minutes de débat, pourtant intéressant et alimenté par les questions de Louis-Étienne Pigeon, chargé d’enseignement à la Faculté de philosophie, et Marie-Hélène Parizeau, professeure titulaire à la même faculté, je regarde mon ami qui m’accompagne et nous ne sommes toujours pas certains de comprendre ce qu’est l’économie perma-circulaire.

À la question : Quelle est la place de l’innovation technologique dans l’économie perma-circulaire? Le professeur comprend bien qu’on lui demande si son concept repose sur une approche techno-optimiste, soit la croyance que demain nous trouverons la technologie qui nous sauvera et nous permettra d’accomplir un virage vert facilement, ou encore la croyance que grâce à la technologie nous pourrons nous défaire des limites naturelles (p.ex. Ainsi, même avec la croissance limitée que préconise une la géo-ingénierie). Aussi répond-il, attention au virage -4-

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À la question : Est-ce un modèle pensé pour l’Europe et non applicable aux autres pays, notamment ceux moins développés? Le philosophe répond que non puisque nous faisons maintenant face à des problèmes environnementaux globaux qui affectent les pays de manière similaire. Je crois aussi comprendre qu’il imagine un modèle laissant place à l’innovation en suggérant des balises pouvant être adaptées pour chaque pays. Ainsi, les pays pourraient adopter des mesures propres à leurs réalités, et cette diversité enrichirait le mouvement général. Je me demande toutefois toujours comment pas- Au final, difficile de dire plus que : l’économie permaser de la parole aux actes. Son discours demeure idéa- circulaire n’est pas qu’une économie circulaire du recyclage et de la croissance perpétuelle, ou encore, c’est une liste et (volontairement?) vague. économie où la croissance n’est plus le fer de lance de la Si je devais, suite à cette conférence, définir rapidement politique, mais où le bien-être domine et, surtout, le resle concept (qui n’a finalement jamais été clarifié), je di- pect des limites planétaires est assuré. Et tout le monde rais que c’est un modèle théorique qui suggère de baliser sort de la conférence content : nous avons enfin trouvé le monde économique à l’aide d’indicateurs et de cibles le secret pour sauver la planète! Pas si simple, en effet. et ce, afin de respecter les flux (limites planétaires). Ces C’est aussi le point faible de cette conférence (et peutflux, qu’évoque Dominique Bourg sans jamais bien les être du nouveau concept?) : on a identifié l’objectif, mais définir (c’est soit une mauvaise habitude ou un manque on ne sait pas comment y arriver. On s’en doute, un tel de temps), font référence aux travaux de Röckstrom et système exige une transformation majeure de la société. coll. (2009) et de Steffen et coll. (2015) qui ont catégo- Le conférencier le dit lui-même : « l’économique à elle risé neuf processus planétaires impactés par les acti- seule n’est pas la solution ». Il faut s’attaquer aux valeurs vités anthropiques et leur ont associé des limites qui, à la source, mais aussi revoir certaines institutions. lorsque dépassées, mettent en péril le fonctionnement L’économie est donc un outil : « la question est d’utiliser et la stabilité du système planétaire et donc le maintien les leviers à notre disposition». Reste à savoir comment de l’Homo sapiens (devrais-je dire Homo oeconomicus?). on s’y prend. La question est entière, mais Dominique « Il s’agit donc d’évaluer jusqu’à quel point la planète a Bourg dit qu’il en parle dans son livre qui paraîtra sous la capacité d’absorber les modifications que lui impose peu… Il nous donne toutefois quelques pistes; pour lui, l’être humain (soit la résilience de la Terre) » (Lefevre, en la contrainte légale est inefficace et dangereuse, il faut ligne, http://planeteviable.org/limites-planetaires-ac- plutôt diffuser une conscience réflexive. tualisees/). « Ces neuf « processus » sont : les changements climatiques, l’intégrité de la biosphère (érosion de la biodiversité et dérèglement des écosystèmes), la transformation des terres, l’acidification des océans, l’utilisation de l’eau douce, les flux biogéochimiques (azote, phosphore), l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, la croissance des aérosols atmosphériques et la dissémination de nouvelles substances. » (Idem) En respectant ces limites, on agit, face à l’incertitude, de façon éclairée. On se garantit une marge de manœuvre sécuritaire dans laquelle l’humanité peut s’épanouir. Vol. 6 n°4

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Une pensée me rassure cependant en sortant de cette conférence : si nous avons réussi à créer un monde capitaliste et à convaincre les gens de consommer (Bourg nous apprend qu’en 1920, la culture de l’achat n’existait pas!), ne peut-on pas jouer sur les mêmes cordes sensibles pour faire changer les mentalités? Ne sommesnous pas, en outre, en perpétuel changement? D’ailleurs, certaines initiatives que Dominique Bourg qualifie d’économie expérimentale se font de plus en plus visibles : de grandes fermes sont rachetées en France pour donner

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Dominique Bourg - Source : Les Échos.fr

vert, si l’éolien et d’autres technologies « vertes » nous Or, Dominique Bourg nous le rappelle, quatre de ces permettent de réelles réductions en termes d’émissions seuils sont déjà dépassés. de GES, certaines reposent toujours sur l’exploitation de terres rares et, au final, l’adoption de ces nouvelles technologies ne nous dirige pas vers une consommation plus réfléchie.


lieu à de plus petites fermes de permaculture comme la Ferme du Bec Hellouin (http://www.fermedubec.com/), des réseaux de consommation locale se dessinent, pensons à l’écovillage du Saguenay, aux paniers bio d’Équiterre, etc. Ce sont autant de petites poches qui se lancent et qui transforment la société de l’intérieur.

L’intégrale de la conférence est disponible en ligne sur le site de l’Institut EDS (http://www.ihqeds.ulaval.ca/listevideo/).

Le choix de la fenêtre

Par Antoine Goudeau, ancien étudiant de la faculté de Bordeaux (France), en géographie et aménagement du territoire Tout d’abord, ceci est un article qui a déjà vu le jour, mais le recyclage c’est bon pour la planète. Il a été publié l’an dernier dans un autre journal étudiant, de géographie, le nôtre, celui de Bordeaux prénommé le point G... Avec l’approbation des membres du Jaseur Boréal, nous avons convenu de faire un échange d’articles pour ce numéro et pour les suivants, qui sait ? La porte est grande ouverte ! Vous volant deux articles tout en vous en proposant un que voici. Pas vraiment forestier, mais passons les clivages, il ne séduira pas que les lecteurs et lectrices géographes, qui vous suivent tout autant. Bref, les étudiants de géographie de l’université de Bordeaux Montaigne vous souhaitent une bonne lecture et sont ravis de partager avec vous. – L’équipe du point G Le choix de la fenêtre. En classe, dans le bus, le train, l’avion, la voiture, la place la plus prisée est celle à côté de la fenêtre. Enfants, certains courent pour s’asseoir près de la fenêtre en entrant dans la classe. Adultes, d’autres usent de tactiques pour pouvoir se positionner au plus près d’elle. On paye parfois même pour avoir ce privilège. Qu’achète-t-on ici ? La vue, la lumière ? De la distraction, du plaisir, du rêve, de la perversion ? On cherche certainement un peu de tout ceci dans les fenêtres. Les fenêtres sont toutes différentes. Forme, couleur, épaisseur, toutes diffèrent. Les fenêtres sont singulières, elles en ont vu passer des histoires. La fenêtre est un objet ambigu, elle sépare le dehors du dedans tout en les mettant en étroite relation de par sa transparence. Elle doit donc être considérée plus comme une surface de transition que de séparation entre le dehors et le dedans. Elle permet l’imbrication réciproque de ces deux espaces. C’est une frontière transparente, une interface. Gaston Bachelard (La poétique de l’espace, PUF, 2012), la décrit comme la frontière entre l’en deçà et l’au-delà. Dans ce sens, la fenêtre est bien le support de l’interaction entre le dedans : le corps, le privé ; et le dehors : le public, l’espace ouvert, l’horizon. Ainsi, la fenêtre est le théâtre de deux dynamiques : la projection du dedans

dans le dehors et la pénétration du dehors dans le dedans. Parce que la fenêtre est un élément d’interaction entre deux espaces, cela implique qu’une action y prenne place. La fenêtre laisse passer la lumière, les sons, les odeurs parfois. Des objets, des animaux, des hommes, aussi, passent par cette ouverture. Nous-mêmes, passons tous les jours devant des fenêtres, sans même les remarquer. Peut-être parce que devenue parfois si grandes et si transparentes, les fenêtres finissent par se fondre dans le paysage. Pourtant, du temps où les fenêtres étaient toujours à taille humaine (par un manque technique pour réaliser des vitres hautes et larges), la fenêtre a permis d’encadrer l’espace, participant ainsi à la création du paysage. La fenêtre donne un cadre à l’étendue qui s’offre à la vue et en permet ainsi une meilleure perception. La fenêtre « vue du dedans » De maison, elle est fixe, de voiture elle est mobile. Elle n’est jamais la même, et pourtant son but semble être toujours le même. La fenêtre doit apporter de la lumière et ce faisant permettre à l’œil de voir les éléments extérieurs que la lumière lui renvoie. La lumière permet donc une imbrication du dehors dans le dedans et une projection du dedans vers le dehors. C’est ici l’idée que la fenêtre permet l’ouverture sur le monde ou sur des

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Le modèle des prisons panoptiques, inventées à la fin du XVIIIe siècle par le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832) reflète bien cette idée. Les prisonniers sont contrôlés, car ils ne savent jamais s’ils sont observés ou non. Michel Foucault a beaucoup travaillé sur le panoptique de Bentham et l’a ainsi étendu à la société. Il parle d’une société normative autorégulée par des systèmes de surveillance verticaux, mais aussi horizontaux. Aujourd’hui, le système du panoptique se retrouve ancré dans nos vies quotidiennes par la présence toujours grandissante de caméras de surveillance dans l’espace public. L’espace public serait comme rempli de fenêtres permettant aux autorités d’observer, de réguler, mais aussi d’enquêter et d’accumuler des données sur les citoyens. Nous passerions donc notre temps sous la fenêtre de quelqu’un. Bien sûr, il y existe encore des angles morts

C’est souvent pour les petites ou les très grosses choses que l’on passe par la fenêtre, pour les choses de taille normale la porte est préférée. Certaines fenêtres ont toutefois pour unique but de satisfaire la vue, depuis le dehors. C’est le cas des vitrines de nos rues commerçantes. La fenêtre y est devenue un outil primordial de la société de consommation. Elle est là pour créer une envie, un besoin chez le passant. Le passant ne fait alors plus que passer, mais il fait du « lèche-vitrine ». Les fenêtres de magasins sont d’ailleurs toujours très propres, elles s’effacent et laissent le magasin pénétrer dans l’espace public. Le dedans s’imbrique alors dans le dehors grâce à la fenêtre. Les produits sont à portée de mains et la consommation en est facilitée. La pratique du « lèche-vitrine » est une activité à laquelle s’adonnent volontiers bon nombre de personnes les samedis après-midi. Où va la fenêtre ? Enfin dans le monde de la fenêtre, la dernière arrivée est la fenêtre digitale. C’est la fenêtre la plus utilisée de nos jours. La fenêtre virtuelle a définitivement changé nos modes de vie et dans ce sens nos rapports aux fenêtres physiques. On regarde moins par la fenêtre. On regarde dans la fenêtre. Une nouvelle « vue du dedans » est apparue. Il y a un passage de la vue « par » à la vue « dans » la fenêtre. Ainsi, cette nouvelle dynamique bien que permettant l’accès à une presque-infinitude de mondes, nous enferme de plus en plus derrière des fenêtres. Il semble que la lumière bleue de nos écrans soit devenue plus attirante que la lumière blanche du soleil. Pour autant, les paysages continueront de défiler sous les fenêtres des trains et les enfants de se disputer la place du côté de la fenêtre.

La fenêtre « vue du dehors » La fenêtre est donc le regard de l’intérieur vers l’extérieur, mais c’est aussi la dynamique inverse, car bien souvent les fenêtres sont transparentes dans les deux sens. Avec la fenêtre vue du dehors, il y a une intrusion de l’espace public dans l’espace privé. C’est essentiellement pour cette raison que l’on met des rideaux aux fenêtres comme une protection du public. La fenêtre est donc une surface d’échange privilégiée entre des espaces aux dynamiques et règles différentes. C’est une interface d’échange visuel plus que physique, bien que parfois on Vol. 6 n°4

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d'urbanisme de Bordeaux

Cependant, la « vue du dedans » peut aussi être un outil de mise à distance de l’intérieur par rapport à l’extérieur. C’est le cas des vitres teintées, celles qui permettent de voir depuis l’intérieur sans être vu. La fenêtre devient alors un élément de pouvoir, un objet de contrôle.

passe des choses par la fenêtre.

Photographie par Hugo Réveillac ,étudiant à l'Institut d'aménagement, de tourisme et

mondes. Les mondes de la pensée, de l’imaginaire. En passant d’un espace fermé à un espace ouvert, un paysage plus large, la fenêtre permet à l’esprit de s’ouvrir. Il semble que sans fenêtre nous deviendrions fous : « Car c’est dans la fenêtre que réside toute espérance de lumière, de lever du soleil, d’horizon ; c’est dans la fenêtre que se logent les désirs et les aspirations » (JESENSKA, Milena. Vivre. Paris : Lieu commun, 1986). Le paysage et les perspectives sont ce qui rend les hommes heureux. La fenêtre est un exutoire. Avoir affaire à une fenêtre mobile renforce ce sentiment. Le défilé du paysage derrière la paroi de verre accentue la prise de conscience de l’ampleur de l’espace. Ce faisant, la pénétration du dehors dans le dedans est renforcée.


Mangrove et philosophie arboricole

Viviparité : Un beau mot fancy qui signifie que leur fruit forme des racines avant de se détacher de l’arbre.

Élise Bouchard

Ce ne sont donc pas des graines qui tombent au sol, mais des petits semis, prêts à commencer leur vie et à s’enraciner à la moindre occasion. Ça m’a fait penser à nous, jeunes gradués, qui tombons dans le vide suite à une longue épopée de 4 ans, en espérant s’enraciner quelque part. Voici comment j’imagine la chose:

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Saviez-vous que les mangroves se reproduisent par viviparité?

http://www.stri.si.edu/images/media/Dryobala-

J’avais bien envie d’écrire un article complètement décousu, parce qu’après quatre ans de bac, on finit par se lasser des sujets amené, posé, divisé, bien justifiés à gauche et à droite. Alors je me gâte. C’est parti.

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Bonjour communauté Abitibi-Pricienne,

https://media-cdn.tripadvisor.com/media/photo-

Par Élise Bouchard, étudiante en aménagement et environnement forestiers

Forêt de Képong, Malaisie

Ainsi, on nous enseigne le professionnalisme, l’utilisation des bons mots et la rédaction de longs documents. Mais qu’en est-il des choses importantes? Qu’en est-il des cours qui nous apprendraient à vivre, à relier nos cimes plutôt que de les garder distantes? Je ne sais pas. Je ne me sens pas encore graduée à ce sujet et je ne crois pas que ce soit écrit dans les objectifs des plans de cours. Il faudra trouver la connaissance ailleurs… Cet ailleurs de société humaine qui, elle aussi, m’apparaît parfois comme une forêt. Elle me fait penser au boisé de Verzy en France (Figure 2). Dans cette forêt unique, les hêtres tordus poussent dans tous les sens, sans cohérence géométrique.

Quatre ans de baccalauréat, c’est beaucoup de cours et d’informations. Par contre, j’ai parfois l’impression qu’on nous enseigne à devenir des arbres de la forêt de Képong, en Malaisie. Dans cette forêt particulière, les arbres ne se touchent pas. Il y a en permanence une distance d’environ un mètre entre leurs cimes. C’est un phénomène curieux, dont les scientifiques n’ont pas trouvé la cause. Un hêtre de la forêt de Verzy, France -8-

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Lorsqu’on s’arrête pour observer et penser aux actes de l’humanité, on a parfois l’impression que ça dégénère et que ça devrait être autrement, que l’humanité ressemble à cette forêt de hêtres tordus. Tout plein de gens s’interrogent sur le pourquoi du comment, et le même genre d’hypothèses que pour la forêt de Verzy apparaît; des milliers de raisons pour justifier des actes qui sont peutêtre simplement des symptômes d’une cause unique et plus profonde. Quelle est-elle, cette cause?

Montage par Élise Bouchard

Selon Wikipédia, voici les hypothèses de ces déforma- Les jours se suivent et se ressemblent, mais peut-être ne tions inédites : se ressemblent-ils pas tout à fait. Il fut un temps où le Ginkgo biloba cohabitait avec les dinosaures. Le ginkgo « Pour la croissance, ont été rendues responsables la est un véritable fossile vivant, le plus ancien des arbres nature du sol, sa composition chimique, la présence ayant résisté à l’usure des ères géologiques. Aujourd’hui, de substances radioactives dans les eaux, le climat, des il côtoie cet étrange primate; l’Homo sapiens sapiens. météores radiants, la forme et la position des bour- Qui l’aurait cru ? geons, des cavités souterraines avec courants d’air ou des rayonnements telluriques. Il y eut une présomption que les arbres à « balai de sorcière » pourraient engendrer encore des tortillards. En outre, le manque temporaire d’eau chez les jeunes plants a été considéré comme pouvant être pris en considération pour expliquer l’accroissement des malformations, mais toutes ces spéculations n’ont pas fait leurs preuves. » Bref, on ne sait pas ce que nous réserve demain, mais on s’enracinera tôt ou tard quelque part, ou à quelqu’un, comme le semis de mangrove. L’important n’est pas de s’enraciner ou non, le plus rapidement possible, mais bien de s’enraciner à la bonne place, à la bonne personne, peu importe, le temps que ça prendra. Ne soyez donc pas trop pressés, chers étudiants et gradués .

Nous avons déjà statué que la connaissance d’apprendre à vivre ne nous est pas livré dans nos cours, donc je ne sortirai pas la réponse d’un livre d’école. Heureusement, on peut toujours s’asseoir sous un arbre pour y réfléchir. Qui sait ce qu’on peut découvrir sous un arbre?

Élise Bouchard

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Montage et image par Élise Bouchard

• La théorie de la gravité (Newton sous son pommier) • Le Nirvana (Bouddha sous un pipal ou arbre de l’éveil. Village de Bodh Gaya en Inde) • Zachée perché dans son sycomore (Jéricho, alors que Jésus parle à la foule) • Ou autres…!


L’Arctique : le nouveau « Nouveau Monde »? Par Raphael Delobbe, étudiant en géographie Si, lors des différentes vagues de colonisation de l’humanité, le territoire arctique n’a jamais été conquis par une couronne, aujourd’hui il est convoité par plusieurs pays. En effet, autrefois, en raison des froids extrêmes, le territoire arctique était presque entièrement recouvert de glace, ce qui rendait la navigation difficile et mettait en péril la vie de chaque individu qui s’y aventurait. Aujourd’hui, l’Arctique est l’un des endroits les plus touchés par les changements climatiques. Trois facteurs ont un grand rôle dans le climat de notre planète et ceux-ci amplifient la perturbation des conditions environnementales de l’Arctique. La diminution de l’effet d’albédo, la perturbation de la circulation thermohaline par la fonte de glaciers, et la fonte du pergélisol sont des facteurs qui augmentent dangereusement la température de l’Arctique.

le Danemark (par le Groenland), la Norvège et l’Islande. L’Arctique est également très riche en ressources naturelles. Des ressources halieutiques, du gaz naturel et du pétrole sont présents en très grande quantité sur ce territoire, ce qui force les pays impliqués à se livrer une bataille scientifique pour prouver la continuité de leur territoire en zone arctique. Le Danemark a amassé les preuves géologiques prouvant la continuité de son plateau continental vers la dorsale Lomonosov. Le Canada revendique aussi la continuité de son plateau vers la dorsale Lomonosov, mais ne peut encore le prouver. Tout comme le Danemark, la Russie et la Norvège ont également déposé leur réclamation finale.

La course contre la montre est ainsi commencée depuis déjà plusieurs années pour les géologues qui doivent entreprendre de nombreuses expéditions nordiques pour amasser des données qui prouveront les droits territoriaux de leur pays respectif sur l’Arctique. Une fois La fonte de la glace (par l’augmentation de la tempéra- que toutes les revendications seront soumises, ce sont ture) en Arctique ouvre une nouvelle voie de navigation les Nations Unies qui devront trancher. Qui gagnera pour les bateaux, ce qui en fait un territoire convoité le « sprint » pour monter sur la plus haute marche du par de nombreux pays. Six pays revendiquent ce terri- podium ? Armons-nous de patience encore quelques toire: le Canada, la Russie, les États-Unis (par l’Alaska), années.

La Presse canadienne, Jonathan Hayward - 10 -

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Quoi de neuf sous les Tropiques?

Par Catherine Eva Ruest Bélanger, candidate à la maîtrise en sciences forestières En direct du Panama, j’ai décidé de prendre un petit moment pour vous écrire, en espérant que de transmettre de belles informations scientifiques à mes amis les forestiers (et autres mutations) me déculpabilisent un peu d’avoir passé les derniers jours à faire de l’apnée dans les Caraïbes.

contexte particulier attire un tas de scientifiques de tout acabit et de partout dans le monde et le STRI, avec sa dizaine de centres de recherche répartis dans différents écosystèmes du pays, est bien dotée pour les accueillir. Dans cet esprit, notre cours de biologie tropicale nous a permis de nous promener d’un centre de recherche à l’autre pour rencontrer un échantillon assez diversifié de scientifiques qui ont partagé avec nous certaines des questions qui les taraudent la nuit et, pour certains, nous ont amenés sur le terrain pour qu’on réfléchisse avec eux. (Mise en garde : la section suivante contient des passages de violence. J’aimerais souligner que je suis végétarienne, et que si mon karma était en mauvais état après ce cours, je vous promets qu’il s’est depuis grassement payé sur mon cas).

Qu’est-ce que je fais ici? Je ne sais trop comment l’expliquer, mais j’ai la chance de faire partie du programme BESS (Biodiversity, ecosystem services and sustainability) qui permet à des étudiants gradués de McGill, Laval et l’UQAM de faire de la recherche en Amérique Latine sur toutes sortes de questions liées au nom très limitatif du programme. Dans le cadre de ce programme, on doit suivre deux cours intensifs au Panama : un premier sur la biologie tropicale, qui se termine à l’instant, et Ainsi nous avons découvert la forêt tropicale en la surun deuxième sur les politiques environnementales, qui volant du haut d’une grue (qui normalement permet de commencera sous peu. prendre des données sur le monde méconnu de la canopée), en détruisant des nids appartenant à des fourmis Donc, voici un petit compte rendu de mes trois pre- GIGANTESQUES pour les attraper et les mesurer (exmières semaines au Panama. Premièrement, il faut cellente activité pour le « team-building »!), en attrasavoir que notre cours s’est déroulé sous le chapeau du pant de jolis papillons pour contribuer à la fabrique de Smithsonian Tropical Research Institute (STRI), un insti- mutants de nos professeurs, en courant après les singes, tut de recherche américain qui est né ici même pendant et j’en passe. De la rive de l’océan Pacifique, nous avons le développement du canal de Panama et qui a depuis regardé des faux-crabes se battre et perdre des membres fait des petits à divers endroits dans le monde. (avec pour la noble intention d’observer des faux-crabes des deux océans interagir, en se posant des questions La situation géographique du Panama est en fait un lieu sur la différenciation des espèces). Plongés dans les unique pour tenter de répondre à toutes sortes de ques- Caraïbes, on a posé des appâts pour caractériser la prétions liées à la biologie tropicale. Le Panama étant à la sence de carnivores. Des collègues ont aussi gentiment croisée des chemins entre l’Amérique centrale et l’Amé- fait bouillir une quantité respectable d’oursins pour rérique du Sud et séparant (tant bien que mal) l’océan Pa- fléchir aux conséquences des changements climatiques. cifique de l’océan Atlantique, la biodiversité ne sait plus où donner de la tête. Qui plus est, avant qu’on creuse le fameux canal de Panama, les deux océans n’avaient pas toujours été séparés ; ce n’est en fait que récemment (une date débattue avec émotion) que l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud se sont unies au niveau du Panama. Bref, quand on est biologiste, on trépigne d’excitation face à cette situation, qui nous permet d’imaginer un temps où de nombreuses espèces pouvaient se promener entre les deux océans. Ce qui permet d’étudier la différenciation des espèces, suite à la création de cette En guerre contre les fourmis! barrière terrestre qu’est le Panama. Évidemment, ce Photo gracieuseté de Heather Stewart

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Ok, peut-être que je vous fais un portrait un peu « sensationnaliste » de notre cours, qui comportait aussi une grande dose d’informations bien détaillées. D’ailleurs, nous tenions un superbe blogue sur le cours : https:// strineoigert.wordpress.com/ où vous pouvez en apprendre davantage sur tous nos méfaits accomplis. Je vous mets toutefois en garde que, pour accéder à ces articles, il faut tout d’abord franchir un mur d’insides, parce qu’à la fin, on s’aimait tous beaucoup. Aussi, si non seulement ce cours, mais aussi le programme vous intrigue, imaginez-vous qu’il reste encore de la place! Ça me fera plaisir de répondre à vos questions, mais sinon, Nancy Gélinas est la personne à qui parler!

ces questions qui sont posées sur l’évolution, la biodiversité et autres termes que je maîtrise mal… Mais je dois vous avouer que j’éprouve une petite fierté par rapport à la façon dont on fait la recherche chez nous : on pose des questions assez pratiques, par exemple sur notre façon de gérer la forêt, avec un objectif clair de contribuer à l’amélioration des politiques et des pratiques liées à ce sujet. Au STRI, c’est une autre histoire. Bien que certains chercheurs fassent joliment exception à cette tendance, il reste que pour plusieurs, les besoins du Panama ne sont pas un critère important dans leurs choix de recherche. Pour vous donner un exemple, une de nos activités portait sur des espèces d’escargots invasives dans le canal. On nous a appris à ce sujet qu’il n’y avait eu, pendant environ 30 ans, aucune recherche sur les espèces invasives dans le canal. « Mais, j’ai demandé, c’était pas justement la raison d’être du STRI?!? ». « Bin, y’avait juste personne pour s’intéresser au problème, pendant 30 ans ». Eum. Cela dit, je ne discrédite pas la recherche fondamentale; c’est crucial de mieux comprendre comment les choses de la vie fonctionnent. D’ailleurs, ça permet à la recherche pratique d’aller plus loin. Il y a de la place pour les deux, c’est certain. Mais de mon côté, je pense que je vais continuer à m’amuser du côté pratique de la recherche, même si ça m’éloigne des batailles de crabes!

Cela dit, qu’est-ce que je retiens de ce premier cours au Panama? Premièrement, un petit mal de tête devant le nombre de points d’interrogation qui sont soulevés par tous les scientifiques qui assaillent la région. Assurément, les Tropiques renferment encore quelques tonnes de mystères biologiques. Deuxièmement, de profonds doutes par rapport à mon cheminement professionnel : on n’aurait pas pu me dire plus tôt que c’était possible, de devenir biologiste marin et de passer ses journées à plonger et regarder des poissons, ou de faire comme Jane Goodall et partir dans la jungle à la poursuite de primates? Une chance que ma geekitude pour la forêt est forte… Troisièmement, une petite observation bien PS : j’en profite pour remercier LOJIQ (Les Offices jeuFFGGienne: pour moi, c’était un tout nouveau monde, nesse internationaux du Québec) pour leur généreux la biologie fondamentale. C’est super intéressant, toutes appui à ce projet!

Notre fantastique groupe dans son habitat naturel. Photo gracieuseté de Heather Stewart - 12 -

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Introduction au paradoxe de la boîte

Par Julien Villettaz, étudiant en aménagement et environnement forestiers Notre réalité individuelle, contrairement à la réalité ultime, a ses limites. Ces limites peuvent être modélisées comme étant les arrêtes d’une boîte autour de l’individu. Les arrêtes de la boîte sont définies par nos perceptions, autant sensorielles qu’intellectuelles. La nature même de ces limites engendre nécessairement une grande variabilité du volume, de la forme et de la substance de la boîte dépendamment de l’individu et des circonstances. La conscience même de l’existence de cette boîte en modifie considérablement ses propriétés. Ainsi est donc son paradoxe : invisible lorsqu’elle est opaque et bien définie, elle raffermit également son emprise lorsqu’on l’observe intensément.

La question se pose donc : quand construisons-nous ou défaisons-nous cette boîte? La boîte est-elle absolument présente ou complètement absente? Un coté du spectre peut aisément se confondre avec l’autre. Bien qu’il soit pratiquement impossible de dissoudre entièrement la boîte de manière pérenne, le fait d’avoir conscience de sa présence est utile pour évaluer nos biais. Certes, la boîte est également utile et essentielle à notre vie en société et à la gestion des données reçues par notre cerveau.

http://globalpropertysystems.com/packing-tips/

http://drogoteca.blogspot.ca/2014_11_01_archive.html

Un petit voyage hors des limites de nos boîtes respectives est parfois souhaitable et pour reprendre un passage incontournable d’un livre d’Aldous Huxley : « Mais l’homme qui revient après avoir franchi la Porte dans le Mur ne sera jamais tout à fait le même que l’homme qui y était entré. Il sera plus sage, mais moins prétentieusement sûr; plus heureux, mais moins satisfait de lui; plus Pour se libérer, du moins partiellement, de son in- humble en reconnaissant son ignorance, et pourtant fluence, il faut dissoudre lentement et presque incon- mieux équipé pour comprendre les rapports entre les sciemment les arrêtes invisibles mais presque palpables mots et les choses, entre le raisonnement systématique de cette boîte. Cet exercice complexe permet une meil- et le Mystère insondable dont il essaye, à jamais et en leure communication avec la réalité ultime et, par le vain, d’avoir la compréhension. » fait même, un détachement par rapport au réel humain individuel. À l’inverse, le raffermissement des limites de la boîte du perçu et du pensé augmente également son opacité. À la fin, l’intérieur de la boîte est limité à la pensée et la perception subjective de l’individu qui ne voit que la réflexion de sa psyché et de ses délires sur la surface miroir de la boîte. Le prisonnier est donc seulement et constamment soumis à sa propre version du réel, absent de toute influence nouvelle et extérieure. Un tel individu ne voit tout simplement pas la boîte car elle n’existe pas dans son univers.

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Le jour où j’ai compris pourquoi mon père écoutait la radio

Par Mathilde Routhier, diplômée en aménagement et environnement forestiers Lorsque j’étais plus jeune, mon père écoutait la radio. Ma mère écoutait la radio. Tous deux ont tenté de me faire apprécier ce médium que je trouvais absolument ennuyant. M’arrêter de jouer pour écouter, assise sur une chaise, un inconnu parler. Pourquoi écouter la radio quand on peut regarder la télé ou jouer dehors. Et pourtant… Écouter la radio, c’est se laisser porter par la voix des animateurs. L’absence de visuel permet à l’imaginaire de rester libre. Les propos deviennent suggestion et laissent cours à la réflexion. Une intimité se crée alors entre l’animateur et l’auditeur. La radio, c’est l’équivalent oratoire du livre. Qu’elle soit informative, philosophique, humoristique ou simplement divertissante, la radio a cette faculté de créer un univers propre à chaque auditeur, comme le livre à son lecteur.

Bien entendu, il y a des moments plus propices à ces écoutes. Vivement les balladodiffusions. J’adore À la semaine prochaine de Philippe Lagüe, pour faire le ménage; Plus on est de fous, plus on lit! de Marie-Louise Arsenault, en compilant des données; C’est fou… de Jean-Philippe Pleau et Serge Bouchard, étendue sur mon lit; La soirée est (encore) jeune de Jean-Philippe Wauthier, en voiture. Mais ne tentez pas À la semaine prochaine en compilant. Conseil d’amie. Ah oui, je dois avouer être vendue Radio-Canada ! Alors je vous met au défi, en cuisinant, en tricotant, en dessinant, en jardinant, en compilant, en vous reposant ou en marchant, de tendre la main à ce monde trop souvent délaissé. Et vous savez ce qu’on dit : on ne peut pas dire qu’on n’aime pas ça si on n’a pas goûté! Allez, au plaisir! Et bonne écoute!

Image libre de droit

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Lac Courge

Par Julia Leguerrier, étudiante en aménagement et environnement forestiers Le COUrant cherche le RAccourci, le cou du lac rouGE. En tête de peloton, il garde l’étendue tendue. L’eau suit l’eau, moi, j’essuie l’aube, suit l’aube suie. Matin de marque noire, des souvenirs d’édred-ondée-dredon et de mains. Et demain? Un gratteux dans une enveloppe.

Crédit photo: Mathilde Routhier

L’eau, latente entre les lattes, attend. La tente, ‘a coule, recoule. Roucoule encore, j’essaie de me rappeler. la mémoire en réception de goutte, un supplice sans garde-fou. Lui, une à une, il place les pièces, écoute le puzzle : « Arrête de te demander de pas oublier » Il me lit. Vautour de laine. Deux yeux bruns, larges à l’horizontal, étroits à la vertical, un regard de biais. la lumière s’y reflète. sur le lac. le lac-cale. clac.

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Première chronique de la Basse-Saint-Charles Par Amilie Laroche, étudiante en géographie

Dans le langage courant, le terme « paysage » a de multiples significations. En géographie, nous considérons que le paysage représente l’œuvre conjointe entre l’humain et la nature1. Selon cette définition, n’importe quel point de vue serait donc un paysage. L’observateur, se basant sur son système de valeur, son vécu et ses références esthétiques juge si un paysage est agréable ou non à ses yeux… Cette chronique est un hommage aux paysages urbains de la Basse-Ville de Québec. Je vous invite cordialement à m’accompagner comme observateurs des paysages reflétant la réalité des quartiers populaires de Saint-Roch, Limoilou et Saint-Sauveur. Les pavés sales du boulevard Charest se font piétiner par un étrange mélange de population : les cols blancs et les cols bleus qui marchent rapidement vers leur lieu d’emploi, vers le lunch ou sortant de l’autobus frôlent les sans-cols assis au sol et au soleil, tendant la main pour quêter ou rêvassant à des jours meilleurs. Les travailleurs courent après le temps, après l’argent et les autres ont tout le temps pour se ronger les sangs sous le regard malveillant du capitalisme représenté par les tours à bureau. Telle fut ma première interprétation du paysage humanisé de la basse-ville selon mon regard d’adolescente rebelle de région quand, à bord de l’autobus Intercar direction Gare du Palais, je me collais le visage sur la vitre en tentant d’embrasser du regard la totalité du paysage urbain qui m’était à l’époque étranger et qui, une quinzaine d’années plus tard deviendrait mon habitat naturel, habitat dans lequel je nagerais comme un poisson dans l’eau. Cette vision du paysage était certes teintée d’un certain

romantisme face au chaos de la ville en opposition avec la monotonie du milieu rural dans lequel j’ai grandi. Les histoires « trash » racontées par mes parents et leurs amis qui avaient habité la basse-ville dans les années 7080 avaient largement contribué à forger cette intrigue chez ma petite personne aux idées anarchistes. Mon histoire préférée, qui me titillait l’imagination alors que défilaient devant mes yeux les lumières du Wok and Roll, était celle de Mononc’ Yves qui avait été impliqué dans un combat impliquant deux gangs dans les rues du quartier Saint-Roch. Selon ses dires, les gens se battaient avec ce qu’ils avaient sous la main, notamment des bats de baseball, des barres à clou et des chaînes. Oui, un combat avec des chaînes. En vain, je cherchais du regard un reflet de chaîne dans les mains des sans-cols… Suite à des petites recherches sur l’évolution historique du quartier, j’imagine que l’histoire de Mononc’ date de l’époque de l’extrême dévitalisation du voisinage qui a suivi le crash pétrolier de 1973. De nombreux immeubles avaient été démolis pour faire place à d’ambitieux projets d’autoroute qui n’ont jamais eu lieu. Affectueusement nommé «plywood city» (voir l’image ci-dessous), l’actuel site des Jardins Saint-Roch a déjà été une piquerie à ciel ouvert. Enfin, Saint-Roch a beaucoup changé, mais la rebelle en moi conserve l’espoir d’être un jour témoin d’un combat de chaînes dans une ruelle…

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La complexité de la restauration des sites Par Pierre-Yves Tremblay, candidat à la maîtrise en sciences forestières Vers la fin de mon baccalauréat en aménagement et environnement forestiers, je ne savais pas trop dans quoi je voulais m’orienter. Quelques domaines de la foresterie m’intéressaient, mais je n’avais pas vraiment d’expérience de travail dans ceux-ci et donc il était entièrement possible que je me trompe et qu’après quelque temps je perde intérêt. Ce que je savais par contre c’est que j’aime les longs projets qui me forcent à apprendre sur le tas et à me débrouiller par moi-même (avec un minimum d’aide bien sûr, il y a une limite à être masochiste). Les études graduées me semblaient une bonne option, mais je ne voulais pas à tout prix faire une maîtrise, il fallait que le sujet m’intéresse. Un peu avant la fin de ma dernière session, j’ai appliqué sur une offre de projet de maîtrise sur la bioénergie. Je n’ai pas été sélectionné, mais on m’a offert à la place un projet sur la remise en production des sites après leur exploitation pour les sables bitumineux. Je ne connaissais rien au sujet, mais c’était exactement le genre de projet un peu hors normes que je recherchais.

que ça pour remettre en état un milieu qui a été complètement détruit. Comme je l’ai écrit plus haut, rétablir une strate arborée n’est qu’une étape parmi d’autres et il y a toute une liste d’indicateurs à considérer si on veut mener à bien un projet de restauration. Il y a donc des chercheurs de plusieurs domaines dont l’écologie, la biologie et la foresterie qui tentent de comprendre comment ces écosystèmes créés par l’homme fonctionnent et peuvent être améliorés. Par exemple, dans le partenariat de recherche dont je fais partie, des chercheurs travaillent sur l’hydrologie, les sols, la faune, la communauté microbienne du sol, la génomique forestière, la végétation sous-couvert, les mycorhizes, l’établissement et la productivité des arbres ainsi que sur le développement de nouvelles méthodes de remise en production.

Au début du projet, j’avais une vision assez simpliste de ce que j’allais faire pendant les deux prochaines années. En gros, l’objectif était de favoriser la croissance d’arbres sur un site dans le but de créer un couvert forestier. L’idée derrière tout ça, c’est que le retour d’une canopée serait une des étapes importantes menant au rétablissement des processus écologiques sur le site, le but final étant de recréer une forêt représentative des milieux naturels environnants. À première vue, ça semble assez simple, mon travail est de trouver ce qui limite la croissance du peuplier faux-tremble et de l’épinette blanche sur un site restauré et, une fois que j’ai la réponse, l’industrie pourra appliquer les résultats pour accélérer le processus. Pour un projet de maîtrise, c’est suffisant, mais avec le temps, j’ai réalisé que c’est une vision un peu nombriliste de comment remettre en état un écosystème.

Traces dans le paysage de l’exploration pétrolière (Google Maps)

En plus de la complexité inhérente aux milieux naturels, la problématique de restaurer des sites après leur exploitation est aussi plus variée qu’on le pense. En général, quand les gens pensent aux sables bitumineux, la première image qui vient en tête est celle des mines à ciel ouvert avec leurs immenses bassins de sédimentation. C’est une image qui choque, mais ça représente une part assez minime en termes de superficie comparativement à ce qui est extrait à l’aide de puits pétroCe que j’ai vite compris en m’informant sur le sujet et en liers traditionnels. L’exploration pour ces puits laisse un rencontrant plusieurs chercheurs et étudiants gradués réseau de clairières d’environ un hectare reliées par des qui travaillent sur des sujets semblables au mien c’est sentiers servant à la circulation de la machinerie, le tout que les arbres c’est bien beau, mais en tant que fores- sur un paysage fait d’un mélange de forêt et de milieux tiers, il est important de ne pas perdre de vue que ce humides. Une fois abandonnés par l’industrie, ces sites n’est pas tout ce qui compte. Ça prend beaucoup plus Vol. 6 n°4

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n’ont pas tendance à se régénérer puisque l’élimination temporaire de la végétation va souvent causer une remontée de la nappe phréatique jusqu’à la surface qui empêche le retour d’un grand nombre d’espèces qui ne peuvent survivre sur un sol saturé en eau. La province se retrouve donc avec un gros problème de fragmentation de ses forêts. La situation est aussi compliquée du côté des mines à ciel ouvert une fois qu’on considère la superficie occupée par les milieux humides après restauration comparativement à celle qu’ils occupaient avant exploitation. Le nord de l’Alberta a un relief généralement assez plat qui est propice à la formation de milieux humides. Dans la région exploitée pour les sables bitumineux, c’est environ 50% du territoire qui est occupé par des milieux humides. Pour un climat relativement sec comme celui de la province, ces milieux sont particulièrement importants comme source d’eau pour les écosystèmes environnants. Quand une compagnie ouvre une nouvelle mine à ciel ouvert, le sol retiré du puit est mis de côté pour être replacé sur un site à restaurer. Le problème est que le sol prend de l’expansion une fois excavé et occupe un plus grand volume quand il est replacé. Le résultat est qu’au lieu d’un relief relativement plat, on se retrouve avec un paysage de collines où les milieux humides occupent moins de 10% du territoire. Ça force aussi l’industrie à utiliser du matériel provenant de milieux humides pour tenter de recréer des sols pouvant accueillir des forêts. L’industrie appelle ces sols fait en grande partie de tourbe PMM (peat-mineral mix) et,

comme on peut le voir sur la photo, « mix » ne veut pas nécessairement dire que les parties organique et minérale sont mélangées. Comme de la tourbe c’est assez différent de la matière organique normalement trouvée dans une forêt, de nombreux chercheurs travaillent à trouver des moyens d’améliorer ce type de sol pour que ses caractéristiques se rapprochent de quelque chose ressemblant à un sol forestier. Je pourrais continuer encore longtemps à faire la liste de tous les aspects qui compliquent la tâche des intervenants qui travaillent dans le domaine, mais ça donnerait l’impression que le problème est impossible à résoudre. Moi, je crois plutôt qu’il y a moyen de faire quelque chose pour atténuer les dommages et placer ces milieux sur une trajectoire qui leur permettra d’évoluer vers quelque chose de semblable aux milieux naturels environnants.

Bloc de tourbe, deux ans après remise en production d’un site (photo : Pierre-Yves Tremblay)

Ce que nous sommes

Par Anne Voyer, étudiante en aménagement et environnement forestiers Pour cette fois-ci, la poésie que je vous partagerai ne sera pas la mienne. Par manque de temps, ou par son mauvais emploi. Par faute d’inspiration? Dans un si beau pays, non! La date de tombée me force à me rendre à l’évidence : au cours du dernier mois, je n’ai pas respecté les silences et les pauses de la partition sur laquelle se joue habituellement ma vie. N’empêche, j’ai bien quelque chose à vous mettre sous la dent. Mon histoire prend place dans la chambre d’une roulotte de camp forestier. Pour

ceux que ça intéresse, le camp en question se trouve au kilomètre 54 dans le parc de Chibougamau. Dans la chambre, il y a moi. Enfin, une version plus jeune, qui vient de passer sa journée à planter du pin gris. On est en 2014, et quand on roule sur les chemins de terre je n’arrive pas à dire si les arbres qu’on dépasse sont des sapins ou des épinettes. Disons simplement que l’étendue de mes connaissances botaniques est, alors, assez limitée. Pourtant, ces arbres me bouleversent. Ils me bouleversent lorsque, par un petit matin où la rosée s’étend du sol jusqu’au ciel, leurs formes, que l’on distingue à peine, semblent avoir été dessinées à l’encre de chine. Et ils me bouleversent encore lorsque, dans un peuplement

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où tous devraient avoir été ravagés par le feu, quelques rescapés se dressent encore, faiblards, mais courageux. Si on en revient à nos moutons, je suis donc étendue sur mon lit, après une journée où le dur labeur se mêle aux moments de contemplation et d’ivresse, et je lis une revue sans trop d’intérêt. Pour être honnête, je feuillette plus que je ne lis, à la recherche d’un article qui m’intéresserait vraiment. Puis, au tournant d’une page, mon regard se pose sur un court texte qui prend la forme d’un poème. Intriguée, je m’y penche. J’en reste secouée. Ces mots, ce sont ceux que je cherche depuis le début de l’été pour décrire le sentiment qui m’habite dans ces grandes étendues de forêts. Et, encore aujourd’hui, ce texte me touche, puisqu’il décrit parfaitement les éléments qui tissent mon lien d’appartenance au territoire québécois. Bonne lecture! “Nous sommes le Nord éblouissant toundra intacte, lichen tremblant, vent revêche loup, perdrix, caribou, bernache et saumon nous sommes la lumière inouïe de l’aurore boréale et nous sommes le ciel qui change nous sommes le temps sauvage inattaqué nous sommes l’épinette rétive et nous sommes la dent

du coyote nous sommes la terre gelée jalouse nous sommes la rivière jamais encore harnachée par le barrage nous sommes le soleil blanc de la fin du jour nous sommes janvier tout-puissant novembre infini et juillet inespéré nous sommes la sagesse déroutante de la meute le ravage où le cerf baigne enfin sa faim nous sommes l’eau glacée l’air virginal qui poudroie sous les ailes du canard et le silence bleu de la neige qui attend la fin de la nuit pour briller sans public souveraine insoumise éternelle. Nous sommes tout ce qui nage et qui dévale l’étendue déserte. Nous sommes tout ce qui vole au-dessus de l’immensité pour arriver à passer l’hiver et revenir se parler d’infini” Extrait d’un texte de Véronique Côté, paru dans une édition de la revue Nouveau projet en 2014

Photo par Carol Tremblay, 2014 Vol. 6 n°4

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LE CARM 2017 : Un voyage instructif sur les pratiques forestières de l’État de Washington Par Alice Semnoun, étudiante en environnements naturels et aménagés et membre de l’IFSA Québec, le 15 Mars 2017 « En raison des conditions météorologiques difficiles, l’Université Laval suspend toutes les activités prévues ce mercredi 15 mars en avant-midi ». Je profite donc de cette tempête hivernale pour vous raconter, non sans une pointe de nostalgie, mon voyage à Seattle avec l’IFSA.

castors et les myrtilliers) et aux saisons (climat très pluvieux en hiver). Nous avons aussi pu découvrir la WU Farm, une ferme étudiante, basée sur une agriculture urbaine durable qui offre une production de légumes tout au long de l’année.

Dimanche, changement de décor ! Nous voilà tous embarqués dans les trucks pour une expédition de trois jours dans les forêts de l’État de Washington. Au proQu’est-ce que l’IFSA me direz-vous ? L’International Fo- gramme : Pack Forest et Olympic Natural Resources restery Student’s Association est une association inter- Center. nationale regroupant des étudiants des quatre coins du globe qui étudient en foresterie (ou tout autre domaine Pack Forest est un centre universitaire de foresterie durelié à l’environnement et aux forêts). Après seulement rable, une forêt universitaire, au même titre que la forêt quelques semaines d’implication dans l’association, on Montmorency. Greg Ettl, le directeur, nous a montré m’explique que le Canadian American Regional Mee- son travail sur plusieurs parcelles à différents stades de ting (CARM), un évènement annuel rassemblant des régénération et les enjeux spécifiques à chaque parcelle forestiers de diverses universités nord-américaines se (lutte contre les changements climatiques, nuisance déroulera du 18 au 26 février à la University of Wash- d’ours, conservation). Cette journée en forêt a été parington (UW). Sans trop savoir dans quoi je me lance, ticulièrement enrichissante car nous avons pu constater je décide donc de m’envoler pour Seattle en me disant que les pratiques forestières de l’ouest américain sont avec candeur que je pourrais réviser sur place mes exa- très différentes de celles du Québec et du Canada. mens… Tout d’abord, la foresterie de Washington State est 15h d’avion, deux cafés, quatre films et un sac de peanuts beaucoup plus jeune que celle pratiquée au Canada. plus tard, j’atterris à Seattle, température au sol : 12°C. En effet, elle a débuté seulement au début des années Je rejoins sans plus tarder mes compatriotes représen- 1900. De plus, il faut savoir que la période de révolution tants de l’Université Laval: Renée Ferland-Bilodeau, est d’environ 50 ans dans cette région. Ceci est dû en Corryne Vincent et Félix Poulin, puis direction l’uni- grande partie au climat tempéré et à la forte pluviosité. versité pour un tree tour sur le campus. Au détour d’un Mais ces conditions météorologiques favorisent aussi séquoia géant et du fameux monkey puzzle tree, nous une très forte compétition en matière de régénération. découvrons nos hôtes hauts en couleurs, les étudiants Contrairement au Québec, les forestiers n’utilisent pas de la University of Washington’s School of Environ- la régénération naturelle et replantent automatiquemental and Forest Sciences, et discutons avec les autres ment l’ensemble de la parcelle. Par ailleurs, leur législaforestiers des quatre coins des deux pays (Connecticut, tion autorise l’utilisation d’herbicides et, même si ceuxMichigan, Oregon, Prince George, Vancouver etc.). ci ne sont systématiquement pas utilisés, ils demeurent une pratique très courante. Le jour suivant, nous avons eu l’occasion de découvrir les projets concrets des étudiants de WU. Nous avons En tant qu’européenne vivant au Québec, j’ai aussi noté visité sur le campus la Union Bay Natural Area, un an- une différence significative quant à l’acceptabilité sociale cien dépotoir restauré par les étudiants sous la supervi- de la foresterie en Amérique. Je discutais avec Greg Ettl, sion du professeur Kern Ewing et en collaboration avec et celui-ci m’a affirmé sans détour, alors que je l’interroles citoyens du quartier. Celui-ci nous a notamment ex- geais sur la perception des gens face aux coupes à blanc posé les enjeux reliés aux nuisibles (principalement les fréquentes sur le territoire et les sentiers de marche, - 20 -

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que les citoyens n’avaient aucune revendication quant à cette situation. Il semble donc que l’approche culturelle et identitaire des citoyens de l’état de Washington par rapport à la forêt soit très différente de celle des québécois. Après cette visite très instructive dans la forêt d’étude de Washington University, nous avons découvert une approche intégrée de la foresterie et de la biodiversité maritime dans l’Olympic Natural Ressources Center à Forks, autre forêt d’étude de l’université. On a entre autres eu la chance d’observer une biodiversité et des écosystèmes marins uniques aux abords de l’océan Pacifique. Nous avons aussi parcouru les différents peuplements forestiers notamment composés de cèdre rouge. Nous avons observé des coupes totales à rétention variable. Là encore, la compétition empêche la régénération naturelle et les forestiers pratiquent la régénération

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artificielle. Les modes de gestion et l’interdisciplinarité présente dans cette forêt et expliqués par notre guide, Bernard Bormann (le directeur du centre) étaient très intéressants. Toutes ces expériences ne sont qu’un bref aperçu du séjour et je pourrais encore vous décrire bien d’autres activités mais l’université rouvre ses portes dans quelques minutes… Au terme de cette semaine de CARM, je retiens une chose essentielle : je pensais partir pour une semaine de voyage, de plein air et de fun (avec un peu de bière avouons-le). J’ai finalement appris bien plus sur la réalité forestière nord-américaine en une semaine qu’en un semestre d’université. Il est intéressant de réaliser qu’un concept qui nous semblait évident et allant de soi, peut être finalement un simple résultat de notre culture et être appliqué de façon très différente dans un autre pays. Pour moi, l’IFSA c’est ça : une ouverture sur d’autres façons de penser la foresterie.

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Un hiver en Bavière

Par Alexandre Veilleux, étudiant en opérations forestières J’effectuais un stage à la Bayerische Staatforsten (BSF) en Allemagne. Cette entreprise gouvernementale est établie en Bavière qui est l’un des 16 états de l’Allemagne. Elle détient 30% du territoire forestier (50% du territoire forestier appartient à l’église et à des propriétaires privés, et les 20% restants sont des forêts de communauté appartenant à des villes et villages). En ce qui concerne les propriétaires privés, ils sont approximativement 1 million et possèdent en moyenne 0,5 ha de terrain forestier chacun. La Bayerische Staatforsten s’occupe de la matière ligneuse se trouvant sur leur territoire, c’est-à-dire de l’aménagement, des opérations forestières et de la vente de bois. Donc, j’ai travaillé dans la division de Keilhem, qui est l’une des 40 divisions de l’entreprise. Le département s’occupe de 18 000 ha, dont 17 317 ha de forêt. À cet endroit, la température moyenne est de 7,5 à 8 degrés et la moyenne de précipitation est de 650 – 800 mm par année. La croissance annuelle des arbres est de 10,5 m3/ ha/année. La composition des essences commerciales se répartit ainsi : 44% Picea abies, 6% Pinus sylvestris, 3% Larix decidua, 2 % Abies alba, 1% Psudotsuga menzienni et 28% Fagus sylvatica, Quercus petria et Quercus robur. La foresterie allemande est très différente de la foresterie québécoise. Elle se différencie par un aménagement intensif du territoire et une optimisation de la ressource en tout son sens. Voici quelques exemples d’aménagement intensif: • Installation de dispositifs de protection contre le broutage et les dommages par le frottage des cochons sauvages (Sus scrofa) sur les semis. • Contrôle annuel des chablis et des dommages par les insectes (Ips typographus et Pityogenes chalcographus). Pour ce faire, ils ratissent la forêt et ordonnent la coupe immédiate des arbres infestés (entre autres Picea abies) par les insectes mentionnés ci-haut. • Éclaircis (précommerciale et commerciale) quand le forestier juge nécessaire. • Reboisement des zones qui n’ont aucune régénéra-

tion, sur des aires aussi petites que 20 m par 20 m. • Élagage lorsque l’arbre a 1/3 du diamètre cible, et ce, seulement pour le Pseudotsuga Menziesii, Prunus Avium et Larix Decidua. La philosophie de l’entreprise est d’avoir un couvert forestier continu, donc aucune coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS) n’est permise, sauf lors de chablis ou d’attaque par les insectes (Ips typographus et Pityogenes chalcographus). Les billes sont récoltées lorsqu’elles atteignent le diamètre cible. Le moins de reboisement possible est fait, car il vaut mieux miser sur la régénération naturelle. En ce qui a trait à l’optimisation de la ressource, le mode de fonctionnement est très intéressant. Par exemple, BSF vend des déchets de coupes aux habitants des alentours : les résidents se rendent en forêt et récoltent les déchets de coupe (entre les sentiers de débardage). Ils doivent payer en fonction du volume qu’ils récoltent (Fagus sylvatica 17 €/m3, Picea abies 13 €/m3). Dans les jeunes peuplements, lors d’éclaircie non commerciale, c’est le même principe qui est appliqué : les arbres sont martelés par le forestier de la région et la coupe est effectuée par des particuliers qui ont besoin de bois de chauffage. C’est très astucieux, car l’entreprise reçoit de l’argent en plus d’obtenir un service (ils n’ont pas besoin d’aller récolter les tiges). Ce concept s’applique bien puisque la densité de population est élevée en Allemagne. De plus, BSF attribue des territoires forestiers à beaucoup de chasseurs. Ceux-ci doivent payer 650€ chaque année pour avoir le droit de chasser. C’est une activité profitable parce que les bêtes abattues appartiennent à la compagnie d’état qui les revend par après. Les chasseurs ont des réductions sur leur permis de chasse de l’année (jusqu’à 70%) s’ils atteignent ou dépassent la moyenne de leur secteur (par exemple, abattre 12 chevreuils (Capreolus capreolus) par 100ha). Le broutage est pris très au sérieux. Si un chasseur n’abat pas assez de bêtes, il peut se voir perdre son privilège. Généralement, le forestier responsable du secteur vient aider le chasseur qui n’atteint pas ses objectifs ou il organise une chasse commune sur le territoire du chasseur. Avant l’année 2000, la chasse était dans la liste de tâches des responsables des secteurs forestiers.

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Attention particulière à une machine nommée LE RAPTOR par son propriétaire! Cette machine a une tête d’abattage qui combine la technologie d’une abatteuse groupeuse et d’une abatteuse multifonctionnelle. Pesant plus de 70 tonnes, chenille de 7m de long et une distance de 3m entre celle-ci. Elles peuvent s’élargir jusqu’à 70cm de chaque côté. Cette machine déambule avec une flèche de 17 mètres qui peut supporter 3,5 tonnes à distance maximale. Cette machine amasse 900-1000 m3 de bois par semaine.

peut traiter l’arbre dans le sentier de débardage. Cette machine ne fait pas l’unanimité à cause de sa taille, de sa largeur et des normes des différentes certifications. Effectivement, la norme PFC n’accorde pas beaucoup d’importance aux branches déposées dans le sentier de débardage tandis que pour la norme FSC, cela importe davantage, car elle préfère que les branches restent dans la forêt.

Merci de votre lecture! alexandre.veilleux.2@ulaval.ca

Le propriétaire charge un prix fixe de 16,50€/m3 et un minimum de 2000 m3 pour la déplacer. La cabine de l’opérateur est escamotable comme une chargeuse de bois. Le RAPTOR coupe, soulève l’arbre et le traite dans le sens du sentier de débardage. Un débardeur semiporteur (Clam Bunk skidder) qui peut se transformer en débardeur l’accompagne. Pour les tiges en longueur, le propriétaire opte pour le mode bois long. En 10 minutes, il peut enfiler un panier qui a une capacité de 15m3 qui lui permet de ramasser le bois court. L’avantage majeur de cette machine est la protection de la régénération et des tiges résiduelles, puisque l’opérateur Vol. 6 n°4

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Galerie d’art Nids de poule

Par Amilie Laroche, étudiante en géographie

Un article sans titre

Par Mathieu Gagnon, étudiant en aménagement et environnement forestiers La vérité c’est que j’avais envie de dessiner quelque chose. Le résultat, un truc dont je ne saurai donner de titre. Donnez-lui donc le titre que vous voulez. Ce que je recherche, c’est la fascination, l’intriguant, l’inconfortable, la réflexion.

« We are living in a culture entirely hypnotized by the illusion of time, in which the so-called present moment is felt as nothing but an infinitesimal hairline between an all-powerfully causative past and an absorbingly important future. We have no present. Our consciousness is almost completely preoccupied with memory and J’avais comme inspiration, il me semble, une citation expectation. We do not realize that there never was, d’Alan Watts, philosophe anglais. Pour ceux qui ont de is, nor will be any other experience than present expela difficulté avec cette langue, vous m’excuserai. Mais rience. We are therefore out of touch with reality. We ici, lire la traduction serait, à mon avis, l’équivalent de confuse the world as talked about, described, and meaprendre une douche en portant un imperméable. sured with the world, which actually is. We are sick with a fascination for the useful tools of names and numbers, of symbols, signs, conceptions and ideas. » - Alan Watts

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Abhinivesha

Par Camille Proulx, diplomée en aménagement et environnement forestiers Parlons tabou – petit texte de réflexion Parlons tabou, car en effet ce n’est pas très coutumier chez nous de parler de (ou plutôt d’accepter) la fin des choses. Pourtant, la vie n’est-elle pas une suite fractale et incessante de cycles ayant chacun un début, une apogée, une fin et puis une renaissance? Observez et vous serez peut-être de cet avis en constatant que tout, du plus simple au plus complexe, tout débute, vit, meurt, puis laisse place à autre chose. Il en va ainsi pour votre respiration, votre journée et même votre baccalauréat. Pourtant, chez nous, il semble que l’on ait peur de la mort. Ça y est, j’ai écrit le mot. Nous avons peur de la mort, ou nous sommes attachés à l’existence, si vous préférez une formule plus positive. C’est ce qui se cache en fait derrière toutes les autres peurs, subtilement... Un instinct de conservation qui nous freine ou qui nous précipite. Qui nous freine, car cette peur paralyse parfois (paradoxalement) notre existence, nous insécurise. Pour illustrer simplement cette idée, pensons à un objet matériel que l’on a peur d’utiliser par crainte de l’user. Qui nous précipite, car cette pulsion pour la vie nous pousse à penser égocentriquement lorsque l’on se sent menacé. Peur de manquer qui conduit à ne pas vouloir partager. Le fait de savoir intellectuellement que tout ce qui débute passe nécessairement par une mort ne nous protège pas de ressentir la peur face à cette réalité, car la peur de la mort est enracinée en nous. Dans le même ordre d’idées, faire de ce sujet un tabou n’empêche pas la mort d’être, d’exister. Je n’ai d’autre conclusion que de noter que cette réflexion prend fin, qui sait, pour laisser place à la vôtre.

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Photo prise par Martine Lapointe

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Bibliographie L’Arctique : le nouveau « Nouveau Monde »? • ARNOLDI, Dominique. 2015. Mais à qui appartient l’Arctique ?. Radio-Canada. [En ligne] http://ici.radiocanada.ca/nouvelle/702891/territoire-arctique-ocean-danemark-canada (Consulté le 18 mars 2017). • DE POOTER, Helene. 2009. L'Emprise des États côtiers sur l'Arctique. Éditions Pedone, Institut du droit économique de la Mer. 200 pages. • LARIVIÈRE, Virginie. 2011. La vulnérabilité et l'adaptation aux changements climatiques. Université du Québec à Montréal, Mémoire de maîtrise. 136 pages. Première chronique de la Basse-Saint-Charles • LEMOINE, Réjean. 2007. Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française. « Quartier Saint- Roch, la renaissance du cœur urbain de Québec ». [En ligne] http://www.ameriquefrancaise.org/fr/ article-547/Quartier_Saint-Roch,_la_renaissance_du_coeur_urbain_de_Qu%C3%A9bec.html#.WNBjs00zW70 • SAUER, C. 1925. The Morphology of Landscape, University of California Publications in Geography, 22:19- 53. L’économie perma-circulaire : un nouveau paradigme salvateur? • MOLGA, P. (Les Échos). 2016. Dominique Bourg : « Une économie sera d’autant plus authentiquement circulaire que la croissance y sera faible ». [En ligne] http://www.lesechos.fr/thema/0211505047387-dominique-bourg-une-economie-sera-dautant-plus-authentiquement-circulaire-que-la-croissance-y-serafaible-2044016.php (Consulté le 19 mars 2017). • LEFÈVRE, T. 2015. Les limites planétaires actualisées. [En ligne] http://planeteviable.org/limites-planetairesactualisees/ (Consulté le 19 mars 2017). Le choix de la fenêtre • JESENSKA, Milena. 1986. Vivre. Paris : Lieu Commun. • BACHELARD, Gaston. 2012. La poétique de l’espace. PUF.

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Cherchez les sept erreurs! Nous vous l’annonçons officiellement, c’est l’IDUL de Sylvain Jutras qui a été couronné lors d’un précédent concours organisé par votre journal facultaire. Pour lui rendre hommage, nous lui dédions cette page de jeu. Nous y avons également illustré une vedette respectée au sein de la faculté: monsieur LUBOU. Amusez-vous!

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