ABRAXAS – PERMIS DE TROUER J’ai récidivé. Ca devait faire dix ans la dernière fois où j’avais tenté le coup. Aujourd’hui, c’est fait. Je me suis fait percer les oreilles.
Pardonnez-moi ce suspens à deux francs cinquante. C’est que, intérieurement, dans ma petite tête, c’était à peu près la même chose : une énorme dose de couardise pour que dalle. Retenter de me faire percer les lobes après la première tentative, quand j’étais gosse, c’était comme être au bord d’un ravin et essayer de me décider à sauter. Que je vous raconte. La première fois, je devais être en primaire, c’était chez un bijoutier (Ô, grossière erreur!), au pistolet (Ô désespoir…). J’avais donc détruit mes oreilles pour deux trous qui se sont infectés au bout de quelques jours. Une fois rebouchés, on pouvait sentir dans mon lobe la chair qui avait
littéralement explosée, et, au milieu, un vide, comme une absence de matière dans la peau. Pas très ragoutant, quoi que très drôle à tripoter, mais franchement traumatisant. Dix ans plus tard, je me dis que ça serait quand même chouette d’avoir des boucles d’oreilles. J’ai vingt ans, merde, je suis en pleine crise de féminité. Comme toute personne censée, j’avais quelques critères importants : je voulais un perçage à l’aiguille, dans un endroit impeccable, qu’importe le prix. J’y ai réfléchi intensément tout un mois, j’ai fait du repérage pendant deux bonnes semaines, et quand je me suis décidée, ça n’a pris que dix minutes.
Je suis allée chez Abraxas. « Ca fait mal, mais c’est bien fait » qu’ils disent sur leur site. Chouette ! Non pas que je sois ravie à l’idée de souffrir, je flippais déjà bien assez comme ça, mais ils sont honnêtes, et chez moi ça fait gagner des points. Ils ont deux boutiques sur Paris, et une à Neuilly, que dans des quartiers chicos -à côté des Tuileries et près de Beaubourg. J’opte pour celle de la rue du Marché Saint-Honoré. Sur les photos, ça a l’air drôlement propre. Un bon point. J’avais déjà passé des heures à Châtelet, quartier que je connais bien et qui me semblait le plus adéquat pour une telle entreprise, à flipper chez tous les perceurs où je suis allée me renseigner. Pas que je doute de la qualité du taff des professionnels qui vivent comme des vampires au fond de leurs caves grunges, les murs tapissés d’exemples d’évadés de prison venus se laminer la chair à coups de tragus, d’indus’, de septums, de dermals (dermaux ?), mais mon esprit rock s’arrête où commence ma peur de me faire bouffer par les punks qui fument leurs pétards face aux devantures de ces charmants bouis-bouis. Niveau prix, c’est franchement pas excessif. Lorsque je me renseigne par téléphone, pour les deux lobes, on me demande 56 euros. Impec’. On me dit de me pointer sans rendez-vous, soit vers 10h, soit vers 19h, pour être sûre qu’il n’y aura pas d’attente. J’y vais le jour même, à 18h (mettons ça sur mon esprit de contradiction, et un peu sur le jap à volonté entre potes à 19h). Personne, quel bol.
L’endroit est plutôt cool. C’est très blanc, lumineux, propre, façon hôpital, le hard rock à fond les ballons en plus. Le plus drôle était de constater qu’on n’entendait pas la musique de l’extérieur ; c’est en ouvrant la porte que les basses t’explosent à la tronche. Il y a des vitrines un peu partout, sur les murs, à hauteur de regard, de plafond, le long de l’escalier, même au sol. Ca brille de tous les côtés -le paradis pour une nana normalement constituée. L’accueil est assuré par une passoire Afrofrancophone à motifs tribaux, franchement adorable (mais je devais être trop surprise par l’allure de ce bon monsieur, et trop flippée par l’acte que j’allais commettre pour m’en rendre compte sur le moment). J’attrape les documents qu’il me tend avec des mains complètement moites et je les remplit si machinalement que je ne me souviens même plus de quoi il s’agit. Une sorte d’autorisation pour me trouer le corps. Seigneur. Je grimpe à l’étage, dont le couloir sert de salle d’attente. Un écran devant moi fait défiler des photos de masochistes venus d’imprégner la peau d’encres de multiples couleurs formants des carpes, des crânes, des cœurs. Yeuk.
Arrive mon perceur. C’est un jeune homme à la mi-vingtaine semble-t-il, lui-même percé et tatoué. Il ne me demande pas mon nom, il ne me donne pas le sien. Il est là pour transpercer mes lobes après tout, pas pour qu’on soit copains. Il m’emmène dans une petite salle où je pose mes affaires à l’arrache, par terre, avant de m’asseoir sur la table matelassée. Tout va très vite -la preuve étant que, dix minutes plus tard, j’étais dehors avec deux bijoux au travers de mes oreilles.
Je dois avouer qu’il n’y a rien à redire (même pour une chipoteuse telle que moi). Le garçon est sympa, il fait son job avec sérieux. Il nettoie tout vingt fois, il explique tout ce qu’il fait et donne toutes les astuces pour entretenir le piercing avec un débit aux alentours du 42 syllabes/seconde. Efficace. A son « top », le trou est déjà fait. Même pas mal. Merde, à quel point je me suis sentie conne d’avoir eu aussi peur pour si peu. Vraiment, on ne sent rien. Ça pince, ça traverse, c’est fini. Boum.
Pour le moment, RAS. Ok, ça ne fait que trois jours, mais je suis une stressée de la vie. Les trous sont parfaits et les bijoux imposés ne sont pas vilains. Le rituel de nettoyage est une plaie, surtout qu’il y en a pour deux mois avant que ça ne cicatrise (me connaissant, ça en prendra six). Le must : j’ai rendez-vous là-bas dans un mois pour une première visite de contrôle, et une autre fois dans deux mois. De quoi être rassurée et en confiance. Autant dire que je recommande vivement cet endroit. Pour vous renseigner,cliquez ici pour aller sur leur site internet.
ABRAXAS Saint-Honoré 5, rue du marché Saint-Honoré 75001 Paris 01 40 15 62 20 Lundi-Samedi : 10h-20h