Dégustations

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A VOUS QUI AIMEZ LES DÉGUSTATIONS DES SUPERMARCHÉS Ce week-end, la personne derrière le comptoir, c’était moi. J’ai proposé différents fromages pendant deux jours dans le Carrefour du coin. Et ce que cette expérience m’a appris n’a rien de ragoûtant. (Coucou, qui c’est sur la photo? Admirez la sexitude de cette doudoune.)

Avant, j’étais comme vous. Je me jetais sur tous les stands de dégustations que je croisais quand je faisais mes courses. Plus par gourmandise que par envie de découvrir le produit en question, je l’avoue. C’était avant. Avant ce week-end de janvier qui deviendra un sacré souvenir, autant pour avoir côtoyé une multitude d’incompétents que pour l’absence totale d’hygiène que j’ai moimême été obligée de cautionner. J’en profite pour m’excuser auprès de tous ceux qui ont goûté ces foutus fromages : si vous êtes malades ce soir, ne cherchez pas plus loin, c’est de ma faute.

Déjà, devoir découper et servir du fromage au milieu d’un centre commercial, je trouve ça plutôt moyen. La tablette du stand sort tout juste de la réserve, elle n’a pas été lavée avant l’emploi. Faute de matos pour la nettoyer, elle ne l’a pas été non plus pendant l’animation. De plus, vu que j’étais la seule du magasin à être au courant que cette putain d’animation devait avoir lieu et


donc que rien n’était préparé correctement, on m’a fourni un couteau provenant d’un rayon. Un modèle bien dangereux comme il faut, avec de belles dents, que n’importe quel taré prit d’une crise de folie pouvait retourner contre moi –un écolo défenseur des droits bovins sans doute. Même refrain. Même couteau pour cinq fromages différents. Même couteau pendant deux jours. Sans passer par la case lavage, jamais. Pour l’anecdote : en arrivant le matin de mon deuxième jour, le fromage collé à la lame formait une belle et épaisse couche durcie et jaunâtre que j’ai eu la joie de gratter avec les ongles. Une colonie de vacances pour microbes.

Les fromages provenaient aussi des rayons. Je les ai choppés au pif, parce que j’y connais que dalle en fromage (mais je suis très bien payée pour vous le faire croire). Faute d’endroit où les garder au frais, chaque jour, ils sont restés neuf heures d’affilées sur le stand. Ils ont eu tout le temps de devenir mous, encore plus mous, coulants, dégoulinants, puants, et légèrement jaunes. Une fois coupés avec mon ignoble couteau, les petits morceaux posés sur des assiettes en plastique attendaient d’être mangés. Ils attendaient longtemps. Plusieurs heures. Des heures passées à l’air libre, dans l’allée principale où je me trouvais, près des milliers de consommateurs qui passaient avec leurs chariots, enrhumés pour la plupart, sans oublier leurs bébés, assis dans le caddie, les pieds pendant dans le vide, leurs chaussures crottées frôlant le stand. Et quand enfin quelqu’un venait pour goûter, il fallait y aller de ses doigts, parce que non, personne n’a pensé que des curedents seraient une bonne idée pour attraper ces petits bouts. Pas mal de gens sont venus goûter. C’est pas mauvais le fromage, après tout. Surtout lorsque des dizaines de personnes ont posées leurs mains sur votre morceau avant vous ; des vieux un peu douteux, des jeunes revenant de pause clope, des enfants au nez plein de morve. On partage nos microbes, nous, on est comme ça, très généreux de nous-mêmes.

Je déblatère, mais vous vous dites que j’aurais sans doute pu agir. Emmener le couteau chez moi pour le laver, chiper des cure-dents dans le magasin. C’est trop facile de se plaindre sans rien faire. Mais, à votre avis, si je sors le couteau du Carrefour, qui doit le payer pour pouvoir le laver chez soi ? Si on me surprend avec des pics chourés dans un rayon, sur la paye de qui cela sera déduit ? Ca fait cher la BA. J’ai eu la présence d’esprit d’aller quémander une paire de gants à la cafétéria d’à côté, au moins ça, histoire de ne pas ajouter le goût de mes peaux mortes à la croûte des fromages. Mais pas sûr que ça ait été d’une grande utilité au final.

Au fait, ais-je précisé que suis intolérante au lactose ?


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