Dossier : l'effet de la TV sur l’abstentionnisme

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L'effet de la télévision sur l'abstention A l’occasion des élections européennes de 2014, de nombreux sondages fournissent à la presse l’occasion de mettre en avant une abstention record, prévue à plus de 60%. Le rôle des médias, notamment la télévision, est mise en cause dans ce chiffre. Existe-t-il un lien entre télévision et abstention ?

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epuis 1979, date de la première élection des députés européens, l’abstention n’a cessé d’augmenter. Plus qu’un désamour du droit de vote, on constate avant tout une réelle ignorance des enjeux du scrutin. Là interviennent les médias, et plus particulièrement la télévision, dont le rôle informatif n’a pas toujours été très efficient. Média favori des français, la télévision se révèle être le moyen le plus efficace de faire campagne dès le commencement de son implantation massive dans les foyers de l’hexagone à partir de 1937. En effet,

si on compare le rapport entre le fait d'avoir la TV ou non et les moyens d'information utilisés pour la campagne électorale, on voit que la TV est le moyen essentiel pour ceux qui ont un poste chez eux. Vient ensuite la radio. Pourtant, dès 1964, l’augmentation soudaine du chiffre de l’abstention amène les chercheurs à se

pencher sur ce phénomène, et tendent à prouver un lien entre télévision et abstention. Directeur de recherche émérite du CNRS, Guy Michelat a pris pour objet d’études le référendum français sur l'élection au suffrage universel du président de la République, proposé par Charles de Gaulle

en 1962. Le taux d’abstention est alors de 23%.

Guy Michelat affirme dans ses notes de recherche que « la télévision a un effet particulier sur les téléspectateurs, plus que la radio par exemple». Il réalise un son-


DOSSIER dage permettant de tester l'hypothèse d'un rapport entre télévision et le comportement électoral de manière individuelle, notamment en croisant les questions « Avez-vous la télévision chez vous ? » et «Comment avez-vous voté lors du dernier référendum?». Le pourcentage de personnes ayant voté « Oui » est plus important chez les personnes ayant la télévision tandis que le pourcentage de votes « Non » ne change pas. Il constate sutout que les abstentionnistes sont moins nombreux chez ceux qui ont un poste de télévision. Guy Michelat en vient à la conclusion que les abstentionnistes déclarés s'informent moins que ceux qui votent. Il y a deux fois plus de participation aux élections chez ceux qui

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ont vu les discours des représentants de chaque parti dans des émissions télévisées que chez ceux qui ne les ont ni vu ni entendus. Cette influence de la télévision sur le comportement aux élections s'exercerait vraisemblablement surtout comme renforcement d'attitudes préexistantes et jouerait surtout sur les électeurs hésitants. Paul Howe, professeur adjoint en sciences politiques s’est penché sur l’effet de la télévision sur

l’abstention en 2003 dans la revue « Perspectives électorales ».

Comme Guy Michelat, son postulat est que l’abstention provient du manque de culture politique auquel doit remédier la télévision. Il pointe du doigt le fait que les journaux proposent une information politique de meilleure qualité que celle des autres médias, mais les jeunes générations sont moins portées à les acheter. La télévision apparaît comme le moyen de prédilection des citoyens pour acquérir de l'information politique. Ses recherches démontrent que l’effet on remarque que l’effet de la télévision est remarquable dans le cas des personnes ayant moins de 30 ans : une large différence en connaissances politiques distingue la catégorie qui l'écoutait peu de celle qui l'écoutait beaucoup. L'effet de la télévision est aussi considérable pour la catégorie 30 à 39 ans, mais diminue considérablement pour les groupes plus âgés.

Les suggestions de Paul Howe visent à rehausser le niveau de connaissances en politique des jeunes afin d’enrayer le phénomène d’augmentation de l’abstention. « Une stratégie générale visant à rehausser le niveau de connaissances en politique chez les jeunes devrait donc viser à modifier les habitudes d'écoute des jeunes de manière à ce qu'ils accordent plus d'attention à la politique » déclare-t-il. «L'école est sans doute le meilleur point de départ. On pourrait inclure au programme d'éducation civique l'écoute d'émissions axées sur la politique. Tout comme les élèves doivent parfois lire le journal tous les jours pour ce cours, ils pourraient aussi devoir suivre les actualités à la télévision tous les soirs, ce qui risquerait d'ailleurs d'être plus productif. Les actualités pourraient aussi être écoutées en classe et servir de base de discussions et de débats. » Pour l’auteur Thierry Crouzet, si la télévision ne favorise le savoir politique, le traitement de la


DOSSIER politique par la télévision pousse à l’abstentionnisme. « La télévision a transformé la politique en spectacle, un spectacle réservé à une élite, un spectacle auquel nous participons de moins en moins. » affirme-t-il. «Cette distanciation est de plus en plus grande, ce qui nous a conduits à nous engager de moins en moins ».

Le fait est aujourd’hui indéniable, les médias jouent un rôle décisif lors les élections, notamment dans la mobilisation et la participation électorale. Plusieurs clés de lecture permettent de comprendre le traitement médiatique des élections européennes : la visibilité de l’actualité européenne est relativement faible et la tonalité de la couverture médiatique est majoritairement critique. Dans l’ensemble, la visibilité médiatique des sujets touchant à l’Europe a progressé par rapport aux élections précé-

dentes. Mais les écarts de visibilité entre les pays se sont creusés. La visibilité est plus élevée dans les pays où les élites politiques sont controversées sur les aspects de l’intégration européenne et où la polémique est plus marquée. Par exemple, dans les trois semaines précédant les élections européennes de 2009, à peu près 16 % des reportages télévisés ont été spécifiquement consacrés à l’Union ou aux élections européennes. Ces reportages ont adopté un ton plus critique à l’égard de l’Eu-

rope, avec une part plus importante de sujets polémiques par rapport aux élections précédentes. Pour booster l’audience ? Pour faire le buzz ? Non, pour mobiliser. Claes H. de Vreese, professeur de communication et journalisme politique à l'université

d'Amsterdam, explique : «Le choix d’un traitement de l’actualité sous forme de conflits, les focus sur les désaccords explosifs ou les divergences d’opinion entre politiques, est le plus susceptible de rassembler, en montrant à l’électorat qu’il existe un enjeu et que les choix opérés sont importants ». La compétition entre candidats à la présidence de la Commission Européenne est théoriquement propice au débat médiatisé entre acteurs politiques. Cette nouvelle composante de la cam-

pagne introduite par le traité de Lisbonne, impliquant que le choix du prochain président de la Commission devrait refléter le résultat des élections européennes, suscitera un intérêt en soi pour les médias. Pour Claes H. de Vreese, « la contestation émanant des élites poli-

tiques multiplie la couverture médiatique. Elle est susceptible d’amplifier la quantité d’actualités présentées sous forme de conflits, dont les effets positifs sur la participation électorale ont été démontrés ». Evidemment, la véritable incidence de cette nouvelle disposition du traité dépendra bien évidemment de la personnalité des candidats, des investissements politiques dans la campagne électorale ainsi que des médias. Au final, les effets de l’exposition médiatique sur la participation électorale devraient se renforcer si les médias se saisissent de l’innovation que constitue la compétition entre candidats à la tête de la Commission, ce qui n’est pas le cas pour le moment. France Télévisions refuse en effet de diffuser le débat prévenu entre les cinq candidats à la présidence de la commission le 15 mai. LéA PFEIFFER


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