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N°21 / MENSUEL - 18,00 €
E ZIN GA MA AL GU LIN BI
NOUVELLE FORMULE 2016
MARTIN SCHULZ UNE AUTRE IDÉE DE L’UNION EUROPÉENNE FOCUS : LES ENJEUX DE L’EAU
Le Brexit, un choc salutaire pour Nicole Fontaine L’Europe face au défi des migrants
MARTIN SCHULZ: ANOTHER VISION OF THE EUROPEAN UNION DOSSIER : L’EUROPE POST COP21
ÉDITORIAL
© European Union 2016 - European Parliament
L’EuropE, c’Est nous Martin Schulz Président du Parlement Européen
“Q
ue fait l’Europe?” Tous les jours, on me pose la même question “mais que fait l’Europe?” Ce à quoi je réponds invariablement par “qui est l’Europe?”. Car l’Europe, c’est vous, c’est nous. L’Europe n'est pas celle qu’on voudrait dépeindre : une administration zélée mais sans tête, trop nombreuse mais sans vision. Pour la première fois, en 2014, l’institution que je préside a élu un président de la Commission européenne sur la base des votes des citoyens européens. C’est inédit : la légitimité de la Commission européenne est incontestable. Sa dimension foncièrement politique également. L’Europe n’est pas non plus cet ensemble d’institutions agité par des débats hors-sol. C’est la Commission qui pousse pour que les États membres prennent leurs responsabilités dans la répartition des réfugiés et la gestion du flux des migrants qui cherchent à at teindre nos côtes. C’est le Parlement – et les 751 députés qui le composent – qui lui offre son soutien, lui apporte son expertise, qui cherche sans cesse le meilleur compromis pour résoudre la crise humanitaire et migratoire la plus complexe que le continent ait connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est encore le Parlement européen qui travaille au meilleur accord possible pour améliorer la sécurité des Européens face aux menaces terroristes avec la mise en place du EU Passenger Name Record tout en leur assurant le respect le plus strict de leurs données personnelles. C’est le Parlement qui cherche à faire la lumière sur les avantages fiscaux accordés par certains États en faussant la concurrence entre pays membres et qui cherche à faire la lumière sur le scandale des émissions des véhicules. L’Europe, c’est aussi, bien évidemment, les États membres. Des États qui pensent parfois protéger leur pays en brandissant le véto de la souveraineté quand il est indiscutable que, face à la crise – qu’elle soit migratoire, économique ou bancaire –, nos États européens sont plus forts quand ils agissent unis. Voici un bref panorama des sujets qui occupent actuellement les élus européens. Des sujets qui concernent tous les citoyens européens et leurs représentants, à tous les échelons. Je sais que Le Courrier du Parlement européen , à travers cette nouvelle publication, aura à cœur de vous les faire comprendre au travers d’analyses et d’interviews. L’Europe est complexe, l’Europe est multiple, l’Europe est passionnante, car elle vous, elle nous ressemble n
LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 1
WE ARE EUROPE © European Union 2016 - European Parliament
EDITORIAL
Martin Schulz President of the European Parliament
“W
hat’s Europe doing?” Every day, I get asked the same question, “what’s Europe doing?” And I always answer, “who is Europe?’”Because Europe is you, it’s us.
Europe is not the image which is often painted of it: a zealous, leaderless organisation, with too many staff but no real vision. In 2014, for the first time, the institution that I presided over elected a president of the European Commission on the basis of votes by European citizens. This was unprecedented: the legitimacy of the European Commission is unarguable, as is its fundamentally political dimension. Europe is no longer an ensemble of institutions driven by remote debates. It is the Commission which strives to ensure that Member States assume their responsibilities in terms of distributing refugees and managing the flows of migrants who seek to reach our shores. It is the Parliament and its 751 Members who offer their support and expertise, and constantly strive to reach the best compromise to resolve the most complex humanitarian and migration crisis that the continent has known since the end of the Second World War. It was also the European Parliament which worked to find the best
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agreement to improve the security of Europeans faced with terrorist threats with the establishment of the EU Passenger Name Record, while ensuring strictest compliance with data protection legislation. It was the Parliament which sought to shed light on the tax advantages offered by certain States by creating false competition between Member States, and which revealed the vehicle emissions scandal. Europe is also, of course, its Member States: states who sometimes think about protecting their country by brandishing the veto of sovereignty when, faced with emergencies such as migration, economics and banking, our European countries are much stronger when they act together. This is a short overview of the subjects which currently occupy our European politicians: subjects which affect all European citizens and their representatives at all levels. I know that the new “Courrier du Parlement Européen” will strive to help you understand them through its analyses and interviews. Europe is complex. Europe is multi-faceted. Europe is fascinating, because it reflects you, it reflects us n
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AGENDA EUROPÉEN / EUROPEAN AGENDA
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SOMMAIRE / CONTENTS
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ÉDITORIAL... L’Europe, c’est nous Par Martin Schulz.
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EDITORIAL...
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AGENDA EUROPÉEN 2016 / EUROPEAN AGENDA
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L’ENTRETIEN / THE INTERVIEW
We are Europe By Martin Schulz.
nicole Fontaine : “Le rêve européen existe encore même s’il est enfoui” / Nicole Fontaine: “The European dream still exists, even if it has been set aside” Propos recueillis par / Interview by Pauline Pouzankov. Juncker veut une Europe unie et confiante après le Brexit / Juncker calls for a united and confident Europe following Brexit Par/by Sarah Bouchaïb.
14 POLITIQUE / POLITICS
Mogherini pour oublier ashton / Turning to Mogherini to forget Ashton Par/by Sarah Bouchaïb.
16 PROFIL / PROFILE
radicalisation : patrick Kanner veut “prendre le mal à la racine” / Radicalisation: Patrick Kanner wants to “tackle the root of the problem” Par/by Sarah Bouchaïb. Migrants de calais : deux sénateurs français veulent mettre fin aux accords du touquet / Migrants in Calais: two French Senators want to put an end to the Touquet agreements Par/by Pauline Pouzankov.
18 SOCIÉTÉ / SOCIETY
La crise migratoire mine l’Europe /The migration crisis undermining Europe Par/by François Domec.
24 ANALYSE / ANALYSIS
Impôt à la source : à chaque pays sa formule / Taxation at source: a format for each country Par/by Pauline Pouzankov.
28 MAPP’EUROPE
30 CHRONOLOGIE / TIMELINE Par/by Justine Hagard et Pauline Pouzankov. L’Europe post cop21 / Europe post-COP21 Sommaire / Contents p.34
34 DOSSIER / SPECIAL REPORT 14
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34 60 PROSPECTIVE / OUTLOOK La cour de justice : une ruche pour les abeilles / The Court of Justice: a veritable beehive Par/by François Domec. Les enjeux de l’eau / The challenges of water Sommaire / Contents p.64
64 FOCUS / SPOTLIGHT
L’Europe face à son Histoire / Europe confronting its history
94 TRIBUNE / AN OPINION PIECE 96
LIVRES / BOOKS
DaEcH, Histoire, enjeux et pratiques de l’organisation de l’État islamique
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La Fachosphère comment l’extrême droite remporte la bataille du net
64 LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN - Édité par Monde Edition S.A.S. - Siège : 3, rue Mornay, 75004 Paris - Téléphone : 01 44 54 05 50 - Fax : 01 44 54 05 55 E-mail : redaction@lcp-europeen.eu - www.lcp-europeen.eu n Directeur de la publication - Rémy Lazimi n Secrétaire de rédaction - Sharon Lazimi n Journalistes - Sarah Bouchaïb, Lucas Chedeville , Julien Da Sois, François Domec, Julien Dreyfuss, Justine Hagard, Pauline Pouzankov n Infographiste Isabel Viana n Directrice de la communication - Danielle Decaris n Relations presse - Laurent Vigée n Traduction - Traducta n N° 21 n Numéro ISSN 2418-1056 n Imprimé en France n Dépôt légal à parution n Photo de couverture - © European Union 2016 - European Parliament - Toute reproduction, même partielle, des articles publiés dans ce numéro, nécessite explicitement le consentement écrit de l’éditeur.
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L’ E N T R E T I E N
nIcoLE FontaInE :
“LE rêvE EuropÉEn ExIstE EncorE MêME s’IL Est EnFouI”
© European Union 2012
Pour la présidente du Parlement européen de 1999 à 2002, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne peut être un choc salutaire. L’ occasion de repenser l’Europe après “la longue descente aux enfers” qu’elle a connu ces dernières années.
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NICOLE FONTAINE:
THE INTERVIEW
“THE EUROPEAN DREAM STILL EXISTS, EVEN IF IT HAS BEEN SET ASIDE” Pour vous, le Brexit est “une chance”. Savez-vous s’il y a beaucoup de dirigeants ou de parlementaires européens qui pensent comme vous ?
For the former President of the European Parliament (1999-2002), the United Kingdom’s exit from the European Union may be a much needed shock to the system. An opportunity to rethink Europe after “the long descent into hell” that it has seen in recent years.
Je distinguerais pour cela l’avant de l’après Brexit. Au cours de la période qui a précédé le référendum britannique, j’ai eu le sentiment que beaucoup de responsables européens auraient préféré que le “remain” l’emporte. Simplement parce qu’un tel résultat aurait été plus confortable, sans qu’il y ait la nécessité de se remettre en question pour la suite. L’Europe n’en était pas moins malade : le maintien du statu quo lui aurait été mortel, sauf que personne n’osait le dire ouvertement. Dans ce contexte, mon livre a fait l’effet d’un coup de tonnerre : comment l’ancienne présidente du Parlement européen pouvait-elle penser que le Brexit serait une chance ? Autant dire que la question était politiquement incorrecte.
For you, Brexit is “an opportunity”. Do you know if there are many European leaders or parliamentarians who would agree with you? In response, I would talk about pre- and post-Brexit. During the period preceding the British referendum, I had the feeling that many European leaders would have preferred “Remain” to win. Simply because such a result would have been more comfortable, and would not mean that everything be put into question afterwards. Europe would have been no less sick: maintaining the status quo would have been fatal, although no-one said so outright. Against this backdrop, my book was like a clap of thunder: how could the former president of the European Parliament think that Brexit could be an opportunity? In other words, the question was politically incorrect.
“Le statut quo aurait été mortel à l’Europe.” Sauf qu’une fois le référendum passé, quelque chose d’intéressant s’est produit : un regain du sentiment pro-européen dans six pays, d’après une enquête publiée dans le journal Le Monde. Comme si la sortie du Royaume-Uni avait provoqué un électrochoc, qui au lieu d’enterrer l’Europe amenait l’occasion de la repenser et de tirer les leçons de ses échecs. C’est du moins l’opinion que partagent désormais de nombreux élus européens, appelant à se focaliser sur l’avenir et relégitimiser les institutions européennes. J’ai d’ailleurs été très surprise de n’avoir reçu aucune lettre d’injure ou de critique après la sortie de mon livre, malgré les turbulences qui ont suivi le référendum britannique. Cette appréciation me conforte dans l’idée que le Brexit apporte une chance de reprendre la construction européenne.
Le manque d’anticipation est en effet l’un des reproches qui peut être fait à la Commission. Si on se replace dans le contexte, le début de la débandade européenne est parti de la désastreuse guerre d’Irak menée par Georges Bush. Jacques Chirac était farouchement contre, Tony Blair soutenait les États-Unis tandis que huit pays européens avaient même publié une lettre ouverte de soutien au président américain : autant de divisions en interne qui ont mis l’Europe au balcon. C’est pourtant à ce moment-là qu’elle aurait dû
© European Union 2001
On reproche beaucoup à l’Union européenne son échec quant à la gestion des “crises”, la dernière en date étant la vague migratoire. Est-ce parce que l’Europe ne réagit qu’après coup, quitte à se laisser dépasser, au lieu d’anticiper le problème ?
Except, once the referendum was over, something interesting happened: there was a resurge in pro-European feeling in six countries, according to a survey published in Le Monde. It was as if the UK’s exit had triggered an electroshock, which instead of burying Europe gave it an opportunity to rethink and draw lessons from its mistakes. This is, at least, the opinion shared by a number of European politicians, who called upon us to focus on the future and give a new legitimacy to the European institutions. I was, moreover, very surprised not to receive any insulting or critical letters after my book’s publication, despite the turbulence which followed the British lll
Nicole Fontaine en compagnie du Dalai-Lama lors d’une conférence de presse à Strasbourg en 2001. Nicole Fontaine with the Dalai-Lama during a press conference in Strasbourg in 2001.
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Déplacement de Nicole Fontaine en Afghanistan en 2003, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Massoud, qu’elle avait reçu au Parlement européen. Nicole Fontaine travels to Afghanistan in 2003 to mark the anniversary of the death of Massoud, whom she had welcomed to the European Parliament.
prévoir les désastres à venir, comprenant que l’occupation américaine ne serait pas en mesure de régler les rapports entre chiites et sunnites. Même scénario concernant la Libye, désormais devenue un État de non droit et l’un des plus grands pourvoyeurs d’armes du monde. En réalité, je pense que nous n’avons pas été assez solidaires des pays qui avaient très bien géré la transition du printemps arabe, notamment le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie. Une fois l’enthousiasme passé, le concours de l’Union européenne n’a pas été à la hauteur de ce qui aurait été nécessaire pour les soutenir. Manque d’anticipation là aussi : aujourd’hui, une partie importante des jeunes djihadistes viennent de Tunisie car ils sont désœuvrés et manquent de perspectives. Quant à la vague migratoire, je suis persuadée que l’Europe doit rester une terre d’accueil et ne pas reconstruire les murs que nous avons fait tomber à Berlin. C’est d’ailleurs ce renoncement à ses propres valeurs qui a décrédibilisé dernièrement l’Union Européenne. Pensez-vous que le Brexit témoigne, d’une certaine manière, d’un repli nationaliste ou d’un fantasme “d’autarcie” que l’on retrouve actuellement dans de nombreux États du monde, notamment via la montée des extrêmes-droites ? Si l’on constate bien un repli nationaliste dans certains pays, la situation de la Grande-Bretagne reste quand même très particulière. C’est en quelque sorte l’histoire d’un malentendu : les Britanniques voulaient rentrer dans un marché unique sans imaginer qu’il y aurait une réglementation européenne ou des contraintes qui leur seraient imposées. 8 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
lll referendum. This reassured me that Brexit was an opportunity
to rethink the European construct. The European Union has been broadly criticised for its failure to manage “crises”, the most recent being the migration wave. Is it because Europe only reacts after the event, that it allows itself to be overtaken, rather than anticipating the problem? Lack of anticipation is, indeed, one criticism which can be levelled at the Commission. If we look back at the context, the start of the migration influx into Europe began with the disastrous war in Iraq, led by George Bush. Jacques Chirac was staunchly against it, Tony Blair supported the Americans, while eight other European countries published an open letter of support for the American president: so many internal divisions which led to Europe sitting on the fence. It was, however, at this precise moment that Europe should have anticipated the disasters to come, and should have understood that the American occupation would be insufficient to manage the relationship between Shiites and Sunnis. The same was true of Libya, which had become a lawless state and one of the biggest purveyors of arms in the world. In reality, I think that we didn’t show enough solidarity with countries who had managed the transition of the Arab spring very well, particularly Morocco, Tunisia and Algeria. Once the enthusiasm had passed, European Union support was not sufficient in terms of the level of assistance they needed. There was also a lack of anticipation: today a significant number of young Jihadis come from Tunisia because they have been left idle and lack perspective. In terms of migration, I am convinced that Europe should remain a host lll
THE INTERVIEW lll region and should not rebuild the walls that we destroyed in Berlin. It is by renouncing our own values that the European Union has lost credibility in recent times.
Bien que la question migratoire ait été beaucoup invoquée lors du référendum, je crois que leur décision témoigne surtout du rejet d’une construction européenne qu’ils ont mal perçue alors qu’elle leur apportait beaucoup. Le Brexit est donc l’occasion de clarifier cette relation pour convenir d’un divorce à l’amiable : la GrandeBretagne ne pourra plus empêcher les autres d’avancer s’ils le souhaitent, tout en restant un partenaire privilégié de l’UE, à condition qu’elle accepte les règles du jeu.
Do you think that Brexit reflects, in some ways, a return to nationalism or a fantasy of “self-sufficiency” that can currently be seen in many countries in the world, particularly through the rise of the far right?
Comment expliqueriez-vous le sentiment europhobe que ressentent de nombreux Français alors que la France fait partie des pays “fondateurs” de l’Union européenne ? Est-ce une forme de déception face à l’idéal qu’ils avaient imaginé autrefois ?
Although a return to nationalism has definitely been seen in some countries, the situation in Great Britain remains, nonetheless, very particular. It is in some ways the result of a misunderstanding: the British want to enter into the single market without imagining that they would be bound by European regulations or constraints.
En discutant avec les lecteurs de mon livre, je me suis rendue compte que les idées que j’y exprimais étaient largement partagées. L’absence de pilote dans l’avion, de visibilité, la technocratie ou encore la gestion calamiteuse des crises sont autant de causes de leur désamour. L’impression de contrainte, elle aussi, a beaucoup joué dans la désaffection des peuples à l’égard de l’Europe : cependant, on attend trop souvent qu’elle agisse dans des domaines qui relèvent de la subsidiarité.
Although migration was mentioned a great deal during the referendum, I think their decision primarily reflects a rejection of the European construct, which has been perceived poorly in Britain, although it brought much to the country. Brexit is, therefore, an opportunity to clarify this relationship in order reach an amicable divorce: Great Britain can no longer prevent the others from progressing if they so wish, but can remain a privileged EU partner, on the condition that they accept the rules of the game.
Si le sentiment europhobe a muri par strates successives, je pense toutefois que les Français ont bien conscience qu’aucun pays ne peut affronter seul les défis auxquels il doit aujourd’hui faire face. C’est une évidence. Au fond, le plus gros reproche que l’on puisse faire à l’Europe tient au déficit démocratique : la Commission a trop de fois donné l’impression aux citoyens de ne pas les écouter.
“Lack of anticipation is one criticism which can be levelled at the Commission.”
Si l’Union européenne cherche à communiquer sur l’action du Parlement Européen et de la Commission, les médias français semblent peu s’intéresser à une Europe jugée trop institutionnelle. Avez-vous l’exemple d’un sujet susceptible de piquer la curiosité du grand public ?
How can you explain the Europhobic sentiment of many French people, despite the fact that France was one of the “founding” countries of the European Union? Does it reflect a disappointment in terms of the ideal that they had previously imagined?
© Vernier / JBVNEWS
Les médias ont eux aussi une lourde responsabilité dans la mesure où ils partent du postulat que l’Europe n’intéresse personne. Un certain nombre de journalistes basés à Bruxelles ont encore du mal à publier leurs articles, car aucune rédaction parisienne n’en
Through discussions with readers of my book, I became aware that the ideas I have expressed are shared by many. The lack of leadership, visibility, technocracy and the calamitous management of crises are some of the many reasons for their disenchantment. The impression of constraints has also played a big role in people’s disaffection with Europe: however, we all too often expect that it will act in areas which are actually subsidiary areas. Although the Europhobic sentiment is something which has developed gradually, I nonetheless think that the French are aware that no country can address the difficulties which have to be faced alone. That much is clear. Basically, the biggest criticism we can make of Europe is in terms of the democratic deficit: the Commission has all too often given the impression that it doesn’t listen to citizens.
While the European Union strives to publicise the work of the European Parliament and the Commission, the French media appears to take little interest in Europe, which it considers to be too institutional. Can you give us an example of an issue which is likely to pique the interest of the general public? “Les médias partent du postulat que l’Europe n’intéresse personne” pour Nicole Fontaine. “The media’s starting point is that no-one is interested in Europe”, says Nicole Fontaine.
The media also have a heavy responsibility insofar as their lll LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 9
L’ E N T R E T I E N veut. Comment voulez-vous dans ce contexte informer les citoyens objectivement sans en rester à l’écume des choses ? Autre exemple : j’ai eu la chance d’organiser deux évènements fabuleux pendant ma présidence au Parlement européen, la venue du commandant Massoud et une autre, conjointement, du président du Conseil législatif palestinien et du président de la Knesset, qui souhaitaient déclarer leur envie de paix. Pas un mot, pas une seule image n’avait été diffusée sur les écrans, alors que toute la télévision française s’était déplacée jusqu’à Bruxelles lorsque Jean-Marie Le Pen avait été démis de son mandat de député européen et que j’en avais fait l’annonce. Aujourd’hui, ce n’est pas un mais plusieurs sujets qui intéressent le grand public, à commencer par comment allons-nous reconstruire l’Europe ? Je suis d’ailleurs stupéfaite qu’aucun candidat à la primaire – de droite comme de gauche – n’aborde cette question dans sa campagne, sauf quand il s’agit de fustiger sur le “molosse européen”.
“Le manque d’anticipation est l’un des reproches quI peut être fait à la Commission.” Comme l’indique le co-auteur de votre livre, “la grande difficulté (en Europe), c’est la complexité des réglementations” qui arrange aussi certains. Quelles solutions préconiseriez-vous pour simplifier le processus décisionnel ? Un marché unique implique nécessairement une réglementation commune pour harmoniser les législations nationales et les normes des produits pour permettre leur libre circulation. Toutefois, plusieurs exemples ont contribué à forger l’idée d’une technocratie absurde et prégnante, à commencer par l’affaire des fromages français. Les pays nordiques les avaient boudés à cause de leur odeur ; la Commission a donc voulu faire passer une directive imposant des normes de fabrication qui ôteraient aux fromages toute saveur et odeur. Autant dire que ce fut le tollé dans les fermes laitières. Autre exemple qui a fait beaucoup de mal : la chasse. Lors des élections de 1999, une liste de chasseurs a fait un tabac en France au prétexte que la Commission leur imposait des dates d’ouverture et de fermeture, en fonction des espèces. Faute d’explication publique suffisante, ils obtinrent six sièges avec un million deux cent mille voix. Sans oublier les premières fractures en 1992, lors du traité de Maastricht, ou encore les années Barroso qui ont porté un coup supplémentaire à l’image européenne. La “comitologie”, elle aussi, apporte son lot d’opacités, car personne ne sait ce qu’il s’y passe réellement. Il s’agit de comités d’application des textes réglementaires au travers desquels la Commission reprend la main via des experts qui, parfois, en interprétant ces textes, les faussent totalement. Le Parlement européen s’est pourtant battu contre eux pendant des années sans parvenir à gagner… Ce qui ne réduit pas le déficit démocratique. Vous affirmez dans votre livre que 10 000 lobbyistes sont implantés à Bruxelles par le truchement de 3000 cabinets. A quoi 10 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
lll starting point is the claim that no-one is interested in Europe.
A certain number of Brussels-based journalists still find it hard to publish their articles, because no Parisian editors want them. How do you expect citizens to be objectively informed without even touching upon the subject? Another example: I had an opportunity to organise two fabulous events during my presidency of the European Parliament, a visit by Commander Massoud and another joint visit by the President of the Palestinian legislative council and the President of the Knesset, who wanted to make a declaration of their desire for peace. Not a single word or image was broadcast on the screens. Yet, the entire French television apparatus came all the way to Brussels when I announced that Jean-Marie Le Pen had had his European mandate removed. Today, the general public are not interested in one but many subjects, starting with how are we going to reconstruct Europe? I am stupefied that no candidate in the French primaries – either from the right or the left – has addressed this question in their campaigns, besides castigating the European “watchdog”. As the co-author of your book indicates, “the big difficulty (in Europe) is the complexity of regulations”, which also suits some. What solutions would you recommend to simplify the decisionmaking process? Implicit in a single market is the need for shared regulations to harmonise national legislation and product standards to ensure their free circulation. However, several examples have contributed to forging the idea of an absurd and sizeable technocracy, starting with the case of French cheese. The Nordic countries rejected them because of their smell; the Commission therefore wanted to pass a Directive imposing manufacturing standards which would remove all smell and taste from cheese. Needless to say, there was an outcry from dairy farms. Another example which did a lot of damage was hunting. During the 1999 elections, a group of hunters made the headlines in France on the pretext that the Commission was imposing opening and closing dates upon them, depending on different species. Due to a lack of sufficient public information, they won six seats with one million, two hundred thousand votes. And we shouldn’t overlook the first fractures in 1992, during the Treaty of Maastricht, or the Barroso years which dealt another blow to Europe’s image. European “comitology” has also contributed to the opacity as no-one really knows what is going on. There are implementing committees for regulatory texts which the Commission operates through experts who, sometimes, in interpreting these texts, completely misinterpret them. There has also been endless infighting within the European Parliament... which does nothing to reduce the democratic deficit. You say in your book that there are 10,000 lobbyists based in Brussels representing 3,000 firms. What do you think is behind this proliferation? Quite simply the economic impact of the texts which are being voted upon. Lobbying companies very quickly realised this and sent their professionals to observe the negotiations, then as the phenomenon grew, lobbyists sprang up in increasing numbers near lll
THE INTERVIEW est due, d’après vous, une telle prolifération ? Tout simplement à l’impact économique des textes qui sont votés. Les entreprises l’ont compris très vite et ont d’abord envoyé des professionnels dans le cadre des négociations puis, le phénomène allant croissant, les lobbies se sont multipliés pour s’installer à proximité du Parlement. Les textes votés sont souvent extrêmement techniques ; un député européen doit donc s’investir totalement dans son mandat pour comprendre les tenants et les aboutissants d’un document dans toute sa complexité. Les étudiants qui interviennent dans mon livre ont d’ailleurs dénoncé d’eux-mêmes ce lobbying avec l’impression que les décisions étaient prises davantage dans leurs cabinets qu’au Parlement. Cette action souterraine, en plus de la comitologie, concourt à l’opacité du processus décisionnel. Est-ce que “le rêve européen” existe toujours et si oui, comment le réenchanter ?
a European parliament member must be entirely committed to their mandate to understand the pros and cons of a document in all its complexity. The students who were involved in my book themselves denounced this lobbying, and had the impression that decisions were made by these firms rather than by Parliament. This behindthe-scenes action, in addition to European comitology, leads to opacity in the decision-making process. Does the “European dream” still exist and if so, how can it inspire people once again? The European dream still exists, even if it has been set aside. I’ve certainly seen it in my students when I offered them the opportunity to contribute to writing my book on subjects of their choice: to my great surprise, I had 14 volunteers! And what’s more, they wanted to devote an entire chapter to their own proposals. Upon reading what they had produced, I am in no doubt that there is a desire to re-establish the European ideal. Following publication of the book, these students even created a group to continue brainstorming and enter into discussions with relevant European representatives on their ideas. This was surprising but made me optimistic for the future n
Brexit : une chance ? Nicole Fontaine et François Poulet-Mathis Editions Auteurs du monde 256 pages 17€
© European Union 2015
Ce rêve existe encore même s’il est un peu enfoui. Je l’ai en tout cas trouvé chez mes étudiants en leur proposant de contribuer à la rédaction de mon livre sur les sujets de leur choix : à ma grande surprise, j’ai eu 14 volontaires ! Plus encore, ils ont souhaité écrire un chapitre entier pour y exprimer leurs propositions. A la lecture de ce qu’ils ont produit, l’aspiration à retrouver un idéal européen ne fait aucun doute. Suite à la sortie de l’ouvrage, ces étudiants ont même créé un mouvement pour continuer la réflexion voire échanger avec des responsables européens sur leurs idées. Cette belle surprise me porte à l’optimisme n Propos recueillis par Pauline Pouzankov
lll the Parliament. The texts voted on are often highly technical;
Nicole Fontaine estime que “le renoncement à ses propres valeurs” a décrédibilisé dernièrement l’Union Européenne. Nicole Fontaine says that “it is by renouncing its own values” that the European Union has lost credibility in recent times.
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JuncKEr vEut unE EuropE unIE Et conFIantE après LE BrExIt
POLITIQUE
Le Président de la Commission Européenne a prononcé mercredi 14 septembre son discours-programme annuel face au Parlement Européen, rappelant que l’UE n’est pas “menacée” par la sortie du RoyaumeUni.
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e discours sur “l’état de l’Union” de l’année passée “reste valable” pour Jean-Claude Juncker. Le Président de la Commission Européenne (CE) a dressé dans ses propos de rentrée un constat en demi-teinte, se voulant néanmoins optimiste face à l’avenir. En effet, si “l’Union européenne n’est pas au sommet de sa forme”, elle n’en reste pas moins “synonyme de paix” et survivra à la “crise existentielle” qu’elle traverse.
A
ccording to Jean-Claude Juncker, last year’s “State of the Union” speech “still applies”. The President of the European Commission’s (EC) speech reflected mixed emotions, striving, nevertheless to be optimistic about the future. Indeed, although the “European Union is not in peak condition”, Juncker says that “above all, Europe means peace” and will survive the “existential crisis” that it is currently facing. “The scope in which we cooperate together is too small” he said to the Members of Parliament meeting at a plenary session in Strasbourg. Without directly mentioning certain domestic policies, JeanClaude Juncker lamented that “national interests” are too often raised, to the detriment of European measures. “The Commission does not intend to get rid of the nation States” he added, striving to be reassuring, “we do not destroy [...] we want to construct”. Brexit: regret and standing firm The head of the European executive stressed the “united” nature of Europe, particularly by recalling the consequences of the multiple fractures, fissures and fragmentations of the European Union, laying the foundations for “galloping” populism. “Populism does not solve problems, on the contrary, populism creates problems, and we lll
© European Union 2016 - Source : EP / Christian Creutz
“Il y a trop de domaines dans lesquels nous ne coopérons pas assez ” a-t-il estimé devant les députés réunis en session plénière à Strasbourg. Sans pointer directement certaines politiques intérieures, Jean-Claude Juncker a déploré les “intérêts nationaux ” trop souvent poursuivis au dépend des mesures européennes. “La Commission n’ambitionne nullement de se substituer aux États ” a-t-il
Jean-Claude Juncker face aux députés européens, le 14 septembre 2016.
Jean-Claude Juncker addressing Members of the European Parliament, 14 September 2016.
14 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
JUNCKER CALLS FOR A UNITED AND CONFIDENT EUROPE FOLLOWING BREXIT
POLITICS
ajouté, se voulant rassurant, “nous ne sommes pas là pour détruire, nous sommes là pour bâtir ”.
On Wednesday 14 September, the President of the European Commission stated in his annual keynote speech to the European Parliament that the EU is not “at risk” as a result of the UK’s exit.
© European Union 2016 - Source : EP / Marc Dossmann
“L’Europe n’est pas le Far West, c’est une économie sociale de marché.” Brexit : entre regrets et fermeté Le chef de l’exécutif européen a insisté sur le caractère “uni ” de l’Europe, notamment en rappelant que les conséquences des multiples “fractures”, “fissures ” et “fragmentations” de l’Union Européenne faisaient “le lit du populisme”. “Le populisme ne règle pas les problèmes, au contraire, il [les] crée, soyons en sûr ”, a-t-il ajouté sous les applaudissements de la salle. Quant au Brexit, Jean-Claude Juncker se veut ferme en demandant au Royaume-Uni de faire parvenir “rapidement ” la demande de sortie, pour “mettre un terme aux incertitudes ”. La décision est respectée mais “déplorée ” par le Président de la CE, qui ne rejette toutefois pas une future “relation amicale”, rappelant que le marché intérieur et la libre circulation ne pouvaient “être à la carte”. Juncker a terminé son intervention sur le Brexit en réaffirmant que l’UE n’était “pas menacée dans son existence par cette décision ”. Lors de son discours, Jean-Claude Juncker a plaidé pour une Europe plus sociale et plus unie. During his speech, Jean-Claude Juncker called for a more social and united Europe.
“Nos nations ne doivent pas ployer sous le vent du populisme.” 630 milliards pour la croissance Pour l’année 2017, la Commission a préparé un programme de travail “positif ” et relativement rationnel, se voulant “proche des préoccupations ” des citoyens européens. Côté annonces, JeanClaude Juncker a proposé de doubler le plan d’investissement de 315 milliards d’euros lancé en 2014, tant dans sa durée que dans sa capacité. La relance de l’Europe serait ainsi prolongée jusqu’en 2022 et reposerait sur des investissements privés garantis par une mobilisation de 630 milliards d’euros de fonds européens n Sarah Bouchaïb
lll have to be aware of that”, he added to applause. As for Brexit,
Jean-Claude Juncker firmly called upon the United Kingdom to act as “quickly as possible” to begin the process of leaving the Union, to put an end to uncertainty. The decision is respected but “regretted” by the President of the EC, who does not, however, rule out “friendly relations” in the future, recalling that there could be no “à la carte” access to the single market and free circulation. Juncker ended his speech on Brexit by reaffirming that “the EU’s existence is not at risk”. 630 billion euros for growth For 2017, the Commission has prepared a “positive” and relatively rational work programme, which claims to be “close to the concerns” of European citizens. Jean-Claude Juncker announced a doubling of the investment plan of 315 billion euros launched in 2014, both in terms of its duration as well as its capacity. This boost to Europe’s economy will thus be prolonged until 2022 and will be based on private investments backed by the mobilisation of 630 billion euros in European funds n LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 15
MogHErInI pour ouBLIEr asHton
PROFIL
“Femme, jeune, italienne, compétente” : c’est ainsi que Matteo Renzi, Premier ministre italien, avait décrit en 2014 sa nouvelle ministre des Affaires étrangères. Huit mois plus tard, Federica Mogherini se retrouvait propulsée deuxième vice-présidente de la Commission européenne et chef de la diplomatie.
16 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
TURNING TO MOGHERINI TO FORGET ASHTON
PROFILE
Tiédeur politique Romaine, elle a étudié les sciences politiques et elle est l’auteur d’une thèse sur le rapport entre la religion et la politique dans l’islam, rédigée pendant son séjour Erasmus à Sciences Po Aix. Un parcours académique et une expérience trop faible pour la critique italienne. A 43 ans, elle n’a jamais été à l’origine d’initiative majeure dans son pays, ni même fait vibrer les foules. “Trop sage”, “sans charme”. Bref, pas à la hauteur… Federica Mogherini pâtit d’une nomination beaucoup trop poussée par l'impressionnant lobbyisme de Matteo Renzi. Lors de son mandat en tant que ministre des Affaires étrangères, il lui a été reconnu la qualité de ne pas faire d’ombre à son chef de gouvernement et de privilégier le consensus. Ainsi à Rome, ses détracteurs avancent qu’à Bruxelles, Federica Mogherini est la marionnette parfaite de Matteo Renzi.
© European Union 2016 - Source : EP / Mathieu Cugnot
“A competent, young, Italian woman”: that is how Matteo Renzi, Prime Minister of Italy described his new Foreign Affairs Minister in 2014. Eight months later and Federica Mogherini saw herself appointed second vice-president of the European Commission and Head of Diplomacy.
Political half-heartedness Originating from Rome, she studied political science and wrote her thesis on the relationship between religion and politics in Islam, which she drafted as part of the Erasmus programme during a stay in Aix-en-Provence in France. An academic background and experience which have proven to be too weak for her Italian critics. At 43 years old, she has never been at the origin of any major initiative in her country, nor has she resonated with the public. “Too cautious”, “no charm”. In other words, not up to the job... Federica Mogherini suffers from having being nominated far too prematurely by Matteo Renzi’s impressive lobbying. During her time as Minister for Foreign Affairs, she was appreciated for not overshadowing her head of Government and for promoting consensus. As in Rome, her detractors say that in Brussels, Federica Mogherini is the perfect puppet for Matteo Renzi.
Ferveur européenne
European fervour On n’enlèvera pas malgré tout à la jeune chef de la diplomatie son ouverture sur le monde. Depuis son entrée en politique, elle multiplie les travaux sur le Proche et le Moyen-Orient. “Cela fait vingt ans que je travaille sur les dossiers internationaux” a-t-elle ainsi insisté lors de la conférence de presse qui a suivi l’annonce de sa désignation. S’attirant parfois des moqueries pour son invitation, récurrente dans ses discours, à trouver une “position commune de l’Union européenne”, elle s’est tout de même positionnée sur de gros dossiers comme le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’UE et les États-Unis (TAFTA) dont elle a défendu la négociation. Elle aurait également constitué un cabinet solide et multiplie les visites symboliques au Proche-Orient, à Sarajevo, en Pologne, ou plus récemment en Turquie. Ce pays, après sa visite, a réaffirmé son engagement lié à l’accord préalablement conclu avec l’UE pour contrôler les flux de migrants. Un dossier connu de Federica Mogherini qui en août 2015 a mis en place l’opération Sophia qui vise à identifier et capturer les embarcations des passeurs en Méditerranée centrale. Quelle que soit l’image qu’elle renvoie, Federica Mogherini jouit toutefois d’un privilège : elle devrait pouvoir mieux faire que celle qui l’a précédée, Catherine Ashton, vivement critiquée pour son manque de charisme n
Despite all this, the young diplomatic head’s openness to the world cannot be denied. Since she entered politics, she has contributed towards a number of publications on the Near and Middle East. “I have been working on international issues for twenty years” she insisted during the press conference which followed her appointment. Sometimes drawing scorn for her recurring claim to want to find a “shared European Union position”, she nonetheless has taken a position on major issues such as the Transatlantic Free Trade Area (TAFTA) between the EU and the United States, the negotiation of which she has defended. She has also created a solid cabinet and has carried out multiple visits to the Near East, Sarajevo, Poland and, more recently, Turkey. After her visit to Turkey, the country reaffirmed its commitment to the agreement previously concluded with the EU to control the flow of migrants. A topic which is familiar to Federica Mogherini who, in August 2015, established Operation Sophia which aims to identify and capture smugglers in the Central Mediterranean. Regardless of the image she presents, Federica Mogherini has one strength: she should be able to perform better than her predecessor, Catherine Ashton, roundly criticised for her lack of charisma n
Sarah Bouchaïb LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 17
raDIcaLIsatIon : patrIcK KannEr vEut “prEnDrE LE MaL à La racInE”
SOCIÉTÉ
Former, prévenir et accompagner : ces trois mots d’ordre constitueront les thèmes des prochains ateliers organisés par la France et la Belgique, dans le cadre des travaux coopératifs sur la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent des jeunes.
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l y aurait 20 000 signalements en France de radicalisation islamiste, dont 2 000 cas établis et 700 départs en Syrie. Ces chiffres, annoncés devant la presse par Patrick Kanner, ministre français de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, traduisent l’ampleur d’un phénomène nouveau que les pouvoirs publics européens s’activent à prévenir.
“To win the fight for life.” “What we are doing here is a first”, stressed the Socialist politician on Thursday 15 September 2016, as he welcomed to the Ministry his Belgian counterpart, Isabelle Simonis, Minister for Social Advancement, Youth, Women’s Rights and Equal Opportunities in the Walloon-Brussels Federation. Bringing to a close the first “French-Belgian seminar on the prevention of radicalisation and extreme violence among young people”, the two Members of Parliament spoke with one voice to say: “we need to tackle the root of the problem.” lll © Eric Garault / PictureThank
“Ce que nous faisons ici est une première ”, a souligné le socialiste qui a accueilli en son ministère, jeudi 15 septembre 2016, son homologue belge, Isabelle Simonis, ministre de l’Enseignement de promotion sociale, de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Egalité des chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Venus clôturer le premier “séminaire franco-belge sur la prévention de la radicalisation et l’extrémisme violent des jeunes”, les deux parle-
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here have been 20,000 reports of Islamist radicalisation in France, with 2,000 cases being confirmed and 700 departures for Syria. These figures, announced to the press by Patrick Kanner, the French Minister for Urban Affairs, Youth and Sport, reflect the scale of a new phenomenon which European governments are working to prevent.
Coopérer avec la Belgique est, selon Patrick Kanner, nécessaire à la refonte d’un “projet européen” en soutien à la jeunesse qu’il cherche “à protéger dans cette démarche”. Cooperation with Belgium is, according to Patrick Kanner, crucial to redefining the “European project”, supporting young people whom he seeks to “protect through this approach”.
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RADICALISATION: PATRICK KANNER WANTS TO “TACKLE THE ROOT OF THE PROBLEM”
SOCIETY
mentaires font état d’un constat unanime : “il faut prendre le mal à la racine”.
Training, prevention and support: these three key words will be the themes of forthcoming workshops organised by France and Belgium as part of cooperative work on preventing radicalisation and violent extremism among young people.
© Nogues/JBV NEWS
Ce mal “a envahi nos tissus ruraux et urbains”, a-t-il ajouté. “Peut-être avons-nous été trop naïfs, nous ne [l’]avons pas vu arriver, nous sommes responsables ”. Reconnaissant que la défense militaire est utile et nécessaire, le ministre défend tout de même un plan d’action pour s’“attaquer aux causes” par des moyens adaptés aux politiques d’éducation notamment. “Notre réponse politique commune ne peut être organisée entièrement autour de la répression ”, a ajouté Isabelle Simonis, estimant que les pouvoirs politiques doivent impérativement “réagir et formuler des propositions ”. Coopérer avec la Belgique est par ailleurs, selon Patrick Kanner, nécessaire à la refonte d’un “projet européen” en soutien à la jeunesse qu’il cherche “à protéger dans cette démarche”. Trois ateliers seront ainsi organisés dans les deux pays d’ici septembre 2017, permettant des “échanges de bonnes pratiques entre les administrations ”. Une première rencontre rassemblera en France les acteurs administratifs et associatifs pour un travail sur la place des politiques publiques de jeunesse dans le processus de radicalisation. Une deuxième réunion, organisée cette fois-ci en Belgique, abordera la thématique de la prévention du discours de haine en ligne. Sous forme de séminaire et de “foire à outils ”, elle aura pour objectif d’ “équiper ” les acteurs de terrain. Enfin, le troisième atelier, à destination des opérateurs de formation, proposera une réflexion collective sur le rôle, la posture et les lignes de conduites à adopter.
Hommage aux victimes des attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris. Homage to the victims of the terrorist attacks of 13 November 2015 in Paris.
lll This evil has “invaded our rural and urban landscapes”, he added. “Perhaps we were too naive, we didn’t see it coming, we are responsible”. Recognising that military defence is useful and necessary, the Minister nonetheless defended an action plan to “tackle its root causes”, particularly through appropriate education policies. “Our joint political response cannot be organised entirely around repression”, added Isabelle Simonis, stating that governments must “react and come up with proposals”.
“Gagner la bataille de la vie.”
© Groisard/SG/JBV NEWS
Déterminé à “gagner la bataille de la vie”, Patrick Kanner a d’autre part rappelé le projet de formation de 10 000 professionnels de terrain, à l’aide des 20 millions d’euros affectés depuis 2015 à la prévention de la radicalisation n Sarah Bouchaïb
Assault du RAID à Saint-Denis contre les terroristes responsables des attentats à Paris en 2015. An anti-terrorism operation in Saint-Denis against the terrorists responsible for the Paris attacks in 2015.
Patrick Kanner also stated that working with Belgium is crucial to redefining the “European project”, supporting young people whom he seeks to “protect through this approach”. Three workshops have thus been organised in the two countries between now and September 2017, facilitating the “exchange of good practice between the two governments”. An initial meeting in France will bring together government and voluntary sector representatives to work on the role of government youth policy in the radicalisation process. A second meeting in Belgium will address the theme of preventing hate speech on line. In the form of a seminar and a “tool fair”, it will aim to “equip” front-line stakeholders. Finally, a third workshop, aimed at trainers, will propose joined-up thinking on the role, position and guidelines to adopt. Determined to “win the fight for life”, Patrick Kanner also mentioned the project to train 10,000 front-line professionals, using 20 million euros which has been allocated to the prevention of radicalisation since 2015 n LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 19
MIgrants DE caLaIs : DEux sÉnatEurs FrançaIs vEuLEnt MEttrE FIn aux accorDs Du touquEt
SOCIÉTÉ
Publié au mois de septembre par les sénateurs Gaëtan Gorce (PS) et Jacques Legendre (LR), le rapport intitulé “L’Europe au défi des migrants : agir vraiment !” remettait en cause les accords du Touquet alors même que le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, souhaitait lancer un plan de démantèlement de la jungle de Calais.
“L
Sustained migration pressure The report by the two senators does, however, call for the migration crisis to be put into perspective. There is no ready-made solution, simply a reflection aiming to take a “step back”. lll
© European Union 2016 - Source : EP / Yasin Akgul
es accords du Touquet ne sont plus applicables parce qu’ils créent sur le territoire une situation qui est absolument insupportable.” De sensibilités politiques différentes, les deux rapporteurs se sont pourtant exprimés d’une même voix au sujet du traité bilatéral fixant à Calais la frontière franco-britannique. Conclu en 2003, cet accord – d’autant plus controversé à la suite du Brexit – vise à contenir l’immigration clandestine vers le RoyaumeUni, imposant à la France d’effectuer les contrôles frontaliers sur son propre territoire. Pour Jacques Legendre, “la Grande-Bretagne doit accepter de porter une part du fardeau.” L’élu a en effet estimé
“T
he Touquet agreements are no longer applicable because they create a situation in the region which is absolutely intolerable”. Despite their different political leanings, the two reporters have nonetheless joined voices on the subject of the bilateral treaty which sets the French-British border at Calais. Concluded in 2003, this agreement – which is all the more controversial following Brexit – aims to restrict clandestine immigration to the UK, obliging France to carry out border checks within its own territory. For Jacques Legendre, “Great Britain has to accept its share of the burden.” The politician believes that “it’s wrong that all the checks are carried out in France and that the English do not have, on their side, somewhere where they can separate out the refugees they are willing to accept from those they are not.” Gaëtan Gorce is delighted with Bernard Cazeneuve’s decision to dismantle the Calais camp, although he says that “this alone will not be enough.”
Le rapport des sénateurs rappelle que la “crise des migrants” en Europe s’inscrit dans un mouvement global d’intensification des migrations. The Senators’ report recalls that the “migration crisis” in Europe is taking place against a backdrop of a global intensification of migration.
20 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
MIGRANTS IN CALAIS: TWO FRENCH SENATORS WANT TO PUT AN END TO THE TOUQUET AGREEMENTS
SOCIETY
qu’il “n’est pas normal que tous les contrôles soient effectués sur le territoire français et que les Anglais n’aient pas, de leur côté, un endroit où ils vont faire le tri entre les réfugiés qu’ils sont prêts à accepter ou pas.” Gaëtan Gorce, quant à lui, s’est réjouit de la décision de Bernard Cazeneuve de démanteler le camp de Calais, tout en affirmant que “ça ne suffira pas ”.
CRISE MIGRATOIRE : QU’EN PENSENT LES CITOYENS ?
The report, entitled “L’Europe au défi des migrants: agir vraiment!” [The challenges of migration for Europe: taking real action!] was published in September by Senators Gaëtan Gorce (Socialist Party) and Jacques Legendre (Republican Party). It raised the question of the Touquet agreements, at the same time as the French Minister for the Interior, Bernard Cazeneuve, wanted to launch a plan to dismantle the Calais “jungle”.
Pour 87% des Français interviewés, le nombre d’immigrés n’a cessé d’augmenter depuis cinq ans ; 57% estiment qu’il y en a trop dans leur pays et seulement 11% pensent que l’immigration a un impact positif. Un sentiment partagé à l’échelle européenne et mondiale puisque 78% de l’ensemble des interviewés considèrent qu’il y a de plus en plus d’immigrés dans leur pays. Selon Brice Teinturier, directeur général délégué France d’Ipsos, ces chiffres mettent en exergue l’écart entre la réalité et la perception de l’immigration par l’opinion publique. Dans le contexte actuel, imprégné par la menace terroriste, la question des réfugiés est particulièrement sensible. Ainsi, 61% des sondés pensent que des terroristes se mêlent aux réfugiés pour entrer dans leur pays, 51% considèrent que la plupart des personnes qui se présentent comme des réfugiés politiques n’en sont pas véritablement (d’autres raisons les pousseraient à venir, notamment économiques), et 45% estiment qu’ils ne s’intégreront pas dans leur pays d’accueil. Pour 38% des interviewés, il faut fermer les frontières aux réfugiés. Les Français font d’ailleurs partie des plus intransigeants sur le sujet ; 67% d’entre eux pensent que des terroristes se mêlent aux migrants. Une méfiance croissante donc, dans la plupart des pays européens mais aussi à l’échelle mondiale. Concurrence en termes d’emplois, mise sous pression des services publics, fragilisation de l’identité nationale sont autant de thèmes qui rendent la problématique des migrants délicate. Justine Hagard
© Nogues/JBV NEWS
Après un an de crise migratoire, l’étude Global @dvisor Immigration tracker 2011-2016, réalisée par l’institut de sondages Ipsos dans 22 pays – dont 10 États européens – entre le 24 juin et le 8 juillet 2016, apporte un éclairage sur la crispation croissante de l’opinion face au phénomène.
Un campement de migrants à Paris dans le 18ème arrondissement. A migrant camp in Paris in the 18 th arrondissement.
lll
Although in 2015 and 2016 the European Union experienced a massive influx of irregular migrants into its territory (more than one million arrivals, including 885,000 through Greece and 154,000 through Italy), the socialist politician explains that “it is a phenomenon which remains relatively restricted on the global scale”. It forms part of a global trend towards the intensification of migration which affects regions all over the world but which ultimately represents only a small proportion, i.e. 3.3% of the world’s population. “We have to live with it” confirms Gaëtan Gorce. His colleague adds that the “problem is likely to continue”, Not least because of the demographic explosion that is currently being seen in Africa. Jacques Legendre is sure of this: “Europe has every interest in being lucid and establishing a humane and realistic response”, stressing that the “disagreements between Member States do not facilitate coherent decision making.”
What can Europe do? Although the agreement between Turkey and the EU last March has, for the time being, contained an exceptional flow of incoming migrants, the migration issue has not yet been resolved. Moreover, the European response is taking time to produce effects, particularly in terms of the slow speed of resettlements. The report thus calls for lll LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 21
© Vernier/JBV NEWS
SOCIÉTÉ
Natacha Bouchart, maire de Calais, au côté de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, et Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France, lors d’une réunion sur la situation des migrants au ministère de l’Intérieur. Natacha Bouchart, Mayor of Paris, alongside Bernard Cazeneuve, the Minister for the Interior and Xavier Bertrand, President of the Hauts-de-France region, during a meeting on the migration situation at the Ministry of the Interior.
Une pression migratoire soutenue
Le rapport des deux sénateurs invite toutefois à “relativiser ” la crise migratoire. Pas de recette prête à l’emploi, juste une réflexion visant à prendre “plus de recul ”. Alors que l’Union européenne a fait face en 2015 et 2016 à un afflux massif de migrants irréguliers sur son territoire (plus d’un million d’arrivées, dont 885 000 par la Grèce et 154 000 par l’Italie ), le socialiste explique que “c’est un phénomène qui reste relativement limité à l’échelle mondiale ”. Il s’inscrit dans un mouvement global d’intensification des migrations qui concerne toutes les régions du monde mais ne représente au final qu’une part réduite, soit 3,3%, de la population de la Terre.
“L’économie des migrations” génère entre 3 et 6 milliards d'euros par an.
“Il faut vivre avec” affirme Gaëtan Gorce ; à son collègue d’ajouter que “le problème est appelé à durer ”, ne serait-ce qu’en raison de l’explosion démographique que connait actuellement l’Afrique. Jacques Legendre en est sûr : “l’Europe a tout intérêt à être lucide et mettre en œuvre une réponse humaine et réaliste”, soulignant que “les désaccords entre pays membres ne facilitent pas de décision cohérente.” 22 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
SOCIETY lll
the development of a real, legally-defined migration policy, which clarifies the legal channels for accessing the territory and substitutes irregular migration with the organised and controlled management of migration flows. Another priority is the fight against traffickers’ networks, which supply a veritable ‘migration economy’ generating between three and six billion euros per year. Although Europe has adopted several emergency measures in response to these massive arrivals, the two senators believe that this mobilisation cannot mask the lack of preparation which these arrivals betray. The report recommends strengthening external borders so that the Schengen space – the “cornerstone of the union of States” according to Senator Legendre – is not brought into question, while consolidating direct Frontex access to European information systems. The politicians are thus issuing a real wake-up call to ensure that this crisis, which comes in the wake of so many others, does not lead to the disintegration of the EU but rather enables it to progress. Gaëtan Gorce recalls: “if we turn the problem on its head, we need to deal with our domestic issues.” n
Que peut l’Europe ? Si l’accord passé en mars dernier entre l’UE et la Turquie a pour l’instant permis d’endiguer un flux exceptionnel, la question migratoire n’est pas pour autant réglée, sans compter que la réponse européenne tarde à produire ses effets (notamment avec la lenteur des relocalisations). Le rapport appelle donc à l’élaboration d’une véritable politique migratoire définie par la loi, permettant de clarifier les voies légales d’accès au territoire et de substituer à l’immigration irrégulière une gestion ordonnée et contrôlée des flux. Autre priorité : la lutte contre les réseaux de passeurs, qui alimentent une véritable “économie des migrations” générant entre 3 et 6 milliards d’euros par an. Bien que l’Europe ait adopté plusieurs mesures d’urgence en réaction aux arrivées massives, les deux sénateurs estiment que cette mobilisation ne saurait masquer l’impréparation dont elle a fait preuve. Le rapport préconise par ailleurs de renforcer les frontières extérieures pour que l’espace Schengen – “pilier de l’union des États ” selon le sénateur Legendre – ne soit pas remis en cause, tout en consolidant l’accès direct de Frontex aux systèmes d’information européens. Les élus appellent donc à un véritable sursaut pour que cette crise, qui s’ajoute à tant d’autres, ne précipite pas la désintégration de l’UE mais lui permette, au contraire, de progresser. Gaëtan Gorce le rappelle : “si nous tournons le dos à cette situation, nous devrons faire face aux problèmes chez nous.” n
THE MIGRATION CRISIS: WHAT DO THE CITIZENS THINK? A year into the migration crisis, the 2011-2016 Global @visor Immigration Tracker study, carried out by public opinion research specialists Ipsos in 22 countries, including 10 European states - between 24 June and 8 July 2016, shed light on the growing tension in public opinion to the phenomenon.
© European Union 2016 - Source : EP / Yasin Akgul
Pauline Pouzankov
For 87% of the French people interviewed, the number of immigrants has grown in the past five years; 57% think there are too many in their country and only 11% think immigration has a positive impact. This sentiment is shared on the European and global level as 78% of all interviewees believe there are more and more immigrants in their country. According to Brice Teinturier, Ipsos Director General for France, these figures highlight the gap between reality and the perception of immigration in public opinion. In the current context, marked by the threat of terrorism, the issue of refugees is particularly sensitive. Thus, 61% of those interviewed think that terrorists mix with refugees in order to enter their country; 51% think that most people who present as political refugees are not really political refugees, but are driven by other reasons, particularly economic ones; and 45% believe that they will not integrate in their host country. For 38% of interviewees, the borders should be shut to refugees. Furthermore, the French are the most intransigent on the subject: 67% of them believe that terrorists mix with migrants. There is, therefore, growing distrust in most European countries, but also on the global scale. Labour market competition, pressure on public services, and weakening of national identity are all themes which make the question of migrants delicate.
Pour le sénateur Legendre, la question migratoire est un “problème appelé à durer”, ne serait-ce qu’en raison de l’explosion démographique que connait actuellement l’Afrique. For Senator Legendre, the migration issue is a “problem which is likely to last”, not least because of the demographic explosion which Africa is currently facing.
Justine Hagard
LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 23
ANALYSE
La crise migratoire mine l’Europe L’InSuFFISAncE DE vOLOnté POLItIquE Et LES DIvERgEncES EntRE étAtS EMPêcHEnt L’unIOn EuROPéEnnE DE RéPOnDREAvEc EFFIcAcItéAu DéFI POSé PAR L’AFFLux DE RéFugIéS. un véRItABLE POISOn, vOIRE un cAncER POuR LES InStItutIOnS cOMMunAutAIRES.
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etite histoire édifiante. Le 20 septembre, deux policiers belges ont été arrêtés par les autorités françaises à Nieppe, petite commune du Nord proche d’Armentières. En vertu du rétablissement du contrôle aux frontières des pays membres de ce que l’on qualifie encore “d’espace Shengen”, les agents des forces de l’ordre du royaume de Belgique procédaient à la “reconduite” d’une dizaine de migrants. Malheureusement, leur véhicule s’est fourvoyé d’une cinquantaine de mètres en territoire français. Cela leur a valu l’interpellation peu courtoise de leurs collègues français et quatre heures de garde à vue sans avocat. L’ambassadeur de Belgique en France a été convoqué chez le ministre de l’Intérieur français. Les Belges, prenant fort mal la plaisanterie, ont parlé alors d’incident diplomatique, pas tout à fait à tort. L’anecdote, car il faut espérer que cela en restera une, illustre deux choses. D’une part, que les flots de migrants rendent tout le monde nerveux. D’autre part, que le rêve d’une gestion raisonnable, intelligente et concertée du problème par les partenaires de l’Union est sans doute une chimère… L’Europe est souvent présentée comme un marteau sans maître. Contrairement à ce que répètent ses détracteurs permanents, y compris au sein du Parlement de l’Union, elle n’est en rien un outil indépendant des États. Une preuve de cette réalité est donnée par la crise des migrants, mais on pourrait en trouver d’autres dans tous les do-
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t’s an enlightening tale. On 20 September, two Belgian police officers were arrested by the French authorities in Nieppe, a small commune in the department of Nord, close to Armentières. Following the re-introduction of border checks between countries within the “Schengen Area”, the Belgian officers were in the process of ‘accompanying’ around a dozen migrants to the French border. Unfortunately, they inadvertently drove their vehicle 50 metres into French territory. This led to the officers being detained by their French counterparts and resulted in four hours in custody without legal representation. The Belgian ambassador to France was subsequently summoned by the French Minister of the Interior. The Belgians, unimpressed by the turn of events, thus referred to it as a diplomatic incident, not entirely without reason. The anecdote, and let’s hope it remains just that, illustrates two things. On the one hand, waves of migrants make everyone nervous. On the other, the vision of the problem being rationally, intelligently and jointly managed by the partners in the Union is undoubtedly a pipe dream. Europe is often presented as a hammer without a master. However, contrary to repeated and ongoing criticism, including from within the Parliament of the Union, it is by no means a tool which is independent of State control. The migration crisis is proof of this, but other examples can be found in all areas. After the shock of Brexit, the first summit without the British took place in Bratislava lll
© European Union 2015
The migration crisis undermining Europe A LACK OF POLITICAL WILL AND DIFFERENCES OF OPINION BETWEENSTATESISPREVENTINGTHEEUROPEANUNIONFROM RESPONDING EFFECTIVELY TO THE CHALLENGE POSED BY THE INFLUX OF REFUGEES. IT IS A POISONOUS AND POTENTIALLY CANCEROUS ISSUE FOR THE COMMUNITY INSTITUTIONS.
Une tendance lourde : le populisme anti-migrants Après une sanction sévère provoquée dans son fief du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale par un nouveau parti antimigrants, l’AfD, la chancelière Angela Merkel a essuyé un nouveau revers le
lll in mid-September and was very disappointing. The split continues to increase between rich and poor countries, the proponents of austerity and those of flexibility, resolute liberals and Keynesian social democrats. It’s perhaps not long until the leaders of the continent will have only one objective in common: agreeing on the right to act separately... In other words, the opposite of that which has taken place over the past six decades under the philosophy of European construction, i.e. working together to manage what no country could do alone. As the conflict between Shiite Iran and the Sunni oil-monarchies, not to mention the appalling Syrian imbroglio, triggers the displacement of millions of people, Europe – it is often said – is far from being a feared and adjudicating superpower.
A downward trend: anti-migrant populism After a severe punishing in her stronghold of Mecklenburg-West Pomerania, triggered by a new anti-immigrant party, Chancellor Angela Merkel suffered a new setback on 18 September in Berlin, a traditionally open and pluralist city, where the protest movement included elected politicians from the local town halls. The coalition management system, which is very popular in Germany, has thus changed in the capital. Although it is not yet known whether she will stand for lll
ANALYSIS
maines. Après le choc du Brexit, le sommet de Bratislava de la miseptembre, premier rendez-vous sans les Britanniques, a été très décevant. La fracture augmente entre pays riches et pauvres, tenants de l’austérité et partisans de la souplesse, libéraux résolus et sociaux-démocrates keynésiens. Le temps n’est peut-être plus loin où les dirigeants du continent n’auront plus qu’un seul objectif en commun : s’entendre pour obtenir le droit d’agir séparément… Autrement dit, le contraire de ce qui était la philosophie de la construction européenne depuis six décennies, à savoir s’associer à plusieurs pour réaliser ce qu’un pays ne pouvait pas faire tout seul. À l’heure où l’affrontement entre l’Iran chiite et les pétro-monarchies sunnites provoque, via l’épouvantable imbroglio syrien, le déplacement de millions de personnes, l’Europe – c’est un lieu commun de le constater – est loin de constituer une super puissance arbitrale et redoutée.
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ANALYSE
18 septembre à Berlin, ville de tradition ouverte et pluraliste, où le mouvement protestataire comptera désormais des représentants élus dans les mairies d’arrondissement. Le système des coalitions de gestion, très prisé en Allemagne, s’en trouve d’ailleurs modifié dans la capitale. Bien que l’on ne sache pas encore si elle sera candidate à un quatrième mandat l’an prochain, Angela Merkel affronte aussi de très mauvais sondages. Selon une étude d’opinion de la télévision publique, 82 % des Allemands ne seraient pas d’accord avec la façon dont la chancelière a géré la question des migrants. Elle a du esquisser une véritable auto-critique, en confiant en substance que son gouvernement avait été mal préparé à la crise des migrants et qu’elle avait utilisé des expressions trop optimistes, du style “nous y arriverons”, à propos de l‘accueil de près de 450 000 réfugiés. A tort ou à raison, il a été dit qu’Angela Merkel “incarnait l’Europe” en raison de sa position à la tête du pays le plus puissant du continent. Ses déboires en politique intérieure à propos de la question des migrants seront donc analysés bien au-delà des frontières de l’Allemagne. Mais aucun dirigeant européen n’a eu besoin de “l’exemple Merkel” pour comprendre que la question des réfugiés était ultra-sensible parce qu’elle aggrave la problématique “immigration” pesant déjà sur le débat politique. L’impression que tout est lié, cependant, est en train de prévaloir. Comment parler sereinement de finances, de relance après Brexit et de fiscalité lorsque le ciel est plombé par les angoisses et les soucis liés à l’accueil des migrants ? Le prix Nobel d’économie John Stiglitz, qui n’a jamais été un “europhobe” borné, remarquait récemment que la monnaie unique ne pourra fonctionner longtemps encore sans des réformes majeures, notamment par la création de “clubs de pays” à économie comparable, ce qui a toujours été contraire aux positions allemandes. Une Angela Merkel fragilisée aura peu de chances de pouvoir modifier les choses, ce qui suscitera encore des incertitudes et donc des facteurs de crise potentielle. Et ce ne seront sans doute pas les dirigeants français, aux prises avec une campagne présidentielle transformant le pays en chaudron effervescent, qui pourront venir à la rescousse. Il est d’ores et déjà clair qu’ils ne disposeront ni du temps ni de l’énergie nécéssaires pour des engagements structurels à long terme sur le théâtre européen.
tings. According to an opinion poll of TV viewers, 82% of Germans do not agree with the way in which the Chancellor has dealt with the migration issue. She has had to ask herself some searching questions, recognising that her government was essentially poorly prepared for the migration crisis and that she had used overly-optimistic expressions such as “we’ll get there” about welcoming some 450,000 refugees.
All the “Touquet” type agreements (between France and the UK regarding the situation in Calais), were undermined by reality. Rightly or wrongly, it has been said that Angela Merkel ‘personifies’ Europe, due to her position as the head of the most powerful country in the continent. Her streak of bad luck with domestic migration policies will thus be analysed well beyond the German borders. But no European leader needs the ‘Merkel example’ to understand the ultra-sensitive nature of the refugee issue, because it aggravates the ‘immigration’ problem which already weighed heavily on the political agenda. The impression that everything is connected is, however, starting to emerge. How can there be calm talk about finances, revival after Brexit and taxation when the skies are gloomy with anxiety and concerns about the reception of migrants? Nobel Prize-winner for Economic Sciences, John Stiglitz, never a narrowminded Europhobe, recently said that the single currency could not last much longer without major reform, particularly through the creation of a “club of countries” with similar economies, which has always been contrary to the German position. A weakened Angela Merkel will have few opportunities to change things, which will lead to greater uncertainties and thus a potential crisis. And, undoubtedly, it will not be the French leaders, facing a Presidential campaign which is transforming the country into a bubbling cauldron, who will come to the rescue. It is already clear that they have neither the time nor the energy required for long-term structural commitments on the European stage. In the absence of a “global board” to handle the issue of migration in the way that is (just) starting to develop for the environment, lll
© European Union 2016
Faute d’un “directoire de la planète”, qui gèrerait la question des migrations comme on commence – à peine – à le faire pour l’environnement dans le cadre des COP21 et 22, l’Europe reste l’échelon pertinent pour mettre de l’ordre dans un dossier fortement perturbé
lll a fourth term next year, Angela Merkel is facing very poor ra-
A cause des conflits à la périphérie de l’ensemble communautaire et des disparités économiques en Europe, la pression migratoire ne va pas cesser. Due to conflicts on the periphery of the community and economic disparities, migration pressures will not let up.
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Tous les accords de type “Le Touquet” (entre la France et le Royaume-Uni à propos de la situation à Calais) ont été battus en brèche par la réalité. Ils doivent donc être renégociés. Quant au renforcement des frontières extérieures dans le cadre du dispositif Frontex, il a été inopérant – malgré l’argent dépensé – et justifie la reprise en main des contrôles par les États. Il est bien évident aussi que l’Europe doit s’impliquer beaucoup plus en politique étrangère en vue de la résolution des crises au lieu de laisser agir chaque État en vertu de ses alliances anciennes ou futures. Comme toujours, un calcul simple permettrait de faire valoir qu’une implication plus résolue de l’ensemble européen dans le développement des pays ravagés et la maîtrise de la démographie coûterait beaucoup moins cher que l’improvisation dans l’accueil, l’asile ou la reconduite de réfugiés précipités sur des routes dangereuses et illégales par la guerre et la perspective de la misère. L’exportation du terrorisme djihadiste impose de plus un effort policier supplémentaire en matière de fichage et de réalisation des documents administratifs. C’est tout le paradoxe de ce dossier : alors qu’il est très difficile à gérer politiquement, puisque les citoyens des pays occidentaux considèrent que le chômage et la précarité qui sévissent chez eux interdit tout véritable effort, la masse des migrants ne peut se résorber par miracle. Comment, dès lors, concilier l’effort financier de toute façon consenti et les règles élémentaires de l’humanité tout en essayant de freiner un flux qui semble ne pas s’interrompre ? Il y a là un défi prométhéen pour une véritable gouvernance européenne. S’il n’est pas relevé, la crise migratoire pourra être le signe clinique d’un véritable cancer dont les métastases n’épargneront même pas les adeptes du “chacun pour soi”. Le 25 mars 2017, on fêtera le soixantième anniversaire du traité de Rome, acte fondateur de la construction européenne. Si l’on veut que les citoyens continuent de croire encore un petit peu à la marche de cette histoire, il faudra démontrer en quoi elle aura été utile… n
François Domec
Les membres du Parlement européen visitent un camp de migrants en Grèce. Members of the European Parliament visit a migrant camp in Greece.
lll against the backdrop of COP21 and 22, Europe remains the relevant stage for addressing this issue which is highly influenced by national interests. Due to conflicts on the periphery of the community and economic disparities, migration pressures will not let up. The very exhaustive report by French Senators Jacques Legendre (Republican Party, Nord) and Gaëtan Gorce (Socialist and Republican, Nièvre) focuses on the need for a European political will. The politicians underline the scandal of the clandestine economy generated by traffickers who reap between three and six billion euros per year entirely illegally by exploiting desperate, uprooted people. These same people also pay a heavy price in terms of human life, with more than 3,770 deaths in 2015 and 3,034 in the first six months of 2016. The authors also highlight the lack of coordination between bodies dealing with asylum law in the various host countries. The parliamentarians’ work also focuses on the error of dealing with things in an emergency, which is both costly and unfitting for developed countries which have long had alarm mechanisms and statistical indicators in place.
All the “Touquet” type agreements (between France and the UK regarding the situation in Calais), were undermined by reality. They need to be renegotiated. As for strengthening external borders as part of the Frontex mechanisms, this has been ineffective – despite the money spent on it – and justifies States taking back control over border checks. It is very clear that Europe needs to be much more involved in foreign policy with a view to resolving crises instead of letting each State act according to their former or future alliances. As always, a simple calculation would lead to more a resolute role for Europe as a whole in terms of developing countries which have been destroyed. Demographic control would cost much less than improvising the reception, asylum or expulsion of refugees forced into dangerous and illicit migration through war and the prospect of misery. As Jihadi terrorism is exported, there is a need for additional police action in terms of recording and creating administrative documents. This is the paradox of this political hot potato: while the citizens of Western countries consider that the unemployment and precariousness taking hold in their countries rules out any real effort, the mass of migrants cannot be miraculously re-absorbed. How, at this point, can the financial effort which has been agreed upon be reconciled with the basic rules of humanity while trying to slow down a flow which shows no signs of letting up? Herein lies a Promethean challenge for true European governance. If the challenge is not accepted, the migration crisis could be the clinical sign of a real cancer whose metastasis would spare not even supporters of “every man for himself”. On 25 March 2017, we will celebrate the sixtieth anniversary of the Treaty of Rome, the founding act of Europe. If we want citizens to continue to believe in this story a little longer, it is essential to show how useful it has been... n
ANALYSIS
Comment concilier l’effort financier de toute façon consenti et les règles élémentaires de l’humanité tout en essayant de freiner un flux qui semble ne pas s’interrompre ?
© European Union 2016 - Source : EP / Sakis Mitrolidis
par les intérêts nationaux. À cause des conflits à la périphérie de l’ensemble communautaire et des disparités économiques, la pression migratoire ne va pas cesser. Le très exhaustif rapport des sénateurs français Jacques Legendre (Les Républicains-Nord) et Gaêtan Gorce ( Socialiste et Républicain, Nièvre) met l’accent sur la nécessité d’une volonté politique européenne. Les élus soulignent le scandale de l’économie clandestine générée par les passeurs qui engrangent trois à six milliards d’euros par an en toute illégalité par l’exploitation des malheureux déracinés, lesquels payent par ailleurs un lourd tribut en vies humaines (plus de 3770 morts en 2015 et 3034 pour les six premiers mois de 2016). Le manque de coordination des organismes traitant du droit d’asile dans les différents pays d’accueil est également pointé du doigt. Le travail des parlementaires insiste beaucoup sur l’erreur consistant à tout gérer dans l’urgence, ce qui est à la fois coûteux et indigne de pays développés disposant de longue date de signaux d’alarme et d’indicateurs statistiques.
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M A P P ’ E U R O P E 28 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
IMpôt à La sourcE : à cHaquE
TAXATION AT SOURCE: A FORMAT FOR EACH COUNTRY
Opération vide-poche. Si presque l’ensemble des pays européens ont mis en place un dispositif de prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, chaque État possède ses propres moyens de le faire. La France s’y convertira à son tour au 1er janvier 2018.
A tidy-up operation. Although almost all European countries have now established a system for taxing income at source, they all have different ways of doing so. France will convert to the system on 1 January 2018.
pays sa ForMuLE ALLEMAGNE / GERMANY Le prélèvement à la source remonte à l’époque de la Prusse orientale en 1808, avant que la Bavière ne suive ce modèle en 1814, qui s’étendra dès 1920 à l’ensemble du pays. Les employeurs doivent désormais prélever directement l’impôt sur le salaire de leurs employés pour le reverser aux administrations fiscales des Länder, et ce à partir de 8130 € de revenus annuels. Côté indépendant, la déclaration se fait sur l’activité de l’année précédente, et ce tous les trois mois.
Taxation at source dates back to Western Prussia in 1808, before Bavaria followed the model in 1814 and it was extended to the entire country in 1920. Employers have to deduct income tax at source from their employees’ salaries and pay it to the tax authorities of the Länder, on annual revenue over €8130. For self-employed workers, declarations are made on the basis of the previous year, every three months.
ROYAUME-UNI / UNITED KINGDOM
BELGIQUE / BELGIUM
Chacun pour sa pomme. Au Royaume-Uni, les Britanniques sont taxés individuellement qu’ils soient en couple ou pas, les impôts étant déduits directement des salaires : le nombre d’enfants à charge ne change en rien la donne. Tout revenu supplémentaire (comme un revenu locatif) doit également être déclaré par les contribuables.
En Belgique, le système est plus complexe : il combine le prélèvement à la source et le “précompte professionnel” calculé sur l’année antérieure en fonction de la situation familiale du salarié. Autrement dit, le contribuable déclare ses revenus et l’employeur prélève ensuite ce qu’il doit déduire du salaire. Inversement, les libéraux déclarent leurs revenus tous les trois mois par anticipation.
Every one for themselves. In the UK, citizens are taxed individually regardless of whether they are in a couple and taxes are deducted directly from their salaries. The number of dependent children is not taken into account. Any additional income (such as rental income) must also be declared by tax payers.
The system is more complex in Belgium. It combines deductions at source and a “professional deduction” calculated on the basis of the previous year depending on the employee’s family situation. In other words, the tax payer declares his or her income and the employer then deducts the necessary amount from the salary. Inversely, self-employed workers declare their income every three months in advance.
ESPAGNE / SPAIN
ITALIE / ITALY
Si l’impôt est prélevé directement à la source par l’employeur chaque mois, le contribuable déclare tout de même ses revenus l’année suivante, ce qui donne parfois lieu à une régularisation. Autre spécificité : le salarié doit communiquer à son patron des informations sur sa vie privée, comme le nombre d’enfants ou l’hypothèque. Les indépendants paient quant à eux leurs impôts tous les trimestres.
Les choses se corsent aussi du coté italien. Si la notion de foyer n’existe pas plus dans “la botte” qu’au Royaume-Uni, plusieurs déductions sont accordées en Italie en fonction du nombre d’enfants à la charge du parent. Prélevé chaque mois sur les salaires, l’impôt doit ensuite être déduit de l’impôt final déclaré individuellement par chaque citoyen quelque soit sa situation familiale. Plus dur à démêler qu’un plat de spaghettis.
Although employers deduct tax at source every month, taxpayers still make a declaration the following year, which sometimes gives rise to an adjustment. Another particularity is that employees must communicate to their bosses information on their private life, such as number of children or mortgage information. Self-employed workers pay their taxes every quarter.
Things are also complicated in Italy. Although the concept of a ‘household’ doesn’t exist anymore in Italy than it does in the UK, several deductions are granted in Italy depending on the number of dependent children parents have. Deducted from salaries every month, the tax must then be deducted from the final tax declared individually for every citizen regardless of their family situation. It’s harder to untangle than a plate of spaghetti.
SUISSE / SWITZERLAND Même s’il ne s’agit pas d’un État membre de l’Union Européenne en tant que tel, la Suisse est la seule avec la France à ne pas avoir sauté le pas pour prélever l’impôt à la source. À moitié, car les citoyens suisses ont beau payer leurs impôts en fin d’année, les étrangers résidant et n’ayant pas le permis C sont retenus directement sur leur salaire mensuel par leur employeur, qui reverse ensuite ce montant à l’administration fiscale suisse.
Although it is not a member of the European Union as such, Switzerland is the only country, alongside France, not to have taken the step to introduce taxation at source. Or rather, it is a halfway house, because Swiss citizens pay their taxes at the end of the year while foreign residents without a Permit C have their taxes withheld from their monthly salary by their employer, who then pays it to the Swiss tax authorities. LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 29
© Nogues /JBV NEWS
C H RO N O L O G I E
Les dirigeants du G20 se sont réunis à Hangzhou en Chine pour une concertation internationale. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ont tenus une conférence de presse afin de représenter l’Union européenne et d’exposer les questions prioritaires. Ont été évoqués notamment le rôle du G20 dans la crise des réfugiés, la transparence fiscale, la lutte contre le financement du terrorisme, l’ouverture des échanges et investissements et la mise en œuvre du programme de développement durable et de l’accord de Paris sur le climat.
The G20 leaders met in Hangzhou in China for international discussions. Donald Tusk, President of the European Council, and JeanClaude Juncker, President of the European Commission, held a press conference to represent the European Union and set out the pressing issues. In particular, they mentioned the role of the G20 in the refugee crisis, fiscal transparency, the fight against terrorism funding, opening up dialogue and investment, and implementing the sustainable development programme and the Paris Climate Change Agreement.
9 September: the Pyonyang regime begins its fifth nuclear test, the most powerful to date.
2016. La réaction de la présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, ne s’est pas faite attendre puisque cette dernière a dénoncé le mépris par la Corée du Nord totalitaire des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et de la communauté internationale. En réponse à cette provocation, les États-Unis ont envoyé deux bombardiers supersoniques B-1 pour survoler la Corée du Sud. L’opération vise à décourager Kim Jong-un de poursuivre ses démarches nucléaires.
The Pyongyang regime performed its fifth nuclear test, the most powerful to date, following those in 2006, 2009, 2013 and January 2016. It did not take long for the South Korean President, Park Geunhye, to react, denouncing totalitarian North Korea’s contempt for the UN Security Council resolutions and the international community. In response to this provocation, the United States sent two B-1 supersonic bombers to fly over South Korea. The operation aims to discourage Kim Jong-un from continuing his nuclear manoeuvres. © European Union - Source : EP / Mario Salerno
4 & 5 septembre / 4 & 5 September
9 septembre : le régime de Pyongyang procède à son cinquième essai nucléaire, le plus puissant à ce jour.
9 septembre / 9 September Le régime de Pyongyang a procédé à son cinquième essai nucléaire, le plus puissant à ce jour, après ceux de 2006, 2009, 2013 et janvier 30 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
16 septembre : les chefs d’État des 27 pays de l’Union européenne se retrouvent au sommet européen à Bratislava. 16 September: the heads of State of the 27 countries of the European Union meet at the European summit in Bratislava.
TIMELINE
Les chefs d’État des 27 pays de l’Union européenne se sont retrouvés à Bratislava dans le cadre d’un sommet européen. Cette réunion se donnait pour objectif de trouver des solutions en vue de redynamiser l’Europe, affaiblie par la crise migratoire, le Brexit et la menace terroriste. Les dirigeants ont notamment discuté des moyens à déployer pour relancer la défense européenne et se sont accordés sur l’importance du contrôle des frontières extérieures. Les grandes décisions sont renvoyées au sommet de Rome prévu en mars 2017.
Vladimir Putin’s party, United Russia, won Russia’s legislative elections with 54.3% of the vote, an absolute majority. With United Russia now holding more than two-thirds of the seats in the Duma, the lower chamber of Parliament, the Kremlin’s powers have been extended a little further, making it easier for it to adopt constitutional reforms. These elections, which are very important for Putin, represent the last national consultation prior to the Presidential elections in 2018. However, the low participation rate suggests that Russians are disenchanted with the process and knew the outcome of the vote in advance. © Vernier/JBV NEWS
16 septembre / 16 September
The heads of state of the 27 European Union countries met in Bratislava as part of a European summit. The meeting aimed to find solutions with a view to reviving Europe, which has been weakened by the migration crisis, Brexit and the threat of terrorism. In particular, the leaders discussed the ways of revitalising European defence and agreed on the importance of controlling the external borders. The major decisions will be taken at the Rome summit scheduled for March 2017.
17 septembre / 17 September Un mineur a été euthanasié pour la première fois en Belgique, comme l’a confirmé le président de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie au quotidien néerlandophone Het Nieuwsblad. C’est le premier cas recensé depuis l’adoption, en 2014, de la loi étendant le droit à l’euthanasie aux mineurs. Le texte précise que le jeune doit se trouver dans “une situation médicale sans issue, entrainant le décès à brève échéance”, que sa souffrance doit être constatée “constante et insupportable” et qu’il doit être en “capacité de discernement”.
A minor was euthanised for the first time in Belgium, the President of the Federal Control and Evaluation Committee on Euthanasia confirmed to the Dutch-language daily newspaper Het Nieuwsblad. This is the first recorded case since 2014, when the law extending the right to euthanasia to minors was adopted. The text specifies that the young person must be in a “terminal medical situation... leading to death in the short term”, that their pain must be “constant and unbearable” and that they must be capable of making rational decisions.
18 septembre : le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, remporte les élections législatives avec 54,3% des voix. 18 September: Vladimir Putin’s party, United Russia, wins the legislative elections with 54.3% of the vote.
18 septembre / 18 September
2 octobre / 2 October
Le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, a remporté les élections législatives en Russie avec 54,3% des voix, soit la majorité absolue. Avec plus des deux tiers des sièges de la Douma, la chambre basse du Parlement, aux mains de Russie Unie, le Kremlin a étendu encore un peu plus son pouvoir et devrait être en mesure de faire adopter plus facilement des révisions constitutionnelles. Ces élections, très importantes pour Poutine, représentaient la dernière consultation nationale avant la présidentielle de 2018. Cependant, le faible taux de participation laisse penser que les Russes, désenchantés, connaissaient à l’avance l’issue du vote.
Le référendum “anti-migrants” du premier ministre hongrois Viktor Oban tombe à l’eau, invalidé faute de participation suffisante. Si près de 98,32% de votants ont rejeté le projet de relocalisation des réfugiés au sein de l’Union européenne, ils n’ont pas été assez nombreux à aller voter : moins de 45% des citoyens se sont déplacés pour s’exprimer. Dans les colonnes du Monde, l’historien Paul Gradvohl explique que “ce référendum constitue un grave échec pour Viktor Orban (…). Une grande partie des électeurs du Fidesz (parti de droite présidé par M. Orban) ne sont pas allés voter. Ce sont, en grande majorité, les électeurs d’extrême droite qui se sont déplaLE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 31
© European Union 2015 - Source : EP / Stéphanie Lecoq
C H RO N O L O G I E It is known as “Black Monday”. Thousands of Polish citizens went out in the streets to protest against a proposed citizens’ initiative to completely ban the voluntary termination of pregnancy. While some took a day off work to join in the protest, others went to work or university dressed in black... and social networks played a key role in providing media coverage of the event. An unprecedented gathering in a country where protesting does not really form part of national tradition. It should be noted that, currently, Polish law only permits the voluntary termination of pregnancy in three cases: rape or incest, proven risks to the life or health of the pregnant woman and serious pathologies observed in the embryo. A few days later, the Parliamentary Commission rejected the complete ban.
4 octobre / 4 October Un pas de plus pour l’entrée en vigueur du texte de lutte contre le réchauffement climatique. Après les États-Unis, la Chine et l’Inde, le Parlement européen approuve majoritairement (610 voix pour, 40 contre) la ratification de l’accord de Paris. “Vous avez maintenant une opportunité de faire l’histoire en aidant à mener le monde vers un meilleur futur ” a affirmé l’ancien secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, dans un discours destiné aux députés européens juste avant le vote à Strasbourg. La présidente française de la COP21, Ségolène Royal, a quant à elle affirmé : “c’est un moment historique très fort ”.
2 octobre : le référendum “anti-migrants” du premier ministre hongrois Viktor Oban tombe à l’eau, invalidé faute de participation suffisante. 2 October: the “anti-migrant” referendum by Hungarian Prime Minister Viktor Oban falls through and is invalidated due to insufficient participation.
cés.” Après avoir dépensé 15 milliards de forints (soit 48,7 millions d’euros) en frais de campagne, le premier ministre compte quand même exploiter ce résultat pour peser sur les institutions européennes.
3 octobre / 3 October C’est ce qui s’appelle un “lundi noir”. Des milliers de Polonaises descendent dans la rue pour protester contre une proposition d’initiative citoyenne d’interdiction totale de l’interruption volontaire de grossesse. Si certaines ont pris un jour de congé pour se joindre à la mobilisation, d’autres ont préféré se rendre au travail ou à l’université vêtues de noir… sans oublier le rôle clé que les réseaux sociaux ont joué dans la médiatisation de l’affaire. Un rassemblement sans précédent dans un pays où la manifestation ne fait pas vraiment partie des traditions nationales. A savoir que la loi polonaise n’autorise actuellement l’IVG que dans trois cas : viol ou inceste, risques avérés pour la vie ou la santé de la femme enceinte et pathologies graves constatées chez l’embryon. Quelques jours plus tard, la Commission parlementaire rejette l’interdiction totale. 32 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
A step closer to the entry into force of the text to combat global warming. After the United States, China and India, the majority of the European Parliament (610 votes for, 40 against) voted for ratification of the Paris Agreement. ‘You now have an opportunity to make history by helping to lead the world to a better future’ said the Secretary-General of the United Nations, Ban Ki-moon, in a speech addressed to European Members of Parliament just before the vote in Strasbourg. Meanwhile, the French President of COP21, Ségolène Royal, said: “this is a crucial moment in history”.
© European Union 2016 - Source : EP / Michel Christen
The “anti-migrant” referendum by the Hungarian Prime Minister, Viktor Oban falls through and is invalidated due to insufficient participation. Although nearly 98.32% of the voters rejected the plan to resettle refugees within the European Union, not enough of them voted: more than 45% of the electorate did not turn out to vote. In a column in Le Monde, the historian Paul Gradvohl explains that “this referendum is a major failure for Viktor Orban (…). A large majority of Fidesz supporters (the right-wing party led by Mr. Orban) did not vote. The vast majority of voters who turned out were from the far right.”However, having spent 15 billion forints (approximately 48.7 million euros) on campaigning, the Prime Minister hopes to use this result to put the European institutions under pressure.
4 octobre : l’Union européenne donne son feu vert à la ratification de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique. 4 October: the European Union gives the green light to ratification of the Paris Agreement.
© European Union 2016 - Source : EP / Christian Creutz
TIMELINE frontière entre la Bulgarie et la Turquie, principale porte d’entrée terrestre des migrants sur le continent européen. En juin dernier, le président de la Commission européenne Jean-CLaude Juncker avait affirmé que ce corps “sera capable d’identifier les points faibles, de les corriger à l’avance et pas lorsqu’il est trop tard”. L’occasion pour l’UE de montrer une image d’unité face à la gestion de l’afflux massif de réfugiés.
A year into the migration crisis, a new European border control body enters into force. Its inauguration took place on the border between Bulgaria and Turkey, the main land point of entry for migrants to the European continent. In June, the President of the European Commission, Jean-Claude Juncker confirmed that the body “will be able to identify and intervene to address weaknesses in advance, and not when it’s too late”. An opportunity for the EU to show a united front to address the issue of the massive flow of refugees.
Du 3 au 13 octobre / From 3 to 13 October 4 octobre / 4 October
4 octobre : Diane James, la présidente du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni, démissionne. 4 October: Diane James, leader of the UK Independence Party (UKIP), resigns.
18 jours seulement après avoir succédé à Nigel Farage, la présidente du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip), Diane James, démissionne. “Il est devenu clair que je n’ai pas l’autorité suffisante, ni le soutien complet de tous mes collègues du Parlement européen et des responsables du Parti pour mettre en oeuvre les changements que je pense nécessaires et sur lesquels j’avais fait campagne ” a-t-elle déclaré. Une semaine avant cette décision, James avait du essuyer un crachat alors qu’elle embarquait pour un train en gare de Londres-Waterloo, une mésaventure qui l’avait fortement froissée d’après les médias britanniques. Le parti Ukip doit quant à lui redéfinir un programme politique maintenant que le Brexit a été acté.
Just 18 days after succeeding Nigel Farage as leader of the UK Independence Party (UKIP), Diane James, resigned. “It has become clear that I do not have sufficient authority, nor to the support of all my MEP colleagues and party officers to implement changes I believe necessary and upon which I based my campaign”, she said. One week before her decision, James was spat at when boarding a train at London Waterloo, an event which she found particularly unsettling, according to the British media. UKIP now has to redefine its political programme now that the Brexit vote has been passed.
6 octobre / 6 October Après un an de crise migratoire, un nouveau corps européen de gardes-frontières entre en service. Son inauguration a eu lieu à la
Les prix Nobel, qui récompensent des personnes “ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité”, ont été décernés à Stockholm, en Suède. Le prix de médecine a été remis au biologiste japonais Yoshinori Ohsumi pour ses recherches sur l’autophagie. Celui de physique a été attribué aux britanniques David Thouless, F. Duncan Haldane et J. Michael Kosterlitz pour leurs recherches sur la matière. Celui de chimie est revenu au français Jean-Pierre Sauvage, au britannique J. Fraser Stoddart et au néerlandais Bernard L. Feringa pour la conception et la synthèse de machines moléculaires. Le président colombien Juan Manuel Santos a reçu le prix de la paix pour l’accord signé avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), bien qu’il ait été rejeté de justesse par le peuple. L’américano-britannique Oliver Hartz et le finlandais Bengt Holmström se sont vus remettre le prix d’économie “pour leurs contributions à la théorie du contrat”. Enfin, le chanteur Bob Dylan a été récompensé du prix de littérature “pour avoir créé de nouveaux modes d’expression poétique dans le cadre de la tradition de la musique américaine”.
The Nobel Prizes, endowed to those who have “conferred the greatest benefit to mankind” were awarded in Stockholm, Sweden. The Prize for Medicine was awarded to the Japanese biologist Yoshinori Ohsumi for his research on autophagy. The Prize for Physics was awarded to British scientists David Thouless, F. Duncan Haldane and J. Michael Kosterlitz for their physics research. The Prize for Chemistry was awarded to the French chemist Jean-Pierre Sauvage, British chemist J. Fraser Stoddart and Dutch chemist Bernard L. Feringa for the design and synthesis of molecular machines. The Colombian President Juan Manuel Santos received the Nobel Prize for Peace for the agreement signed with the Revolutionary Armed Forces of Colombia (FARC), despite the fact that it was narrowly rejected by the people. The American-British economist Oliver Hartz and the Finish economist Bengt Holmström won the Prize in Economic Sciences for “their contributions to contract theory”. Finally, the singer Bob Dylan was awarded the Nobel Prize for Literature “for having created new poetic expressions within the great American song tradition” n Justine Hagard et Pauline Pouzankov LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 33
DOSSIER | L’Europe post cop21 HaKIMa EL HaItÉ : “La crÉDIBILItÉ DE L’accorD DE parIs coMMEncE à MarraKEcH” HAKIMA EL HAITÉ: “THE CREDIBILITY OF THE PARIS AGREEMENT STARTS IN MARRAKECH”
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L’ÉoLIEn a LE vEnt En poupE WIND-POWER IS FLYING HIGH
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“unE nouvELLE èrE DE L’ÉnErgIE” Un entretien avec Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables “A NEW ENERGY ERA” Interview with Jean-Louis Bal, president of the Syndicat des Energies Renouvelables
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proFIL / nIcoLas HuLot : L’ÉcoLo-coMpatIBLE PROFILE/ NICOLAS HULOT: THE ENVIRONMENTALIST
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DavID corManD : “La cop21 a MontrÉ quE LEs ÉcoLogIstEs ÉtaIEnt MaJorItaIrEs sur LEs constats” Un entretien avec David Cormand, secrétaire national d’Europe Ecologie Les Verts DAVID CORMAND: “COP21 SHOWED THE MAJORITY OF ENVIRONMENTALISTS ARE IN AGREEMENT” Interview with David Cormand, national secretary of Europe Ecologie Les Verts
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patrIcK BErnasconI : “La DIMEnsIon EnvIronnEMEntaLE nE DoIt pas êtrE vÉcuE coMME unE contraIntE” 52 Un entretien avec Patrick Bernasconi, président du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) PATRICK BERNASCONI: “THE ENVIRONMENTAL DIMENSION MUSTN’T BE SEEN AS A CONSTRAINT” Interview with Patrick Bernasconi, president of France’s Economic, Social and Environmental Council L’ÉcotourIsME En outrE-MEr : unE nouvELLE DonnE ECOTOURISM AND FRENCH OVERSEAS DEPARTMENTS: A NEW DEAL
“un ocÉan proprE Est La conDItIon MêME DE notrE actIvItÉ” Un entretien avec Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du cluster maritime français “A CLEAN OCEAN IS A PRECONDITION FOR OUR WORK” Interview with Frédéric Moncany de Saint-Aignan, president of the Cluster Maritime Français
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SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
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DOSSIER | L’Europe post cop21
HaKIMa EL HaItÉ : “La crÉDIBILItÉ DE L’accorD DE parIs coMMEncE à MarraKEcH”
Auditionnée par la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat le 29 septembre dernier, la ministre de l’Environnement marocaine, nommée “Championne du climat”, s’est montrée de bon augure avant la COP22.
“A
près Paris, ce sera dur. ” Bien consciente qu’il sera “difficile de renouveler le succès inattendu ” de la COP21, Hakima El Haité ne cache pas pour autant son impatience d’accueillir la prochaine conférence mondiale sur le climat à Marrakech. Et pour cause : les pays d’Afrique attendent beaucoup de la présidence marocaine et particulièrement sur la question des financements, qui vise la mobilisation de 100 milliards de dollars pour 2020.
“The COP22 will create the COP of action.” “Historic”, “human”, “inclusive”: although the Moroccan minister sees the Paris agreement as much more than an environmental pact, she stresses that its credibility will begin in Marrakech. Although ratification should take no more than a few weeks, Hakima El Haité confirms that “the COP22 will create the COP of action”. “I sense a great impetus from the private sector and non-governmental stakeholders and would like to feel the same thing from the world’s leaders” said the Special Envoy, recalling once again the importance lll
© European Union 2015 - Source : EP / Javier Bernal Revert
“Historique ”, “humain ”, “inclusif ” : si la ministre voit en l’accord de Paris bien plus qu’un pacte environnemental, elle ne manque pas de souligner que sa crédibilité commencera à Marrakech. Alors que la ratification ne devrait plus être qu’une question de semaines, Hakima El Haité affirme que “la COP22 créera la COP de l’action”.
“P
aris is a hard act to follow”. Although she is aware that it will be “difficult to repeat the unprecedented success” of COP21, Hakima El Haité makes no secret of her impatience to host the next world climate conference in Marrakech. And rightly so: the African country expects great things of the Moroccan presidency and, particularly, the question of funding, which aims to mobilise 100 billion dollars for 2020.
Hakima El Haité voit en l’accord de Paris “une révolution, un signal politique extrêmement important.”
Hakima El Haité sees the Paris Agreement as “a revolution, an extremely important political signal”.
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SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
HAKIMA EL HAITÉ: “THE CREDIBILITY OF THE PARIS AGREEMENT STARTS IN MARRAKECH” “Je ressens un élan extraordinaire de la part du secteur privé et des acteurs non étatiques, j’aimerais ressentir le même de la part des leaders de ce monde ” a déclaré l’envoyée spéciale, revenant ainsi sur l’importance du rôle que les états jouent au niveau des régulations. L’occasion de rappeler que “le changement climatique ne fait pas la différence” entre pays riches et en développement, d’où la nécessité d’intégrer ce facteur dans les réformes avec “des politiques macro au niveau mondial qui viennent renverser le développement ”.
“Nous sommes tous attendus à Marrakech.” Hakim El Haité en est sûre : “nous devons changer de mode de consommation, de production, réorienter les investissements vers le bas carbone et changer la culture de nos concitoyens.” “Nous sommes tous attendus à Marrakech”, a-t-elle ajouté, “car les pays en développement attendent des leaders qu’ils viennent honorer leurs engagements.” La légendaire hospitalité marocaine n’empêche pas, en somme, de plaider pour que les actes suivent les mots n Pauline Pouzankov
Addressing the French Senate’s Committee for Regional and Sustainable Development on 29 September, Morocco’s climate champion believes things bode well ahead of COP22. lll that governments play in terms of regulation. It is an opportunity to recall that “climate change does not differentiate” between rich countries and developing ones, hence the need to incorporate climate change into the reforms with “macro policies on the global level which will address development issues”.
There is one thing of which Hakima El Haité is sure: “We need to change our ways of consuming and producing. We need to redirect investments towards low carbon and change our fellow citizens’ behaviour.” “We are all expected to participate at Marrakech” she insists “because developing countries expect the world’s leaders to come and honour their commitments.” In other words, Morocco’s legendary hospitality will not prevent a demand that words are put into action n
Publi-rédactionnel
Spécialiste de la méthanisation
A l’heure où le marché de la méthanisation est en plein essor, B2S (Biogaz‐Services‐Solutions) agit depuis plusieurs années auprès de constructeurs de renommée internationale. Un entretien avec Emile Favetto, Gérant de B2S
Pouvez-vous nous présenter B2S ? B2S est une PME installée en Rhône Alpes depuis 2014. Ses dirigeants et techniciens interviennent dans le secteur du Biogaz depuis 2005. Nous concevons, commercialisons et mettons en place des unités de méthanisation à partir de 30 kW. Les techniques et matériels employés pour la réalisation des unités sont installés par une équipe de techniciens et ingénieurs d’expérience.
la fermentation de matières organiques en l’absence d’air (anaérobie) sous l’action de bactéries méthanisantes (Archées) que l’on retrouve à l’état naturel (par exemple dans les mares et les étangs). Le biogaz est une énergie renouvelable, issue de la biomasse. Les principaux avantages obtenus par la méthanisation sont de produire de l'énergie électrique et thermique, un amendement organique naturel, et d'abaisser les émissions de gaz à effet de serre. Votre seconde activité est la valorisation du biogaz. En quoi cette technique est innovante ? Le Biogaz obtenu est soit brûlé dans des chaudières pour produire de la chaleur, soit consommé par un moteur thermique ou une turbine entrainant une génératrice pour produire de l’électricité. Il peut également effectuer ces deux tâches dans le cas d’une cogénération. Dans ce cas, on récupère la chaleur du circuit de refroidissement du moteur ou de l’échappement de la Micro Turbine, générant de l’électricité.
L’une de vos activités principales est la méthanisation des déchets agricoles et agro-industriels. Qu’est-ce que la méthanisation et quels sont ses avantages ? La méthanisation consiste à produire du biogaz (effluent gazeux) et un engrais (digestat, effluent liquide). Ce biogaz est obtenu par
Contact : B2S Parc d’activités Annecy La Ravoire - 74370 Metz Tessy Tél : +33 (0)984 07 33 13 - Fax: +33 (9) 972 44 88 28 Mail : infos@biogaz-services.com - www.biogaz-services.com LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 37
DOSSIER | L’Europe post cop21
“unE nouvELLE èrE DE L’ÉnErgIE”
Créé en 1993, le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) se compose d’une équipe de vingt personnes au service de 380 adhérents. Sa mission est de promouvoir les intérêts des industriels et des professionnels des énergies renouvelables auprès des pouvoirs publics, du Parlement et de toutes les instances en charge de l’énergie, de l’industrie, de l’emploi et de la Recherche.
© Jean Chiscano - SER
UN ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS BAL, Président du syndicat des énergies renouvelables
INTERVIEW WITH JEAN-LOUIS BAL, President of the Syndicat des Energies Renouvelables
Could you present your organisation, its objectives and main goals? The Syndicat des Energies Renouvelables is the only professional body in Europe which brings together all the renewable energy fields: biomass, wood, biofuels, biogas, wind power, renewable marine energy, geothermal power, hydroelectricity, heat pumps, photovoltaic solar power, thermal solar energy and thermodynamics. Its members include the major energy groups as well as many small and medium sized companies.
“The world is committed to renewable energies.” To fulfil its mission, the SER regularly meets and informs Ministers and their Cabinets, managers in the public sector, decentralised public services, MPs, Presidents of the regions, mayors and the media. It also actively monitors the preparation of legal texts and regulations. Moreover, the Syndicat des Energies Renouvelables supports its members in international markets. A leading partner of French and international authorities in terms of promoting the sector throughout the world, it works to facilitate partnerships and bilateral investments.
Quels sont les objectifs et les missions principales de votre syndicat ? Le Syndicat des énergies renouvelables est le seul organisme professionnel en Europe qui regroupe l’ensemble des filières des énergies renouvelables : biomasse, bois, biocarburants, biogaz, éolien, énergies marines renouvelables, géothermie, hydroélectricité, pompes à chaleur, solaire photovoltaïque, solaire thermique et thermodynamique. Parmi ses membres, il compte les grands groupes de l’énergie, mais également de nombreuses PME et ETI. Pour remplir ses missions, le SER rencontre et informe régulièrement les ministres et leurs cabinets, les responsables de l’Administration, les services déconcentrés de l’État, les parlementaires, Présidents de régions, les maires et les médias. Il suit également très activement la préparation des textes législatifs et réglementaires.
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The 17 th edition of the SER Colloquium aims to “continue the Paris Agreement and reinvent energy”. What progress has been made? How is the world’s energy transition developing a few months after the Paris Climate Conference? The 17 th edition was a milestone, really marking the start of a new energy era. The success of the COP21, the enactment of the energy transition law in France, and the competitiveness of renewable energy throughout the world are the unavoidable issues facing the production of energy in this century. 1,000 people participated in our colloquium and several speakers made presentations throughout the day. Recalling that renewable energies are becoming, throughout the world, increasingly competitive, all the speakers confirmed their desire to increase their share of the energy mix and insisted on the need to create a robust carbon tax to promote nonCO2 emitting energies. All of them mentioned the powerful role these new sectors will have for creating jobs. The COP21 was an opportunity for the EU to confirm itself lll
SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
“A NEW ENERGY ERA” Par ailleurs, le Syndicat des énergies renouvelables accompagne ses membres sur les marchés internationaux. Interlocuteur privilégié des instances françaises et internationales actives dans la promotion des filières à travers le monde, il intervient pour faciliter les partenariats et les investissements bilatéraux. La 17ème édition du Colloque du SER avait pour objet de“poursuivre l'accord de Paris et réinventer l’énergie” : qu'en est-il ressorti ? Comment la transition énergétique mondiale se metelle en place, quelques mois après la Conférence Paris-Climat ? Cette 17ème édition est à marquer d’une pierre blanche. Nous sommes véritablement entrés dans une nouvelle ère de l’énergie. Le succès de la COP21, la promulgation de la loi de transition énergétique en France, la compétitivité des énergies renouvelables partout dans le monde, font d’elles les moyens de production énergétiques incontournables de notre siècle. 1 000 personnes ont participé à notre colloque. De nombreuses personnalités sont intervenues tout au long de la journée. Rappelant que les énergies renouvelables deviennent, partout dans le monde, de plus en plus compétitives, tous les intervenants ont affirmé leur volonté d’accroître leur part dans le mix énergétique et ont insisté sur la nécessité de construire une taxe carbone robuste qui favorise les énergies non émettrices de CO2. Chacun a également évoqué le rôle de puissants leviers de création d’emploi que constituent ces nouvelles filières.
“L’accord de Paris doit pousser l’Europe à conserver son rôle de premier plan.” Si la COP21 a été l’occasion pour l’UE de s’affirmer comme l’un des acteurs majeurs de la lutte climatique, de quels atouts la France dispose-t-elle pour être à la pointe des énergies renouvelables ? Sur le plan géographique, la France est privilégiée : deuxième gisement de vent derrière la Grande Bretagne, cinquième pays d’Europe en matière d’ensoleillement, abondante ressource hydraulique, importante surface forestière, deuxième Zone Economique Exclusive maritime mondiale, nombreux gisements géothermiques. Ces atouts naturels, conjugués à un savoir-faire reconnu dans le domaine de l’énergie, nous donnent la possibilité de devenir un acteur important des énergies renouvelables et de structurer des filières puissantes qui pourraient représenter plus de 220 000 emplois dès 2020. Sur le plan politique, le Parlement a adopté le 22 juillet 2015 la loi relative à la transition énergétique qui porte de belles ambitions pour le développement des énergies renouvelables. En effet, leur part devra représenter 32 % de la consommation énergétique en
Created in 1993, the Syndicat des Energies Renouvelables consists of a team of 20 people working to serve 380 members. Its aim is to promote the interests of renewable energy manufacturers and professionals with public authorities, Parliament and all bodies responsible for energy, industry, employment and research.
lll as one of the major actors in climate change. What strengths does France have in terms of leading the way on renewable energies?
Geographically, France is in a privileged position: it is the second biggest source of wind behind Great Britain, Europe’s fifth biggest country in terms of sunshine, it has abundant hydraulic resources, a significant forest surface area, it is the second biggest maritime Exclusive Economic Zone in the world, and boasts several sources of geothermal energy. These natural advantages, combined with recognised expertise in the energy field make it possible for us to become a significant player in the renewable energy field and to develop strong sectors which could represent more than 220,000 jobs by 2020. In terms of policy, on 22 July 2015, the Parliament adopted the law relating to energy transition, which set lofty ambitions for the development of renewable energies. They should represent 32% of energy consumption by 2030: 40% of electricity production, 38% of final consumption of heat, 15% of final consumption of fuel and 10% of consumption of gas. For overseas departments, the objective is to become energy autonomous. This law opens up new opportunities for all renewable energy sectors. The use of these energies will enable the creation of several hundreds of thousands of jobs in France, contributing to rebalancing the country’s energy trade balance by avoiding the importation of fossil fuels and opening the way up international markets to French companies. Despite its stated desire to develop renewable energies, do you think that Europe can meet its 2030 goal to have 27% of renewable energies? The Agreement signed in October 2014 is relatively less ambitious than that signed as part of the 2020 Climate and Energy Package adopted in 2009, which set the share of renewable energies in the European Union at 20% by 2020 and within which each member country was bound by obligations. Through this agreement, Europe confirmed its desire to play a leading role in the fight lll LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 39
2030 : 40 % de la production d'électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz.
© Quadran
DOSSIER | L’Europe post cop21
Pour les départements d’outre-mer, l’objectif est de parvenir à l’autonomie énergétique. Cette loi ouvre de nouveaux horizons à toutes les filières des énergies renouvelables. Leur déploiement va permettre la création de plusieurs centaines de milliers d’emplois sur le territoire et contribuer largement au rééquilibrage de la balance commerciale énergétique de la France, tout en évitant l’importation d’énergies fossiles ainsi qu’en ouvrant la voie aux entreprises françaises vers les marchés internationaux. Malgré sa volonté affirmée de développer les ENR, l’Europe pourra-t-elle, d’après vous, tenir l’objectif 2030 de 27% de part d’énergies renouvelables ? L’accord, signé en octobre 2014 est relativement moins ambitieux que celui signé dans le cadre du paquet Energie Climat 2020 adopté en 2009, qui portait la part des énergies renouvelables dans l’Union Européenne à 20 % en 2020 et sur lequel chaque pays membre avait des engagements contraignants. A travers cet accord, l’Europe affirmait sa volonté de jouer le rôle de leader dans la lutte contre le changement climatique et s’engageait avec ambition dans les énergies renouvelables. Le nouvel objectif traduit une progression plus faible alors même, qu’à l’horizon 2020, les filières auront accompli une grande partie de leur courbe d’apprentissage, en particulier en Europe. Il est de plus proposé que cet objectif ne soit contraignant qu’au niveau de l’Union européenne et non de chaque pays, ce qui n’oblige aucun des États membres à des engagements devant ses partenaires européens. Néanmoins, même s’il est moins ambitieux et moins contraignant que le premier, plusieurs pays de l’Union Européenne, qui entendaient faire de la conférence Paris Climat un succès diplomatique, tenaient à un accord. Ce dernier doit pousser l’Europe à conserver son rôle de premier plan. Quelle position l’Europe doit-elle adopter face à la montée en puissance de la concurrence mondiale ? Comptez-vous être un acteur en ce sens ? L’Europe dispose de très belles entreprises, capables de mettre leurs savoir-faire à la disposition des pays en développement qui ont été, ces dernières années, les plus actifs dans le développement des énergies renouvelables. Du côté du Syndicat des énergies renouvelables, soutenu par les pouvoirs publics, nous sommes déjà en ordre de marche avec nos entreprises que nous accompagnons vers des pays cibles. Pensez-vous que nous sommes véritablement entrés dans “une nouvelle ère de l’énergie” ? Pour moi, c’est certain. Le monde s’engage vers les énergies re-
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Les pays en développement ont été ces dernières années les plus actifs dans le développement des énergies renouvelables. In recent years, developing countries have been more active in the development of renewable energies.
lll
against climate change and ambitiously committed itself to renewable energies. The new objective reflects somewhat less progress, although by 2020 the sectors will have completed a large part of their learning curve, particularly in Europe. Moreover, it is proposed that this objective be restrictive only on the European Union level rather than on a national level, which means that Member States are not obliged to commit themselves to their European partners. However, although it is less ambitious and less restrictive than the first agreement, several European Union countries who wanted to make the Paris Climate conference a diplomatic success entered into an agreement which will push Europe towards maintaining its leading role. In your opinion, what position should Europe adopt in light of the growth of global competition? Do you think you have a role to play in this regard? Europe has some fantastic companies capable of making their expertise available to developing countries, who have recently been the most active in terms of the development of renewable energies. In terms of the Syndicat des Energies Renouvelables, supported by the public sector, we are already supporting our companies working in target countries.
Do you think that we are really entering a “new energy era”? In my opinion, this is absolutely the case. The world is committed to renewable energies which are becoming more competitive each year and which will play a major role in the fight against climate change. Take the example of wind power: all the figures published for 2015 confirm the growth of the sector. The world’s wind power lll
SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
nouvelables, qui sont chaque année plus compétitives et affirment leur rôle majeur dans la lutte contre le changement climatique. Prenons l’exemple de l’éolien. Tous les chiffres publiés pour l’année 2015 confirment le dynamisme de la filière. Le parc mondial s’élève à 432 400 MW fin 2015 contre 370 000 en 2014, enregistrant une croissance de 17%. Il y a 10 ans, en 2005, le parc représentait 59 000 MW. Les investissements mondiaux dans le seul secteur éolien s’élèvent à 109 milliards de dollars contre 99 milliards de dollars en 2014. L’ensemble du parc éolien européen constitue 15,6% du parc électrique et se situe juste au-dessus du parc hydroélectrique. Je pourrais également vous parler de la croissance du parc solaire photovoltaïque mondial. 40 000 nouveaux MW ont été installés en 2014, 50 000 en 2015. Le parc mondial atteint aujourd’hui plus de 277 000 MW. Quant à son coût, en France métropolitaine, il est passé de 360 € il y a dix ans pour une centrale au sol à 82 € aujourd’hui. Ces chiffres sont la démonstration concrète que l’avenir énergétique de la planète se construit avec les énergies renouvelables n
Propos recueillis par Pauline Pouzankov
lll at the end of 2015 was 432,400 MW compared to 370,000 in 2014, marking a growth of 17%. Ten years ago, in 2005, the figure was only 59,000 MW. Global investments in the wind sector alone reached 109 billion dollars, compared to 99 billion dollars in 2014.
“The world’s energy future is being built on renewable energies.” The entire European wind farm makes up 15.6% of electricity facilities and sits just behind hydroelectric facilities. I could also talk about the global growth of photovoltaic solar energy facilities. 40,000 new MW were installed in 2014, 50,000 in 2015. The world’s facilities have now risen to 277,000 MW. In terms of cost, in metropolitan France, the cost of a ground-mounted system dropped from €360 ten years ago to €82 today. These figures are a practical demonstration that the world’s energy future is being built on renewable energies n
Publi-rédactionnel LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 41
DOSSIER | L’Europe post cop21
L’ÉoLIEn a LE vEnt En poupE
Avec une puissance installée de 142 GW sur le territoire européen en 2015, l’énergie éolienne est devenue la troisième source de production d’électricité et la première énergie renouvelable d’Europe*. Un secteur en plein essor.
L
e vent tourne. Grâce au raccordement de 12,8GW de nouvelles capacités éoliennes aux réseaux électriques de l’Union Européenne en 2015, cette énergie représente désormais 15,6% du parc électrique européen et passe même devant l’hydroélectricité (15,5%), y devenant la première source d’énergie renouvelable. On estime qu’elle assure aujourd’hui 8% de l’électricité européenne, passant en une seule décennie de 59 à 253 TWh. La Norvège, de son côté, s’apprête à accueillir le plus grand parc éolien terrestre (1000 MW) d’Europe près de Trondheim, qui devrait permettre de produire 3,4 TWh d’électricité par an et couvrir les besoins de 170 000 foyers du pays. Depuis trois ans, le changement “vert” opère. Selon l’institut européen de la statistique Eurostat, les énergies renouvelables sont désormais la première source de production électrique dans l’Union européenne, passant même devant le nucléaire (29,2% contre
T
he winds are turning. Thanks to 12.8GW of new wind-power capacity being connected to the European Union’s electricity network in 2015, this now represents 15.6% of European electricity and has taken the lead from hydroelectricity (15.5%), becoming the leading source of renewable energy. It is estimated that it provides 8% of European electricity, going from 59 to 253TWh in just one decade. Norway is preparing to welcome the biggest land windfarm in Europe (1000MW) near Trondheim, which should produce 3.4TWh of electricity per year and cover the needs of 170,000 households in the country. For three years, the “green” transition has been underway. According to the European Statistics Institute, Eurostat, renewable energies are now the European Union’s leading source of electrical production, even overtaking nuclear (29.2% vs. 27.5%). Slowly, Europe is approaching its objective: to bring renewable energy up to 20% of its energy consumption by 2020. According to Eurostat, this figure rose to 16% in 2014. Inversely, France is lagging behind, despite the success of COP21 and its commitment to ‘environmental excellence’. During the last European rankings (established in 2015 on the basis of data from the end of 2013), France is only ranked 16th in terms of the proportion of end consumption of renewable energies (between 11% and 15%). Below the European average set at 15% - and far from that of Lithuania and Finland. The reason, notably, is the country’s dependence on nuclear, which represents 76.3% of national production, compared to 27.5% on the European level. For example, the Swedes have already exceeded their lll
The development of wind power in Europe In France, 10.3GW was installed by the end of 2015, i.e. more than 999MW more than in 2014, and which now represents 3.9% of French electrical production (i.e. 21.1TWh). Germany has installed 44.9GW, Spain 23GW and the United Kingdom 13.6GW: the European Union total is now 141.6GW (+12.8GW compared to 2014). More broadly in the world, 432.4GW had been installed by the end of 2015, which is equivalent to 63GW more than in 2014. Source : connaissancedesenergies.org
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SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
WIND-POWER IS FLYING HIGH Le développement de l'éolien en Europe En France, 10,3 GW ont été installés fin 2015, soit plus de 999 MW par rapport à 2014, pour représenter à ce jour 3,9% de la production électrique française (soit 21,1TWh). L’Allemagne a quant à elle installé 44,9 GW, l’Espagne 23 GW et le Royaume-Uni 13,6 GW ; le total de l’Union Européenne s’élevant désormais à 141,6 GW (+12,8 GW par rapport à 2014). Plus largement dans le monde 432,4 GW ont été installés à la fin de l’année 2015, ce qui équivaut à plus de 63 GW par rapport à 2014. Source : connaissancedesenergies.org
27,5%). Lentement, l’Europe se rapproche de son objectif : porter à 20% la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique à l’horizon 2020. D’après Eurostat, cette dernière s’élevait à 16% en 2014. A l’inverse, la France est à la traine, et ce malgré le succès de la COP21 ou de son engagement dans “l’excellence environnementale”. Lors du dernier classement européen (établi en 2015 d’après les données de fin 2013), elle ne se plaçait qu’en seizième position dans la part qu’occupent les ENR au sein de sa consommation finale (entre 11 et 15%). En dessous de la moyenne européenne – fixée à 15% – et bien loin de la Lettonie ou de la Finlande. En cause, notamment, sa dépendance au nucléaire, qui représente 76,3% de la production nationale contre 27,5% au niveau européen. A titre d’exemple, la Suède a d’ores et déjà dépassé son objectif fixé à 49% en 2020 puisqu’elle consomme à ce jour 51% d’énergies renouvelables. Si les pays qui se sont donnés les ambitions les plus hautes sont en bonne voie pour les accomplir, d’autres états prennent du retard dans leurs efforts alors qu’ils visent des objectifs inférieurs à 20%. Notamment l’Irlande, la Belgique ou encore le Luxembourg.
With an installed power supply of 142GW across Europe in 2015, wind-power has become the third biggest source of electricity production and the leading source of renewable energy in Europe*. A fast-developing sector.
lll 2020 objective of 49%, with 51% of their current consumption
coming from renewables. While the countries which have set the highest goals are well on the way to achieving them, other states are lagging behind in their efforts, despite setting objectives of below 20%. Notably, Ireland, Belgium and even Luxembourg. But it’s not all bad news: since 2015, wind-power has been on the increase in France, even if the current rate remains insufficient to achieve the national objective set at 23% by 2020. According to the Syndicat des Energies Renouvelables (SER), the industrial sectors concerned may represent more than 220,000 jobs by then. The law on energy transition for green growth is also looking positive. Goal selected: 32% of the country’s consumption coming from renewable energy sources by 2030 n * Based on the annual report by the European Wind Energy Association (EWEA).
La réponse Actemium Paris Energie & Environnement
L’éolien représente aujourd’hui 15,6% du parc électrique européen. Tout n’est pas perdu pour autant : depuis 2015, la reprise de l’éolien se confirme en France, même si le rythme actuel reste encore insuffisant pour atteindre l’objectif national fixé à 23% à l’horizon 2020. D’après le Syndicat des énergies renouvelables (SER), les filières industrielles concernées pourraient représenter plus de 220 000 emplois d’ici cette date. La loi de la transition énergétique pour la croissance verte porte elle aussi de belles perspectives. Ambition retenue : 32% d’énergies renouvelables dans la consommation du pays en 2030 n Pauline Pouzankov * D’après le bilan annuel de l’Association Européenne de l’Energie Eolienne (EWEA)
NF C18510 & AIPR
2, avenue de l’Europe 78400 Chatou T + 33(0)130096240 - F +33(0)130096241 Environnement@actemium.com - www.actemium.com Chef d’Entreprise : A. de Guéroult d’Aublay
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DOSSIER | L’Europe post cop21
nIcoLas HuLot : L’ÉcoLo-coMpatIBLE PROFIL
© Vernier/JBV NEWS
Journaliste-reporter, animateur-producteur de télévision, écrivain, président de sa propre fondation et youtubeur depuis peu, Nicolas Hulot est un homme qui collectionne les casquettes. Si sa mission d’envoyé spécial de François Hollande a largement contribué au succès de la COP21, il aime toutefois rappeler qu’il n’est “pas né écologiste, mais qu’il l’est devenu.”
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SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
NICOLAS HULOT: THE ENVIRONMENTALIST PROFILE
En 1976 et 1977, il couvre pour l’agence de presse SIPA le tremblement de terre au Guatemala, les événements de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et la guerre d’indépendance en Rhodésie. C’est son premier métier de photoreporter qui éveille en lui la fibre verte ainsi que l’envie de s’engager pour la planète.
© Vernier/JBV NEWS
Journalist-reporter, TV presenter-producer, writer, president of his own foundation and recent YouTuber, Nicolas Hulot is a man of many talents. Although his work as François Holland’s special envoy certainly contributed to the success of COP21, he likes to remind us that he was not “born an environmentalist, but became one”.
When working for the SIPA press agency in 1976 and 1977, he covered the earthquake in Guatamala, the end of apartheid in South Africa and the war of independence in Rhodesia. It was his first job as a photojournalist which triggered his environmental awareness and the desire to work for the good of the planet.
Un homme “tout-terrain”
A versatile man
Dès 1987, avec le début de son émission Ushuaïa, il apparaît comme le présentateur sympathique, aventurier des sports extrêmes et connaisseur de la faune et de la flore. En 1990, il crée la Fondation Ushuaïa, qui deviendra la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme. Désireux de montrer que son engagement et sa préoccupation environnementale sont bien réels, il coréalise en 2008 un documentaire avec Jean-Albert Lièvre, Le Syndrome du Titanic, qui s’inspire de son ouvrage du même titre.
When his programme Ushuaïa began in 1987, he came across as a likeable presenter, an adventurer who loved extreme sports, and a nature expert. In 1990, he created the Fondation Ushuaïa, which became the Nicolas Hulot Foundation for Nature and Mankind. With a view to demonstrating the sincerity of his environmental commitment and concerns, in 2008 he co-directed a documentary with Jean-Albert Lièvre, The Titanic Syndrome, inspired by his book of the same name.
En politique, son objectif est le même depuis ses débuts : sensibiliser les décideurs comme le grand public sur l’urgence écologique. Un combat loin d’être gagné d’avance où il a pourtant su remporter quelques victoires. Et pas des moindres. Courant mars 2005, il est à l’origine de l’insertion d’une charte de l’environnement dans la Constitution. En 2012, François Hollande lui fait confiance pour devenir “envoyé spécial pour la protection de la planète”. Deux ans plus tard, il accompagne le président au Vatican, visite durant laquelle le Pape confirmera préparer une encyclique sur l’ “écologie de l’humanité”.
His political aims have not changed since the very beginning: to raise awareness among decision makers and the general public of the ecological state of emergency. His work is far from over, but he can claim a few, not insignificant, victories. In March 2005, he was behind the insertion of an Environmental Charter in the Constitution. In 2012, François Hollande appointed him as “special envoy for the protection of the planet”. Two years later, he accompanied the President to the Vatican. During this visit, the Pope confirmed he was preparing an encyclical on the ‘ecology of mankind’. Riding the environmental wave
Le buzz écolo A deux mois de la COP21, Nicolas Hulot décide de marquer le coup en faisant appel aux youtubeurs pour interpeller sur la cause climatique. Sa vidéo “Break the Internet” enflamme instantanément le web et le propulse au sommet de sa popularité en ligne. Un coup de buzz qu’il compte bien exploiter à plus long terme comme en témoigne sa dernière vidéo décalée postée en septembre. On peut y admirer des poissons remerciant les bénévoles de nettoyer les cours d’eau n
Two months after COP21, Nicolas Hulot decided to mark the occasion by calling on YouTubers to speak out about climate change. His video “Break the Internet” instantly went viral, driving him to the peak of his on-line popularity. A buzz which he intends to exploit in the longer-term, as indicated in his latest off-beat video, posted in September. It shows fish thanking volunteers who have cleaned the rivers n
Justine Hagard
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DavID corManD :
DOSSIER | L’Europe post cop21
“La cop21 a MontrÉ quE LEs ÉcoLogIstEs ÉtaIEnt MaJorItaIrEs sur LEs constats” Plusieurs mois après le succès de l’Accord de Paris, le secrétaire national d’Europe Ecologie Les Verts attend toujours que les états passent du discours aux actes.
The Paris Conference was an opportunity to bring States together around the issue of climate change. What do you think about the speeches and actions in the run-up to COP22 in Marrakech?
© Xavier Cantat
COP21 showed the majority of environmentalists are in agreement. No-one now denies the reality and danger of climate change. In Paris, countries around the world took the solemn decision to reduce climate change. Unfortunately, they haven’t worked out how to get there. The Paris Agreement was a giant step forward in international negotiations, yet only a small step in the fight against climate change. Now there is a need to come up with the resources to meet this commitment. Although ratifications are gathering pace, the lack of consistency and implementation of public policies is cause for concern.
“Despite all the rhetoric spouted at COP21 in Paris, we are still awaiting action.” Do you think François Holland’s current policy is environmentally-friendly? No I don’t, and that’s why we decided not to return to government in 2014. Despite all the rhetoric spouted at COP21 in Paris, we are still awaiting action. There are so many commitments which have not been met: Fessenheim will not be closed and, although the reduction in nuclear has been approved, it has not yet started. The dropping of the heavy-goods vehicle tax, the increase in VAT for public transport and the weakening of the rail network are all environmental sacrifices that have been made. Finally, the government is encouraging or permitting, major projects, airports, motorways and shopping centres all over France. How can we claim to be part of the Paris Climate Agreement and build an airport at Notre-Dame des Landes? What about Europe? What are your Members of the European Parliament currently working on? Environmentalists are, by their nature, Europeans because we cannot protect nature and the climate if we stay imprisoned lll 48 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
DAVID CORMAND:
SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
“COP21 SHOWED THE MAJORITY OF ENVIRONMENTALISTS ARE IN AGREEMENT” La conférence de Paris a été l’occasion d’un discours fort réunissant les états autour de l’enjeu climatique : quel constat dresseriez-vous entre paroles et actes à l’approche de la COP22 à Marrakech ? La COP21 a montré que les écologistes étaient majoritaires sur les constats. Aujourd’hui, personne ne nie la réalité et le danger du changement climatique. À Paris, les États du monde ont solennellement décidé qu’il fallait le limiter. Malheureusement, ils n’ont pas tracé le chemin pour y parvenir. L’Accord de Paris est un grand pas en avant dans les négociations internationales, mais un petit pas dans la lutte contre le changement climatique, parce que maintenant, il faut se donner les moyens de tenir cet engagement. Et si les ratifications s’accélèrent, l’absence de mise en cohérence et en action des politiques publiques nous inquiète.
La politique actuellement menée par François Hollande estelle écolo-compatible, d’après vous ? Justement non, et c’est pour cela que nous avons décidé de ne pas retourner au gouvernement en 2014. Malgré les grands discours prononcés lors de la COP21, à Paris, on attend toujours les actes. Tant d’engagements ne seront pas tenus : Fessenheim ne sera pas fermée, la réduction du nucléaire est votée mais pas engagée. L’abandon de la taxe poids-lourds, l’augmentation de la TVA pour les transports en commun, l’affaiblissement du rail sont d’autres renoncements sur l’écologie. Enfin, il y a les grands projets, aéroports, autoroutes, centres commerciaux, que le gouvernement encourage ou autorise partout en France. Comment peut-on se revendiquer de l’Accord de Paris sur le climat et faire construire l’aéroport de Notre-Dame des Landes ?
Qu’en est-il de l’Europe ? Sur quels projets vos députés européens travaillent-ils actuellement ? Les écologistes sont européens car on ne protège pas la nature et le climat cloîtré derrière des frontières. Mais le projet européen est en danger. Les élites européennes qui, au lendemain d’une crise financière inouïe, se sont arc-boutées sur les politiques d’austérité ont perdu la confiance des citoyens. Ces politiques ont fait beaucoup de mal alors même que la finance casino a retrouvé son rythme d’avant crise. L’Europe n’investit pas dans les secteurs d’avenir qui pourtant peuvent créer emplois et bien-être. C’est pourquoi les eurodéputés écologistes se mobilisent pour une trans-
Several months after the success of the Paris Agreement, the national secretary of Europe Ecologie Les Verts is still waiting to see governments put their words into action.
lll behind borders. But the European project is in danger. By adopting austerity policies in response to what has been an unprecedented financial crisis, the European elites have lost the confidence of citizens. These policies have caused a lot of pain despite the fact that “casino capitalism” has found its pre-crisis rhythm once again. Europe is not investing in the sectors of the future which could create jobs and well-being.
This is why European green representatives are working for a radical transformation of the European project. They are working for the sovereignty of citizens by organising opposition to the TAFTA and CETA trade agreements which place multinationals above our collective decisions. They are also working for tax justice and for the protection of whistle-blowers who take huge risks for the general interest. More generally, they are striving to ensure that Europe begins a massive economic revival through ecological transition and solidarity.
“Environmentalists are, by their nature, Europeans because we cannot protect nature and the climate if we stay imprisoned behind borders.” EELV began the autumn term with the slogan “reinventing the party”: what are the main outlines of your plan? We want to place the green movement in the hands of everyone who calls themselves an environmentalist. The political parties of the 20 th century are running out of steam. Too many broken promises had led to the relationship of trust being broken between the citizens and politicians. Today, everyone is a policy maker through their role in voluntary organisations, in their companies, in their consumer choices, but very few are party members. “Reinvention” means appreciating the full value of these forms of engagement and their contribution to the movement to stand up to the institutions. Regardless of the time or resources they have lll LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 49
DOSSIER | L’Europe post cop21
David Cormand estime que les présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande “ont tué dans l’oeuf la montée en puissance” de la filière photovoltaïque. David Cormand believes that Presidents Nicolas Sarkozy and François Hollande “nipped the growth of the photovoltaic sector in the bud”.
formation radicale du projet européen. Pour la souveraineté des citoyens en organisant la résistance aux traités commerciaux TAFTA et CETA qui inscriraient la supériorité des multinationales sur nos décisions collectives. Pour la justice fiscale et pour une protection des lanceurs d’alertes qui ont pris tant de risques pour l’intérêt général. Plus généralement pour que l’Europe relance massivement l’économie à travers la transition écologique et la solidarité. EELV a fait sa rentrée avec pour maître-mot “réinventer le parti” : quelles seront les lignes directrices de votre projet ? Nous voulons mettre le mouvement écologiste entre les mains de toutes celles ceux qui se sentent écologistes. Les partis du 20e siècle sont à bout de souffle. La confiance est rompue entre citoyens et politiques. La faute à trop de promesses trahies. Aujourd’hui, chacun fait de la politique dans les associations, dans les entreprises, dans ses choix de consommation, mais très peu dans les partis. La réinvention, c’est donner à toutes ces formes d’engagement leur pleine place au sein du mouvement qui mène la bataille dans les institutions. Chacun, quelque soit sont temps et ses ressources, doit pouvoir prendre part aux décisions les plus importantes. C’est l’esprit de la Primaire de l’écologie et pour la première fois dans l’histoire politique française d’un véritable espace de co-construction du projet présidentiel. Eva Joly a très bien résumé d’une formule : “Venez, vous êtes chez vous”. De nombreuses entreprises choisissent désormais de développer leurs activités d’une manière plus “verte” : pensez-vous que cette tendance témoigne d’un réel engagement ? Il faut distinguer la communication, qui cache parfois des pra-
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lll
available, everyone should be able to take part in the most important decisions. This is the spirit behind the green campaign in the French presidential primary and, for the first time in French political history, we are creating a real opportunity to jointly build a presidential plan. Eva Joly summed it up in a single statement: “Come in, make yourself at home”.
Several companies have now chosen to develop their activities in a “greener” way: do you think this trend reflects a genuine commitment? We need to differentiate communication, which is increasingly used by companies but which can sometimes disguise questionable practices, from what companies actually do, which is clearly a real commitment. Take a look at Pocheco, which makes envelopes and was made famous in the film Demain: by re-using all its waste, by filtering rain water, by recuperating scrap paper, it saves money. It’s a superb example. More and more companies are taking this route because they realise it’s good for business. This commitment will become more widespread and stronger in the coming years.
What is often called the “energy transition market” has often been presented as an opportunity to create employment. Do you think that investors and the production machinery are taking this reality seriously or is it simply an argument which doesn’t extend beyond the political sphere? We think this awareness exists, but it differs from one European country to another. In France, investment comes from large groups: EDF, Total, and Engie (formerly-GDF-Suez). lll
SPECIAL REPORT | Europe post-COP21 lll They have no short-term interest in transition. It is therefore individuals and small investors who are looking into renewable energies through SMEs and associations.
tiques douteuses, de ce que mettent en œuvre de plus en plus d'entreprises. Et quand une entreprise le fait, c’est évidemment un engagement réel. Regarder ce que peut faire l’entreprise Pocheco, qui fabrique des enveloppes, rendue célèbre par le film Demain : en réutilisant ou réemployant tout ses déchets, en filtrant l’eau de pluie, en récupérant les chutes de papier, elle gagne de l’argent. C’est un superbe exemple.
Enercoop, a company which supplies renewable energy, continues to grow and create jobs! The wind power sector in Burgundy has created jobs by building wind turbines. There are companies which, on a daily basis, demonstrate that renewable energy creates jobs.
De plus en plus d’entreprises s’engagent sur cette voie parce qu’elles réalisent que c’est bon pour les affaires. Cet engagement va se généraliser et se renforcer dans les années qui viennent.
What issues are you planning to address in terms of the development of renewable energies in France and Europe? France is a specific case, because our country continues to invest massively in nuclear energy, at a loss, because EPR technology is a fiasco.
Ce qu’il est convenu d’appeler “le marché de la transition énergétique” a maintes fois été présenté comme un facteur de développement de l’emploi : est-ce que les investisseurs et l’appareil de production vous semblent prendre en compte cette réalité ou bien n’est-ce qu’un argument dépassant peu la sphère politique ?
Investments in fossil fuels and nuclear power must be redirected towards renewable energies. This assumes that there will be fiscal and price stability. This is the exact opposite of the Government’s flip-flopping under Sarkozy and then François Holland, who nipped the growth of the photovoltaic sector in the bud. The same holds for the destabilisation of Alstom, which sold its energy branch to General Electric and which has seen difficulties in France in its public transport sector, as well as AREVA abandoning its off-shore wind sector.
Il nous semble que cette prise en compte existe, mais différemment d’un pays à l’autre en Europe. En France, les investisseurs sont des grands groupes : EDF, Total, ou Engie (ex-GDF-Suez). Eux n’ont pas intérêt à court-terme à la transition. Ce sont donc des particuliers et des petits investisseurs qui se lancent dans les énergies renouvelables, via des PME ou des associations.
We also propose to finally establish a real climate-energy taxation system, which would pay for the real cost of fossil fuels. Today, it is our entire society which pays for the consequences of pollution. By making those who produce pollution pay for it, we encourage clean energies and make them more accessible n
Quel(s) combat(s) allez-vous mener concernant le développement des énergies renouvelables en France et en Europe ? Le cas de la France est particulier, puisque notre pays continue à investir massivement dans l’énergie nucléaire, et à perte, puisque la technologie EPR est un fiasco.
© Vernier/JBV NEWS
Enercoop, qui fournit de l'énergie renouvelable, est une entreprise qui continue à croître et à créer des emplois ! Le cluster éolien de Bourgogne créé des emplois, en fabriquant des éoliennes. Il y a des entreprises qui font chaque jour la démonstration que le renouvelable créé de l'emploi.
Il faut réorienter les investissements des énergies fossiles et du nucléaire vers les énergies renouvelables. Cela suppose qu’il y ait une stabilité fiscale et une stabilité des prix. Tout l’inverse des allers et retours de l’État sous la présidence Sarkozy, puis de François Hollande, qui ont tué dans l’œuf la montée en puissance d’une filière photovoltaïque. Idem avec la fragilisation de Alstom qui a cédé sa branche énergie à Général Electric et qui connaît des difficultés en France sur sa filière transport collectif, et l’abandon par AREVA de sa filière éolienne off-shore. Nous proposons aussi de mettre enfin une vraie contribution climat-énergie, qui fasse payer le coût réel des énergies fossiles. Aujourd’hui, c’est la société toute entière qui paie les conséquences des pollutions. En faisant payer la pollution à ceux qui la produise, on encourage les énergies propres, et on les rend plus accessibles n Propos recueillis par Pauline Pouzankov
François Hollande – ici en réunion de travail de la COP21 à l’Elysée avec Thomas Boni Yayi, président du Bénin – n’est pas écolo-compatible pour David Cormand. François Hollande – here in a meeting at the CoP21 at the Elysée with Thomas Boni Yayi, the President of Benin – is not environmentally-friendly in the eyes of David Cormand.
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DOSSIER | L’Europe post cop21
patrIcK BErnasconI :
“La DIMEnsIon EnvIronnEMEntaLE nE DoIt pas êtrE vÉcuE coMME unE contraIntE” Doté d’une représentation environnementale depuis 2008, le CESE a souligné le rôle éminent que les Outre-mer peuvent jouer dans le domaine des énergies renouvelables et la nécessité de leur fournir les moyens humains et financiers nécessaires.
© Katrin Baumann
UN ENTRETIEN AVEC PATRICK BERNASCONI, Président du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE)
INTERVIEW WITH PATRICK BERNASCONI, President of France’s Economic, Social and Environmental Council
What cases relating to ecology and the environment are you currently examining? What are the biggest and, in your opinion, most pressing issues? In response to the first part of the question, I would mention the latest opinion passed by the Council on climate justice, which was supported by Jean Jouzel and Agnès Michelot. The concept goes back to the Paris Agreements, which were reached during COP21. The ESEC immediately set to work on this issue, stressing the high risk of rising inequalities as the result of climate change and the measures taken to adapt to and combat it, while recommending concrete solutions, specifically in terms of research and international work.
“Green issues must form an integral part of all of our discussions.” The second particularly important opinion, in my view, focussed on France’s adaptation to the challenges of global climate change, by Jean Jouzel and Antoine Bonduelle. It shows that, in order to adapt, our country will have to have confidence in its overseas territories. The ESEC is currently preparing three opinions: n “Vers une bio économie durable” (in French) [Towards a sustainable bio-economy]; n “La qualité de l’habitat, condition environnementale du bien-être et du vivre ensemble” (in French) [Habitat quality, an environmental condition of well-being and living together]; Quelles saisines concernant l’écologie et l’environnement avezvous en cours ? Quels sont les plus gros dossiers et selon vous les plus urgents ?
n “Les avancées dans la mise en oeuvre de la loi de transition énergétique” (in French) [Advances in implementing the energy transition law]
En tout premier lieu, le dernier avis, voté par le Conseil et portant sur la justice climatique a été soutenu par Jean Jouzel et Agnès Michelot. Le concept date des accords de Paris, pris lors de la COP21. Le CESE a immédiatement travaillé sur cette question, mettant en exergue le risque fort de montée des inégalités consécutives au changement climatique et aux mesures d’adaptation et de lutte contre celui-ci, tout en préconisant des solutions concrètes, plus particulièrement en matière de recherche et d’international.
These referrals and own initiatives are examples of the ESEC’s work: they address three of the settings upon which we need to focus: humans and the region, the economy, and sustainable development in all senses of the term, through energy transition. The last of these opinions, which is being drafted two years after the law was introduced, consists of an initial analysis of how the law is being implemented. It is apparent through this work that the ESEC is perfectly fulfilling its role : advising and enlightening the Parliament lll
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PATRICK BERNASCONI:
SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
“THE ENVIRONMENTAL DIMENSION MUSTN’T BE SEEN AS A CONSTRAINT” Le second avis me paraissant particulièrement marquant est celui sur l’adaptation de la France au changement climatique de Jean Jouzel et Antoine Bonduelle. Il montre, qu’afin de s’adapter, notre pays devra faire confiance aux territoires.
Through the environmental mandate which it has had since 2008, the ESEC has stressed the prominent role that France’s overseas territories play in terms of renewable energies and the need to provide them with the necessary human and financial resources.
Aujourd’hui le CESE travaille sur la préparation de trois avis : n “Vers une bio économie durable” ; n “La qualité de l’habitat, condition environnementale du bien-être et du vivre ensemble” ;
lll and public authorities. I hope that, from this work, we can make recommendations to adjust the law on issues which have been identified by organised civil society.
n “Les avancées dans la mise en œuvre de la loi de transition énergétique”.
Ecology and the environment play an increasingly important role in the economy. We now even talk about the “green economy”. Can we say that there is a real awareness in the economic sector or is it just a passing phase?
Ces saisines et auto saisines sont exemplaires du travail du CESE, elles s’intéressent à trois des environnements auxquels nous devons nous attacher : l’homme et le territoire, l’économie et le développement durable dans tous les sens du terme, à travers la transition énergétique. Sur cette dernière question, il s’agit, deux ans après la loi, de dresser un premier bilan de sa mise en œuvre. On voit à travers ce travail que le CESE est parfaitement dans son rôle : conseiller et éclairer le Parlement et les pouvoirs publics, puisque de ce travail nous retirerons, je l’espère, des propositions d’ajustement des textes là où la société civile organisée en constate le besoin.
© Vernier/JBV NEWS
“Les problématiques vertes doivent faire partie intégrante de l’ensemble de nos réflexions.”
Of course it’s not a passing phase! It reflects a recognition that green issues must form an integral part of all of our discussions. As with other sectors, the economy and, therefore, leading companies, are now addressing these issues. The environmental dimension must not be seen as a constraint but as a chance to open up opportunities: to evolve, reflect, research, and take on new technological challenges. lll
L’écologie et l’environnement prennent de plus en plus de place dans l’économie. Nous parlons même d’“économie verte”. Est-ce une réelle prise de conscience du secteur économique ou un effet de mode ? Il ne s’agit bien entendu pas d’un effet de mode ! C’est la prise de conscience que les problématiques vertes doivent faire partie intégrante de l’ensemble de nos réflexions. Le secteur économique comme les autres secteurs, et donc les entreprises au premier rang, intègre ces enjeux. La dimension environnementale ne doit pas être vécue comme une contrainte mais comme une ouverture à des opportunités : d’évolution, de réflexion, de recherches, de nouveaux défis technologiques… En 2008, le “Conseil économique et social” est devenu “Conseil économique, social et environnemental”. Cette ouverture est un réel pas en avant et au-delà, c’est une ouverture bénéfique, car en
Patrick Bernasconi en compagnie des ministres français Myriam El Khomri, Jean-Marie Le Guen, Marisol Touraine, Michel Sapin et Manuel Valls lors de la remise du rapport sur l’État de la France à l’Hotel de Matignon. Patrick Bernasconi alongside French Ministers Myriam El Khomri and Jean-Marie Le Guen. Marisol Touraine, Michel Sapin and Manuel Valls at the submission of the report on the State of France at the Hôtel de Matignon.
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DOSSIER | L’Europe post cop21
Dans son avis Les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir (juillet 2011) Le CESE a rappelé que les Outremer devaient pouvoir constituer un “laboratoire” d’un mix énergétique national à développer, faisant toute leur part aux énergies renouvelables.
In its opinion “Renewable energies overseas: laboratory for our future” (July 2011) the ESEC recalled that the overseas territories should be a “laboratory”for the way in which the national energy mix should be developed, with a clear focus on renewable energies.
ouvrant les portes à de nouveaux membres issus des rangs des défenseurs de l’environnement, elle a permis d’irriguer l’ensemble de nos travaux d’une nouvelle façon de voir. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Intéressons-nous aux DOM COM. Vous avez travaillé sur les ports ultramarins, “au carrefour des échanges mondiaux”. Nos départements et territoires outre-mer permettent à la France de se positionner correctement sur le marché maritime. Quelles ont été vos conclusions et préconisations sur le sujet ? Avec 11 millions de km2, la France dispose du deuxième espace maritime mondial derrière les États-Unis, essentiellement grâce aux Outre-mer. A l’exception de la Guyane, les territoires ultramarins sont des îles. La globalisation du trafic maritime impulsée notamment par la révolution du conteneur ; l’augmentation de la taille des navires avec pour effet la création de hubs ; le basculement de l’économie, en particulier portuaire, vers l’Asie ; le redimensionnement ou l’ouverture de nouvelles voies maritimes… Tous ces éléments provoquent des changements qui exercent une pression sur les infrastructures portuaires et les investissements ultramarins, notamment en ce qui concerne leur extension et leur modernisation. Dans ce contexte maritime mondial en pleine évolution, les préconisations du CESE dans son avis Les ports ultramarins au carrefour des échanges mondiaux s’organisent autour de quatre axes : n conforter la gouvernance des ports ultramarins ; n conforter les installations portuaires ; n dynamiser le développement des Outre-mer grâce à leurs ports et
lll In 2008, France’s “Economic and Social Council” became the “Economic, Social and Environmental Council”. This transition marked a real and positive step forward because, by opening itself up to new members with an environmentalist background, all our work benefits from this new way of approaching the issues. We can but congratulate ourselves on this.
Let’s now look at the DOM COMs. You have examined the issue of overseas ports, which you have referred to as being “at the crossroads of global trade”. France’s overseas departments and territories enable the country to position itself appropriately on the maritime market. What are your conclusions and recommendations on the subject? France has 11 million km 2 of maritime space, making it second only to the United States. This is essentially as the result of our overseas territories. With the exception of Guyana, France’s overseas territories are all islands. The globalisation of maritime traffic, notably driven by the container revolution; an increase in the size of vessels and the subsequent creation of hubs; the shift in the economy, in particular the port economy, towards Asia; the rescaling and opening up of new maritime routes... All these elements provoked changes which exerted pressure on port infrastructures and overseas investments, particularly in terms of their extension and modernisation. In this rapidly changing global maritime context, the ESEC’s recommendations in its opinion “Overseas ports at the crossroads of global trade” are divided into four areas: n improving the governance of overseas ports; n improving port facilities;
n renforcer la coopération régionale portuaire.
n revitalising overseas development by focusing on overseas ports; and
Ces préconisations doivent permettre de relever les défis auxquels sont confrontés les ports d’Outre-mer, poumons économiques et points uniques d’approvisionnement des populations locales.
n improving regional cooperation on the part of overseas ports.
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These recommendations should enable us to rise to the lll
SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
Les collectivités ultramarines présentent un immense potentiel dans le champ des énergies renouvelables, permettant de répondre à une demande croissante d’électricité. A l’heure de la transition énergétique, ces territoires sont-ils en bonne voie pour atteindre leur objectif, à savoir 50% dans la production électrique d’ici 2020 ? En matière de transition énergétique, en tant que Zones Non Interconnectées (ZNI), les territoires ultramarins sont dans une situation spécifique. De ce fait, les collectivités ultramarines ont depuis longtemps eu un rôle de précurseur dans le développement des énergies renouvelables avec des objectifs ambitieux en termes d’autonomie énergétique et de mix énergétique. Dans ses avis Les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir (juillet 2011) et le Projet de loi de programmation pour un nouveau modèle énergétique français (juillet 2014), le CESE a souligné le rôle éminent que les Outre-mer peuvent jouer dans le domaine et la nécessité de leur fournir les moyens humains et financiers adaptés afin qu’ils puissent atteindre leur objectif d’autonomie en énergies renouvelables en 2020. Peuvent-elles, d’après vous, devenir un laboratoire du mix énergétique national ? Dans son avis Les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir (juillet 2011) Le CESE a rappelé que les Outremer devaient pouvoir constituer un “laboratoire” d’un mix énergétique national à développer, faisant toute leur part aux énergies renouvelables. Il ne s’agit naturellement pas d’appliquer, termes à termes, le système mis en place dans le domaine ultramarin à la métropole, mais il conviendrait d’en tirer les éléments les plus intéressants et de les adapter. Il en est ainsi, par exemple, des développements attendus en matière de géothermie ou d’énergies marines dont les potentialités devraient être exploitées prioritairement. Notre pays possède une expérience certaine dans le domaine des énergies marémotrices, avec un réseau de compétences reconnues dans les autres filières marines. Estimez-vous que de manière générale dans leurs stratégies économiques, les gouvernements et institutions, accordent suffisamment d’importance aux DOM TOM ? L’information et l’association des Outre-mer dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques nationales et européennes devraient être améliorées, qu’elles visent le domaine économique, social, environnemental, social ou sanitaire. En créant une délégation à l’Outre-mer nous avons ainsi souhaité contribuer à une meilleure prise en compte des spécificités et des richesses des territoires ultramarins. De même, au niveau européen, dans la résolution Pour une Europe ultramarine, le CESE préconise de “systématiser les analyses d’impact préalables à la négociation d’accords commerciaux de l’Union sur les conséquences éventuelles de ces accords sur le développement économique et social des RUP et des PTOM du fait de leur proximité géographique avec les pays tiers concernés, d’être attentif aux mesures d’accompagnement y compris financières qui peuvent, le cas échéant, être proposées par ces études et d’être vigilant sur la composition des Comités de suivi mis en place à la suite des accords de libre-échange et des accords de partenariat économique ” n Propos recueillis par Sarah Bouchaïb
lll challenges facing overseas ports which are economic lifelines and the single point of supply for local populations.
The overseas regions have huge renewable energy potential, providing a response to the growing demand for electricity. As we make the energy transition, are these regions on the right track to achieving their objective, i.e. producing 50% of their electricity through renewables by 2020? As Non-Interconnected Territories (ZNIs in French), the overseas territories are in a particular situation with regards to the energy transition. As a result, they have long played a pioneering role in the development of renewable energies with ambitious objectives in terms of energy autonomy and the energy mix. In its opinions on Renewable energies overseas: laboratory for our future (July 2011) and the New French energy model programming bill (July 2014), the ESEC stressed the important role that the overseas territories could play in the renewable energy field and the need to provide them with appropriate human and financial resources so they can achieve their objective of renewable energy autonomy by 2020. Do you think these territories could become a laboratory for France’s national energy mix? In its opinion Renewable energies overseas: laboratory for our future (July 2011) the ESEC recalled that the overseas territories should be a “laboratory” for the way in which the national energy mix should be developed, with a clear focus on renewable energies. Naturally, this doesn’t mean precisely applying the overseas system to the French mainland, but drawing out and adapting the most interesting elements. This is the case, for example, of developments that are expected in geothermal and marine energies, whose potential should be explored as a priority. Our country has proven experience in the field of tidal energies and a network of recognised skills in other marine areas. Generally speaking, do you think governments and institutions pay sufficient attention to the DOM TOMs in their economic strategies? The provision of information to overseas departments and their involvement in the definition and implementation of national and European public policies, including policies in the economic, social, environmental and health fields, should be improved. By creating an overseas delegation, we wanted to contribute towards ensuring that the specificities and richness of the overseas territories were taken more effectively into account. Similarly, on the European level in the resolution Pour une Europe Ultramarine (in French) [For an overseas Europe], the ESEC recommended “that an impact analysis be systematically carried out prior to negotiating EU trade agreements on their potential consequences on the economic and social development of the outermost regions (RUP in French) and the overseas countries and territories (PTOM in French), due to their geographic proximity to the third countries in question. This impact analysis should take into account support measures, including financial measures, which may, where appropriate, be offered by these studies and pay attention to the composition of the monitoring committees set up in the wake of free-trade and economic partnership agreements” n LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 55
DOSSIER | L’Europe post cop21
L’ÉcotourIsME En outrE-MEr : unE nouvELLE DonnE
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La délégation sénatoriale à l’Outre-mer a tenu, le 22 septembre 2016, un colloque sur l’innovation touristique dans les DOM-TOM. Centré sur les nouvelles technologies, l’évènement a aussi fait la part belle à l’écotourisme, témoignant de l’intérêt grandissant des acteurs du secteur pour le développement durable.
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e tourisme du futur” : c’est avec cette expression que Madly Schenin-King, directrice de Veille tourisme Antilles, introduit la table ronde. Pour Sophie Lacour, directrice générale d’Advenced Tourism et spécialiste de l’intelligence territoriale, l’avenir du tourisme se trouve dans les technologies du futur. Elles permettront notamment de construire des hébergements écologiques intégrés aux milieux naturels. En ce sens, les territoires d’Outre-mer se montrent très actifs du point de vue de l’innovation et cherchent à développer un tou-
he tourism of the future”, was the expression used by Madly Schenin-King, director of Veille tourisme Antilles, in her introduction to the round table. For Sophie Lacour, Managing Director of Advanced Tourism and a specialist on regional intelligence, the future of tourism lies in the technologies of the future. In particular, these technologies will enable the construction of ecological housing integrated into the natural environment. France’s overseas territories have been very active in terms of innovation and are striving to make tourism more focused on sustainable development, in response to the new demands of environmental responsibility.
Experiential tourism One of the first aspects of this trend is the growing attraction of experiential tourism, as Stéphane Fouassin, President of the IRT (Reunion Island’s regional tourism committee), explains: it refers to immersion in nature, where the experience is more important lll
L’Aqua Lodge est un habitat 100% autonome qui fonctionne grâce à des panneaux solaires, récupère l’eau de pluie par la toiture et comprend un dessalinisateur. The Aqua Lodge is a 100% autonomous habitat operating with solar panels, collecting rainwater from the roof and featuring a desalinator.
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SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
ECOTOURISM AND FRENCH OVERSEAS DEPARTMENTS: A NEW DEAL Le tourisme expérientiel Un des premiers aspects de cette tendance est l’attrait croissant pour le tourisme expérientiel, comme l’explique Stéphane Fouassin, président de l’IRT, le Comité régional de tourisme de la Réunion : il s’agit d’une immersion dans la nature où l’expérience prévaut sur des critères tels que le confort matériel. Elle s’accompagne en revanche d’outils technologiques comme la vidéo à 360° ou de stations hydrométriques, apportant une autre vision du voyage.
On 22 September 2016, the French Senatorial delegation for overseas departments held a seminar on innovation in the tourist industry in the French overseas departments and territories. Focusing on new technologies, the event also showcased ecotourism, reflecting the sector’s growing interest in sustainable development.
© JAL Voyages
risme davantage tourné vers le développement durable, en réponse aux nouvelles exigences d’éco-responsabilité.
Le tourisme expérientiel propose une immersion dans la nature où l’expérience prévaut sur le confort. L’écolodge propose une immersion complète dans l’environnement naturel des marais. The ecolodge offers complete immersion in the natural marsh environment.
Jean-Louis Antoine, le fondateur de l’agence d’écotourisme JAL Voyages, a quant à lui eu l’idée de créer un éco-lodge flottant au cœur de la réserve naturelle des Marais de Kaw, en Guyane. Cette structure à trois étages a été construite essentiellement avec du bois local et propose une véritable plongée dans l’environnement naturel des marais.
Un outil de valorisation efficace Face à l’évolution de la demande, les structures touristiques ont dû s’adapter à un cahier des charges plus vert. Gérard Mayer, président de la Société d’exploitation de l’aéroport de Mayotte, a par exemple réduit la consommation d’énergie de la plateforme aéroportuaire de 40%, notamment grâce à l’absence de climatisation, et l’a dotée d’une station d’épuration biologique.
D’autres acteurs ont choisi de créer des dispositifs innovants. Traitement des effluents, toilettes à compost et habitat bioclimatique : un concept devenu réalité pour Philippe Chevallier, directeur de la marina de Bas-du-Fort en Guadeloupe, avec la création de son Aqua Lodge. Cet habitat flottant maritime est 100% autonome en énergie et en eau, fonctionnant grâce à des panneaux solaires, pouvant récupérer l’eau de pluie par la toiture et incluant un dessalinisateur qui produit de l’eau douce. « Le respect de la nature et de la mer fait partie de mon univers », affirme l’entrepreneur. Un bon modèle de développement d’activité lucrative valorisant des zones naturelles ou des sites culturels menacés n Justine Hagard
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than material comfort. In contrast, however, the experience is supported by technological tools, such as 360° video and hydrometric stations, giving another vision of travel. Jean-Louis Antoine, founder of the eco-tourism agency JAL Voyages, had the idea of creating a floating eco-lodge in the heart of the Marais de Kaw nature reserve in Guyana. This three-storey structure was essentially built with local wood and offers an opportunity to fully experience the natural marshland setting.
An effective promotional tool In the face of growth in demand, tourist structures have also had to adapt to greener specifications. For example, Gérard Mayer, president of the company operating Mayotte’s airport, has reduced the airport hub’s energy consumption by 40%, in the main due to the lack of air-conditioning, and equipped it with a biological water treatment plant. Others have chosen to create innovative mechanisms through waste treatment, composting toilets and bioclimatic housing: this concept became a reality for Philippe Chevallier, director of the Bas-du-Fort marina in Guadeloupe, when he created his AquaLodge. This structure, which floats on the sea, is 100% energy and water autonomous, operates using solar panels and features a system collecting rainwater from the roof and transforming it via desalination into drinking water. ‘Respecting nature and the sea is part of my universe’, the entrepreneur says. A good model of how a lucrative activity can be developed while promoting the region and its natural areas n LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 57
DOSSIER | L’Europe post cop21
“un ocÉan proprE Est La conDItIon MêME DE notrE actIvItÉ”
Créée en 2006 par et pour les professionnels, le Cluster Maritime Français rassemble plus de 410 membres de tous les secteurs de la mer dans le but de promouvoir leur activité. Aujourd’hui, il oeuvre pour une meilleure prise en compte du rôle de l’océan dans la machine climatique.
ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN, Président du cluster maritime français
INTERVIEW WITH FRÉDÉRIC MONCANY DE SAINT-AIGNAN, President of the Cluster Maritime Français
What are the main objectives of your cluster? Aside from institutional communication, our work aims to create synergies between stakeholders involved in the sea. Another key role is that of lobbying, of which the annual Assises de l’Economie Maritime et du Littoral is a prime example. The CMF also works in the DOM-TOMs through six ultramarine maritime clusters, as well as French cluster committees, including one in Singapore, which are responsible for coordinating the work of French companies in their respective areas. We are currently developing another one in Hong Kong. Following ratification of the Paris Climate Agreement by François Hollande, how are maritime stakeholders working together to encourage the incorporation of the role of the ocean into the climate system? Although the role of the ocean was not sufficiently promoted in the context of COP21, it was, nonetheless, the first time it had been taken into account at all! Because, surprisingly and almost incomprehensibly, it had never been incorporated into the “climate system” during previous conferences. This progress results partly from the creation of an ocean-climate platform bringing together scientists, NGOs, and stakeholders in the maritime economy, of which the CMF is one representative. Through this structure, we worked to ensure that the IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) issued a special report on the role of the ocean in climate issues: an initial victory because this document should be published in the coming months!
Quelles sont les principales missions de votre cluster ? Outre la communication institutionnelle, notre action vise la création de synergies entre les acteurs de la mer, sans oublier le lobbying, dont les Assises de l’économie maritime et du littoral sont chaque année l’illustration. Le CMF bénéficie également d’une présence dans les DOM-TOM avec six clusters maritimes ultramarins, ainsi que des comités français du cluster, dont un à Singapour, chargés de coordonner l’action des entreprises françaises dans leurs zones respectives. Nous sommes actuellement en train d’en développer un autre à Hong-Kong. Suite à la ratification de l’accord de Paris sur le climat par François Hollande, comment les acteurs du maritime se mobilisentils pour souligner le rôle de l’océan dans la machine climatique ? Si le rôle de l’océan n’a pas été suffisamment mis en valeur dans le cadre de la COP21, c’est quand même la première fois qu’il a été 58 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
“The role of the ocean had never been incorporated into the “climate system” during previous conferences.” The health of the ocean and its biodiversity is indispensable for the ecological and climate equilibrium of the planet. What solutions do maritime sectors implement to protect the resource and reduce the impact of their activities? What is the role of your cluster in this regard? A clean ocean is a fundamental condition for the sustainability of our work: this is why maritime stakeholders have worked to protect the resource, particularly in terms of transport through the use of less polluting fuels, more efficient propulsion methods and more energy effective vessels which have a reduced environmental impact. The same goes for fishermen and ports which use mate-lll
SPECIAL REPORT | Europe post-COP21
“A CLEAN OCEAN IS A PRECONDITION FOR OUR WORK” pris en compte ! Car de manière totalement surprenante voire incompréhensible, jamais il n’avait été intégré dans la “machine climat” lors des conférences précédentes. Cette avancée découle en partie de la création d’une plateforme océan-climat regroupant scientifiques, ONG, acteurs de l’économie maritime, dont le CMF est l’un des représentants. Au travers de cette structure, nous avons œuvré pour que le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sorte un rapport spécial sur le rôle de l’océan dans l’enjeu climatique : une première victoire, puisque ce document devrait voir le jour dans les mois à venir ! La bonne santé de l’océan et de sa biodiversité est indispensable à l’équilibre écologique et climatique de la planète. Quelles solutions les métiers de la mer déploient-ils pour protéger la ressource et limiter les impacts de leurs activités ? Quel est le rôle de votre cluster en ce sens ? Un océan propre est la condition même de la pérennité de notre activité : c’est pour cette raison que les acteurs du maritime ont oeuvré à protéger la ressource, notamment du côté des transports avec des carburants moins polluants, des modes de propulsion plus efficaces, des navires davantage économes en énergie et qui ont un impact environnemental très réduit. Il en va de même pour les pêcheurs et les ports, qui utilisent des matériaux et des techniques respectueux de l’océan et du poisson. Le nautisme a lui aussi réduit ses rejets et ses consommations : autant d’initiatives qui s’inscrivent dans le crédo de notre cluster, convaincu qu’il ne peut pas y avoir de développement autre que durable pour notre secteur. Car les acteurs du maritime seront les premiers impactés si la machine climatique se dérègle ou que la ressource se dégrade. Qu’en est-il de la politique maritime européenne dans cette “croissance bleue” ? C’est un soutien d’importance. L’UE a inauguré il y a trois ans le programme “Blue growth” en identifiant les cinq secteurs d’avenir dans l’économie maritime européenne que sont l’aquaculture, les énergies marines renouvelables, les bioressources marines, les ressources minérales du fond marin et le tourisme littoral et côtier.
Created by and for professionals in 2006, the Cluster Maritime Français brings together more than 410 members from all maritime sectors with a view to promoting their work. It is currently striving to ensure that the role of the ocean is better incorporated into the climate system.
lll rials and techniques which respect the ocean and its fish. Yachting has also reduced its waste products and consumption: there are a wide range of initiatives which fall within the principles of our cluster, convinced that development can only take place sustainably within our sector. This is not least because maritime actors would be the first to feel the impact if the climate system goes off the rails or if the resource itself deteriorates.
What is European maritime policy in terms of this “blue growth”? It provides significant support. Three years ago, the EU inaugurated the “Blue Growth” programme, identifying the five future sectors in the European maritime economy of aquaculture, renewable marine energies, marine bio-resources, mineral resources from the sea bed, and coastal tourism. What major projects do you plan on implementing in the coming years to stimulate maritime Europe? I wouldn’t single out any one particular action but rather a range of initiatives. We are strongly counting upon the government and private companies to create platforms which will facilitate maritime projects, whatever they may be, in order to address, advance and remove barriers to working together with scientists and NGOs. Everything should be done to ensure that this blue growth transforms into a real sustainable economy n
Quels grands projets comptez-vous mettre en oeuvre d’ici les prochaines années pour dynamiser l’Europe maritime ? Il ne s’agit pas d’une action en particulier mais d’une suite d’initiatives. Nous comptons mobiliser fortement les structures étatiques et privées pour créer des plateformes permettant aux projets maritimes, quels qu’ils soient, d’aboutir, d’avancer et de lever les freins au travail en osmose avec scientifiques et ONG. Le tout pour faire de cette croissance bleue une vraie économie durable n Propos recueillis par Pauline Pouzankov
“Faire de la croissance bleue une vraie économie durable.” “We need to ensure that this blue growth creates a real, sustainable economy.”
LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 59
La cour DE JustIcE : unE rucHE pour LEs aBEILLEs
P RO S P E C T I V E / OUTLOOK
SAISI PAR PLuSIEuRS PAyS DOnt LA FRAncE, LE tRIBunAL EuROPéEn DEMAnDE à LA cOMMISSIOn DE nE PLuS tRAInER SuR LA RégLEMEntAtIOn DES PRODuItS SuScEPtIBLES DE PORtER AttEIntE à LA SAnté PuBLIquE.
S
iégeant au Luxembourg, la Cour européenne de Justice constitue l’une des sept institutions de l’UE. La liste de ses décisions fait apparaître l’éclectisme de son champ d’intervention. Elle se prononce sans cesse, créant de nouvelles jurisprudences, sur des sujets aussi variés que l’harmonisation de certaines prestations sociales, la propriété intellectuelle, la fiscalité et quantité d’autres thèmes. C’est devant les juges européens par exemple, qu’Apple et l’Irlande vont faire appel de la lourde “amende” (13 milliards d’euros) fixée par la Commission de Bruxelles à propos de l’optimisation fiscale du géant américain de l’industrie numérique, accusé d’avoir utilisé les avantages consentis par l’Irlande aux entreprises. Dans le cas d’espèce, c’est le pays d’accueil, l’Irlande, qui est sommé de récupérer les impôts mais celui-ci ne le souhaite pas. Ses dirigeants considèrent que ce serait déloyal vis-à-vis d’une entreprise venue s’installer chez eux en toute connaissance de la possibilité de disposer sous le ciel
Les néonicotinoïdes affectent le système nerveux central des insectes, provoquant la paralysie et la mort. Neonicotinoids affect the central nervous system of insects, triggering paralysis and death.
60 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
B
ased in Luxembourg, the Court of Justice of the European Union (CJEU) is one of the EU’s seven institutions. The list of its decisions reflects the eclecticism of its operational scope. It is constantly making rulings and creating new case law on subjects as varied as the harmonisation of certain social services, intellectual property, taxation and a range of other themes. For example, it is before the European judges that Apple and Ireland will appeal against the heavy “fine” (13 billion euro) set by the Commission in Brussels in response to the tax optimisation methods used by the American digital giant, which is accused of having used Ireland’s corporate tax breaks to its advantage. In this case, it was the host country, Ireland, which was summoned to recover the taxes, but doesn’t want to. Its leaders believe that it would be disloyal towards a company which has set itself up in Ireland to benefit from the two-fold possibility of trading in Europe and benefiting from substantial tax advantages. Unless an agreement is reached with the Commission, which is an unlikely scenario, the case in Luxembourg will be fascinating to follow because all Members of the Union, in line with a specific procedure which exists nowhere else in the world, will have lawyers present in the Court and will thus have the opportunity of having their say. And they won’t hesitate to do so, given the ubiquitously sensitive nature of public finances. This will undoubtedly generate a clearer picture of the “tax competition” which exists between the partner countries of the European Union. Many observers noted the independence of the community judges with regard to the Commission in the decision taken by the General Court (the CJEU’s court of first instance) regarding endocrine disruptors. The judges decided to reprimand the ‘executive’ in Brussels which, for two years, had failed to publish scientific criteria enabling the regulation of these synthetic molecules which impact upon the hormonal system and are present in a variety of common products (pesticides, solvents, bisphenol, etc.). This was a requirement of a regulation on biocidal products adopted in 2012. Given the lack of action from the European Commission, Sweden decided to take a case against the Commission for failure to act. France, Denmark, Finland and the Netherlands joined the case. Increasingly, consumer movements, supported by scientists and ecologists, believe that this is a huge public health issue for Europe’s population. Endocrine disruptors include a wide range of chemical mole- lll
THE COURT OF JUSTICE: A VERITABLE BEEHIVE irlandais de la double possibilité de commercer en Europe et de bénéficier de substantiels avantages fiscaux. Sauf arrangement – improbable – avec la Commission, ce contentieux au Luxembourg sera passionnant à suivre car tous les États membres de l’Union, selon une procédure spécifique qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde, disposent de leurs avocats devant la Cour et donc de la possibilité d’avoir leur mot à dire. Ils ne se priveront pas de le faire, tant la question des finances publiques est partout sensible. Cela permettra sans doute de disposer d’un tableau plus net de la “concurrence fiscale” à laquelle se livrent entre eux les pays partenaires de l’UE.
La législation européenne est souvent jugée par beaucoup comme trop laxiste en matière de produits chimiques. Beaucoup d’observateurs ont vu une preuve de l’indépendance des juges communautaires vis à vis de la Commission dans la décision prise récemment par le Tribunal de l’Union européenne (formation de première instance de la CEJ) dans le dossier des perturbateurs endocriniens. Les magistrats ont décidé d’admonester “l’exécutif” de Bruxelles qui, depuis deux ans, n’a pas publié les critères scientifiques permettant de réglementer ces molécules de synthèse agissant sur le système hormonal et présentes dans une variété de produits courants (pesticides, solvants, bisphénol…). Il s’agissait d’une spécification relevant d'un règlement sur les biocides adopté en 2012. Devant le silence de la Commission européenne, la Suède avait décidé de saisir le tribunal d’un recours en carence. La France, le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas l’ont rejointe dans cette action. De plus en plus de mouvements de consommateurs, appuyés par des scientifiques et des écologistes considèrent qu’il y a là un énorme enjeu de santé publique pour les populations du continent. Les perturbateurs endocriniens, molécules chimiques d’une large diversité entrant dans la composition d’un grand nombre de produits, sont suspectés d’être à l’origine – même à faible dose – dans l’augmentation d’une kyrielle de troubles et de maladies (cancers, troubles métaboliques ou neuro-comportementaux, infertilité etc.). La Commission européenne n’a pas été
IN RESPONSE TO A CASE TAKEN BY SEVERAL COUNTRIES,INCLUDING FRANCE, THE EUROPEAN GENERAL COURT HAS RULEDTHATTHE COMMISSION SHOULD ACT IMMEDIATELY TO REGULATE PRODUCTS LIKELY TO HAVE AN IMPACT UPON PUBLIC HEALTH. lll cules which feature in a large number of products. Even at low doses, they are suspected to be behind the increase in a host of problems and diseases (cancers, metabolic and neuro-behavioural problems, infertility, etc.). The European Commission has not been fined, but has been ordered to act “within a reasonable time-scale”. The judgement will not overturn European legislation, which is considered by many to be too lax in relation to chemical products. However, it is a step towards more transparency, as the arguments between experts on these questions have long been muffled by the carpets of Berlaymont, the immense building where the twentyeight European commissioners and their staff are based. A court decision requiring the Commission to publish the scientific criteria upon which their specialists base their decisions will improve understanding of the Brussels’ mechanisms.
An upsurge in ethics There is no better example than that which the late professor of political science, René Rémond, called “the new subjects of political life”. The body and life, the audio-visual sector and standards relating to the circulation of ideas, the need to protect nature, religion: a number of themes have benefited from the decline in economic ideologies and have slipped into the agendas of our democratic systems. However, in these areas, decision-makers’ and their technicians’ knowledge is, by its nature, very limited and impossible to boil down to simple statements of belief. They need input from experts, because political decisions are constantly fuelled by both the ‘hard’ and the ‘soft’ sciences. This could give rise to infinite controversies worthy of Byzantine theologians or Molière’s doctors but, unfortunately, it is the people who call the solutions. Why? lll LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 61
P RO S P E C T I V E / OUTLOOK
Environ 16 % des colonies d'abeilles mellifères en Europe ont disparu entre 1985 et 2005, avec des pertes encore plus importantes enregistrées en Allemagne, en Angleterre, en République Tchèque et en Suède, selon le projet “Situation et tendances des populations des pollinisateurs en Europe” (STEP), financé par l’UE.
condamnée à une amende, mais elle a été invitée à agir “dans un délai de temps raisonnable”. Ce jugement ne bouleversera pas la législation européenne, jugée par beaucoup comme trop laxiste en matière de produits chimiques. Mais elle constitue un pas vers plus de transparence car les querelles d’experts sur ces questions sont trop amorties par les moquettes du Berlaymont, l’immense édifice où siègent les vingt-huit commissaires européens et leurs collaborateurs. Une décision de justice enjoignant d’indiquer sur quels critères scientifiques les spécialistes de la Commission fondent leurs décisions permettra d’améliorer la connaissance des mécanismes bruxellois.
Around 16% of melliferous bee colonies in Europe disappeared between 1985 and 2005, with even greater losses reported in Germany, England, the Czech Republic and Sweden, according to the EU-funded project entitled “Status and trends of European pollinators” (STEP).
lll Simply because standards relating to the use of chemical pro-
ducts have an impact upon the air we breathe, the food we eat, the quality of our reproductive organs, and the babies’ bottles and the shower gels that we use every day.
Endocrine disruptors include a wide range of chemical molecules which feature in a large number of products.
L’irruption de l’éthique On ne saurait trouver meilleur exemple de ce que le regretté professeur de sciences-politiques René Rémond appelait “les nouveaux objets de la vie politique”. Le corps et la vie, l’audio-visuel et les normes relatives à la circulation des idées, la nécessité de protéger la nature, la religion : autant de thèmes qui ont profité du déclin des idéologies de nature économique pour se glisser dans toutes les querelles propres aux systèmes démocratiques. Mais dans ces domaines, le savoir des décideurs et des techniciens qui leur font cortège est forcément très limité et impossible à résumer par de simples énoncés de convictions. Ils ont besoin de l’expertise des savants car la décision politique s’alimente en permanence au croisement des sciences dures et des sciences humaines. Cela pourrait donner lieu à d’infinies controverses dignes des théologiens de Byzance ou des médecins de Molière mais, hélas, les peuples appellent des solutions. Pourquoi ? Tout simplement parce que les normes relatives à l’utilisation des produits chimiques ont un impact sur l’air que nous respirons, la nourriture que nous absorbons, la qualité de nos organes de reproduction, le biberon des bébés et le gel de douche que nous utilisons chaque jour. D’où un certain catastrophisme voulant que l’augmentation des cancers du sein et de la prostate, de l’obésité et du diabète soient 62 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
This gives rise to a certain catastrophism, claiming that the increase in breast and prostate cancers, obesity and diabetes are the result of the work of powerful lobbyists working in the corridors of the Commission in Brussels which is, alongside the well-known Food and Drug Administration in the United States, the most fantastic standard-producing machine in the Western world. In his highly virulent book, Intoxication (published by La Découverte), Stéphane Horel strove to show, by examining confidential documents, that the ‘Brussels bubble’ was particularly indulgent with regard to industry in terms of pesticides and dangerous phytosanitary products, in the name of economic competitiveness and as due to the sacrosanct nature of trade secrecy. Certainly, lobbyists are very active and wellestablished in Brussels, but they are increasingly confronted by opposing ecological movements working through a number of foundations and political bodies and, sometimes, national governments. For example, France is currently calling for the adoption of European-level provisions to protect human and environmental health and, in any case, full implementation of regulations stating that if a substance is a known endocrine disruptor it may be withdrawn from the market. Through the French Minister for the Environment, Ségolène Royal, and despite the difficulties of reaching a consensus both in Parliament and within scientific bodies, France lll
le résultat du travail de puissants lobbies s’activant dans les couloirs de la Commission de Bruxelles qui est, avec la fameuse Food and Drug Administration des États-Unis, la plus fantastique machine à produire des normes du monde occidental. Stéphane Horel, dans un livre très virulent ( Intoxication , aux éditions La Découverte ) s’est attachée à démontrer, en dépouillant des documents confidentiels, que la “bulle bruxelloise” était particulièrement complaisante à l’égard de l’industrie en matière de pesticides et de produis phytosanitaires dangereux, au nom de la compétitivité économique et grâce au sacro-saint secret des affaires. Les lobbyistes sont certes très actifs et bien implantés à Bruxelles mais leurs efforts se heurtent aussi à ceux de tous les réseaux de la mouvance écologique, à travers quantité de fondations et formations politiques, qui agissent en sens opposé, parfois relayés par des gouvernements nationaux.
La France appelle par exemple à adopter au niveau européen un projet permettant la protection la plus élevée de la santé humaine et de l’environnement, et en tous les cas une pleine application des règlements qui prévoient l’exclusion du marché des substances qui peuvent avoir des effets de perturbation endocrinienne. Par la voix de Ségolène Royal , ministre de l’Environnement, et en dépit d’un consensus difficile à trouver tant au Parlement que dans les instances scientifiques, notre pays a récemment considéré que les positions actuelles de la Commission ne répondaient pas à cet objectif.
La question des pesticides et autres produits dangereux n’est pas séparable du constat souvent fait par les militants de l’écologie, des plus médiatiques aux moins connus : le progrès de la recherche et des techniques accélère la détérioration de l’environnement lorsqu’il est orienté dans un sens strictement productiviste. Il se passe en matière de chimie, en somme, la même chose qu’en fait de déforestation. Les machines à arracher les arbres utilisées aujourd’hui sont infiniment plus puissantes que celles d’hier. Les molécules apparues depuis trente ans en vue de s’attaquer aux parasites ont été mille fois plus efficaces que leurs devancières. Et tant pis pour les abeilles… Les agriculteurs piégés par la culture intensive sont à la fois les artisans et les victimes du maniement des substances nocives, de même que les employés de leurs coopératives qui les manipulent. Bien que la prise de conscience soit aujourd’hui certaine et que nombreuses initiatives marquent un développement réel de “l’agriculture bio”, la bagarre, auprès des instances bruxelloises comme des autorités normatives de chaque pays va de plus en plus porter sur les calendriers et les moratoires d’interdiction. On ne saurait imaginer, tant les intérêts en jeu sont énormes et les opinions divergentes, un continent subitement débarrassé de tout poison, sauf à rêver de cultures miraculeusement exemptes d’agents nuisibles naturels. Des équilibres sont à trouver. Ils ne pourront l’être sans une “irruption de l’éthique” : devant les aspects parfois déconcertants d’une situation nouvelle, les citoyens aimeraient que les responsables auxquels ils sont bien forcés de faire confiance soient à la fois sages et honnêtes. En clair, qu’aucun lien ne puisse faire naître l’ombre d’un soupçon de connivence entre des fonctionnaires au statut par ailleurs confortable et des industriels ne connaissant d’autre loi que celle de leurs intérêts immédiats. C’est pourquoi la Cour européenne du Luxembourg, mal connue du grand public à cause de la complexité de ses procédures, pourrait offrir de plus en plus ses voies de recours à ceux qui désespèrent d’être entendus par l’administration de l’UE n François Domec
lll recently stated that it believes that the Commission’s current position does not meet to this objective.
The question of pesticides and other dangerous products is inevitably linked to the claim often made by ecological activists, from the most media-savvy to the least known: when research and technological progress is driven by production, environmental damage accelerates. The same thing happens in chemistry as can be observed in deforestation. The tree-felling machines used today are infinitely more powerful than those used in the past. Similarly, molecules which have emerged over the past thirty years are a thousand times more effective at attacking parasites than their predecessors. And too bad for the bees... farmers who are trapped by intensive agriculture are both the producers and victims of harmful substances, as are the staff who handle them in their cooperatives. Although public awareness has certainly grown and the development of real ‘organic farming’ can be seen through several initiatives, battles within the Brussels institutions and national standards’ authorities will increasingly focus on timelines and moratoria for implementing the bans. The stakes are so enormous and opinions so varied, that it is difficult to imagine a continent which is suddenly free of all poisons, other than dreaming of farming practices which are miraculously exempt from naturally harmful agents. This balance has yet to be found. And it cannot be found without an ‘upsurge in ethics’. Faced with the sometimes disconcerting prospect of a new situation, citizens want the leaders whom they are forced to trust to be both wise and honest. Clearly, no shadow of suspicion can arise over complicity between civil servants with their comfortable positions and business leaders who obey no law other than that of their own immediate interests. This is why the CJEU in Luxembourg, which isn’t widely known to the general public due to the complexity of its procedures, may increasingly be called upon by those who despair of being heard by the EU administration n
Les abeilles contribuent à hauteur d’environ 22 milliards d’euros à l’économie de l’UE, selon le projet STEP. Bees contribute around 22 billion euros to the EU economy, according to the STEP project.
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FOCUS | Les enjeux de l’eau
anDrÉ santInI : “ nos MÉtIErs n’ont pas attEnDu La cop21 pour ÉvoLuEr” ANDRÉ SANTINI: “OUR SECTORS DIDN’T WAIT FOR COP21 BEFORE EVOLVING” État D’urgEncE sur L’Eau STATE OF EMERGENCY ON WATER
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“L’Eau potaBLE, LE proDuIt aLIMEntaIrE LE pLus contrôLÉ” 74 Un entretien avec Bertrand Camus, président de la Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (FP2E) “DRINKING WATER, THE MOST CONTROLLED FOODSTUFF” Interview with Bertrand Camus, President of the Fédération Professionnelles des Entreprises de l'Eau (FP2E) MIcHèLE rIvasI : “ExcEssIvELy HIgH nItratE LEvELs In DrInKIng WatEr” 76 Un entretien avec Michèle Rivasi, députée européenne, Vice-présidente du groupe Verts/ALE et membre de la commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire au Parlement européen MICHÈLE RIVASI: “EXCESSIVELY HIGH NITRATE LEVELS IN DRINKING WATER” Interview with Michèle Rivasi, member of the European Parliament, Vice-Chair of the Greens/European Free Alliance and Member of the Committee on the Environment, Public Health and Food Safety “L’Eau coMME un BIEn coMMun” Un entretien avec Célia Blauel, directrice générale chez Eau de Paris “WATER AS A COMMON GOOD” Interview with Célia Blauel, Director General of Eau de Paris
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gEMapI : La MÉtropoLE Du granD parIs sE JEttE à L’Eau GEMAPI: THE MÉTROPOLE DU GRAND PARIS TAKES THE PLUNGE
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gEstIon DE L’Eau : un nœuD gorDIEn LIquIDE WATER MANAGEMENT: A LIQUID GORDIAN KNOT
trIBunE... “L’urgEncE DE rEtrouvEr un ÉquILIBrE” AN OPINION PIECE... “THE PRESSING NEED TO RESTORE BALANCE”
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SPOTLIGHT | The challenges of water
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FOCUS | Les enjeux de l’eau
anDrÉ santInI : “ nos MÉtIErs n’ont pas attEnDu La cop21 pour ÉvoLuEr”
© CEDIF
Avec près de 750 000 m3 distribués chaque jour, le SEDIF est le plus grand service public d’eau en France. Son président, André Santini, ancien ministre, député-maire d’Issy-les-Moulineaux et viceprésident de la Métropole du Grand Paris, s’exprime sur les enjeux qui attendent les métiers de l’eau dans les prochaines années.
Water is our second most vital need after oxygen. Do you think that this resource was sufficiently taken into account during the Paris conference? Will the post-COP21 period lead to profound changes in your sectors? On 12 December 2015, an historic agreement was reached at COP21, for which SEDIF was the official partner for the secure provision of water to the site. The agreement was to reduce global warming to 2°C. Ultimately, water was not mentioned in the Agreement, although the international water community fought until the last minute for it to be mentioned in a point in the foreword to the Annex. That said, several points within the Paris Agreement will allow us to promote the cause of water in terms of the fight against climate change: the recognition of human rights, the post-2015 agenda, the recognition of the role of local and regional actors, the 2020 review of national contributions, the importance of funding to adaptation projects. We are delighted to see the policy-makers of the entire world working together to preserve our planet. At SEDIF, we have always considered the issues, with in particular, the permanent objective of reducing water abstraction, by avoiding water wastage, by improving the environment, and by improving processes to economise energy. Our approach to sustainable development intensified from 2001 onwards. For example, today the SEDIF is the world’s first water service to be totally carbon neutral. Our sectors are changing, but we didn’t wait for COP21 to do so. The public drinking water service has equipped itself with the tools, processes and operational practices to serve the environment. We have adopted a real ‘environmental culture’ which permeates our day-to-day work. What challenges do you think the water sectors will face in the coming years? Water management includes several challenges, particularly within major global cities, as is the case for the SEDIF with Greater Paris, against a backdrop of strong urbanisation and development. Public infrastructures and services must meet the ever-rising expectations of a demanding population, at a reasonable cost.
L’eau étant le deuxième besoin vital après l’oxygène, pensezvous que l’importance de cette ressource a suffisamment été prise en compte lors de la conférence de Paris ? L’ère post COP21 va-t-elle amener des mutations profondes dans vos métiers ? Le 12 décembre 2015, un accord historique a été trouvé à l’occasion de la COP21, dont le SEDIF était partenaire officiel pour l’alimentation sécurisée en eau du site, pour limiter le réchauffement
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Preserving the resource in the context of climate change, the quality of the water supply and meeting customer expectations (lime-scale, chlorine), the continuity of the service and emergency management, sustainable management of the resource including the network, digital cities and smart water, modernising customer relations, taking into account the most disadvantaged communities, transparency and governance ... water services are currently faced with ever-changing issues, under the watchful eye of well-informed consumers. Faced with these challenges, we must remain inno- lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
ANDRÉ SANTINI: “OUR SECTORS DIDN’T WAIT FOR COP21 BEFORE EVOLVING” global de la planète à 2°C. L’eau n’est finalement pas explicitement citée dans l’Accord, bien que la communauté internationale de l’eau ait agi jusqu’au dernier moment pour qu’elle trouve sa place dans un point du préambule de son annexe. Cela étant, plusieurs points figurant dans l’Accord de Paris vont permettre de faire avancer la cause de l’eau en lien avec la lutte contre le changement climatique : reconnaissance des Droits humains, Agenda post 2015, reconnaissance du rôle des acteurs locaux et régionaux, révision en 2020 des contributions nationales, importance des financements apportés aux projets d’adaptation. Réjouissons-nous de voir les responsables politiques du monde s’emparer de la préservation de notre planète. Le SEDIF, pour sa part et à son niveau, en a mesuré les enjeux depuis toujours, avec notamment l’objectif permanent de limiter ses prélèvements sur la ressource, en évitant les pertes d’eau et en les restituant au milieu en meilleur état ainsi que d’améliorer ses process pour économiser l’énergie. Sa démarche de développement durable s’est intensifiée à partir de 2001. Par exemple, aujourd’hui le SEDIF est le premier service d’eau au monde totalement neutre en carbone. Nos métiers changent, mais n’ont pas attendu la COP21 pour évoluer. Le service public de l’eau potable, s’est doté des outils, processus et pratiques opérationnelles qui servent l’environnement. C’est une véritable “culture environnementale” qui imprègne nos pratiques au quotidien. A quels défis les métiers de l’eau vont-ils devoir faire face, d’après vous, dans les prochaines années ? La gestion de l’eau comporte de nombreux enjeux, notamment au sein des grandes agglomérations mondiales, comme pour le SEDIF avec le Grand Paris, dans un contexte de forte urbanisation et de développement. Les infrastructures et les services publics doivent être à la hauteur des attentes toujours plus élevées de populations exigeantes, pour un coût maîtrisé. Préservation de la ressource dans le contexte du changement climatique, qualité sanitaire de l’eau distribuée et satisfaction des attentes des consommateurs (calcaire, chlore), continuité du service et gestion de crise, gestion durable du patrimoine dont le réseau, ville numérique et smart water, modernisation de la relation clientèle, prise en compte des plus démunis, transparence et gouvernance… les services d’eau sont aujourd’hui confrontés à des problématiques en constante évolution, sous le regard vigilant de consommateurs éduqués. Face à ces défis, nous nous devons de rester innovants et d’apporter en permanence la meilleure réponse technique au meilleur coût. Depuis 1986, le SEDIF subventionne des organisations de solidarité internationale de droit français qui, pour le compte de
With more than 750,000m 3 of water distributed every day, the SEDIF is the biggest public water service in France. Its president, André Santini, former Minister, Member of Parliament and Mayor of Issy-les-Moulineaux and Vice-President of the Greater Paris Metropolitan Authority, talks about the challenges facing the water sectors over the coming years.
lll vative
and permanently strive to find the best technical responses at the lowest cost.
Since 1986, the SEDIF has funded organisations classified under French law as being “international solidarity organisations” and which, on behalf of regional authorities in developing countries, conduct drinking water supply projects. What are you currently working on in the world? SEDIF representatives felt morally obliged to contribute to improving access to drinking water in developing countries. They also decided that some of SEDIF’s profits should be devoted to this solidarity work. The “Oudin-Santini” law, for which I was rapporteur, and which was unanimously adopted by the French Parliament in 2005, established this initiative by enabling local authorities and public establishments to invest up to 1% of their water service resources in international solidarity initiatives. Over 30 years, the SEDIF has donated 30 million euros to fund 251 operations in 22 countries of Asia and French-speaking Africa, exclusively in partnership with non-governmental organisations. 4.5 million people were able to benefit from this, i.e. as many people as the number of inhabitants supplied with drinking water within the SEDIF area, making it the biggest French contributor in terms of access to water in the world, aside from the government. Today, for each cubic metre of water sold by SEDIF, one centime per m 3 is set aside, raising 2.4 million euros to fund water access projects. This vital contribution for beneficiaries represents only one euro per household per year. In 2016, 17 projects were funded, including the creation of a drinking water network in Cameroon, the renovation of a treatment unit and the creation of a distribution network in Guinea, the development of a communal water service in Madagascar, and a water access project in two communes in Haiti. Tell us about the Club for the World’s Premier Water Services ? The SEDIF has always maintained contact with certain major cities in the world. These discussions provide inspiration in terms of lll LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 67
collectivités dans des pays en développement, réalisent des projets d’alimentation en eau potable. Sur lesquels travaillezvous actuellement dans le monde ?
© PUBLICIS
FOCUS | Les enjeux de l’eau
Les élus du SEDIF ont considéré comme un impératif moral de contribuer à l’amélioration de l’accès à l’eau potable dans les pays émergents. Ils ont ainsi décidé qu’une part des recettes du SEDIF serait consacrée à ces actions de solidarité. La loi “Oudin-Santini”, dont j’ai été le rapporteur, adoptée à l’unanimité par le Parlement français en 2005, a consacré cette initiative en permettant aux collectivités et établissements publics de financer des actions de solidarité internationale jusqu’à 1% des ressources de leurs services d’eau. En 30 ans, le SEDIF a contribué pour 30 millions d’euros au financement de 251 opérations dans 22 pays d’Asie et d’Afrique francophones, exclusivement en partenariat avec des organisations non gouvernementales. 4,5 millions de personnes ont pu en bénéficier, soit le même nombre d’habitants desservis en eau potable sur le territoire du SEDIF, faisant ainsi de ce dernier le premier contributeur français concernant l’accès à l’eau dans le monde, hors État. Aujourd’hui, pour chaque mètre cube d’eau vendu par le SEDIF, le prélèvement de 1 centime d’euro par m3, permet de disposer de 2,4 millions d’euros pour financer des projets d’accès à l’eau. Cette contribution vitale pour les bénéficiaires ne représente environ qu’1 euro par foyer et par an. En 2016, 17 projets auront été financés comme la création d’un réseau d’eau potable au Cameroun, la réhabilitation d’une unité de traitement et la création d’un réseau de distribution en Guinée, le développement d’un service d’eau communal à Madagascar, ou encore un projet d’accès à l’eau dans deux communes d’Haïti. Qu’en est-il du Club des grands services de l’eau ? Depuis toujours, le SEDIF entretient des contacts avec certaines grandes agglomérations du monde. Ces échanges permettent de s’inspirer des meilleures pratiques au niveau international. Une
Le SEDIF poursuit sa politique d’innovation à Choisyle-Roi À l’occasion de l’inauguration de la nouvelle unité de traitement avant rejet des eaux de process de l’usine de production d’eau potable de Choisy-le-Roi, qui alimente aujourd’hui plus de 1,8 million d’usagers, le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France (SEDIF) a présenté les différents chantiers de modernisation en cours. Ces travaux contribuent à faire de l’usine de Choisy-le-Roi un site de référence pour produire une eau potable aux standards du XXIème siècle, strictement conformes aux normes et répondant encore mieux aux attentes des usagers. Ils s’inscrivent dans le cadre du XVe Plan d’investissements du SEDIF 2016-2020, et illustrent sa capacité à innover au service d’un service public toujours plus performant et respectueux de l’environnement et des consommateurs.
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lll international best practice. An additional step was taken in 2011 with the creation of the Club for the World’s Premier Water Services. This very flexible structure aims to regularly bring together the water services of a dozen or so cities which, like SEDIF, find added value in discussions around current issues and the future of water management. The approach is intentionally pragmatic and operational. Discussions take place on sharing solutions that each region implements and which often cover issues encountered by other members.
Its second meeting is due to take place in November 2016 in Paris, and will include, notably, the water services of San Francisco, Milwaukee, Washington, Mexico, Prague, DeWatergroep (Belgium), Rabat, Delhi, Shenzhen, Shanghai and Sydney. What flagship operations are you hoping for between now and 2020? The SEDIF has embarked upon an ambitious and responsible policy of modernising and increasing the reliability of its assets. Thus, by 2020, its 15th Investment Plan (2016-2020) will be marked by an acceleration in operations to control public works, with an investment budget of more than one billion euros over five years. lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
étape supplémentaire a été décidée en 2011 avec la création du Club des grands services d’eau du monde. Cette structure très souple a pour vocation de réunir régulièrement les services de l’eau de d’une dizaine de métropoles qui, comme le SEDIF, trouvent un intérêt à échanger autour des enjeux actuels et futurs de la gestion de l’eau. L’approche est volontairement pragmatique et opérationnelle. Les échanges portent sur le partage de solutions que chaque collectivité a mises en oeuvre, et qui rejoignent bien souvent des problématiques rencontrées par les autres membres. Son deuxième rassemblement est prévu en novembre 2016 à Paris avec notamment les services d’eau de San Francisco, Milwaukee, Washington, Mexico, Prague, DeWatergroep (Belgique), Rabat, Delhi, Shenzhen, Shanghai ou encore Sydney. Quelles opérations phares comptez-vous mener à l’horizon 2020 ? Le SEDIF mène une politique ambitieuse et responsable de modernisation et de fiabilisation de son patrimoine. Ainsi d’ici 2020, son XVe Plan d’investissements (2016-2020) sera-t-il caractérisé par une intensification du rythme des opérations en maîtrise d’ouvrage publique, pour une enveloppe d’investissements de plus de 1 milliard d’euros sur les cinq ans. Ce Plan place définitivement le service public de l’eau du SEDIF dans le 21e siècle, avec quatre objectifs majeurs : n le déploiement des technologies de pointe pour anticiper les attentes des consommateurs : vers une eau pure, sans calcaire et sans chlore, jusqu’au robinet ; n un Plan responsable, protecteur des générations futures, par la gestion durable d’un patrimoine pérennisé et modernisé ; n l’intégration de l’environnement et les économies d’énergie dans ses objectifs ainsi que sa réalisation ;
lll This
Plan definitively places the SEDIF public water service in the 21 st century, with four major objectives:
n use of cutting-edge technologies to anticipate consumers’ expectations: moving towards pure water, without lime-scale and chlorine, right to the tap ; n a responsible plan, protecting future generations through the sustainable management of a durable and modernised asset ; n integration of the environment and energy economies into its objectives and way of operating ; n support for major Greater Paris transport projects and timescales.
In particular, the investments which have been made will enable network performance to be improved and a range of thoroughly modernised pumping stations and reservoirs to be created, which will contribute even further towards the security of supply. By 2020, the Plan will create or preserve more than 3,500 jobs, 2,000 of them in the Île-de-France, which will make SEDIF one of the main public actors in terms of supporting the economy and employment in the region. In addition to its own region and within the context of the creation of the Paris Metropolitan Authority, SEDIF works with other major regional public water services, including the city of Paris, to promote the industrially smart and respectful mutualisation of each of their management choices. The main challenges are to increase security in the event of an emergency through genuinely collective infrastructures, management of the resource and resilience to climate change, economic optimisation, notably in terms of production in the context of a reduction in consumption, aid to the most disadvantaged across the entire water bill (water, sanitation, taxes and user fees) n
n l’accompagnant des projets du Grand Paris des transports, dans le respect des calendriers. Les investissements réalisés permettront notamment d’améliorer les performances du réseau et de disposer d’un parc de stations de pompage et de réservoirs entièrement modernisé, ce qui contribuera à améliorer encore la sécurité d’alimentation. D’ici 2020, ce Plan permettra de créer ou de préserver plus de 3 500 emplois, dont 2000 en Ile-de-France, ce qui fait du SEDIF l’un des principaux acteurs publics du soutien à l’économie et à l’emploi au niveau régional. Au-delà de son propre territoire, et dans le contexte de la création de la Métropole de Paris, le SEDIF promeut avec les autres grands services publics d’eau régionaux, dont la ville de Paris, une mutualisation industriellement intelligente et respectueuse des choix de gestion de chacun. Les principaux enjeux en sont : renforcer encore la sécurité en cas de crise, par des infrastructures réellement collectives, gérer de la ressource et résilience au changement climatique, optimiser économiquement notamment de la production dans le contexte de baisse des consommations, aider aux plus démunis sur la totalité de la facture d’eau (eau, assainissement, taxes et redevances) n
SEDIF continues its innovation policy at Choisy-le-Roi At the inauguration of the new processing unit before the discharge of process water from the drinking water production factory at Choisy-le-Roi, which now supplies more than 1.8 million users, the Syndicat des Eaux de l’Île de France (SEDIF) presented the various modernisation procedures underway. This work will contribute to making the Choisy-le-Roi factory a reference site for producing drinking water to 21st century standards, strictly compliant with standards and responding more fully to users’ needs. This forms part of SEDIF’s 15th investment plan 2016-2020, and illustrates its ability to innovate to create a more highly-performing public service which respects the environment and consumers.
Propos recueillis par Pauline Pouzankov
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FOCUS | Les enjeux de l’eau
État D’urgEncE sur L’Eau
Deux sénateurs ont émis le 8 juin un rapport parlementaire censé alerter l’opinion et le gouvernement sur la problématique de l’eau en France.
“N
ous sommes un peu comme des lanceurs d’alerte” annonce le sénateur UDI-UC du Lot-et-Garonne, Henri Tandonnet. Avec son collègue Jean-Jacques Lozach, sénateur PS de la Creuse, ils présentaient le mercredi 8 juin un rapport parlementaire intitulé : “Eau, urgence déclarée”. Présent également, Roger Karouchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine et président de la délégation sénatoriale à la Prospective, commission à l’origine de ce rapport. “Il y a urgence. On a le sentiment aujourd’hui que l’eau n’est pas un problème en France. On regarde ailleurs, on pense que ça ne nous concerne pas. Les choses doivent changer ”, lance-t-il en guise d’introduction.
“L’eau n’apparait pas par magie. On gère ce que l’on reçoit sans le maîtriser.” Fruit d’un travail sur quinze mois, le rapport s’articule en quatre temps : “Réalisme, Partage, Action / Recherche, Politique”. “Il en ressort une grande inquiétude quant à l’avenir si on ne fait rien” déplore Jean-Jacques Lozach. “Malgré le succès de la COP 21, la problématique de l’eau est un phénomène ample et long qu’il faut prendre à bras le corps ” poursuit-il.
“W
e are a bit like whistleblowers” said the UDI-UC Senator for Lot-et-Garonne, Henri Tandonnet. On Wednesday 8 June, he and his colleague, Jean-Jacques Lozach, Socialist Senator for the Creuse department, presented a Parliamentary report entitled: “Water, a state of emergency”. Also present was Roger Karouchi, Republican Senator for the Hauts-deSeine department and president of the Senate’s committee for strategic foresight, who had commissioned the report. “This is an emergency. Everyone thinks that water is not a problem in France today. We all look elsewhere and think it’s not our problem. Things have to change”, the introduction states. Drafted over a period of fifteen months, the report focuses on four issues: “realism, sharing, action/research and policy”. “There is great concern about the future if we do nothing now” says JeanJacques Lozach. “Despite the success of COP21, the issue of water is a wide-ranging and long-term phenomenon which must be tackled” he continues.
Climate change and regional management “The phenomenon of climate change will affect regions which are not ready to deal with it”. When he voiced this opinion, Henri Tandonnet was particularly thinking of his own region, the GrandeAquitaine, an agricultural region which, like many others, will face significant changes in the coming years. Jean-Jacques Lozac continues: “the regions will face different issues. We need to look at adopting a regional approach to managing them.’” In terms of water, France is administered by “basins” (the Seine basin, the Loire basin), hence a “basin and sub-basin approach” will be needed.
Réchauffement climatique et gestion territoriale “Le phénomène de réchauffement climatique va toucher des régions qui ne sont pas prêtes à y faire face”. En disant cela, Henri Tandonnet pense notamment à la sienne, la Grande-Aquitaine, terre
“Climate change will affect regions which are not ready to deal with it.”
Promoting a collective solution
Le sénateur socialiste Jean-Jacques Lozach estime que “la problématique de l’eau est un phénomène qu’il faut prendre à bras le corps.” The socialist Senator Jean-Jacques Lozach believes that water is “an issue which needs to be tackled”.
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Following the water law of 3 January 1992 cited by Henri Tandonnet, “water is part of the nation’s common resources. The protection, promotion and development of this usable resource, while respecting natural balance, is in the general interest”. In their report, the two Senators focus on joined-up water management, bringing together the relevant ministries (Health, Ecology, Agriculture, etc.) and private French companies who already carry out significant international work on managing the resource (e.g. Véolia, Suez Environnement), without falling into the trap of endless bureaucratic complexities. Confirming that he had “a great deal of hope in lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
STATE OF EMERGENCY ON WATER agricole, qui comme d’autres, va subir des bouleversements importants dans les années à venir. Jean-Jacques Lozac embraille : “les difficultés dans les régions ne seront pas les mêmes, il faut une gestion territoriale du problème.” La France, en matière d’eau, est administrée par “bassin” (bassin de la Seine, bassin de la Loire) c’est donc par “bassin et sous-bassin que nous allons travailler.”
D’après la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, citée par Henri Tandonnet, “l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général.” Dans leur rapport, les deux sénateurs misent sur une gestion de l’eau à plusieurs, associant ministères concernés (Santé, Ecologie, Agriculture …) et entreprises privées françaises, qui font déjà un travail conséquent sur la gestion de la ressource à l’international (Veolia, Suez Environnement). Sans pour autant tomber dans le “mille-feuille administratif”.
© Vernier/ JBV NEWS
Privilégier une solution collective
On 8 June, two Senators published a Parliamentary report aiming to raise awareness among the public and the government of the issue of water in France.
Assurant porter “beaucoup d’espoir dans ces projets territoriaux ”, Henri Tandonnet nuance : “Malheureusement, l’eau n’apparait pas par magie. On gère ce que l’on reçoit sans le maitriser.” n Lucas chedeville
En 2016, la crue de la Seine a atteint un pic à 6,50 mètres, après être montée à 6,18 mètres en 1982, 7,12 mètres en 1955 et 7,32 mètres en 1924.
In 2016, the water level of the Seine peaked at 6.5m, after having risen to 6.18m in 1982, 7.12m in 1955 and 7.32m in 1924.
lll these regional projects”, Henri Tandonnet said: “unfortunately, water does not appear magically. We manage what we receive without controlling what we receive” n
Publi-rédactionnel
L’expérience au service de l’eau et l’assainissement
Présent depuis de très nombreuses années dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement, SPI Environnement est une PME à taille humaine, dont la proximité avec les clients est l’un de ses principaux atouts.
Un entretien avec Pascal German, Directeur de la branche Eau de SPI Environnement Pouvez-vous nous présenter SPI Environnement ? SPI Environnement est une PME de production et distribution d’eau et assainissement, présente dans le Nord de l’Ile-de-France. Elle dessert 150 000 habitants en eau potable et assainissement et produit plus de 10 millions de m3 d’eau par an. SPI Environnement fait partie du groupe SPI (Service Public et Industrie). Ce dernier est présent depuis plus de 100 ans dans le domaine de l’eau potable et depuis plus de 30 ans dans l’assainissement.
Que pensez-vous de la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) ? La loi NOTRe va donner aux nouveaux EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) la compétence eau et assainissement. Le risque pour notre entreprise est de voir apparaître des marchés avec des nombres d’abonnés supérieurs à 20 000, ce qui risque de nous mettre en difficulté vis-à-vis des élus. Je pense donc qu’il faudrait allotir les futurs marchés.
Quel est votre rôle par rapport aux régies et aux marchés ? En tant que PME, les élus et techniciens des collectivités ont un accès direct et personnel à l’ensemble de l’entreprise. Cette connaissance et ce circuit de décisions court favorisent des relations de confiance et de transparence ainsi qu’une très grande réactivité de nos services de jour comme de nuit. Un bureau d’études intégré dans l’entreprise nous permet de réaliser une veille technologique et de la mettre en place de façon très rapide.
Contact : SPI Environnement 26, Quai de l’Oise 78570 Andrésy Tél. : 01 39 75 13 60 Fax : 01 39 75 13 52 E-mail : spie@spie-groupe.fr LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 73
FOCUS | Les enjeux de l’eau
“L’Eau potaBLE, LE proDuIt aLIMEntaIrE LE pLus contrôLÉ”
Qualité de l’eau, préservation de la ressource ou encore politique environnementale, la Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (FP2E) est sur tous ces sujets le porte-parole des entreprises françaises de l’eau, ce qui en fait un acteur majeur dans ce domaine, en France comme à l’international.
UN ENTRETIEN AVEC BERTRAND CAMUS, Président de la Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (FP2E)
INTERVIEW WITH BERTRAND CAMUS, President of the Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (FP2E)
What is the role of the FP2E in France, Europe and internationally? The FP2E brings together companies responsible for managing water and sanitation services in France: Alteau, Derichebourg Aqua, Saur, SEFO, Sogedo, Suez and Veolia. It represents these operators on a variety of subjects: water quality, preservation of resources, environmental policy, legal framework, customer relations, etc. We promote the principle of the freedom of choice between public and private operators, through the organisation of strong public authorities. In European and international bodies, our organisation coordinates the profession’s responses. The FP2E is a member of EurEau, the European federation of drinking water and waste water service providers, which contributes to the development of European public policies on water. What water-related challenges does Europe face? Our companies are committed to implementing the right to water, which may include experimentation with social tariffs and greater transparency through the publication of performance indicators. Our companies publish more than 100,000 performance indicators in France every year. Drinking water and waste water services also need to contribute towards the transition to a circular economy. We need to reduce the pressure on water resources by developing solutions such as the re-use of waste water as well as by supporting the production of energy and organic fertilisers from waste water, which effectively contributes to reducing greenhouse gas emissions.
Quel est le rôle de la FP2E en France d’une part, en Europe et à l’international d’autre part ? La FP2E regroupe les entreprises assurant la gestion des services d’eau et d’assainissement en France : Alteau, Derichebourg Aqua, Saur, SEFO, Sogedo, Suez et Veolia. Elle est le porte-parole de ces opérateurs sur des sujets divers : qualité de l’eau, préservation des ressources, politique environnementale, cadre juridique, relations avec les consommateurs, etc. Nous faisons la promotion du principe de la liberté du choix de l’opérateur public ou privé, par des autorités organisatrices publiques fortes. Dans les assemblées européennes et internationales, notre organisme coordonne les réponses de la profession. La FP2E est membre d’EUREAU, la fédération des opérateurs de services d’eau et d’assainissement au niveau européen, qui contribue à l’élaboration des politiques publiques européennes sur l’eau.
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“Water companies play a major role in terms of social responsibility and health.” What can you do to guarantee high-quality drinking water? By supplying drinking water to more than two-thirds of the French population, water companies play a major role in terms of social responsibility and health. Currently in France, more than 12 million analyses are carried out annually across all public water services, including eight million by our companies, making drinking water the most highly controlled foodstuff. The water which is supplied in France is of very high quality. This is reflected in the fact that French people have an 81% confidence level in the quality of lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
“DRINKING WATER, THE MOST CONTROLLED FOODSTUFF” Quels sont les enjeux relatifs à l’eau au niveau européen ?
The Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (FP2E) represents French water companies on issues of water quality, preserving resources and environmental policy, making it a major stakeholder in this domain, both in France and internationally.
Nos entreprises s’engagent pour la mise en œuvre du droit à l’eau, qui peut passer par l’expérimentation de tarifs sociaux, et par une meilleure transparence grâce à la publication d’indicateurs de performance. Nos entreprises en publient plus de 100 000 en France par an. Les services d’eau et d’assainissement doivent également contribuer à la transition vers une économie circulaire. Il faut alléger la pression sur la ressource en eau en développant des solutions comme la réutilisation des eaux usées traitées mais aussi soutenir la production d’énergie et d’engrais organiques à partir des eaux usées, qui contribuent efficacement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
lll their tap water, according to the latest survey carried out by the Centre d’Information sur l’Eau in June 2016. The revision of the Drinking Water Directive which is currently underway will be an opportunity to strengthen this confidence in tap water even further.
Que faites-vous pour garantir une eau potable de qualité ? En alimentant en eau potable plus des deux tiers de la population française, les entreprises de l’eau ont une responsabilité sociétale et sanitaire majeure. Aujourd’hui, en France, plus de 12 millions d’analyses sont effectuées annuellement sur l’ensemble des services publics d’eau, dont 8 millions par nos entreprises, ce qui fait de l’eau potable le produit alimentaire le plus contrôlé. L’eau distribuée aux Français est d’un très haut niveau de qualité. Preuve en est, le niveau de confiance des Français en la qualité de l’eau du robinet est de 81 % selon le dernier baromètre réalisé par le Centre d’Information sur l’Eau en juin 2016. La révision en cours de la directive eau potable doit constituer l’occasion de renforcer cette confiance vis-à-vis de l’eau du robinet.
Every year, water companies invest 120 million euros in R&D in order to develop new technologies, involving several hundreds of researchers and engineers. What research is currently underway? Our companies’ R&D programmes are currently investigating three areas: n initially, smart management of the resource: the use of digital technology is a major means of optimising investments in infrastructure, increasing the effectiveness of operators, inventing new services and ensuring they are the central actors in the “smart cities” of tomorrow; n secondly, water treatment itself is an innovative area: water companies are, for example, increasingly equipping drinking water production companies with filtration procedures using organic or mineral membranes, which filters out the tiny particles contained in raw water;
Les programmes de R&D de nos entreprises sont menés autour de trois axes :
n finally, the water and sanitation sector occupies a rightful place in working for a more circular economy: adding value to sludge which can be a source of nutrients useful for European agriculture but also for energy, with the production of bio-methane n
n d’abord, la gestion intelligente de la ressource : l’utilisation du numérique est un levier majeur pour optimiser les investissements dans les infrastructures, accroître l’efficacité des opérateurs, inventer de nouveaux services et être des acteurs centraux des “smart cities” de demain ;
© FP2E
Les entreprises de l’eau investissent chaque année 120 millions d’euros en Recherche et Développement (R&D) afin de développer de nouvelles technologies, mobilisant ainsi plusieurs centaines de chercheurs et d’ingénieurs. Sur quoi portent leurs recherches actuellement ?
n ensuite, le traitement de l’eau en lui-même est un métier d’innovation : les entreprises de l’eau équipent par exemple de plus en plus d’usines de production d’eau potable de procédés de filtration par membranes organiques ou minérales, qui permettent de retenir les particules de taille infime contenues dans l’eau brute ; n enfin, le secteur de l’eau et de l’assainissement a toute sa place pour œuvrer à une économie plus circulaire : valorisation des boues d’épuration sources de nutriments utiles à l’agriculture européenne mais aussi d’énergie, avec la production de biométhane n Propos recueillis par Julien Da Sois
Table-ronde organisée à l’occasion de l’AG de la FP2E le 6 juillet dernier. Round-table organised as part of the FP2E AGM on 6 July 2016.
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FOCUS | Les enjeux de l’eau
MIcHèLE rIvasI : “DEs taux DE nItratEs trop ÉLEvÉs Dans L’Eau potaBLE”
Pour améliorer la qualité de l’eau potable, la députée européenne EELV est convaincue qu’il faut repenser le modèle agricole actuel et se tourner vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement.
INTERVIEW WITH MICHÈLE RIVASI, Member of the European Parliament, Vice-Chair of the Greens/European Free Alliance and Member of the Committee on the Environment, Public Health and Food Safety
What do you think of European water quality?
© European Union 2015 - EP/Fred Marvaux
UN ENTRETIEN AVEC MICHÈLE RIVASI, Députée européenne, Vice-présidente du groupe Verts/ALE et membre de la commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire au Parlement européen
If we take the case of nitrates, a lot remains to be done. In 2013, France was convicted by the EU Court of Justice for excessively high levels of nitrates in the drinking water. This shows the pressing need to rethink our agricultural model. Among other things, nitrates are the result of the use of fertilisers. Water is also contaminated by pesticides, particularly substances such as atrazine, which is still detectable despite the fact that it was banned in 2001.
“I think of water as a common good, a resource which must be accessible to everyone.” Farmers need support to farm differently. Much more funding needs to be made available to help them move towards an agricultural model which is much more respectful of the environment. Farmers are enthusiastic, but they need the resources to make this transition. Do you think that the role of water was sufficiently addressed in the last climate agreement (COP21)?
Comment qualifierez-vous la qualité de l’eau sur le territoire européen ? Si nous prenons le cas des nitrates, il reste beaucoup à faire. La France a été condamnée par la Cour de Justice de l’UE en 2013 pour des taux de nitrate trop élevés dans l’eau potable. Ceci montre bien l’urgence de repenser notre modèle agricole. Les nitrates proviennent entre autres du recours aux engrais. Les eaux sont aussi contaminées par les pesticides, notamment des substances comme l’atrazine, toujours présente, alors qu’elle est interdite depuis 2001.
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I think it is of great concern that, if we look at the final agreement of COP21, the word “water” does not appear. I think of water as a common good, a resource which must be accessible to everyone. That’s why I worked alongside Danielle Mitterrand and her Fondation France-Libertés to have water recognised as a common good for humankind. This issue is all the more important because water, as a resource, is sometimes used as a weapon of war. This is, for example, what Israel does to the Palestinians by restricting their access to this resource. More generally, I am in favour of public ownership of water which should not be treated as a profit-generating commodity. In Valence we have taken back water management from Véolia and it is now managed by the local authority. You took part in the written declaration on the compatibility of oil extraction with the quality of water destined for human lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
MICHÈLE RIVASI: “EXCESSIVELY HIGH NITRATE LEVELS IN DRINKING WATER” Il faut donc accompagner les agriculteurs pour cultiver autrement. Beaucoup plus de financements doivent être mis à leur disposition pour se tourner vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Les agriculteurs en ont envie, il faut leur en donner les moyens.
To improve the quality of drinking water, Michèle Rivasi, Member of the European Parliament for the Greens/ European Free Alliance, is convinced that the current agricultural model needs to be rethought and redirected towards more environmentally-friendly practices.
“Les eaux sont aussi contaminées par les pesticides.”
lll consumption. You make a link between drilling and water
pollution. What is the current situation in Europe? Europe’s indigenous oil and gas resources essentially come from offshore extraction. There is, therefore, no direct impact on drinking water, although the process may sometimes cause irreversible damage to biodiversity. Coal, however, leads to pollution issues and the over-consumption of water, both at the point of extraction and combustion. My awareness of the link between drilling for hydrocarbons and water pollution ultimately stems from the fight against shale gas, which, although not yet highly developed in Europe, requires huge amounts of water. It is impossible to properly filter the effluents resulting from the use of hydraulic fracturing, because they contain heavy metals and radioactive isotopes.
Pensez-vous que le rôle de l’eau a suffisamment été pris en compte dans le dernier accord sur le climat (COP21) ?
Vous avez participé à la déclaration écrite sur la compatibilité de l’extraction de pétrole avec la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Vous faites un lien entre le forage et la pollution de l’eau. Quelle est la situation actuellement en Europe ? En Europe, c’est surtout de l’extraction offshore que proviennent les ressources indigènes en gaz et en pétrole, il n’y a donc pas d’impact direct sur l’eau potable mais parfois des conséquences irrémédiables pour la biodiversité. Quant au charbon, il entraîne des problèmes de pollution et de surconsommation de l’eau, tant au moment de l’extraction que de la combustion. Ma prise de conscience du lien entre le forage d’hydrocarbures et la pollution de l’eau vient surtout du combat mené contre les gaz de schiste, encore peu développés en Europe, mais qui nécessitent des quantités faramineuses d’eau. Il est impossible de filtrer convenablement les effluents liés au recours à la fracturation hydraulique, car ils contiennent des métaux lourds et des isotopes radioactifs.
In terms of the effect of nuclear on water, the Council’s 2013 51/EURATOM Directive obliges Member States to develop programmes to control radioactive substances in water destined for human consumption. What are the foundations of this lll
© European Union 2015 - EP/Fred Marvaux
Si l’on lit l’accord final de la COP21, le mot “eau” n’y apparait pas, cela est très préoccupant. Je considère l’eau comme un bien commun, une ressource qui doit être accessible à toutes et tous, c’est d’ailleurs pour cela que je m’étais mobilisée aux côtés de Danielle Mitterrand et sa Fondation France-Libertés pour faire reconnaître l’eau comme un bien commun de l’Humanité. C’est d’autant plus important que cette ressource est parfois utilisée comme une arme de guerre. C’est ce que fait par exemple Israël avec les Palestiniens en restreignant leur accès à cette ressource. Plus généralement, je préconise une gestion publique de l’eau qui n’est pas une marchandise avec laquelle on peut faire du profit. Dans ma ville à Valence, nous avons repris la gestion de l’eau à Véolia c’est maintenant la collectivité qui la gère.
“Dans ma ville à Valence, nous avons repris la gestion de l’eau à Véolia et c’est maintenant la collectivité qui la gère.” “In Valence we have taken back water management from Véolia and it is now managed by the local authority.”
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FOCUS | Les enjeux de l’eau
Concernant l’effet du nucléaire sur l’eau, la directive 51/EURATOM prise en 2013 par le Conseil impose aux États membres d’élaborer des programmes de contrôle des substances radioactives dans les eaux destinées à la consommation humaine. Trois ans après, quels en sont les résultats ?
Water quality in France: an overview by department Are people in France taking a risk by drinking tap water? That’s the question examined by FluksAqua, the support community for water professionals. An infographic available on their website (www.fluksaqua.com/performanceservices-qualite-eau) illustrates microbiological quality management of drinking water and health risks by department. It shows, notably, that Paris, the Rhone and the region of Belfort are the ‘top three’ in France in terms of water quality, while Martinique, Guyana and Guadeloupe are bottom of the class.
Tout d’abord, le traité Euratom est antidémocratique. Le Parlement n’a qu’un droit de regard concernant les décisions prises dans ce cadre et les experts qui fixent les limites de contamination radioactive ne publient pas leur déclaration d’intérêts. Comme j’ai pu le pointer dans mon rapport, pourtant approuvé par le Parlement européen, les doses maximales autorisées sont beaucoup trop élevées pour protéger convenablement la santé humaine, et notamment les plus fragiles (enfants et femmes enceintes).
lll legislation? Have things changed in the past three years?
First of all, the Euratom treaty is anti-democratic. The Parliament only has the right to scrutinise decisions taken in this context and the experts who set the limits on radioactive contamination do not publish their declarations of interest. As I pointed out in my report, which was approved by the European Parliament, the maximum permitted doses are much too high to adequately protect human health and particularly that of the most vulnerable (children and pregnant women).
“Il faut verdir la PAC et promouvoir un autre modèle agricole.” La PAC pourrait-elle participer à la lutte contre les pesticides et le nitrate dans l’eau consommable et consommée par les européens ?
“Farmers need support to farm differently.”
Bien évidemment, mais il faut alors vraiment la verdir et promouvoir un autre modèle agricole ! Avec d’autres eurodéputés, nous venons d’ailleurs d’écrire aux ministres de l’environnement de l’UE pour qu’ils approuvent le nouvel acte délégué de la Commission européenne afin d’interdire les pesticides dans les surfaces d’intérêt écologique.
Does the CAP have a role to play in the fight against pesticides and nitrates in European drinking water?
Nous avons ardemment soutenu l’Initiative citoyenne européenne pour reconnaître le droit humain à l'eau et à l'assainissement. C’est la première chose, l’eau doit être accessible. Mais elle doit être aussi de qualité. Voilà pourquoi nous nous battons pour promouvoir l’agriculture biologique et les énergies renouvelables plutôt que l’utilisation massive de pesticides et engrais ainsi que le
Of course it does, but we need to go green and promote another model of agriculture! Alongside other Members of the European Parliament, we have also written to the Environmental Ministers in the EU to encourage them to approve the European Commission’s new delegated act to ban pesticides in areas of ecological significance. lll
Qualité de l’eau en France : tour d’horizon par département Les Français prennent-ils des risques en buvant l’eau du robinet ? C’est la question sur laquelle s’est penchée la communauté d’entraide pour les professionnels de l’eau FluksAqua. Une infographie disponible sur son site internet (www.fluksaqua.com/performance-services-qualite-eau) permet désormais d’apprécier la gestion de la qualité microbiologique de l’eau potable et des risques sanitaires par département. On y apprend notamment que Paris, le Rhône, le territoire de Belfort forment le “top 3 ” français en la matière, tandis la Martinique, la Guyane ou encore la Guadeloupe font figure de “mauvais élèves”.
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© Lise Deshautel
Plus globalement, quel est le niveau d’engagement du groupe Les Verts/ALE au Parlement Européen concernant l’eau ?
Michèle Rivasi estime qu’ “il reste beaucoup à faire” sur le cas des nitrates. Michèle Rivasi believes that “much remains to be done” in terms of nitrates.
FOCUS | Les enjeux de l’eau
recours à l’extraction de pétrole et de gaz de schiste. Nous agissons aussi directement dans la législation pour réguler au mieux les effluents des usines, trop souvent rejetés dans les cours d’eau au prétexte que la pollution se dilue dans des grands volumes d’eau.
“On NE rappellera jamais assez à nos enfants combien l’eau est un bien précieux et fragile.” Comme chaque année au mois d’août, a eu lieu la semaine mondiale de l’eau à Stockholm : l’occasion de rappeler aux citoyens les enjeux majeurs que représentent la qualité et la préservation de cette ressource. Malgré cela, les européens se sentent mal informés. Comment pourrait-on remédier au problème d’information ? Il faut commencer dès l’école. Je sais de quoi je parle, j’ai été enseignante. On ne rappellera jamais assez à nos enfants combien l’eau est un bien précieux et fragile. Et que l’eau potable qui coule de notre robinet est un miracle que nous devons préserver pour les générations futures n Propos recueillis par Sarah Bouchaïb
lll More globally, what is the Greens/European Free Alliance’s level of involvement in the European Parliament in terms of water?
We ardently supported the European Citizens’ Initiative to recognise the human right to water and sanitation. That’s the first thing: water has to be accessible. But it must also be high quality. That is why we are fighting to promote organic farming and renewable energies over the widespread use of pesticides and fertilisers, as well as the use of oil extraction and shale gas. We also act directly upon legislation to better regulate industrial waste, which is all too often released into waterways on the pretext that the pollution is diluted in large volumes of water. World Water Week takes place in August every year. This year it was in Stockholm and it was an opportunity to remind citizens of the major issues facing the quality and preservation of this resource. Nonetheless, Europeans feel poorly informed. How can we remedy this issue of information? It has to start at school. I know what I’m talking about here, I was a teacher. We can never tell our children too often that water is a precious and fragile resource. And the drinking water that comes from our taps is a miracle that we should preserve for future generations n
La députée européenne Michèle Rivasi appelle à “accompagner les agriculteurs pour cultiver autrement”.
MEP Michèle Rivasi calls for “support to help farmers work differently”.
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FOCUS | Les enjeux de l’eau
“L’Eau coMME un BIEn coMMun”
Chaque jour, Eau de Paris prélève, transporte, traite et distribue en moyenne 500 000 m3 d’eau potable à près de 3 millions d’usagers. Une mission à 360° qui en fait l’interlocuteur privilégié des Parisiens sur la question.
© Patrick Sordoillet
UN ENTRETIEN AVEC CÉLIA BLAUEL, Directrice générale chez Eau de Paris
INTERVIEW WITH CÉLIA BLAUEL, Director General of Eau de Paris
In 2010, the city of Paris chose to go back to a system of public water management. Why was the resource remunicipalised? Eau de Paris was created in 2010 on the basis of strong convictions. Paris’s politicians decided to promote the management of water, a common good, through a public company operating with a view to the general interest. In line with its performance agreement, the public company manages all water production and distribution services across the entire Parisian region in an entirely joined-up way. The company has demonstrated a perfectly viable economic model based on high quality services, a perfectly controlled water price, a dynamic investment strategy, an active social policy and a governance model which puts the user back at the heart of this public service. As an operator in the city of Paris, Eau de Paris is involved in the ecological transition of the regions, whether it be in terms of innovative urban services (renewable energy, non-drinking water, nature in the city, etc.) or partnerships with regional authorities and farmers on water catchment areas and throughout the waterways (protecting the resource, preserving biodiversity, etc.).
“The COP21 raised awareness of the importance of reducing the effects of climate change while adapting to it.”
Eau de Paris has launched a 2016-2020 multi-annual strategic plan which aims to continue to strengthen its work to protect water resources. Can you tell us a bit more about it?
Depuis 2010, la Ville de Paris a fait le choix de revenir à une gestion publique de l’eau. Pourquoi avoir remunicipalisé la ressource ? Eau de Paris a été créée en 2010 sur des convictions fortes. Les élus parisiens ont fait le choix de promouvoir la gestion de l’eau, bien commun, par une entreprise publique qui œuvre dans le souci de l’intérêt général. Conformément à son contrat d’objectifs, la régie gère de manière totalement intégrée l’ensemble des services de production et de distribution de l’eau sur l’ensemble du territoire parisien. L’entreprise a fait la preuve d’un modèle économique par82 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
Drawing its drinking water from the Marne and the Seine (47%), and underground water sources (53%), Eau de Paris operates in five regions and eleven departments, working in 240,000 hectares of water catchment areas. In recent years, to guarantee users highquality water and to preserve the fragile natural environment, Eau de Paris has been committed to adopting an active approach to protecting water resources and biodiversity. In particular, Eau de Paris helps farmers adopt practices which are sustainable for the farm, are appropriate to the area, and which encourage the preservation of the resource. More than 10,000 hectares have thus been involved in agro-environmental and climatic measures (known by the French acronym, MAEC), and the first positive results on water quality have been reported. lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
“WATER AS A COMMON GOOD” faitement viable, fondé sur une haute qualité de service, un prix de l’eau parfaitement maîtrisé, une stratégie d’investissement dynamique, une politique sociale active et une gouvernance replaçant l’usager au cœur du service public. En tant qu’opérateur de la ville de Paris, elle est un acteur impliqué dans la transition écologique des territoires, que ce soit en matière de services urbains innovants (Energie renouvelable, Eau non potable, Nature en ville…) ou de partenariats avec les collectivités et les agriculteurs, sur les aires de captages et le long des aqueducs (protection de la ressource, préservation de la biodiversité …). Eau de Paris a lancé un plan stratégique pluriannuel 20162020 visant à poursuivre et renforcer ses actions de protection des ressources en eau. Pourriez-vous en dire plus ? Puisant ses ressources en eau potable dans la Marne et la Seine (47 %) et dans les eaux souterraines (53 %), Eau de Paris est présente dans cinq régions et onze départements, où elle intervient sur 240 000 hectares d’aires d’alimentation de captage. Pour garantir à ses usagers une eau de qualité et préserver un patrimoine naturel fragile, Eau de Paris s’est engagée depuis plusieurs années dans une démarche active de protection de la ressource en eau et de la biodiversité. Eau de Paris accompagne en particulier les agriculteurs vers des pratiques qui sont à la fois durables pour l’exploitation, adaptées au territoire, et favorables à la préservation de la ressource. Plus de 10 000 hectares ont ainsi été engagés dans des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), et de premiers effets bénéfiques sur la qualité de l’eau ont été constatés. Le conseil d’administration d’Eau de Paris vient d’ailleurs d’adopter une stratégie de protection de la ressource, sur la période 2016-2020, qui conforte les actions menées et s’inscrit dans les engagements du gouvernement en matière d’agro-écologie, de préservation de la santé et de l’environnement. Il fixe quatre objectifs ambitieux à l’horizon 2020 : n l’augmentation de 67 % des surfaces cultivées en bio; n l’augmentation de 60 % des cultures durables ; n l’acquisition de 200 hectares supplémentaires pour protéger la ressource ;
Every day, Eau de Paris abstracts, transports, treats and distributes an average of 500,000 m 3 of drinking water to nearly three million users. A 360° task, making it Paris’s leading operator in the field.
lll The Eau de Paris Board of Directors recently adopted a water protection strategy for 2016-2020 which reinforces the work which has been undertaken and falls within the government’s commitments to agro-ecology, health preservation and the environment. It sets four ambitious objectives to be achieved by 2020:
n 67% increase in organically farmed surface area; n 60% increase in sustainable agriculture; n the acquisition of 200 additional hectares to protect the resource; n continuing the reduction of nitrate concentrations and the detection of pesticides.
As an extension of the Paris Climate Action Charter, signed in October 2014, you also launched a climate and energy action plan for 2015-2020. What are the objectives of this plan? The COP21 raised awareness of the importance of reducing the effects of climate change while adapting to it. Eau de Paris thoroughly integrated this responsibility by adopting its climate and energy action plan on 6 November 2015. It is already highly advanced, with 90g CO2 equivalent being produced per cubic metre of water consumed. Eau de Paris produces 30% fewer greenhouse lll Eau de Paris s’est engagée depuis plusieurs années dans une démarche active de protection de la ressource en eau et de la biodiversité.
For many years, Eau de Paris has been committed to an active approach to protecting water resources and biodiversity.
n la poursuite de la réduction des concentrations en nitrates et des détections de pesticides. Dans la continuité de la Charte Paris Action Climat signée en octobre 2014, vous avez également lancé un plan d’action climat énergie 2015-2020. Quels en sont les objectifs ? La COP21 a amené une prise de conscience de l’importance d’atténuer les effets du changement climatique tout en s’y adaptant : Eau de Paris s’est complètement imprégnée de cette responsabilité avec l’adoption de son plan d’action climat énergie le 6 novembre 2015. Déjà très avancée, puisque avec 90 g équivalent en CO2 émis par mètre cube d’eau consommé, Eau de Paris émet 30 % de moins de gaz à effet de serre que les autres opérateurs franciliens. A l’horizon 2020, nous souhaitons encore réduire nos émissions de gaz LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 83
FOCUS | Les enjeux de l’eau lll gases than other Île de France operators. By 2020, we want to reduce our greenhouse gas emissions even further, by 15%, consume 95% of renewable energies in our industrial processes, reduce energy consumption by 12% and avoid the production of 4,500 tons of CO2 per year. Producing our own energy, renewing buildings, using non-drinking water and maximising travel are some of the initiatives aiming to reduce the impact of Eau de Paris’ activities.
Vous avez installé près de 4 115 m2 sur vos différentes installations de panneaux photovoltaïques. Quelles économies en attendez-vous ?
You have installed photovoltaic cells at nearly 4,115m 2 of your facilities. What savings do you expect from this?
Eau de Paris utilise en effet ces installations pour produire une énergie renouvelable (géothermie, hydroélectricité, photovoltaïque, récupération des calories du réseau d’eau non potable etc…). Nous allons en particulier installer la plus grande centrale sur toiture à énergie solaire d’Île-de-France sur le réservoir de l’Haÿ-les-Roses, avec plus de 12 000 m2 de panneaux photovoltaïques. A partir de 2018, elle produira 1 600 MWh par an directement réinjectés dans le réseau local, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 500 foyers (hors chauffage et eau chaude sanitaire). Cette installation permettra d’éviter l’émission de 4 500 Teq CO2/an.
Eau de Paris is indeed using its facilities to produce renewable energy (geothermal, hydroelectricity, photovoltaic, recovering energy from the non-drinking water network, etc.). In particular, we are going to install the biggest solar power plant in the Île de France at the l’Haÿ-les Roses reservoir, with more than 12,000m 2 of photovoltaic cells. From 2018, it will produce 1,600 MWh per year which will feed directly into the local network, i.e. the equivalent of the annual electricity consumption of 500 households (excluding heating and domestic hot water). This plant will avoid the emission of 4,500 tonnes of CO2-eq per year.
Quelles seront les exigences de votre métier dans la métropole durable de demain ?
What will sustainable cities of the future demand of your sectors?
La Métropole du Grand Paris doit relever les enjeux du développement durable (espace de vie, espace économique, espace écologique), maintenir le débat démocratique avec les métropolitains (information, consultation des citoyens sans perdre en technostructures) et conforter les coopérations et solidarités avec le reste du territoire. Ces lignes de force sont en particulier applicables au domaine de l’eau, où les défis sont l’accès à l’eau pour tous, l’alimentation en toute circonstance de la métropole, l’adaptation au changement climatique (notamment par la gestion des débits de la Seine), la maîtrise de l’assainissement ainsi que la gestion des milieux aquatiques et la préservation de la biodiversité n
The Greater Paris Metropolitan Authority needs to meet the challenges of sustainable development (living space, economic area, ecological area), maintain a democratic debate with citizens (information, consulting citizens without losing techno-structures) and build partnerships and joined-up working with the rest of the region.
Propos recueillis par Pauline Pouzankov
These broad outlines are particularly applicable to the water sector, where the challenges are access to water for all, a supply of water to the city under all circumstances, adaptation to climate change (particularly in terms of managing the flow of the Seine), controlling waste water as well as managing aquatic environments and preserving biodiversity n
Eau de Paris puise ses ressources en eau potable dans la Marne et la Seine (47%) , ainsi que dans les eaux souterraines (53%).
Eau de Paris draws its drinking water from the Marne and the Seine (47%), as well as from underground water sources (53%).
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© Eau de Paris
à effet de serre de 15 %, consommer 95 % d’énergies renouvelables pour notre process industriel et réduire la consommation énergétique de 12 % en évitant l’émission de 4 500 tonnes de CO2 par an. Production de notre propre énergie, rénovation des bâtiments, utilisation de l’eau non potable et optimisation des déplacements sont autant d’initiatives visant à réduire l’impact des activités d’Eau de Paris.
FOCUS | Les enjeux de l’eau
gEstIon DE L’Eau : un nœuD gorDIEn LIquIDE
Mercredi 20 juillet, le sénateur Les Républicains du Cher, Rémy Pointereau présentait son rapport sur la gestion de l’eau : “Agir avec pragmatisme”. Objectif : simplifier la gestion de l’eau en France et faire le point sur la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006.
“N
ous ne souhaitions pas faire un rapport pour faire un rapport, l’objectif est de faire bouger les choses” commence Hervé Maurey, sénateur UDI de l’Eure et président de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, commission dont Rémy Pointereau est vice-président.
“W
e do not want to draft a report for the sake of it, our objective is change things”, began Hervé Maurey, UDI Senator for the Eure department and President of the Town Planning and Sustainable Development Committee, for which Rémy Pointereau is the vice-president.
Twenty-eight proposals were put forward In his report, the Senator based himself on the LEMA, which was enacted in 2006, in order to ‘improve it and prevent it from becoming frozen in time’ He continued: “LEMA laid the foundations for good water management, but it undoubtedly led to complexity and additional constraints. The law was useful, but overly ambitious. Hence, it was not feasible within the timescales given.” Four problematic areas emerge in the report:
Vingt-huit propositions avancées Pour son rapport, le sénateur s’est basé sur la LEMA (Loi sur l’eau et les milieux aquatiques), votée en 2006, afin de “l’améliorer et ne pas la laisser figée dans le temps ”. Il poursuit : “La LEMA a posé de bonnes bases dans la gestion de l’eau, mais cela a surtout apporté de la complexité et des contraintes supplémentaires. Cette loi était utile, mais trop ambitieuse. Donc pas réalisable dans les délais impartis ”. Pour son rapport, le sénateur Rémy Pointereau s’est basé sur la LEMA (Loi sur l’eau et les milieux aquatiques), votée en 2006, afin de “l’améliorer et ne pas la laisser figée dans le temps.”
For his report, Senator Rémy Pointereau based himself on the LEMA (the French Law on Water and Aquatic Environments) passed in 2006 to “improve it and not allow it to become staid over time”.
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n qualitative management; n quantitative water management ; n single authorisations for projects subject to the water legislation ; n governance and planning.
Rémy Pointereau then put forward 28 proposals aiming to lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
WATER MANAGEMENT: A LIQUID GORDIAN KNOT De cette étude, il ressort quatre domaines considérés à problèmes : n la gestion qualitative ; n la gestion quantitative de l’eau ; n les autorisations uniques pour les projets soumis à la loi sur l’eau ;
On Wednesday 20 July, Rémy Pointereau, Republican Senator for the Cher department presented his report on water management: ‘Acting pragmatically’. Its aim was to simplify water management in France and bring the law on water and aquatic environments (LEMA) from 2006 up to date.
n la gouvernance et la planification.
“L’objectif est de faire bouger les choses.” Rémy Pointereau établi alors 28 propositions censées améliorer et simplifier la gestion de l’eau. Parmi elles, “garantir le strict respect des directives européennes, sans “surtranspositions françaises” et fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables afin de pouvoir mesurer les progrès réels ”. Il propose également un recentrage des missions de l’ONEMA (Office nationale de l’eau et des milieux aquatiques) “sur des actions pédagogiques plutôt que sur la répression ”. Le rapporteur ne souhaite pas que l’Office, dont les agents sont armés, joue le même rôle que la Police Judiciaire. La future Agence française pour la biodiversité, que le sénateur demande à mettre en place ne devra pas non plus hériter de missions de police. Autres mesures préconisées, “placer les sujets relatifs à l’hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l’énergie et non celle de l’eau et de la biodiversité”, “raccourcir les délais d’instructions pour les dossiers de création de réserves d’eau et les sécuriser juridiquement ” ou encore “reconnaître les propriétaires ruraux comme des acteurs environnementaux ”.
lll improve and simplify water management. These include “guaranteeing strict respect for European Directives without “overtransposition” by France”and “setting realistic, pragmatic and stable objectives to measure real progress”. He also suggested refocusing the work of ONEMA (the French national office for water and aquatic environments) “to educational work rather than repression”. The rapporteur did not want the ONEMA, whose officers are armed, to play the same role as the judicial police. The future French Biodiversity Agency, which the Senator requested to be established, should also not take on police roles.
Other measures which were recommended include, “placing hydroelectricity issues under the auspices of the Directorate for Energy rather than that of Water and Biodiversity”, “shortening the timescale for processing applications to create water reserves and legally secure them” and ”recognising rural landowners as environmental actors”.
“OUR OBJECTIVE IS TO CHANGE THINGS.”
Plusieurs acteurs rencontrés, mais un absent Au cours de plusieurs mois d’auditions et de visites sur le terrain, des étapes jugées “primordiales ” selon le sénateur du Cher, Rémy Pointereau a rencontré quelques 28 organismes et 60 personnes, tous professionnels du milieu et agriculteurs, afin de fixer des objectifs réalisables. D’après le rapporteur, “donner des missions est important, là dessus nous sommes d’accord, mais il faut également donner les moyens de les réaliser”. Absente des discussions avec la commission, l’association France Nature Environnement a refusé l’invitation rue Vaugirard. Bernard Rousseau, bénévole au sein de cette structure, estime qu’un nouveau rapport était inutile : “On fait des rapports, des rapports, des rapports… A force de faire des rapports, on enterre le rapport.” De toute manière selon lui, les choses n’avancent pas : “Je suis militant depuis presque un demi-siècle vous savez, des promesses j’en ai vu passer ”. D’autant qu’il estime que le rapport n’est pas 100 % neutre et privilégierait les agriculteurs céréaliers à défaut des cultures biologiques et des éleveurs. Pourtant convaincus de la faisabilité des 28 propositions, les deux élus ont promis d’organiser un débat au Parlement d’ici la fin de l’année n Lucas chedeville
Several stakeholders were met, with one notable exception Over the several months of interviews and fact-finding missions, which the Cher Senator considered to be “crucial”, Rémy Pointereau met 28 organisations and 60 individuals, all professionals in the sector or farmers, in order to set feasible objectives. The rapporteur said, “setting tasks is important, we can all agree on that, but you also need to provide the resources to fulfil them”. Absent from the discussions with the Committee was the association French Nature Environnement, who refused the invitation to Rue Vaugirard. Bernard Rousseau, a volunteer with the organisation, believes that a new report was unnecessary: “All we see is reports, reports, reports … in creating so many reports, we lose all rapport.” In his view, there has been no progress: “I have been an activist for nearly fifty years, and I’ve seen my fair share of promises”. In his opinion, the report is not 100% neutral and promotes cereal farmers to the detriment of organic farming and cattle rearing. Nevertheless, convinced of the feasibility of the 28 proposals, the two politicians have promised to organise a Parliamentary debate by the end of the year n LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 87
FOCUS | Les enjeux de l’eau
gEMapI : La MÉtropoLE Du granD parIs sE JEttE à L’Eau
© Ville de Saint-Maur-des-Fossés
Un mois après les graves inondations ayant touché une grande partie de la France, un colloque sur la GEMAPI (Gestion des Milieux Aquatiques et Prévention des Inondations) a eu lieu à Saint-Maurdes Fossés (Val-de-Marne). Objectif : réfléchir à des solutions pour la gestion future des cours d’eau sur le territoire de la Métropole du Grand Paris (MGP).
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n 1 January 2018, groups of communes will receive a new power, attributed to them by the law on the modernisation of regional public action and assertion of metropolitan areas, known as the MAPTAM law: the power to manage aquatic environments and to prevent flooding, known by its French acronym, GEMAPI. This includes work aiming to slow down run-offs, improve water quality and biodiversity, and reduce flooding. According to the president of the MGP, Patrick Ollier, “we shouldn’t wait for 2018, the authority needs to start using its GEMAPI powers right now”. With this in mind, a colloquium was organised at Saint-Maur-des-Fossés, the homeland of Sylvain Berrios, vice-president of the MGP responsible for GEMAPI. It brought together numerous stakeholders in the water sector to address issues facing the sector and how the metropolitan authority’s new power would be managed in the future.
The threat of flooding
Patrick Ollier, président de la Métropole du Grand Paris, estime que les inondations de mai-juin 2016 étaient un signal d’alarme. Patrick Ollier, president of Greater Paris, believes that the floods of May-June 2016 were a wake-up call.
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compter du 1er janvier 2018, les blocs communaux se verront dotés d’une nouvelle compétence, attribuée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM : la GEMAPI. Celle-ci vise à conjuguer les actions concourant à ralentir les écoulements, améliorer la qualité de l’eau et la biodiversité et réduire les inondations. Pour le président de la MGP Patrick Ollier, “nous ne devons pas attendre 2018, il faut que la Métropole se saisisse dès maintenant de la compétence GEMAPI ”. Dans cette optique a été organisé un colloque à Saint-Maur-des-Fossés — le fief de Sylvain Berrios, viceprésident de la MGP délégué à la GEMAPI —, rassemblant de nombreux acteurs de l’eau, pour aborder les enjeux et la gouvernance de cette compétence prochainement métropolitaine.
“We need to prepare for the hundred-year flood.” This warning from Patrick Ollier to water actors was based on a study carried out by the OECD (Organisation for Economic Cooperation and Development) in January 2014, which indicated that the risk of a flood comparable to that of the Seine in 1910 is currently “major”. In his view, the floods in May and June of 2016 were a warning signal and the time is right to ‘reflect upon how to avoid a bigger flood’. Some of the solutions proposed by the MP and mayor of Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) include maintaining the solidity of the dykes, raising flood barriers, strengthening ways in which water is stored outside the Île-de-France and the construction of a new flood retention methods. “However, I also want other avenues to be explored during this conference, to help the MGP prevent flooding” he concluded, while committing himself to providing financial support to the sluice gate renovation project at Joinville-le-Pont (Val-de-Marne), which will allow the level of the Marne to be reduced in the event of flooding.
“We need to prepare for the hundred-year flood.”
La menace des inondations “Il faut se préparer à la crue centennale.” Cet avertissement de Patrick Ollier aux acteurs de l’eau se base sur une étude réalisée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en janvier 2014, indiquant que le risque de crue comparable à celle de la Seine en 1910 est actuellement “majeur ”. Pour lui, les inondations de mai-juin 2016 étaient un signal d’alarme, et il est grand temps de “réfléchir aux moyens d’éviter une crue plus importante”. Parmi les solutions proposées par le député-maire de Rueil-Mal88 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
Unsurprisingly, therefore, the first theme addressed during this colloquium was the hot topic of the moment: managing flood risks. Several mechanisms are already in place to prevent flood risks and to reduce their damaging effects on people and property. These focus on four types of action: preventative information, controlling unexpected dangers, risks of new developments, and reducing the vulnerability of existing structures. These schemes, such as lll
SPOTLIGHT | The challenges of water
GEMAPI: THE MÉTROPOLE DU GRAND PARIS TAKES THE PLUNGE maison (Hauts-de-Seine) figurent l’entretien de la solidité des digues, le rehaussement des barrages, le renforcement des moyens de stockage de l’eau au-delà de l’Ile-de-France ou encore la construction d’un nouveau moyen de rétention. “Mais je souhaite que d’autres pistes émergent lors de ce colloque, pour aider la MGP à prévenir les inondations ”, a-t-il conclu, tout en prenant l’engagement d’apporter son soutien financier au projet de réhabilitation de la vanne secteur de Joinville-le-Pont (Val-de-Marne), qui permettrait de faire baisser le niveau de la Marne en cas de crue.
One month after serious flooding affected large swathes of France, a GEMAPI (Gestion des Milieux Aquatiques et Prévention des Inondations) colloquium took place at Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). The aim was to think about solutions for the future management of waterways within the Métropole du Grand Paris (Greater Paris metropolitan authority, MGP). lll local flood risk management strategies and the flood risk management plan were largely created to comply with the European Floods Directive of 2007. To test these mechanisms, simulated flood situations take place regularly. The most recent, known as EU Sequana 2016, took place between 7 and 18 March this year and simulated a hundred-year flood. According to Colonel Frédéric Lelièvre, head of the police prefecture’s defence and security forecasting service for Paris, this led to “profound and long-lasting social disorganisation” and to between three and 30 billion euros of damage according to the OECD. To reduce this considerable sum, one of the projects currently under discussion is developing the downstream area of the Bassée, which would, according to François Vauglin, vice-president of the EPTB (Etablissement Public Territorial de Bassin) Seine Grands Lacs, lead to ‘savings of 70 million euros per year’.
“Il faut se préparer à la crue centenale.”
© Ville de Saint-Maur-des-Fossés
Le premier thème abordé lors de ce colloque était donc sans surprise le sujet le plus chaud du moment : la gestion des risques liés aux inondations. Afin de prévenir ces phénomènes et réduire leurs effets néfastes sur les personnes et les biens, de nombreux dispositifs existent déjà, axés sur trois types d’actions : l’information préventive, la maîtrise de l’aléa et des risques pour les aménagements nouveaux, et la réduction de la vulnérabilité des structures existantes. Ces schémas, tels que les Stratégies locales de gestion des risques d’inondation ou le Plan de gestion des risques d’inondation, ont pour la plupart été créés afin de respecter la directive européenne “inondation” de 2007. Et pour tester ces mécanismes, des répétitions fictives de crue ont lieu fréquemment. La dernière en date, appelée EU Sequana 2016, s’est déroulée du 7 au 18 mars dernier et simulait une crue centennale, qui entraînerait selon le Colonel Frédéric Lelièvre, chef du service anticipation de la zone de défense et
Patrick Ollier a souhaité que d’autres pistes émergent de ce colloque pour aider la MGP à prévenir les inondations. Patrick Ollier wants other avenues to emerge from this seminar to help Greater Paris Authority prevent flooding.
“By 2027 all waterways in the Île-de-France should be in good ecological condition.” An ecosystem to be protected Another water-related issue which was raised during the colloquium was the biodiversity of the city’s rivers and the Seine. According to Nathalie Evain-Bousquet, Île-de-France regional director of the Agence de l’Eau Seine Normandie, the objective is clear: “by 2027 all waterways in the Île-de-France should be in good ecological condition”. Achieving this objective will notably involve the creation of a French Biodiversity Agency, a measure anticipated in the draft law on biodiversity. Guy Geoffroy, president of the local SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) water committee for the l’Yerres river, stresses the importance of “protecting humid areas”, which play host to abundant flora and fauna, but half of which have disappeared in recent years as the result of urbanisation. They also play an undeniable role in flood management, acting as storage areas in the event of flooding. lll LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 89
FOCUS | Les enjeux de l’eau lll Seeing the Seine in a new light
de sécurité de Paris de la préfecture de police, “une désorganisation sociale profonde et de longue durée”, et entre 3 et 30 milliards d’euros de dommages d’après l’OCDE. Pour atténuer ce montant considérable, l’un des projets actuellement en discussion est l’aménagement du territoire de la Bassée aval, qui engendrerait selon François Vauglin, vice-président de l’EPTB (Etablissement public territorial de bassin) Seine Grands Lacs, “une économie de 70 millions d’euros par an”.
Leisure, transport, tourism, biodiversity... the MGP’s rivers and the Seine lend themselves to many different uses that need to be reconciled. What’s more, new uses may emerge in the coming years. When the city of Paris officially declared itself a candidate for the Olympic Games in 2024, the mayor, Anne Hidalgo, said she wanted to organise certain events on the Seine. This was confirmed by the mayor of the 12th arrondissement, Catherine Baratti-Elbaz, for whom “being able to swim in the Seine should be the legacy of Paris’s candidacy for the 2024 Olympic Games”. During the colloquium, the metropolitan councillor for Greater Paris also mentioned another possible use for the Seine: the creation of ‘public transport’ on the river, in addition to vessels transporting tourists and goods. An experiment took place in 2008 with the Voguéo river shuttle, but it was cut short after only three months due to problems relating to the “size of the boats, the position of the stations and the vessels’ route” according to Catherine Baratti-Elbaz. “Public transport on the Seine would be a way of fighting against polluting traffic in the city and would contribute towards reinventing Paris as a destination”, the Socialist politician said, strengthening the argument for a ‘bâteaumétro’ in Paris n
“Pouvoir se baigner dans la Seine doit être l'héritage de la candidature de Paris aux JO 2024.”
Autre enjeu de l’eau soulevé lors de ce colloque, la biodiversité des rivières métropolitaines et de la Seine. Pour Nathalie EvainBousquet, directrice territoriale Ile-de-France de l’Agence de l’Eau Seine Normandie, l’objectif est clair : “il faut que, d’ici 2027, tous les cours d’eau franciliens soient écologiquement en bon état ”. Atteindre cet objectif passera notamment par la création d’une Agence française pour la biodiversité, mesure prévue dans le projet de loi sur la biodiversité. Guy Geoffroy, président de la commission locale de l’eau du SAGE (Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux) de la rivière de l’Yerres, insiste lui sur la “protection des zones humides”, espaces accueillant une faune et une flore abondantes, mais dont la moitiée a été supprimée ces dernières années, victime de l’urbanisation. Celles-ci ont pourtant également un rôle à jouer dans la gestion des crues, puisqu’elles constituent des zones de stockage en cas d’inondations.
© Ville de Saint-Maur-des-Fossés
Un écosystème à protéger
De nouvelles manières de voir la Seine Loisirs, transport, tourisme, biodiversité… Les rivières de la MGP et la Seine ont beaucoup d’usages différents qu’il faut réussir à concilier. Et de nouveaux verront peut-être le jour d’ici quelques années. Lorsque la Ville de Paris s’est officiellement déclarée candidate à l’accueil des Jeux Olympiques en 2024, la maire Anne Hidalgo avait déclaré vouloir organiser certaines épreuves dans la Seine. Cette volonté a été confirmée par la maire du 12ème arrondissement Catherine Baratti-Elbaz, pour qui “pouvoir se baigner dans la Seine doit être l’héritage de la candidature de Paris aux JO 2024 ”. Durant ce colloque, la conseillère métropolitaine du Grand Paris a également évoqué un autre usage possible de la Seine : la création d’un “transport en commun ” sur le fleuve, en plus du transport touristique et de marchandises. Une expérimentation avait déjà été tentée en 2008, avec la navette fluviale Voguéo, mais elle avait tourné court après seulement trois ans d’existence à cause de problèmes relatifs “à la taille de bateaux, à l’emplacement des stations et au parcours de la navette ” selon Catherine Baratti-Elbaz. “Un transport de personnes sur la Seine serait un moyen de lutter contre la circulation polluante intra-muros et contribuerait à réinventer la destination parisienne ”, a assuré l’élue PS. De quoi apporter de l’eau au moulin des partisans d’un “bateau-métro” à Paris n Julien Da Sois 90 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
La Métropole du Grand Paris aidera au financement de la vanne secteur Saint-Maur-Joinville. The Greater Paris Authority will help fund the sluice gates at Saint-Maur-Joinville.
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FOCUS | Les enjeux de l’eau
“L’urgEncE DE rEtrouvEr un ÉquILIBrE”
MARIE BénéDIctE DESvALLOn, AvOcAtE ASSOcIéE Au cABInEt wAt&LAw www.wAtALAw.cOM Du statut aux politiques de l’eau Après une décennie consacrée à l’eau (2005-2015) dans le cadre au terme des projets. du 7ème Objectif du Millénaire pour le DéL’énergie renouvelable et l’économie veloppement (OMD), force est de constadigitale au service de l’eau Quelles que soient les qualifications ter un bilan contrasté pour la thématique L’expérience acquise s’agissant des projuridiques du statut de l’eau : droit pendante de l’assainissement, clé de voûte jets d’énergies renouvelables (EnR) perpour évoluer enfin vers une économie fondamental, droit humain, bien public, met d’envisager de nouvelles solutions circulaire dans le domaine de l’eau en pour atteindre l’ODD N°6. A titre d’illuspatrimoine commun de l’humanité Afrique comme en Europe. La politique tration, le recours au photovoltaïque comou encore bien marchand, toutes de l’eau ne doit pas être diluée ou sacribiné à des outils de contrôle à distance fiée à l’aune de politiques publiques tierces. offre une pérennisation des projets en ème convergent vers le 6 Objectif de Bien au contraire, elle doit en être le vecphase exploitation. Outre les techniques, Développement Durable (ODD) teur. Il en est ainsi de la politique agricole des mesures incitatives empruntées aux qui ne saurait être conçue sans réflexion onusien qui vise à garantir l’accès à l’eau énergies doivent flécher plus directement en amont et transverse sur l’utilisation de les investissements dans le secteur de et à l’assainissement. l’eau. Rappelons entre autres que la prol’eau, en s’assurant que ces outils ne duction de soja nécessite deux fois plus soient pas dévoyés. d’eau que de la production de maïs. L’éducation et la formation doivent amener à repenser les actions individuelles et de tous pour De la viabilité des projets préserver l’eau. Les politiques énergétique, agricole, sanitaire doivent L’accès à l’eau, et plus encore l’assainissement, nécessitent la disnous prémunir contre une utilisation irresponsable d’une source de- ruption de certaines pratiques et l’injonction de nouvelles technovenue tarissable par l’action de l’homme. logies. Pour autant, l’innovation ne saurait guider à elle seule le choix du soumissionnaire. Elle ne doit pas éclipser l’impérieuse maîtrise La fin du paradigme de l’approche unique des marchés de l’eau des financements et l’expérience de gestion de projet. Sans dériver La transposition d’un modèle unique des marchés de l’eau ne fonc- vers une immixtion dans la gestion, une plus grande transparence tionne pas. Le constat est unanime et les OMD notamment ont per- et traçabilité des financements alloués contribueraient à la viabilité mis d’en identifier les raisons. L’approche coopérative et stratégique des projets et à l’atteinte effective de l’ODD N° 6. Deux milliards de s’impose. Les expériences de gestion pérenne de l’eau ont en com- litres d'eaux usées, utilisées par l'humanité, sont rejetées chaque mun : un audit préalable de la situation, l’adéquation de l’offre à la jour dans les rivières et les mers, soit plus de 23 000 litres chaque demande, l’appréciation modulée selon que le projet s’inscrit dans seconde. Pendant cette même seconde la démographie planétaire un environnement rural ou urbain, une gouvernance renforcée, des affiche trois naissances pour un décès lorsqu’une espèce animale objectifs de performance et de continuité définis et suivis, une al- ou végétale disparait toutes les 20 minutes. Plus qu’un enjeu, il y a location des responsabilités assorties de sanctions strictes et dis- urgence de retrouver un équilibre. “Plutôt que d’être nécessaire à suasives de part et d’autre sans omettre les obligations respectives la vie, l’eau est la vie elle-même” Saint – Exupéry n
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“THE PRESSING NEED TO RESTORE BALANCE”
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SPOTLIGHT | The challenges of water
MARIE BÉNÉDICTE DESVALLON, PARTNER WITH WAT&LAW LEGAL FIRM WWW.WATALAW.COM From water statutes to water policies After the decade dedicated to water (2005-2015), as part of the 7th tions at the end of the projects. Millennium Development Goal (MDG), a very contrasted picture of the issue of Using renewable energy and the digisanitation can be observed, an issue tal economy in favour of water Regardless of how water is legally which is a crucial step in the move toExperience of renewable energy projects qualified: a fundamental right, wards a circular water economy in Africa enables new solutions to achieve the a human right, a public good, a common sixth SDG to be envisaged. By means of and in Europe. Water policy should not be diluted or saillustration, the use of photovoltaic cells heritage or a commercial good, crificed in light of third party public policombined with remote control tools they all converge in the UN’s 6th cies. On the contrary, it should be the means that projects currently in the opevector for them. It shouldn’t be possible, rational phase can be extended. In addiSustainable Development Goal which therefore to design agricultural policy wition to techniques, incentive measures aims to guarantee access to water thout reflecting in a cross-cutting and applied to the energy sector should steer and sanitation. comprehensive way about the use of investments more directly towards the water. Remember that, among other water sector, while ensuring that these things, the production of soya requires mechanisms are not misused. twice as much water as the production of corn. Education and training should lead to all individuals taking action to preserve water. Project viability Energy, agricultural and sanitation policies should forearm us Access to water and sanitation requires the disruption of certain against the irresponsible use of a resource which has become finite practices and the introduction of new technologies. However, innothrough human action. vation alone cannot determine the choice of bidder. This cannot obscure the overarching requirement for financial control and proThe end of the single-approach to the water markets paradigm ject management experience. Without drifting towards interfering Transposing a single model of water markets does not work. This has in management, greater transparency and the traceability of allobeen unanimously recognised and the MDGs in particular identified cated funds allocated will contribute to the feasibility of projects the reasons why. A cooperative and strategic approach is required. and the effective accomplishment of the sixth SDG. Two billion litres Experiments with sustainable management of water have in com- of waste water, used by humanity, is discharged every day into the mon: an upstream audit of the situation, matching demand and rivers and seas, i.e. more than 23,000 litres every second. During supply, a regulated increase according to whether the project is in that same second, the planet’s population includes three births and a rural or urban environment, strengthened governance, perfor- one death, while one animal or plant species becomes extinct every mance and continuity objectives which are defined and monitored, 20 minutes. This is more than just an issue: there is a pressing need allocation of responsibilities combined with strict and dissuasive to restore the balance. ‘’Water is not necessary to life, but rather life sanctions on both sides without overlooking the respective obliga- itself” Saint-Exupéry n
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© European Union 2016 - EP/Didier Bauweraerts
T R I BU N E
L’EuropE FacE à son HIstoIrE
AnDREI vIERu ESt L’AutEuR DE L’éLOgE DE LA vAnIté (gRASSEt), PRIx cASAnOvA 2014, quI RécOMPEnSE un écRIvAIn EuROPéEn PuBLIAnt DIREctEMEnt En FRAnçAIS. À l’inverse, les peuples du Vieux Continent se sont tous et depuis sciences exactes sont le seul domaine qui à présent se développe toujours définis non à partir d’un futur collectif mais sur la base normalement. En art, en sciences humaines, en économie, confud’une mémoire commune, leur Histoire. La sion des valeurs et idéologie paralysent tout spécificité américaine n’est pas applicable en ce qui est dans leur pouvoir. Il faut bien voir Depuis quelque temps, Europe. L’échec de notre mimétisme est gaque l’idée française de la laïcité est une sél’Europe a choisi de ne plus ranti : il est contraire à la culture européenne. paration, un mur – pour le coup, entre esDe ce côté de l’Atlantique, les projets comregarder son passé. En cela, elle pace privé et espace public, entre pouvoir muns sont nécessaires, mais point d’illusion : religieux et pouvoir temporel. Or, si l’idée que imite l’Amérique, patrie d’un ils ne seront jamais suffisants pour fédérer un nous nous faisions de la laïcité prend l’eau, peuple qui, manquant d’emblée c’est bien parce que nous avons renoncé à peuple nouveau. Je pense à la partie orientale de l’Europe. En ex-Yougoslavie comme de quelque souvenir collectif que quelque frontière que ce fût (avant tout aux dans l’ex-URSS, ce type de fiasco a déjà été frontières conceptuelles) et que, donc, nous expérimenté et vécu dans toute son horreur. ce soit, s’était dès le départ fédéré essayons de tricher. Renoncez à tous les On dit que l’Europe traverse une crise polimurs et vous vous retrouverez non dans un exclusivement autour de l’idée tique. J’affirme, en philosophe, que notre crise espace de liberté, mais dans une impasse. d’un avenir commun. est avant tout conceptuelle. Nous avons C’est une vérité connue de tous les logiciens congédié l’idée même de limite, de mur, de et de tous les philosophes dignes de ce nom, garde-fou. Or sans limitations, il est impossible de définir la moindre à commencer par Karl Popper, le grand théoricien des “sociétés ounotion, le moindre projet. En particulier, il est impossible de se définir vertes”. Hélas, ses théories sont aujourd’hui détournées. L’Europe soi-même. De la manière la plus téméraire qui soit, nous avons trahi est devenue non pas un projet commun, mais une collection de nos valeurs, dont la première n’est autre que la Logique, celle qui projets incompatibles, exclusifs les uns des autres. Le nôtre est répermet de penser les catégories et, au fond, de penser tout court. sumé par le sempiternel “plus jamais ça !”. C’est un peu court. L’HisAujourd’hui, l’expression “être dans une logique de…” est applicable toire pose presque toujours les mêmes problèmes, mais à chaque sans limite à tout et à n’importe quoi, preuve que pour nous, ci- fois en termes différents. Voire, parfois, opposés. toyens d’aujourd’hui, le mot “logique” ne veut plus rien dire. Une cité où tout est applicable à tout, s’écroule. Le cas des Mathématiques Nous avons choisi de ne regarder notre passé que pour battre notre est, si l’on peut dire, un cas d’école. À force de vouloir tout englober, coulpe. En tant que dignes descendants des Anciens Grecs, nous l’édifice de cette science a déjà failli s’effondrer. Pour le sauver, il a devrions le savoir : qui dit coulpe, dit Œdipe. Du reste, nous sommes fallu construire des murs. Le mérite en revient à Bertrand Russell et en plein scénario œdipien. C’est en voulant à tout prix échapper à à quelques autres. Et si je donne cet exemple, c’est parce que les notre destin que, sans le savoir, nous y obéissons n
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AN OPINION PIECE
EUROPE CONFRONTING ITS HISTORY
ANDREI VIERU IS THE AUTHOR OF L’ELOGE DE LA VANITÉ (GRASSET), WHICH WON THE CASANOVA PRIZE 2014, WHICH RECOGNISES EUROPEAN WRITERS PUBLISHING DIRECTLY IN FRENCH. In contrast, Europeans are and have always been defined not on the example only because the exact sciences are the only field which is basis of their collective future, but on the basis of their shared me- developing normally. In art, social sciences and economics, confumory, their history. The particularities of the sion over values and ideologies paralyses US are not applicable in Europe. This imitaeverything within their grasp. It is clear that tion is guaranteed to fail: it is contrary to Eu- For some time, Europe has chosen to the French idea of secularism involves a ropean culture. On this side of the Atlantic, separation, a wall - therefore between the no longer look back at its past. joint projects are necessary but there’s no private and public spheres, between religious In doing so, it imitates the US, illusions: they will never be enough to fedepower and temporal power. However, if the rate a new population. I am thinking about a nation of people who, due to the idea we have of secularism is taking on water, the eastern part of Europe. In the former it’s clearly because we have given up on one absence of a collective memory of Yugoslavia, as well as in the former USSR, this frontier or another (primarily conceptual type of fiasco has been experimented with frontiers) and as a result, we try to cheat. Give any kind, were brought together and experienced in all its horror. It is said that solely around the idea of a common up on all walls and you find yourself not in an Europe is going through a political crisis. area of freedom, but in an impasse. This is a future, right from the onset. I confirm that, in philosophy, our crisis is truth known to all logicians and all philosoprimarily conceptual. We have dismissed the phers worthy of the name, starting with Karl very idea of limits, walls, safeguards. Yet, Popper, the great theorist of “open societies”. without limits, it is impossible to define the simplest concept or the Unfortunately, his theories are now being distorted. Europe has simplest project. In particular, it is impossible to define one’s self. As become not a common project, but a collection of incompatible audaciously as possible, we have betrayed our values, the first of ones, each exclusive of the other. Ours is summed up by the eternal which is no other than Logic, which enables us to think of categories “never again!”. It’s a bit short. and, fundamentally, to think at all. Today, the expression “logically ...” is applied unconditionally to anything and everything, proof that for History almost always poses the same problems, but each time in us, the citizens of today, the word “logic” no longer means any- different terms. Sometimes these may even oppose one another. thing. From anything goes to a crumbling system. We have chosen only to look at our past in order to beat our breasts. The case of Mathematics is, if we may say so, textbook. Because of As dignified descendants of the Ancient Greeks, we should know that the desire to incorporate everything, the edifice of this science has beating your breast smacks of Oedipus. In other words, we find ouralmost nearly collapsed. To save it, we need to construct walls. We selves in an entirely Oedipal situation. It is by wanting to escape our have Bertrand Russell and others to thank for this. And I give this destiny at all costs, without knowing it, that we comply with it n
LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN | 95
LI V R E S / BOOKS DAECH, HISTOIRE, ENJEUX ET PRATIQUES DE L’ORGANISATION DE L’ÉTAT ISLAMIQUE kader A. Abderrahim éditions / Published by Eyrolles pratique 191 pages 10 €
Daech : les clés pour comprendre Une réflexion “inachevée ” selon les termes de Kader A. Abderrahim dans sa préface, mais pourtant suffisamment substantielle. Au fil des vingt chapitres du livre “Daech, histoire, enjeux et pratiques de l’Organisation de l’État islamique ” (OEI), le chercheur à l’IRIS, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, opère un récapitulatif aussi documenté que concis de ce groupe pour le moins nébuleux. “Surmédiatisée et méconnue à la fois ”, l’OEI s’est imposée comme acteur majeur du Proche et Moyen-Orient en avançant une force militaire doublée d’une stratégie de communication efficace. L’auteur revient sur son ascension à travers une approche historique, en soulevant les problématiques présentes ainsi que celles à venir. Les novices en matière de géopolitique ne seront pas non plus en reste : résolument pédagogique, la lecture s’organise en chapitres thématiques agrémentés de cartes et clos par un résumé des propos. Autant de clés permettant à Kader A. Abderrahim d’atteindre sa “seule ambition ” : pouvoir “prétendre avoir contribué au débat ” n Sarah Bouchaïb
The keys to understanding Daesh
This is an “unfinished” account, as the author, Kader A. Abderrahim, states in the preface but, nonetheless, one which is sufficiently substantial. Through the twenty chapters of the book, “Daech, histoire, enjeux et pratiques de l’Organisation de l’État Islamique” [“Daesh: the history, issues and practices of Islamic State”], the IRIS researcher, who specialises in North Africa and Islamism, presents a clear, documented and precise summary of this group. “Over-publicised and little known at the same time”, IS has imposed itself as a major actor in the Middle East, combining military strength with an effective communication strategy. The author adopts an historical approach to look at the group’s rise, raising contemporary issues as well as anticipating those to come. And geopolitics novices won’t be overwhelmed: the publication is resolutely educational and is organised into thematic chapters, all illustrated with maps and closing with a summary of the main points. It’s certainly a publication through which Kader A. Abderrahim can claim to have achieved his “only ambition”: to “contribute to the debate” n
LA FACHOSPHÈRE COMMENT L’EXTRÊME DROITE REMPORTE LA BATAILLE DU NET Dominique Albertini & David Doucet Editions Flammarion / Flammarion Editions 300 pages 20,90 €
plongée dans la faschosphère La “fachosphère”, telle que la présentent Dominique Albertini et David Doucet, définit “l’extrême droite dans sa diversité ”. Sur la Toile, elle a connu une ascension croissante, à tel point que ses détracteurs sont parfois “démunis face à ce militantisme 2.0 ”. Une nébuleuse composée de néoconservateurs, d’islamophobes, de sites liés au Front national, d’identitaires, de nationalistesrévolutionnaires ou encore de catholiques traditionalistes et intégristes. Ce qui les réunit, malgré leurs divergences, c’est leur adversaire commun : le “système”, une entité floue qui regroupe partis traditionnels, grands médias, finance, élites et sociétés secrètes. Internet a permis à une mouvance autrefois marginale de trouver une visibilité là où les médias traditionnels ne lui en donnaient pas ou peu. Comment en est-on arrivé à ce que le premier site référencé sur Google lorsque l’on tape “égalité” soit le site Egalité et Réconciliation, le mouvement d’Alain Soral ? Pourquoi voit-on apparaître des internautes militants décomplexés qui n’hésitent plus à “troller” ou “spammer” les réseaux sociaux ? Autant de questions soulevées dans cette enquête qui explique comment les extrêmes droites se sont appropriées Internet n Justine Hagard 96 | LE COURRIER DU PARLEMENT EUROPÉEN
Diving into the “fascosphere”
The “fascosphere”, as presented by Dominique Albertini and David Doucet, defines “the diversity of the extreme right”. Its influence on the internet has grown, to the extent that its detractors are sometimes “defenceless against this militancy 2.0”. It is a nebulous group consisting of neo-conservatives, Islamophobes, sites relating to the National Front, xenophobes, nationalist-revolutionaries and Catholic traditionalists and fundamentalists. What unites them, despite their differences, is their common enemy: the “system”, a hazy entity encompassing traditional parties, the mass media, finance, the elites and secret societies. The internet has enabled what was previously a marginal movement to find visibility where traditional media gave them no or little attention. How can it be that the first website referenced by Google when you type in “equality” (“égalité” in French) is the site for the far right group “Egalité et Réconciliation”, led by Alain Sorel? Why do we come across uninhibited, militant web users who have no qualms about “trolling” and “spamming” social networks? This publication raises a number of issues and addresses how the extreme right has appropriated the internet n