Anthropologie du boubour par Nicolas Chemla

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Anthropologie du boubour


Collection Pop ! Objets cultes, figures modernes, mentalités émergentes, pop culture et pop philosophie : cette collection pense en s’amusant (ou l’inverse) aux nouveaux emblêmes de la culture populaire.

Couverture : série « Les chiens », France, 2010. © Tina Merendon / Signatures ISBN 978-2-37344-053-9 © Lemieux Éditeur, 2016 11 rue Saint-Joseph – 75002 Paris www.lemieux-editeur.fr Tous droits réservés pour tous pays


Nicolas Chemla

ANTHROPOLOGIE DU BOUBOUR Bienvenue dans le monde bourgeois-bourrin



Introduction ­Qu’est q­ u’une tendance ? ­S’agit-il d ­ ’énoncer ce qui est in et out, de se poser en arbitre du bon goût ? Ou bien s­ ’agit-il de c­ onstater que de plus en plus de gens font ou pensent de plus en plus telle ou telle chose ? ­S’agit-il ­d ’identifier des phénomènes de société ou bien des signaux émergents, ou simplement de capter ­l’air du temps ? Et surtout : ­l’énoncé de la tendance la fait-elle exister plus fortement, la rend-elle soudainement plus visible ? En 2002, ­j’ai participé, avec une équipe de « tendanceurs » du réseau de c­ ommunication Havas, au « lancement » du métrosexuel, un terme qui a modifié en profondeur les représentations et les ­comportements du masculin au xxie siècle. À ­l’origine, il ­s’agissait pour Havas de ­convaincre ses clients et prospects de sa capacité à identifier le futur (le Graal pour toutes les agences de c­ ommunication). Armés de quelques études en ligne, nous avions observé q ­ u’un petit nombre ­d ’hommes de nos échantillons adoptaient des ­comportements de soin de soi et de sa peau,


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­ ’attention à son apparence et semblaient redéfinir d le masculin : d ­ ’un seul coup, il devenait OK pour les hétéros de se mettre de la crème sur le visage. On ressortit alors un vieux terme de 1994, ­complètement tombé dans ­l’oubli, inventé par un auteur anglais et ­l’on présenta au monde le métrosexuel ­comme le « nouvel homme ». Le succès dépassa toutes nos espérances : non seulement le terme fut repris dans la presse du monde entier et entra vite dans le langage courant, mais surtout la réalité elle-même en fut modifiée : les hommes, dans les faits, se mirent à acheter de plus en plus de produits de beauté. Au-delà de ­l’anecdote, ce qui me paraît important ici c­ ’est ­qu’on retrouve là la fonction performative du discours, de tous les discours, les discours privés, intimes, amoureux, mais aussi les discours « dominants », politiques et c­ ommerciaux : le discours reflète autant ­qu’il structure la réalité. Il en est de même pour les tendances : c­ ’est une paire de lunettes q­ u’on vous offre, un terme que ­l’on invente pour recouvrir une réalité qui devient dès lors, et paradoxalement, visible sous vos yeux. J­ ’aime faire le parallèle avec l­’astrologie : dans l­ ’infini scintillement des étoiles dans le ciel, sans nombre et sans structure, on en relie quelques unes et on vous dit : tiens, là, c­ ’est le chariot de la Grande Ourse. Les étoiles sont bien là, mais rien d ­ ’autre ne les relie entre elles que cette nouvelle lecture qui en


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est faite, et il devient dès lors impossible de ne plus les regarder sous cet angle. ­C’est ce que ­j’essaie de faire ici : identifier et relier entre eux des « signaux » c­ ulturels, des éléments de discours, des événements, et voir apparaître une forme de cohérence de ­l’ordre de ­l’évidence ; quelque chose se passe, quelque chose apparaît, q­ u’on ne peut plus ne plus voir, quand bien même cette chose n ­ ’a de réalité que l­’histoire qui en est faite. Tout ça pour dire : il ­n’y a rien de scientifique dans ma démarche. Bien que je sois diplômé d ­ ’un master ­d ’anthropologie, cet essai ­n’a ­d ’anthropologique que son titre – je trouvais amusant le décalage. Aucune rigueur scientifique, aucune étude approfondie, aucune méthodologie académique, rien d­ ’autre ­qu’une intuition, documentée certes, mais juste une intuition, et l­’envie de partager avec humour mon étonnement face à ce qui me paraît véritablement être un phéno­mène ­culturel et social remarquable – un vent persistant, d ­ ’abord faible puis grossissant, qui agite ­l ’air du temps. De la même façon ­qu’il n ­ ’y avait rien de scientifique dans le livre qui a donné naissance aux bobos. Et pourtant : ils n ­ ’étaient nulle part, et du jour au lendemain ils sont partout. Tout a c­ ommencé par une blague. Fin 2013, Une amie, Stéphanie Huguenin, revenant ­d ’un week-end bien arrosé avec des amis « ­complètement pas bobos »,


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sort la formule, brillante, spontanément : « Ah non, eux, ­c’est plutôt des bourgeois bourrins ! » Ça sonne bien, ça roule sous la langue, c­ ’est amusant, c­ ’est un peu cynique mais pas méchant. Ça fait tout de suite tilt. Je lui demande ­l’autorisation ­d ’en faire quelque chose. Elle me la donne. Je suis curieux de voir quel destin peut avoir une telle expression, qui semble à ce point capter quelque chose qui est là mais q­ u’on ne voit pas encore. Ce sera ­d ’abord un billet de blog sur Mediapart, repris par Stratégies, puis par le magazine Elle. Puis cette année un article d’Yves Czerczuk dans la revue Le Panorama des Idées d ­ e Jean-Marie Durand et Emmanuel Lemieux. La machine paraît lancée. Entre-temps, ­comme ­j’espère le démontrer ici, le phénomène semble avoir pris de l­ ’ampleur, et la réalité avoir dépassé l­ ’intuition : dans le débat politique (de plus en plus rance), au cinéma, dans la mode, la musique, partout, de plus en plus, le boubour est là qui ­s’agite, attendant ­d ’être baptisé. Je ne suis pas là pour juger. Je ­constate. Je dis juste : tenez, voilà ce qui est en train de se passer. À vous de voir ce que vous en ferez.


Table des matières Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Dans toute sa splendeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Au commencement était le bobo . . . . . . . . . . . . . . 15 Bobocalypse now . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Non, non, rien n ­ ’a changé, tout, tout a empiré… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Public enemy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Premiers symptômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 E-boubour. La fabrique en ligne du bourgeois-bourrin . . . . . . 59 Boubour la joie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Le paradis perdu des 70s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Dark side of the boubour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 Le boubour femelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111


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Le boubourbooba ou le boubour « racaille » . . . . . . 115 Le boubour gay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 ­L’asiato-boubour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Conclusion. Le boubour existe-t-il vraiment ? . . . . . . . . . . . . . . 133 Boubourgraphie contradictoire . . . . . . . . . . . . . . . 137 Quel boubour êtes-vous ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141


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