Raphaël Josset
COMPLO SPHÈRE L’esprit conspirationniste à l’ère des réseaux
Ouvrage édité par Aurélien Fouillet.
Couverture : Mark Lombardi (1951-2000), World Finance Corporation, Miami, v. 1970-1979 (4e version), 1997, New York, Museum of Modern Art (MoMA). Crayon sur papier (61 x 137,20 cm), The Judith Rothschild Foundation Contemporary Drawings Collection Gift. MoMA Number : 2247.2005. © 2015. Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence ISBN 978-2-37344-005-8 © Lemieux Éditeur, 2015 11 rue Saint-Joseph – 75002 Paris www.lemieux-editeur.fr Tous droits réservés pour tous pays
Raphaël Josset
COMPLOSPHÈRE L'esprit conspirationniste à l'ère des réseaux
À mon père, in memoriam.
À mes amis, À nos ennemis.
AVANT-PROPOS Comme il n ’y a jamais eu de 11 Septembre, il n ’y a pas eu de 7 Janvier. C’est ainsi que la « complosphère », au lendemain des massacres perpétrés à Charlie Hebdo puis dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, débitait par réseaux numériques interposés ses premières théories conspirationnistes : « le Système », « le mensonge officiel » étaient ainsi débusqués par Thierry Meyssan et Alain Soral. Les c ommanditaires des tueries étaient à Washington. Les frères Kouachi étaient liés aux services secrets français. Le sang ne coulait pas des cadavres. On avait truqué les images. Etc. Par la suite objet d’un immense buzz médiatique, le problème « complotiste » fut alors porté pour la première fois à l’attention inquiète du grand public français. Ce qui alla jusqu’à déclencher quelques gesticulations gouvernementales. Mais véritable événement dans l’événement, le spectaculaire et hypertrophié traitement médiatique de la question c onspirationniste n’a-t-il pas tendu au final – de par son pseudo-réalisme structurel
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et sa surexposition d ’une figure rebelle antagonique au système dominant – à renforcer ce q u’il prétendait combattre au nom de valeurs démocratiques et républicaines de plus en plus déconnectées de la réalité sociale ? À l’instar du « cosmos » émergeant du « chaos » dans le mythe grec, ce petit livre est né d ’un c oncours complexe et c onfus de circonstances, d ’événements et de situations q u’il serait inutile de trop détailler ici. Disons simplement que tout c onspirait à sa genèse. « On est plus agi que l’on agit », semble-t-il. Un engouement sociologique ancien pour les diverses formes de dissidence et de subversion où, ne serait-ce que pour des raisons stratégiques, un certain emploi de la dissimulation et du secret s’avère toujours quelque peu nécessaire ; l’attention portée depuis des années aux tendances anticipant les mutations de l’ordre mondial, aux nouvelles formes de domination et aux bouleversements des manières d ’être au monde ; de multiples rencontres et discussions en divers milieux : tels sont quelques-uns des éléments qui ne pouvaient logiquement que nous conduire à prendre acte de l’inéluctable remontée en puissance de l’imaginaire conspirationniste. C’est donc cette planétaire remontée en puissance en notre ère des réseaux que l ’on s’attache à comprendre dans ce qui suit. Mais plus largement, à travers le réalisme fantastique du « complotisme » appréhendé c omme
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symptôme révélateur des obsessions de l’époque, ce sont des tendances lourdes de l’ordre social et des formes d ’existence qu’il génère que l’on veut contribuer ici à penser. Aussi, en traquant nous-même les « signes des temps » on pourrait dire que l’on intègre à dose homéopathique dans notre propre démarche une partie de la méthode « paranoïaque-critique » que déploient plus ou moins consciemment les prolifiques créateurs de ces fantasmagoriques « théories » qui, prises au second degré, ne sont pas sans posséder une certaine valeur artistique potentiellement distrayante. Potentialité que d ’aucuns savent d ’ailleurs parfaitement exploiter. Mais leur caractère profondément dualiste et manichéen c ommande également de rester vigilant quant à leur inquiétante logique inquisitoriale et dogmatique et par c onséquent à l’important potentiel totalitaire qu’elles recèlent. Dotées d ’une structure narrative redoutablement efficace réactivant de grandes images mythiques profondément enracinées dans l’inconscient collectif, elles alimentent la propagande des divers mouvements populistes et fondamentalistes dont on peut allègrement aujourd’hui observer les tragiques ravages à travers un monde déjà physiquement et spirituellement dévasté. Toutes choses imposant par ailleurs d’éviter le piège de la « chasse aux sorcières » dans lequel risquent toujours de tomber toutes entreprises s’attaquant à la
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question du c onspirationnisme – celles-ci étant en effet toujours facilement amenées à jouer, même involontairement, le rôle du Grand Inquisiteur et autres « polices de la pensée », reconduisant ainsi une vision du monde strictement binaire, dualiste et manichéenne. Aussi, on c omprendra rapidement que c’est bien dans l’esprit non pas de brider les initiatives mais au contraire de trouver de nouvelles voies à explorer, de nouveaux chemins de pensée et de vie à parcourir q u’a été c onçu cet ouvrage.
INTRODUCTION On c onjecture que ce brave new world est l ’œuvre d ’une société secrète d ’astronomes, de biologues, d ’ingénieurs, de métaphysiciens, de poètes, de c himistes, d ’algébristes, de moralistes, de peintres, de géomètres… dirigés par un obscur homme de génie. Jorge Luis Borges, Tlön Uqbar Orbis Tertius
’ordre nouveau : L un spectre hante le monde Force est de c onstater de nos jours que le sentiment d ’être un simple pion sur l’échiquier d ’un monde hyper-spectaculaire totalement falsifié où s ’affrontent de fantomatiques et conspiratrices forces occultes gagne singulièrement de l’ampleur. Une montée en puissance donnant lieu en outre, surtout depuis le début des années 2000, à la création d ’innombrables mythes, idées, images, schémas de pensées et autres contre-vérités, qui circulent alors planétairement à la vitesse de la lumière dans et par les nouveaux médias
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de notre société de l ’information. Toutes choses allant jusqu’à former maintenant la conscience collective d ’un mouvement de dissidence contre-culturel ou prétendu tel. Aussi, pour en saisir l ’esprit, on pourrait se référer à cette citation quelque peu désenchantée du philosophe, poète et savant persan médiéval Omar Khayyam que fit judicieusement en 1988 l ’ex-révolutionnaire français d ’avant-garde Guy Debord : Pour parler clairement et sans paraboles, Nous sommes les pièces du jeu que joue le Ciel ; On s’amuse avec nous sur l ’échiquier de l ’Être, Et puis nous retournons, un par un, dans la boîte du Néant1.
Par là pouvait se résumer son sentiment général quant à la c ondition humaine dans des temps dominés par les techniques de ce qu’il nommera alors le « spectaculaire intégré » caractérisant le nouvel ordre mondial en émergence. Par ailleurs bien peu enthousiasmé par les potentialités subversives des mouvements de dissidence des pays d ’Europe de l’Est qui se faisaient jour à l’époque, il se targuera quelques années plus tard d ’avoir anticipé, par ses analyses de l’évolution 1 Cf. G. Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992 (1988).
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des sociétés modernes, la fin de la guerre froide et l’unification du monde sous la houlette de l’idéologie de la démocratie – celle-ci étant perçue par G. Debord comme l’expression de « la liberté dictatoriale du Marché tempéré par la reconnaissance des Droits de l’homme spectateur1 ». Rien de bien réjouissant donc, et bien peu d’alternatives possibles pour celui qui s’était fait des années 1950 aux années 1970, avec ses joyeux compagnons de l’Internationale Situationniste2, le chantre de théories et pratiques expérimentales conspirant à « changer la vie » en renversant l’aliénant règne autocratique de l ’économie spectaculaire-marchande, et ce notamment au moyen de la réappropriation et du « détournement » radical des œuvres de la c ulture dominante c omme des techniques les plus modernes, ainsi mises au service de la c onstruction de situations existentielles qualitativement supérieures. Moyens eux-mêmes largement hérités des mouvements d’avant-garde artistiques précédents (futurisme, dadaïsme, surréalisme, lettrisme) et aujourd’hui de l’ordre de la banalité du quotidien 1 G. Debord, « Avertissement pour la troisième édition » in La Société du Spectacle, Paris, Gallimard, 1992 (1967). 2 Pour une histoire de ce groupe artistico-politique révolutionnaire d ’avant-garde et de sa postérité voir notamment Gianfranco Marelli, Amère victoire du situationnisme, pour une histoire critique de l ’Internationale Situationniste 1956-1971, Éditions Sulliver, 1998.
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du fait des potentialités technologiques fournies par notre culture numérique des réseaux. Mais malgré cette expansion des techniques se voulant originellement subversives, les Commentaires de G. Debord paraissent gagnés, on l ’a dit, par un sentiment d’impuissance pratique et un certain désenchantement face au c onstat de l ’implacable efficacité opérationnelle des divers modes de contrôle social, ceux-ci ne semblant alors plus limités que par la complexification due à leurs propres progrès. S’y divulgue ainsi clairement une vision c onspirationniste-policière de l ’Histoire en cours reflétant l ’inéluctable processus de mondialisation d ’un système de domination et de ses techniques de gouvernement fondées sur la manipulation, le leurre, l’imposture et la tromperie, la prolifération des divers réseaux de pouvoir, d ’influences réciproques et autres « sociétés secrètes » donnant corps à une domination spectaculaire fondamentalement falsificatrice. Celle-ci, dont la plus haute ambition serait que « les agents secrets deviennent des révolutionnaires et les révolutionnaires […] des agents secrets1 » et officiellement placée sous le signe de la défense des libertés démocratiques, se fabriquerait maintenant un nouvel ennemi, « le terrorisme », en même temps que ses propres pôles de négation, raison d ’être de la surveillance. 1 Idem.
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Dans un registre beaucoup plus optimiste si ce n ’est idéaliste, l’Américain Timothy Leary – figure du psychédélisme des années 1960 inspiré par le théoricien des médias Marshall McLuhan1 –, s ’enthousiasmant quant à lui pour les valeurs libertaires et c ontre-culturelles des mouvements de dissidence des pays de l’Est, déclarait, dans un texte intitulé Bienvenue dans un monde nouveau, que la société de l’information post-politique que nous sommes en train d ’élaborer ne fonctionne pas sur des principes d ’obéissance et de c onformité aux dogmes. Elle se fonde sur la pensée individuelle, la compétence scientifique, l ’échange quasi instantané d ’informations, l’ingéniosité, la créativité. La société du futur ne peut continuer à faire grise mine à l’imagination. Au contraire, ces individus créatifs et non-conformistes, capables de sauter à pieds joints par-dessus les frontières, sont les piliers mêmes de la cyberculture2.
Pour faire court, c’était en quelque sorte une réplique de l’éternelle querelle des Anciens et des Modernes qui se rejouait là, pour T. Leary, dans ces mouvements de dissidence contre-culturelle portés par la jeunesse du 1 « Premier apologiste du spectacle, qui paraissait l ’imbécile le plus convaincu de son siècle » selon Debord. Cf. Commentaires, op. cit. 2 T. Leary, « Bienvenue dans un monde nouveau », Chaos et cyber culture, Éditions du Lézard, 1996.
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monde entier qu’animent les potentialités créatrices des nouvelles technologies. Aussi, en bon représentant de « l’idéologie californienne1 », celui-ci en venait à conclure que c’étaient les sociétés high-tech japonaises et de la Silicon Valley qui étaient en train de libérer le monde en inondant le marché d’outils électroniques. En donnant aux individus les armes par lesquelles ils s’émancipent du joug des forces conservatrices de l’ancien ordre du monde qui fut pendant quarante ans sous le contrôle des gouvernements soviétiques et américains, la fabrication et la diffusion de matériels et de logiciels à bas prix seraient donc un facteur de progrès essentiel. Elles favoriseraient ainsi l’évolution culturelle, si ce n’est une véritable mutation anthropologique permettant à la nouvelle espèce des « cybernautes » d’expérimenter massivement des réalités alternatives, de créer et transmettre librement ses propres « mèmes », c’est-à-dire ses images, ses schémas de pensée, idées et attitudes ainsi que ses propres mythes et également ses propres mensonges et « contre-vérités, face aux mensonges institutionnels ».
1 Cf. R. Barbrook, A. Cameron, « L’idéologie californienne », Hermès revue critique, no 5, automne-hiver 1999.
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Questions de protocoles Ainsi, à ce moment charnière de l’Histoire où s’apprêtait à surgir un « nouvel ordre mondial » postguerre froide, ce sont au final des tendances lourdes du processus civilisationnel que saisissaient ces deux ex-figures emblématiques de la dissidence et de la subversion aux sensibilités théoriques relativement opposées, en particulier en ce qui concerne la question de la Technique et de ses potentialités émancipatrices. Tendances lourdes ayant donc désormais la fâcheuse habitude de fusionner dans la pratique. Aussi, à l ’heure du règne de la c onfusion et des stratégies de l ’illusion dans une société saturée de signes, d’images, de données et informations où s ’entremêlent dans un jeu toujours plus subtil le vrai et le faux, le réel et la fiction, nous nous demanderons notamment c omment la généralisation des protocoles de communication électronique nous ramène aujourd’hui, via la virtualisation, à la croyance collective dans les théories du complot pour la domination mondiale comme résurgence d ’un imaginaire « dualiste » apocalyptique. Des protocoles de communication électronique qui, à l ’instar de l’hypertext transfert protocol (http.) et autres algorithmes informatiques, ont permis
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le déploiement planétaire du world wide web (www.) et par extension l’avènement de « l’hypertexture » quelque peu schizophrénique, comme on le verra, de notre société globale des réseaux. Toutes choses favorisant donc l’émergence et la dissémination de théories « paranoïaques-critiques » radicales basées sur des protocoles narratifs dont le stéréotype le plus efficient est le grand récit c onspirationniste antisémite qui fut c onstitué au début du xxe siècle autour des fameux Protocoles des Sages de Sion, un faux notoire composé des prétendus authentiques rapports d ’une vingtaine de réunions secrètes apportant les preuves de l’existence d ’une vaste machination visant la conquête du monde par les Juifs et les Francs-maçons. Fabriqué à Paris par un expert en c ontrefaçon sur le modèle détourné d ’un ancien pamphlet satirique dirigé c ontre le machiavélisme d’un Napoléon III, ce texte constituait en réalité une opération, elle-même machiavélique, de désinformation conduite par la police secrète de l’Empire russe à destination du tsar Nicolas II dans le but d ’infléchir sa politique de modernisation libérale jugée, par ces éléments conservateurs et traditionalistes, trop favorable au peuple juif. Bien que l’opération échouât, la supercherie ayant été découverte, le texte, qui entendait profiter du sentiment populaire anti-ju daïque n’ayant cessé de prendre de l’ampleur tout au
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long du xixe siècle dans toute l’Europe, n’en c ontinua pas moins de circuler à travers le monde de décennie en décennie avec toutes les conséquences tragiques que l’on sait. Aussi, l’interminable conflit Israëlo-palestinien, les reconfigurations géopolitiques contemporaines et les nouveaux enjeux de la mondialisation semblent bien donner une nouvelle vigueur à cette structure narrative ayant alimenté les diverses propagandes populistes et fondamentalistes jusqu’à nos jours et dont le mythe fondateur s’origine autour des controverses liées à l’avènement de la Révolution française. Signes des temps Mais par-delà le constat évident de la remontée en puissance de cet imaginaire du grand complot mondial 1 dans et par les réseaux socio-techniques, la question plus fondamentale que nous serons également amené à nous poser est celle-ci : de quoi le succès c ontemporain du conspirationnisme est-il le signe ? Ou pour le dire autrement, q u’est-ce que cette forme de c onscience collective émergente nous apprend-elle quant à la mutation des sociétés c ontemporaines ? De quel être 1 Cf. P.-A. Taguieff, L’Imaginaire du c omplot mondial. Aspects d ’un mythe moderne, Paris, Mille et Une Nuits, 2006.
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sociétal cette résurgence d’un « style paranoïaque1 » est-elle le reflet ? En somme, que nous révèle-t-elle sur le mode d’être-au-monde de l’homme en condition postmoderne ? C’est pour répondre à ces questions que nous souscrivons à la proposition méthodologique faite par Michel Maffesoli qui, en prélude à une réflexion sur le monde de l’image, de l’imaginaire et du symbolique, affirme que c’est en étant attentif aux « signes des temps », en sachant interpréter tous ces événements ponctuels, un peu chaotiques à forte charge émotionnelle, qui constituent la vie de tous les jours, que l’on peut être à même d’apprécier le nouveau style de vie qui, subrepticement se capillarise dans le corps social2.
Aussi, pour penser la mutation des sociétés c ontemporaines travaillées en profondeur par les processus de globalisation c ulturelle, technologique et économique, des processus de transfiguration des valeurs et des normes par où se reconfigurent, pour le meilleur et pour le pire, de nouveaux rapports à soi, aux autres et au monde, et donc de nouvelles formes 1 Cf. Richard Hofstadter, Le Style paranoïaque. Théories du complot et droite radicale en Amérique, François Bourin Éditeur, 2012. 2 M. Maffesoli, La Contemplation du monde. Figures du style communautaire, éd. Grasset, 1993.
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’existences, de nouvelles manières d d ’être-au-monde, il faut en saisir les tendances lourdes et les formes plus ou moins nouvelles émergeant du bouillonnement destructif/créatif de la vie sociale, et ce, donc, en tentant de rester attentif aux « signes des temps ». À cet égard, quoique cela soit très intuitif, de l’ordre du réflexe et déterminé par un certain rapport à la fatalité du Destin, on pourrait proposer ici l’idée d ’adopter une « vision nodale », inspiré en cela de William Gibson, ce fin c onnaisseur de la société digitale et des problématiques existentielles induites par la culture numérique en émergence. Devançant les recherches quantitativistes c ontemporaines sur le traitement des métadonnées numériques (« big data ») en extrapolant l’expérience du chercheur en prospective et futurologie traquant les tendances, celui-ci imagina en effet, dans des romans d’anticipation parus dans les années 1990, le personnage d’un analyste1 qui, naviguant dans les banques de données du « cyberespace » – terme dont il a notoirement la paternité –, se révèle posséder un don particulier pour repérer intuitivement ce qu’il nomme les « points nodaux », c’est-à-dire les nœuds d’informations c onvergentes. Mais c’est 1 Cf. Colin Laney dans Idoru (1996) et All Tomorrow’s Parties (1999), les deux derniers romans de la « trilogie du pont » débutée avec Lumières virtuelles (1993).
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aussi et surtout leurs singulières configurations dont il possède une extraordinaire capacité de repérage, celles-ci formant alors des schémas représentant des modèles narratifs révélant des « systèmes émergents de l’Histoire » et donc potentiellement des « scénarios du futur ». Idée obsédante revenant c omme un leitmotiv dans toute son œuvre et reflétant sa propre expérience de romancier observateur du social fasciné par le phénomène d’émergence des tendances subculturelles formant c omme autant de laboratoires de Recherche et Développement explorant des stratégies sociétales parallèles. Dans une autre trilogie1 parue au cours de la première décennie du xxie siècle, abandonnant les territoires de l’anticipation science-fictionnesque pour se concentrer sur notre monde ressemblant de plus en plus nettement à ses écrits passés, il reprenait cette idée de capacité intuitive à saisir des motifs, des formes narratives et autres singularités comme possibles manifestations du futur virtuellement présentes au milieu du chaos de la production sémiotique des sociétés contemporaines. C’est donc cette démarche de repérage des « points nodaux » et autres « thématiques récurrentes », de reconnaissance des modèles narratifs et d ’« identification 1 Cf. La « trilogie Bigend » composée de Identification des schémas (2003), Code source (2007) et Histoire zéro (2010).
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des schémas » émergents comme « signes des temps » que l’on adopte aussi d ’une certaine manière pour notre part en naviguant/dérivant/déambulant dans notre environnement social. Un environnement qui, pour reprendre une évocation baudelairienne du « temple de la Nature » et de ses « correspondances », est en quelque sorte cette « forêt de symboles » et de « paroles confuses » au « regard familier » dans laquelle nous évoluons au quotidien. Ce faisant ce sont quelques indications sur les possibles devenirs de l’homme et de son monde qui se voient ainsi appréhendées.
TABLE DES MATIÈRES Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’ordre nouveau : un spectre hante le monde . . . . Questions de protocoles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Signes des temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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The Puppetmasters : « Qui tire les ficelles ? » . . . . . . . 27 Ordo ab Chao . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Rouges-bruns vs Bobos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Illuminati = Sheitan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Musique du Diable et messages subliminaux . . . . 39 La c onspiration des Illuminaten contre l ’obscurantisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Faux et usage de faux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 La vérité vraie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Le vrai est un moment du faux . . . . . . . . . . . . . . . 59
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Les fanatiques de l’Apocalypse. Le fameux canular de Léo Taxil . . . . . . . . . . . . . . . . Le Diable au xixe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Diana Vaughan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’imaginaire apocalyptique du c omplot judéomaçonnique luciférien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Terrasser le Dragon ». Du régime diurne de l’imaginaire conspirationniste . . . . . . . . . . . . . . . . Diurne/nocturne : les régimes de l’imaginaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le mythe du c ombat primordial : naissance du dualisme occidental ? . . . . . . . . . . . . Le Bien, le Mal et la fin des Temps : ainsi parlait Zarathoustra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Domestication de l’Être . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lutte contre l’Empire des ténèbres et résurrection violente du mythe . . . . . . . . . . . . .
67 67 72 75 79 79 82 86 89 94
Crise de la présence, style paranoïaque et pensée magique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Précarité existentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Fascination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 Arraisonnement technique et dévastation . . . . . . 107
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Le monde comme fantôme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Aleph . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Matrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le dividu schizo ou la dispersion du sujet . . . . .
113 113 117 121
Hypertexture. « Le soi est peu » . . . . . . . . . . . . . . . . 127 L’homme sans qualité à l’ère des réseaux . . . . . . 127 Faketicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 À l’ombre des réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Guerres secrètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Big Brother c ’est nous tous ! . . . . . . . . . . . . . . . . Du nouvel ordre spectaculaire . . . . . . . . . . . . . .
137 137 141 144
Secret, sociétés secrètes et complexité . . . . . . . . . . . 151 Triades . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Anarchisme ontologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Les vengeurs masqués . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Amor Fati ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172