« TOUTE PERSONNE QUI PENSE FORTEMENT FAIT SCANDALE » BALZAC
LE MAGAZINE DES ETUDIANTS LILLOIS
NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE
#16 - HIVER 2014
lescandaleuxmag.fr
Chers lecteurs, Du fond de la froide nuit lilloise luit un fanal salvateur : le Scandaleux Mag XVI est arrivé ! De page en page, de reportages en entretiens, il ravivera la flamme qui commençait à s’éteindre sous les coups de l’hiver et des résultats d’examens. La France en 2025, les JO controversés de Sotchi, les secrets de la pornographie, le nazisme, mais aussi Transpole : le Scandaleux a déniché les sujets qui font l’actualité et qui nourriront votre curiosité. Plus encore qu’un magazine, ce Scandaleux Mag est une arme exceptionnelle pour briller en société, tant un verre à la main que face à votre maître de stage. Après tout, le monde se divise en deux catégories : ceux qui lisent le Mag XVI, et les autres. En cette nouvelle année 2014, soyez du bon côté !
Antoine Isaac
Directeur de la publication : Antoine Isaac Rédacteur en chef : Antoine Isaac Relations partenaires : Sonia Karam Mise en page : Anna Camara, Hélène Willemin
DÉPÔT LÉGAL : W59008653 ISSN 1961 - 0262
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LE SCANDALEUX MAG #16 - HIVER 2014
N°SIREN: 519318745
# 16 - Hiver 2014
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Brèves insolites
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Quand le sexe devient un acte de rébellion Le porno : facteur de progrès de la technologie ? Interview : Ghislain Faribeault, vice-président Média chez Marc Dorcel
Sommaire
Pornographie et progrès
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Dossier: La France en 2025, puissance des régions Nord Pas de Calais : en route vers la révolution verte ! Pourquoi supprimer les départements Quelle France dans dix ans ? Le Grand Paris et les transports en commun
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Les Jeux Olympiques de Sotchi Bienvenue à Sotchi ! Des polémiques toujours plus vives
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Economie
Quelques mécanismes de fraude fiscale et les parades mises en place ou envisagées Constats et propositions d'experts autour de la fraude fiscale
30 28
Histoire Nazisme, mouvement religieux Islam et Nazisme
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Sport
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La France du foot n’aime pas l’Europe
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Lille A quoi servent les agents prévention Transpole ?
35 34
Loisirs Jeux / Recette Horoscope
LE SCANDALEUX MAG #16 - HIVER 2014
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EN BREF
BRÈVES INSOLITES E
ileen Vermiglio a eu la mauvaise surprise d’apprendre qu’elle s’était recueillie pendant 13 ans sur une mauvaise tombe ! C’est au moment d’enterrer sa mère que les fossoyeurs se sont rendus compte que le père d’Eileen reposait dans le caveau voisin…
E
n rentrant chez lui, un étudiant de 19 ans a agressé sa mère au couteau avant de… se couper le pénis ! Ce Britannique était sous l’emprise de la méphédrone, drogue à la mode notamment au Royaume-Uni. Heureusement pour lui, sa mère s’en est sortie avec des blessures légères et son pénis a pu être recousu par les chirurgiens.
P
our effrayer sa petite amie à son retour, un Australien a eu la bonne idée de se faufiler dans sa machine à laver afin de la surprendre. Manque de chance, il n’a pas réussi à sortir de sa cachette au moment voulu et s’est retrouvé coincé. Il a alors fallu appeler les secours qui se sont vus obligés d’enduire le jeune homme d’huile pour enfin réussir à le libérer.
U
n homme habitant dans le Nord de l’Australie a été obligé de se rendre à l’hôpital à son réveil suite à des douleurs dans l’oreille. Il s’avérait en effet qu’un cafard de 2cm s’y était introduit pendant la nuit ! Dorénavant, il dormira donc avec un casque sur les oreilles pour éviter qu’une telle mésaventure ne se reproduise.
U
n chirurgien de Birmingham a littéralement voulu laisser sa trace au cours d’une intervention. En effet, ce dernier a gravé ses initiales sur le foie d’une patiente qu’il opérait. Cette signature lui a malheureusement valu d’être suspendu…
L
e slip, nouvel arme pour tuer. En effet, au cours d’une dispute musclée avec son beau-père, un homme de 33 ans lui a remonté le slip au niveau du visage et l’a étouffé. Il est évidemment poursuivi par la justice pour homicide volontaire.
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LE SCANDALEUX MAG #16 - HIVER 2014
PORNOGRAPHIE ET PROGRES
QUAND LE SEXE DEVIENT
UN ACTE DE RÉBELLION
Interdite dans de nombreux pays, la pornographie persiste pourtant à s’y introduire. En usant de chemins détournés et dangereux pour y accéder, ses consommateurs forment l’exemple d’une nouvelle forme de résistance à la pression gouvernementale.
S
’il est une victime de la censure forcenée d’internet
opérée par certains pays, c’est bien la pornographie. Qu’il soit justifié par le respect de la religion, des bonnes mœurs ou de l’ordre public, le blocage des sites à contenu pornographique est une constante des gouvernements ayant une conception toute orwellienne de la liberté d’expression. Les initiatives se multiplient au Moyen-Orient, allant du blocage technique complet (comme en Iran) aux diverses sanctions pénales associées à la simple consultation des sites prohibés. Seuls quelques pays de la région, la Turquie, le Liban et Israël, autorisent encore la pornographie. Pour les autres, la pornographie semble avoir été classée au même titre que les sites et forums appelant à la sédition ou proférant des critiques à l’égard de hauts dignitaires. A la lutte contre la libre expression s’adjoint maintenant l’appui de la lutte contre le visionnage de contenu à caractère sexuel.
Une pornographie à la fois jeu et résistance C’est justement ce point, cet élargissement de l’action de certains gouvernements de la préservation de leurs intérêts à la condamnation des contenus pornographiques, qui nous intéresse ici. En Chine, si le gouvernement se montre particulièrement coercitif vis-à-vis des auteurs de sites ou d’écrits critiquant le gouvernement, le parti ou de hauts responsables, il s’efforce également d’interdire et de supprimer tout contenu pornographique sur la Toile chinoise. Se rendre sur un site en hébergeant revêt alors le même caractère prohibé que de laisser un commentaire révolté sur un réseau social.
De façon surprenante ou non, la consommation de pornographie revient à braver l’interdit presque autant qu’être un cyberactiviste. De nombreux jeunes Chinois participent de fait à cette forme particulière de résistance (comme l’explique Katrien Jacobs dans son livre People’s pornography et sur son
« A �� ����� ������ �� ����� ���������� �’������� ���������� �’����� �� �� ����� ������ �� ���������� �� ������� � ��������� ������. » blog personnel). Si la plupart se « contentent » d’une vision passive bien qu’interdite de la pornographie, d’autres filment et diffusent leurs ébats sur internet, dans un acte qui allie plaisir personnel évident et volonté de braver une autorité jugée excessive. Ce rapport à la pornographie de ces jeunes Chinois témoigne d’une modification de leur rapport au sexe, moins confidentiel et caché que leurs parents, et d’une envie de vivre et de faire comme les personnes de leur âge dans les pays où une telle censure ne s’applique pas. Le phénomène n’en est tout de même pas au point de voir émerger une force populaire réclamant son droit à profiter d’une sexualité virtuelle « épanouie », ces internautes prenant nombre de précautions et usant de moyens de dissimulations variés pour éviter la répression, mais il est annonciateur d’un certain changement de mentalité et du fait qu’à vouloir réprimer sans cesse un nombre toujours plus large de sujets, ces gouvernements risquent de voir se dresser une dissidence elle aussi plus large et issue d’endroits où on ne l’attendait pas. De là pourraient venir les premières failles de la chape.
Quand la censure s’en va, la pornographie revient au galop Ces failles sont d’ailleurs perceptibles dans un pays qui est sorti de la dictature il y a peu : l’Irak. À Bagdad par exemple, l’ordre relatif restauré depuis 2008 dans les rues a permis l’émergence d’une profusion de vendeurs de DVD à la sauvette, dont les meilleures ventes sont les films à caractère pornographique. Malgré les menaces et les violences de groupes radicaux, les vendeurs poursuivent ce commerce prospère. Dès que la pression du gouvernement ou de groupuscules extrémistes se relâche, la pornographie tend à s’introduire de nouveau dans la société et à rencontrer un public. Aussi surprenant que cela puisse être, la pornographie, et plus particulièrement son caractère illicite, pourrait donc être un facteur supplémentaire de pression contre le joug que certains gouvernements imposent à leur population.
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Antoine Isaac 5
PORNOGRAPHIE ET PROGRES
Le porno : facteur de
progrès de la technologie ? Nos technologies de communication seraient-elles aussi avancées si la pornographie n’existait pas ? Il semblerait bien que, loin d’être une excroissance nuisible de celles-ci, la pornographie soit en fait un véritable moteur du progrès technologique.
« Si le sujet n’était pas aussi délicat, la pornographie serait reconnue publiquement comme une industrie qui a, avec succès et rapidement, développé, adopté et diffusé les nouvelles technologies. » Si ces mots de Jonathan Coopersmith (Pornography, technology and progress) peuvent sembler provocateurs, excessifs, ils sont pourtant l’expression d’une réalité. En effet, la pornographie en général, et plus récemment l’industrie pornographique, ont grandement contribué au développement de technologies que nous utilisons au quotidien et qui nous rendent de fiers services, pour des usages plus avouables certes.
au fur et à mesure que le progrès technique les leur fournissait. Sur les murs de Pompéi, mêlés à des pamphlets anticléricaux au XVIIIème siècle ou immortalisés par la photographie naissante au XIXème siècle, la pornographie et l’érotisme ont été diffusés par de nombreux moyens et à une vitesse surprenante. Pour exemple, le premier film pornographique sortit en 1896, deux ans seulement après la diffusion du premier film public. Puis vinrent le tour des magazines, des films en 8 et 16mm diffusés dans des cinémas spécialisés, des cassettes vidéo, de la télévision par câble, des cédéroms et enfin d’internet.
L’industrie pornographique avide de nouvelles technologies
À chaque fois, l’impact de la pornographie est considérable. Le développement des cassettes vidéo et du magnétoscope est dû en partie au fait que les industriels de la pornographie ont privilégié ce support pour diffuser leur production par rapport aux diffusions dans des cinémas
« Les chanteurs privilégient désormais les concerts aux albums, l’industrie de la pornographie les chats érotiques aux films traditionnels. »
Depuis des millénaires, les hommes ont cherché à fixer la pornographie, les contenus érotiques, sur divers supports 6
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PORNOGRAPHIE ET PROGRES (en 1990 aux Etats-Unis, les cassettes pornographiques se classaient troisième des meilleures ventes, surpassées seulement par les nouveautés du grand écran et les films pour enfants). Le caméscope, lui aussi, s’est popularisé grâce aux envies d’un grand nombre de clients prêts à débourser beaucoup pour acquérir la machine dernier cri qui leur permettrait de filmer (et parfois revendre) leurs ébats et autres fantasmes. Plus fort encore, cette démocratisation s’est approfondie par un effet de « blackboxing », c’est-à-dire le fait de rendre la technologie plus accessible et utilisable par un large public. Désormais, plus besoin d’avoir des connaissances techniques pointues pour filmer un coucher de soleil ou des galipettes : trois boutons suffisent.
Le X à l’ère du numérique et d’Internet Quand le temps de l’informatique est arrivé, l’industrie pornographique s’est rapidement adaptée. Permettant une interactivité nouvelle et un meilleur ciblage des envies du consommateur, l’ordinateur a donné lieu à des créations surprenantes : « Penthouse Virtual Photo Shoot » fut par exemple reconnu à sa sortie comme l’un des jeux sur cédérom les plus aboutis et interactifs de l’époque. Enfin, l’arrivée d’internet, confidentiel d’abord puis grand public, fut accompagnée d’une déferlante de nouveautés produites par l’industrie pornographique. La pornographie entrait dans un nouveau rapport, quittant le duo consommation-production pour entrer dans une nouvelle phase plus sociale, plus interactive. Les forums et groupes de discussion à caractère sexuel ont pullulé, les sites internet fournisseurs de contenu pornographique ont grandi en taille jusqu’à accueillir des millions de visiteurs quotidiens, et ce dès les premières heures du web grand public. À l’image des messageries instantanées, l’industrie du X créait des protocoles sécurisés de discussion, de chat, et même des salons vidéo fort lucratifs qui allaient donner plus tard la visioconférence. De même, dans une optique de confidentialité et de sécurité, les sites pornographiques ont développé des outils de sécurisation des transactions financières sur internet et de protection des comptes d’utilisateurs, outils qui sont utilisés aujourd’hui de façon plus répandue.
reste des acteurs d’internet un large catalogue de techniques éprouvées. L’industrie pornographique, en servant de testeur et d’inventeur infatigable, a permis aux meilleures pratiques commerciales d’émerger et d’être appliquées à grande échelle sur l’ensemble du réseau.
De nombreux défis à relever Aujourd’hui, alors que tous les producteurs de contenu souffrent du piratage de leurs œuvres, l’industrie pornographique paraît être une des plus aptes à sauvegarder ses profits. En effet, comme elle ne dispose ni de l’assise financière ni du soutien politique des grands studios d’Hollywood, elle ne peut imposer une nouvelle législation plus stricte et coercitive à l’égard des pirates, mais seulement tenter de s’adapter. Dès lors, c’est de ses propositions que pourraient s’inspirer lesdits studios : moins de contenu piratable mais des offres de pornographie en direct, des chats et shows éphémères, des films en vidéo à la demande (concept dont elle a été, encore une fois, en partie à l’origine), bref, une pornographie de qualité mais vite consommée, non copiable. Les chanteurs privilégient désormais les concerts aux albums, l’industrie de la pornographie les chats érotiques aux films traditionnels.
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Le X a donc contribué au progrès technique d’internet, mais également à sa maturation économique. Une des difficultés sur le web est bien de monétiser son contenu, de fidéliser ses visiteurs, bref de gagner de l’argent durablement. Par sa volonté de cibler les désirs de ses clients, par la nécessité impérieuse de se démarquer dans un environnement de plus en plus concurrentiel, l’industrie pornographique a multiplié les essais de stratégies marketing, diversifiant ses approches de la relation au consommateur, offrant ainsi au LE SCANDALEUX MAG #16 - HIVER 2014
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INTERVIEW
Ghislain Faribeault
« L’ADULTE A VOCATION A ETRE UNE INDUSTRIE INNOVANTE. » Ghislain Faribeault, vice-président Média chez Marc Dorcel, nous a reçu dans son bureau du siège parisien de l’entreprise. Entouré des dernières créations de la marque, DVDs et autres engins de plaisir, il s’est plié au jeu de l’interview et nous a livré ses secrets sur Marc Dorcel et l’industrie pornographique. propos recueillis par Clément Bonhomme
Pouvez-nous présenter l’entreprise Marc Dorcel ? Ghislain Faribeault Le groupe Marc Dorcel, société de production de films pour adultes, a été créé en 1979. Depuis une dizaine d’années, l’entreprise a évolué en un groupe audiovisuel avec diverses activités : des magazines papier, des boutiques physiques, des chaînes de télévisions dans une trentaine de pays en Europe, un service internet et de la vidéo à la demande sur tous types de supports. Ce groupe détient une notoriété assez forte dans les pays francophones. C’est aussi une cinquantaine de collaborateurs et 28 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Comment évolue le marché de la pornographie ? Est-il impacté par la crise ? Les moyens de diffusion et de distribution ont évolué d’un point de vue technologique et légal. Effectivement, le marché a été impacté par la crise, comme tout autre type d’industrie. Cette tendance s’est accentuée avec le piratage et la présence de « Tubes », soit des plateformes de diffusion gratuite et généralement illégale des contenus. Justement, Laurent Wauquiez, député et ancien ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a déclaré au cours d’une émission qu’il consultait Youporn « comme tout le monde ». Qu’en pensez-vous ? Je ne souhaite pas m’exprimer sur la politique, mais je ne sais pas s’il connaissait vraiment le sujet de discussion. Cependant, je pense que tout le monde a déjà consulté 8
des films adultes. D’après un sondage IFOP de 2009 que nous avons commandé, 93 % des Français avouent avoir déjà visionné tout ou partie d’un film X. Ce n’est donc pas hors norme ! Est-ce que vous avez constaté une évolution dans la façon de consommer le contenu pornographique au fil des décennies ? Et est-ce que cela a entraîné un changement des méthodes de tournage ? L’évolution a été assez profonde en termes de diffusion et distribution. Historiquement, lorsque Marc [NDLR : Dorcel] a créé la société, les films n’étaient disponibles qu’au cinéma. A présent, pour la génération Y, imaginer que le seul moyen d’aller voir un film X était d’aller au cinéma entouré de personnes peut paraître étrange, et pourtant c’était un standard. Toutes les salles de cinéma diffusaient des films X. Par exemple, plus de la moitié des films diffusés sur les Champs-Elysées étaient des films pour adultes. Des films comme Emmanuelle sont restés plusieurs années en programmation. Avoir une affiche d’un film X est quelque chose qu’on ne pourrait même pas imaginer aujourd’hui. Ensuite est arrivée la VHS, puis la diffusion télévisée. Canal + a d’ailleurs été la première chaîne de télévision au monde à diffuser des films adultes ! Ensuite sont arrivés le DVD, la VOD, et enfin internet. Et demain ce sera encore autre chose. La manière de faire les films a aussi profondément évolué. Avec l’arrivée des premiers caméscopes numériques et des logiciels de montage à la fin des années 1990, n’importe qui a pu devenir réalisateur d’un film X. Cela a entraîné une révolution, avec une offre largement
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INTERVIEW supérieure à la demande, et un contenu disponible immédiatement et gratuitement mais illégalement. Est-ce que selon vous, dans son histoire, l’industrie du X a favorisé le développement d’innovations ? On peut citer le caméscope, la vidéo à la demande... Et le minitel ! Oui, en général, l’adulte a vocation à être une industrie innovante. Dès qu’une nouvelle technologie est adoptée par l’industrie adulte, en général, elle prend pour le grand public. Nous pouvons citer internet, la téléphonie - les premières sources de revenu en téléphonie c’est l’adulte - , le minitel : certains ont fait des fortunes avec les sites de rencontre de l’époque, les « adopte un mec » des années 80. Forcément, l’adulte est obligé d’être en avant, de tester de nouvelles choses et d’innover. Parfois une technologie ne prend pas. Par exemple, pour le DVD, on peut parler du « multi-angles », qui était une révolution qui permettait de choisir différents angles de cadrage. C’est quelque chose qui n’a pas du tout marché pour le « mainstream ». Néanmoins vous avez décidé d’investir dans la 3D de manière importante. Pour vous, la 3D est une manière de créer davantage de valeur, voire même un nouvel écosystème ? Non, ce n’était pas forcément pour gagner davantage d’argent, nous avons surtout voulu tester une nouvelle technologie. En 2010 nous voulions voir ce que la 3D pouvait apporter de plus par rapport à un contenu 2D. Du coup on a produit spécifiquement pour la 3D. Nous avons produit une centaine de programmes en 2010 mais aucun depuis. Je pense qu’on était peut-être trop en avance sur le contenu, parce que les gens n’étaient pas équipés en 2010-2011. Même aujourd’hui les équipements 3D sont assez rares. Maintenant les télévisions sont toutes 3D par défaut, donc forcément, les gens qui remplacent leur TV deviennent « 3D compatibles », mais ça reste assez marginal. Ensuite vous avez des contraintes de diffusion et de distribution de contenu. Si vous cherchez un support physique, il faut que ce soit un blu-ray 3D. Ce genre de support est disponible à la FNAC et en grande surface, là où Marc Dorcel n’est pas autorisé à vendre ses produits. Du coup nous ne serions pas rentables sur des Blu-ray 3D. Donc la 3D est disponible sur internet et chez certains opérateurs de FAI, mais cela reste une niche. Le marché de la 3D pourra fonctionner lorsque les contraintes techniques, comme le port des lunettes, auront totalement disparues. [...]
C’est clairement l’option 2. Concernant l’option 1, le groupe va très bien et s’auto-finance sans problème. C’était vraiment une expérience de participation, puisque les internautes étaient impliqués dès la création. L’idée est née avec les réseaux sociaux. Jusqu’à présent, je ne savais pas qui achetait les DVD en ligne ou se rendait dans un sexshop. Avec Facebook ou Twitter nous pouvons avoir un échange, des retours directs avec des gens, ce qui était extrêmement intéressant. Avec le crowdfunding l’idée était de faire un film plaisant au plus grand nombre. En effet lorsque vous êtes producteur, c’est votre objectif. Sinon vous faites un film financé par le CNC [NDLR : le centre national du cinéma et de l’image animée] et vous faites deux entrées en salle. Mais ce n’est pas grave, car c’est le CNC qui a payé. Nous, ce n’est pas le CNC qui nous finance... pourtant 10 % de nos revenus vont au CNC, mais c’est un autre débat. Donc l’idée était de faire un film avec nos clients, et je pense que c’est pour cela que l’offre a vraiment plu aux internautes. Nous ne leur avons pas demandé de miser sur un contenu déjà fini mais de faire le film avec nous et de participer à toutes les aventures de pré-production. Nous avons fait des sondages sur le scénario, les personnages ou encore les actrices. Puis des internautes sont venus faire de la figuration dans le film. Certains ont même fait le générique du film ! Cela a donné lieu à une aventure drôle et enrichissante avec de vrais échanges avec les clients. A l’époque, en 2010, lorsque nous avons lancé l’opération [NDLR : de crowdfunfing], le record était détenu par Grégoire dans la musique, avec 75 000€ récoltés en un mois et demi. Nous avons récolté 95 000€ en 78h. Mais les internautes ont tous récupérés leur mise, plus 30 % ! Un placement à 30%, c’est plutôt rare en banque !
« Le porno gratuit financé par la pub, c’est une utopie. »
Concernant le mode de financement auquel vous avez eu recours, le crowdfunding, avec lequel vous avez produit le film Mademoiselle de Paris. C’est pour vous un moyen de financer vos films, car les banques sont assez peu réceptives au financement de vos activités, ou c’est une tentative de créer du lien avec les consommateurs et de les impliquer davantage ?
Nous avons pu lire que les internautes qui ont participé au financement du film Mademoiselle de Paris se sont ensuite engagés contre le piratage. Ce type d’initiative permettrait-elle donc d’inciter les internautes à se détourner du piratage ? Effectivement, comme ils avaient tous mis un peu d’argent, ils sont devenus inquiets de la rentabilité du projet, et ont donc milité contre le piratage de ce programme. Cela reste cependant assez anecdotique et nous ne sommes malheureusement pas encore dans un vrai changement d’état d’esprit où les gens prennent conscience que le contenu se finance. Nous avons toujours été contre Hadopi, car nous pensons que ce n’est pas le bon axe. Nous nous fichons d’aller attaquer Mme Michue car son fils a téléchargé Bienvenue Chez les Ch’tis, clairement ce piratage existera toujours. Nous sommes contre les entreprises mafieuses qui se font de l’argent à partir de contenus volés. Les pouvoirs publics devraient agir contre ces personnes en priorité, car ils ne respectent aucune légalité d’ayant droit, aucune légalité fiscale puisqu’ils ne sont pas en France, ni aucun contrôle parental. Sur notre site, il faut sortir sa carte bancaire pour accéder au contenu, tandis qu’eux ne demandent même pas si vous êtes majeurs ou mineurs, vous voyez directement ce que vous voulez.
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INTERVIEW Nous ne nous battons donc pas avec les mêmes armes. Vous utilisez beaucoup les réseaux sociaux, notamment après le match de l’équipe de France. Est-ce donc pour vous un bon moyen de promotion, au vu de la retombée après la victoire de l’équipe nationale ? Nous avons en effet un Community Manager dont le poste est rentable car il nous amène du trafic qui achète du contenu mais le retour sur investissement n’est pas vraiment mesurable. Sur Facebook par exemple, c’est peu rentable car il faut être très puritain et nous n’avons pas le droit de mettre de liens vers nos services. Sur Twitter, c’est un autre axe de communication, une autre cible. Nous pouvons mettre des liens vers notre site, mais lorsque nous faisons une promotion, ce n’est pas sur ces réseaux là que cela fonctionne le plus. Nous les utilisons pour la visibilité, mais surtout pour interagir avec les gens, parler de tout ce qui tourne autour de la luxure, et montrer tous les backstages de la vie de Marc Dorcel. Vous avez évoqué des entreprises puritaines, on peut citer également Apple ou Google. Vous avez récemment déclaré que la Google Glass était une invention pas tout à fait pertinente pour l’industrie du X. Pourquoi ? En effet, de par la taille de l’écran, je ne vois pas quelqu’un prendre du plaisir à visionner un film adulte avec ses Google Glass. De plus Google crie qu’il n’y aura pas d’applications pornographiques, un peu comme Apple. Cela me dérange car les adultes qui désireraient en avoir en sont empêchés. Si le but est de protéger les mineurs, je préférerais qu’ils installent un filtre qui déclare que l’iPhone appartient à un mineur et qui contrôle la navigation sur Internet. Car il est possible de regarder toutes les images pornographiques que l’on veut en deux secondes sur un iPhone. Cette hypocrisie, ou ce mauvais axe de protection des mineurs ne m’intéresse pas. Selon vous, le service de vidéo à la demande (VOD) que vous avez mis en place permet-il de contrer le piratage ? Pour lutter contre le piratage, notre politique est de créer des contenus à forte valeur ajoutée, disponibles simultanément sur tous les supports. Si je fais une analogie avec le mainstream, jamais Warner ou Universal n’arriveront à lutter contre le piratage tant que le film est disponible à telle date uniquement en salle de cinéma, à telle date uniquement en vidéo à la demande, à telle date uniquement en DVD, etc… Le piratage existera toujours et nous ne pourrons jamais l’empêcher. Par contre, si je veux voir le dernier film sorti aujourd’hui en salle et que je n’ai pas le temps d’aller au cinéma, je préférerais même le payer plus cher pour l’avoir immédiatement en vidéo à la demande Les moyens technologiques et l’usage ont évolué et il faut bouleverser ça. C’est compliqué car cela remet tout le financement de l’audiovisuel en France dans la balance et que des lobbys très puissants ne le veulent pas. Pour l’industrie des films adultes, cela est plus compliqué car le piratage est lié aux « Tubes », qui sont dédiés au contenu adulte, et diffusent de manière illégale sans protection 10
« Lors de l’opération de crowfunding, nous avons récolté 95 000€ en 78h. » des mineurs tout le contenu qu’ils veulent. Nous estimons que plus de 90% de la consommation de contenus adulte se fait de manière illégale. Les innovations, telles que le cryptage, vous permettentelles de protéger vos œuvres ? Nous avons fait le choix depuis 5 ans de supprimer le DRM [NDLR : Digital rights management, ou Gestion des Droits Numériques], et nous militons pour leur suppression car c’est dérisoire de penser que cela va nous protéger complètement du piratage. Le film est piraté de toute façon. De plus, cela bloque les gens qui respectent les lois. Si j’ai acheté le contenu, et si je change le disque dur ou autre, je suis bloqué par les licences. Tandis que si je télécharge un fichier sur Dorcel vision, je peux le mettre sur mon iPhone, sur ma tablette ou sur mon PC. Je suis propriétaire du fichier. J’ai donc le droit de le regarder sur n’importe quel écran, ce que les DRM ne permettent pas. Quel regard portez-vous sur l’évolution sur Internet qui consiste à introduire des « .xxx » ? Je ne suis pas forcément positif là-dessus. Dans un premier temps, je pense que plus personne ne fait attention aux noms de domaine, que ce soit un « .com » ou « .fr ». Cela pourrait uniquement servir si l’on voulait, du jour au lendemain, censurer une partie du web. Le coût d’achat d’un « .xxx » est aussi 15 à 20 fois supérieur à un « .com ». Il y a donc à mon avis toute une arnaque de la société qui gère tout cela. Mais nous sommes malheureusement obligés de l’acheter, sinon nous risquerions une usurpation d’identité.
LE SCANDALEUX MAG #16 - HIVER 2014
INTERVIEW Dans quel pays avez-vous le plus distribué ? Est-ce que vous arrivez même à distribuer dans les pays les plus fermés ou où les tabous sont les plus ancrés ? Nous distribuons dans 56 pays, ce qui n’est pas mal pour une petite PME française. Le made in France marche ! Malheureusement, cela est interdit dans les 150 pays qui doivent rester, où il n’y a presque pas de réseau de distribution, soit parce que c’est illégal, soit pour des raisons religieuses par exemple. Cela peut aussi être interdit « à l’ancienne », c’est-à-dire sans distribution physique. Il y a des pays dans lesquels le web est autorisé mais la pornographie est interdite. Si je vous donne accès à Google Analytics, vous allez découvrir des sites auxquels normalement ils n’ont pas accès, mais pourtant, il y a du trafic. Plus vous créez la frustration et la censure, plus les gens vont sur ces réseaux qui sont finalement accessibles. Mais ce n’est pas à nous de changer les mœurs. Vous venez chez nous si vous voulez consommer, mais nous n’imposons rien à personne. Selon vous, les producteurs pornographiques et érotiques n’ont-ils pas un rôle à jouer dans l’acceptation de la pornographie ou du sexe en général dans certains pays ? Pas du tout. Nous devons préserver la liberté, pour éviter la censure [...]. Aux États-Unis, on peut voir l’histoire de Larry Flynt, qui a énormément participé à la libération des mœurs. Je pense qu’en France, avec Mai 68 par exemple, nous sommes plus « libertaires ». Mais je pense que ce n’est surtout pas à l’industrie pornographique d’aller libéraliser tout ça, tout comme ce n’est pas à l’industrie pornographique de faire l’éducation sexuelle. Le principal problème est qu’il n’y a plus d’éducation sexuelle en France à l’école, ou elle est très tardive. Les jeunes ont appris avant comment cela fonctionne, parfois grâce à la pornographie alors que ce n’est que du cinéma. C’est comme si nous apprenions à conduire en regardant Fast and Furious. Ce n’est pas notre rôle d’éduquer et ce serait très mal perçu. Comment voyez-vous le futur de l’industrie pornographique ? La crise va-t-elle se poursuivre ? Tant qu’il ne se passera rien sur le piratage, la crise va se poursuivre. Sur la soixantaine de studios que nous distri-
buons, chaque année, certains mettent la clé sous la porte car ils n’arrivent plus à produire. Encore une fois les responsables ne sont pas les pirates lambda mais les entreprises qui gagnent de l’argent dans les paradis fiscaux en volant le contenu des tiers. Ce sont ces gens–là, qui en plus ne produisent pas forcément, qu’il faut combattre. En termes de nouveauté, nous allons lancer en début d’année une offre d’abonnement low cost à un ensemble de contenus et de catalogues. Ce sera un mélange entre un Spotify porno et un « Tube » mais en tout cas un « Tube » certes payant mais légal. Si nous pouvions faire les choses gratuitement, nous le ferions. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous financer grâce à la publicité. De grands groupes comme L’Oréal ou LVMH ne vont pas acheter nos pages de pubs. Du coup il ne reste éventuellement que nos concurrents ou des sites de rencontre ou de live cam. Mais ils ont généralement peu d’argent, donc ça ne suffit pas à financer notre contenu. Le porno gratuit financé par la pub, c’est une utopie. On est encore loin d’une évolution des mentalités sur ce point ? La mentalité des gens a complètement évoluée. Parler de pornographie ou de sexualité dans les conversations est beaucoup plus libre que ça ne pouvait l’être. Par contre dans les mœurs et dans la société au sens large, c’est de plus en plus censuré, notamment par des sociétés comme Apple ou YouTube. La pornographie est de plus en plus accessible mais aussi de plus en plus tabou dans l’industrie. Dans les années 80, Madonna ou Mylène Farmer étaient nues dans les clips. Maintenant des artistes comme Rihanna ne vont jamais trop loin pour ne pas être censurés par YouTube. Par exemple je pense à une publication sur Facebook qui avait été interdite, l’Origine du Monde. Nous pouvons penser à une évolution des mentalités, notamment du CSA à la télévision. Dans ce cas ce n’est même pas le CSA, c’est juste Facebook qui considère que ce n’est pas de l’art mais de la pornographie. A la télévision ce qui s’apparente à l’art est encore protégé. Par exemple un film comme La Vie d’Adèle, avec une très longue scène lesbienne en plein écran, est simplement interdit aux moins de douze ans. Pourtant Je pense que la scène est peutêtre plus pornographique que certains de nos films. Mais voilà c’est de l’art donc du coup ça passe.
Retrouvez l’interview vidéo en ligne !
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DOSSIER
Nord Pas de Calais : en route vers la révolution verte !
Le 25 octobre dernier s’est conclu le World Forum à Lille, point de départ officiel de la « Troisième Révolution Industrielle » qu’entend lancer le Nord Pas de Calais afin d’entamer une transition énergétique bénéfique à l’emploi de la région. Face aux défis actuels qu’a apportés la crise et à l’imminence du changement climatique, la région Nord Pas de Calais a initié une révolution ambitieuse : rien de moins que faire de la région le champion mondial de la transition énergétique.
et près de 200 milliards d’euros investis (plus du double du PIB de la région) pour permettre une réduction de 60% de l’énergie consommée et diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre.
Les 5 piliers de Jeremy Rifkin
La genèse d’un projet ambitieux Afin de concevoir ce projet, la région a mandaté dès 2012 l’économiste américain Jeremy Rifkin pour mettre au point un « Master plan », une feuille de route crédible et détaillée qui permettra au Nord Jeremy Rifkin Pas de Calais d’entrer dans la Troisième Révolution Industrielle. Durant un an, M. Rifkin et son équipe ont travaillé conjointement avec des acteurs régionaux et nationaux, avant de présenter le fruit de leurs travaux lors du World Forum de Lille d’octobre 2013. Ce « Master plan » est très ambitieux : à l’horizon 2050, 165 000 emplois auront été créés 12
au
Pour parvenir à ce résultat, l’économie et les infrastructures doivent être modifiées en profondeur. Le plan de M. Rifkin s’appuie en effet sur 5 piliers : adopter les énergies renouvelables, transformer le parc immobilier en unités collectrices d’énergie, déployer des technologies World Forum de stockage afin de stocker cette énergie renouvelable, créer un réseau de distribution d’énergie plus intelligent – à l’image d’Internet et des smart grids, et enfin transformer la majorité des moyens de transports actuels en véhicules électriques. Ces 5 piliers doivent être mis en place simultanément, c’est dire l’ampleur de la tâche.
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DOSSIER Si les technologies nécessaires existent déjà, elles n’ont pas encore atteint le degré de maturité suffisant pour être rentables et assez efficaces. Le plan Rifkin s’appuie sur la loi de Moore pour résoudre ce problème : le coût des composants nécessaires à l’élaboration des différentes technologies diminuant de façon logarithmique (d’après l’institut Accenture de la Haute performance en 2013), il ne faudra attendre que 2020 avant que le coût de production d’électricité via les énergies renouvelables s’aligne sur le coût actuel fourni par le mix nucléaire et fossile.
de laquelle les Länder conservent une grande autonomie, qui est régulièrement invoqué le long de l’argumentaire du « Master plan » pour justifier la faisabilité et la viabilité d’une telle entreprise. L’idéal prôné par Jeremy Rifkin, faire de la région un exemple pour le monde, serait alors salutaire en ceci que les autres régions pourraient suivre la voie tracée par le Nord Pas de Calais, en gardant les succès et en évitant les errances, et faire ainsi basculer le pays entier vers un modèle plus responsable de développement économique et de consommation énergétique. Le rôle de l’Etat se cantonnerait Une mobilisation à une vision d’ensemble et à régionale incontournable l’établissement de normes afin 1- Adopter les énergies renouvelables d’uniformiser et d’harmoniser 2Transformer le parc immobilier La volonté des rédacteurs du les différents modèles locaux 3- Déployer des technologies de stockage projet de transition énergépour qu’ils puissent communitique au Nord Pas de Calais est d’énergie quer entre eux d’abord, puis à d’inclure le maximum d’entre4- Créer un réseau de distribution d’énergie l’échelle de l’Europe entière. prises, de citoyens, d’instituCes régions feront-elles seule5- Electriser les transports tions dans cette Révolution afin ment ce choix à temps ? de lui fournir l’énergie, l’innovaSi le plan de Jeremy Rifkin tion et les moyens dont elle a s’avère réalisable et viable, et qu’il est accompagné de la besoin. Un tel effort, si lourd financièrement et s’étalant volonté nécessaire pour se réaliser, restera encore aux sur 36 ans, ne peut être supporté que par tous les acteurs Français à accepter de vivre dans une société plus écoqui composent une région. C’est un risque et une chance nome en énergie, moins consommatrice. Avec tous les pour le projet : le fait d’intégrer dans la transformation de changements que ceci implique. leur région autant de personnes diverses, transformation dont elles peuvent tirer un bénéfice pécuniaire, en termes Pour en savoir plus : d’emploi ou de qualité de vie, est une excellente façon de http://www.latroisiemerevolutionindustrielleennordpasdecalais.fr/ leur faire accepter le changement et d’en faire d’ardents défenseurs. Le risque est important, lui aussi, qu’une viAntoine Isaac sion à si long terme ne soit pas unanimement partagée et que d’autres préoccupations plus immédiates ne la remplacent un beau jour. Un échec de ce projet porterait un coup extrêmement dur à la région, coup dont elle ne se relèverait peut-être pas.
Les 5 Piliers de Jeremy Rifkin:
La question de l’Etat Il est également intéressant de constater qu’à l’heure de la mobilisation internationale face au changement climatique et vu les difficultés et l’absence de volonté auxquelles se heurtent les Etats lorsqu’il s’agit d’appliquer concrètement une politique écologiste, la solution pourrait venir avant tout des régions. En effet, si la Troisième Révolution Industrielle recevra des financements européens (via le FEDER) et nationaux (via la Caisse des dépôts, le Contrat de Plan Etat-Région, etc.), c’est bien la région et ses acteurs (financiers ou non) qui sont à l’initiative de ce projet et qui le conduiront sur le long terme. Les régions pourraient donc se substituer à la volonté étatique (ou plutôt à son absence de volonté) et ouvrir par elles-mêmes les chantiers que requiert l’avenir. C’est d’ailleurs l’exemple de l’Allemagne, république fédérale au sein LE SCANDALEUX MAG #16 - HIVER 2014
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DOSSIER À l’image de sa raison d’être initiale, le département est une division administrative dépassée. Mise en place sous la Révolution française en janvier 1790, son objectif était à l’époque de remplacer les provinces liées à l’Ancien Régime, afin que l’autorité administrative soit rapidement informée de ce qui se passait à l’autre bout du département, un émissaire à cheval devant pouvoir atteindre n’importe quelle zone du territoire en une seule journée de voyage.
Pourquoi
supprimer
les départementS Q
uelle est l’ampleur de la masse salariale liée aux subdivisions telles que les départements ou les communes ? Difficile à dire, cependant les chiffres parlent d’eux-mêmes : 36.700 communes en métropole et dans les DOM aujourd’hui avec autant de maires et plus de 600.000 conseillers municipaux. La France possède, à elle seule, près de la moitié du nombre total de communes en Europe (14.000 communes en Allemagne, 8.000 en Espagne). La découpe territoriale française offre ainsi clairement trop de niveaux institutionnels et, dans chacun de ces niveaux, trop de collectivités. Elles ne sont pas assez puis-
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santes pour qu’on leur affecte de manière efficace des compétences de gestion des politiques publiques.
Qu’en pense l’Union Européenne ? Dans son rapport de mars dernier, l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) s’interrogeait déjà quant au fait que l’Etat ne se mobilise pas davantage pour réduire les dépenses liées aux collectivités. En effet, le sujet reste tabou face à des élus locaux qui campent sur leurs positions. Marché de l’emploi, allègement du coût du travail,
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DOSSIER retraites... Comme les autres pays de l’Union européenne, la France déroule son agenda de réformes, mais se différencie de la plupart d’entre eux sur un point crucial. Même s’il est source d’éparpillement de la dépense et des compétences publiques, le millefeuille des collectivités locales échappe à ces projets de loi nécessaires. À l’inverse de notre pays, les autres membres de l’Union européenne ont multiplié les réformes. En effet, les mesures visant a réduire cette source de dépenses fleurissent aux quatre coins de l’Europe, à l’image de la Grèce, où le nombre de communes a été divisé par 3, ou même au Danemark, où il fut réduit de plus de moitié. Alors que le gouvernement s’interroge sur les économies à réaliser pour les années à venir et préfère la démagogie de mesures telles que l’imposition à 75% des plus aisés, l’OCDE propose dans un rapport une mesure logique mais que le gouvernement rechigne cependant à aborder efficacement : « simplifier la structure des administrations infra-nationales », soit par exemple supprimer les départements. « En moyenne, une commune française compte environ 1 800 habitants contre 5 500 pour l’Union européenne. L’intercommunalité, qui aurait dû permettre de rationaliser les dépenses entre communes, est venue dans les faits surtout ajouter un niveau supplémentaire à une organisation territoriale déjà complexe », explique ce rapport.
Qu’en pense le gouvernement ? D’ici 2015, l’Etat a prévu de diminuer de 4,5 milliards d’euros les dotations aux collectivités locales. Bien que dénoncée par les maires de France comme « un coup de massue sans précédent », l’OCDE soutient l’action engagée : « La pression actuelle est de nature à encourager la mutualisation des services et de dégager ainsi des économies ». L’étape finale suggérée par l’organisation étant de fusionner les plus petites communes et surtout, la suppression pure et simple des départements. L’OCDE voit en cette opération une des « économies d’échelle substantielles » pour l’Etat français, sans toutefois chiffrer les gains potentiels. Le constat est clair et la réponse logique serait, à l’image de la plupart d’autres pays européens, de suivre les suggestions de l’OCDE. Sans remettre en cause cette analyse, le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici préfère cependant botter en touche : « Je ne suis pas le ministre de la décentralisation », tout en rappelant l’effort entrepris pour renforcer les pouvoirs des intercommunalités et des conseils régionaux. Le message semble, une fois n’est pas coutume, malheureusement le même à l’Elysée. S’ajoute à cela, un clair pas en arrière par rapport aux mesures (certes insuffisantes) lancées par le gouvernement Sarkozy, le conseiller territorial. Ce nouvel élu devait être, à partir de 2014, une même personne élue à la fois au Conseil général (département) et au Conseil régional (région). Ceci correspondait à une fusion des élections des représentants de la région et du département.
Qu’en est-il de la dynamique que semble prendre le gouvernement de François Hollande ? Ce timide pas en avant a été directement remis en cause par celui-ci, qui a déposé un projet de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial. L’argument le plus souvent entendu de la part des opposants à la suppression des départements est le suivant : « si l’on supprime le département, qui va assurer ses fonctions actuelles et comment va-t-on transférer le personnel qui y travaille ? »
Les missions locales pilotées par les régions ? La question du chômage en est l’exemple parfait. Conseils régionaux, généraux, État… Tous se marchent sur les pieds quand il s’agit d’accompagner les chômeurs. « La Cour des comptes relate l’anecdote d’un délégué du
René Dosière, député apparenté PS
« La réduction du mille-feuille administratif et le regroupement des communes et des intercommunalités à eux-seuls permettrait d’économiser 15 milliards d’euros. » préfet recensant au moins 21 dispositifs de recherche d’emploi dans une commune de la région Rhône-Alpes. Les intervenants, mal coordonnés, agissent en partie sur les mêmes périmètres, déplore le document. Ils sont parfois pilotés à des niveaux territoriaux différents, rencontrent des problèmes d’échange de données » (incompatibilité des systèmes informatiques, protection de données individuelles…) Selon René Dosière, député apparenté PS, « la réduction du mille-feuille administratif et le regroupement des communes et des intercommunalités à eux-seuls permettrait d’économiser 15 milliards d’euros. » Ainsi, trop d’intermédiaires entre le citoyen et le pouvoir public augmentent fortement les budgets de fonctionnement tout en causant aussi une difficulté de compréhension du système par les Français. La région devrait, depuis longtemps, être en charge de toutes les compétences exercées par le conseil général. Mais jusqu’à présent, trop nombreux sont les élus, parmi les 600.000 au total, qui font de la résistance et bloquent toute évolution pour que les conseillers généraux conservent le plus longtemps possible leurs prérogatives et les (gros) avantages qui vont avec…
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Nathaniel McNary 15
QUELLE
FRANCE
10 ANS? DANS
Au lieu d’agir en fonction de l’actualité immédiate, le gouvernement devrait prendre de la hauteur et se fixer des lignes directrices pour l’avenir. Quelle France pouvons-nous espérer dans dix ans ? Quels objectifs fixer pour 2025 ? 2014. La croissance est quasi-nulle (-0,1% au 3e trimestre 2013, +0,5% au 2e). Le chômage frôle les 11% (+0,1% au 3e trimestre 2013). Les Français sont moins heureux qu’il y a cinq ans (selon le World Happiness Report, le Rapport de l’ONU sur le bonheur dans le monde). Et à chaque semaine son lot de mauvaises nouvelles pour ne rien arranger. En décembre, on apprenait par exemple que le système éducatif français avait perdu trois places dans le classement PISA de l’OCDE, le programme international pour le suivi des acquis des élèves. La France recule donc au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE et les inégalités entre les élèves se creusent, que ce soit en lecture ou en mathématiques...
La référence allemande Avec Internet, les smartphones et les chaînes d’information en continu, le temps médiatique se rapproche toujours plus de l’instantanéité. Naturellement, le temps politique cherche à se calquer sur le temps des médias. Le paysage politique français de ce début de XXIème siècle voit donc régner les effets d’annonce et les actes en réaction à l’actualité. Pour gagner en efficacité médiatique, alors que le débat politique gagne, lui, en stérilité... Justement, le marasme économique dans lequel nous nous trouvons actuellement nous offre l’opportunité de prendre de la hauteur et de réfléchir à plus long terme. Quand la Suède était en difficulté dans les années 1990, elle a su adopter une vision de long terme et en récolte les fruits depuis. En 2003, quand l’Allemagne était considérée comme « l’homme malade » de l’Europe, le chan16
celier Gerhard Schröder et Peter Hartz, ancien dirigeant de Volkswagen, ont lancé le pays dans une vague de réformes avec le fameux « Agenda 2010 ». Se fixer un cap à dix ans, c’était d’ailleurs l’ambition du séminaire de rentrée du gouvernement, en août dernier ; mais il y a encore un fossé à franchir avant d’évoquer un « Agenda 2025 » à la française.
Un bon diagnostic économique et psychologique de l’état de la France « Cinq ans, c’est l’horizon du politique mais dix ans, c’est celui de la société. La perspective décennale est à la fois assez rapprochée pour mobiliser les énergies d’une collectivité autour de l’avenir qu’elle veut se construire, et assez éloignée pour que les investissements institutionnels ou matériels destinés à y conduire portent leurs fruits. Pour les mêmes raisons, elle est propice à la délibération et à la concertation. » Voilà ce qu’on peut lire dans le rapport qui a servi de socle à ce séminaire gouvernemental. Il a été rédigé par Jean Pisani-Ferry, qui dirige depuis cette année le CGSP, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective. L’objectif de cet organe affilié à Matignon ressemble à celui de son ancêtre, le Commissariat général au Plan, créé en 1946 sous la houlette du Général de Gaulle. Le rapport du CGSP donne tout d’abord un diagnostic de la situation économique, sociale et psychologique de la France. Mais les trois grands défis pour notre société qu’il énonce, en esquissant des solutions à l’horizon 2025, le rendent encore plus intéressant. En 2025, la France sera plus vieille, elle aura perdu du poids à l’échelle internatio-
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DOSSIER « La perspective décennale est propice à la délibération et à la concertation. » - Rapport du CGSP
nale, mais elle n’en sera pas moins prospère, clame Jean Pisani-Ferry, balayant les thèses déclinistes. Il avance plusieurs arguments, parmi lesquels ceux de l’excellence de la formation et des infrastructures françaises. « Selon le World Economic Forum, notre pays se classe cinquième sur 144 pour la qualité des infrastructures (routes, chemins de fer, ports, transport aérien, télécoms – on pourrait y ajouter la qualité du système de santé, qui est aussi facteur de compétitivité). » Ce sont des atouts pour relever les trois défis énoncés par le rapport, à condition de capitaliser sur ces avantages… Ces trois défis sont la réévaluation du modèle social français, notre rapport au progrès (schiste, environnement, bioéthique, etc.), mais aussi notre insertion dans la mondialisation, pour remédier au « décrochage français », en se basant sur le diagnostic formulé par le « rapport Gallois. »
Les JO et l’exposition universelle comme symboles ? Si l’on ne voit pas encore d’ « Agenda 2025 » – pour reprendre l’exemple allemand – se profiler, des ambitions concrètes se développent à cet horizon. L’idée d’une
candidature du Grand Paris pour accueillir les Jeux Olympiques de 2024 serait déjà approuvée par le Président François Hollande. Mais un autre évènement d’envergure internationale serait dans le viseur de la France, plus pertinent peut-être : il s’agit de l’Exposition universelle, un évènement qui a transfiguré Paris, avec la Tour Eiffel pour ne citer qu’elle, et que la capitale n’a plus accueillie depuis 1900. Ce serait un formidable coup de projecteur sur notre pays. Le maire de Neuilly Jean-Christophe Fromantin (UDI) affirmait en septembre que « cette candidature [devait] porter cette envie de se mobiliser de la part de tous les Français. » Il compare la France d’aujourd’hui à celle du XIXe siècle. « Si la France n’a pas de projet, pas d’ambition, elle ne sera qu’une petite puissance régionale. Au XIXe siècle, nous étions confrontés au même problème. Face à la puissance grandissante des Etats-Unis et au Royaume-Uni extrêmement dynamique sur le modèle industriel, la France était inquiète, voyant son influence diminuer. L’Exposition universelle de 1900 lui a redonné une certaine force. » Pourquoi ne pas faire de ce projet fédérateur, qui surmonte les clivages, le symbole d’une France nouvelle, audacieuse et ambitieuse ? Une France capable de s’inscrire dans l’avenir, de relever des défis d’envergure. Bref, d’innover.
Pierre-Luc Schaming Le mathématicien Cédric Villani est l’un des porte-parole d’EXPOFRANCE 2025, qui soutient la candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025.
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DOSSIER
Le Grand Paris et les transports en commun Doit-on vraiment rappeler l’importance de la région Île-de-France dans le commerce intérieur et extérieur, tant par le nombre d’implantations de sièges sociaux d’entreprises que par la qualité des synergies (aéroport, synergies entreprises-établissements d’enseignement supérieur...) ? Un rapport paru en décembre 2007 indique que sur les 39 entreprises les plus prospères en France, 37 ont leur siège social situé dans la métropole parisienne. Une opportunité pour les Parisiens ? Mais rien n’est jamais parfait et surtout pas la qualité des transports pour les Franciliens : ainsi la carte actuelle de saturation réalisée par la SNCF et présente dans le rapport montre clairement des fréquentations maximales le long d’un axe est-ouest traversant Paris (en particulier la ligne 13 et le RER A), saturation qui peut s’illustrer par le fait que 31,9% des franciliens mettent chaque jour entre 1 et 2 heures pour faire l’aller-retour entre leur lieu de travail et leur domicile.
sence, et valeur intrinsèque du temps perdu) et indirects (renchérissement du prix des biens et services vendus par l’entreprise) le coût total agrégé pour l’économie s’élevait à 2,675 milliards d’euros en 2011.
« 31,9% des franciliens mettent chaque jour entre 1 et 2 heures pour faire l’aller-retour entre leur lieu de travail et leur domicile »
Tout en générant parfois du stress pour les personnes concernées, le temps d’attente dans les bouchons nuit de manière multiple à l’économie, par exemple du fait des pertes de productivité liées au stress mais aussi en raison de la perte de l’opportunité d’être présent plus tôt sur son lieu de travail en cas de retard. Une étude du CEBR (Centre for Economics and Business Research) parue en 2012 montre qu’une fois additionnés les coûts directs (es18
de la congestion automobile.
Or, une augmentation de l’offre des transports en commun pourrait parfaitement convaincre une partie de ces Franciliens attachés à se rendre à Paris en automobile à emprunter les transports en commun, avec à la clef une possible diminution
Des avantages multipes mais aussi des interrogations Sauf que les avis divergent. Jean Vivier, ancien directeur des services d’études et conseiller scientifique de l’Union internationale des transports publics, estimait ainsi dans un article du Monde paru en 2010 que « le Grand Huit ne peut pas concurrencer l’automobile sur les liaisons domicile-travail en rocade de grande couronne. En effet, si le rabattement sur une station en voiture près du domicile
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DOSSIER est aisé, la diffusion à l’arrivée au pôle restera tributaire de services de bus dissuasifs, sauf pour les quelques entreprises situées à distance de marche de la station». Il conclut en affirmant que « proposer un métro sur ces itinéraires, c’est gaspiller l’argent public». L’absence de desserte pour la ville de Vitry est également déplorée, alors même que la zone est bien plus dense que celle de Saclay. Dans l’ensemble, ces éléments permettent néanmoins de réaliser l’importance d’un tel chantier qui devrait se terminer dans environ 20 ans, dans l’hypothèse de l’absence de retards. Le protocole d’accord sur le Grand Paris, en tenant compte des problèmes liés au manque d’infrastructures lourdes en Seine Saint-Denis, ferait donc beaucoup pour le dynamisme de l’économie de la banlieue parisienne. Ce Grand Paris Express arrive toutefois un peu tard, compte tenu du fait que les investissements réalisés dans ce domaine depuis les années 1980 concernent uniquement des prolongements de ligne ou des tramways. Le but avoué est de désenclaver des villes comme Clichysous-Bois, et par là de mettre un terme à la «fracture territoriale».
sions de gaz à effet de serre en Île-de-France.
Un rapport entre le coût et les bénéfices discutable Mais ce projet soulève aussi des interrogations quant à la fréquentation à venir de certaines lignes. Qu’en est-il de la ligne qui devrait relier le campus de Saclay à Paris ? Le Grand Huit qui doit relier ce « super-cluster métropolitain » de Saclay (pour rappel le plateau de Saclay regroupe de nombreuses écoles comme Supélec, HEC, etc.) suscite l’agacement et la consternation de certains qui, comme Jean-Pierre Orfeuil, spécialiste des mobilités urbaines, pensent qu’il aurait fallu que le bassin d’emploi préexistant dans la zone soit plus dense. La densité de la zone couverte par l’intercommunalité de Saclay est en effet de 1785 habitants au kilomètre carré, à comparer avec celle de Paris, 21194 en 2009. Il fustige une évaluation de l’intérêt économique et social du projet « extrêmement légère et ne laissant aucune place aux expertises indépendantes ». De quoi laisser perplexe.
« La complexité politico-institutionnelle du jeu d’acteurs francilien s’est conjuguée au caractère très localiste de la vie politique pour constituer un facteur de blocage, freinant l’avènement d’une région forte (...) »
Mais les problèmes d’ordre institutionnel, scientifique et administratif ne semblent pas épargner le projet. Tout d’abord la société du Grand Paris, créée en 2010 et chargée de procéder aux travaux et de gérer les infrastructures, a selon l’auteur de l’article été victime «d’un problème de leadership» étant donné que « la complexité politico-institutionnelle du jeu d’acteurs francilien s’est conjuguée au caractère très localiste de la vie politique pour constituer un facteur de blocage, freinant l’avènement d’une région forte (...) »
Il faut rappeler que le coût du projet, estimé à 32 milliards d’euros, représente tout de même 0,6% du PIB cumulé de la région sur la période couverte, soit 20 années. Jean Vivier attaque également cet aspect du projet puisqu’il constate que « son mode de financement, fondé principalement sur la récupération des plus-values, est irréaliste. » Les bénéfices probables en terme de mobilité urbaine et certains en terme d’emploi justifiaient-ils un tracé pas toujours en corrélation avec la densité de l’espace desservi ? C’est au final l’interrogation des experts en désaccord avec le projet. Seul l’avenir dira si le projet valait réellement un tel investissement.
La loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris prévoit l’étude des «possibilités de raccordement par ligne à grande vitesse de la liaison par train à grande vitesse Roissy―Charles-de-Gaulle―Chessy―Marne-la-Vallée, prolongée jusqu’à l’aéroport d’Orly». Orly ayant l’ambition de devenir un centre d’affaires majeur avec notamment un pôle commerce de 29000 mètres carrés et un centre des congrès de 20000 mètres carrés, il est compréhensible que le législateur ait souhaité l’inclure dans le Grand Paris. L’architecte en charge de la création des nouvelles gares souhaite d’autre part « mettre l’accent sur la dimension sensuelle des gares » c’est à dire faire en sorte de « laisser une empreinte dans les esprits ». Au delà de cette « dimension sensuelle » le projet devrait créer entre 15000 et 20000 emplois par an pendant la durée des travaux pour un total compris entre 115000 et 315000 selon le Président du directoire de la société du Grand Paris, Etienne Guyot. Du point de vue environnemental, la réduction de la circulation automobile devrait contribuer à réduire les émis-
Nicolas Houriet
Le plan du Grand Paris
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JO 2014
JO 2014 : Bienvenue à Sotchi !
Sotchi est passé depuis quelques jours de l’ombre à la lumière. Elle a le privilège d’accueillir les XXIIèmes Jeux Olympiques d’Hiver, les plus chers de tous les temps. L’occasion pour la Russie de Poutine de se montrer sous son meilleur jour. Avec un peu plus de 350 000 habitants, la ville de sition est une chance pour la Russie qui va pouvoir Sotchi est une des stations balnéaires les plus prisées se servir de l’événement sportif le plus important au de la « Riviera russe ». A l’instar du Président Vladimir monde comme d’une vitrine. En effet, les audiences Poutine, les Russes les plus aisés sont nombreux à des Jeux battent des records, comptant des milliards y avoir installé une résidence sede téléspectateurs. « L’attribution des Jeux condaire, du fait de la situation privilégiée de Sotchi, au bord de Le « plus grand événement de olympiques à Sotchi en la mer Noire. Avant lui, c’est « le l’histoire post-soviétique » selon 2007 résulte en grande Poutine petit père des peuples » Joseph Staline qui avait ses habitudes partie du lobbying du dans cette partie du Caucase. Il ne faut pas oublier que les Jeux Kremlin et de son occu- olympiques ne sont pas un simple Depuis six ans, la ville est en efpant Vladimir Poutine » rendez-vous sportif : ils cachent fervescence ; six ans qu’elle se plus que jamais un enjeu politique. préparait à recevoir les XXIIèmes Du reste, l’attribution des Jeux Jeux Olympiques d’Hiver, qui se déroulent du 7 au olympiques à Sotchi en 2007 résulte en grande partie 23 février. Le Comité International Olympique et du lobbying du Kremlin et de son occupant Vladimir son président Jacques Rogge avaient alors attribué Poutine. Celui-ci a su convaincre le CIO en appuyant à Sotchi ce privilège, au détriment de Salzbourg fortement la candidature de Sotchi. Pour le chef du (Autriche) et de Pyeongchang (Corée du Sud), qui Kremlin, ces Jeux constituent le « plus grand évéorganisera les JO en 2018. Bien sûr, une telle exponement de l’histoire post-soviétique. » Plus géné20
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JO 2014 ralement, la Russie a décidé de s’attaquer aux évènements sportifs de grande ampleur : elle a par exemple acquis l’organisation de la non moins médiatisée Coupe du monde de football en 2018, là encore, en y mettant les moyens. Les Jeux olympiques de Sotchi s’annoncent comme les plus chers de l’Histoire, Jeux d’été et d’hiver confondus. Accueillir les Jeux est un privilège, mais il a un prix… Pour recevoir cet honneur de la part du CIO en 2007, la Russie et la Ville de Sotchi avaient promis de mettre une dizaine de milliards d’euros sur la table. Il faut dire qu’il fallait tout construire ! Un stade olympique, des arènes pour le hockey, pour le curling, pour le patinage artistique, ou encore pour le patinage de vitesse, mais aussi le village olympique à
« L’enveloppe totale était initialement estimée à 12 milliards de dollars, contre 3,6 seulement pour les JO de Vancouver en 2010. Depuis, les coûts auraient atteint plus de 50 milliards de dollars. »
Sotchi… sans oublier la station de ski Krasnaïa Poliana, à 60 km au nord de la station balnéaire. L’enveloppe totale était initialement estimée à 12 milliards de dollars, contre 3,6 seulement pour les JO de Vancouver en 2010. Depuis, les coûts auraient atteint plus de 50 milliards de dollars, soit cinq fois le budget annoncé. Même Pékin n’avait pas atteint cette somme, pour les JO de 2008 (44 milliards)… Un budget multiplié par cinq Une certaine pression pèse sur Sotchi, la Russie et le Kremlin. . Et tout n’était pas achevé à quelques semaines des Jeux… Bien sûr, l’état d’avancement des travaux était moins problématique qu’au Brésil qui accueillera le Mondial en juin, et où un stade s’est partiellement effondré, causant la mort de plusieurs ouvriers. Pour autant, les ouvriers de Sotchi n’étaient pas à la fête ; ils n’ont même pas eu de vacances pour les fêtes de fin d’année, comme l’avait annoncé le Président Vladimir Poutine à deux mois et demi des jeux. « Beaucoup a été fait, mais nous sommes encore loin de la perfection. La dernière phase dans des événements aussi importants est toujours la plus difficile, » a annoncé le résident du Kremlin. Selon le Ministre des Sports russe Vitali Moutko, toutes les installations sont prêtes depuis fin novembre ; restent à achever la construction des infrastructures, pour l’hébergement des athlètes notamment.
Pierre-Luc Schaming Caricature de Slonov, parue dans Le Nouvelliste
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Des polémiques toujours plus vives Si Vladimir Poutine offre une belle tribune à la Russie avec les Jeux olympiques de Sotchi, ils représentent un coût que l’opposition ne manque pas de dénoncer. Dans le monde entier, des voix s’élèvent pour protester contre l’organisation de cet évènement en Russie. kov estimait que « les Jeux olympiques à Sotchi en 2014 Si l’organisation des Jeux olympiques est à chaque fois très deviendr[aient] un catalyseur des changements en cours disputée, c’est parce que ce ne sont tout simplement pas [en Russie]. Nous sommes une jeune démocratie et ces des évènements sportifs comme les autres. Suivis tous les Jeux accéléreront notre développement positif. » Pour deux ans par des milliards de spectateurs, les JO sont une autant, l’opposition, incarnée par véritable « vitrine médiatique », avec Boris Nemtsov, ancien vice-premier tout ce que cela implique ; ils sont « Les Jeux de Berlin en ministre de Boris Eltsine et originaire rapidement devenus des enjeux poli1936, de Moscou en 1980 de Sotchi, et Leonid Martynyuk a détiques majeurs. Pour preuve, les Jeux noncé dans un rapport rendu public de Berlin en 1936, de Moscou en 1980 ou de Los Angeles quatre par le parti d’opposition Solidarnost ou de Los Angeles quatre ans plus ans plus tard sont touune « vaste arnaque. » En cause, l’extard sont toujours dans les mémoires, jours dans les mémoires, plosion des coûts, passés de 12 à plus et pas uniquement pour des raisons de 50 milliards de dollars, alors que sportives. Le maître du Kremlin, Vlaet pas uniquement pour le ministre russe des Finances Alexeï dimir Poutine, et son second Dimitri des raisons sportives » Koudrine soulignait en 2007 que Medvedev sont bien conscients du « toutes les dépenses [étaient] déjà potentiel politico-médiatique de ces prévues », n’interdisant pas quelques « mises au point. » Jeux olympiques et les ont inscrit au cœur d’une stratégie d’influence incluant par ailleurs le Mondial de football 2018. Selon eux, entre 25 et 30 milliards de dollars auraient été détournés et « il est clair que ceux qui ont volé l’argent Des suspicions de corruption sont ceux qui sont proches de Poutine », pour qui les JO sont « un projet personnel. » Même si certaines entreToutefois, l’organisation des Jeux olympiques d’hiver prises privées comme Gazprom soutiennent financiède Sotchi ne fait pas l’unanimité en Russie, loin de là. En rement le projet, il faut rappeler que ces Jeux repré2007, au moment de l’annonce du choix de Sotchi comme sentent un gouffre, essentiellement pour les finances ville-hôte, le vice-premier ministre russe Alexandre Jou22
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JO 2014 publiques, qui ont engagé plus des deux-tiers des fonds. Sous le feu des projecteurs… et des critiques
planétaire par excellence, véritable vitrine médiatique, les Jeux olympiques sont effectivement l’occasion de faire entendre un certain nombre de revendications, comme celles s’opposant à la loi sur l’homosexualité ou celles en faveur de la liberté de la presse, trop souvent bafouée en Russie.
Comme celui de Pékin, le choix de Sotchi par le Comité International Olympique aura fait couler beaucoup d’encre, la Russie ne se distinguant pas Selon l’article 19 de la Déclaraspécialement par son respect tion universelle des droits de « Critiqué pour la mise en place de des droits de l’Homme. Critiqué l’homme : « Tout individu a droit pour la mise en place de mesures à la liberté d’opinion et d’exmesures particulièrement répresparticulièrement répressives pression, ce qui implique le droit sives depuis son retour au Kremdepuis son retour au Kremlin, de ne pas être inquiété pour ses Vladimir Poutine s’est attiré opinions et celui de chercher, de lin, Vladimir Poutine s’est attiré les foudres de la communauté recevoir et de répandre, sans les foudres de la communauté internationale, sous couvert de considérations de frontières, internationale, sous couvert de sécurisation de l’espace public. les informations et les idées par quelque moyen d’expresCar, bien entendu, il faut protésécurisation de l’espace public. » sion que ce soit. » Christophe ger la ville de Sotchi des risques Deloire, secrétaire général de inhérents à l’organisation d’un Reporters Sans Frontières, estime que « les dirigeants évènement si médiatisé, qui plus est dans une région si russes et les organisateurs des Jeux feront tout pour dissiinstable géopolitiquement. Et pour cause, on recense déjà plusieurs menaces terroristes très sérieuses, notamment muler les réalités du pays. Ils ne (…) parleront pas de la cende la part du chef des islamistes du Caucase russe, Dokou sure, des pressions sur les journalistes, des intimidations, Oumarov, qui a revendiqué de nombreuses attaques meurdes assassinats impunis et des enquêtes au point mort. » trières commises ces dernières années en Russie, dans le métro et l’aéroport de Moscou notamment. Du coup, près Excellence – Amitié – Respect de 40.000 policiers sont dépêchés à Sotchi pour les Jeux. A juste titre, on pourrait penser que les Jeux de Sotchi Si les Jeux Olympiques de Moscou en 1980 avaient été larne sont qu’une façade prestigieuse de cette maigement boycottés par le bloc ouest à l’exception notable son délabrée qu’est la Russie de 2014. Ne l’oublions de la France, ce n’est pas le cas en 2014 à Sotchi. Néanmoins, pas, mais souvenons-nous aussi des belles valeurs on dénombre quelques menaces de boycott, qui relèvent de l’olympisme : l’excellence, l’amitié et le respect. plus de revendications politico-médiatiques. Événement
Pierre-Luc Schaming
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ECONOMIE
1-Quelques mécanismes de fraude fiscale et les parades mises en place ou envisagées Si une liste des casse-tête politiques et économiques contemporains était dressée, nul doute que l’évasion fiscale y figurerait en bonne place. Tout d’abord, il faut préciser que cette dernière n’est pas nécessairement illégale stricto sensu : certains comportements peuvent faire l’objet d’une procédure d’abus de droit, et d’autres non ; de plus, tout cela varie selon les législations des pays et les interprétations que l’administration fiscale fait du droit fiscal. Tout l’enjeu pour les entreprises est donc de se conformer au droit positif («Tax compliance») plutôt que d’être en situation d’illégalité («Tax avoidance»). Nous vous proposons ici un éclairage sur les fraudes dites de «carrousels de TVA» et les prix de transfert. Les premières sont moins fréquentes que les prix de transfert (très répandus et plus importants) mais aussi plus marquantes car elles impliquent un vol frauduleux à l’administration fiscale et non un évitement de l’impôt. Les carrousels de TVA Ils ont pour but de faire indûment rembourser une TVA déductible alors que la TVA collectée correspondante ne parviendra jamais dans les caisses de l’Etat floué. Ce sont donc des infractions qualifiées de fraude à la TVA, pénalement répréhensibles. Une société A achète par exemple des sacs à main à une seconde entreprise, B. A est une société créée en France pour les besoins du carrousel, B est dans 24
l’exemple une société espagnole complice. L’achat se déroulant entre 2 pays appartenant à l’UE, aucune TVA déductible ni collectée ne sont enregistrées (seulement des TVA intracommunautaires qui se neutralisent entre elles dans la même écriture). Ensuite la société A vend les sacs à main récupérés de B à une société C basée en France et tout aussi factice, à un prix inférieur au prix d’achat mais en comptabilisant la TVA.
« On estime que cette fraude d’une très grande ampleur a généré uniquement en France un préjudice chiffré à 1,8 milliards d’euros par l’administration de 2008 à 2009 » LE SCANDALEUX MAG #16 - HIVER 2014
De ce fait, les sociétés A et C étant toutes les deux françaises, une TVA déductible est enregistrée par C et une
ECONOMIE TVA collectée par A au titre de cette dernière vente. Il y a d’ailleurs éventuellement des intermédiaires entre A et C pour compliquer la tâche des administrations fiscales. Finalement, C réclame le remboursement de la TVA déductible à l’Etat français et A, redevable de la TVA collectée, se volatilise, laissant derrière elle une créance à l’administration fiscale. C revend les sacs à B (sans TVA collectée et déductible puisqu’entre deux pays différents de l’UE), et bis repetita. Ce schéma n’est pas seulement applicable aux biens corporels puisqu’il a fait l’objet d’une utilisation massive dans le cadre des crédits carbone, véritables autorisations de polluer attribuées à chaque pays. Ainsi, on estime que cette fraude d’une très grande ampleur a généré uniquement en France un préjudice chiffré à 1,8 milliards d’euros par l’administration de 2008 à 2009. Au sens du présent rapport, ce vol fiscal a été permis par le caractère incorporel des quotas fixés (les mêmes réglementations que celles appliquées aux instruments financiers auraient ainsi été plus efficaces), et par la facilité d’accès au marché de ces quotas en Bourse, même pour les petites structures. C’est finalement un véritable réseau de trading de quota carbone qui s’est développé, dans un esprit assez différent de celui de la directive à l’origine de ce système d’échange de quotas (2003/87/CE du 13 octobre 2003).
liards de dollars d’un actif transféré hors des USA vers l’Irlande via une filiale de Veritas Software. Les administrations fiscales doivent donc parfois elles aussi composer avec les carences et la rigueur de l’interprétation de certains textes. Toute la difficulté en ce qui concerne ces pratiques est de démontrer le transfert illégal des bénéfices à l’étranger, ce qui suppose notamment en France un raisonnement solide étayé par des preuves qui ne le sont pas moins : or la matière financière a plutôt la réputation d’être un domaine complexe. Aux Etats-Unis toujours, on estime pour la seule année 2001 à 53 milliards d’euros les pertes de recettes fiscales imputables à ces prix. L’ONG Christian Aid estime pour sa part à 160 milliards les pertes occasionnées aux pays en voie de développement, où les lieux de production sont établis mais qui ne parviennent pas à retenir l’impôt. Il est donc compréhensible que ceux-ci se fassent de plus en plus les porte-parole d’une nouvelle conception des prix de transfert appelée répartition forfaitaire (ou “formulary appointment”) qui consiste à imposer strictement les bénéfices réalisés sur un territoire, sans possibilité de pratiquer les prix de transfert. De son côté, l’UE planche sur le projet de directive ACCIS dont le but est également de mieux refléter «la réalité de la chaîne de valeur» dans la détermination des bénéfices.
« Pour un chiffre d’affaire estimé par la fédération française des télécoms à 3,2 milliards d’euros sur le sol français, Apple n’en déclare que 257 millions et paie finalement 6,7 millions d’euros d’impôts là où elle devrait normalement en payer 317,5. »
Les prix de transfert Ils correspondent à la fois aux prix pratiqués entre entités d’un même groupe de part et d’autre des frontières (critère organique) et à toutes les opérations pouvant donner lieu à un prix (critère matériel), ces deux conditions devant être réunies cumulativement. Cette pratique n’a rien d’illégal lorsqu’elle permet de rétablir la juste mesure de la rémunération résultant de chaque contribution à la production d’un bien ou d’un service entre les différentes entités participant à la chaîne de valeur. Pour l’administration fiscale, l’enjeu est donc de s’assurer que ce prix est bien déterminé en corrélation avec la valeur réelle des opérations. En effet, le bénéfice imposable d’une entreprise peut être de cette manière surévalué dans un territoire où le taux d’imposition est faible, et par conséquent sous-évalué dans le territoire où il est élevé, dans le but de minimiser le taux global d’imposition. C’est en fait le transfert surévalué des bénéfices qui est visé et non la pratique des prix de transfert en soi. En pratique, les prix de transfert s’effectuent souvent par le biais d’actifs incorporels comme dans l’affaire Veritas aux Etats-Unis, où l’IRS, fisc américain, s’est vu empêché par la justice de relever le prix de 118 millions à 1,675 mil-
Parmi les exemples les plus emblématiques, on trouve également les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Pour un chiffre d’affaire estimé par la fédération française des télécoms à 3,2 milliards d’euros sur le sol français, Apple n’en déclare que 257 millions et paie finalement 6,7 millions d’euros d’impôts là où elle devrait normalement en payer 317,5. Une bonne raison d’adapter les règles fiscale à l’ère du numérique, d’après ce même rapport. Dans tous ces rapports se trouve soulignée la situation de la France, jugée globalement mauvaise au regard de celle des autres pays dans leur lutte contre les abus liés aux prix de transfert, et notamment du point de vue de la législation. En ce sens, l’article 57 du code général des impôts, non modifié depuis 1933, se révèle inadapté pour limiter ce phénomène puisqu’il ne mentionne pas le principe de pleine concurrence, ce qui prive l’administration fiscale française de la possibilité de s’appuyer sur une doctrine comparable à celle de l’OCDE en la matière, doctrine beaucoup plus agressive que celle en vigueur. Tout est lié au fait que l’article 57 exige un lien de dépendance entre deux entités soupçonnées et l’existence d’un avantage conféré à l’une par l’autre pour pouvoir effectuer une comparaison avec la gestion des autres
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ECONOMIE entreprises. Ces deux éléments doivent donc être prouvés cumulativement pour que soit présumée de manière simple (la charge de la preuve reste renversable par le contribuable accusé) le transfert de bénéfices. C’est une situation différente du Canada où la loi fiscale pose le principe d’une comparaison avec des transactions qui auraient été conclues sans lien de dépendance. Pour remédier à ces archaïsmes, le rapport écarte explicitement un renversement complet de la charge de la preuve pour des raisons d’attractivité mais le préconise pour «des situations présentant un niveau de risque élevé». De même est suggérée l’autorisation pour l’adminis-
tration fiscale d’accéder à la comptabilité analytique des contribuables, chose très importante puisque le taux de marge des entreprises peut aider à mieux cerner les situations de transfert de bénéfices via des comparaisons entre transactions plus précises et donc plus efficaces. En effet, cela permettrait l’emploi de méthodes de détermination des prix de transfert dites méthodes unilatérales, se fondant sur le prix de revient ou le prix de revente. Bref, de nombreuses idées existent pour lutter contre la fraude fiscale, qui ne demandent qu’à être votées.
2- Constats et propositions d’experts autour de la fraude fiscale A l’heure où le Gouvernement français envisage une refonte complète de la fiscalité pour la rendre plus lisible, certaines entreprises semblent rechigner à payer certaines taxes pour des dépenses publiques dont elles ne bénéficient parfois que de manière très éloignée. Quels problèmes sont aujourd’hui évoqués par les têtes pensantes de l’économie ? Faut-il blâmer les entreprises concernées, les accuser de ne pas être patriotes, de renier ce qui a fait leur succès : la France ? Le présent article s’efforce de mettre en avant certaines idées fortes et éléments de réponse tirés en partie de rapports nationaux et internationaux. Concurrence et harmonisation fiscale Les forces en jeu sont ici les entreprises multinationales, mobiles, et les administrations fiscales de chacun des Etats concernés, qui cherchent naturellement à optimiser le financement des politiques menées grâce à la fiscalité. Ces recettes fiscales représentent à l’heure actuelle environ 90% des recettes totales de l’Etat français, et il n’est pas certain que l’Etat ait la volonté de diminuer ses dépenses de manière significative. Cette problématique est bien souvent la même pour nos voisins européens traversant eux aussi la crise. La concurrence fiscale entre les Etats est bien réelle et représente un facteur d’attractivité pour les entreprises quant à leur éventuelle stratégie d’optimisation fiscale. Un rapport réalisé en collaboration par PwC et la Banque Mondiale donne la France en 2e place derrière l’Italie dans le classement des plus hauts taux effectifs de taxation, à 64,7% des profits commerciaux enregistrés. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes de compétitivité aux entreprises qui ne se démarquent pas par une politique de différenciation (luxe, etc.). La fiscalité en France semble être constituée par une sorte de Sainte trinité : d’un côté, les deux impôts directs principaux que sont l’impôt sur le revenu (IR pour les intimes) et 26
l’impôt sur les sociétés (IS) rapportant respectivement de 18 à 20% et de 15 à 18% des recettes fiscales ; de l’autre, l’impôt indirect par excellence qu’est la TVA qui représente 50% du total de ces recettes. Comme son nom l’indique, cette dernière taxe bien la valeur ajoutée créée par les entreprises et à ce titre les pénalise dans le cas le plus fréquent puisque celles-ci doivent diminuer leurs profits dans le court terme, à prix constant donc, en espérant pouvoir répercuter une partie de la hausse sur les salaires dans le long terme. De ce fait la capacité d’autofinancement des entreprises souffre de la fiscalité toujours plus prédatrice malgré la pause fiscale promise, avec en définitive l’impossibilité pour les plus fragiles d’entre elles de se financer correctement, et pour les autres une baisse de cette capacité se répercutant via le coût de l’emprunt associé à leur investissement, coût augmenté des intérêts portant sur la somme prélevée. Voire même un renoncement à investir pour certaines TPE, ce qui se traduit par une perte de chance de création d’emplois. Si la France dispose d’indéniables atouts, notamment la qualité de ses infrastructures commerciales et de transport puisque la Banque mondiale lui attribue la note de 3.96 sur 5, il n’en demeure pas moins qu’elles se situe en 128ème position dans le classement mondial de la compétitivité fiscale. Face à ce problème, l’auteur de l’article cité
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ECONOMIE suggère une harmonisation à l’échelle européenne des prélèvements d’impôt. On peut toutefois se demander si la France peut réellement obtenir de telles concessions de la part de pays européens comme l’Irlande, qui pratique un taux d’imposition sur les sociétés à 12,5% bien que les instances du pays se défendent de ramener le taux à 25% si les entreprises bénéficiaires du taux allégé ne sont pas réellement présentes sur le sol irlandais. Certes, l’Etat dispose d’armes contre les Etats jugés non coopératifs : ainsi en vertu des articles 209B et 145 du code général des impôts, les revenus localisés dans ces territoires peuvent être fiscalisés en France. Mais ces mesures s’avèrent être largement insuffisantes puisque la fraude fiscale est estimée en 2012 entre 60 et 80 milliards d’euros, tandis que notre déficit pour la même année s’élevait à 98 milliards.
Des chevaliers blancs parfois hypocrites
en la preuve d’une volonté principale devrait bien entendu faciliter le travail de la DGFIP (direction générale des finances publiques) chargée notamment de la lutte pénale contre la fraude fiscale via la BNRDF (Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale). Il en est de même pour l’obligation future pour toutes les personnes juridiques de déclarer leurs schémas d’optimisation fiscale. Au passage, voici une anecdote assez cocasse du rapport : il pointe du doigt des situations aberrantes comme le fait que, de manière comptable et fiscale, Jersey est le premier exportateur mondial de bananes (via les prix de transfert). Une autre faiblesse actuelle en France concerne la fiscalité du numérique. La facilité du transfert des bénéfices via les actifs incorporels est la cible d’un rapport puisqu’il préconise, en concertation avec les autres pays de l’OCDE, d’employer l’impôt sur les sociétés, qualifié « d’outil le plus adapté pour rechercher, à terme, une contribution à proportion de la création de valeur localisée sur le territoire. Le bénéfice est un agrégat qui a précisément pour objet de mesurer la richesse nette créée par l’entreprise du fait de son activité. » D’où la nécessité de faire primer cette notion de bénéfice, en taxant « le travail gratuit des utilisateurs », c’est-à-dire par exemple les données recueillies par Facebook au moment de votre inscription.
« La capacité d’autofinancement des entreprises souffre de la fiscalité toujours plus prédatrice malgré la pause fiscale promise. »
D’autre part, parmi les idées avancées figure la généralisation des dispositifs de communication obligatoire d’informations sur les citoyens d’un pays comme pour le FATCA imposé à la Suisse par les USA par la menace de ne plus permettre à ses banques nationales d’avoir accès au marché des capitaux américains. La menace avait tout le poids que voulait bien lui donner les USA dont le procédé était pour le coup véritablement impérialiste. De fait, tous les pays ne peuvent pas se targuer d’être aux yeux des investisseurs une telle place financière.
Reste que les Etats-Unis via en particulier les Etats du Delaware, du Wyoming et du Nevada, ne semblent pas très familier avec la fameuse parabole biblique de la paille et de la poutre puisqu’entre autres mesures fiscales plutôt avantageuses ces Etats ne réclament aucun impôt au titre des revenus des actions (dividendes et plus values à la vente), ni même d’impôt sur les sociétés, et les profits, à condition de ne pas avoir d’activité au sein même de l’Etat. Le Nevada se paie même le luxe de refuser à l’administration fiscale américaine, l’IRS, de délivrer des données personnelles de ses résidents. Ce n’est pas sans raison que le magazine Forbes a d’ailleurs classé le Delaware en 2010 «meilleur paradis fiscal», de par ses nombreux avantages et notamment sa culture du secret quant aux informations relatives aux dirigeants des entreprises.
Un problème d’adaptation, de coopération, mais aussi d’idéologie Mais revenons-en à la France. L’annonce récente de l’intention d’atténuer l’exigence de preuve d’une volonté exclusive de frauder via un montage financier en éludant ou en atténuant les charges fiscales que l’intéressé aurait dû supporter eu égard à sa situation et à ses activités réelles
Enfin, le GAFI (Groupe d’action financière) souhaite que les autorités des pays par lesquels les fraudeurs prospèrent « cessent, pour refuser la coopération, [d’] invoquer les lois qui imposent aux institutions financières de préserver le secret ou la confidentialité » et qu’elles « ne devraient pas refuser une demande d’entraide au seul motif que la demande est également considérée comme portant sur des questions fiscales. » Ce faisant, le GAFI semble viser des pays considérés comme réticents à l’échange automatique d’informations fiscales comme la Suisse (507 demandes de coopération envoyées en 2012, 85 reçues) ou le Luxembourg (176 envoyées sur la période 2011-2012, pour 124 réponses). Une plus grande coopération semble donc nécessaire du point de vue des Etats victimes de la fraude fiscale et dont les finances publiques sont mal en point, mais la question de l’opportunité d’une pression fiscale aussi élevée chez ces Etats victimes peut se poser. Les menaces voire la coercition peuvent-elles être justifiées par le refus de livrer les noms d’un compte bancaire ? Que dire de la pression des actionnaires à l’égard des grands groupes entre lesquels la concurrence est souvent exacerbée ? Après tout, avec ou sans mise en œuvre de la récente remise à plat fiscale annoncée par le gouvernement de M. Ayrault, l’impôt, imposé aux citoyens unilatéralement par l’Etat, ne serait probablement pas voté lorsqu’il finance certaines dépenses controversées. Ce qui, sans démagogie aucune, ne fait pas de lui l’outil le plus démocratique qui soit.
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Nicolas Houriet 27
HISTOIRE
Nazisme, mouvement religieux Mars 1933, Hitler vient de prendre les pleins pouvoirs et d’instaurer le IIIème Reich avec l’aide du parti politique catholique, le Zentrum, qui a soutenu ses mesures. Un an plus tôt, le Reich comptait 277.000 chrétiens pratiquants, en 1935, ils ne sont pourtant plus que 87.000. Fondamentalement anti-chrétien, Hitler considérait le christianisme comme une « branche de la race juive » et voulut au cours de sa dictature instaurer une religion en adéquation avec son idéologie.
« Nous gratterons le vernis chrétien et nous retrouverons la religion de notre race. » — Hitler, 1939 Le nazisme sut se différencier des autres idéologies contemporaines en proposant une religiosité se distinguant des grandes religions judéo-chrétiennes. Le christianisme fut utilisé afin d’instaurer et de consolider le parti national-socialiste (NSDAP). Puis, dans un second temps, au cours des années 1930, il fut qualifié « d’aliénation judéo-chrétienne de la race nordique. » Pour s’y substituer et pour répondre à la demande de sens de ses contemporains, le nazisme mit au point peu à peu son propre discours religieux.
science, a-t-il déclaré, pourrait facilement détruire les derniers vestiges de la superstition religieuse ». Pendant la dictature hitlérienne plus de 6000 prêtres, sur accusation de trahison, furent emprisonnés ou exécutés. Les mêmes mesures furent prises dans les territoires occupés, par exemple en Lorraine, où le pouvoir interdit les mouvements religieux de jeunes, les réunions paroissiales et les rencontres de scouts. Les écoles religieuses furent de même fermées, tandis que les SA et SS profanèrent aussi bien les églises que toute représentation artistique chrétienne. Plus de 2600 prêtres catholiques furent tués au camp de concentration de Dachau.
Après la reddition de l’Allemagne nazie, le « US Office of « L’évêque catholique du Munster a essayé de me soutenir Strategic Services » a publié un que le christianisme consistait en la foi rapport sur le plan directeur nazi Il y avait un objectif religieux en Jésus-Christ comme le Fils de Dieu. relatif à la persécution des Églises Cela me fait rire... Non, le vrai christiachrétiennes. Les débats parmi les dans le national-socialisme : nisme est représenté par le Parti, et le historiens et théologiens sur la reli- faire disparaître le christianisme peuple allemand est maintenant appegion au sein du Reich aboutissaient par le parti et surtout par le Führer traditionnel et le transformer en lé souvent à des résultats similaires ; à un véritable christianisme... Le Fühil y avait un objectif religieux dans un « christianisme positif » basé rer est le héraut d’une nouvelle Révéle national-socialisme : faire dispalation. » — Hans Kerrl, ministre du sur le mysticisme nazi. raître le christianisme traditionnel Reich pour les questions religieuses, et le transformer en un « christia1937 nisme positif » basé sur le mysticisme nazi comme prêché par Alfred Rosenberg, théoricien du national-socialisme. Le pouvoir nazi a toujours fait usage de l’imagerie païenne Selon ses dires, la Bible devait être purgée de tout son germanique et fait appel au symbolisme romain antique contenu juif (c’est-à-dire tout l’Ancien Testament, l’évandans sa propagande ; à l’image de la svastika (ou croix gile de Matthieu et les épîtres pauliniennes en particulier) gammée) symbolisant la toute-puissance de l’Homme sur et recentrée sur la notion du courage et du sacrifice. la Nature. Le christianisme était la religion dominante en Allemagne Beaucoup de dirigeants nazis, dont Adolf Hitler, souscridurant la période nazie et son influence sur les Allemands vaient soit à un mélange de théories pseudo-scientifiques, mécontentait le pouvoir. Hitler était persuadé que sur le au darwinisme social en particulier (qui postule que la long terme le national-socialisme et la religion ne seraient lutte pour la vie entre les hommes est l’état naturel des pas capables de coexister, puisque le nazisme était une relations sociales et la principale source de progrès), soit idéologie laïque fondée sur la science moderne. « La au mysticisme et à l’occultisme, particulièrement forts au 28
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HISTOIRE
Maquette pour « Welthauptstadt Germania » (« Germania, capitale du monde »), le projet de reconstruction urbanistique et architectural de Berlin souhaité par Hitler.
sein de la SS de Himmler, mais rejetés par Hitler. « Quelle absurdité ! Nous avons enfin atteint un âge qui a laissé toute mystique derrière elle, et maintenant [Himmler] veut tout recommencer. Nous aurions tout aussi bien pu rester à l’église ! » — Hitler Les théories les plus largement acceptées penchent cependant vers l’idée selon laquelle le nazisme avait pour finalité de devenir une religion à part entière. En effet, plusieurs éléments du nazisme étaient quasi-religieux par nature. Le culte établi autour d’Hitler le considérant comme le « Führer » (le « guide »), les énormes congrégations, bannières, flammes sacrées, les processions, un style de prédication populaire, des prières, etc. Ces aspects religieux du nazisme ont conduit des chercheurs à considérer le nazisme, à l’image du communisme, comme un type de religion politique. Le plan d’Hitler, par exemple, de construire une nouvelle capitale magnifique à l’emplacement de Berlin, « Welthauptstadt Germania », a été décrit comme une tentative de construire une version de la Nouvelle Jérusalem. Certains historiens voient le mouvement nazi d’Adolf Hitler comme « fondamentalement hostile au christianisme, mais pas irréligieux ». Dans le premier chapitre de La Persécution Nazie des Eglises, l’historien John S. Conway élabore la théorie selon
laquelle les Églises chrétiennes en Allemagne avaient perdu de leur attrait à l’époque de la République de Weimar, et que Hitler a offert ce qui semblait être une foi laïque vitale à la place des croyances discréditées du christianisme (sécularisation). « Le christianisme positif est le national-socialisme... Le national-socialisme est l’accomplissement de la volonté de Dieu... La volonté de Dieu se révèle dans le sang allemand... » — Hans Kerrl, ministre du Reich pour les questions religieuses, 1937 Ainsi, un point fondamental au fascisme était la fondation d’une «religion civile» purement matérialiste qui devra déplacer les structures précédentes de croyance et reléguer la religion surnaturelle à un rôle secondaire ; le fascisme présupposant un cadre post-religieux laïque. Une théorie est que la religion et le fascisme ne peuvent en aucun cas coexister car les deux revendiquent la totalité de l’Homme. En ce sens, la sécularisation a créé un vide pouvant être comblé par une autre idéologie totalitaire, et a ainsi rendu le totalitarisme laïque possible, caractérisant ainsi le fascisme comme une sorte de religion politique anti-religieuse.
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Nathaniel McNary 29
HISTOIRE
Islam et nazisme Mohammed Amin alHusseini, Grand Mufti de Jérusalem, vers 1929
Il n’est bien sûr pas question ici de stigmatiser l’islam comme allié du nazisme, ce qui serait faux (pour cause, l’effectif des musulmans maghrébins ayant combattu aux côtés de la France durant l’ensemble du conflit était approximativement de 800 000), mais plutôt de décrire l’autre effet, moins connu, du nazisme sur les pays musulmans symbolisé par le personnage d’Amin Al-Husseini, Grand Mufti de Jérusalem.
D
ans chaque État issu de l’ancien Empire Ottoman, le pouvoir nommait un Grand Mufti, la plus haute autorité religieuse du pays. Il est connaisseur de la religion musulmane et peut être consulté afin de connaître la position exacte à adopter afin d’être en conformité avec celle-ci.
sonne, les négociations nécessaires pour une coopération sincère et loyale dans tous les domaines. » - Amin Al-Husseini, janvier 1942, courrier au Führer
Alors que le Grand Mufti s’implique de plus en plus dans la propagande pro-nazie, l’excitation provoquée par En 1933, Hitler a bonne presse à Jérusalem, alors sous l’avancée des troupes allemandes menées par Rommel mandat anglais, où la haine des Juifs est déjà monnaie en Afrique du Nord illustre un fait souvent passé sous sicourante. lence : alors que les chefs tribaux étaient dans l’ensemble Le plus haut dignitaire musulman du pays, Amin al-Husseiderrière les nations colonisatrices avec lesquelles ils parni, Grand Mufti de Jérusalem, commence à se rapprocher tageaient des intérêts, ce n’était cependant pas le cas de du pouvoir allemand et entretient une correspondance la jeune génération qui rêvait déjà de s’émanciper et d’afavec le consul allemand lui assurant « avec insistance firmer son indépendance. S’appuyant sur les succès des que les musulmans approuvaient le nouveau régime et troupes menées par Rommel, la Wehrmacht rassembla la nécessité de combattre l’influence néfaste des juifs et forma même des volontaires dans l’économie et la politique », musulmans en Grèce. lui demandant même de « ne plus « Les peuples arabes seront partout Suite aux défaites de Rommel fin envoyer ses juifs en Palestine ». 1942, des meetings et manifestaSon but était de bâtir une alliance prêts à se dresser avec enthousiasme tions furent tenues afin de pleudurable avec les pays de l’Axe. avec l’Axe pour l’accomplissement de rer celles-ci, qui symbolisaient le Sentant la révolte contre les Anleur part dans la défaite méritée de la triomphe de ceux qui occupaient glais et l’immigration juive monleurs pays et les privaient de ter, il obtient le soutien financier coalition anglo-juive. » - Amin Al-Hus- leurs droits. de la SS afin de fomenter la Grande seini, janvier 1942, courrier au Führer Insurrection de 1936. Après que Après que Al-Husseini s’est exilé celle-ci a été réprimée 3 ans plus à Berlin, il se rabat sur la propatard, il fuit au Liban. gande pour servir ses convictions en tant que parrain de Désirant apporter son plein soutien à Hitler et aux pays l’Institut Central Islamique de Berlin. Alors que sa parole de l’Axe, ainsi que bâtir une alliance solide avec ceux-ci, il prend de plus en plus de poids au sein de l’administration rédige en janvier 1941 un courrier assurant le Führer de la du Reich, il conseille à Hitler de bombarder Jérusalem sympathie des peuples musulmans au nazisme et de leur pour « mettre un terme au péril juif » et se dit « impresvolonté de donner leur vie dans la lutte. sionné » par le dispositif mis en place par Himmler pour « Les peuples arabes seront partout prêts à se dresser avec enthousiasme avec l’Axe pour l’accomplissement de leur part dans la défaite méritée de la coalition anglo-juive. » « Je saisis cette occasion pour entamer, au nom de la plus forte et vaste organisation arabe et en ma propre per30
l’extermination des juifs.
« Nous avons la malchance de ne pas posséder la bonne religion. La religion musulmane serait bien plus appropriée que ce christianisme, avec sa tolérance amollissante. » Hitler
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HISTOIRE
Novembre 1943 à Neuhammer, en Allemagne Le Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, passe en revue la 13e division de montagne de la WaffenSS Handschar, presque entièrement composée de musulmans de Bosnie. A sa droite se tient le brigadier SS Karl-Gustav Sauberzweig, commandant de la division.
La Bosnie, composée pour moitié de musulmans, se bat alors aux côtés de l’Allemagne. Ceux-ci, convaincus de la bienfaisance des nazis envers l’islam, éprouvent de la sympathie pour le Reich et ses valeurs. Le Mufti participe même au recrutement de la 13e division SS de montagne Handschar, composée de Bosniens musulmans. Afin de faciliter le recrutement, le gouvernement nazi crée le néologisme de « musul-germain », classant les musulmans des Balkans dans la catégorie de « peuple européen de race supérieure », permettant ainsi le recrutement de près de 20 000 hommes. Ces divisions étaient les seules de toutes les divisions SS dans lesquelles des religieux étaient présents. En effet, des imams étaient engagés pour éduquer les combattants musulmans et les pousser à se battre jusqu’à la mort. Entre 150 000 et 300 000 musulmans soviétiques, principalement turcophones, ont combattu aux côtés de l’Axe contre l’Union soviétique. « Le Grand Mufti est un homme qui en politique ne fait pas de sentiment. Cheveux blonds et yeux bleus, le visage émacié, il semble qu’il ait plus d’un ancêtre aryen. » - Hitler
Finalement, Hitler s’est-il servi de l’Islam afin de donner plus de poids à sa machine de guerre ? Oui bien sûr, il a vu dans le Grand Mufti un antisémite de premier ordre capable grâce à son poste d’atteindre les musulmans. Cependant, les convictions du Führer étaient dans son esprit proches de celles prônées par l’islam du Grand Mufti, à savoir la haine des juifs, une certaine hiérarchisation des hommes, mais aussi la vertu du combat et du sacrifice, … Il reste clair qu’un plus grand nombre de combattants musulmans s’engagèrent aux côtés des Alliés qu’aux côtés du Reich. Cependant, le fait est que les attributs conférés au poste de Grand Mufti donnent à chacune de ses actions une autorité conséquente, celle d’être la prétendument « juste » interprétation de l’islam. Souvent accueilli en grande pompe dans les pays arabes, il n’a jamais été emprisonné et ne fut démis de ses fonctions qu’après 1948. Il garda tout au long de sa vie une grande influence tant à la tête du « Gouvernement de toute la Palestine », qu’à la présidence du Congrès islamique mondial.
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Nathaniel McNary 31
SPORT
La France du foot n’aime pas l’Europe
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… the French lose ? Gary Lineker aurait pu tourner sa célèbre phrase ainsi et on aurait eu du mal à lui donner tort. Une chose est claire pour tout amateur du football français : nos clubs n’aiment pas l’Europe. Ce constat ne date pas d’aujourd’hui, il semble même dûment inscrit dans l’ADN de notre football. En effet, à l’inverse de la célèbre « culture de la gagne » allemande, il y a chez nous une certaine culture de la défaite. Défaite souvent directement causée par nos amis d’outre-Rhin d’ailleurs : sans revenir à un certain été de 1982, il est amusant de remarquer que ce sont des clubs allemands qui ont stoppé les épopées d’Auxerre et de Bordeaux dans les années 90. La fameuse finale de Glasgow opposait d’ailleurs l’ASSE au… Bayern Munich. Alors bien entendu nous ne sommes pas les seules victimes de cette « Deutsche Qualität ». Néanmoins, il semble qu’il y ait en plus chez nous un certain culte de la défaite et ce n’est pas un phénomène propre au football : Raymond Poulidor a bien plus marqué l’imaginaire collectif que Jacques Anquetil. En France on aimerait donc la défaite, mais la défaite avec panache. Même notre cher Zizou l’a compris en nous offrant en guise de jubilé une amère défaite lors d’une certaine finale le 9 juillet 2006 à… Berlin. Mais est-ce vraiment la seule explication ? Si on ne gagne pas, est-ce simplement qu’on ne le veut pas ? Aujourd’hui en tout cas ce n’est pas la raison principale. Le désamour de nos clubs français pour les compétitions européennes a été très bien résumé par Francis Gillot au début du mois d’octobre : « La C3 cette année, on ne peut pas la jouer, je ne vais pas inventer un effectif. » C’est le poncif utilisé par 32
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la plupart des entraîneurs pour justifier leurs mauvais résultats, cette fameuse impossibilité de jouer tous les trois jours. Et à force de le répéter, c’est entré dans les esprits : aujourd’hui les joueurs le disent, les supporters le comprennent et tout va bien. Pourtant, dans les autres grands championnats on le fait, mais chez nous c’est désormais impossible.
Partant de ce constat on fait des choix et, là encore, Francis a un avis tranché : « La C3, c’est intéressant pour les 8, 10 équipes qui peuvent aller en finale ou en demies. » On a compris : la C3 ça ne vaut pas le coup. On ne peut pas la gagner alors pourquoi la jouer ? D’autant plus que ça ne rapporte pas grand-chose. Et là on touche du doigt le mal le plus profond en France : l’absence totale de respect pour la compétition européenne. La question du rayonnement européen, l’idée d’écrire une nouvelle page de l’histoire du club et de créer un engouement autour de celuici ne vient pas à l’esprit des dirigeants. Bordeaux en est l’exemple le plus flagrant : aujourd’hui le stade est vide et le rugby prend peu à peu la place du football dans cette ville qui pendant longtemps a eu une vraie culture foot. Aujourd’hui, « Le public, la C3, il s’en fout. » Les dirigeants du foot français ne semblent cependant pas s’en rendre compte : il leur faut du retour sur investissement immédiat, ce qu’offre la C1. Il faut donc tout faire pour y aller : une qualification en phase finale de Ligue des Champions apporte en effet environ 20 millions d’euros. Mais attention à ne pas finir en Europa League : l’important, c’est le championnat et surtout les trois points.
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Samir Benyoucef
LILLE
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À quoi servent les agents prévention Transpole Qui sont réellement les agents de prévention Transpole que vous avez peut-être eu l’indifférence de croiser dans le métro lillois ? Quel est leur rôle ? Sans vouloir les accabler injustement, certaines questions peuvent être posées, et notamment celle du rapport coût/avantage du dispositif.
Il est utile de rappeler qu’« en 2013, près de 500 agents de prévention employés par Citéo et Médiapole pour le compte de Transpole sont présents sur le réseau, couvrant quotidiennement la totalité de l’amplitude d’ouverture des services (6h/1h30). Les Agents de Prévention sont facilement identifiables par leur blouson orange. Organisés par zones, ils sont chargés d’accueillir, informer et assister les voyageurs. Ils veillent à la disponibilité des équipements, au bon état général des stations et alertent en cas de problème les services compétents (Transpole, Police, quartiers,…). Ils rappellent, si nécessaire, les règles en vigueur dans les lieux publics. Ils participent aux animations des lieux. » Créés en 2001 suite au meurtre de Franck Tavernier, station Epeule-Montesquieu, les agents Transpole suscitent des réactions variées, allant de l’approbation totale au sentiment d’inutilité. L’argument invoqué pour justifier l’emploi de ces travailleurs par Transpole et la subvention de 9 millions d’euros par an par Lille Métropole est le « sentiment de sécurité sur le réseau », qui serait en « augmentation ». En effet, les usagers s’estiment à 92% rassurés par la circulation quotidienne des agents au sein du réseau. Ils semblent également devoir participer à « l’animation des lieux », c’est à dire qu’ils servent à autre chose qu’à faire l’épouvantail à longueur de journée. Le document qui mentionne ces attributions spécifiques a certainement dû être avalé par le Yorkshire terrier de Martine Aubry, laquelle se trouve être par ailleurs présidente de LMCU (Lille Métropole Communauté Urbaine) donc doublement engagée dans l’amélioration des conditions de transport dans l’agglomération. Payés en 2011 1458 euros brut, en contrat CDD le plus souvent, nos braves chevaliers écument donc les arrêts de métro et montent à bord de certaines rames selon le planning que vous pouvez parfois voir dépasser de leur blouson « agrume chatoyant et bleu marine pétant », porté invariablement. Ils sont 500 salariés en insertion à profiter de ce dispositif, dont le bénéfice social est assez évident.
Avec leur uniforme voyant et leurs talkie-walkies, ceux que l’on peut lors d’une première rencontre confondre avec des contrôleurs arpentent Lille tels des justiciers pour assurer une présence. Leur escapade terminée, ils rentrent chez eux avec la satisfaction du devoir envers la patrie accompli. Médiateurs aguerris, ils gèrent en direct la sélection musicale diffusée dans certaines stations afin de détendre l’atmosphère, et désamorcent les conflits par la pensée en accord avec la philosophie ancestrale de l’œuf cosmique et les préceptes du Dalaï-lama. D’après mon petit doigt, ces agents ne sont également pas toujours satisfaits de leur rémunération, cette situation plutôt précaire se voulant transitoire. Contactée par votre serviteur, la régie Transpole n’a pas daigné répondre aux questions posées, sans a priori, sur le coût financier du dispositif, l’évolution de la délinquance dans le métro et autres questions attenantes qui appelaient des explications un peu plus poussées. Finalement, au vu des hausses régulières de fréquentation du métro, on peut tout de même, semble-t-il, se faire l’avocat de ce dispositif qui a quand même en 2011 incité près de 100 millions de Lillois respectueux de l’environnement (ou, plus vraisemblablement, dans l’impossibilité de s’offrir une voiture) à prendre le métro. Les agents assurent une présence humaine sécurisante et donc dissuasive dans différentes situations heureusement rares où le danger est présent. Bref, en partant du principe que la sécurité n’a « pas de prix », on peut raisonnablement affirmer que ce job manquerait s’il venait à être supprimé. Reste qu’au 1er janvier 2013 la ville de Lille à elle seule (sans inclure l’intercommunalité) supportait une dette d’un peu moins de 360 millions d’euros. De quoi faire réfléchir avant de continuer à ouvrir le porte-monnaie ou de casser la tirelire cochon chromée, c’est selon.
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Nicolas Houriet 33
JEUX / RECETTE Coloriage
Remplis le dessin en suivant ce code:
1 = bleu 2 = vert 3 = marron 4 = rouge 5 = jaune 6 = beige 7 = orange
Muffins au Nutella de Mamie Louise Préparation : 24 min ; Cuisson : deux fois 15 min Ingrédients : 250 gr de farine 250 gr de beurre 250 gr de sucre 6 à 8 œufs ½ sachet de levure 1 pincée de sel du Nutella avec excès Ustentiles : Un moule à muffin, deux saladiers, un batteur 1. Séparer les blancs des jaunes, dans deux grands saladiers 2. Ajouter aux jaunes d’œufs le sucre, la farine, la levure, le sel et le beurre fondu 3. Monter les blancs en neige 4. Incorporez les deux préparations 5. Mettez la pâte dans les moules, et enfournez dans un four préchauffé à 180° 6. Après 15 min, après avoir pratiqué une incision sur les sommets des muffins, y introduire une grosse cuillère de Nutella 7. Laisser cuire encore 15 min 34
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HOROSCOPE BELIER
TAUREAU
Ce mois s’annonce riche en aventures et en nouveautés. Votre vie ne sera pas monotone ! En revanche, que ces aventures soient bonnes ou mauvaises, c’est malheureusement une autre histoire.
CANCER
Vous n’avez pas vraiment la tête là où elle devrait être, vous répondez souvent à-côté, vous marchez même un peu de travers. Ressaisissez-vous et plongez de nouveau dans le bain avant de sombrer définitivement !
LION
Ménagez votre corps. Les abus en tous genres ont laissé des traces et vous risquez d’en payer le prix ce trimestre. Ou alors continuez sur la même lancée, après tout vous ne serez jeune qu’une fois !
BALANCE Vos résolutions vont enfin payer et vous donneront une plus grande constance : finies les hésitations, vous choisissez un cap et vous y maintenez fièrement ! Tout le mal tient en ce que ce cap vous conduira très souvent au-devant de gros problèmes…
CAPRICORNE
Beaucoup de questions se pressent dans votre tête et personne pour y répondre ? Laissez un peu vos amis en paix et envoyez plutôt SIMPLET au 36 18 (0,5€ par SMS + éventuel surcoût de l’opérateur).
GEMEAUX
Forme olympique, santé de fer, charme insolent et grosses rentrées d’argent. Vous êtes un être d’exception depuis votre naissance, et cela se confirmera encore ce trimestre ! Laissez tout de même un peu de réussite aux autres, par charité.
VIERGE
Vous rugissez de plaisir en cette nouvelle année ! Tout semble vous sourire et vous décidez d’en profiter au maximum. Comme vous avez raison ! Les prochains mois seront exécrables.
Vous trouvez votre vie un peu vide, lassante, en ce moment. Vous songez au malheur. Puis vous regardez autour de vous, et vous vous dites qu’en fait non, ça va plutôt bien.
SCORPION
SAGITTAIRE
Si vous pensiez que les choses allaient s’améliorer en ce mois de janvier, vous vous trompez. De vos relations intimes à votre travail, en passant par un électroménager taquin, tout ira à vau-l’eau (ce sera d’autant plus vrai pour votre tuyauterie).
Nouvelle année, nouvelle lancée ! Telle est votre devise et vous avez bien raison. Entreprenez ce dont vous rêviez depuis longtemps, allez au-devant de nouvelles rencontres et amusez-vous ; Mars et Saturne vous laissent carte blanche !
VERSEAU
Vous ferez une rencontre capitale qui changera votre vie. Préparez-vous bien et sautez sur l’occasion (essayez d’ailleurs de ne pas être ivre quand elle se présentera, pour une fois…).
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POISSONS
Ce trimestre sera riche en révélations. Vous vous rendrez compte par exemple que vous n’êtes pas si étourdi(e) que ça : vous n’égarez jamais vos affaires. Non, en réalité on vous les vole.
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E nv i e d e méd i a ti se r u n évén e m en t ?
contact-sx@lescandaleux.fr E n vi e d’être pu blié ? ub