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Un verre avec… Marco Pelletier

Restaurateur, vigneron, patron d’une maison de négoce de vins rares, ambassadeur d’une marque de champagne… Le Québécois aime le vin plus que de raison.

Avec plus de 5000 références à la carte de votre restaurant, Vantre, comment choisir la bouteille du jour à partager? S’intéresser à ce que les gens ont envie de déguster, c’est une question de principe. Ce n’est pas à moi d’imposer ou d’orienter. Donc, qu’est-ce que vous auriez envie de boire ?

Un joli blanc qui sort des sentiers ba us, peut-être? O.K., donc un blanc sur le fil du rasoir, frais, avec de l’énergie, de la tonicité. Je vais vous proposer une bouteille exceptionnelle. Un domaine de 3,5 hectares en Alsace, celui de Pierre Weber. Nous sommes à Husserenles-Châteaux, à côté de Colmar. On bénéficie de la fraîcheur, avec des parcelles 50% grand cru et 50% village. Le vigneron cherche l’équilibre parfait. Les trois-quatre jours de macération enlèvent le côté variétal du riesling et apportent un toucher de bouche sans trahir l’ADN des vins assez verticaux de l’Alsace, avec ce côté très tonique. Je sais que ce n’est pas la région qui a la cote aujourd’hui, à tort. Une nouvelle vague de vignerons revient à un peu de macération, comme ce que faisaient leurs grands-parents.

Ce e bouteille est vendue combien chez vous? 46 euros. Méga-pétard, mais méga-démocratique : c’est ce qu’on a envie de défendre avec mon sommelier Michael [Engelmann, ndlr], qui a travaillé 17 ans à l’étranger et a été élu, en 2009, meilleur sommelier des États-Unis. Ensemble, on a visité 150 domaines pendant le confinement! Quand il nous a rejoints, nous avons ouvert un vin mythique que nous défendons depuis très longtemps, un Clos Juliette 74. Une des plus grandes bouteilles au monde [appellation jurançon, ndlr]!

Votre restaurant Vantre setrouve dans l’est parisien, loin du Triangle d’or, où se situe Le Bristol, le palace où vous avez travaillé des années comme sommelier... Et je me sens 10 fois mieux qu’avant ! Les palaces vous demandent surtout de vendre des bouteilles chères. Si vous commencez à faire la promotion de la roussette de Matthieu Goury, du Domaine de Chevillard, qui vaut 15 euros départ propriété, le financier va vous tomber dessus en fin de mois ! C’était une très bonne expérience, mais ultra-contraignante sur le plaisir et l’envie de démocratiser le vin.

Ce e expérience vous a fait côtoyer l’élite des bouteilles… Côtoyer le plus cher, c’est vrai. Côtoyer le meilleur, je suis loin d’être convaincu. Le meilleur, c’est ce qui nous convient. Le seul argument d’un grand vin, c’est le fait qu’il soit en adéquation avec son terroir et la gueule du vigneron qui le fait.

Vous êtes un ambassadeur de l’expression des micro-territoires, comme cela se pratique en Bourgogne? Oui, mais j’irais encore plus loin. Car malheureusement, la Bourgogne s’homogénéise. Les prix du foncier font que beaucoup de domaines sont rachetés par des « gros », qui peuvent diluer l’authenticité des vins. Et la tarification des vins de Bourgogne fait que la prise de risque n’est plus la même que quand on vendait les bouteilles 15-20 euros. Qui va faire aujourd’hui cinq jours de macération pelliculaire sur un bâtard-montrachet ? Personne !

Vous me ez en avant des appellations ou des territoires moins prestigieux. Tout aussi prestigieux, mais moins connus ! Jura, Savoie, Auvergne… ou le Roussillon, qui arrive à faire des vins à 12,5° en adéquation avec son terroir, loin de l’image des vins en surmaturité de la région, bien riches, à 15-16°.

Comment travaillez-vous avec la cuisine de votre chef, Masaki Nagao? Le vin ne doit pas être en compétition avec la nourriture, il doit rester un breuvage. Je cherche des vins maîtrisés, avec un fort coefficient de buvabilité.

Quels sont vos goûts personnels? À mon arrivée en France, dans les années 1990, c’était le début des vins en surmaturité, assez sucrés. Quand on commence à goûter du vin, on aime ces vins faciles. C’est plein, caressant en bouche. Des vins rouges avec un peu de matière, un peu de texture. Puis on s’oriente naturellement vers un vin un peu plus fin, plus élégant. Et on termine par boire à 80 % du vin blanc, car il est beaucoup plus catalyseur de terroir. J’adore le vin rouge, mais le vin blanc est plus caméléon. Mais il y a beaucoup plus de vins blancs médiocres que de vins rouges, un peu plus « passepartout ». Les vins blancs ne tolèrent pas la médiocrité.

Vous vini ez avec votre vin de jardin, le Domaine de Galouchey… Nous avons commencé avec 0,94 hectare pour un peu plus de 3 hectares aujourd’hui. Nous sommes voisins, à Bordeaux, avec la famille Michel Gonet. Il y a une dizaine d’années, il m’a demandé de me pencher sur ce qu’il appelait «la belle endormie de la Champagne». J’étais O.K., mais si on recommençait tout à zéro. Nous avons changé l’image du domaine, sa viticulture, embauché un chef de cave et réduit les rendements. On ne vend quasiment plus au négoce et les 230 000 bouteilles produites sont toutes sur allocation – la cuvée 3 Terroirs est d’ailleurs vendue par Ventealapropriete.

BORIS CORIDIAN /

—Vantre, 19, Rue de la Fontaineau-Roi, 75011 Paris (vantre.fr).

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