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Escapade. Entre Loire et volcans

Entre Loire et volcans

Les territoires du Massif Central disposent d’un héritage viticole riche et varié, autant que méconnu. Un mouvement, porté par une poignée de vignerons passionnés, vise à redonner leurs lettres de noblesse aux vins modestes et précieux qui y sont produits.

AU CŒUR de la France paysanne, une route échappant encore à tout cadre institutionnel se dessine à travers quatre vignobles historiques – Saint-Pourçain, les Côtes-d’Auvergne, la Côte-Roannaise et les Côtes-duForez – peu distants les uns des autres, mais que les modes avaient un peu fait oublier. Ces appellations, plus confidentielles que les grands terroirs viticoles, sont pourtant aujourd’hui la parfaite illustration de pratiques audacieuses et de qualité. En 2019, une quarantaine de professionnels regroupés sous l’égide de la « Loire Volcanique » ont souhaité jouer la carte des dénominateurs communs – le cépage gamay, l’effet de foehn, ce vent du sud propice à la viticulture et plus encore la proximité partagée des volcans et de la Loire – pour revendiquer une identité où la diversité a toute sa place. Cette dynamique est par ailleurs renforcée par un art de vivre authentique dont les fondements font leur retour parmi les envies de l’époque : un patrimoine rural de qualité incarné par quelques uns des « Plus Beaux Villages de France », de bonnes et belles adresses où l’on peut encore déguster des pépites gastronomiques locales et bien sûr, des paysages aussi riches que variés, où l’on se perd volontiers.

«L’AOC impose les assemblages»

Sur l’ex-Nationale 7, on avait dépassé Pouilly-Sur-Loire depuis une bonne heure, puis traversé l’Allier à Moulins pour découvrir, après quelques kilomètres, le vignoble de Saint-Pourçain. Ici, pas de coteaux dessinés au cordeau par les rangs de vignes, les parcelles apparaissent de-ci de-là dans une campagne bocageuse aux formes douces.

«On est au cœur du Bourbonnais qui fut, à partir du XIVe siècle, le bastion de la couronne de France. La viticulture y était très prospère, au point de s’étendre sur 11000 hectares, mais surtout, elle délivrait des vins considérés à l’égal de ceux de Beaune. Puis, un peu plus tard, il y a eu le phylloxéra…», explique Jean Teissèdre, à la tête du Domaine des Bérioles, une exploitation en biodynamie qui développe

aussi des cultures de céréales, de légumineuses... Aujourd’hui, l’appellation – l’AOC a été attribuée en 2009 – occupe 600 hectares et compte une cave coopérative ainsi qu’une quinzaine de vignerons ayant fait le pari d’une production de vins d’auteur, pour l’essentiel en bio. «Ici, l’AOC impose les assemblages.» Mais les puristes qui veulent revendiquer l’identité du territoire, le cépage blanc tressallier propre à Saint-Pourçain n’hésitent pas à élaborer des cuvées mono-cépages simplement labellisées IGP Val de Loire, quand ils n’usent pas à souhait des cépages non agrémentés pour montrer le potentiel du territoire.

Avant de reprendre la route, Jean Teissèdre nous montre l’historique Clos de Breuilly, qui vient d’être repris par un vinophile ambitieux, et suggère un arrêt au Conservatoire des anciens cépages, au Château de Chareil-Cintrat, pour prendre la mesure de l’histoire des lieux, qui n’attend que d’être réécrite. Un peu plus loin, c’est le village de Charroux, qui évoque le faste d’antan du Bourbonnais, avec son bourg médiéval joliment préservé, où travaille encore un moutardier. La halte s’avère d’ailleurs opportune pour déguster, à la Ferme Saint-Sébastien, la cuisine de la cheffe Valérie Saignie – volaille label rouge d’Allier à la sauce Duchambais ou gigot Brayaude – tout en goûtant quelques vins de Saint-Pourçain sélectionnés par son sommelier de mari, pas avare de conseils avisés comme, pour le digestif, cette étonnante Verveine du Forez.

De haut en bas : Lisa Roche et Léo Troisgros, de La Colline du Colombier ; L’esturgeon en verdure à la carte du restaurant ; Vignobles d’Ambierle, en Côtes Roannaises.

Un terroir loin des généralités

La Chaîne des Puys se distingue maintenant très clairement dans le panorama, tandis qu’aux abords de Riom, de nouveaux vignobles font leur apparition. Ici une culture du vin rouge « de soif », en partie promue par les Auvergnats de Paris, a marqué les apéros-saucisson pendant des décennies. Mais en poussant au-delà de Clermont-Ferrand, on découvre un terroir qui échappe aux généralités : « Le Puy de Corent est l’une des cinq appellations en France à ne produire que du rosé. Et l’on fait du vin sur ce volcan depuis des millénaires » souligne Yvon Bernard, des Chemins de l’Arkose. Le domaine (15 hectares) dispose également d’autres parcelles éparpillées dans un rayon de 20 kilomètres sur différents terroirs, où la polyculture est d’ailleurs majoritaire. « À Montpeyroux, où nous sommes installés, on trouve du grès, la fameuse arkose qui servit à construire les villages des environs, alors que le sol de Corent est basaltique. Et puis ailleurs, on va trouver de la marne ». Autant d’opportunités pour engendrer une production très diversifiée pouvant se traduire, chez certains vignerons, par une douzaine de cuvées. Le restaurant Le P’tit Roseau, situé face à la gare d’Issoire, en propose d’ailleurs un bel aperçu qui s’accorde assez bien avec sa cuisine aux accents bistronomiques : pâté en croûte, croustillant de ris de veau, joue de bœuf confite…

Après une nuit passée sur le promontoire rocheux de Montpeyroux, au charme presque méridional, l’itinérance met cette fois-ci le cap à l’est, en direction de Roanne. Si les distances ne sont pas démesurées, la route doit se frayer un chemin parmi le relief accidenté de ce territoire de moyenne montagne. Passage obligé par Thiers, capitale du couteau, puis par le col de Saint-Thomas (930 mètres), frontière entre le Puy-de-Dôme et la Loire, avant de changer d’ambiance en plongeant vers la vaste plaine roannaise. Le vignoble, planté à mi-chemin de la ligne de crête des monts de la Madeleine et de la Loire rappellerait presque celui de l’Alsace, avec cette disposition autour de la route départementale (la D8) qui traverse les villages de Renaison, Saint-Alban-les-Eaux, Villemontais…

Ce vignoble de 215 hectares a sans doute été l’un des premiers à se réinventer avec une AOC établie dès 1994 et une IGP Vins

de pays d’Urfé qui, depuis 2009, permet à la trentaine de vignerons, tous indépendants, de produire également des vins blancs. À la même époque, l’initiative des « vignes-relais » va permettre à des jeunes de pouvoir travailler deux hectares, le temps de s’établir et de vendanger leurs propres vignes.

Les domaines des Pothiers et Sérol ont agi comme des ambassadeurs avec leurs cuvées très qualitatives présentes sur les cartes de bonnes tables locales, à l’image du Petit Prince, à Saint-Alban-les-Eaux, qui dispose même d’une cave vitrée dans la salle à manger, dédiée à la Loire volcanique. L’amitié entre les familles Sérol et Troisgros, illustre succession de cuisiniers roannais, a eu aussi son effet moteur avec la création de deux cuvées iconiques : Les Blondins et Chez Blondin, produites à partir d’une parcelle de deux hectares en co-gérance. Une halte à La Colline du Colombier, l’auberge que les Troisgros ont imaginée avec l’architecte Patrick Bouchain, en marge de la table 3 Étoiles, à Ouches, est évidemment l’occasion de les déguster. D’autant que Lisa, la compagne du chef Léo Troisgros, fait un joli travail de mise en valeur des vins de cette Loire Volcanique.

«La carte se concentre sur des vins régionaux dont nous visitons régulièrement les producteurs afin de pouvoir partager avec nos clients les valeurs de chacun.» Une belle manière d’inviter les convives à sillonner ensuite le vignoble à la découverte des sites où a été élaboré le vin qu’ils ont dégusté.

Pour gagner les Côtes-du-Forez, la route se poursuit de manière quasi naturelle en remontant, toujours sur la rive gauche, le fil de la Loire. D’ailleurs, susurre-t-on au département, le projet d’une route des vins commune aux deux appellations est imminent. Situé un peu plus au sud du parcours, le vignoble du Forez est aussi le plus petit (150 hectares), animé en bonne intelligence par une cave coopérative et neuf vignerons indépendants éparpillés sur un territoire de 80 kilomètres de long. La production affiche d’ailleurs certaines connivences, l’emploi du viognier et de la syrah, notamment, avec les vins du sud du département qui se trouvent quant à eux dans... la vallée du Rhône. Étrange paradoxe provoqué par les découpages géographiques !

Le temps d’un léger détour par le village montagnard de Sauvain, d’où est originaire la fourme de Montbrison – eh non, elle n’est pas produite à Montbrison ! – et la route redescend vers la plaine et la commune de Saint-Romain-le-Puy. Là, se dresse une curiosité géologique, un ancien volcan culminant à 80 mètres et dont les versants sud sont recouverts de vignes. «En 1997, la mairie a proposé que soit rétabli le vignoble qui avait disparu dans les années 1970. Avec un autre vigneron, nous nous sommes lancés dans un dur travail de défrichage avant de planter du viognier, dont la première récolte a eu lieu en 2000», explique le vigneron Stéphane Réal, qui produit trois cuvées labellisées Aldebertus, en écho au prieuré édifié au sommet du puy.

Cette ultime étape d’une itinérance à travers les paysages viticoles du Massif Central confirme bien qu’une petite révolution œnologique est en route. Le bon sens – paysan – d’une poignée d’acteurs est parvenu à redonner du corps à une histoire dont les fondamentaux permettent de se réinventer à la lumière de nouveaux savoirs. La démonstration que ces « petits » terroirs, qui créent la richesse viticole française, ont tout pour produire des « grands » vins en devenir.

Ci-contre : fourmes en cave d’affinage de la Fromagerie des Hautes Chaumes (Sauvain). En bas : affûtage d’un sommelier Le Thiers, à la coutellerie Claude Dozorme.

OLIVIER RENEAU /

Pratique

SÉJOURNER / SE RESTAURER La Ferme Saint-Sébastien

Chemin de Bourion, 03140 Charroux Tél.: 04 70 56 88 83, fermesaintsebastien.fr Menus déjeuner: 21€ et 28 €, dîner: à partir de 35 €

Le P’tit Roseau

2, avenue de la Gare, 63500 Issoire Tél.: 04 73 89 09 17, lepetitroseau.fr Menus déjeuner: 20€, dîner : 35€

Le Petit Volcan

2, place du Cheix, 63114 Montpeyroux Tél.: 04 73 89 11 41, lepetitvolcan.fr Chambres: à partir de 70€

Le Petit Prince

28, rue des Marronniers, 42370 SaintAlban-les-Eaux. Tél.: 04 77 65 87 13 restaurant-lepetitprince.fr Menus déjeuner: 21€ et 29 €, dîner : à partir de 60€

Château de Champlong

100, chemin de la Chapelle 42300 Villerest. Tél.: 04 77 69 69 69, chateau-de-champlong.com Menus déjeuner: 34 €, dîner: à partir de 50€. Chambres: à partir de 120€

La Colline du Colombier

71340 Iguerande. Tél.: 03 85 84 07 24, troisgros.fr. Menu: 49€.

LES À-CÔTÉS Conservatoire des cépages anciens

Un musée à ciel ouvert de l’histoire viticole de Saint-Pourçain (chareil-cintrat.fr).

La Moutarderie de Charroux

Goûter en priorité la Pourpre, à base de jus de raisin (huiles-et-moutardes.com).

La Grande Coutellerie Claude Dozorme

Au catalogue, des sommeliers inspirés du Laguiole et du Thiers (lagrandecoutellerie.fr).

Fromagerie des Hautes Chaumes

Une référence pour déguster la «vraie» fourme de Montbrison (fromageriehautes-chaumes.com). Plus d’informations: loirestory.com

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