LM magazine 139 - avril 2018

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n°139 / avril 2018 / GRATUIt

Art & CulturE

Hauts-de-France / Belgique



Trump ice-head trays © Mackinnon & Saunders, Photo Myles New

sommaire - magazine

LM Magazine #139 Avril 2018

News – 08

Des briques et des lettres, Portes qui claquent, Cuisine ouverte, Détournement de fond(s), Glaçons glaçants, Ricard Live Music, Beautiful Swamp Blues Festival, Salon du Livre d'Arras

lieu – 12

GardeRobe MannekenPis Us et costumes

style – 18

Rozó Le conte est bon

portfolio – 20 © Jaune art

Enora Lalet Nouveau régime

Rencontre

Gaël Faye – 28 En toutes lettres

Manneken-Pis, Hawai © E. Laurent

Marjolaine Boutet – 64 Tête de série Jaune – 78 Fluo artistique

événement – 58

Séries Mania Des feuilletons et des hommes

le mot de la fin – 138 Gao Yang Dans le rétro


Musique – 28

Gaël Faye, Feu! Chatterton, BRDCST Festival, Alex Cameron, Rejjie Snow, Alela Diane, Dominique A, Arcade Fire, Insecure Men, Les Nuits Botanique, Nosaj Thing, Marcus Miller, Concrete Knives, Agenda...

Jane & Serge, Sur le chemin de Blenheim Palace, 1969 © Andrew Birkin

sommaire - sélection

exposition – 78

Jaune, Adel Abdessemed, Panorama de la BD chinoise, Ola Cuba !, L'Empire des roses, Jane & Serge. Album de famille par Andrew Birkin, Nicolas Schöffer, Habitarium, Together !, Agenda…

théâtre & danse – 112 Gaël Faye © Chris Schwagga

Youth is Great # 3, Les Choses en face, Festival LEGS, Cirque Trottola, Traviata, vous méritez un avenir meilleur, Grisélidis, King Kong Théorie, blablabla, Les Turbulentes, Anne Teresa de Keersmaeker, Gaspard Proust, Dark Circus, Agenda…

Disques – 54

Eels, Unknown Mortal Orchestra, Thousand, Suuns, Barbagallo

Livres – 56

Nicolas Santolaria, Timothée Gérardin, Ovidie, Kris & Maël, Clément Belin & Costès

écrans – 58

Séries Mania, L'Héroïque lande, Rester vivant…, My Wonder Women, Madame Hyde, Demons in Paradise, Coby, Les P'tites toiles d'Emile



Magazine LM magazine – France & Belgique 28 rue François de Badts 59110 La Madeleine - F -

tél : +33 (0)3 62 64 80 09 - fax : +33 (0)3 62 64 80 07

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Direction artistique / Graphisme Cécile Fauré cecile.faure@lastrolab.com

Rédaction Julien Damien redaction@lm-magazine.com

Couverture Enora Lalet TATA BOGA, Sukro © Photo Matthias Lothy www.enoralalet.com

Angélique Passebosc info@lm-magazine.com

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Administration Laurent Desplat laurent.desplat@lastrolab.com Réseaux sociaux Sophie Desplat Impression Imprimerie Ménard 31682 Labège Diffusion C*RED (France / Belgique) ; Zoom On Arts (Bruxelles / Hainaut)

Ont collaboré à ce n° : Selina Aït Karroum, Thibaut Allemand, Rémi Boiteux, Julien Bourbiaux, Mélissa Chevreuil, Mathieu Dauchy, Marine Durand, Sarah Elghazi, Enora Lalet, François Lecocq, Raphaël Nieuwjaer, Marie Pons et plus si affinités.

LM magazine France & Belgique est édité par la Sarl L'astrolab* - info@lastrolab.com L'astrolab* Sarl au capital de 5 000 euros - RCS Lille 538 422 973 Dépôt légal à parution - ISSN : en cours L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM / Let'smotiv est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.

Papier issu de forêts gérées durablement



The Castle, 2007, Bricks, edition of Franz Kafka’s The Castle (détail) © Jorge Méndez Blake

news

Mots pour maux Jorge Méndez Blake aime à nous rappeler la puissance de la littérature. Pour cette installation, l’artiste mexicain a élevé un mur de briques sans mortier. Inséré à sa base, un seul livre suffit à déstabiliser l’ensemble. Cette métaphore plastique figure ainsi le pouvoir des mots sur l’ordre établi. Pas sûr qu'on obtienne le même résultat avec une tablette numérique… www.mendezblake.com

Chelsea doors, Jim Morrison © DR

#8

Les portes du paradis En cours de rénovation, l'Hôtel Chelsea est hanté par des fantômes prestigieux. Situé à New York, cet immeuble de 12 étages fut entre les années 1950 et 1970 le lieu de séjour de quelques grands noms, de Joplin à Warhol, en passant par Hendrix, Kerouac… 55 portes de ces fameuses chambres sont mises aux enchères, le 12 avril, dans un but caritatif. Oui, elles claquent toujours. www.riccomaresca.com


Beyond Borders © Merrett Houmøller Architects, Photo Francis Ware, courtesy RIBA

Valeurs refuges

© Christoph Niemann

Trump ice-head trays © Mackinnon and Saunders, Photo Myles New

Cette cuisine mobile été conçue par les Anglais Peter Merrett et Robert Houmøller. Dépliée, la "Befriending Kitchen" accueille une trentaine de personnes. De plus, ses deux extrémités sont équipées de deux modules de préparation et de cuisson. Utilisée par la Croix-Rouge, dans l'est de Londres, elle propose ainsi aux réfugiés ou SDF des repas chauds, relevés d'un peu d'humanité. www.merretthoumoller.com

Détournez, c'est gagné Christoph Niemann est passé maître dans l'art de sublimer les objets du quotidien. Armé d'un peu d'encre et d'une imagination sans borne, cet illustrateur allemand peut transformer une chaussette sale en tyrannosaure, un peigne en limousine ou, comme ici, voir dans un simple écouteur un chef-d'œuvre belge bien connu. Ceci n'est pas un détournement. www.christophniemann.com

Ice Trump

s w ne

Trouver la bobine de Trump dans son verre peut faire froid dans le dos… mais sa lente fonte réchauffe le cœur ! Surtout si c'est pour la bonne cause. Les Américains Mackinnon and Saunders ont conçu des moules à glaçons à l'effigie du, hum, président des USA. Le produit de la vente sert à financer les associations militant contre le dérèglement climatique – ce fameux « canular ». www.mackinnonandsaunders.com


Martha High © Stefano Caporilli Isaac Delusion © Hellena Burchard

French pop

Beautiful Swamp Blues Festival

Derrière Ricard Live Music, ce nom synonyme de fête et de gueule de bois, on trouve aussi une scène mobile parcourant l'Hexagone pour livrer des concerts gratuits. Pour ses 30 ans, ce dispositif met en avant le meilleur de la production indépendante française. à Lille, on attend Isaac Delusion, Moodoïd ou les p'tits jau… pardon, jeunes, de MNNQNS (lauréats du prix).

Parés pour un voyage dans le temps et dans l'espace ? Durant trois jours, le BSBF (pour les intimes) nous téléporte dans l'Amérique des fifties, sixties et seventies ! On y attend le Britannique James Hunter, grand fan du R'n'B façon Motown ou encore les DD's Brothers. Ces véritables ambassadeurs du son Daptone ressuscitent les plus belles heures de la soul et du funk. Non, vraiment pas de quoi avoir le blues.

Lille, 19.04, L'Aeronef, 19 h, gratuit sur réservation, www.societericardlivemusic.com Prog : Isaac Delusion + Moodoïd + MNNQNS

Calais, 20 > 22.04, La Halle, 1 soir : 12 > 7 €, pass 3 soirs : 23 €, (Off : concerts gratuits), www.spectacle-gtgp.calais.fr

© Sylvain Moizie

Salon du Livre à Arras, 1er mai rime avec… farniente ? Plutôt bouquiner, rencontrer et penser. Cette 17e édition s'articule autour d'un thème principal : "Exploiter le vivant – animal, végétal, humain". Sous-titré "d'expression populaire et de critique sociale", l'événement dresse aussi (forcément) le bilan de Mai 68. Gageons que les Pinçon-Charlot ou l'équipe de Fluide Glacial auront leur mot à dire… Arras, 30.04 & 01.05, Grand-Place & divers lieux, gratuit + Hauts-de-France, 18 > 29.04, Dunkerque, Boulogne-sur-Mer, Lille, Senlis…, www.coleresdupresent.com



Lieu

# 12

Charles Delvaux Š E. Laurent, 2016


Nicolas Edelman, habilleur officiel du Manneken-Pis © Musée de la Ville de Bruxelles

GardeRobe MannekenPis Sapé comme jamais Les monuments, c'est un peu comme les voitures : énormes quand il s'agit d'exposer sa puissance. Paris a la Tour Eiffel, Londres s'enorgueillit de Big Ben – une grosse montre de 96 mètres. Soit. Bruxelles reste très fière de son petit bonhomme de 55 centimètres, urinant sur les convenances avec un petit sourire en coin. Oui, le Manneken-Pis est du genre irrévérencieux… et coquet ! Qu'il soit sapé en Indien ou façon Elvis, c'est la seule sculpture… à s'habiller. Visite guidée au sein de sa garde-robe.


V

# 14

© A. Passebosc

oila cinq siècles qu'il trône dans le cœur de Bruxelles, à l'angle des rues du Chêne et de l'étuve. « La première trace de la présence d'une fontaine à cet endroit remonte à 1451 », explique Gonzague Pluvinage, conservateur du GardeRobe MannekenPis. D'où vient ce p'tit bonhomme ? D'abord, ce n'est pas un môme, mais un "Cupidon urinant", « un motif courant au xve siècle. Les Bruxellois, ignorant cette réalité artistique, l'ont spontanément baptisé Manneken-Pis qui signifie "le petit homme qui pisse" ». En 1619, la ville restaure

Habit de cour Louis XV Le plus ancien costume conservé, cousu de fil d'or et d'argent. En 1747, des soldats français volent la statuette qui est rapidement retrouvée. Pour s'excuser, le roi offre ce costume à Manneken-Pis et lui décerne le titre de chevalier de l'Ordre de Saint-Louis.

cette première statue, s'adressant à une "star", Jérôme Duquesnoy l'Ancien, confirmant son attachement à ce symbole. Pourquoi celuici ? « Je pense que les Bruxellois en font l'incarnation de leur personnalité irrévérencieuse, d'une certaine autodérision ». Un petit provocateur donc, mais sacrément coquet ! C'est en effet le seule sculpture profane au monde à… s'habiller ! 1000 costumes ! Cette tradition remonte au début du xviie siècle, certainement issue d'une coutume religieuse d'habillement des sculptures. « Le plus ancien témoignage est un tableau peint en 1615 par Denis Van Alsloot ». à l'époque, ce geste à l'égard du petit bronze chéri par le peuple est « éminemment politique ». C'est un moyen pour le pouvoir « d'unifier la communauté. Mais après la Première Guerre mondiale, cela prend une tournure folklorique ». Depuis, les fringues affluent du monde entier, envoyées par des gouvernements, des associations de bienfaisance, culturelles, sportives… « On en reçoit près de 50 par an, pour en valider une trentaine. Une commission consultative veille au grain : Manneken-Pis ne peut être récupéré à des fins politiques, religieuses ou publicitaires ». Il enfilera ainsi son 1 000e vêtement le 12 mai. suite


Maurice Chevalier (1888-1972) remet en personne à Mannken-Pis en 1949 une copie de son costume et de son célèbre canotier. Cette légende de la chanson populaire française a composé l'hymne de Manneken-Pis, Petit gars de Bruxelles.

Vue du GardeRobe © Musée de la Ville de Bruxelles


© A. Passebosc

Lieu Gonzague Pluvinage, conservateur du GardeRobe, devant la statue originale du Manneken-Pis.

Qui est le donateur ? « C'est un secret d'état… ».

# 16

Une icône gay ? Toutes ces pièces sont soigneusement conservées au GardeRobe MannekenPis, musée inauguré en février 2017 rue du Chêne, à quelques pas de la célèbre fontaine. 150 sont exposées dans de grandes vitrines. Elles sont classées selon diverses catégories : la géographie, le folklore local (carnaval de Binche), les personnages (Obélix, Gaston Lagaffe), les personnalités (Mozart, Polnareff, Nelson Mandela), le sport (maillot jaune ou celui des Diables Rouges !)… « Offrir un costume à Manneken-Pis, c'est chercher la reconnaissance. L'association organisant la Gay Pride belge s'est par exemple adjointe les

services de Jean-Paul Gaultier ! ». Mais le plus beau costume date de 1747. Cousu de fil d'or et d'argent, il fut offert par Louis XV, pour excuser le comportement déplacé de ses soldats vis à vis de la statuette… 270 ans plus tard, celle-ci est plus que jamais une fashion victim. Elle s'habille 165 fois par an, selon un calendrier tenant compte des demandes ou des commémorations. Le 16 juin prochain, notre Cupidon s'affichera en travesti. « Nous avons accepté la demande d'un groupe de défense des homosexuels à Hambourg. Ces messieurs revêtent un habit traditionnel de la région de la Forêt Noire… de femme. Le règlement l'interdit, mais Manneken-Pis défend toutes les bonnes causes ». Un sage, avec ça… Julien Damien


République d'Azerbaïdjan (2004) et Maharadjah (1956) © J. Damien Obélix (2005) © A. Passebosc

Elvis Presley (1978) © Y. Peeters Saint Nicolas (2005) © E. Laurent

GardeRobe MannekenPis Bruxelles – 19 rue du Chêne, mar > dim : 10 h > 17 h, tarifs combinés donnant accès au Musée de la Ville - Maison du Roi : 8 / 6 € / grat. (-18 ans), + 32 (0)2 279 43 50, mannekenpis.brussels, brusselsmuseums.be

à lire / version longue sur lm-magazine.com


style

Rozó

cuisine et indépendance

# 18

Après sept années passées chez de grands étoilés parisiens, Camille Pailleau, 24 ans, et Diego Delbecq, 29 ans, ont lancé leur propre affaire. Quatre mois à peine après son ouverture, ce nouveau repère gastronomique lillois est déjà récompensé par le Gault & Millau (trophée jeunes talents). Oui, le Rozó a le vent en poupe. Le nom renvoie à La Fontaine, et sa fameuse fable sur le chêne et le roseau qui plie mais ne rompt pas. Cette ode à l'abnégation résume bien l'expérience de Camille et Diego chez Lancaster, Prince de Galles, Meurice, Plaza Athénée ou Meurin à Busnes. Chacun dans leur domaine (la pâtisserie pour Camille et les fourneaux pour Diego), ils y ont beaucoup appris... mais ont aussi payé de leur personne, au

point d'envisager une reconversion. « Après tant de sacrifices, il était difficile de renoncer. On a donc créé notre propre restaurant à Lille car il y avait des places à prendre, et Diego est originaire de la région », précise Camille. Gastro mais pas trop Après un an de chantier et le choix de l'agence d'archi lilloise en vogue (Pollux) pour une déco verte et dorée, Rozó a ouvert le 14 novembre


Photos © Marco Strullu Saint-Jacques du boulonnais à cru, Chicons et Pétales d’endives carmines, Poutargue.

(40 couverts). Au menu, une cuisine gastronomique mais accessible, à base de produits et d'apprêts pas trop sophistiqués mais bien amenés (le midi : menu 2 ou 3 envois à 25 ou 29 €, le soir : menu 5 envois à 60 €). Camille définit la carte des desserts (et les réalise) en attendant de recruter le bon pâtissier. Au piano, Diego compose une partition contrastée, jouant avec les associations relevées et des touches d'acidité (bouillon de bœuf, jaune d'œuf mariné, lard et râpé de raifort ou lieu jaune étuvé, choux vert et de Bruxelles). Seul bémol : la carte gagnerait à proposer quelques vins naturels qui, comme dirait La Fontaine, ne nuisent pas ! François Lecocq

Profiteroles au chocolat 72%, éclats de grué caramélisés et sorbet cacao.

RozÓ 79, rue de la Monnaie, Lille, mar > sam : 12 h > 14 h & 19 h 30 > 21 h 30, +33 (0)9 83 46 55 00, www.restaurant-rozo.fr


portfolio Bordeaux S.O. GOOD, Festival de Gastronomie, 2014 Shower, techniques mixtes


enora lalet Recette miracle

D’

aussi loin qu’elle se souvienne, Enora Lalet a toujours aimé jouer avec son assiette. « Petite, j’élevais des montagnes avec ma purée, prenais ma fourchette pour un râteau… ». Comme tout bout de chou qui se respecte ? Oui, mais la Française a fait de cette répréhensible activité... son métier. Diplômée en arts plastiques et en anthropologie, cette "plasticienne culinaire" use des aliments comme un peintre son pinceau. Sa palette ? De la barbe à papa, des artichauts, des fruits, du chocolat... bref, tout ce que la planète produit de comestible, « sauf les viandes et les poissons » précise-t-elle en bonne végétarienne. Pourquoi la nourriture ? « C’est un matériau très riche visuellement mais aussi symboliquement : il représente tous les tabous de nos sociétés, liés à la culture, à l’éducation... Selon la classe sociale ou l’époque, on ne mange pas de la même façon et c’est plutôt drôle de détourner ces codes ! ». La Bordelaise parcourt ainsi le monde en quête de denrées, pour façonner des coiffes ou les déposer sur le visage de ses modèles. Jouant avec les couleurs et textures, ses "portraits cuisinés" combinent bodypainting, scénographie, couture (les fonds sont en tissu), photo et pas mal d’heures d’épluchage ou de découpe ! Pour autant, ses œuvres ne se dévorent pas seulement avec les yeux. Enora Lalet s’illustre aussi avec ses "buffets suspendus". Conçues pour des vernissages ou festivals, ces installations font léviter les fromages ou couler les sauces, transformant la table en terrain de jeu. « C’est à la fois régressif et pictural : on se sert avec les doigts et tout se mélange, à la façon des toiles de Pollock ». à déguster sans modération ! Julien Damien

à visiter / www.enoralalet.com, www.facebook.com/cookingfaces à lire / l’interview sur www.lm-magazine.com

# 21


Série ! SABROSO !, Colombie, 2017 Grana-cuya patterns, techniques mixtes Photographie de Rafael Bossio


Série ! SABROSO !, Colombie, 2017 Corona de piña, 2017, techniques mixtes Photographie de Rafael Bossio


Projet Cuisine-toi !, France, 2017 « Je ne suis pas un cœur d’artichaut », techniques mixtes. Réalisation : Enora Lalet et les jeunes du SEPAJ de Cenon Photographie de Julie Bruhier


Série TATA BOGA, Indonésie 2017 Kepala Donuts, techniques mixtes, Photographie de Matthias Lothy


Série ! SABROSO !, Colombie, 2017 Lulo patterns, techniques mixtes Photographie de Rafael Bossio


Série TATA BOGA, Indonésie, 2017 Kandang Ramboutan, techniques mixtes Photographie de Matthias Lothy


musique

Interview

GaĂŤl Faye lettres modernes Propos recueillis par Julien Damien

# 28

Photo Chris Schwagga


Sacré "Révélation scène de l'année" lors des Victoires de la Musique, Gaël Faye pose un nouveau trophée sur sa cheminée, à côté du prix Goncourt des lycéens reçu pour son roman, Petit pays. Si ces succès lui ont ouvert les portes d'un large public, il avait déjà marqué les esprits. Né en 1982 au Burundi, ce Franco-Rwandais a fui la guerre civile pour s'installer en France en 1995. Il travailla un temps pour un fonds d'investissement à Londres avant de tout plaquer pour la musique, déployant son flow lettré dès 2009 en duo (au sein de Milk Coffee and Sugar) puis en solo avec Pili Pili sur un croissant au beurre (2013). Entretien avec l'une des fines plumes du rap français.

Comment définiriez-vous votre musique ? Je dirais créole, dans le sens où elle est hybride. Je viens du hip-hop, cette culture m'a appris à créer avec rien et fait la part belle au collectif. Sinon, je suis au carrefour de nombreux courants : africains, chanson française, jazz… Bref, ma musique n'a pas de frontière. Est-ce le rap qui vous a poussé à écrire ? Oui et non. J'ai débuté en composant des poèmes. Le rap n'est qu'une autre forme d'écriture. Il m'a surtout confronté à l'oralité, à vivre la musique en engageant son corps. Le rap est comme un sport : un milieu compétitif où l'on essaie de se dépasser, autorisant un renouvellement permanent. C'est une bonne école.

« Parler du monde, c'est d'abord savoir bien parler de soi » Vos morceaux se distinguent aussi par leur dimension narrative, n'est-ce pas ? Oui, en écrivant, je cherche à parler du monde en m'appuyant sur mon expérience. C'est un cheminement intérieur, quasiment une quête mystique. Au début, mon histoire – ce gamin débarquant seul en France à l'âge de 13 ans – n'intéressait pas grand-monde… En recevant le prix Goncourt des lycéens, je me suis dit : "ça y est, j'ai enfin réussi à trouver les mots". suite


# 30

© Bastien Burger

Et pourtant, ce n'est pas votre vie que vous racontez dans ce livre… Non, mais c'est par le biais de la fiction que l'on parvient à toucher les autres. J'évoque des sujets personnels sans me mettre en avant. C'est un jeu d'équilibriste, et tout l'intérêt du travail d'artiste. Parler du monde, c'est d'abord savoir bien parler de soi.

« Je considère la scène comme un ring de boxe »

Vous travaillez actuellement sur votre second album ? Oui, toujours avec Guillaume Poncelet. Il sortira cet automne. Il s'agit d'une recherche sur la langue, très musicale, mais ce ne sera pas un disque conceptuel. Dans mon dernier projet, l'EP Rythmes et botanique, j'ai esquissé un travail avec des teintes électroniques. Je poursuis dans cette direction, sans négliger la partie acoustique car je tiens au caractère organique de la musique. Quel est votre rapport à la scène ? Vos prestations sont souvent très théâtrales… Oui, mais ce n'est pas travaillé, je n'ai pas de chorégraphe. Pourtant, il m'importe de rendre chaque prestation unique. Je considère la scène comme un ring de boxe d'où il faut

sortir épuisé… Maintenant, on se débrouille comme on peut ! Je mesure 1,93 m, je suis mince… alors comment bouger tout cela ?! (rires) Quel répertoire interprétez-vous lors de cette nouvelle tournée ? Il y a des titres issus de l'EP Rythmes et botanique, de Pili Pili sur un croissant au beurre et des extraits du nouvel album. L'expérience m'a appris qu'une chanson se révèle sur scène. Je veux donc les tester en live, les adapter si nécessaire… Envisagez-vous un nouveau livre ? Oui, j'y travaille et celui-ci parlera de musique. Mais ce n'est pour l'instant pas ma priorité. J'accompagne encore Petit pays. Il poursuit son chemin à l'étranger et une adaptation au cinéma est en cours. Il s'agit d'une production française, le tournage devrait débuter en fin d'année au Rwanda, mais je ne peux pas en dire plus… Tourcoing, 19.04, Théâtre de l'Idéal, 20 h, Complet ! Beauvais, 20.04, L'Ouvre-Boîte, 20 h 30, 18 > 13 €, asca-asso.com Bruxelles, 03.05, Botanique (Les Nuits Botanique, voir page 46), 19 h 30, Complet ! Aulnoye-Aymeries, 27.07, centre-ville (Les Nuits Secrètes), 40 / 33 €, lesnuitssecretes.com à écouter / Rythmes et botanique Pili Pili sur un croissant au beurre à lire / Petit pays (Grasset), 224 p., 18 € à visiter / www.gaelfaye.com



© Sacha Teboul

# 32 musique


Feu! Chatterton

En verve et contre tous Entre la tournée européenne d’Indochine et la reformation de Téléphone, 2015 fut une sale année pour le "rock" français. Au cœur de ce marasme sonore, la sortie du premier disque de Feu! Chatterton, Ici le jour (a tout enseveli), réconfortait les mélomanes plus avertis. à l’heure du "toujours-difficile-second-album", la magie opère-t-elle encore ? Ne tournons pas autour du pot : ce deuxième essai confirme tout le bien qu’on pensait du quintette parisien. L’Oiseleur (c'est son petit nom) soigne son plumage par des envolées synthétiques ou rap, sans rien sacrifier de ce ramage érudit qui fit la réputation de nos rockeurs lettrés. Arthur Teboul, chanteur au look de dandy, n’hésite d’ailleurs pas à caser des vers d’Apollinaire dans ses textes. Un excès de préciosité ? Parfois, peut-être. Mais cette exigence reste salutaire à l’heure où certains hérétiques de la presse musicale voient des poètes partout – jusqu’à comparer Booba à Jean Genet ! Romantisme sauvage Apparue dans les années 2010 en même temps qu’une flopée de groupes excitants (La Femme, Grand Blanc...) cette bande de potes formée au lycée connut d’emblée un fulgurant succès, matérialisé par une première tournée homérique de 250 dates ! Le choix du blase (renvoyant au poète Chatterton, qui avala de l’arsenic plutôt que de mourir affamé) et le spoken word éraillé convoquaient des références écrasantes : Bashung, Gainsbourg… Certes. Mais Feu! Chatterton ne laisse aucune place au doute sur scène. L'énergie sauvage, entre élans et ruptures, portée par la théâtralité de son leader moustachu, enivre chaque prestation. Julien Damien Lille, 05.04, L’Aéronef, 20 h, 26 > 19 €, aeronef.fr Bruxelles, 29.04, Botanique (Les Nuits Botanique, voir page 46), 19 h, Complet !, botanique.be


Chtt fstvl

Sleaford Mods © Roger Sargent

musique

BRDCST

De prime abord, le nom de ce festival sonne trop banal : va pour l'hommage-prétexte à Broadcast, mais cette manie de virer les voyelles dure depuis dix ans. Cette réserve émise, voici l'une des affiches les plus défricheuses depuis un bail. À rebours des événements qui programment grosso modo les 15 mêmes noms, celui-ci sort réellement des sentiers battus. La preuve en une (trop) brève sélection. Thibaut Allemand

# 34

Sleaford Mods Revanche des vieux, dégoût, colère… Deux prolos britons revenus de tout balancent leur verve rageuse dans un hip-hop fait de bric et de broc. Une formule parfaite dupliquée à l'envi sur une dizaine d'albums. On n'a pas encore compris comment ces deux-là ont pu être encensés partout. Eux non plus, sans doute, mais ces quadras profitent

de ce quart d'heure de gloire pour inviter ici Steve Ignorant (des légendaires Crass, souvent cités, jamais écoutés), le petit génie lo-fi Mark Wynn ou encore les synth-punks énervées de Nachthexen, tout droit venues de Sheffield. Ils auraient tort de se priver – et nous aussi. Bruxelles, 07.04, Ancienne Belgique (salle Complex), 18 h, 21 €


James Holden & The Animal Spirit

Bruxelles, 06.04, Ancienne Belgique (AB Box), 19 h, 20 / 19 €

Animal. Spirit. Étymologiquement, ces deux mots ont la même source, Anima, qui signifie "âme". C'était notre ligne Alain Rey. Ce groupe accompagne Holden depuis quelques mois et la création d'un album fricotant avec le folk ancestral, le free jazz, les synthés et la transe – mais pas la trance, on se rassure ! Jamais là où on l'attend, le Britannique surprend une nouvelle fois en s'éloignant de l'electronica pour proposer une musique qui ne ressemble qu'à lui – et à ses multiples facettes ! © A. Gerace

Textes politiques pas toujours déchiffrables, attitude intransigeante envers les medias dominants et musique globalement très, très sombre. Ben non, on ne rigole pas toujours chez les "jeunes pères", ayant accouché d'un trio d'albums dans lesquels il fait bon se perdre. Rythmes roboratifs bousculant du gospel morbide, résidus de blues et de country, rap claudiquant, ces chansons valent le détour. Et sur scène ? En deux mots : Yes, papa !

Bruxelles, 08.04, Ancienne Belgique (AB Salle), 17 h, 22/21 €

The Music of Stranger Things / Kyle Dixon & Michael Stein

© Jackie Lee Young

© DR

Young Fathers

Jolie surprise de 2016, la série Stranger Things s'amusait à passer en revue les eighties adolescentes (de Poltergeist à E.T. en passant par les Goonies). La deuxième saison fut, hum, un chouïa moins bien. Pas grave : ici, nous n'en aurons que la BO, jouée par ses auteurs. Le tandem rétromaniaque recycle et paie son tribut à Jarre, Carpenter, Vangelis ou Moroder. Aucune surprise en vue, certes, mais le goût délicieusement mélancolique d'un passé regretté – donc fantasmé. La nostalgie, quoi ! Bruxelles, 05.04, Ancienne Belgique, 20 h, 21/20 €

Bruxelles, 04 > 08.04, Ancienne Belgique (+ Bonnefooi et The Music Village), pass : 58 €, 1 concert : 24 > 15 € / gratuit, www.abconcerts.be Sélection : Le Mystère des voix bulgares feat. Lisa Gerrard, Vels Trio Plays Madlib's Shades of Blue... (04.04) // The music of Stranger Things by Kyle Dixon & Michael Stein,

The Velvet Underground : A celebration of the 50th anniversery of White Light / White Heat W... (05.04) // Young Fathers + Faka + Chino Amobi, Carla dal Forno... (06.04) // Bunch of Kunst : a film about Sleaford Mods, Sleaford Mods + Steve Ignorant + Nachthexen + Mark Wynn... (07.04) // James Holden & the Animal Spirits + Ammar 808 & The Maghreb Unit... (08.04)


musique © Chris Rhodes

Alex Cameron

Le repêché

# 36

Après une longue errance en trio puis en solo, cet Australien séduit enfin la sphère indé avec sa pop synthétique de crooner délavé. Alex Cameron est donc un rescapé de la lose, chacun de ses concerts est une revanche. De son épopée au festival texan South by Southwest, où il espérait taper dans l'œil de la profession, Alex Cameron a tiré un film, visible sur Internet. On y voit les errements du musicien en quête de reconnaissance : celui qui joue beaucoup mais devant peu de monde. C’était en 2014, autant dire il y a une vie. Cameron vient alors d’autoproduire Jumping The Shark, son premier album s’ouvrant d’un prémonitoire Happy Ending. Quatre ans plus tard, il est signé sur l’un des plus importants labels indépendants des étatsUnis et sa tournée se prolonge inexorablement entre l’Amérique, l’Europe et l’Océanie. C’est à Paris que s’est joué le succès d’Alex Cameron, à l'occasion d’un concert donné lors du festival Pitchfork auquel assistait Jonathan Rado de Foxygen. La machine à hype avait trouvé de quoi turbiner. Sur les déferlements du saxophone de son partenaire Roy Molloy, le grand Alex se dandine lascivement tel un maquereau de seconde division, marcel solidement arrimé à un jean taille haute. Il suscite les commentaires et remet ainsi une pièce dans le jukebox des nostalgiques des eighties. Forced Witness, son second disque (2017), traverse Bruges, 07.04, Concertgebouw (festival More Music !), 18 h 30, 18 / 15 €, les mêmes eaux, le style demeure concertgebouw.be, www.moremusicfestival.be élégant et ses chansons sonnent Roubaix, 09.04, La Cave aux Poètes, 19 h, comme des tubes. Mathieu Dauchy 14 > 8 €, caveauxpoetes.com



# 38

Ce baryton de 24 ans a longuement mûri son art avant de servir un premier album. Dear Annie, disponible depuis le mois de février, succède ainsi à deux EPs et à une mixtape parue en 2017, soit une (dense) collection de titres ! Le jeune rappeur de Dublin y révèle un flow d'une aisance étourdissante. à rebours du game, il conspue les confrères qui abaissent la gent féminine à coups de "bitch" à tout va... Et sort largement du cadre musical habituel. Alexander Anyaegbunam, de son vrai nom, est en effet aguerri aux standards du jazz (l’une de ses photos de presse rappelle la pochette de Blue Train de John Coltrane). Parallèlement à cette note bleue, on perçoit les brumes du cloud rap ou un ressac R'n'B. Une richesse de tonalités savamment entretenue par les beatmakers de Kendrick Lamar et Chance the Rapper ou encore notre chouchou Kaytranada qui produit sans doute le tube du disque (Egyptian Luvr). Brillant aux Trans Musicales de Rennes il y a deux ans, dans la catégorie rap d'Outre-Manche, c’est au tour de Rejjie Snow d’occuper le devant de la scène. Mathieu Dauchy Bruxelles, 07.04, Botanique, 19 h 30, Complet !, botanique.be

© Alexandra Gavillet

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Rejjie Snow



© Jaclyn Campanaro

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Alela Diane Franchement, on n'attendait plus grand-chose d'Alela Diane. Si le timbre habité de la native de Nevada City (Californie) nous avait séduits le temps d'un Pirate's Gospel (2004), sommet folk qu'on réécoute encore volontiers, on suivait de loin les aventures de la dame – laissant filer une grosse poignée d'albums, tout de même. Porté par le single Émigré, le récent Cusp fut le disque de retrouvailles aussi heureuses qu'imprévues. On se réjouit donc d'avoir changé d'avis et de voir l'Américaine sur les planches, accompagnée d'un orchestre discret (basse, batterie, quelques cuivres et cordes), pour un nouveau sommet d'Americana intimiste. T.A. Gand, 13.04, Vooruit, 20 h, 19,75 €, www.vooruit.be Tourcoing, 24.04, Théâtre de l'idéal, 20 h, 20 > 5 €, www.legrandmix.com

# 40

© Vincent Delerm

Dominique A Le Nantais a sorti un nouvel album : succès public et critique, louanges… La routine. Que faire ? Pour Dominique A, remettre son titre en jeu chaque soir semble être devenu une bonne option. Si vous n'avez jamais vu l'animal sur scène, attendezvous à un choc. Derrière la voix, douce et féminine, se dévoile un bloc mastoc. Un monolithe musclé. Un concert de ce doux colosse, c'est un condensé de violence rentrée dont on ne sort pas indemne. T.A. Lille, 12.04, L'Aéronef, 20 h, 26 > 19 €, www.aeronef.fr Bruxelles, 13.04, Ancienne Belgique, 20 h, 31 / 30 €, www.abconcerts.be



L’amour dure quatre albums

# 42

Des funérailles sont-elles le meilleur endroit pour entamer une idylle ? Celle qui lie le groupe canadien Arcade Fire à ses fans et à l’ample caste du "rock indé" depuis le monumental Funeral, en 2004, connaît actuellement des soubresauts inquiétants. Lavons le linge sale en famille. Fin 2013, Arcade Fire dévoile son quatrième album Reflektor, qui s’ouvre par un hymne pop comme Win Butler et Régine Chassagne en ont le secret. Le roi David Bowie adoube ses héritiers en prêtant sa voix à ce titre inaugural pour l’une de ses ultimes collaborations. Ce disque, produit par James Murphy, collectionne les louanges et la tournée est triomphale. Elle s’achève en août 2014 sur les terres du groupe, à Montréal. Everything Now, sorti en juillet dernier, aura une destinée bien différente... Son pot-pourri discofunk-pop très sophistiqué a largement décontenancé les fans et les critiques. Le très influent site musical Stereogum a dressé le même constat : celui d’une belle et folle course accidentée par la mégalomanie. Dans son article intitulé "Vous vous souvenez, quand Arcade Fire était un bon groupe ?", Chris DeVille estime que, malgré tout, ce genre de groupes installés peut se permettre un écart. Pas sûr... Les étapes nord-américaines de la tournée ont en effet pâti de ce faux pas : les "arenas" de 15 000 places nécessaires au déploiement de la scène centrale voulue par les artistes furent souvent à moitié vides. Avant d’acheter votre place pour le Sportpaleis d’Anvers, assurez-vous qu’il n’y a pas une offre Anvers, 19.04, Sportpaleis, 18 h 30, 54 > 41 €, www.sportpaleis.be "Groupon"… Mathieu Dauchy

© DR

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Arcade Fire



© Sacha Lecca

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Insecure Men

# 44

À rebours des frasques de Fat White Family ou du kraut-funk malade de Moonlandingz, Saul Adamczewski, membre des orchestres précités, se réinvente au sein d'Insecure Men, en compagnie de Ben RomansHopcraft (Childhood). Cousines de celles de Denim, ces chansons jouent avec les genres et se nourrissent de synthés, de clavecin, de mélodies a priori inoffensives. Une certaine idée de l'exotica et de la pop, disons "grand public". Encore faut-il être prêt à écouter des morceaux sur les destinées tragiques de Whitney Houston et sa fille ou sur les affaires de mœurs bien glauques de Gary Glitter. L'ensemble fut produit par Sean Lennon, qui a invité sa môman à chanter (façon de parler) pour l'occasion. Sur scène, pas moins de huit musiciens entourent Adamczewski. Chez lui, finalement, seule la forme a changé – le fond, lui, reste toujours aussi fascinant. Thibaut Allemand Bruxelles, 27.04, Botanique (festival Les Nuits Botanique, voir page 46), 19 h 30, 19 / 12 €, www.botanique.be



Côté jardin Ah, le Botanique. Ses verrières, sa luxuriante végétation, ses salles de concert toujours pleines... et son festival ! Cette édition s'annonce (un peu) particulière : Les "Nuits Bota" fêtent leurs 25 ans. Mais, dans le fond, le principe reste inchangé : durant plus d'un mois, les têtes d'affiche (Catherine Ringer, Eddy de Pretto) croisent des talents locaux en pleine bourre (Angèle, Baloji). Puisqu'il est impossible d'assister à ces 50 soirées, voici nos quatre chouchous – de Bruxelles, évidemment. Julien Damien

# 46

U.S. Girls Meghan Remy, alias U.S. Girls, n’a pas attendu l’affaire Weinstein et les prises de position (pas toujours sincères) en découlant pour se pencher sur la condition féminine. Voilà une décennie que la Chicagoane narre de sa voix aigüe et un peu cassée (pas sans rappeler Blondie) les névroses ou combats du sexe dit faible – des règles aux violences conjugales.

Depuis ses débuts noise et dark wave aux chansons plus glam-pop de son dernier album (In a Poem Unlimited), en passant par le groove sophistiqué de Half Free (2015), elle incarne l’image d’une femme forte et borderline. Sur scène, on peut donc s’attendre à tout, mais pas à n’importe quoi. Bruxelles, 01.05, Botanique (Rotonde), 20 h, 18 / 11 €

U.S. Girls © Colin Medley

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Les Nuits Botanique


N’en déplaise à la famille Smet, les histoires d’héritage musical ne finissent pas mal, en général. Pour preuve le dernier album de Charlotte Gainsbourg, aux accents très… gainsbouriens. Si la Franco-Britannique a toujours su s’entourer (de Air pour 5:55, Beck pour IRM et ici SebastiAN), elle signe cette fois tous les textes de Rest. Le résultat est une collection de popsongs élégantes (dont certaines très dancefloor-compatibles) s’inscrivant comme un contrepoint de Melody Nelson – oui, rien que ça. Bruxelles, 25.04, sous chapiteau, 19 h, Complet !

© Ilyes Griyeb

Chaton

Mélissa Laveaux © R.Staros Staropoli

© Collier Schorr

Charlotte Gainsbourg

Signée sur le label parisien No Format, cette Canadienne d’origine haïtienne est assez discrète : elle n'a sorti que trois disques depuis 2008. Ses prestations scéniques sont donc précieuses. Fan de Joni Mitchell ou d’Erykah Badu, la guitaristechanteuse bâtit son répertoire blues et folk en puisant dans le folklore de son pays natal. Entonnés en anglais ou en créole, ses morceaux mêlent reverb, énergie carnavalesque et vaudou. Ses concerts ? Des hymnes à l’insoumission ! Bruxelles, 26.04, Botanique (Grand salon de concert), 19 h 30, 23 > 16 €

Derrière ce nom improbable, promesse de douceur autant que pied de nez à une virilité devenue un peu vaine, on trouve un autodidacte au passé trouble. Avant de poser sa voix autotunée et ses textes désenchantés sur une electronica mélancolique, ce Parisien fut en effet compositeur pour… Yannick Noah ou Jenifer. Mais Chaton est bien retombé sur ses pattes. « Au bord de la faillite, je continue d’écrire des poésies », clame le chevelu dans le beau et bizarre Poésies – et on ne s’en plaindra pas. Bruxelles, 04.05, Botanique (Grand salon de concert), 19 h 30, 20 > 13 €

Bruxelles, 25.04 > 06.05, Botanique (+ Bozar), 1 concert : 33 > 11 €, combi-tickets : épuisés, daypass : 30 € (donne accès à tous les concerts du jour), botanique.be Sélection : Charlotte Gainsbourg + Jawhar (25.04) // Siboy + Lord Gasmique + Mélissa

Laveaux... (26.04) // Juliette Armanet + Voyou + Aurel + Insecure Men... (27.04) // Soom T, Fakear + Ivy Falls / BRNS + Catherine Ringer... (28.04) // Feu ! Chatterton + Calypso Valois... (29.04) // Baloji + Ayo + Bachar Mar-Khalifé / Angèle... (30.04) // Jungle, L’Impératrice + Pépite /

U.S. Girls... (01.05) // Polo & Pan + Bagarre + Veence Hanao & Le Motel... (02.05) // Gaël Faye... (03.05) // Mulatu Astatke, Metz + Chaton + Malik Djoudi... (04.05) // Eddy de Pretto + Electric Electric / Trixlie Whitley... (05 .05) // Little Simz + Juicy... (06.05)


Nosaj Thing

© DR

Découvert par Kid Cudi en 2006, ce Californien a depuis bossé avec Chance the Rapper ou Busdriver, tourné avec James Blake, signé quelques disques intrigants et… s'est fait braquer son studio en 2015. De quoi revenir aux fondamentaux : simplicité et spontanéité. Mission accomplie avec son dernier-né, Parallels, qui navigue entre l'ambient de Brian Eno et les rêveries ouatées de Durutti Column – ou comment faire rimer osmose et hypnose. T.A.

et aussi… Dim 01.04 Meute + Popof Lille, L'Aéronef, 21h, 22>14e

Lun 02.04 Soap Heads + Pawnshop Blvd + Ygor + L.ow A.nchored C.loud… Dixmude, 4AD, 15h, Gratuit Joan As Police Woman Bruxelles, Botanique, 20h, 25>19e

Mar 03.04 Lysistrata + The Guru Guru Bruxelles, Atelier 210, 20h, 13/10e Les Hurlements d'Léo Rouvroy, Salle des fêtes, 20h30, 15>9e

Mer 04.04

# 48

Scorpions Bruxelles, Forest National, 20h, 89>59e The Orielles Bruxelles, Botanique, 20h, 12>6e

Gand, 04.04, Vooruit, 19 h 30, 16,75 €, www.vooruit.be

Jeu 05.04 Barbarossa Louvain, Het Depot, 20h, Grat.

Vox Low + Radar Men from the Moon Bruxelles, Atelier 210, 20h30, 14/11e

CROWBAR + W.I.L.D. Dunkerque, Les 4 Ecluses, 20h30, 15/12e

Panda Bear Bruges, Concertgebouw, 22h, 26/23e

Electro Deluxe Noyelles-Godault, Espace Bernard Giraudeau, 20h30, 18>12e

Renart + Barjam Bril + DDDXIE + Numérobé… Roubaix, La Cave aux Poètes, 23h, 12>8e

Juliette Béthune, Théâtre, 20h30, 34/30e

Sam 07.04

Ven 06.04 Horace Andy + Marcus Gad Lille, L'Aéronef, 20h, 22>14e Noel Gallagher Bruxelles, Forest National, 20h, 44e Sarah McCoy Hazebrouck, Centre André Malraux, 20h, 15>5e

Gauvain Sers + Lisa Portelli Oignies, Le Métaphone, 20h30, 18>12e Jil Caplan Méricourt, Centre culturel de la gare, 20h30, 15>9e Laura Cahen Lomme, maison Folie Beaulieu, 20h30, 9/5e

Mar 10.04

Suuns Bruxelles, Botanique, 20h, 23>17e

Presque Oui fête ses 20 ans Sallaumines, Maison de l'art et la communication, 20h30, 10>5e

Altan Béthune, Théâtre, 20h30, 34/30e

Mer 11.04

Richard Galliano Amiens, Maison de la Culture, 20h30, 29>13e Tristesse Contemporaine +

Lily Allen Bruxelles, Botanique, 19h30, 34>28e COELY + BLU SAMU Anvers, De Roma, 20h, 22/20e


© DR


© Andrew Dunn

Marcus Miller

Amiens, 03.04, Mégacité, 20 h 30, 53 > 50 € // Lille, 16.04, Nouveau Siècle, 20 h, 60 > 40 € // Bruxelles, 17.04, AB Ancienne Belgique, 20 h, Complet !

Macklemore Bruxelles, Forest National, 20h, 50e

The Master Musicians of Jajouka Dixmude, 4AD, 20h, 17>13€

Ange + Malax Oignies, Le Métaphone, 20h30, 20>14e

Pierre Lapointe Bruxelles, La Madeleine, 20h, 31e

Gaz Coombes Bruxelles, Botanique, 20h, 19>13e

Mugwump Bruxelles, Beursschouwburg, 22h45, Gratuit

Sleaford Mods + Massicot Lille, L'Aéronef, 20h, 22>14e

Hollysiz Lille, L'Aéronef, 20h, 26>19e

dim 15.04

Juliette Roubaix, Le Colisée, 20h30, 32>10e

Bernard Lavilliers Lille, Le Zénith, 20h30, 58>39e

Dominique Dalcan Dunkerque, Les 4 écluses, 15h, Gratuit

Anaïs Villeneuve d'Ascq, La Ferme d'en Haut, 21h, 10/7e

Mar 17.04

Porches Amiens, La Lune des Pirates, 20h30, 12/7e

Jeu 12.04

Sam 14.04

J.C Satàn Roubaix, La Cave aux Poètes, 19h, 14>8e

Watter + Peter Kernel + Statue + The Black Heart Rebellion Dixmude, 4AD, 16h30, 17>13€

Dominique A + Powerdove Lille, L'Aéronef, 20h, 26>19e

Lana Del Rey Anvers, Sportpaleis, 18h30, 80>40e Porches Lille, L'Aéronef, 20h, 13>5e

Mer 18.04 Flying Horseman Lille, L'Antre-2, 20h, 10>2e

George Ezra Bruxelles, AB, 20h, 30/29e

CRISTINA BRANCO Anvers, De Roma, 20h, 26/24e

Kameliya Afshari Lille, L'Antre-2, 20h, 10>2e

Lénine Renaud Mons-en-Baroeul, Allende!, 20h, 12/8e

Jeu 19.04

Niska Lille, L'Aéronef, 20h, 26>19e

Her Bruxelles, Botanique, 20h, 21>15e

au vent mauvais (The Hyènes) Lomme, maison Folie Beaulieu, 20h30, 9/5e

Ven 13.04 # 50

Au début des années 1980, Marcus Miller entamait sa carrière avec le pape du jazz, Miles Davis. Voilà qui pose un homme. Et un style. On l'a ainsi souvent associé à la note bleue... Or, le répertoire de cet autodidacte est bien plus vaste. Maître incontesté du slap, ce bassiste et clarinettiste né à Brooklyn en 1959 a su dresser des ponts entre la soul, le funk, les musiques africaines ou caribéennes, le R'n'B... on en passe – il a même joué avec Bryan Ferry ou Claude Nougaro.

Amenra Charleroi, Eden, 20h, 23>17e

Arto Lindsay + Kohier Bruxelles, Les Ateliers Claus, 20h30, 16e

Ricard Live Lille, L’Aéronef, 19h, Gratuit

Airnadette Béthune, Théâtre, 20h30, 22/18€



© Solveig Robbe

Concrete Knives

Ven 20.04 Véronique Gens Lille, ONL, 12h30, 10>5€ MISSISSIPPI HEAT feat SAX GORDON + BONITA & THE BLUES SHACKS + THOM & THE TONE MASTERS Calais, La Halle, 19h, 1 jour: 12>7e / Pass 3 jours: 23e Cafe con Leche + Crêpe Brûlée Dixmude, 4AD, 20h, 12>8e The Summer Rebellion Armentières, Le Vivat, 20h, 8e/Gratuit (-26 ans) Lulu Gainsbourg + Nouveaux Climats Noyelles-lès-Seclin , Salle J.Caulier, 20h, 5€/Gratuit (-12 ans) DBFC + Black Bones Béthune, Le Poche, 20h30, 10/8e Frapadingos Lomme, maison Folie Beaulieu, 20h30, Gratuit

# 52

HK + La Goutte Oignies, Le Métaphone, 20h30, 18>12e

Sorti en 2012, le premier album de ces Caennais, Be Your Own King, s'était soldé par une tournée de 150 dates et une signature chez le label londonien Bella Union – ce n'est pas rien. Dans la foulée, leur titre Brand New Star accompagna une pub vantant les mérites de Vahiné. De quoi prendre la grosse tête ? Même pas. Six ans plus tard, le sextette normand étrenne un deuxième disque, Our Hearts, empli de mélodies pop entêtantes à la puissance dévastatrice, surtout sur scène – oui, c'est gonflé. Dunkerque, 28.04, Les 4 écluses, 20 h 30, 10 / 7 €, (+ goûter-concert : 16 h, 4 / 2 €), www.4ecluses.com en famille

NITS Bruxelles, Ancienne Belgique, 20h, 34/33e DBFC + BLACK BONES Dunkerque, Les 4 Ecluses, 20h30, 12/9e Zic Zazou Lomme, maison Folie Beaulieu, 20h30, 9/5e The Toxic Avenger + Anoraak Lille, L'Aéronef, 21h, 13>5e

Dim 22.04 THE JAMES HUNTER SIX + NIGEL FEIST & FRIENDS Calais, La Halle, 17h, 1 jour: 12>7e / Pass 3 jours: 23e

Ven 27.04 DEE DEE BRIDGEWATER Anvers, De Roma, 20h, 31/29e La vague : Bon voyage organisation + Paillette tempête Lille, Le Splendid, 20h, 17,80e Magyd Cherfi Liège, Reflektor, 20h, 16e A Place To Bury Strangers Amiens, La Lune des Pirates, 20h30, 13/8e Psykokondriac Lille, maison Folie Wazemmes, 21h, 5,50>2e

Mer 25.04

Sam 28.04

Cascadeur Tourcoing, Théâtre L'Idéal, 20h, 20>5e

Horace Andy Louvain, Het Depot, 20h, 25/22e

Satanic Surfers + The Rebel Assholes + Bare Teeth Dunkerque, Les 4 Ecluses, 20h30, 15/12e

Natalie Dessay Bruxelles, La Monnaie, 20h, 48>10e

Jeu 26.04

Sam 21.04

Hannah Williams Roubaix, La Cave aux Poètes, 19h, 14>10e

LEE "SCRATCH" PERRY Hasselt, Muziekodroom, 20h, 26>21e

WARHAUS Leffinge, De Zwerver, 20h30, 25>20e

Mer 02.05 Forever Pavot + Catastrophe Amiens, La Lune des Pirates, 20h30, 12/7e

Jeu 03.05 Tony Allen Liège, Reflektor, 20h, 20e



disques EELS

The Deconstruction (E Works / PIAS) Quatre ans sans nouvelles de Mark Oliver Everett. Soit une éternité pour Eels. Le songwriter – l’un des plus grands des vingt dernières années s’il fallait le rappeler – nous avait laissés avec ses Cautionary Tales sur une note intime et douloureuse. D’emblée, cette Deconstruction se montre nettement plus expansive (façon Wonderful, Glorious) au risque de la dispersion (façon Shootenanny !). Ce versatile opus ressemble en effet à un best-of de la formation. Comme un voyage à travers ses différentes périodes, se superposant parfois les unes aux autres. Les nostalgiques des collages savants des années 1990 vont rayonner de bonheur en découvrant des tubes comme le morceau-titre ou l’obsédant Rusty Pipes. Les amoureux du versant vitaliste de Hombre Lobo (toutes guitares dehors) et Tomorrow Morning (plus en douceur) se rueront sur Today is the Day ou Sweet Scorched Earth. Les amateurs des marottes et des atmosphères bricolées de "E" ne seront pas non plus en reste. Aimant la vie et conchiant le monde plus que jamais, Everett démontre la pleine maîtrise de ses talents. Il les déploie sur ce nouvel album dont chaque écoute confirme l’excellence. Rémi Boiteux

Unknown Mortal Orchestra

# 54

Sex & Food

(Jagjaguwar / Secretly Canadian)

Les "hippies" d’Unknown Mortal Orchestra poursuivent leur quête d’un monde plus rose où les hommes et les femmes feraient l’amour en écoutant des guitares fuzz. Le Multi-Love du précédent LP s’est mué sur ce Sex & Food en un Internet of Love (jolie ballade soul). Pour autant, la literie reste la même : ambiances psyché, claviers drogués et un Ruban Nielson chantant à se déformer la voix, jusqu’à évoquer Michael Jackson sur l’obsédant Not in Love We’re Just High. Les Américanos-Néo-Zélandais savent aussi quitter la torpeur moite et enfumée : American Guilt et Major League Chemicals forment ainsi des contractions au milieu de ce quatrième album paisible. Une œuvre qui rappelle celle d’un autre Kiwi baba cool, Connan Mockasin. Mathieu Dauchy


THOUSAND

Suuns

Le Tunnel Végétal

(Pias / Secretly Canadian)

(Talitres) à l’image de l’addictif Nombre de la Bête, ce Tunnel Végétal renferme les plus vénéneuses fleurs de la pop francophone entendues depuis les meilleures chansons de Fishbach. Attention : Stéphane Milochevitch, l’homme derrière Thousand, n’appartient à aucune famille connue. Certes, il fraternise avec Grand Blanc (Long Song for Zelda, relecture cold-wave d’un morceau de Dashiell Hedayat) et tutoie les hauteurs de Bashung (La Relève, sublime). Mais son disquemonde constitué de souvenirs d’enfance, de mythologie immémoriale et de fétiches contemporains ne ressemble qu’à lui. Il trouve un écho au plus profond de nous-mêmes, faisant de cet album magnifique un troublant voyage intérieur – et de cette rêverie pop, une réussite totale. Rémi Boiteux

Felt

Le quatrième album de Suuns s’ouvre sur une ambiance paroissiale avec cloches de fin de messe. On rejoint alors les Montréalais comme des fidèles à l’église. Très rapidement, Ben Shemie nous accueille avec un prêche asthénique... Dans l’instrumentation minimale de Suuns, la guitare n’est qu’un effet parmi les boucles synthétiques. Au bout de deux titres, le clocher semble loin. La voix est triturée sur le single Watch You, Watch Me comme dans un remix de Kraftwerk, avant de nous entraîner dans sa chute : entre indus lancinante (After The Fall) et tourbillon bruitiste (Moonbeams). Avec Felt, Suuns délaisse le stroboscope hallucinogène de Zeroes QC, fascinant album de 2010, pour emprunter des voies, hélas, souvent impénétrables. Mathieu Dauchy

BARBAGALLO

Danse dans les ailleurs (Almost Musique / Sony) Deux ans après un Grand Chien qu'on sort encore très souvent, Julien Barbagallo file pour une nouvelle Échappée belle. Il s’avance en héritier d'Yves Simon, de Nino Ferrer ou de Polnareff pour la France, de Belle & Sebastian ou de Kings of Convenience pour le vaste monde – d'ailleurs, les deux Norvégiens viennent pousser la chansonnette sur une Offrande qui ne se refuse pas. Batteur de luxe (Aquaserge, Tame Impala), Barbagallo déroule des mélodies libérées de toute ankylose, portées par une voix aérienne, des mots jamais superficiels (parfois politiques et volontiers cryptiques) et une mise en son parfaite – si loin, si proche. Cet artisan perfectionniste est sans doute l'un des plus grands songwriters de l'époque. Faisons passer le mot, ici et ailleurs. Thibaut Allemand


livres Nicolas Santolaria Le Syndrome de la chouquette (Anamosa) S’enfiler des Monster Munch pour célébrer un départ à la retraite est une expérience routinière au sein de la vie de bureau. De ce type d’habitude quelque peu triviale, Nicolas Santolaria épingle le cocasse et l’absurde par une approche anthropologique délicieusement drôle du monde tertiaire. On y explore des open spaces redéfinis en "biotopes" peuplés de chiefs en tout genre à la recherche d’une énigmatique disruption. Ici, le parcours mental d’un procrastinateur est rendu public, là, l’effet olfactif d’un Tupperware® de brandade de morue est analysé... Ce recueil de chroniques initialement publiées dans Le Monde sous le titre Bureau-Tics dévoile avec pertinence la commedia dell’arte jouée chaque jour devant la machine à café. La COGIP du Message à caractère informatif n’est pas très loin... Comment faire semblant de travailler ? De quel courant pictural s’inspirent les dessins griffonnés sur les carnets à spirales lors des réunions ? En quoi la chouquette est-elle une pratique managériale ? Des questions plus sérieuses qu’il n’y paraît, dont ce livre rose bonbon et illustré répond avec force détails. À lire avec gourmandise donc. 240 p., 14,90 €. Julien Bourbiaux

Timothée Gérardin

# 56

Christopher Nolan, la possibilité d’un monde (Playlist Society) Expert en labyrinthes (Memento, Inception…), auteur d’une trilogie de Batman à la relecture très politique, et récemment acclamé pour son Dunkerque, Christopher Nolan semble intouchable. Pourtant, le Britannique a démarré tout jeune et modestement, armé d’une petite caméra avec film en noir et blanc. Voilà, entre autres, ce que nous raconte Timothée Gérardin dans ce livre court, mais dense, consacré à l’un des réalisateurs-phares des 20 dernières années. Fouillé, extrêmement documenté, cet essai propose de revoir Nolan à la lumière de quelques thèmes (politiques, techniques…) et de nombreuses obsessions (pour les objets, l’amnésie, la frontière entre rêve et réalité…). La possibilité de films-mondes, tout simplement. 128 p., 14 €. Thibaut Allemand


Ovidie

KRIS & MAËL

Notre Amérique, T2

à un clic du pire

(Futuropolis)

(Anne Carrière) Sous-titré « la protection des mineurs à l’épreuve d’Internet », cet essai bien documenté dresse un constat alarmant de la pornographie contemporaine. Libérés avec la révolution numérique, ces contenus de plus en plus violents sont aujourd’hui diffusés par des sociétés offshores douteuses, gratuitement, massivement et sans aucun contrôle. Couplée à une inertie politique inquiétante et à une absence de programme d’éducation sexuelle digne de ce nom, cette hyper-accessibilité aurait des conséquences délétères sur les pratiques et l’imaginaire des jeunes générations, selon Ovidie. « Depuis la démocratisation du smartphone, l’âge moyen de la découverte du porno est descendu à 9 ans », prévient ainsi l’ex-hardeuse, dans un livre d’utilité publique. 124 p., 16 €. Julien Damien

Très attendu, ce deuxième tome de la nouvelle série des auteurs de Notre mère la guerre tient toutes ses promesses. Nous voici plongés en pleine révolution mexicaine en compagnie des Français Julien Varin (vainqueur de la Grande Guerre) et Max Brunner (vaincu), dont les passés respectifs deviennent lourds à porter… (cf LM 123). Ce volume voit le trait doux et précis de Maël se frotter à des scènes très cinématographiques – flingues dans tous les coins, gueules pas possibles, aventure et amour… Le tandem glisse également un clin d’œil à Berick Traven, alias Torsvan, écrivain libertaire allemand et révolutionnaire mort au Mexique. Une autre façon de mêler fiction et réel, petite et grande histoire avec le talent que l’on sait. Vivement la suite ! 64 p., 16 €. Thibaut Allemand

Clément Belin et Costès Fortune de mer (Futuropolis) La Bourdon (et non pas "le") est un remorqueur d’assistance et de sauvetage en haute mer qui assure la sécurité du rail d’Ouessant. Lieutenants de marine, Belin et Costès racontent "de l’intérieur" la vie à bord de ce célèbre navire. Derrière la Bourdon, on reconnaît L’Abeille, basée à Brest et objet d’un livre signé Hervé Hamon en 1999. Le trait rond et fluide de Belin, situé entre Delisle et Margerin, ne rivalise pas avec les fresques d’Emmanuel Lepage. Hélas ? Même pas : ce dessin sans artifice est à l’image de l’histoire de Jonathan, jeune lieutenant marseillais débarquant sur ce bateau. Ce docu-fiction nous donne à comprendre la vie intense et étrange de ces héros anonymes qui s’illustrent sur un rafiot légendaire. 120 p., 20 €. Thibaut Allemand


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Séries Mania De la suite dans les idées

# 58

C'est LE rendez-vous de tout sériephile qui se respecte. Après huit saisons, Séries Mania quitte donc Paris pour Lille. Au programme ? Des œuvres inédites produites aux quatre coins du globe, une compétition officielle, des invités prestigieux et moult événements transformant le spectateur en acteur de ses feuilletons préférés. Laurence Herszberg, la "showrunner" du festival, dévoile les ficelles de l'intrigue – sans rien spoiler.


The Americans 2 © FX


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es ingrédients d'une bonne série ? Un scénario imprévisible, des héros sublimant leurs dissensions et des décors finement choisis. à bien y regarder, la recette s'applique aussi à cet événement. En 2015, lorsque que le ministère de la Culture décide de créer en France « un festival de séries de dimension internationale », peu imaginait que Lille damerait le pion à Paris ou Cannes. Mais la maire de la capitale des Flandres, Martine Aubry, et Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, ont su oublier leurs étiquettes pour défendre le projet. « Très sincèrement, à l'époque je représentais la candi-

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dature de Paris, mais Lille a gagné grâce à son enthousiasme et cette volonté politique », confie Laurence Herszberg, la directrice. Niché depuis 2009 au Forum des Images, le rendez-vous quitte donc "la ville lumière" pour s'implanter au cœur de l'Europe, et rayonner à l'échelle de toute une métropole.

« C'est un festival protéiforme, le premier du genre en Europe » écran total Mais cette ouverture n'est pas seulement géographique. Certes, il


s'agit de découvrir (gratuitement) une centaine de séries inédites, diffusées (ou pas d'ailleurs) sur nos petits écrans dans plusieurs mois – dont, pour la première fois, des productions russes et japonaises. « Mais c'est surtout un festival protéiforme, le premier du genre en Europe. à l'image de South by Southwest, à Austin au Texas, notre ambition est de mêler tous les arts ». Le Tripostal, transformé en "village du festival", accueille trois expositions. Citons l'accrochage dédié aux affiches de la chaîne FX. Ou quand « les outils marketing deviennent de véritables œuvres

d'art, de Fargo à The Americans ». Envie de frissonner ? Participez donc à cet escape game (un jeu grandeur nature) nous téléportant dans The Walking Dead. « Au sein d'un décor reconstitué, vous devez dénicher un antidote à la menace zombie… ». Envie de vous immerger plus encore ? Direction l'espace dédié à la réalité virtuelle. Munis de masques, nous nous glissons dans la peau des héros de Stranger Things ou du Bureau des légendes. « Je crois beaucoup en cette nouvelle technologie, certes encore limitée, mais qui va se développer ces prochaines années », assure Laurence Herszberg. suite

Return to Twin Peaks © Blake Morrow


Animation © Gilles Coulon, Tendance Floue

Les âmes plus sensibles préféreront sans doute s'asseoir bien tranquillement dans le véritable trône de fer de Game of Thrones, à Euralille ! Mange ta série ! La musique n'est pas en reste. Tandis que les graffeurs du collectif Renart décorent la ville aux couleurs de leurs feuilletons préférés, le Bistrot de Saint-So accueille une soirée DJ set dans le ton de The Get Down. Histoire de se requinquer, le collectif

Mange, Lille ! réunit un casting de chefs étoilés à la Gare Saint-Sauveur pour mitonner des recettes inspirées… de Game of Thrones. Mais ne comptez pas tailler le bout de gras avec Kit Harington ou Emilia Clarke, « ils sont tous retenus sur le tournage de la 8e saison ». à l'heure où nous mettions sous presse, la liste des invités n'était d'ailleurs pas encore arrêtée. Mais vous connaissez la formule : la suite, au prochain épisode… Julien Damien

# 62

Lille, 27.04 > 05.05, Tripostal, Nouveau Siècle, Gare Saint-Sauveur, Flow, Euralille, Majestic, L'Hybride, UGC, Cinéma L'Univers, Musée d'Histoire Naturelle, Palais des beaux-arts & divers lieux en ville et en métropole (+ Louvre-Lens), gratuit, seriesmania.com Sélection : Le bal du festival, Tripostal (27.04) // Grand troc culturel, Gare Saint-Sauveur (01.05) // Mange ta série, Gare Saint-Sauveur + Le Parcours secret Séries Mania, lieu tenu secret + Petit Malabar, Musée d'Histoire Naturelle (02.05) // Soirée The Get Down, Bistrot de Saint-So + Table ronde : l'impact du hip-hop sur les séries, Flow…(04.05) // Soirée de clôture, Nouveau Siècle (05.05) // Expositions FX + Return to Twin Peaks + Fangirl Quest, Tripostal + Le Trône de Fer débarque à Euralille (27.04 > 05.05) // Open Museum # 5 Séries TV, Palais des beaux-arts de Lille (14.04 > 16.07)



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Interview

Marjolaine Boutet

# 64

© Éric Fougere / Vip Images

La loi des séries

Propos recueillis par Julien Damien

Les séries, c’est sérieux. Spécialiste du sujet, Marjolaine Boutet en a même fait un objet d’étude, observant la société par le prisme de ces fictions. Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Picardie Jules Verne, à Amiens, elle est l’auteure de Les Séries télé pour les nuls, d'un essai sur Cold Case et d’un beau livre sur Un Village français. Entretien avec une sériephile pas comme les autres.

Quelles sont les origines de la série ? Elles sont très anciennes. Les troubadours ne racontaient pas la légende du roi Arthur en une soirée, idem pour Homère et L’Iliade… Mais l’écriture sérielle en tant que telle fut inventée par la littérature populaire du xixe siècle. Alexandre Dumas ou Charles Dickens produisaient des feuilletons, à un moment où le livre devint une culture de masse. Pour vendre du papier, on racontait aux gens des histoires par petits bouts, créant cette fameuse addiction.

Comment apparaissent-elles à la télévision ? Ce n’est pas la télévision qui s’en empare d’abord mais la radio puis… le cinéma, avec les "sérials". Dans les années 1920 et 30, avant le film principal on diffusait des petits récits de cow-boys, de super-héros… Puis, lorsque la télévision américaine se développe après la Seconde Guerre mondiale, elle pose ses caméras dans des studios d’enregistrement radio où le genre remportait déjà un franc succès. suite


Fangirl Quest - The Walking Dead © DR / Serie Mania

séries est volontiers des u » « Le conten avec le réel prise en , politique

Dallas © Lorimar / Le Bureau des légendes © The Oligarchs Productions, Federation Entertainement, Xavier Lahache, Canal+ / Les Soprano © Time Warner / Un Village français © Tétra Média


Quelles différences entre le soap, le feuilleton et la série ? Stricto sensu, une série est une fiction à épisodes racontant chacun une histoire indépendante, tel Columbo. Un feuilleton, c’est un récit global à suivre (24h Chrono, par exemple) : si vous ratez un épisode, vous ne comprenez plus et cela démarre toujours par « previously on ». Le soap, c’est un feuilleton diffusé en journée et destiné à la ménagère. Il est fondé sur les émotions (amour, haine, vengeance…). Mais ces différences s’effacent à partir du début des années 1980, notamment avec Dallas qui injecte les codes du soap en prime time.

# 66

« Le dernier iPhone ou la nouvelle série Netflix respectent le même principe » Est-ce un moment charnière ? Oui, et même révolutionnaire car c’est la première fois qu’on suit un feuilleton toutes les semaines avec des cliffanghers de malade ! Notamment lors de la saison 2, quand JR se fait tirer dessus. Les spectateurs doivent patienter quatre mois avant de connaître l’identité du coupable… L’Amérique devient folle ! On voit fleurir des tee-shirts ou des casquettes portant l’inscription « J’ai tiré sur JR ».

Depuis, comment cela a-t-il évolué ? à partir des années 1980 l'écriture est devenue plus complexe. Aux USA, elle est exécutée par et pour des babyboomers, des gens ayant grandi avec la télé, connaissant bien ses codes et adorant être surpris. Cette tendance est toujours à l'ordre du jour, quel que soit le thème, des Soprano jusqu'à Orange Is the New Black. Quels sont les avantages de ce format par rapport au cinéma ? Leur contenu est souvent plus politique, en prise avec le réel. Leur discours est plus sombre. Les séries offrent aussi une plus grande variété de personnages. Quels sont les ingrédients d’une série à succès ? L’équilibre entre la répétition et la variation. C’est une stratégie de marque, typique dans une société d’abondance. Le dernier iPhone ou la dernière série Netflix respectent le même principe. On rassure le client avec un produit connu (des personnages et décors familiers) tout en suscitant le désir par la promesse d'une nouveauté. Quelles sont leurs limites ? Dans ce marché saturé, répéter toujours les mêmes formules épuise le format. Les deux grandes séries


« Répéter les mêmes formules dans ce marché saturé épuise le format » parvenant encore à maîtriser le buzz de façon magistrale sont Game of Thrones et The Walking Dead, même si cette dernière est sur le déclin. Qu'en est-il de la créativité ? Avec cette surabondance les séries sont confrontées au même problème que le cinéma auparavant. La créativité passe aujourd’hui par les webséries. Réaliser un film numérique pour le Net coûte de moins en moins cher. Des choses très intéressantes émergent alors en dehors de la télé. Je pense à la création norvégienne Skam qui s’adresse aux ados via Instagram ou Snapchat. Pourquoi les Américains sont-ils les plus doués ? Ce n'est pas le cas, on produit d'excellentes séries partout dans le monde, comme le prouve Séries Mania. Simplement, ils en tournent depuis plus longtemps et de façon industrielle, avec une vraie culture de la transmission des savoir-faire. Mais les Anglais, les Scandinaves et les Français créent aussi de très belles choses. à l’étranger on adore Engrenages, Le Bureau des légendes, Les Revenants,… Un Village français a même conquis les Coréens !

Engrenages © Canal + / Orange Is the New Black © Netflix / Skam © NRK / Les Revenants © Canal +

à lire / Les Séries télé pour les nuls (First, 2009) Cold Case : la mélodie du passé (PUF, 2013) Un Village français. Une histoire de l’occupation (éditions de La Martinière, 2017), 224 p., 29 €


# 68

© Shellac

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L'Héroïque lande (la frontière brûle)

made in calais Détruite fin 2016 sur ordre de François Hollande et de son ministre Bernard Cazeneuve, la "Jungle" de Calais reste le symbole de l'incurie européenne et de l'inhospitalité française. Pourtant, loin de n'être qu'une zone de relégation, elle fut aussi un lieu de vie et d'invention. Tourné entre janvier 2016 et février 2017, L'Héroïque lande s'offre d'abord comme le recueil attentif de paroles, d'images et de gestes permettant de retracer la violence de l'exil. En cela, le film de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval rejoint une série déjà longue de documentaires consacrés aux migrations – que l'on pense à l'œuvre de Sylvain George ou à La Mécanique des flux, de Nathalie Loubeyre (2016). Les faits ont beau être connus, les témoignages n'en sont pas moins accablants. Tortures et meurtres en Libye, disparitions en Méditerranée, harcèlement policier en France... nombre de réfugiés affrontent tous les périls. Mais la force du film est aussi de saisir des lueurs d'avenir. Hors du réel Monde de boue et d'aluminium, de plastique et de feu, la "Jungle" n'a jamais eu autant l'air d'un territoire fantastique qu'à travers le regard de Klotz et Perceval. Contre le dispositif sécuritaire qui l'enserre, il a su ménager un espace de "vie furtive". Pour les cinéastes, la lande réveille ainsi le souvenir de ces forêts où des esclaves enfuis se camouflaient. À la marge des flux économiques et de la logique étatique, une communauté s'invente, non sans peine, mais pas sans puissance non plus. De mille manières, une terre inhabitable est rendue habitable, à la fois comme refuge et comme point de départ. C'est de cela dont L'Héroïque lande porte la trace Documentaire de Nicolas Klotz incandescente. Raphaël Nieuwjaer et Elisabeth Perceval. Sortie le 11.04


Mortel ennui

# 70

En 1991, Michel Houellebecq questionnait à travers Rester Vivant – Méthode le rôle de l’artiste dans une société devenue totalement aseptisée. Ironie du sort, plus de 25 ans après, son essai est adapté en un documentaire aussi glacial et snob que ladite société dénoncée. Remboursez ! Maintes fois adapté (au théâtre, au cinéma, en BD...) Houellebecq fait donc l'objet d'un documentaire... pour le moins surprenant. Le romancier et essayiste n’y campe en effet qu’un rôle des plus secondaires, le chef d’orchestre étant ici Iggy Pop. à travers ses propres expériences de rockstar et la prose du romancier français, "l’iguane" narre les tribulations et rôles des artistes d’aujourd’hui et de demain. Problème : le résultat s'avère aussi pédant que soporifique. De son timbre rocailleux, Iggy Pop, tantôt simple voix-off, tantôt face à l’objectif, aligne les poncifs avec une nonchalance désespérante (« un poète mort n’écrit plus, d’où l’importance de rester vivant »). Inexorablement, il provoque la somnolence du spectateur, dressant des portraits de créateurs qui se suivent et se ressemblent. Au milieu de ce marasme se dégage pourtant un profil intéressant : celui d’une jeune schizophrène, poétesse de rue, à jamais meurtrie par la mort de sa sœur jumelle alors qu'elle était nourrisson. Quand la caméra s’attarde sur elle, l'émotion prend le dessus, à mille lieues de l'emphase du reste de l’œuvre. à se demander pourquoi le film ne lui a pas été Documentaire de Reinier Van Brummelen et entièrement consacré ! Erik Lieshout, avec Iggy Pop et Michel Houellebecq. Mélissa Chevreuil

Sortie le 11.04

© Damned Distribution

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Rester vivant - méthode



Féminin pluriel

# 72

Si Wonder Woman est la super-héroïne la plus populaire dans la galaxie des comics, sa genèse restait une énigme pour le grand public. Un mystère résolu par Angela Robinson avec ce joli biopic, ode à l’amour pluriel, au féminisme et à l’anticonformisme. Connaissez vous réellement Wonder Woman ? Ou plus exactement son créateur, William Marston ? Dans les années 1930, l’homme n’est pas encore bédéaste mais professeur de psychologie, à Harvard. Il perfectionne avec sa femme, Elizabeth, ses recherches sur le premier détecteur de mensonges. Débarque alors Olive. Cette jolie étudiante devient leur assistante. Très vite, le couple de scientifiques s’éprend de la jeune femme et découvre un nouveau pan de sa sexualité, à rebours des mœurs de l'époque. Qu’importe : pour William, les personnalités de ses deux amantes sont complémentaires. Mieux : elles lui inspirent son personnage au lasso… Angela Robinson ne signe pas ici qu'un biopic, plutôt une sublime histoire d’amour, nappée d’un érotisme élégant. Cette réussite doit à la magnétique Bella Heathcote et à une réalisation restituant parfaitement l'époque. La romance du "trouple" est enjolivée, certes. Mais elle rappelle l’importance de l'une des premières super-héroïnes de l'histoire quant aux luttes féministes. Ainsi éclairé, le spectateur sort de la salle avec l’envie de (re)découvrir cette amazone friande de bondage et de fessées...Tout en se disant que, si la figure campée par Gal Gadot dans le blockbuster de Patty Jenkins (2017) ne manque De Angela Robinson, guère de qualités, elle reste infiniment plus avec Luke Evans, Rebecca Hall, Bella Heathcote... Sortie le 18.04 rétrograde que son aînée. Mélissa Chevreuil

© LFR Films

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My Wonder Women



Sous haute tension

# 74

Attention, ceci n’est pas une adaptation fidèle du roman de Robert Louis Stevenson. Serge Bozon et Axelle Ropert traitent L’Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde comme une comédie fantastique. Derrière cette histoire incongrue se cache aussi un film sur l'enseignement... pas toujours compréhensible. France. Un lycée de banlieue. Madame Géquil, professeur de physique, est confrontée au mépris de ses élèves et de ses collègues depuis 35 ans. Jusqu’au jour où la timide enseignante est littéralement foudroyée durant une expérience scientifique. Elle devient alors la femme forte qu'elle rêvait d'être... Décrit par son réalisateur comme un « film à dimension fantastique mineure », Madame Hyde surprend autant qu’il interroge. À commencer par ce tournage sur pellicule – à l'ancienne. Un choix que Serge Bozon justifie par le côté « chaud et organique », absent du numérique. Malgré une entrée en matière difficile, la tension gagne la salle rapidement. Les relations sont électriques entre cette Madame Hyde bouillonnante, aux antipodes d’une Marie Géquil distante, et ce mari empli de légèreté (José Garcia). Elles le sont tout autant avec le proviseur excentrique et déboussolé campé par Romain Duris. Au final, on ne sait quoi penser de cette variation autour de Docteur Jekyll. Les acteurs "stars" signent de belles performances, au même titre que les "inconnus", certes. Mais le thème sous-jacent de l'éducation défendu par le film et ses enjeux sur la transmission sont, De Serge Bozon et Axelle hélas, étouffés par un scénario trop alambiqué. Ropert, avec Isabelle Huppert, José Garcia, Romain Duris... En salle Bref, le courant ne passe pas... A. Passebosc

© Haut et court

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Madame Hyde


Marqué par des décennies de guerre civile entre la majorité cinghalaise bouddhiste et la minorité tamoule, le Sri Lanka a choisi de se reconstruire en cultivant une certaine amnésie. Difficile pourtant d'oublier l'évacuation de la ville en urgence, comme ce fut le cas pour Jude Ratnam et sa famille. Il suffit d'ailleurs que son jeune fils parle tamoul avec des inconnus pour que l'angoisse ressurgisse. Celle d'être désigné comme "l'autre"... Au fil de l'autobiographie, le cinéaste ravive la mémoire de son pays et pose les bases d'un dialogue entre communautés. Demons in Paradise saisit également la prégnance du colonialisme. En retraçant l'histoire du chemin de fer, Ratnam suggère la violence infligée à une terre par l'avidité britannique, et la douloureuse réappropriation de cet "héritage". Raphaël Nieuwjaer

© Survivance

Documentaire de Jude Ratnam. En salle

© Epicentre Films

Demons in Paradise

Coby Suzanna, 23 ans, n’a jamais été à l’aise dans son corps. Elle le sait depuis toujours : elle est née pour être un garçon. Elle va donc changer de sexe. Mais pas facile d'exposer ce choix dans sa bourgade du MiddleWest profond. Pour mieux raconter cette épreuve à ses proches, elle (ou plutôt il) accepte d’être le sujet d’un documentaire tourné par son demi-frère, le Français Christian Sondereger. Sous son œil bienveillant et pudique, le spectateur est happé par les petites victoires de celui qu’on doit désormais appeler Coby : uriner debout, adopter une voix grave ou encore gagner des pectoraux. Seul bémol, la trop courte durée de ce film pourtant si poignant : à peine 77 minutes au compteur. Mélissa Chevreuil Documentaire de Christian Sondereger. En salle


Un conte peut en cacher un autre © Les films du préau

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Les P’tites toiles d’Emile

La première séance Le festival de cinéma itinérant Les P’tites toiles d’Emile poursuit sa noble mission dans les Hauts-de-France. Des histoires d’amitié, de l’aventure ou des ateliers rythment la 6e édition (la 2e dans les Flandres) de ce temps fort à destination du jeune public (dès 2 ans !). Alors moteur et... action ! Emile, c’est un personnage enfantin créé en 2012, devenu la mascotte du festival. « Ce prénom fait référence à notre directeur adjoint. Il travaille dans l’ombre, il est comme notre papa », sourit Anne Lidove, directrice de CinéLigue Hauts-de-France. Son objectif ? « Apporter une offre culturelle là où il n’y en a pas, ou très peu. Dans les milieux ruraux, les salles ne sont parfois pas accessibles car trop éloignées ». Parmi les 41 séances diffusées dans ces 13 communes, on compte des longs et courts-métrages originaux, essentiellement des dessins animés, pour beaucoup peu médiatisés. « Il y a bien sûr des œuvres récentes comme Cro Man, attirant un large public. Mais dans les festivals, la curiosité est de mise. On peut alors sortir les enfants de leur zone de confort et leur montrer des films qu’ils ne voient pas à la télévision ». En sus des avant-premières du Voyage de Lila et de Paddy, la petite souris, les bouts de chou sont aussi mis à contribution Flandres, 10.04 > 04.05, Bierne, Boëseghem, Bollezeele, Coudevia moult ateliers. Ils peuvent chanter devant kerque-Branche, Esquelbecq, GoFrère des Ours, se déhancher façon Michael dewaersvelde, Holque, Hondschoote, Ochtezeele, Rexpoëde, Saint-PierreJackson pour le tournage d'un clip ou Brouck, Socx, Steenvoorde, séance : 2,60 / 2,50 €, cineligue-hdf.org construire et animer les personnages de Pat Sélection : Un conte peut et Max. « Oui, car en fabriquant des images, en cacher un autre, Coco, Frère on comprend à quel point elles peuvent nous des ours, Le petit Gruffalo, Coraline, Paddy, la petite souris, Cro Man, Crocmanipuler ». Bien vu ! Angélique Passebosc Blanc, Agatha, ma voisine détective...

# 76

en famille



exposition

Jaune Portrait

# 78

Poubelle la ville

Stavanger, Norvège, 2016


Indispensables petites mains de nos grandes villes, les agents d'entretien municipaux ne sont pas forcément considérés à leur juste valeur. L'artiste Jonathan Pauwels, aka Jaune, propulse ces "invisibles" en héros de saynètes irrévérencieuses. Ses pochoirs ne rendent pas nos rues plus propres, non, mais fichtrement plus drôles ! Rencontre dans son atelier mal rangé, à Bruxelles.


Jaune - The Chrystal Ship festival, Ostende, Belgique, 2017

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# 80

ruxelles, commune de SaintGilles, par un froid matin de mars. Bonnet vissé sur la tête, petites lunettes rondes et cigarette (qui fait rigoler) au bec, Jaune nous reçoit dans son vaste atelier, partagé avec un couturier, des vidéastes, un restaurateur de vélos… « Bienvenue dans ma favela ! Bon, ne faites pas attention, c'est toujours le bazar… ». Logique. Ici, les agents d'entretien se la coulent douce, trop occupés à cloper ou picoler, à jouer aux quilles avec des pneus ou se bastonner façon village gaulois dans Astérix. à sa décharge, cette bande de fainéants assure depuis 2011 un joli succès à notre hôte. L'artiste belge

s'est rendu célèbre en envahissant les rues de la planète avec ses "p'tits gars" de 35 cm de haut. Ses discrètes mises en scène ou grandes fresques sont visibles des états-Unis

« Ils sont supposés nettoyer le monde mais provoquent le chaos » à l'écosse, en passant par l'Italie, le Portugal et, surtout… Ostende. « Oui, c'est sans doute la ville où on trouve le plus de mes créations, grâce au festival The Chrystal Ship dont je suis un peu la mascotte ». Ses pochoirs représentent essentiellement des éboueurs, héros de


Niederanven, Luxembourg, 2017

scénarios barrés, et franchement hilarants : ici planqués derrière un mur et armés de battes de baseball, là s'oubliant discrètement sur le bord d'une fenêtre – oui, c'est du propre ! Hommes invisibles Comment Jonathan Pauwels a-t-il eu cette brillante idée ? De sa propre expérience. « Durant mes études de graphisme à Saint-Luc, je travaillais en parallèle comme balayeur à Bruxelles. J'ai découvert la condition de ces ouvriers, raconte le trentenaire (qui doit son blase à un ami grenoblois incapable de prononcer "John" correctement).

Ils ont beau être habillés en fluo, ils sont invisibles, personne ne les calcule alors que sans eux on croulerait sous nos propres déchets ! Je me suis vite rendu compte du poids métaphorique de ce personnage ». S'agit-il de rendre hommage à ces travailleurs de l'ombre ? « Oui, mais chez moi, ils ne bossent pas ! Quitte à faire partie du décor, autant en profiter pour déconner, non ? Tout le décalage vient de là : ils sont supposés nettoyer le monde mais provoquent le chaos. Dans le même genre, j'ai aussi dessiné des policiers ouvrant des bières avec leurs flingues, des militaires armés de pistolets à eau. Et si je devais réaliser une suite


exposition

Points de Vue - Street art week, Bayonne, France, 2017

série sur les pompiers, ils provoqueraient des incendies pour allumer un barbecue, voyez ? ». Parfaitement. Voilà une belle ode au désordre, à l'oisiveté « et même une glorification de la paresse, dans un monde où il faut toujours produire plus ».

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Jeux de mots Concrètement, Jaune utilise une technique semblable à celle de Banksy, qui l'a beaucoup influencé. Ses pochoirs sont conçus d'après photos (de ses potes ou de véri-

« Une glorification de la paresse, dans un monde où il faut toujours produire plus » tables agents, car « il y en a toujours un en train de glander »), puis dessinés à la tablette graphique avant d'être imprimés et découpés. Le Bruxellois a ainsi façonné près de 150 personnages, figés dans des postures précises. « Je considère


The Chrystal Ship festival, Ostende, Belgique, 2017

mon travail comme un exercice d'écriture. Chacun de ces bonshommes est un mot, adoptant une position unique. Je les ai classés en plusieurs catégories : il y a ceux qui se battent, picolent, transportent des choses, ceux qui interagissent avec la ville, escaladent, sautent… Il y a des tas de combinaisons possibles. Je parviens à raconter beaucoup d'histoires avec un vocabulaire restreint ». Le Belge a aussi créé moult éléments de décors (des bancs, des

poteaux électriques, des arrêts de bus…) mais laisse libre cours à son imagination en jouant avec le mobilier urbain : gouttières, transformateurs ou plaques d'égout… tout est bon pour s'amuser ! Question petit mec impertinent, le Manneken-Pis peut aller se rhabiller – ce qu'il fait souvent d'ailleurs (voir page 12)… Julien Damien à visiter / www.art-of-jaune.com www.facebook.com/jaune.pauwels www.instagram.com/jaune_art

suite


D'après La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai, Bruxelles, 2017



exposition

Adel Abdessemed

Une histoire de la violence Enfant terrible de l'art contemporain, Adel Abdessemed investit les vastes espaces du Mac's. Baptisée Otchi Tchiornie, cette "exposition-manifeste" se compose essentiellement d'œuvres créées pour l'occasion. Complexe, protéiforme, parfois incompris, le travail du plasticien franco-algérien dénonce avant tout la violence de l’être humain. C'est l'un des artistes les plus en vue. L'un des plus sulfureux, aussi. En témoigne la polémique entourant son exposition se tenant en parallèle de celle du Mac's, à Lyon.

Parmi la quarantaine d'œuvres présentées dans le Rhône, on voit une vidéo de poules brûlées vives, certes réalisée avec trucage, mais déclenchant l'ire des défenseurs de la cause

# 86

Bristow, 2016 © Adel Abdessemed © Photo : Julien Damien


animale. Voilà tout le propos de ce Franco-Algérien de 47 ans : traduire la férocité de notre temps. Le grand public l’avait découvert en 2012, à l'occasion de sa gigantesque statue immortalisant le coup de boule donné par Zidane à Materazzi.

« un manifeste contre la barbarie et pour la liberté » Pourquoi la violence ? « Parce que notre monde l’est. Comment peuton aujourd'hui créer quoi que ce

soit sans s'en faire l'écho ? » répond l'intéressé. L'exposition présentée au Grand-Hornu est ainsi envisagée comme « un manifeste contre la barbarie et pour la liberté ». Sur le tapis Entre vidéos, sculptures, installations ou dessins, les sept pièces composant ce parcours forment « une œuvre totale, une conversation s’établissant entre chacune des salles ». Parmi elles, on trouve un ensemble de 27 effigies en bois calciné (Otchie Tchiornie, "les yeux noirs" en russe). Elles rendent hommage aux membres des Chœurs de suite

Vue d'exposition, Otchi Tchiornie, 2017 © Adel Abdessemed © Photo : Julien Damien


exposition

Soldaten, 2014 © Adel Abdessemed © Courtesy de l’artiste

l'Armée Rouge, tués lors d'un crash d'avion en décembre 2016 alors qu'ils se rendaient en Syrie pour soutenir les troupes de Poutine… Nous poursuivons la visite en foulant un long tapis rouge, un symbole du pouvoir pour celui qui dit « marcher sur des braises ». Pour Denis Gielen, le directeur du Mac's, « c'est un chemin de croix nous confrontant à différentes formes de mort ».

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Au charbon Y compris celle de la démocratie ? On se pose la question devant ces dizaines de dessins au fusain représentant des soldats. « Ils dénoncent l'omniprésence des militaires dans nos villes ». Vrai qu’ils nous sont désormais aussi familiers que des pigeons. Abdessemed en a d’ailleurs

posé un là, sur un banc public, mais l’oiseau est harnaché d'une charge explosive… L'autre fil rouge de ce parcours, c'est le charbon, renvoyant au Mac's lui-même, un ancien site minier du xixe siècle. « Pour Adel, l'histoire du Grand-Hornu est empreinte de souffrance, de cette domination de l'homme par l'homme ». Ce matériau est ainsi prisé par l'artiste, qui l’emploie pour dessiner ou sculpter. « J'aime sa légèreté, sa noirceur et sa profondeur », dit-il, résumant sans le vouloir son travail. Julien Damien

à lire / version longue sur lm-magazine.com Otchi Tchiornie Hornu, Jusqu'au 03.06, Mac's, mar > dim : 10 h > 18 h, 8 > 2 € / gratuit (-6 ans), www.mac-s.be


Soldaten, 2014 © Adel Abdessemed © Courtesy de l’artiste


exposition exposition

© Jin-Cheng

Panorama de la BD chinoise

# 90

Du premier livre illustré en 868 (bien avant l’invention de l’imprimerie par Gutenberg) jusqu’à l’industrie du manga, cette exposition témoigne d’une passion très ancrée dans l’empire du Milieu, et encore méconnue en Occident. Comme en Belgique, c’est durant la première moitié du xxe siècle que le "manhua" (la BD chinoise) a pris son essor. Son premier héros récurrent, Monsieur Wang, est ainsi né en même temps que Tintin ! En sus de personnages célèbres, tel le facétieux San Mao (né du pinceau de Zhang Leping en 1935), ce parcours révèle nombre de caricaturistes et auteurs contemporains (tels Benjamin ou Zhou Keqin). On découvre, aussi, quelques traditions singulières. Citons les fameux lianhuanhua, soit de petits fascicules populaires de format 12,5 x 10 cm, tirés à des millions d'exemplaires durant le xxe siècle. Mao Zedong y vit un formidable outil de propagande, mais ces récits d'"images enchaînées" connurent leur âge d'or dans les années 1980 en s'ouvrant aux polars ou à la sciencefiction, recélant leur lot de chefs-d’œuvre. J.D. Bruxelles, Jusqu’au 09.09, CBBD, tous les jours : 10 h > 18 h, 10 > 3,50 €, www.cbbd.be



Adonis Flores, Oratoria, 2007

exposition

Ola Cuba ! à l'heure où la plus grande île des Antilles commence à s'ouvrir, cette exposition réunit les œuvres d'artistes ayant grandi durant "la période spéciale". Ces peintres, plasticiens, photographes ou vidéastes témoignent de la vie en pleine récession économique et coupée du monde, avec le système D pour horizon. à l'image d'Immanence de Yoan Capote, soit un immense portrait de Castro… réalisé avec des charnières de portes rouillées. Ou encore des claviers ou ordinateurs conçus en bois et liège par Abel Barroso, illustrant la précarité numérique de Cuba… tout en raillant ses dérives contemporaines. Un regard sensible, perçant et inédit ! J.D.

© DR Joueur de setar, Iran, vers 1830-1840, Paris, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations orientales © INALCO / Philippe Fuzeau

Lille, 19.04 > 02.09, Gare Saint Sauveur, mer > dim : 12 h > 19 h, gratuit, www.lille3000.eu + expos photo de Marc Riboud et Nicola Lo Calzo : Lille, 05.05 > 01.07, Musée de l'Hospice Comtesse

L’Empire des roses Bienvenue sur les traces des Qajars. Encore méconnue en Occident, cette dynastie régna sur l'Iran de 1786 à 1925, contribuant à l’épanouissement d’un art fastueux (peinture, verrerie, orfèvrerie…) comme en témoignent les 400 pièces ici réunies. Scénographié par Christian Lacroix, le parcours est pensé comme une déambulation dans un palais : porte monumentale, murs parés de soie et allées recouvertes d’un tapis dessiné par le couturier français ! A.P. Lens, jusqu’au 23.07, Louvre-Lens, tous les jours : 10 h > 18 h (sauf le mardi), 10 / 5 € / gratuit (-18 ans), louvrelens.fr



# 94

Séance photo pour un magazine français, 1969 © Andrew Birkin


exposition

Jane & Serge

Requiem pour un couple Fusionnel, emblématique d’une époque de libertés nouvelles, le couple formé par Jane Birkin et Serge Gainsbourg fut aussi intensément médiatisé. Resterait-il des pans de leur vie inconnus du public ? Oui. Ceux captés par l’objectif d’Andrew Birkin, frère de la Britannique longiligne, qui expose ses clichés privés au Musée des beaux-arts de Calais.

P

rises entre 1964 et 1979, les photos d’Andrew Birkin, réalisateur et scénariste (entre autres, du Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud), n’étaient pas destinées à se retrouver dans un musée. Ni même dans Jane & Serge, a Family Album, le beau livre édité par Taschen en 2013 sur lequel s'appuie l’exposition calaisienne. « Je ne me suis jamais considéré comme un professionnel », affirme l’artiste. Dès son plus jeune âge, celui-ci prit pourtant sa cadette d’un an pour modèle, fixant sur pellicule leur adolescence bohème en plein Swinging London.

pective au parcours chronologique. Mais très vite, Gainsbourg, rencontré en 1968 sur le tournage de Slogan, surgit sur les tirages en noir et blanc et dans le quotidien de la fratrie. « Jane est tombée amoureuse de Serge, je suis tombé amoureux de Serge. Dès que j’avais un moment libre, je prenais un avion et les retrouvais, à Paris ou sur les plateaux de cinéma », se souvient Andrew. Il immortalise alors de l’intérieur le bonheur des amants que la presse s’arrache. Shootings promos à Oxford, déjeuners animés à la campagne, virée en voiture de luxe ou moments de tendresse avec

Trio complice Baptisée "L’eau à la bouche", la séquence "Birkin" ouvre cette rétros-

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# 96

Le torchon brûle chez les Gainsbourg (planche contact n°28 A), 1974 © Andrew Birkin

Deux poseurs, 1964, Photo de Jane et d’Andrew © Andrew Birkin


Le baiser de Serge à Jane dans la voiture, 1969 © Andrew Birkin

Serge et Nana, 1977 © Andrew Birkin


En vacances, dans le presbytère de Jane, en Normandie, 1977 © Andrew Birkin

les toutes jeunes Kate Barry et Charlotte Gainsbourg… Une douce nostalgie se dégage des instantanés du cinéaste. En filigrane, ils racontent aussi la collaboration artistique fructueuse – et parfois scandaleuse – entre la muse à la voix chuchotante et "l’homme à tête de chou".

# 98

Je t’aime… Moi non plus Riche de nombreuses bandes-annonces, extraits de films, objets personnels et références au contexte culturel, Jane & Serge. Album de famille sort du seul cadre du livre, et accorde « une salle entière à l’influence de Jane Birkin sur le travail de Serge Gainsbourg », détaille la

directrice du Musée des beaux-arts, Anne-Claire Laronde. « C’est pour elle qu’il a composé son premier album-concept devenu culte, Histoire de Melody Nelson, avant de créer son personnage de dandy décadent ». Les frasques de Gainsbarre, à l’aube des années 1980, eurent raison de leur histoire. Les images d’Andrew Birkin, elles, ne retiennent que la face lustrée d’un mythe français. Marine Durand

Jane & Serge. Album de famille par Andrew Birkin – Calais, 07.04 > 04.11, Musée des beaux-arts, mar > dim : 13 h > 18 h, 4 > 3 € / gratuit (-5 ans), www.calais.fr



exposition

# 100

Nicolas Schöffer, Chronos 8, 1967. Acier inox poli, miroir, moteurs, combinateurs, circuits électriques, plateau tournant ; 308 x 125 x 130 cm. Collection Éléonore de Lavandeyra-Schöffer. Photo : N. Dewitte / LaM. © Adagp, Paris - Éléonore de Lavandeyra-Schöffer, 2018


Nicolas Schöffer

Futur antérieur Né en Hongrie en 1912, décédé à l'âge de 80 ans, Nicolas Schöffer est considéré comme l'un des pionniers de l'art cybernétique. Le LaM rend hommage à ce visionnaire et inventeur de génie à travers cette fascinante Rétroprospective. Soit le futur vu depuis le passé, dans une "exposition-spectacle" où la féerie le dispute à l'ingéniosité.

T

ombé dans l'oubli, Nicolas Schöffer connut une belle notoriété de son vivant, grâce à son fameux concept de "spatiodynamisme". Soit, comme il le définit luimême : « l'intégration constructive et dynamique de l'espace dans l'œuvre ». En d'autres termes, le Français initia la synthèse entre tous les arts : sculpture, architecture, théâtre, peinture et musique ! Il rythma de ses inventions folles les Trente Glorieuses, « un âge de progrès où le futur était désirable », selon Arnaud Pierre, commissaire de cette exposition. Pensez : bien avant les petits génies de la Silicon Valley, Schöffer imagina une ville intelligente, régulée par des ordinateurs centraux et dominée par une "Tour Lumière Cybernétique" de 347 mètres de haut ! Sans la crise pétrolière, ce monument aurait

Portrait de Nicolas Schöffer. © Jean-Jacques Morer, 2018

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Nicolas Schöffer, Effet prismatique. Photo : N. Dewitte / LaM. © Adagp, Paris - Éléonore de Lavandeyra-Schöffer, 2018

poussé dans le quartier de la Défense, « incarnant la civilisation électronique comme la Tour Eiffel fut le symbole du premier âge industriel ». Restent des rêves donc, et cette maquette dévoilée ici, parmi une sélection de pièces plus surprenantes les unes que les autres, donnant au LaM des allures de Metropolis.

# 102

Nightclubbing Chronologique et thématique, le parcours se divise en neuf chapitres. Accompagné par les cliquetis des machines, les « mixages bruitistes » de Pierre Henry ou des jeux d'ombres et de lumières colorées provoqués par d’étranges œuvres mécanisées, le visiteur-spectateur s'arrêtera devant CYSP1. Il s'agit de la toute première sculpture cybernétique (1956).

Un robot danseur s'activant au son d'un claquement de mains, que mit notamment en scène Maurice Béjart. Les plus anciens lecteurs des magazines "people" reconnaîtront aussi les murs en inox polis comme des miroirs du Voom Voom, boîte de nuit tropézienne que Schöffer décora dans les sixties – pour le plus grand bonheur de Bardot. à la fin des années 1980, l’artiste perdit l'usage de la main droite… mais se servit de la gauche pour esquisser ses derniers dessins avec les premiers micro-ordinateurs. Le futur, c'était mieux avant ? Peut-être bien… Julien Damien à lire / version longue sur lm-magazine.com Villeneuve d’Ascq, Jusqu’au 20.05, mar > dim : 10 h > 18 h, 10 / 7 € / gratuit (-12 ans), www.musee-lam.fr



# 104

Renaud Duval, Le Havre Sealine, 2013, prod. Fresnoy - Studio national des arts contemporains

Star Apartments, Los Angeles, Michael Maltzan Architecture, Los Angeles, 2014 © Gabor Ekecs

Habitarium

Together ! La Nouvelle architecture communautaire

Vaste question, que celle de l'habitat. 50 artistes, architectes ou designers s'en emparent avec poésie ou ingéniosité, investissant les espaces de la Condition Publique. Ici une grotte bâtie avec des matériaux industriels (par Xavier Veilhan), là une liste des maisons les plus "laides" de Belgique (recensée par Hannes Coudenys), ou encore des images futuristes, projetant nos demeures dans un environnement submergée par les eaux (Renaud Duval)… Cette centaine d'œuvres interroge une problématique située à la croisée de l'intime et du collectif, soulevant des enjeux sociétaux et environnementaux. En sus, le collectif Yes We Camp propose aux plus téméraires de passer la nuit à la belle étoile sur les toits de l'ancienne manufacture textile, dans un camping urbain unique en son genre. J.D.

Prix de l'immobilier en augmentation constante, manque d'espace… C'est un fait : le logement est devenu une denrée rare dans nos grandes villes. Pour pallier à ce fléau, les architectes contemporains imaginent donc une solution : construire et vivre… ensemble. Le concept de la vie collective offre d'ailleurs une alternative à l'isolement urbain. Divisée en quatre sections, cette exposition détaille les démarches initiées à travers le temps et le monde. Des Phalanstères de Charles Fourier aux projets plus actuels (tel Brutopia : la cohabitation de 80 Bruxellois), le parcours dévoile 21 maquettes en grand format. On découvre ici les expériences communautaires menées de Berlin à Tokyo adoptant une démarche innovante au niveau des volumes ou l'emploi des matériaux. Une ambition… à louer. J.D.

Roubaix, 30.03 > 08.07, La Condition Publique, mer > dim : 13 h > 19 h, 5 / 3 € / gratuit (-18 ans), www.laconditionpublique.com

Hornu, Jusqu'au 01.07, Centre d'innovation et du design, mar > dim : 10 h > 18 h, 8 > 2 € /  gratuit (-6 ans), www.cid-grand-hornu.be



exposition

Letizia et Shobha Battaglia

© Letizia Battaglia

Pendant près de trois décennies, Letizia Battaglia a photographié les crimes commis par la mafia sicilienne, en particulier dans sa ville natale : Palerme. Ses images en noir et blanc racontent une île gangrénée par la violence et la misère mais où la vie, vaille que vaille, s’écoule. Au fil de cet accrochage d’une soixantaine de pièces, on découvre aussi le travail de sa fille, Shobha, dont la dernière série s’intéresse à l’aristocratie palermitaine, dévoilant de véritables palais. Amiens, Jusqu’au 06.05, Maison de la Culture, mar > ven : 13 h > 19 h, sam & dim : 14 h > 19 h, gratuit, www.maisondelaculture-amiens.com

Harry Gruyaert

Napoléon. Images de la légende

Avec les Américains Saul Leiter ou Joel Meyerowitz, cet Anversois né en 1941 est l’un des pionniers de la photographie couleur. Dès les années 1970, Harry Gruyaert se distingua par son approche non-documentaire, privilégiant des compositions très graphiques. à l’image de sa série Rivages (2003), initiant un dialogue poétique entre la mer et la ligne d’horizon. Cette rétrospective dévoile aussi ses débuts en noir et blanc et une installation vidéo. Le tableau complet d’une carrière… haute en couleur.

à la faveur d’un partenariat établi en 2011 avec le Château de Versailles, le Musée des beaux-arts d’Arras accueille plus de 160 œuvres issues de sa collection. Ces peintures, sculptures ou meubles, pour beaucoup commandés par l’Empereur lui-même, offrent une plongée exceptionnelle dans l’histoire européenne, de la gloire à l’exil du petit Corse. On découvre aussi les talents d’un redoutable communicant, qui utilisait l’art pour asseoir son pouvoir.

Anvers, Jusqu’au 10.06, FoMu, mar > dim : 10 h > 18 h, 10 > 3 € / gratuit (-18 ans), fotomuseum.be

Arras, Jusqu’au 04.11, Musée des beaux-arts, lun, mer > ven : 11 h > 18 h, sam & dim : 10 h > 18 h, 7,50 / 5 € / grat. (-18 ans), napoleon.versaillesarras.com

Hervé Lesieur - à corps perdus

# 106

Né en 1959 à Auchel, Hervé Lesieur est un artiste complet, réalisant aussi bien des performances que des sculptures, des dessins, de la vidéo… Suite à une résidence au Musée des beaux-arts d’Arras, il offre une relecture thématique des collections de cette institution. Une centaine d’œuvres explorent les thèmes du corps, du sacré ou du fantastique, instaurant un dialogue avec des pièces rarement montrées, tels des masques asiatiques du théâtre Nô ou une collection d’oiseaux naturalisés. Arras, Jusqu’au 20.08, Musée des beaux-arts, lun, mer > ven : 11 h > 18 h, sam & dim : 10 h > 18 h, gratuit, www.arras.fr + Jusqu’au 08.04, L’être-Lieu



Designed by I. Berezovski, E. Bogdanov, V. Zenkov, A.Ermolaev © Moscow Design Museum Collection.

Soviet Design. Red Wealth C’est le témoignage rare d’un monde désormais disparu. Cette rétrospective rassemble près de 600 objets du quotidien et travaux graphiques réalisés en URSS au siècle dernier : des années 1950 aux Jeux olympiques de Moscou (1980). Transistors, gramophones, machines à coudre mais aussi affiches, couvertures de magazine… Ces pièces emblématiques du mode de vie soviétique révèlent un design singulier, marqué par sa durabilité, son épure et sa modularité. Bruxelles, Jusqu’au 21.05, ADAM, tous les jours : 10 h > 18 h, 6 / 5 € / gratuit (-5 ans), www.adamuseum.be

Spanish Still Life

Private Choices

Qu’ont en commun Velázquez, Miró ou Picasso ? Ils sont Espagnols, et ont tous réalisé des natures mortes. Ce parcours dessine en près de 80 toiles, de 1 600 à nos jours, les contours d’un exercice typique de l’histoire de la peinture. Les Ibères tiennent une place de choix dans cette évolution, à l’image des bodegones épurés du pionnier Cotán. Velásquez ou Goya lui ont donné ses lettres de noblesse avant que Picasso et Dali n’élargissent les perspectives d’un art plus que jamais… vivant.

C’est une affaire de goût, de passion… mais aussi de partage. Située place Sainte-Catherine, la Centrale dévoile les trésors d’amateurs d’art contemporain bruxellois. Onze collectionneurs privés se sont prêtés au jeu, révélant des œuvres de grands noms comme de jeunes créateurs, de Magritte à Bill Viola, en passant par Jan Fabre ou Damien Hirst. Chacune de ces cavernes d’Ali Baba se découvre comme un cabinet de curiosités, rythmé par des références littéraires ou musicales propres à chacun.

Bruxelles, Jusqu’au 27.05, Bozar, mar > dim : 10 h > 18 h, jeu : 10 h > 21 h, 16 / 14 / 2 € (-26 ans), www.bozar.be

Bruxelles, Jusqu’au 27.05, Centrale for Contemporary Art, mer > dim : 10 h 30 > 18 h, 8 > 2 ,50 € / gratuit (-18 ans), www.centrale.brussels

Marc Trivier

# 108

Ce Belge a parcouru le monde au début des années 1980 pour portraiturer ses artistes favoris (Bacon, Burroughs, Dubuffet, Borges…) de la même manière qu’il a saisi des aliénés, des arbres ou des bêtes dans des abattoirs. Ses noirs et blancs argentiques, dépouillés de tout artifice, interrogent l’acte de photographier lui-même. Cette exposition rare révèle 40 ans d’une création focalisée sur la capture de la lumière et du temps qui passe. Charleroi, Jusqu’au 22.04, Musée de la photographie, mar > dim : 10 h > 18 h, 7 > 4 € / gratuit (-12 ans), www.museephoto.be



Le Printemps de l’Art déco De l’immeuble de L’Homme de Fer à Douai aux anciens magasins des Nouvelles Galeries de Saint-Quentin, ces deux mois de visite patrimoniale, conférences ou ateliers révèlent les secrets de l’Art déco. Né au début du xxe siècle, ce style architectural se caractérise par ses lignes épurées, inspirées par le progrès technologique. Il imprègne depuis l’entre-deux-guerres les paysages urbains des Hauts-de-France, sans forcément nous livrer ses beautés cachées au premier coup d’œil… Hauts-de-France, Jusqu’au 30.04, Amiens, Arras, Béthune-Bruay, Cambrai, Douaisis, Lens-Liévin, Roubaix, Saint-Omer…, www.printempsartdeco.fr

Océans Le Fresnoy fait rimer art avec écologie. Entre photos, vidéos ou installations sonores et olfactives, une vingtaine de créateurs internationaux offrent une instructive plongée au cœur des océans, si riches et pourtant si malmenés. Voyageant de l’Arctique aux mangroves, en passant par la Polynésie, on découvre notamment une sculpture musicale qui permet de communiquer avec les cétacés. à écouter aussi : le paysage sonore subaquatique de la mer du Nord… en direct !

Lewarde, Jusqu’au 26.08, Centre historique minier, lun > sam : 13 h > 17 h, dim : 9 h > 17 h 30, 6,70 €, www.chm-lewarde.com

Tourcoing, Jusqu’au 22.04, Le Fresnoy, mer, jeu, dim : 14 h > 19 h, ven & sam : 14 h > 19 h, 4 / 3 € / gratuit (-18 ans), www.lefresnoy.net

Ibrahim al-Toual (tribu chrétienne des ‘Azeizat), Jérusalem, 1905 © école biblique d’archéologie française, Paris

Carnets du Nord Lauréat en 1984 du prestigieux prix Niépce, Thierry Girard avait photographié le Nord-Pas de Calais entre 1977 et 1985. Il saisit alors cette région durant le déclin de l’exploitation minière. Ce parcours confronte ses clichés en noir et blanc de terrils ou cités ouvrières à de nouvelles images de ces territoires capturées en 2017. Le dialogue entre les époques offre une belle réflexion sur les métamorphoses d’un paysage désormais inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Chrétiens d’Orient. 2 000 ans d’histoire Aucune institution n’avait encore retracé la destinée politique, culturelle et cultuelle de ces communautés, de l’Antiquité à nos jours. Au fil d’un parcours chronologique, 300 œuvres racontent l’émergence d’une nouvelle religion sur les rives du Bosphore, jusqu’à la crise d’aujourd’hui. Parmi ces tentures égyptiennes du ve siècle, mosaïques palestiniennes ou manuscrits rares, on trouve la plus vieille représentation du Christ au monde. Oui, c’est un événement. Tourcoing, Jusqu’à 11.06, MUba Eugène Leroy, tous les jours sauf mardi : 13 h > 18 h, 7 > 3 €, www.muba-tourcoing.fr



Waynak © Delphine Perrin.

# 112

théâtre & danse


Youth is Great

Paroles d'ados En 2016, Grégory Vandaële lançait Youth is Great. L'idée du directeur du Grand Bleu ? Réserver un temps fort à la jeunesse. Adolescents et apprentis adultes s’approprient avec fougue cette 3e édition. Ils deviennent sujets, auteurs, spectateurs (et parfois tout cela à la fois), d'un festival qui n'en finit plus de grandir. Preuve de ce bel essor, l'événement ouvre avec CTRL-X, la nouvelle création de Pauline Peyrade et Cyril Teste. L’auteure et le metteur en scène ont imaginé Ida, une jeune fille perdue le temps d'une nuit dans le vertigineux gouffre des écrans ou des réseaux sociaux. Le propre d’une génération hyper-connectée ? « Ces artistes essaient de raconter la jeunesse d'aujourd’hui par le théâtre, la danse, les formes hybrides », confirme Grégory Vandaële. Les ados ne sont-ils pas aussi bien placés pour parler de leurs préoccupations ? à travers Lettres jamais écrites, 20 lycéens ont couché sur papier leurs états d’âme. Marie Desplechin, Fabrice Melquiot et 18 écrivains spécialistes de l’âge tendre y ont répondu, instaurant un dialogue, matière première d’une « petite forme itinérante, pour deux comédiens ». Scène ouverte être jeune dans un pays en guerre ou vivre en marge de la société, voilà aussi les sujets du festival. à l'image de Waynak, premier volet d’un diptyque consacré aux enfants dans les conflits. Moins tragique, Les Apprentis sorciers, convient six skateurs d’Amiens ou de Lille sur scène. Dans cette création du chorégraphe François Stemmer, les Lille, 06.04 > 05.05, Grand Bleu (+ divers lieux), 13 > 5 €, www.legrandbleu.com prouesses techniques répondent aux textes travaillés en atelier d’écriSélection : Pauline Peyrade et Cyril Teste + Collectif MXM : CTRL-X (12.04) // Estelle Savasta ture à partir des titres de poèmes de + Cie Hippolyte a mal au cœur : Lettres jamais écrites (12 > 17.04) // Catherine Verlaguet et Rimbaud. Oui, la jeunesse est un art, Annabelle Sergent + Cie Loba : Waynak (16 & pour citer Oscar Wilde. Marine Durand 17.04) // Julien Aillet + Cie Monotype : La Colère (18 & 19.04) // Collectif l a c a v a l e : Les Choses en face (21.04 > 02.05) (voir page 114) // François Stemmer : Les Apprentis sorciers (05.05)


Jeu collectif

# 114

Sommes-nous libres de choisir qui nous voulons être? Qu'en est-il de nos promesses d'antan ? Porté par le Grand Bleu, à Lille, et quatre structures des Hauts-de-France, ce projet participatif invite des adolescents de cette région à s'interroger sur le passage à l'âge adulte. Pertinent et sensible. Depuis 2010, le collectif l a c a v a l e mêle le documentaire et la fiction, le théâtre et la vidéo. Mais cette démarche hybride se démarque avant tout par sa dimension participative. Ce regroupement d’artistes situés entre Rennes, Lille, Paris et Brest invite ainsi le public à créer un spectacle grâce à des ateliers (ou "laboratoires"). « Tout ce que nous disons, filmons ou écrivons sert de matière à une pièce croisant scènes jouées, images ou interviewes » explique Nicolas Drouet, l'un des fondateurs de l a c a v a l e. « Nous travaillons avec des amateurs car pratiquer le théâtre est la meilleure façon de le découvrir. Il s'agit de réaliser des spectacles "avec" les gens plutôt que "sur" les gens ». Pour Les Choses en face, le collectif a collaboré avec près de 70 adolescents âgés de 11 à 17 ans, tous issus des Hauts-de-France, de Lille à Compiègne en passant par Gauchy, Armentières ou Avion. « On s'est posé une question : qu'est-ce qu'être adulte ? ». Chaque jeune a alors demandé à plusieurs "grandes personnes" de son Avion, 31.03, Centre culturel Jean Ferrat, entourage (un professeur, un parent, un 20 h 30, grat. // Compiègne, 07.04, Espace Jean Legendre, 20 h, grat. // Gauchy, 14.04, politique…) ce qu’étaient devenus leurs Maison de la culture et des loisirs, 19 h, gratuit rêves de jeunesse. Questionnant leurs Lille, 21.04 & 02.06, Le Grand Bleu, 19 h, propres espoirs, ils nous renvoient les gratuit, www.legrandbleu.com (festival Youth is Great, voir page 113) nôtres… en pleine face. Julien Damien

© Collectif l a c a v a l e

théâtre & danse

Les Choses en face



La mémoire dans la peau

# 116

La saison de la Raffinerie, à Bruxelles, est traditionnellement rythmée par un temps fort pluridisciplinaire en avril. Annie Bozzini, la directrice de Charleroi Danse, s’empare du créneau et crée LEGS. Ce nouveau festival porté par des artistes contemporains rend hommage à l’histoire de la danse. Quand on l’interroge sur le principe de cette manifestation, Annie Bozzini réplique par une question : « Qu’est-ce que vous entendez, vous, dans LEGS ? » Si "héritage" ou "transmission" viennent naturellement à l’esprit, « certains pensent d’abord aux jambes », relève la directrice du Centre chorégraphique de la fédération Wallonie-Bruxelles. Réponse aussi cohérente puisque ce rendez-vous regarde le corps… En définitive, LEGS s'intéresse à la mémoire d'un art prétendument éphémère. Quelles sont les traces laissées par les pionniers de la danse moderne, les continuités, les ruptures ? Sur les neuf spectacles de la première édition plane l’esprit des aînés. Celui des Américains Ted Shawn et Ruth Saint Denis est ravivé dans une conférence relevant du poème chorégraphique (Taste of Ted de Jérôme Brabant et Maud Pizon). Celui de la scandaleuse Valeska Gert, danseuse et actrice allemande de l’entre-deuxguerres, dont les cris sont convoqués Bruxelles, 17 > 28.04, La Raffinerie (+ Charleroi, les Ecuries), divers horaires, par Jule Flierl (Störlaut). Mais le festival spectacle : 15 > 5 €, www.charleroi-danse.be n’oublie pas le répertoire, et programme Sélection : Olivia Grandville : À l’Ouest le trio Les Inconsolés, du regretté Alain (17.04) // David Wampach : ENDO (19.04) // Lara Barsacq : Lost in Ballets Russes (19 Buffard. Jeux, érotisme et violence se & 21.04) // Alain Buffard : Les Inconsolés mêlent dans cette pièce peu diffusée. (21.04) // Jule Flierl : Störlaut (25.04) // Paula Pi : Ecce (H)omo, Jérôme Brabant et Autant de propositions qui resteront graMaud Pizon : A Taste of Ted (27.04) // F. Chaignaud : Думи мої - Dumi Moyi… (28.04) vées dans notre… mémoire. Marine Durand

ENDO © Martin Colombet

Festival Legs



© Paille Titoune

# 118 théâtre & danse


Cirque Trottola

Sur la corde sensible Rencontrer le cirque Trottola, c’est renouer avec la tradition du spectacle itinérant. La vie en caravane, le chapiteau que l’on monte et démonte au gré de la tournée… soit une façon de faire de son art toute sa vie. Invitée par Le Prato, la troupe est de passage à Lille pour présenter Campana. Êtes-vous prêts pour un nouveau tour de piste ? Au départ, il y a la rencontre entre une voltigeuse aux cheveux rouges, Titoune, et un colosse barbu nommé Bonaventure Gacon. Elle, petite fille de ferrailleur, s’est formée au trapèze à Montréal et a volé avec le Cirque Plume. Lui a fait ses armes au CNAC*, a côtoyé Guy Alloucherie et s’est lancé avec le solo clownesque Par le Boudu. Les musiciens Thomas Barrière et Bastien Pelenc complètent le tableau, rythment les voltiges et sursauts burlesques du duo. Depuis 2002, cette belle histoire d’amitié est nommée le cirque Trottola. Légère gravité Leurs spécialités ? L’acrobatie, bien sûr, mais aussi un jeu de clown tout en nuances. « Il y a quelque chose de maladroit chez ce personnage, une fragilité accompagnant toujours le rire » explique Bonaventure. Leur cirque nous replonge dans l'enfance, jouant avec le danger de l’immédiateté et l'émerveillement. Cette poésie a conquis le public aux quatre coins du monde avec Volchok (2007) puis Matamore (2012). Dans Campana, un sillon creusé le long de la piste révèle un monde enfoui, invisible, d’où surgissent des objets curieux devenant supports de voltige et partenaires de jeu, dont une grande cloche d’airain. Au centre, facéties clownesques, saltos et portés acrobatiques donnent le ton. Dans ce spectacle entre ombre et lumière, la compagnie taille son chemin tragi-comique, planant au-dessus des codes du cirque contemporain. Marie Pons * Centre National des Arts du Cirque

campana Lille, 06 > 11.04 + 14 & 15.04, Gare Saint Sauveur, mer : 17 h / sam & mar : 19 h / ven, dim, lun : 20 h, 17 > 5 €, leprato.fr


Pas si classique

# 120

L’équipe réunie autour de Benjamin Lazar dépoussière avec audace et respect La Traviata de Verdi, pour en filtrer toute l’humanité. Incarnée par une Judith Chemla incandescente, Violetta, courtisane sacrifiée sur l'autel de l'amour, devient une icône moderne. Qui est vraiment Violetta ? Un fantasme théâtral ? Une cousine de la Dame aux camélias ? La courtisane Marie Duplessis, femme libre qui inspira Alexandre Dumas fils comme Verdi ? Une femme sacrifiant son amour à cause de la maladie et de la ruine ? Prenant la forme d’une enquête sur les traces d’un fantôme, la pièce suit toutes ces pistes à la fois, mêlant fiction et réalité avec un anachronisme assumé. Par un jeu d’échos, de Baudelaire au poète contemporain Christophe Tarkos (1963 - 2004), se dessine la faune artistique et transgressive du Paris de 1840 à aujourd'hui. De cette rêverie musicale, la troupe conçoit pourtant un spectacle populaire, mêlant français et italien, spontanéité du jeu et chant. Loin de la traditionnelle séparation entre la fosse et la scène, musiciens et chanteurs-comédiens se partagent les rôles et le plateau, au plus près du public. Au centre, parmi les fleurs dont le parfum accompagnera sa chute, brille Judith Chemla. Déjà bien connue au cinéma (Camille redouble, Versailles, Une Vie…) on découvre ici ses talents d’interprète lyrique. Elle réinvente Violetta, fendillant son statut d’éternelle victime pour défendre sa liberté et Lille, 17 > 29.04,Théâtre du Nord, mar, mer & son droit à « vivre plus vite et plus ven : 20 h, jeu & sam : 19 h, dim : 16 h, 35 > 18 €, www.theatredunord.fr fort ». Sarah Elghazi

© Pascal Gély

théâtre & danse

Traviata, vous méritez un avenir meilleur



Helvète underground écrivaine, illustratrice, prostituée… Grisélidis Réal (1929-2005) demeure une femme complexe, traversée de paradoxes. Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie Française, incarne ce personnage sulfureux. Cette militante suisse fut l'une des meneuses de "la révolution des prostituées", défendant cette condition comme un choix.

# 122

Grisélidis Réal fut dans les années 1970 la figure de proue d’un mouvement à la marge et pamphlétaire. « Se prostituer est un acte révolutionnaire », clamait-elle, alors qu’elle avait délaissé son activité. Elle fut, aussi, une "mère courage" luttant pour récupérer ses enfants - tout en exécrant le dévouement au foyer. Celle qui deviendra "la putain majestueuse" commença à écrire en prison, repoussant les murs à coup d’introspection, de réflexions âpres et d’amours sublimées. Ce sont ses textes ou sa correspondance qui servent de terreau à ce monologue. La mise en scène consiste en différents tableaux épurés, bien que naturalistes. Quelque part entre la loge d’actrice et la chambre de passe, la mise à distance initiale devient un exercice d'incarnation : Coraly Zahonero ressuscite cette gypsy insolente. Créé en février 2013, ce vibrant solo restitue avant tout le portrait d’une femme libre. « Sa vie a été riche, et son combat dépassait le cadre de la prostitution : elle s’est battue pour ses enfants, contre le cancer… Je voulais restituer sa force. Elle nous donne une leçon : celle de n’être victime de rien. ». Oui, le théâtre aussi est un acte révolutionnaire. Selina Aït Karroum

Amiens,18 > 20.04, La Comédie de Picardie, mer : 19 h 30, jeu & ven : 20 h 30, 18 > 11 €, www.comdepic.com

© Jean-Erick Pasquier

théâtre & danse

Grisélidis



théâtre & danse

King Kong Théorie

Emilie Charriot vs Julie Nayer

# 124

© Sébastien Schmit

© Philippe Weissbrodt

Paru en 2006, King Kong Théorie de Virginie Despentes frappe toujours là où ça fait mal. Narrant la condition des femmes et la dépossession de leur sexualité, la porte-parole de l'underground signait un pamphlet plus que jamais d'actualité. Une prose crue et vindicative qui sied parfaitement au théâtre. La preuve avec ces deux nouvelles adaptations. J.D.

Pour sa première mise en scène, la Franco-Suisse Emilie Charriot prend le parti de l'épure. Sur un plateau nu se succèdent deux interprètes : l'une est actrice, l'autre danseuse. Mais simplicité ne signifie pas facilité. Ni simplisme. Faisant face au public, chacune leur tour Julia Perazzini et Géraldine Chollet déclament fidèlement le texte. Mieux : elles lui donnent corps, sans artifice ni véhémence. Il s'agit-là de s'appuyer sur la langue de Despentes, claire et directe, pour affirmer sa liberté de femme, sa volonté d'émancipation tout en restant debout, vaille que vaille.

Elles sont trois sur le plateau. MarieNoëlle Hébrant, Maud Lefebvre et Delphine Ysaye restituent en un peu plus d'une heure toute la rage et l'ironie des mots crus de Despentes. Elles incarnent les « moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf… ». La Belge Julie Nayer a privilégié une scénographie aux accents punkrock, soutenue par la musique et des vidéos de pubs sexistes ou de scènes tirées de King Kong, projetées en arrière-plan ou directement sur le corps des interprètes. Un moment d'insoumission jouissif.

Armentières, 10.04, Le Vivat, 20 h, 16 / 8 €, www.levivat.net

Bruxelles, Jusqu'au 12.05, Théâtre de la Toison d'Or, mer > sam : 20 h 30, 23 > 8 € Bruxelles, 07.05, Les Riches Claires, 20 h 30, 6 €



Comme on nous parle

# 126

Imaginez : une compilation de voix associant l’accent marseillais, le professeur McGonagall dans Harry Potter, des cris d'enfants dans une cour de récré ou un commentateur sportif… Le tout incarné par une seule comédienne ! Ici, nos paroles servent de matière à un spectacle choral destiné à toutes les oreilles. Décryptage du bien nommé blablabla. Depuis 2007, un collectif d’artistes mené par le Girondin Joris Lacoste recueille et répertorie à travers le monde des centaines d’enregistrements sonores. Dans L’Encyclopédie de la parole, tous les registres cohabitent, de la rue à la télévision, du voisin de palier aux annonces du métro. Cette véritable collection de voix s'intéresse à la valeur et à la puissance des mots. « Ce qui frappe, c’est l’incongruité de ces propos ainsi rassemblés et nos façons de communiquer » pointe Emmanuelle Lafon, metteuse en scène de blablabla. Après plusieurs spectacles oraux (Parlement, Suite n°1, Suite n°2…), celui-ci se place cette fois à hauteur d'enfants. « On s’est demandé ce qu'ils entendent à la maison, en classe, à la télévision et aussi malgré eux ». La comédienne Armelle Dousset glisse d’une voix à l’autre pour incarner une foule de personnages. On navigue de la liste des courses aux déclarations d’une youtubeuse, d’un conte récité par une fillette aux injonctions d'un entraîneur de judo… Ce flot de langage crée ainsi de micro-histoires emportant chaque spectateur, petit ou grand, transformant le quotidien en féerie – et ce ne sont pas des paroles en l'air ! Marie Pons Armentières, 06 & 07.04, Le Vivat, ven : 10 h 15 & 14 h, sam : 17 h, 8 €, www.levivat.net

© Martin Argyroglo

théâtre & danse

blablabla



théâtre & danse Les têtes d'ampoule © Vincent Vanhecke

Les Turbulentes

Pavés enchantés

# 128

Loin de s’assagir avec l’âge, les Turbulentes reviennent avec une 20e édition plus remuante que jamais ! La recette, elle, reste la même : le temps d’un week-end, acrobates, comédiens et faiseurs de rêves atterrissent sur le pavé de Vieux-Condé. Bienvenue dans cette grande fête des arts de la rue en communion totale avec les habitants. Près de 200 artistes, une centaine de représentations gratuites, 35 000 visiteurs attendus en trois jours… Oui, le festival créé par le Boulon, unique Centre national des arts de la rue des Hauts-de-France,

s’inscrit bien parmi les manifestations majeures du genre. La directrice, Virginie Foucault, rappelle le principe : « des spectacles à l’air libre, imaginés pour l’espace public, où la ville devient le sujet ».


Les Voyages © Cie XY

Cette approche autorise aux 29 compagnies invitées toutes les folies (ou presque). Colore la ville ! Ici, un "carnet de voyage" sonore et mouvant pour les membres de Carabosse, accueillis en résidence au Boulon. Là, une bulle géante où évoluent les savants fous du groupe ZUR (Zone Utopiquement Reconstituée). Ou encore un pas de deux entre une danseuse et un container pliable exécuté par la compagnie Furinkaï… Formellement, il y aura de quoi s’émerveiller dans le Valenciennois. Mais les spectateurs « seront aussi bousculés », prévient Virginie Foucault. Notamment par la pièce

du Collectif Plateforme sur le trafic des êtres humains, ou par les victimes de la "guerre économique" interprétées par Garniouze. En clôture, The Color of Time incite les habitants à recolorer la ville. Un « pied de nez à notre ère de repli sur soi », selon la directrice, concluant joliment : « Restons effrontés ! ». Marine Durand Vieux-Condé, 04 > 06.05, Le Boulon & divers lieux en ville, gratuit, www.leboulon.fr Sélection : Carabosse : Par les temps qui courent / Delices Dada : Les quatre saisons / ZUR : Le révélateur / Cie Artonik : The Color of Time / Cie XY : Les voyages / Cie Sens ascensionnels : Demandons l’impossible / Cie sous X : « No visa for this country » / Garniouze : Je m’appelle / Collectif Plateforme : Trafic / Cie Les Bougrelas : Ils étaient plusieurs fois / Cie Les Mobilettes : Rejoindre le papillon / Escargopolis : Slow Park / Cie sans Cie fixe : Les têtes d’ampoule / Les Cubitenistes : La manif + Bons baisers de… Mai 68 / Calixte de Nigremont…


Anne Teresa De Keersmaeker s'empare de la partition de Jean-Sébastien Bach. Fascinée par la répétition, les motifs géométriques, la Flamande tente de capter l’essence même des Suites pour violoncelle – « Au-delà de sa structure, la dimension transcendante de cette musique est inscrite dans la chair », dit-elle. Mélancolie et vitalité s’expriment par la grâce de sa danse et de celle de quatre interprètes de sa compagnie. à leurs côtés, le violoncelliste Jean-Guihen Queyras achève de célébrer ce moment d'osmose artistique. Lille, 06 & 07.04, Opéra, ven : 20 h, sam : 18 h, Opéra, 23 > 5 € // Hasselt, 02.05, Cultuurcentrum, 20 h, 26 > 13 €

© JF Robert

© Anne Van Aerschot

Mitten wir im Leben sind / Bach. Cello Suites

Gaspard Proust Annoncé comme la énième résurrection de Desproges (mais qu’on lui foute la paix !), Gaspard Proust a d’abord raté une carrière de banquier suisse. Il a fini par trouver un vrai métier en balançant des horreurs sur scène, provoquant des « rhôô » outragés à tire-larigot. Pas des plus doués pour les titres (son nouveau spectacle s'intitule... Nouveau spectacle), le Slovène s'affiche plus que jamais comme le champion du cynisme – au hasard, sur l'affaire Théo : « pour une fois que les flics ont mis un peu d’amour dans leur intervention… ». Vous voilà prévenus. Bruxelles, 11.04, Théâtre Saint-Michel, 20 h, 49 > 32,50 €// Maubeuge, 12.04, La Luna, 20 h, 20 / 15 € // Cambrai, 13.04, Théâtre, 20 h 30, 34 / 29 € // Roubaix, 14.04, Le Colisée, 20 h 30, 43 > 10 €

© Stereoptik

Dark Circus Imaginez un monde où le cirque n’a plus rien de drôle. Monsieur Loyal présente des numéros maudits : le dompteur a été dévoré par un fauve, le trapéziste a chuté... jusqu’au jour où un jongleur maladroit injecte de la couleur dans ce sombre chapiteau. Entre dessin au fusain et à l'encre de Chine, ombres et lumières, théâtre d’objets et vidéos, Romain Bermond et JeanBaptiste Maillet construisent sous nos yeux un film à l'humour noir, un cirque à la sauce Burton. Béthune, 17 > 20.04, Le Palace, 18 h 30 (sauf ven : 14 h 30), 20 > 5 €, www.comediedebethune.org



théâtre & danse © Sven Etcheverry

Looking for Kim Jonathan Lambert Celui qui fit les beaux soirs d’On n’est pas couché avec ses accoutrements loufoques s’attaque aux dirigeants sanguinaires. Dans son nouveau stand-up, Jonathan Lambert raille les petites manies de grands détraqués de l’Histoire, de Néron à Kadhafi, de Staline à Kim Jong-un en passant par Hitler, cet artiste raté – « si seulement il était resté peintre… à chaque fois que mon fils fait un dessin, j’ose pas lui dire que c’est moche ». Qui a dit "mort de rire" ? Armentières, 04.04, Le Vivat, 20 h, 24 > 8 €, levivat.net Boulogne-sur-Mer, 14.04, La Faïencerie, 20 h 30, 16 > 12 €, www.ville-boulogne-sur-mer.fr

Maxi’Mômes # 12

Bled Runner

Douzième édition déjà pour ce festival destiné aux enfants – à partir de 6 mois ! Au menu ? Des spectacles, des ateliers, des jeux… Le principe est connu, mais toujours surprenant. La preuve avec cette piscine à doudous montée par Le Bar à Mômes ou encore Wax de Renaud Herbin, orchestrant la rencontre d’une comédienne avec… de la cire. Citons aussi Bap de La Mattina, qui nous embarque dans une balade musicale sur les traces d’une chenille. Minis-spectateurs, mais maxiprogramme !

Clin d’œil au film de Ridley Scott, le dernier spectacle de Fellag est un florilège de ses meilleurs sketches. Il convoque des personnages cultes tels que le croyant excessif ou le "muriste" drogué (ce jeune passant sa journée adossé à un mur). Surtout, il narre avec une liberté de parole réjouissante les bonnes et pires histoires franco-algériennes. « Vous avez raté votre colonisation, nous avons raté notre indépendance, on est quitte ! » dit-il, sans amertume mais un sens du décalage salutaire.

Lille, 04 > 08.04, maison Folie Wazemmes, 1 spectacle : 5 € > gratuit, maisonsfolie.lille.fr

Calais, 07.04, Le Channel, 19 h 30, 7 €, lechannel.fr

en famille

La Petite fille de Monsieur Linh

Fellag

[Guy Cassiers / Philippe Claudel]

# 132

Adaptée du roman de Philippe Claudel, cette pièce narre l’errance d’un réfugié en France. Monsieur Linh a fui son pays en guerre pour offrir un avenir meilleur à sa petite fille. Hélas, il ne comprend ni la langue ni les codes occidentaux… Guy Cassiers donne littéralement corps à cette (notre) incapacité de communiquer. Sa mise en scène, très sensorielle, engage un seul acteur perdu au milieu des mots. Une réflexion poignante sur le manque d’empathie dont souffre notre société. Villeneuve d’Ascq, 10 > 13.04, La Rose des Vents, mar, mer & ven : 20 h, jeu : 19 h, 21 > 13 € // Namur, 03 > 05.05, Théâtre Royal, 20 h 30, 21,50 > 6,50 € // Gand, 17 > 19.05, Vooruit, 20 h, 20 > 8 €, vooruit.be (néerlandais) // Bruxelles, 25 > 31.05, Théâtre National, 20 h 15 (sauf mer : 19 h 30), 22 > 12 €



Il n’est pas encore minuit… Compagnie XY

© Christophe Raynaud De Lage

La Compagnie XY, où l’art de s’envoyer en l’air. Née en 2005, cette troupe a fait de la voltige un véritable ballet aérien. Sur scène, 22 acrobates se toisent et se bousculent. Puis l’agressivité laisse place à la coopération. Garçons et filles se jettent en double salto du haut de pyramides humaines, se catapultent à l’aide de planches et enquillent les portés en équilibre sur épaules. Le tout sur une musique swing, sans filet et avec une virtuosité… vertigineuse. Béthune, 12 & 13.04, Théâtre municipal, 20 h 30, 22 / 18 €, www.theatre-bethune.fr

La garçonnière

Comme il vous plaira

Judith Elmaleh & Gérald Sibleyras / Billy Wilder & I.A.L Diamond Années 1950, New York. Modeste employé de bureau, monsieur Baxter prête son appartement à son patron, qui y reçoit sa maîtresse. En échange, il recevra une spectaculaire promotion. Problème, la dame en question n’est autre que mademoiselle Novak… dont il est épris. Doit-il renoncer à son amour ou à sa carrière ? Rire et émotion sont au rendez-vous. Oscarisée en 1961, La garçonnière n’a pas pris une ride, qui plus est portée sur scène par Claire Keim et Guillaume de Tonquédec. Roubaix, 17 & 18.04, Le Colisée, 20 h 30, 50 > 15 €, www.coliseeroubaix.com

Dunkerque, 17 & 18.04, Le Bateau-Feu, mar : 20 h, mer : 19 h, 9 €, www.lebateaufeu.com

Black Clouds

# 134

Christophe Rauck / W. Shakespeare Fuyant la cour de son oncle, Rosalinde s’exile avec sa cousine dans la forêt, et retrouve Orlando. Pour se cacher, les deux femmes se déguisent et Rosalinde, dans la peau d’un paysan, devient le confident de son prétendant… Il y a 20 ans, Christophe Rauck montait cette comédie pastorale avec sa première compagnie. Le directeur du Théâtre du Nord la recrée en l’illustrant avec une voix off et fait place à un répertoire de chansons a cappella, sublimant des joutes verbales atemporelles.

[ Fabrice Murgia & Cie Artara]

Fabrice Murgia pousse toujours plus loin la réflexion sur les frontières. Dans cette création, il s’intéresse à Internet. Des escroqueries orchestrées par les brouteurs, ces pirates du web africains qui séduisent des Occidentaux, à la fracture numérique Nord-Sud, voici une plongée drôle et poétique dans le deep web. Interprétée par quatre comédiens, nourrie de vidéos, voici une pièce onirique et, pourtant, terriblement réaliste. Bruxelles, 18 > 21.04, Théâtre National, 20 h 15 (sauf mer : 19 h 30), 22 > 12 €, www.theatrenational.be



Le dindon

[Thibaut Nève / G. Feydeau]

© DR

Lucienne jure de prendre un amant si son mari la trompe. Ce qui finit par arriver, sans qu’il le veuille vraiment… Mais tout se complique avec l’arrivée d’un Londonien à l’accent marseillais, d’une Anglaise suicidaire, de noceurs invétérés… Revu à la sauce seventies (avec musique disco et DJ sur scène), ce grand classique de Feydeau promet un festival de personnages cachés dans le placard, de portes qui claquent, de quiproquos… Bref, la quintessence du Vaudeville ! Bruxelles, 18.04 > 13.05, Théâtre Royal des Galeries, mar > sam : 20 h 15, dim : 15 h, 25 > 10 €, www.trg.be

Une Maison de poupée

Jan Fabre & Cie Troubleyn

En 1879, Ibsen disséquait les rapports de domination au sein du couple, les tensions entre un directeur de banque et sa femme, mère au foyer obéissante. Lorraine de Sagazan inverse les rôles. Ici, c’est Nora qui travaille tandis que son mari, Torvald, licencié depuis peu, garde les enfants. Mais le soir de Noël, le clivage des genres se révèle autrement plus pernicieux… Installé des trois côtés de la scène, au plus près des acteurs, le public a tout loisir d’observer ce minutieux jeu de dupes.

Foutraque, créative, surréaliste, baroque… Oui, la Belgique est tout cela à la fois ! Alors, qui mieux que Jan Fabre pour lui rendre hommage ? L’enfant terrible de la scène flamande célèbre son "Absurdistan" en mêlant la danse au théâtre et la musique aux arts plastiques, dans un grand moment de fête et de subversion. 15 performeurs enchaînent les tableaux, dont chacun évoque un jalon de la gastronomie (les frites, la bière), une figure (Magritte), une passion (le foot, le vélo)… Un beau bazar !

Valenciennes, 19 & 20.04, Le Phénix, 20 h, 23 > 10 €, scenenationale.lephenix.fr

Bruxelles, 20 & 21.04, Kaaitheater, 19 h, 27 > 10 €, www.kaaitheater.be

Blockbuster

# 136

Belgian Rules / Belgium Rules

Lorraine de Sagazan / Henrik Ibsen

[Nicolas Ancion & Collectif Mensuel]

Attention, ceci n’est pas une pièce comme les autres ! Elle prend la forme d’un mashup de 160 films hollywoodiens. Ce montage d’extraits de blockbusters, donc, est mixé en direct. Le Collectif Mensuel assure les dialogues, le doublage, la musique et les bruitages devant le public. L’histoire met en scène l’insurrection du peuple contre un consortium de multinationales, organisant dans l’ombre une cure d’austérité… Un spectacle drôle et engagé ? Oui, mais avec du Bruce Willis dedans. La Louvière, 24.04, Le Théâtre, 20 h, 15 / 10 €, www.cestcentral.be



classic.typeface © Gao Yang

le mot de la fin

# 138

Gao Yang – Ce designer chinois aime l’alphabet latin. Et l’esthétique rétro-futuriste. Rien d’étrange, donc, à le voir détourner ces gadgets des années 1970 pour créer son abécédaire en 3D. Dans la série classic.Typeface, une platine vinyle illustre la lettre "A", un sèche-cheveux figure le "F", une calculatrice le "N"... Bref, le b.a.-ba de la grammaire vintage. www.behance.net/gallery/62396437/C-L-A-S-S-I-C-typeface




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