n°158 / janvier 2020 / GRATUIt
Art & CulturE
Hauts-de-France / Belgique
sommaire Villa Savoye, Le Corbusier, Poissy (France) © Annabel Briens
LM Magazine #158 – Janvier 2020
news – 06 société – 10 Vagina Museum Enjeux de dames Le Sens du poil Merci d'être velues
portfolio – 22 Annabel Briens La beauté du geste
musique - 30 Entretien avec Kamal Haussmann, Yasiin Bey, Talib Kweli, Videoclub, We Loft Music, Concert hommage à JC Malgoire, Christophe, Malik Djoudi, Rendez Vous, Dominique Dalcan, We Will Folk You, Acid Arab, Supergrass
chroniques – 50 Disques : Népal, Beck, Andy Shauf, Alex Rossi, Space Funk Livres : Earl Thompson, Joe Sacco, Aurélien Lemant, Sophia de Séguin, Ouvrage collectif : Gilets jaunes écrans : Tommaso, Sol, La Sainte famille, Selfie, La Vérité
exposition – 60 Keith Haring, Hyperrealism Sculpture, Roger Ballen, Agenda…
théâtre & danse – 82 Nora Hamzawi, Seb Mellia…, Histoires en série, Festival Dire, La Faculté des rêves, Le Bruit des loups, Les Quelqu’uns, White Dog, [kør], Roulez jeunesse !, Fin de partie, Agenda…
le mot de la fin – 106 The Spectachrome
Magazine LM magazine – France & Belgique 28 rue François de Badts 59110 La Madeleine - F tél : +33 (0)3 62 64 80 09
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Direction artistique / Graphisme Cécile Fauré cecile.faure@lastrolab.com
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Couverture Bol Annabel Briens www.annabelbriens.com @annabelbriens
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Administration Laurent Desplat laurent.desplat@lastrolab.com Réseaux sociaux Sophie Desplat Impression Imprimerie Ménard 31682 Labège Diffusion C*RED (France / Belgique) ; Zoom On Arts (Bruxelles / Hainaut)
Ont collaboré à ce n° : Selina Aït Karroum, Thibaut Allemand, Elisabeth Blanchet, Rémi Boiteux, Annabel Briens, Marine Durand, Sarah Elghazi, Hugo Guyon, Grégory Marouzé, Raphaël Nieuwjaer, Marie Pons, Pauline Thurier et plus si affinités.
LM magazine France & Belgique est édité par la Sarl L'astrolab* - info@lastrolab.com L'astrolab* Sarl au capital de 5 000 euros - RCS Lille 538 422 973 Dépôt légal à parution - ISSN : en cours L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM / Let'smotiv est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.
Papier issu de forêts gérées durablement
Balcons du Verdon © Christophe Benichou Architectures
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On se souvient de son cube placé en équilibre au sommet du pic Saint-Loup, à 658 mètres d’altitude, dans l'Hérault. Toujours aussi perché, Christophe Benichou récidive avec cette nouvelle « fiction architecturale », imaginant des plateformes suspendues aux falaises des gorges du Verdon pour reprendre des forces. évidemment, il s'agit là encore d'un projet théorique, sans grande chance d'aboutir, mais ô combien poétique – ne sommes-nous pas tous au bord du vide ? Au pied du mur ? christophebenichou.com
Non content d'avoir "commis" une version punk de La Joconde, Jisbar a envoyé son interprétation balafrée du sourire le plus énigmatique de l'histoire dans la stratosphère. Célébrant le 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci, l'artiste français a mis sur orbite sa toile le 11 décembre, grâce à une nacelle carbone et un ballon rempli d’hélium. L'œuvre est restée durant 1 h 30 à 33 km au dessus de la Terre, avant d'atterrir en Angleterre. Pro-brexit Mona ? jisbar.jimdofree.com Punk Mona © Jisbar
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Space Mona
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Du monde au balcon
Order of Importance © Leandro Erlich photo © Greg Lotus
Sables émouvants Leandro Erlich berne toujours aussi bien son monde. En décembre, l'artiste argentin a posé sur une plage de Miami cette sculpture de sable représentant 66 voitures grandeur nature. à travers son embouteillage postapocalyptique, le maître de l'illusion nous ouvre les yeux sur les conséquences du réchauffement climatique – s'il le fallait encore. www.leandroerlich.art
Galette magique
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Mercury KX recycle de belle manière le plastique inondant les plages : en fabriquant des vinyles. Ce label anglais a produit 105 galettes avec des déchets ramassés sur les côtes de Cornouailles. Ses acquéreurs découvrent ici un morceau folk inédit de Nick Mulvey. En méditant sur cette réalité : selon Greenpeace, nos vinyles seraient constitués à 43% de PVC. Maintenant, vous connaissez la chanson. www.mercurykx.com
www.visitlimburg.be
© Visit Limburg
Nick Mulvey x Keynvor © Mercury KX / Sharp's Brewery
Jeu de piste En Belgique, la petite reine est un art de vivre. En témoigne cette piste cyclable inaugurée cet été dans la province de Limbourg. Traversant la forêt du domaine de Pijnven, cette route prend la forme d'un double cercle grimpant selon une pente de 4%. Ce drôle de pont emmène dès lors les cyclistes jusqu'à dix mètres de hauteur, pour une petite balade entre les branches.
Seminole Hard Rock Hotel © Klai Juba Wald Architecture
© Paprcuts
Bonnes ondes
Guitar Hero
La technologie RFID (pour "radio frequency identification") ne vous dit sans doute pas grand-chose. Elle vous offre pourtant l'inestimable luxe du paiement sans contact. Elle permet aussi à quelques gredins bien équipés de vider votre compte en banque à distance… Grâce à ce portefeuille anti-RFID en forme de K7 audio (là, on vous expliquera plus tard), vous voilà plus sereins que jamais. www.paprcuts.fr
Cet immense hôtel en forme de guitare électrique a été inauguré en octobre à Hollywood. Le Seminole Hard Rock Hotel & Casino culmine à plus de 121 mètres de haut, affiche 1 200 chambres, 7 000 places assises, 3 000 machines à sous et a coûté 1,5 milliard de dollars. évidemment sa façade, parsemée de milliers d'ampoules, s'illumine la nuit dans un déluge d'effets spéciaux. Triste effet de manche. www.seminolehardrockhollywood.com
Sauvé par le gang à force de clamer à tue-tête que vous rêviez d'un autre monde, vous avez reçu l'intégrale de Téléphone à Noël… Pas de panique. Comme tant d'autres, vous pouvez revendre l'infâme objet pour financer ce coffret triple vinyles de la B.O de Peaky Blinders. Et ressortir le gramophone pour réécouter des tubes de Nick Cave, Jack White, David Bowie ou Joy Division – car ça, c'est vraiment toi.
© Universal Music
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Peaky Blinders (Original Music From The TV Series), Mercury Records / Universal Music France
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Sous les jupes des filles
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agina M u s e u m à Londres, au cœur du légendaire marché de Camden, se trouve un musée unique au monde. Pour cause, celuici est dédié à un organe souffrant d’innombrables mythes et tabous : le vagin. "Si vous utilisez un tampon, vous perdez votre virginité", "les règles sont sales"…
C’est pour démonter ce genre de fadaises et autres idées reçues que le Vagina Museum a vu le jour, en novembre. Entre panneaux explicatifs et œuvres explicites, ce parcours n’a rien de grivois ni du cabinet de curiosités, mais poursuit avant tout un objectif pédagogique. Petite balade gynécologique.
© Angus Young
| Intimes convictions |
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isiteurs en quête d’un sexshop intello, passez votre chemin. Rien d’affriolant comme à Soho ici. Sobre, en noir et blanc, l’enseigne du musée du vagin ressemble à celles des magasins de design ou de fringues du quartier.
« Trop souvent, on considère le vagin comme sale et laid. » Autrefois squatté par les punks et les vendeurs à la sauvette, Camden Market figure désormais dans le top 10 des attractions touristiques, grâce à ses nouvelles échoppes aseptisées… étrange d’y trouver cette institution éducative. Saison festive oblige, elle arbore toutefois son sapin branché
"vagin" : les boules de Noël sont remplacées par des serviettes hygiéniques et tampons usagés. Imitations ou pas, le public garde ses distances… ■◆
Mauvaise réputation
La toute première exposition temporaire (et gratuite) du Vagina Museum s’intitule Muff Busters, en référence aux fameux chasseurs de fantômes. Sauf que "muff" signifie "vulve" en argot anglais. On l’aura compris, il s’agit de combattre les préjugés relatifs au sexe féminin, notamment à travers des panneaux informatifs. Chacun rapporte d’abord un mythe sans détour. Exemple : le vagin, ça pue. Avant de rétablir la vérité : non, comme dirait l’autre, ce n’est pas sale. Plus fort, ça s’auto-nettoie !
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© Angus Young
L’équipe du Vagina Museum : Florence Schechter, Zoe Williams et Sarah Creed
Au milieu des panneaux un poil austères, une œuvre d’art flashy réalisée par l’artiste Sam Dawood attire notre regard. « On dirait une fusée », s’exclame Sean, Britannique quadragénaire. Il s’approche et se rend vite compte de son erreur. « Ah non, c’est un tampon géant usagé », rectifie-t-il, s’attardant ensuite devant une autre pièce, en 3D. à travers des vitres, celle-ci offre une vision en profondeur des organes génitaux féminins. Un brin frustré par la notice "Ne pas toucher", il aurait préféré une installation interactive, sourit-il.
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Santé publique
Comme la majorité de ses compatriotes, Sean a le sens de l’humour. Florence Schechter, la jeune fon-
© Elisabeth Blanchet
Bijou de famille
datrice du Vagina Museum, n’a visiblement pas choisi cette qualité anglaise comme axe de développement. De fait, l’endroit n’a pas pour vocation d’amuser, mais d’éduquer. « J’ai découvert qu’il existait un musée du pénis en Islande mais aucun équivalent féminin. J’ai trouvé cela injuste, expliquait la vulgarisatrice scientifique au Sun. D’autant que le vagin est toujours stigmatisé, les gens le décrivent comme sale et laid. Cela empêche les femmes d’évoquer leurs problèmes gynécologiques à leur médecin voire de subir un frottis. Certaines meurent littéralement de cette honte, des maladies comme le cancer du col de l’utérus n’étant pas dépistées assez tôt ». •••
© Elisabeth Blanchet
Un Noël.le à Camden
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Arrêt sur images
« J’ai trouvé ça chouette et instructif », constate Liva, une touriste américaine de passage entre deux séquences shopping. Son ami Saul est plus sceptique : « Je ne vois pas pourquoi on fait tout un plat du vagin. Et le pénis alors ? C’est un organe plus complexe qu’on le croit. La sexualité c’est un tout ». Les jeunes Yankees finissent leur visite en plaisantant devant les objets de la boutique.
Liva hésite entre les "mugs vagin" et les boucles d’oreilles en forme de vulve réalisées au crochet par Florence Schechter elle-même ! Sean regrette lui que le Vagina Museum n’ait pas existé quand il était ado : « chaque capitale devrait compter le sien, surtout là où les droits des femmes sont bafoués ». Il admet toutefois, le sourire aux lèvres, que des photographies ou films couronneraient cette visite… Blague à part, un sentiment de frustration est palpable à la sortie, avec l’envie d’en découvrir plus. Elisabeth Blanchet à visiter / Londres, Unit 17&18 Stables Market, Chalk Farm Road lun > sam : 10 h-18 h • dim : 11 h-18 h, gratuit www.vaginamuseum.co.uk à lire / La version longue de cet article sur lm-magazine.com
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En 2017, Florence lançait donc l’idée d’un musée du vagin et, d’événements pop-up en expos temporaires, levait plus de 60 000 euros pour créer cette institution. Son but ? Bannir l’ignorance associée aux parties génitales des filles. Le message semble porter ses fruits.
interview
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Propos recueillis par Cécile Fauré & Julien Damien / Photos © IHECS
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L’épilation féminine serait-elle un diktat ? Vaste question, à laquelle répondent cinq étudiantes pas franchement rasoirs de l’Institut des Hautes études des Communications Sociales de Bruxelles. Il y a un peu plus d’un an, Sophia Bouhon, Alice Chemais, Margot Foubert, Charlotte Houben et Laure Marlière ont créé un compte Instagram magnifiant la pilosité de ces dames, dans tous les recoins de leur anatomie : sous les aisselles, le nez, sur (et entre) les jambes, autour des tétons… En novembre dernier, elles lançaient même une web-série documentaire. Mais pourquoi ? Entretien avec Margot, une nana au poil.
| Liberté de pousser |
Quand et comment Le Sens du poil est-il né ? C’est notre projet de fin d’étude, d’ailleurs évalué fin janvier. On est un peu les cinq féministes de la promotion, et on souhaitait dénoncer les stéréotypes de genre. Lorsqu’Alice a insisté sur l’idée des poils, on a d’abord trouvé ça bizarre. Mais en l’évoquant autour de nous, on a mesuré l’importance du sujet. Notre compte Instagram le démontre avec près de 14 200 followers. Aujourd’hui, ce projet a largement dépassé le cadre scolaire.
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Quel est votre propos ? Notre campagne dédiabolise les poils des femmes. Notre credo est : faites ce que vous voulez de votre corps. Acceptez-le avec ses poils ou continuez à l’épiler, mais surtout pas pour les autres.
Peut-on qualifier votre démarche de féministe ? Oui, car elle montre des femmes refusant les diktats et les aide à s’accepter, donc à s’aimer.
« Si les poils sont là, il doit y avoir une bonne raison ! » Pourquoi cette pilosité mérite-t-elle d’être défendue ? Parce qu’elle est difficilement tolérée dans notre société, contrairement à la pilosité masculine. Cela traduit une espèce de contrôle absolu du corps de la femme, lequel doit être lisse, mince, blanc aussi, car on voit très peu de modèles noires… Tout cela répond à certains canons. Voyez toutes ces pubs pour les parfums avec ces filles à moitié nues et retouchées (rires). On voulait démonter ces standards, montrer les femmes telles qu’elles sont. •••
Ensuite, ce n’est pas forcément bon pour le corps. Si les poils sont là, il doit y avoir une bonne raison ! Et puis j’ai la flemme… Quels sont les avantages de cette non-épilation ? On gagne du temps ! Surtout, ça représentait une énorme charge mentale. Je craignais tout le temps qu’on aperçoive mes poils à la piscine ou en short… Aujourd’hui j’accepte mon corps tel qu’il est.
Selon vous, l’épilation féminine trahit-elle un impératif ? Oui, c’est une contrainte sociale, une norme. Si tu n’y adhères pas, tu peux essuyer des regards, des remarques, voire des insultes, comme en témoignent certaines de nos modèles. Ces commentaires proviennent parfois d’enfants très jeunes. C’est étonnant de constater à quel point ils ont déjà intégré cette notion… Beaucoup de femmes aussi sont anti-poils, et très virulentes, ça pose question. Plus personnellement, vous épilez-vous ? Non, car il n’y a aucune raison que la femme s’épile et pas l’homme.
« Ces petits poils sont très politiques. » En attendant, pourquoi est-il considéré comme masculin voire sale ? Si une femme se les laisse pousser, on a tendance à penser qu’elle ne prend pas soin d’elle, ne se lave pas. Et puis il y a un aspect lié au genre : une fille qui ne se rase pas serait masculine voire lesbienne… des raccourcis absurdes. Finalement, ces petits poils sur le corps s’avèrent très politiques, perçus comme militants. •••
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Le Sens du Poil x Les Dimanches Orange Octobre 2019, Atelier 210, Bruxelles © Aurélien De Bolster / Mathieu Huvelle
Selon vous, le poil peut-il aussi être esthétique ? Pour les laisser pousser, il faut tout de même atteindre un certain stade d’acceptation. D’ailleurs est-il indispensable de trouver cela beau ? La femme a-t-elle toujours vocation à être belle ? Ne peut-on pas regarder ce poil avec indifférence ?
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Pourquoi avoir choisi la photo ? Puis la web-série ? La photo est le support idéal pour frapper les esprits. Et Instagram la plateforme incontournable pour valoriser notre démarche. Seulement, les témoignages limités à un nombre de caractères empêchaient d’aller au fond des choses. Voilà pourquoi on
a tourné une web-série rapportant l’expérience de nos modèles. Quels en sont les différents sujets ? On s’intéresse à l’adolescence, la période où les poils apparaissent et les injonctions commencent. On évoque aussi le business du poil, l’investissement en temps et en argent, la pression psychologique… Le dernier épisode focalise sur les poils invisibles, comme la moustache ou ceux autour des tétons, pas réservés aux hommes ! à visiter / www.le-sens-du-poil.com
Q @lesensdupoil
à lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com
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Comptez-vous aussi des soutiens masculins ? Quelques-uns. Certains sont sympas mais un peu à côté de la plaque, soutenant que les femmes poilues sont très sexy. Ce n’est pas le but…
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Soko
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Annabel Briens | La beauté du geste |
à l’heure du tout numérique, le travail d’Annabel Briens dénote, comme son parcours. « J’ai découvert la peinture à 15 ans, grâce à un livre sur l’école de Paris reproduisant des œuvres de Picasso, Modigliani ou Foujita, se remémore la Parisienne. Je ne dessinais pas du tout à l’époque. Mais, j’ai tenté de recopier leurs toiles avec du maquillage ». Après des études d’art à Nantes puis à Paris, elle s’est distinguée grâce « J’aime les à des illustrations pour la mode (Le Mont Saint Michel), accidents l’édition (Grasset) ou la presse (Elle, Grazia). Annabel a et montrer le geste du entre-temps troqué le rouge à lèvres pour la peinture à pinceau. » l’huile, « très diluée, on dirait de l’aquarelle, précise-t-elle. J’aime cette texture, les accidents en découlant, et surtout montrer le geste du pinceau ». Comme en témoigne ce portfolio, son style est reconnaissable au premier coup d’œil : épuré, reposant sur une palette restreinte et de belles respirations. « J’essaie de simplifier au maximum la composition. J’adore ce côté inachevé. Le vide structure l’image et invite le spectateur à y mettre la dernière touche ». à l’instar de Matisse, l’un de ses maîtres avec David Hockney. D’abord spécialiste du portrait, Annabel se passionne désormais pour l’architecture et son « aspect très graphique ». Au fil de ses recherches ou promenades, elle croque des maisons signées Le Corbusier, Gio Ponti, voire des pavillons de banlieue, « des endroits isolés, désertiques, comme chez Hopper ». Dénués de présence humaine, ces paysages "modianesques" titillent l’imagination. Ils invitent à nourrir ces scènes d’une myriade d’histoires – juste pour la beauté du geste. Julien Damien
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à visiter / www.annabelbriens.com, Q @annabelbriens à lire / L’interview d’Annabel Briens sur lm-magazine.com
David Hockney
Liam Gallagher
Tinos, Grèce
Illustration pour Elle
Villa Nemazee, Gio Ponti, Téhéran
Femme en voiture
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© Jerome Bonnet
« Paris sous les bombes de NTM a changé ma vie. »
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interview
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Kamal Haussmann | French Connection |
Lunatic, Pit Baccardi, Oxmo Puccino, X-Men… Autant de noms inscrits au panthéon du rap français. En arrière-plan on trouve le collectif Time Bomb, auquel ils ont tous appartenu. Kamal Haussmann y est entré à l'âge de 14 ans, dès sa fondation en 1995. L’ex "Jedi" au sein du groupe ATK (Avoue que tu kiffes) raconte cette histoire de l'intérieur, à travers ses yeux d'apprenti rappeur puis de producteur respecté. Des premiers freestyles sur les ondes de Générations à l'enregistrement de morceaux cultes comme Le Crime paie, l'ouvrage du Parisien dévoile les coulisses d'un mouvement révolutionnaire, l'âge d'or du hip-hop hexagonal. On rembobine… Quel est le sujet de votre livre ? Time Bomb décrit tout simplement mon histoire. En studio, les artistes me demandaient régulièrement de revenir sur cet âge d'or du rap. On m'a alors suggéré d'écrire un bouquin. Cela a pris 20 ans car j'ai longtemps trouvé ça prétentieux. J'étais aussi trop jeune, sans le bagage requis pour conduire l'exercice.
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Pourquoi avoir choisi la forme autobiographique ? Je voulais mêler la petite histoire à la grande. En présentant celle
des rappeurs de l'intérieur. On comprend mieux les enjeux en s'identifiant aux protagonistes et à leur parcours. Comment avez-vous découvert le rap ? Quand j'étais au collège, un ami m'a prêté une cassette qui a changé ma vie : Paris sous les bombes de NTM. J'ai découvert un monde qui me correspondait complètement. à 12 ans, habité par un vif sentiment d'injustice, le rap répondait à toutes mes questions. C'est mon histoire d'amour la plus violente, •••
à quoi ressemblait le hip-hop en France à cette époque ? Il était quasi inexistant, à part quelques mecs comme NTM, IAM, Benny B, MC Solaar ou Assassin.
« Imbattables en termes de rythmes et de rimes. » Très vite, avec mes potes, on s'est identifiés à NTM. à la télé, on les présentait comme des phénomènes de foire. Puisque les journalistes ne les comprenaient pas, par extension ils ne nous comprenaient pas non plus… Le fossé était évident. Il n'est même plus question de musique là, mais de stigmatisation sociale.
Comment Time Bomb est-il né ? Grâce à DJ Sek et DJ Mars qui organisaient déjà des soirées à 17 ans avec les gars d'Assassin ou Jimmy Jay… Tous deux ont ensuite enregistré une compil' pour annoncer leurs couleurs. Les X-Men sont ainsi sortis du lot avec J'attaque du mike, très avant-gardiste. Puis, ils ont créé ce fameux collectif : Time Bomb. Pourquoi ce nom ? Mars et Sek l'ont trouvé en réunion. C'était supposé renvoyer à notre explosion à venir, dans le bon sens du terme. Comme vous le savez, c'est l'inverse qui s'est produit… Qu'est-ce qui caractérise votre son ? Il s'inspirait directement du rap américain, de Boot Camp Clik au Wu-Tang
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je n'ai jamais connu de sensation aussi forte…
en passant par Nas. On a voyagé plusieurs fois à New York, ce qui a donné lieu à des scènes mémorables (ndlr : notamment un concert émaillé de fusillades). On a décortiqué tout ce qu'ils produisaient : musique, paroles, attitudes… et on l'a importé en France. Et sur le plan de l'écriture ? Gilles des X-Men revendiquait une discipline presque scolaire, une science de l'ordre de la poésie. Pit Baccardi (membre de Time Bomb) disait qu'on était « spécialistes en rapologie ». On exprimait un sentiment, mais en observant des règles précises. En planchant là-dessus, on savait qu'on était meilleurs que les autres.
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Comment avec-vous découvert Oxmo Puccino et Booba ? J'ai rencontré Booba en studio durant l'enregistrement de Time Bomb explose. Oxmo, c'était chez Gilles. Tous deux étaient très déterminés, d'un sérieux morbide. On ne pensait pas encore faire carrière tandis qu'eux voulaient devenir des stars. Leur succès est mérité. Ils ont une grande faculté d'adaptation, la définition même de l'intelligence.
En tant que beatmaker, de quelles productions êtes-vous le plus fier ? Notre premier single c'était Toute la night de La Fouine, donc il a une valeur sentimentale. J'ai adoré produire Oklm de Booba et Nador de Kaaris. Comment votre génération se distinguet-elle de ses aînés ? Nos prédécesseurs puisaient dans la musique des 1980's90's, comme LL Cool J ou EPMD. De notre côté, on visait déjà plus le rap du nouveau millénaire avec Notorious Big, Capone-N-Noreaga. L'ordre naturel des choses, quoi. à l'inverse, qu'avez-vous avez apporté aux jeunes générations ? Durant notre âge d'or, les gamins estimaient qu'on était imbattables en termes de rythmes, de rimes… bref, qu'on avait atteint le sommet. Heureusement, tout n'a pas été défriché sur le plan de la musicalité. Récemment encore Lomepal a amené des trucs nouveaux en termes de son, même si techniquement il demeure proche de Time Bomb ! Propos recueillis par Tanguy Croq
à lire / Time Bomb de Kamal Haussmann (Albin Michel) 448 p., 22,50 €, albin-michel.fr à lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com
VS Appelez-le donc Yasiin Bey. Mais pour les amateurs de rimes multisyllabiques et de flow limpide débitant du pamphlet au kilomètre, il sera toujours Mos Def. Apparu au mitan des années 1990, en marge d'une scène new-yorkaise surjouant les gros bras (RIP, Biggie) ou se vautrant dans le blingbling pour passer sur MTV (RIP, P. Diddy), le natif de Brooklyn dénote alors. Sous ses tee-shirts mal fagotés, il cite Tony Morrison sur des samples de Gil Scott-Heron, et parfait ses gammes entre jazz et boombap. Figure de proue du label Rawkus, Dante Terrell Smith popularise le rap underground au sein de Black Star, puis en solo avec son chef-d'œuvre, Black on Both Sides – contenant des titres comme Ms. Fat Booty. Depuis ? Pas grand-chose. Trois disques passables, quelques compils d'inédits… En somme, il joue les rentiers – annonçant même sa retraite en 2016. à Anvers, il fête les 20 ans du précité Black on Both Sides, mais promet un nouvel album avec Kweli. Prophète ou beau-parleur ? Anvers, 23.01, De Roma, 20 h, 27 / 25 €, www.deroma.be
© Aida Muluneh
Yasiin Bey
Voici plus de 20 ans, Mos Def et Talib Kweli publiaient Black Star, pierre angulaire du rap underground. Depuis, le premier a changé de blase, est devenu une star planétaire. Le second demeure plus discret, mais toujours en verve. Et maintenant ? Julien Damien
Comme Yasiin Bey, Talib Kweli a fourbi ses armes sur les scènes de New York dans les nineties, en particulier au sein du Lyricist Lounge, peaufinant ses rimes et sa technique lors de freestyles jamais vraiment improvisés. Fidèle aux racines du hip-hop (contestataires, héritées de KRS-One, A Tribe Called Quest ou d'Afrika Bambaataa), le "chercheur" (son surnom en Swahili) a poussé très loin les bases du rap dit "conscient" avec Black Star, et n'a depuis pas dévié de sa route. En témoigne le très explicite Fuck The Money, publié en accès libre sur son site en 2015. Mais soyons honnêtes, malgré une production bien plus importante (une dizaine de disques, des collaborations avec Anderson .Paak, Kanye West ou Kaytranada), il n'atteindra jamais l'aura de son facétieux comparse, lequel a traîné sa bonne bouille dans une trentaine de films (dont Soyez sympas, rembobinez de Michel Gondry). Sans rancune car, pour les puristes, la vraie légende c'est lui.
© Hugo Comte
© Dorothy Hong
Talib Kweli
Bruxelles, 26.01, Bazaar, 20 h, 28 / 25 €, manufacture111.com Tourcoing, 28.01, Le Grand Mix, 20 h, 19 > 5 €, legrandmix.com
© Aube Perrie
Videoclub | Rétromania |
à peine 18 ans, des traits enfantins et un amour incandescent. Adèle Castillon et Matthieu Reynaud forment le duo Videoclub, et cartonnent sur Youtube avec des clips gorgés de références – et de baisers langoureux. Biberonné aux séries Netflix et aux nineties, ce couple d'ados redéfinit le cool selon la génération des Millennials, en gardant un œil dans le rétro. Tout juste sortis du lycée, ces deux Nantais donnent un gros coup de jeune à la pop française, avec seulement cinq chansons au compteur. Amour plastique, leur tube sorti en septembre 2018, cumule déjà 23 millions de vues… Ce répertoire balbutiant cultive une esthétique colorée, fleur bleue et nostalgique des années 1990. Du genre qui dégouline de partout. C'est bien simple, pas un clip sans fiévreuses galoches ! Pour autant, leur musique, mêlant clavier et spoken word façon Fauve, est si convaincante qu'on leur pardonne tous ces patins. Adèle Castillon était déjà connue sur Youtube. Elle y poste depuis ses 13 ans des pastilles où elle commente avec humour les préoccupations des "2000". Elle a aussi joué dans deux films, Sous le même toit de Dominique Farrugia et L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier. La musique s'est imposée à elle lorsque Matthieu Reynaud, pour la draguer, lui a envoyé ses compositions. Séduite, Adèle proposa d'y poser sa voix, et Videoclub vit le jour. Depuis lors, nos deux tourtereaux, un brin timides, sont embarqués dans une tournée, en attendant la sortie de leur album. Un teenage movie à suivre.
Bruxelles, 13.01, Botanique, 19 h 30, 21 > 15 € // Béthune, 14.01, Le Poche, Complet ! // Amiens, 22.01 La Lune des Pirates, 20 h 30, 13 / 8 € // Tourcoing, 20.02, Le Grand Mix, 19 h, 24 / 20 € (festival Pop Factory)
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Pauline Thurier
Chamberlain © Bruno Catty
We Loft Music Six jours de rencontres et de concerts dans des lieux atypiques de Roubaix. Telle est la promesse de ce festival itinérant mis sur pied par La Cave aux Poètes. L'occasion de visiter la Villa Cavrois sous les volutes jazz et techno de Chamberlain, ou les salons rococo de l’Hôtel de Ville avec la pop-folk du New-Yorkais Chris Garneau. En sus, quelques propriétaires mélomanes mettent à disposition leur loft pour accueillir, entre autres, le vaporeux Awir Leon ou les effronteries techno de Üghett. J.D. Roubaix (+ Croix), 14 > 19.01, divers lieux, 1 concert : 15 € > gratuit • pass : 21 > 15 €, caveauxpoetes.com
••• Sélection / 14.01 : Glass Museum // 15.01 : Coupé / collé par Chilly Jay & Abraham Ft. Awir Leon 16.01 : Piers Faccini // 17.01 : Chamberlain, Awir Leon // 18.01 : Awir Leon, Üghett, Le Club Philippe le Danger 19.01 : Chris Garneau, Conférence : le béaba de la permaculture par Sylvain Przybylski
Tourcoing, 10 & 12.01, Théâtre municipal R. Devos, ven : 20 h • dim : 15 h 30, 25 > 6 €, atelierlyriquedetourcoing.fr
JC Malgoire © Danielle Pierre
Directeur de l'Atelier Lyrique de Tourcoing pendant près de 40 ans, Jean-Claude Malgoire s'en est allé le 14 avril 2018. François-Xavier Roth lui succède à la tête de cette précieuse scène. Ce chef d'orchestre français parmi les plus charismatiques rejoue la Symphonie n°39 de Mozart et des airs de la trilogie Da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni et Cosi fan tutte). Et rend le plus beau des hommages à l'un de ses maîtres. J.D.
Roth ©Levy Francois Sechet ©FX Philippe
Hommage à Jean-Claude Malgoire
© Lucie Bevilacqua
Christophe | Dandy de grand chemin |
Lille, 18.01, Casino Barrière, 21 h, 49 > 43 €, www.casinosbarriere.com
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Les chanteurs un jour estampillés "yéyé" ont rarement surpris. Or, pour la remise en question, la table rase du passé, la constitution d'une légende de son propre vivant, c'est vers Christophe que l'on se tourne. L'interprète d'Aline, ringardisé dans les eighties, connut un incroyable retour en grâce à l'orée du nouveau siècle. La presse s'était passé le mot (bleu) et, franchement, avait vu juste. Cet intime d'Alan Vega a fait mine de s'en moquer, travaillant son allure de dandy et, c'est le plus important, signant des disques vertigineux – dont le bien nommé Les Vestiges du chaos (2016). Christophe reçoit désormais les honneurs de deux compilations où il faut trier le bon grain de l'ivraie, le fondateur des disques Motors s'acoquinant avec Etienne Daho ou Sébastien Tellier, certes, mais aussi Julien Doré ou Camille… Qu'importe : ces tristes sires ne l'accompagnent pas dans cette tournée en solo d'ores et déjà historique. Thibaut Allemand
© Marcel Hartmann
Malik Djoudi
Héritier de discrets dandys nommés Alain Chamfort, Christophe ou William Sheller, Malik Djoudi marie son amour de la pop française lettrée à celui des nappes électroniques. Le résultat, pas toujours original mais franchement convaincant, a séduit un certain Daho. Un duo et quelques premières parties durant l'Eden Tour auront mis en lumière ce trentenaire timide. Le Rennais n'étant pas vraiment du genre à s'incruster, mais « à souffler sur les ailes de ses protégés pour les faire s'envoler » (dixit Lou Doillon), Malik Djoudi devrait s'affranchir rapidement de cette tutelle prestigieuse. Il en possède le talent, en tout cas. T.A. Hénin-Beaumont, 17.01, L'Escapade, 20 h, 12 / 9 €, www.escapadetheatre.fr
Rendez Vous
Béthune, 22.01, Le Poche, 20 h, 12 / 10 €, lepoche.fr // Anvers, 23.01, Trix, 19 h 30, 15 / 13,50 €, trixonline.be
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© Pierre-Ange Carlotti
Guitares stridentes, basses lourdes, voix sépulcrales, synthés glacés, batterie sous kétamine… Formé en 2012, ce quatuor parisien s'est imposé avec une poignée d'hymnes martiaux bien sentis (Distance, Euroshima) en figure de proue balafrée du post-punk français. Evidemment, les chants sont anglais, et les influences d'hier (The Cure, Métal Urbain) et d'aujourd'hui (The Soft Moon en tête) se bousculent façon pogo. Certes, Rendez Vous n'a pas inventé la poudre, mais il sait la faire parler. J.D.
Dominique Dalcan | Le Caméléon |
Il n'est pas toujours facile de se faire un nom dans la pop française. Alors, imaginez lorsque vous jonglez avec trois patronymes. Imaginez… Né Dominique Vauthier, alias Dalcan, rebaptisé un temps Snooze, le Français s'est offert une nouvelle et troisième vie avec Temperance. Contrôle d'identité(s). que l'on attendait, en vain, de Scott Walker (et que l'on n'aura jamais désormais). Belle ironie de l'histoire : c'est avec cette œuvre, et au bout de 30 ans de carrière, que Dominique Dalcan gravit les marches de la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) pour y recevoir sa première Victoire de la Musique. Seconde ironie : cette tournée le voit jouer des morceaux de Temperance sous le nom de Dominique Dalcan… Vous êtes perdus ? Laissez-vous porter ! Thibaut Allemand
Lens, 25.01 Le Colisée, 20 h 15 > 7,50 €, villedelens.fr
© Paul Rousteau
Dominique Dalcan, c'est ce songwriter glabre auteur de quelques tubes confidentiels durant les années 1990 – citons Aveugle et sourd. Refusant les niches et désireux de se frotter aux sons électroniques, le natif de Beyrouth se réinventait en 1995 sous l'alias Snooze. Quelques albums ne trouvèrent pas leur public, comme on dit chez Universal, mais charmèrent des mélomanes curieux – et c'est bien le plus important. Stakhanoviste, Dalcan ? On ne sait pas. En tout cas, il ne publie sans doute pas tout ce qu'il produit – n'est pas Murat qui veut. En 2017, DalcanSnooze surprenait avec une troisième entité baptisée Temperance. L'ensemble mêlait soul, electropop oblique et post-dubstep expérimental, et se présentait nimbé de cordes façon David Whitaker. Soit le disque
m u si q Theo Lawrence © Alysse Gafkjen
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We Will Folk You
à l'image de ses bardes à guitare, ce festival dédié aux musiques folk (et affiliées) prend lui aussi le large. Cette neuvième édition passe ainsi par le Bateau Feu ou dans l’ancienne église Saint-Pierre de Coudekerque-Branche – soit l'écrin idéal pour les embardées éthérées du Bordelais Botibol. Lovée entre verdure et cours d'eau, la scène des 4Ecluses n'est pas en reste pour flatter de soyeuses chansons (Chris Garneau), mais pas seulement. En témoignent les "murder ballads" de Theo Lawrence, dispensées dans une Amérique fantasmée, ou encore Jawhar, quelque part entre le chaâbi et les mélopées de Nick Drake. J.D. Dunkerque & alentours, 28.01 > 01.02, Les 4Ecluses et divers lieux, 12 € > gratuit, 4ecluses.com ••• Sélection / Le Bateau Feu : 28.01 : Arnaud Fradin & His Roots Combo… // église St-Pierre de Coudekerque-Branche : 29.01 : Botibol (+ goûter-concert), Accidente // Les 4Ecluses : 30.01 : Theo Lawrence, Jawhar, Squirrel Flower // 31.01 : Chris Garneau, Samana, Ran Nir // 01.02 : Moloch / Monolyth, SaSo…
Lille, 24.01, L'Aéronef, 21 h, 22 > 14 €, www.aeronef.fr Bruxelles, 04.02, Ancienne Belgique, 20 h, 20 / 19 €
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Depuis 2012, Acid Arab cultive une hybridation étrange mais qui, à l'écoute, tombe sous le sens : l'inscription d'instruments arabes "classiques" (derbouka, oud, pungi…) dans différentes écoles électroniques (techno, acid-house…). Ce qui n'aurait pu donner qu'un bon maxi fut développé le long de deux albums, marqués par la participation de quelques pointures – Cem Yildiz, Ammar 808… Le résultat est à l'image de leurs sets : épique. T.A.
© Philippe Levy
Acid Arab
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© Tim Oxley
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à écouter / Best Of Supergrass : The Strange Ones, 1994-2008 (WEA, sortie le 24.01)
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grass | This is England |
Supergrass demeure l’un des groupes les plus sous-estimés du mouvement Britpop, qui fut de fait plus générationnel que musical. Dix ans après une séparation à l'amiable, et à l'occasion de la parution d'un coffret sacrément appétissant, la bande d'Oxford remonte sur les planches. Rétrospective accélérée. Catapulté sur la scène Britpop à la grâce de deux singles (Caught By The Fuzz et Alright) et d'un album inusable (I Should Coco), Supergrass aurait pu disparaître aussi vite. En 1997, ladite scène est sur le déclin : Blur se lance dans l’indie rock US, Oasis signe le boursouflé Be Here Now (trop de coke), et Pulp publie le sombre This is Hardcore (plus assez de coke). Gaz Coombes et les siens ne veulent pas jouer les gardiens d’un temple dont ils se fichent éperdument. Le trio est "là pour l’argent", et le clame ironiquement avec In It for the Money. Mais voilà : sous ces airs potaches, se planquent de redoutables songwriters. ■◆
Parcours sans faute
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Ces Anglais sont d'abord vus comme de joyeux drilles et ne seront jamais vraiment pris au sérieux. Madness a eu le même souci. Pourtant, de 1999 à 2008, paraîtront quatre albums impeccables, souvent placés dans les charts, mais ne renouant pas avec la popularité des débuts. Tant mieux ? Sans doute. Ainsi Supergrass a pu, sans pression commerciale, dérouler le fil d'une inspiration jamais prise en défaut. En témoigne ce coffret regroupant les six albums originaux, des CD bonus de live inédits, des faces B, des remixes, des démos et autres versions acoustiques – on en passe. De quoi redécouvrir l'un des groupes les plus attachants et passionnants de ces 25 dernières années – que l'on ait connu ou non la Britpop. Thibaut Allemand Bruxelles, 05.02, Ancienne Belgique, 20 h, 29 / 28 €, abconcerts.be
Népal
Adios Bahamas
(Etendard Management / IDOL / Triple 4 Gear)
La nouvelle de sa disparition est tombée comme un couperet, fin novembre. John Doe du rap français, Népal cumulait les alias et les projets confidentiels, salués par la critique et le public. Membre de la 75e Session et du duo 2Fingz, il était aussi connu comme beatmaker sous les pseudos KLM ou Grandmaster Splinter et avait signé quelques featurings remarqués – Esquimaux, avec Nekfeu. Son premier album studio, Adios Bahamas, paraît donc de manière posthume. Sans réelle surprise, la maîtrise technique du jeune rappeur nous assène un bel uppercut. Si le vocodeur assumé du premier single Là-bas a inquiété certains fans, les synthés planants de Daruma ont mis tout le monde d'accord. Côté prods, on retrouve donc KLM et ses compères, parmi lesquels Diabi, Hugz ou Sheldon avec qui il réalise le très réussi Vibe. Intimiste et mélancolique comme à son habitude, Népal s'aventure aussi dans des contrées nouvelles. Citons le plus trap Ennemis pt.2 avec Di-Meh ou le combo guitare / chant de Crossfader. Cet ultime cadeau est bel et bien son chant du cygne. « Après le rap j'irai faire du surf », peut-on lire sur son compte Instagram. Bonnes vagues l'artiste. Tanguy Croq
(Caroline / Universal)
Reconnaissons-le, l’espoir d’un très bon Beck s’était évaporé, année après année. Abonné à l’eau tiède, il arrosait son auditoire avec une poignée d’albums insipides… Alors, on se pince d’assister au retour du Beck inventif et inspiré tel qu’on ne l’avait pas entendu depuis The Information. Il y a quelque chose d’onirique dans cet Hyperspace. Pas seulement dans les textures, élaborées avec Pharrell Williams et évoquant de loin les brumes de la vaporwave. De méditations éthérées en sucreries hip-pop, cet excellent cru parvient même à rendre Chris Martin sympathique. Ce dernier obtient ici un rôle de figuration sur la très émouvante Stratosphere. La dernière partie du disque confirme joliment que l’Américain est à nouveau en liberté. Ne nous réveillons pas ! Rémi Boiteux
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Beck — Hyperspace
Andy Shauf
Alex Rossi
Boogie Drugstore)
(Kwaidan Records)
Domani è un'altra notte
The Neon Skyline (ANTI- /
Comme dans The Party, qui décrivait le déroulement d’une soirée alcoolisée, ces chansons d'Andy Shauf observent un fil rouge. Il est question du retour du narrateur dans sa ville natale où il retrouve son ami d'enfance Charlie et Judy, son ex-petite amie avec qui la séparation fut douloureuse. Le ton de cet album oscille entre compositions guillerettes (The Neon Skyline, Where are you Judy) et titres doux-amer comme Try Again, montrant les efforts de notre héros pour recoller les morceaux avec son ex. Musicalement, Andy Shauf a choisi l'épure. Les morceaux reposent sur la guitare, soutenue parfois par le piano et des instruments à vent. Les effets de claviers sont eux plus discrets. Le Canadien s'affirme ainsi comme un songwriter essentiel.. Hugo Guyon
Rarement exercice de style aura autant ému. À l'origine, un défi lancé par Romain Guerret (leader d'Aline) à Alex Rossi : écrire une chanson à la manière de cette pop ritale qu'ils affectionnent tant. Sitôt dit, sitôt fait, L'Ultima Canzone était publiée par Born Bad en… 2013. Depuis ? Plus rien. Et voici que débarque cet album unissant variété transalpine, canons italo-disco et lecture de lettres du grand-père de Rossi, resté à Rome, et adressées à son fils émigré, qu'il ne reverra jamais. C'est cette alliance entre profondeur et légèreté, arrangements soignés (ces synthés, ces chœurs, ces guitares…) et le talk-over de latin lover qui font tout le charme, la classe et la grâce de ce disque paru fin 2019 – et l'un des meilleurs des années à venir. Thibaut Allemand
Compilation — S pace Funk - Afro Futurist
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Electro Funk in Space 1976-84
(Soul Jazz Records)
Édité par l'insigne maison Soul Jazz, ce florilège regroupe (une partie de) la crème de l'electrofunk, ce genre hybride laissant la part belle à la TR-808. En dépit de quelques scories (Santiago, Juju & The Space Rangers, Funk Machine), on retrouve ici les racines de la première vague hip-hop (L E O, Robotron), des bandes-son rêvées pour cruiser du côté de Miami (The Sonarphonic), et des francs-tireurs marqués à jamais par le Kraftwerk tardif (Frank Cornilius, Jamie Jupitor). À la fois documentaire historique, voire archéologique, et véritable malle aux trésors, cette compilation fera date pour tous les amoureux de Jonzun Crew, Cybotron ou Dopplereffekt. Thibaut Allemand
Earl Thompson Tattoo (Monsieur Toussaint Louverture)
Précieux défricheur de la littérature étrangère (Steve Tesich, Emil Ferris, entre autres "monstres"), Monsieur Toussaint Louverture poursuit sa fascinante entreprise avec l’Américain Earl Thompson (1931 - 1978). Suite de l’épique Un Jardin de sable, Tattoo narre l’itinéraire d’un enfant de la grande dépression fuyant la misère et la violence du midwest pour s’engager dans la Navy, à 15 ans. Entre coups et caresses, Jack se cherche une échappatoire, un destin. De sa Wichita natale à la Chine, ce motherfucker (au sens le plus littéral) s’envoie en l’air. Il regarde les étoiles les pieds dans la boue, nageant dans les abysses d’une humanité brinquebalante d’où surgit, parfois, le sublime – « L’océan, ça n’allait nulle part, c’était seulement là, pesant et pourtant couronné de la plus délicate des dentelles d'écume ». Pour le dire vite, c’est Céline chez Faulkner, Mark Twain chez Steinbeck (du brutal). Une odyssée poisseuse narrée avec limpidité et crudité, mais sans salade, le récit étant largement autobiographique – décidément, la réalité dépassera toujours la fiction. En cela, Earl Thompson nous balance un uppercut dont on se souviendra. Une trace indélébile. 1 024 p., 28 €. Julien Damien
Joe Sacco
Après des reportages à Gaza ou en Bosnie, Joe Sacco est parti à la rencontre des Denes, un peuple autochtone du nordouest canadien. évidemment, le cœur n'est pas à la fête. Colonisés, dépouillés de leurs richesses naturelles et héritant d'un territoire ravagé par la fracturation hydraulique, ces indigènes vivent dans des conditions terribles. Cette situation, largement ignorée dans nos contrées, est ici mise en lumière sans aucun pathos, mais avec humanité et un souci du détail, tant graphique que narratif. Le trait est vif et ces pages en noir et blanc sont pleines de vie, grâce notamment à un découpage très dynamique. Bref, Sacco signe, une fois encore, une BD qui fera date – et aidera, on l'espère, les Denes dans leurs luttes. 272 p., 26 €. Thibaut Allemand
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Payer la terre (Futuropolis)
Aurélien Lemant
Sophia de Séguin
Watchmen : Now
La Séparation
(Aedon)
(Le Tripode)
Dans ce bref mais dense ouvrage, Aurélien Lemant ausculte le fondamental comic-book de Moore et Gibbons, né au mitan des années 1980. Sans déférence envers le matériau, l’audacieux et inspiré exégète tourne autour de l’œuvre comme un électron autour de son noyau. Pour cela, il convoque toute la mythologie super-héroïque des origines à nos jours. Mieux, il renverse la proposition à laquelle on a souvent réduit le récit : et si, au lieu d’une imagerie fascisante, le mythe du super-héros ouvrait un horizon démocratique ? Ces neufs chapitres tranchants font appel, entre autres, à la théologie, mais sans perdre de vue l’histoire et les spécificités de la bande dessinée. Un medium auquel la hauteur de vue de ce livre rend le plus bel hommage. 120 p., 9,90 €. Rémi Boiteux
La Séparation se présente comme un journal intime, auquel il serait vain de chercher une unité de forme ou de fond. Dans cette entreprise personnelle, finalement (fortuitement ?) publiée, l’autrice n’a qu’un seul alibi : pérenniser à travers les mots sa relation passée, aussi sublimée que destructrice, avec Adrien. Dans un style foisonnant et précieux, se succèdent les scènes mythologiques et les aventures triviales, les déclarations enflammées et les accès de nausée. On ne sait jamais, sous la plume de Sophia de Séguin, ce qui relève de la sincérité ou du second degré, des souvenirs vécus ou du fantasme. Mais n’est-ce pas le propre de toute histoire d’amour que de s’accrocher au rêve comme à la réalité ? 198 p., 16 €. Sarah Elghazi
Collectif Gilets jaunes : jacquerie ou révolution
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(Le Temps des Cerises)
« Ultra-minoritaires dans la rue et dans les urnes, majoritaires dans les esprits ». Voilà comment Yves Vargas, philosophe et responsable de la collection "Matière à pensées" au Temps des Cerises, décrit les réminiscences des Gilets jaunes. Inédit en France au regard de son apparition spontanée et sa longueur, le mouvement social est dans toutes les têtes. Cet ouvrage collectif est une compilation d’entretiens, chants ou analyses à chaud de chercheurs, économistes, philosophes, militants ou participants. Si on peut lui reprocher sa partialité assumée, il apporte néanmoins des clés de compréhension sur plusieurs aspects : relations avec les syndicats, place des femmes, liens avec l’écologie… Une lecture passionnante en cette période de bouillonnement social. 317 p., 15 €. Hugo Guyon
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Tommaso | Séjour au purgatoire |
Avec Snake Eyes (1993) et The Blackout (1997), Abel Ferrara avait renouvelé la mythologie romantique de l'artiste, à la fois ange et paria. Dans 4 h 44 Dernier jour sur terre (2011), les affres de la création se confondaient avec les élans déses-
pérés de la chair et l'angoisse de la fin du monde. à chaque fois, le manque côtoyait l'excès, ouvrant l'abîme de l'autodestruction. Largement autobiographique, ce nouveau long-métrage se donne au contraire comme une recherche obstinée de
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Inséparables depuis une bonne décennie, Abel Ferrara et Willem Dafoe offrent avec Tommaso une nouvelle variation autour de la figure de l'artiste. Loin du roublard et fantasque Ray Ruby de Go Go Tales (2007), ils se confrontent à un vertige inattendu : celui d'être en vie après avoir cédé à tous les excès.
© Peter Zeitlinger
l'équilibre. Cinéaste américain installé à Rome avec sa compagne et leur bébé, Tommaso (Willem Dafoe) écrit le scénario de son prochain film. Il apprend l'italien, achète des légumes, se promène au parc avec son enfant et pratique le yoga. Mais peu à peu, il est rattrapé par sa jalousie maladive. Réalité et affabulation se confondent…
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Rester vivant
La succession de scènes quotidiennes engendre d'abord une étrange monotonie, à la fois joyeuse et inquiète. Au fond, la création importe moins ici que
le "métier de vivre", et nul mieux que Ferrara sait la discipline d'une existence ordinaire. Le film, pour autant, ne s'arrête pas au seuil de l'appartement familial. Par bouffées, visions, cris, le monde continue de cogner à la porte, tandis que le cinéaste luimême laisse filtrer ses tourments. Le confort n'a pas triomphé du mal, l'artiste n'a pas renoncé à l'exigence de vérité. Tommaso apparaît alors moins comme un film assagi qu'une variation d'une poignante nudité. Raphaël Nieuwjaer D'Abel Ferrara, avec Willem Dafoe, Cristina Chiriac, Anna Ferrara… Sortie le 08.01
© Pascal Chantier / Studiocanal et Iliade & Films
Sol | Famille recomposée |
Comédie douce-amère, Sol parle d’amour au sens large, tout en offrant une partition subtile, inédite, à Chantal Lauby et Camille Chamoux. En se réinventant, les deux actrices se montrent à la hauteur de la belle proposition formulée par la réalisatrice Jézabel Marques. Coup de foudre !
De Jézabel Marques, avec Chantal Lauby, Camille Chamoux, Giovanni Pucci… Sortie le 08.01
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Sol fait partie de ces films qui vous cueillent. Il y est question de Solange (diminutif : Sol), célèbre interprète de tango argentin. Elle va tout faire, après la mort d’un fils qu’elle ne voyait plus, pour apprivoiser son petit-fils Jo et sa belle-fille Eva. Sur un tel postulat, le spectateur craint le pire : comédie tirelarmes, produit formaté pour prime time, cabotinage éhonté d’actrices… Rien de tout ça ! On découvre au contraire un petit miracle d’écriture, de finesse et d’émotion. La facilité n’est pas de mise dans ce film traitant de sujets délicats : perte d’un enfant, temps qui passe, incapacité à exprimer ses sentiments. Jézabel Marques connaît bien les comédiennes, étant actrice elle-même, et les dirige formidablement. En grand-mère blessée mais énergique, Chantal Lauby bouleverse et trouve le rôle de sa vie. Camille Chamoux ne cesse d’étonner dans la peau d’Eva, working girl speedée, coincée, fuyant l’amour. Classique, la mise en scène ne verse pas dans l’académisme et échappe au piège du théâtre filmé (de nombreuses scènes se déroulent en appartement). Ces beaux portraits de femmes libèrent une petite musique sincère, qui touchera les cœurs les plus endurcis. Grégory Marouzé
© Apollo Films
La Sainte famille Le comédien Louis-Do de Lencquesaing, vu dans la série Engrenages, signe avec La Sainte famille son deuxième long-métrage. Après Au Galop, il poursuit son exploration de la famille (tendance aristo), de ses heurs et malheurs, tout en s’attribuant le rôle principal. à savoir celui de Jean, universitaire brillant et légèrement désabusé, nommé ministre de la Famille alors que la sienne traverse une zone de turbulences… Ce film (en partie autobiographique) révèle un vrai sens de l'image et de la mise en scène. Il est aussi porté par une belle distribution. On retrouve ainsi la trop rare Marthe Keller, tandis que Laura Smet confirme son talent. Si vous aimez les comédies atypiques, sans traits d'humour forcés, La Sainte famille comblera vos attentes. Grégory Marouzé
Selfie Notre utilisation compulsive des smartphones et des réseaux sociaux est abrutissante. Mais mieux vaut en rire ! Tel est le parti pris de Selfie sous la forme d’un film à sketches. Portée par un casting trois étoiles mais confiné à des rôles convenus (Blanche Gardin est ici prévisible) cette comédie pointe les travers d’un monde hyperconnecté et les déboires de l'Homo Numericus. Entre achats absurdes, crainte du manque de réseau ou de "like", nos héros perdent pied. En effet, à quoi bon être un avatar de soi-même ? Heureusement, en se détournant des ondes et des algorithmes, fuyant les rencontres virtuelles et les autofictions familiales, ils vont renouer avec la réalité. Pour vivre heureux, vivons cachés ? Selina Aït Karroum © Pyramide Films
De et avec Louis-Do de Lencquesaing, Laura Smet, Marthe Keller, Léa Drucker, Inna Modja… En salle
De Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet, Cyril Gelblat, Vianney Lebasque, avec Manu Payet, Blanche Gardin, Elsa Zylberstein, Max Boublil… Sortie le 15.01
© Rinko
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La Vérité | Faux-semblants |
Le mythe de l’actrice française vu par un cinéaste nippon. Hirokazu Kore-eda (Une Affaire de famille, Palme d’or à Cannes en 2018) revient avec une comédie dramatique au casting sur-mesure. La Vérité s'offre comme un brillant exercice de style où Catherine Deneuve et Juliette Binoche éblouissent dans le duo mère-fille.
De Hirokazu Kore-eda, avec Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Ethan Hawke… En salle
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Actrice adulée, Fabienne vient de publier ses mémoires et s’apprête à tourner dans un film de science-fiction. Sa fille Lumir, scénariste épanouie, débarque avec sa petite tribu d’outre-Atlantique pour l’événement. Mais les retrouvailles dégénèrent lorsque Lumir pointe le florilège d’incohérences dans l’autobiographie de sa mère. Un affrontement tacite s'engage sur la véracité propre à leurs métiers respectifs… Le cinéma d’Hirokazu Kore-eda explore les thèmes de la filiation et du deuil. Mais dans le sillage de Lumir (les frères Lumière ?), La Vérité traduit aussi un hommage au septième art. L’affiche trônant dans le salon ("Belle de Paris"), lance un clin d’œil à la filmographie de Deneuve (Belle de jour) autant qu’à son rôle d’ambassadrice haute-couture pour Yves Saint Laurent. Surtout, comment ne pas penser à Clouzot (La Vérité de 1960) ? Ici, Kore-eda interroge le jeu même des acteurs derrière leurs personnages. La mise en abyme renvoie aussi au Dernier métro de Truffaut, autre rôle phare de Deneuve. Entre fiction et réalité, l'égérie du cinéma français incarne une légende en déclin, confrontée à une autre génération (Juliette Binoche). Devenue Circé des temps modernes, elle n’en finit plus de se réinventer. Selina Aït Karroum
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| Légende urbaine | Sa vie fut brève, mais son œuvre fulgurante. Terrassé par le virus du Sida à l'âge de 31 ans, Keith Haring s'est imposé comme une figure majeure de la création contemporaine, et l'un des pères du street-art. à Bruxelles, Bozar lui consacre la plus importante rétrospective jamais organisée en Belgique. De ses premiers coups de crayon à ses nuits enfiévrées dans le New York en ébullition des années 1980, en passant par ses performances dans le métro, ce parcours dresse en une centaine de pièces le portrait d'un génie engagé, et enragé.
Keith Haring Drawing Series January 1982 © Joseph Szkodzinski 2019
Vue d'exposition © Julien Damien
rt is for everybody. Inscrite en lettres chromées dès l'entrée du parcours, cette citation de Keith Haring donne le ton. Celui d'un génie qui fut la quintessence même de l'artiste pop. Né en 1958 en Pennsylvanie, il grandit à Reading, « une petite ville ouvrière très religieuse et conservatrice », resitue Alberta Sessa, co-com« C'était une éponge, qui missaire de l'exposition. Fan de BD et en particuabsorbait lier de Mickey et toute sa clique, son père l'initie le graff, le très jeune au dessin. C'est sa première influence. pop art, l'art « Cette ligne continue et ces contours simples aborigène ne le quitteront jamais ». à la fin des années ou les 1970, le jeune homme débarque à New York. Un hiéroglyphes second choc. La Grosse Pomme est alors une égyptiens. » ville sordide, mais en pleine effervescence. Nous sommes à l'époque du punk, du disco, des débuts du rap… Keith Haring est à la fois partout et nulle part. Il participe aux block parties et invite même Afrika Bambaataa à ses vernissages. « C'était une éponge, explique Darren
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Pih, curateur à la Tate Liverpool. Il absorbait le hip-hop, le graff, le pop art, les formes anciennes comme l'art aborigène ou les hiéroglyphes égyptiens, afin de les rendre accessibles via un langage universel ». ■◆
Hey, baby !
Son premier terrain de jeu, c'est le métro. Il dessine à la craie sur les panneaux publicitaires souterrains, travaille « aux heures de pointe ». La grande ambition de Keith Haring, c'est de créer un art public, « de combler le vide entre la rue et les galeries ». Les New-Yorkais découvrent alors son alphabet, constitué de personnages récurrents, comme le fameux "radiant baby". « C'est l'expérience la plus positive, la plus pure de l'existence humaine », disait-il. « C'est aussi un symbole de vitalité, ajoute Sophie Lauwers, directrice de Bozar. Keith Haring aimait profondément la vie, et la fête ». Pour preuve cette section consacrée au clubbing. Ses nuits sont ponctuées de grandes noubas, notamment au Club 57, une boîte nichée dans la cave d'une église (!). Entre défilés de mode et cabarets queers, Madonna y donne ses premiers concerts, Grace Jones côtoie Warhol.
« L'icône pop devient rapidement un activiste. »
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The Message
Au-delà de la forme, le fond est percutant. « L'icône pop devient rapidement un activiste, le porte-parole de la société américaine », poursuit Sophie Lauwers. •••
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Ignorance = Fear, 1989, Poster 660 x 1141 mm © Keith Haring Foundation / Collection Noirmontartproduction, Paris
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Crack Down!, 1986, Poster 608 x 481 mm © Keith Haring Foundation / Collection Noirmontartproduction, Paris
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En haut : Untitled, 1984 Acrylic paint on canvas, 298 x 365 cm © Keith Haring Foundation
En bas : Untitled, 1983, Woodcut, 610 x 762 mm Collection of the Keith Haring Foundation © Keith Haring Foundation
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Ses œuvres sont colorées, drôles, mais les sujets graves, reflets d'une époque en plein tourment. Keith Haring dénonce l'apartheid, le racisme, l'homophobie ou la toxicité de la télévision, qui vide les esprits, à l'image de cette femme berçant son enfant, mais dont la tête est un écran diffusant son propre cerveau. Et puis, bien sûr, il y a son combat contre le Sida. Atteint du VIH, Keith Haring s'impose comme une figure de proue d'Act Up. Il affirme, revendique son homosexualité. Ses dernières créations sont plus sombres, se teintent de rouge sang, à l'instar de cette scène de fête siphonnée par un trou noir. Cet illustre artiste n'est pas épargné par la maladie, et s'éteint le 16 février 1990. « Mais nous ne voulions pas terminer sur cette note triste », insiste Alberta Sessa. L'ultime salle de l'exposition se concentre ainsi sur des toiles exécutées dans les boîtes de nuit, à la peinture fluo. Comme lui, elles brillent dans l'obscurité. Julien Damien Bruxelles, jusqu'au 19.04, Bozar, mar > dim : 10 h-18 h • jeu : 10 h-21 h, 18 > 9 € (gratuit -6 ans), www.bozar.be à lire / La version longue de cet article et les interviews de Sophie Lauwers et de Darren Pih sur lm-magazine.com à écouter / The World of Keith Haring (Soul Jazz Records), soundsoftheuniverse.com
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En marge de cette exposition, Soul Jazz Records compile 20 titres qui ont rythmé la vie, le travail et les nuits new-yorkaises de Keith Haring, de Sylvester à Talking Heads, en passant par Art Zoyd ou Fab 5 Freddy.
Untitled, 1981, Sumi ink on paper, 95,3 x 125,7 cm Š Keith Haring Foundation, Private collection, courtesy Martin Lawrence Galleries
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Vue d'exposition, "Black light room" Š Julien Damien
Sam Jinks, Woman and Child, 2010 Š Sam Jinks, Courtesy of the artist, Sullivan+Strumpf, Sydney and Institute for Cultural Exchange, Tßbingen
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Hyperrealism Sculpture | Humain, trop humain | Pour la première fois depuis son ouverture en 2016, La Boverie de Liège consacre l'intégralité de son espace principal à une exposition de sculptures. Pas des moindres. Hyperrealism Sculpture dévoile des œuvres imitant à la (quasi) perfection le corps humain. Dérangeantes, amusantes, intrigantes ou touchantes, ces pièces interrogent notre bonne vieille enveloppe charnelle. à l'heure où le souci de soi et de l'apparence n'a jamais été aussi prégnant, ce parcours titille les neurones. Être ou ne pas être…
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ci, un homme surgissant du sol. Là, une femme qu'on croirait endormie dans un drap rouge. Aucun risque de la réveiller, elle est parfaitement factice… Bienvenue dans Hyperrealism Sculpture, ou "Sculpture Hyperréaliste" pour les cancres en anglais. De quoi s'agit-il ? « Le terme fut inventé par le galeriste belge Isy Brachot dans les années 1970, explique Benoît Rémiche, fondateur de Tempora, l'agence organisatrice. Ce courant marque la volonté d'un retour au figuratif, quand la tendance
était à l'expressionnisme abstrait ». Ce besoin de saisir le réel n'est pas nouveau, « il est aussi vieux que l'histoire de l'art ».
« Plus on s'approche du réel, plus il nous échappe. » Mais reste paradoxal : « plus on s’en approche, plus il nous échappe ». Dans la continuité de la statuaire classique, la sculpture hyperréaliste se distingue néanmoins par un recours aux techniques modernes, •••
▲ Duane Hanson, Two Workers, 1993 © Estate of Duane Hanson / VG Bild-Kunst, Bonn 2019 - Photo : Axel Thünker Courtesy of Institute for Cultural Exchange, Tübingen
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comme l'utilisation du silicone, offrant un niveau de mimétisme inégalé.
sont ainsi totalement disproportionnées, comme ce nouveau-né de cinq mètres de long et d'un autre de large, signé de l'Australien Ron Mueck.
L'être et le géant
L'exposition, découpée en six sections thématiques, ausculte la représentation du corps à différentes époques. Les pionniers du mouvement visaient l'imitation la plus fidèle possible, à l'instar de l'Américain Duane Hanson qui réalise des statues d'ouvriers pour les « faire entrer dans les musées ». On le découvre tout au long de ce parcours, ces artistes jouent aussi avec les rapports d'échelle. Certaines pièces
« Nous vivons un moment de civilisation où le corps n'a jamais été aussi important. » « Lorsque vous sur-dimensionnez un bébé supposé être mignon, doiton parler de monstre ou d’être en devenir ? ». Selon Marcel Duchamp, « c'est le regardeur qui fait l’œuvre ». Vous voilà donc seul juge. •••
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Carole A. Feuerman, Catalina, 1981 © Carole Feuerman Courtesy of the artist and Institute for Cultural Exchange, Tübingen
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Mise à nu
On le voit, le corps n'a pas fini de poser question. « Nous vivons un moment de civilisation où il n'a jamais été aussi important, poursuit Benoît Rémiche. On s'interroge ici sur la manière dont on le donne à voir, le peaufine… ». La manipulation génétique et la réalité virtuelle ont ainsi poussé certains à repenser notre enveloppe charnelle, telle l'Australienne Patricia Piccini, qui a conçu un bambin-mutant totalement difforme, avec sa trompe et ses membres tentaculaires (Newborn). Histoire de brouiller un peu plus la frontière entre fiction et réalité, La Boverie a récemment accueilli des visiteurs naturistes, afin de se comparer aux statues. Il était parfois difficile de distinguer le vrai du faux… Pour sûr, cette exposition ne nous laisse pas de marbre. Tanguy Croq Liège, jusqu'au 03.05, La Boverie mar > ven : 9 h 30-18 h • sam & dim : 10 h-18 h 15 > 6 € (gratuit -6 ans), www.laboverie.com
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Ron Mueck, A Girl, 2006 © Ron Mueck Scottish National Gallery of Modern Art. Purchased with the assistance of the Art Fund 2007
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à lire / L'interview de Benoît Rémiche sur lm-magazine.com
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Coquelicots, Wojciech Weiss, 1902-1903, huile sur toile, H. 88 cm x L. 175 cm Musée national - Cracovie © Musée national de Cracovie / laboratory Stock National Museum in Krakow
Memento Mori, 2012 © Roger Ballen
Roger Ballen | Marge funèbre |
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Depuis plus de 40 ans, Roger Ballen immortalise les populations marginales d'Afrique du Sud. Installé à Johannesburg, le photographe et plasticien américain explore les profondeurs du pays zoulou comme les abysses de l'humanité. à l'occasion de sa première exposition d'envergure en Belgique, l'artiste présente une sélection de photos et de vidéos, ainsi qu'une installation inédite, conçue in situ : The Theatre of the Ballenesque.
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Géologue de formation, Roger Ballen a d'abord exploité les profondeurs de la terre avant de sonder celles de l'humanité. Né en 1950 à New York, il a découvert l'Afrique du Sud au début des années 1970, attiré par les mines d'or et de diamant. En plein apartheid, il sillonne le pays de long en large à la recherche de minerais, et photographie en parallèle les petites villes perdues dans le bush. Il s'intéresse dès lors aux laissés-pour-compte, majoritairement "white trash" : les fameux Afrikaners. « Il rencontre ces marginaux dans des squats, des lieux insalubres et dangereux », resitue Stéphane Roy, co-commissaire de cette exposition. L'ambiance est particulière : câbles pendants, murs galeux, meubles défoncés, poupées désarticulées, rats ou reptiles grouillants, oiseaux… « Ce panel d'éléments alimentera son langage visuel ». Une esthétique peuplée de "freaks", célébrée par le duo electropunk Die Antwoord dont il réalisa le clip de I Fink U Freeky, « Il rencontre et souvent décriée. "Malsain" ou "anxiogène" sont ces marginaux les épithètes les plus récurrents. L'intéressé préfère dans des lieux le néologisme "ballenesque". insalubres
et dangereux. »
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Sans trucage
Ces photographies en noir et blanc et format carré suintent la mort et la solitude, mêlent la tragédie au burlesque et bousculent les relatives notions de beauté et de laideur. Cette Arche de Noé borderline magnifie une humanité
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Stare, 2008 © Roger Ballen
Take off, 2012 © Roger Ballen
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Vue d’exposition, The Theatre of the Ballenesque © Philippe De Gobert
terrassée par la misère et l'isolement. Influencé par Beckett, l'Américain suit un fil rouge : « révéler la condition humaine dans toute son absurdité ». Roger Ballen fonctionne à l'instant, à l'instinct. « Il réagence parfois quelques éléments du décor mais tout est déjà là, en place. Il n'y « Révéler a pas de montage ». La réalité, décidément, est plus la condition dingue que la fiction. humaine
dans toute son absurdité. »
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Baguette tragique
L'exposition présentée à la Centrale dévoile nombre de ses clichés mais n'est pas une rétrospective. « Il s'agit plutôt d'une introspective », souligne Stéphane Roy. Le parcours offre une expérience immersive dont le cœur demeure une installation conçue avec des objets chinés dans les marchés bruxellois. Sur une estrade peuplée de mannequins, un orchestre est dirigé par un singe automate, jouant une version désaccordée de Zarathoustra de Strauss. En face est disposée une inquiétante assistance. Entre ces monstres en plastique et chaises renversées s'échappent des râles ou rires stridents. La scène est perturbante, drôle, fascinante… En somme, ballenesque. Julien Damien
à lire / La version longue de cet article sur lm-magazine.com
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Bruxelles, jusqu'au 14.03, Centrale For Contemporary Art, mer > dim : 10 h 30-18 h, 8 > 1,25 € (gratuit -18 ans) www.centrale.brussels
Dalí & Magritte
© FineArtsBelgium
Dalí versus Magritte ? Voilà une idée… surréaliste. Pour la première fois, les Musées royaux des Beaux-arts de Belgique décryptent les rapports entre ces icônes du xxe siècle. Les deux hommes étaient certes différents, d'un point de vue politique ou spirituel, mais leurs œuvres affichent des similitudes. Ce dialogue réunit près d'une centaine de leurs toiles, offrant un éclairage (forcément) rêvé sur un moment phare de l'histoire de l'art. Bruxelles, jusqu'au 09.02, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, mar > ven : 10 h-17 h • sam & dim : 11 h-18 h, 16 > 8 € (gratuit -12 ans), www.fine-arts-museum.be
Punk Graphics Né au milieu des années 1970 dans un monde malade, entre menace d'apocalypse et crises économiques traitées avec un remède de cheval, le punk fut une réponse aussi outrancière que brutale. L'exposition présentée à l'ADAM de Bruxelles ne s'intéresse pas tant à la musique qu'au graphisme véhiculé par cette contre-culture. Affiches, pochettes de disques, fanzines… Punk Graphics. Too fast to live, too young to die dévoile des pièces rassemblées par Andrew Krivine, un collectionneur no future pour toujours ! Bruxelles, jusqu'au 26.04, ADAM tous les jours : 11 h-19 h, 8 > 5 € (gratuit -6 ans) adamuseum.be
Superheroes never die. Comics and jewish memories Quels rapports entre Spiderman, Superman ou les Avengers ? Ce sont des super-héros (facile) et leurs créateurs sont tous juifs (moins connu, ça). Ce parcours riche de 200 œuvres dévoile nombre de planches originales signées, entre autres, par Jack Kirby (Captain America, X-Men). De Will Eisner (le "père" du roman graphique) au légendaire Art Spiegelman, ces figures de la culture pop dessinent en cinq chapitres une autre histoire de la BD made in USA, entre immigration et mémoire douloureuse. Bruxelles, jusqu’au 26.04, Musée juif de Belgique mar > ven : 10 h-17 h • sam & dim : 10 h-18 h 10 > 1,25 € (gratuit -12 ans), www.mjb-jmb.org
Photographie, arme de classe
Charleroi, jusqu’au 19.01, Musée de la Photographie, mar > dim : 10 h-18 h, 7 > 4 € (gratuit -12 ans) www.museephoto.be
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Marquée par des mouvements politiques d’ampleur, du Front Populaire à la Guerre d’Espagne, l’Europe vit surgir dans les années 1930 une photographie sociale et documentaire, notamment en France et en Belgique. Nourrie d’une centaine de clichés issus des collections du Centre Pompidou, cette exposition thématique (l’antimilitarisme, la lutte contre les colonies…) rapproche de grands noms, tels Cartier-Bresson, Willy Ronis ou Lisette Model.
Apparue à la fin du xviie siècle, la nature morte désigne un exercice typique de l’histoire de l'art. à l'heure de l'Anthropocène, ce terme prend hélas un tout autre sens… Ces artistes, designers ou architectes interrogent ainsi le rapport ambigu que l'Homme entretient avec son environnement. L'Autrichien Lois Weinberger magnifie par exemple le pouvoir de prolifération des mauvais herbes, quand le Français Michel Blazy recourt au vivant (bois, écorces…) pour façonner des sculptures évolutives. Hornu, jusqu'au 08.03, Centre d'innovation et de design, mar > dim : 10 h-18 h, 10 > 2 € (gratuit -6 ans) www.cid-grand-hornu.be
Installation shot, bronze © Tim Van de Velde
Nature morte / Nature vivante
Kiki Smith
Secrets de parfum
Depuis près de 40 ans, l’œuvre de Kiki Smith oscille entre la pénombre et la clarté, l’animalité de l’homme et sa fragilité. Ou encore "entre chien et loup". Cette expression désignant le passage du jour à la nuit est aussi le titre de la première exposition belge que le Centre de la gravure et de l’image imprimée de la Louvière consacre à cette grande dame de l’art contemporain. Le corps humain, la nature ou des figures féminines comme les sorcières ou les sirènes en constituent autant de sujets.
En 2020, la métropole lilloise devient capitale mondiale du design. Le Colysée de Lambersart se met au parfum. Et qui dit parfum, dit flacon ! Sans oublier le contenu (qui embaume le parcours), cette exposition s'intéresse au contenant de la précieuse essence. Conçue avec le Musée international de la parfumerie de Grasse, elle dévoile une centaine d'objets décortiquant son design, des bouteilles antédiluviennes au matériel du chimiste, en passant par toutes sortes de dispositifs olfactifs – histoire d'en mettre plein les yeux, et le nez.
La Louvière, jusqu'au 23.02 Centre de la gravure et de l’image imprimée mar > dim : 10 h-18 h, 7 > 3 € (gratuit -12 ans) www.centredelagravure.be
Lambersart, jusqu'au 26.04, Le Colysée mer > sam : 13 h-18 h • dim : 13 h-19 h, gratuit www.designiscapital.com
Devenir Matisse
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Comment Henri devint-il Matisse ? à l'occasion des 150 ans de sa naissance, le musée du Cateau-Cambrésis, fondé par l'artiste lui-même en 1952, ausculte les premiers pas et les influences de cette figure du fauvisme. Montée avec des prêts issus du monde entier et de sa famille, cette exposition inédite raconte à travers 250 œuvres du peintre et 50 autres de ses maîtres (de Cézanne à Goya), la naissance d'un géant. Le Cateau-Cambrésis, jusqu'au 09.02, Musée Matisse, tous les jours sauf mardi : 10 h-18 h 8 > 6 € (gratuit -26 ans), museematisse.fr
Pologne Le 3 septembre 1919, la convention entre Paris et Varsovie « relative à l’émigration et à l’immigration » favorisait l’arrivée de près de 300 000 travailleurs, en particulier dans le bassin minier. à l'occasion de ce centenaire, le Louvre-Lens consacre une fascinante rétrospective à la peinture polonaise du xixe siècle, dévoilant 130 toiles signées Jan Matejko, Józef Brandt ou Jacek Malczewski, entre autres artisans de la "polonité". Ou comment les artistes ont su préserver l'âme d'un pays disparu… Lens, jusqu'au 20.01, Louvre-Lens, tous les jours sauf mardi : 10 h-18 h, 10 > 5 € (gratuit -18 ans) www.louvrelens.fr
Kasimir Zgorecki
Memento Mons
Entre 1922 et 1939, Kasimir Zgorecki a réalisé des milliers de photographies de la communauté polonaise du bassin minier du Pas-de-Calais. Autant de portraits individuels et de scènes familiales, suggérant une réussite davantage idéalisée que vécue. Ces clichés relatent en noir et blanc une histoire à la croisée de l'intime et du collectif. Ils font l'objet d'une exposition au Louvre-Lens et d'un livre rendant enfin hommage à un corpus exceptionnel de 100 tirages, dont de nombreux inédits.
Les Beaux-Arts de Mons se transforment en gigantesque cabinet de curiosités ! Cette exposition reste fidèle à ces assemblages hétéroclites d'œuvres ou d'objets dévoilant les raretés du monde, dans les salons européens du xviie siècle. Le parcours mêle pièces inédites issues des collections historiques montoises et créations contemporaines. Ici, des pots de tabac en tête de singe côtoient les sabliers emplis de semoule de Mehdi-Georges Lahlou. De quoi piquer notre curiosité.
Lens, jusqu'au 30.03, Louvre-Lens, tous les jours sauf mardi : 10 h-18 h, gratuit, www.louvrelens.fr
Mons, jusqu'au 26.01, BAM mar > dim : 10h-18h, 9 / 6 € (gratuit -6 ans) www.bam.mons.be
Roubaix, jusqu'au 02.02, La Piscine mar > jeu : 11 h-18 h • ven : 11 h-20 h, sam & dim : 13 h-18 h 11 / 9 € (grat -18 ans), roubaix-lapiscine.com
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Peintres méconnus d’après-guerre, Roger Bissière, Jean Bazaine, Jean Le Moal, Elvire Jan, Alfred Manessier et Gustave Singier formèrent un groupe soudé. Ils n’étaient pas liés par une esthétique, mais une solide amitié. Toutefois, ces six artistes non-figuratifs partagèrent ce même attrait pour la lumière, qu’ils ont chacun capturée à leur façon : physique, naturelle, symbolique ou mystique. Cette centaine de toiles et de dessins nous dévoilent leurs lumineux secrets.
Jean Bazaine, Chant de l’aube II, 1985. Collection particulière, Suisse. © ADAGP, Paris 2019
Traverser la lumière
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Ils sont corrosifs, loufoques, burlesques ou poétiques… mais pareillement hilarants. Ces valeurs sûres (ou en devenir) de la gaudriole débarquent près de chez nous pour le meilleur et le rire – et ce n’est pas de la blague. Julien Damien
Seb Mellia © Thomas Braut
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Ouvrez les vannes ! Seb Mellia
Lille, 18.01, Le Splendid, 18 h & 20 h, 29 €, www.le-splendid.com
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Ce vague sosie de Jake Gyllenhaal dispense ses vannes depuis plus de dix ans dans de petites salles. Passé par le Jamel Comedy Club, Seb Mellia connut la lumière en 2014 en assurant les premières parties de Gad Elmaleh… mais, lui, ne pique rien à personne. Pour cause : la matière de son spectacle, c'est sa vie. De sa quête du préservatif en pleine nuit au stage de récupération de points du permis, le stand-upper transforme ses déboires quotidiens en scènes d'anthologie. Des tranches de vie volontiers nourries d'échanges avec le public – « moi j'parle pas, je note juste ce que vous dites, vous allez me rendre riche ! ». On attend toujours les royalties.
Lille, 11.01, Théâtre Sébastopol, 18 h & 20 h 39 €, www.theatre-sebastopol.fr Béthune, 10.03, Théâtre municipal, 20 h 30 22 / 18 €, www.theatre-bethune.fr Bruxelles, 15.05, La Madeleine, 20 h, 34 €
© Pascalito
© Sylvain Norget
Nora Hamzawi Dans son nouveau spectacle, Nora Hamzawi enfile son costume préféré, celui de la "fille normale" en pleine séance d'autodénigrement – nous tendant un miroir un poil déformant. Mi-peste mi-bonne copine, elle épingle les tares et travers des trentenaires angoissés (pléonasme) et s'amuse avec son débit mitraillette de situations (hélas) quotidiennes. Elle raconte sa maternité, ses soirées foireuses, la sexualité qui s'étiole dans le couple… Bref, elle voit la vie en névroses, et c'est désopilant.
Stéphane Guillon 28 ans de carrière, quatre spectacles, des licenciements, des bides aussi… Oui, il était temps d'arrêter. Enfin, ce sont ses "premiers adieux" – « il y en aura d'autres », promet Guillon. Mais pourquoi partir si jeune, à 55 ans ? « Aujourd'hui on ne peut plus rien dire, il faut ménager tout le monde : les homos, les féministes, les vegans… ». Et la politique ? « C'est compliqué, j'ai eu de tels clients : Sarkozy, DSK, Hollande… Mais bon, il y a encore Christophe Castaner, le physique de Pasqua avec le QI de Morano ! ». Un vrai faux départ, donc. Woluwe-Saint-Pierre, 25.01, W:Halll, 20 h 30 42 / 38 €, www.whalll.be // Roubaix, 07.02, Colisée 20 h 30, 43 > 15 €, www.coliseeroubaix.com
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S'il s'est révélé en (sur)jouant le narcissique, ce Ch'ti n'oublie pas d'où il vient – sans abuser de son accent, « le meilleur contraceptif du monde ». Le Lillois fit en effet ses premiers pas au Spotlight. Il y paie aujourd'hui sa "tournée générale" lors d'une soirée d'impro risquée… En entrant dans la salle, le public note des mots sur un tableau, qu'il utilise au fil de son show. S'il en reste deux à la fin, il paie sa tournée ! Dans la foulée, il teste en exclu son nouveau spectacle lors d'un "Crash Text" qui promet de déraper. Tournée générale : 06 & 20.01 + Crash Text : 22.01 Lille, Spotlight, 21 h 30, 16 €, www.spotlight-lille.com
© Pascalito
Gérémy Crédeville
Brigitte Giraud © Anne Bouillot
Histoires en série | De la suite dans les idées |
Histoires en série, saison 2. Un an après les récits d'Arnaud Cathrine sur les attentats du 13 novembre, le Bateau Feu renoue avec ses lectures théâtralisées (et voyageuses). La Scène nationale de Dunkerque accueille cette fois Brigitte Giraud, qui décline son dernier roman "façon puzzle". Si l'intrigue change, la formule reste la même - et sacrément addictive… On ne louera jamais assez le principe de ce temps fort. à savoir : « la réécriture sérielle d'un roman, où chaque personnage raconte l'histoire selon son point de vue », explique Ludovic Rogeau, directeur du Bateau Feu. Pour l'occasion, Brigitte Giraud a retravaillé son dernier ouvrage, Jour de courage. Paru en août dernier chez Flammarion, le roman raconte le parcours de Livio, 17 ans. Lors d'un exposé au lycée, il retrace la vie de Magnus Hirschfeld, médecin juif-allemand qui lutta notamment pour les droits des homosexuels. Dès lors, on le comprend : l'ado se livre à son propre coming-out…
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à suivre
Dans cette version baptisée Porté disparu, l'autrice donne la parole à tous les protagonistes du récit : Camille, la meilleure amie de Livio, secrètement amoureuse de lui, mais aussi sa prof, ses parents… La mise en pièce(s) est épurée. Chaque comédien lit sa partition accompagné d'une musique et sur un sol différent (une moquette, du vinyle…), matérialisant l'endroit où l'on se situe. Plus fort : chaque épisode est à suivre dans un lieu différent. De médiathèques en maisons de quartier, de lycées en musées, les spectateurs peuvent se contenter d'un témoignage ou découvrir toute l'histoire en voyageant à travers l'agglomération dunkerquoise. à la fin, "La Nuit de la série" recolle tous les morceaux lors d'une séance de "binge listening" au Bateau Feu. Vivement la saison 3 ! Julien Damien Dunkerque et son agglomération, 10.01 > 01.02, Le Bateau Feu et divers lieux, gratuit (sauf la soirée d'ouverture : 6 €), www.lebateaufeu.com
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••• Sélection / 10.01 : Soirée d'ouverture : lecture-spectacle de L'Amour est très surestimé de Brigitte Giraud, avec Arnaud Cathrine, Fanny Chiressi et Albin de la Simone (20 h, Bateau Feu) 13 > 31.01: Les lectures dans l'agglo : Porté disparu (Livio / Le père / La mère / Camille / Mme Martel) J'ai peur de savoir lire d'Olivier de Solminihac (lu par Florence Bisiaux) • Les étrangers d'Éric Pessan et Olivier de Solminihac (lu par Christophe Carassou) // 01.02 : La Nuit de la série (15 h, Bateau Feu)
Viril © Gilles Vidal
Festival Dire | Lettres modernes |
« La littérature ne se résume pas aux livres, assure Marie Didier, la directrice de la Rose des Vents. La langue française est un bien commun, il s'agit de la partager à travers le jeu et la musique ». Durant trois jours, ce festival catapulte ainsi les mots hors de la page, engendrant des
formes inédites, à l'instar de Viril. Ce concert-lecture réunit Virginie Despentes, Béatrice Dalle et la rappeuse Casey, pour porter les discours féministes – de Valerie Solanas à June Jordan. Citons aussi La Bibliothèque sonore des femmes de Julie Gilbert, soit une installation
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Entre concerts, lectures et performances, ce festival organisé par la Rose des Vents et l'association lilloise Littérature, etc. conjugue textes contemporains et arts de la scène. En résulte des spectacles singuliers (et pluriels), où les corps jouent avec les mots, et la langue demeure plus vivante que jamais.
Piece D'actualite N°12 : Du Sale ! © Willy Vainqueur
constituée de téléphones vintage. Au bout du fil ? Virginia Woolf ou La Comtesse de Ségur ! Eh oui, ici les textes sont bien vivants. Ils s'incarnent, se rappent (Elom 20ce) ou dérapent, comme dans Entartête de Benoît Toqué, joignant littéralement le geste à la parole lors d'une performance aussi physique que ludique. ■◆
Mots pour maux
à une époque où les langues se délient (MeeToo, les gilets jaunes), ces auteurs soulèvent des questions
d'"intimité publique", comme Rébecca Chaillon, jouant avec le maquillage, la nourriture et le blanchiment de sa peau pour interroger la place de la femme noire dans la société. Voilà qui aurait sans doute plu à la philosophe Simone Weil (1909 - 43) qui, à 25 ans, entrait à l'usine pour dénoncer l'aliénation du travail. Lydie Salvayre lui rend hommage (et justice) à travers un texte original et une lecture qui devrait faire parler… Julien Damien
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Villeneuve d'Ascq, 22.01 > 02.02, La Rose des Vents & Médiathèque Till l’Espiègle, 21 € > gratuit, larose.fr
••• Sélection / 22.01 > 02.02 : Julie Gilbert : La Bibliothèque sonore des femmes 31.01 : David Bobée, Casey, Béatrice Dalle, Virginie Despentes & Groupe Zëro : Viril • Rébecca Chaillon : Le Ménage dans la peau // 01.02 : Simone Weil par Lydie Salvayre • Simon Allonneau : Lecture • Bérangère Pétrault : Autodéfenses • Emmanuelle Pireyre : Chimère • Anna Serra : Poésies pulsées • Elom 20ce 02.02 : Benoît Toqué : Entartête • Jérôme Game : à travers • Marion Siéfert : Pièce d'actualité n°12 : Du sale ! Atelier d’écriture Elom 20ce
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e Photo de répétition © Pierre Martin
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La Faculté des rêves | Radicale et libre |
De Valerie Solanas, l’histoire n’a retenu que le pamphlet Scum Manifesto (1967) appelant à l’éradication des hommes, et les trois coups de feu tirés sur Andy Warhol. Fascinée par son parcours, la Suédoise Sara Stridsberg réhabilitait cette Américaine radicale en 2009 dans le roman La Faculté des rêves. Christophe Rauck l'adapte ce mois-ci au Théâtre du Nord.
Lille, 15 > 30.01, Théâtre du Nord, mar, mer & ven : 20 h • jeu & sam : 19 h • dim : 16 h, 25 > 4 €, theatredunord.fr
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Porter sur scène le destin heurté de Valerie Solanas était une gageure. Prendre pour référence La Faculté des rêves de Sara Stridsberg, figure de la littérature suédoise, en était une autre. à partir de ce roman à la langue crue, articulant prose et dialogues entre la narratrice et Solanas, Christophe Rauck a construit une pièce pour six interprètes « avec des scènes très courtes, comme des polaroïds ». La scénographie adopte un grand écran vitré pour jongler entre les périodes (1968, 1945, 1988). En filigrane, on conte ainsi ces moments où Warhol, Bowie ou Baldwin ont bousculé la société conservatrice. Violée par son père, toxicomane et prostituée dès 15 ans pour payer ses études, Valerie Solanas évolue dans les marges. Assumant davantage une posture anti-patriarcat que féministe via son manifeste satirique, le seul de ses textes à n’avoir pas été brûlé par sa mère… Celle qui se définissait comme « la première pute intellectuelle de l’Amérique » est morte oubliée de tous dans un hôtel crasseux de San Francisco, à 52 ans. Cette pièce qui lance l'année théâtrale à Lille par un coup de poing, œuvre pour la postérité d'une figure révoltée. Marine Durand
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© Prisma Laval
Le Bruit des loups | Promenons-nous dans les bois… |
Orfèvre de l’illusion, spécialiste en magie 2.0, étienne Saglio nous avait ensorcelés avec Les Limbes. Le Breton a travaillé près de trois ans pour mettre au point son nouveau spectacle. Dans Le Bruit des loups, il convoque sur scène un bestiaire fantastique, et ravive le frisson des contes d'enfance.
Mons, 15 & 16.01, Théâtre Le Manège, 20 h, 20 > 6 €, surmars.be Creil, 23.01, La Faïencerie, 20 h 30, 23 > 12 €, www.faiencerie-theatre.com
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Petit, étienne Saglio a passé beaucoup de temps dans les champs, au grand air. Et puis, comme nombre d’adultes, il a « perdu ce lien avec la nature ». Cet éminent représentant de la "magie nouvelle " a donc cherché à « reboiser notre imaginaire, le repeupler d’une faune et d’une flore foisonnantes ». Soit une forêt mystérieuse, des plantes anthropomorphes, un cerf, des lucioles, un vrai loup, dirigé en coulisses par un dresseur ou un drôle de renard taxidermisé en guise de maître de cérémonie. On ne dira rien de la façon dont l’illusionniste transforme d’un coup de baguette magique (ou presque) un appartement sommaire en envoûtante futaie (après tout, les magiciens ne révèlent jamais leurs tours). Mais voilà notre héros, un homme devenu myope (et son ficus), embarqué pour un voyage de l’autre côté du miroir. Monstre en feuilles mortes, damier en guise de plateau… Grâce à quelques images fortes étienne Saglio construit sa dramaturgie, navigant entre « réel inquiétant et magie réaliste ». Ainsi de ce vrai géant de 2,46 mètres, comme surgi d’une fable… Au fil de l'intrigue, le personnage principal retombe en enfance. Une cure de jouvence dont on se délecte, pendant que le loup n’y est pas. Marine Durand
Crise de voix © Frédéric Iovino
Les Quelqu'uns Initié par Le Prato, ce festival conte des petites histoires qui font les grandes. Ces tranches de vie découpées façon puzzle mettent en pièces les préjugés, sur tous les tons, du plus léger (Crise de voix, cf page 102) au plus grave. Dans écoute à mon oreille, la Compagnie du Créac’h nous plonge ainsi dans le quotidien d'un garçonnet "différent", pour mieux expliquer l'autisme au jeune public. De son côté, Anne-Marie Marquès s'intéresse à l'exil. Le sien, vécu enfant, et celui des Soudanais qui ont échoué près de chez elle, à Calais. De ces destins accidentés, elle tisse avec sa caméra un récit "Marabout-bout-de-ficelle", entre chagrins et rêves. J.D. Lille, 17.01 > 13.02, Le Prato, 17 > 5 €, leprato.fr ●●● Sélection / 17 & 18.01 : La Clef des chants : Crise de voix // 24.01 : Anne-Marie Marquès : Je ne suis pas d’ici, Aqui, Ai, Ali // 30 & 31.01 : Cie l'Entreprise & Catherine Germain : Le Rouge éternel des coquelicots // 04.02 : Cie du Créac’h : écoute à mon oreille // 07.02 : Le Prato : Cabaret Express 13.02 : Gilles Defacque : Bégaiements
Lille, 24.01 > 09.02, maison Folie Wazemmes, Flow et divers lieux 1 spectacle : 10 € > gratuit, maisonsfolie.lille.fr
Birth © Pib
Certes, la danse hip-hop est affaire de battles, de breakdance… mais pas seulement. Ce festival met ainsi l'accent sur son volet chorégraphique (foisonnant). Parmi les artistes invités, citons Racines Carrées, croisant les époques et les genres, du cirque traditionnel de Chine aux gestes du cuisinier (!) ou encore Grichka Caruge. Dans sa dernière création, Birth, le co-fondateur du R.A.F. Crew marie krump et musique classique. Joli pas de deux. J.D.
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Hip Open Dance
Š Nadia Lauro
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White Dog | Zone mixte |
Pile à la croisée du politique et du poétique, la danse de Latifa Laâbissi est peuplée de corps aux identités multiples. Chacune de ses pièces déploie un imaginaire foisonnant, entre effroi et burlesque, en écho avec les tremblements du monde. Dans sa dernière création, la chorégraphe rennaise nous entraîne dans une forêt fluorescente, à la rencontre d'une communauté imaginant une nouvelle façon de vivre ensemble.
Depuis près de 20 ans, Latifa Laâbissi sonde les rapports de pouvoir et de domination, le poids de l’histoire coloniale sur la société et les corps. Dans Self portrait camouflage (2006), coiffée d’un couvre-chef sioux, elle montait à la tribune pour prononcer un "discours" muet et grimaçant contre la politique sécuritaire française. Pour Consul & Meshie, performance-fleuve de près de trois heures, elle se transformait en femme-guenon, troublant la perception entre regardeurs et regardés, et brocardant au passage la notion d’humanité.
« On devient une communauté hétéroclite, peuplée d’ancestralités, un carnaval de fous. »
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Ça défile !
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Dans White Dog, on découvre quatre interprètes dans une forêt électrique, assis parmi un enchevêtrement de lianes jaune fluo. Le décor, à la fois futuriste et archaïque, évoque un monde "entre-deux", celui où se cache le fugitif pour survivre. Cet endroit devient dès lors une zone d’expérimentation, où le quatuor échafaude de nouvelles façons de cohabiter, de "tisser du lien". Ils démêlent des sacs de nœuds, affichent des sourires éclatants, inventent des danses rituelles dignes de derviches tourneurs… « On devient une communauté hétéroclite, peuplée d’ancestralités, un carnaval de fous », rapporte la chorégraphe. Les identités y sont mouvantes, vagabondes, animales aussi, inaugurant une autre manière d'habiter le monde : hybride. Marie Pons Armentières, 24.01, Le Vivat, 20 h, 18 > 2 €, levivat.net
© Didier Noghero
[kør] | De chair et de son |
Au carrefour de la musique, du texte et du théâtre, Thomas Suel et Gaëlle-Sara Branthomme donnent vie à un corps. Le leur, le nôtre, soit cette enveloppe sensible et tellement banale qu'on ne la perçoit même plus, sur-stimulés que nous sommes par les écrans. Elle se révèle ici extraordinaire.
Loos-en-Gohelle, 29 > 31.01, Fabrique Théâtrale, mer : 21 h • jeu : 20 h • ven : 14 h 30 (scolaire) 10 > 3 €, www.culturecommune.fr // Lillers, 14.02, Le Palace, 20 h
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Révélé sur la scène slam, Thomas Suel crée depuis 12 ans des pièces mêlant l'intime au collectif, et jouant avec les sons et les sens. « J'aborde le langage comme de la musique, travaillant les sonorités, les rythmes, mais aussi les lexiques, du plus ordinaire au plus ouvragé, cherchant de l'unité dans l'éclatement », dit-il. En témoignent les titres de ses spectacles, souvent phonétiques. Après [dukɔ̃ne] (se comprend "d'où qu'on naît" ou "doux qu'on est"), ou [søl] ("sol" ou "seul") voici donc [kør] ("corps" ou "cœur"). Ce duo pour voix et violoncelle est né de sa rencontre avec Gaëlle-Sara Branthomme. Cette chanteuse lyrique et multi-instrumentiste vadrouille du baroque au jazz, joue aussi bien dans la rue que sur scène. De cette association résulte un poème chanté narrant les tribulations de [kør]. « C'est un personnage volontairement flou, donc universel. On suit sa naissance, la découverte de son corps, celui des autres et sa tentative de s'accorder avec le monde ». Dans un décor épuré (deux tabourets, des jeux d'ombre et de lumière), Thomas et Gaëlle-Sara donnent à voir et entendre une métaphore sensorielle de la vie, une ode au « miracle ordinaire de la chair ». Une résurrection, en somme. Julien Damien
© DR
Roulez jeunesse ! Il faut bien que jeunesse se passe, disait le poète. Dans cette « forme théâtrale tout terrain pour l'adolescence », elle déborde ! Luc Tartar et Aude Denis (Cie Par-dessus Bord) en disent toute la fougue, l'insouciance, la profondeur, l'inquiétude parfois, la cruauté aussi… Du premier rencard se terminant en vomi à la découverte de l'homosexualité, ces solos et duos drôles ou tristes (mais toujours touchants) mettent en scène les déboires et tribulations de jeunes gens de 15 ans. Dans un décor de fête foraine, le public pioche au hasard parmi une quinzaine de textes, comme on irait à la pêche au canard. Le sort, on le sait, en est jeté… J.D. Lille, 28.01 > 04.02, Le Grand Bleu, 28.01 : 20 h 30 • 30 & 31.01 : 19 h • 03.02 : 14 h 30 • 04.02 : 10 h & 14 h 30 13 > 5 €, www.legrandbleu.com Bruay-la-Buissière, 26 & 27.03, Le Temple, jeu : 14 h 30 • ven : 10 h & 14 h 30, 8 > 3 €, bruaylabuissiere.fr Divers lieux en région (Le Grand Bleu décentralisé) : 06 > 10.04 (festival Youth is Great)
Fin de partie
Armentières, 17 & 18.01, Le Vivat, 20 h, 18 > 2 €, www.levivat.net Dunkerque, 31.03 > 03.04, Le Bateau Feu, mar & ven : 20 h mer : 19 h, 9 €, www.lebateaufeu.com
© Jeanne Roualet
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Les fous à réAction n’en ont pas fini avec Beckett. Après En attendant Godot, ils s’attaquent à Fin de partie. Dans cette pièce créée en 1957, le génie de l’absurde mettait en scène quatre personnages handicapés dans un monde post-apocalyptique. à l'heure du dérèglement climatique, cette peur de l'effondrement ressurgit. Enfermés dans un refuge, ces lambeaux d’humanité s’ennuient à mourir, résistent au temps qui passent, entre bons mots et gags ratés. Ils continuent à exister… J.D.
© Isabelle De Beir
La Revue des Galeries [ Alexis Goslain ] à l'heure où ces lignes paraissent, la Belgique vit depuis plus d'un an sans gouvernement… Rien de franchement dramatique, mais gageons que Bernard Lefrancq, Angélique Leleux ou la petite nouvelle de la bande, Cécile Djunga, sauront s'en amuser… La Revue des Galeries, c'est une tradition du rire bruxellois, une ode à la belgitude. Entre caricatures, chansons et sketchs politiques, ces trublions tirent à boulets rouges sur ce qui fait la "une" des gazettes – mais sur fond de strass et de paillettes ! Bruxelles, jsuqu'au 26.01, Théâtre Royal des Galeries 20 h 15 (+ matinées : 15 h), 30 > 12 €, trg.be
Cerise sur le ghetto Sam Touzani
L'Herbe de l'oubli Jean-Michel d'Hoop / Cie Point Zéro
Derrière ce calembour se cache le nouveau spectacle de Sam Touzani. Des montagnes du Rif marocain d'où sa famille est originaire au quartier de Molenbeek où il a grandi, le Belge se raconte sans se la raconter. Véritable homme orchestre (il est comédien, metteur en scène, danseur et présentateur TV), ce fils d'immigrés narre son écartèlement entre sa culture d'origine et celle d'adoption, ou les dangers du communautarisme, avec humour, tendresse et pas mal d'irrévérence.
La Compagnie Point Zéro mêle jeu d'acteurs et marionnettes à taille humaine. Elle interroge ainsi les rapports entre manipulateurs et manipulés. Ces situations où l'Homme devient luimême un objet… Pour cette création, les Belges se sont rendus en Biélorussie et en Ukraine à la rencontre des habitants de la région de Tchernobyl. Ils relatent leur quotidien au sein d'une zone d'exclusion, en pleine forêt, et nous plongent dans la ville abandonnée de Pripiat.
La Louvière, 09 > 11.01, Le Théâtre, 20 h, 18 > 12 € www.cestcentral.be // Louvain-la-Neuve, 16 > 30.01, Théâtre Blocry, mar, mer & ven : 20 h 30 jeu : 19 h 30 • sam : 19 h, 22 > 10 €, www.atjv.be
Charleroi, 09 > 14.01, Eden, 20 h, Complet ! Tournai, 15 & 16.01, Halle aux Draps 20 h, 16 > 10 €, maisonculturetournai.com
Traces [ Wim Vandekeybus / Ultima Vez ]
Villeneuve d'Ascq, 14 >16.01, La Rose des Vents, mar & mer : 20 h • jeu : 19 h, 21 > 6 €, www.larose.fr Louvain, 29 & 30.01, 30 CC, 20 h, 30 / 26 €, www.30cc.be
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Après avoir traité la science-fiction (Mockumentary of a Contemporary Saviour) ou convié le public à un happening collectif (Go Figure Out Yourself), Wim Vandekeybus nous emmène sur ses "traces". Celles qui ont nourri son imagination, ses sensations, « plus anciennes que l’homme et sa mémoire » et laissées par la nature dans notre corps. Inspiré par les dernières forêts vierges d'Europe, il imagine une pièce pour dix interprètes, entre retour à l’animalité et danse virtuose.
© Olympe Tits
Kind Gabriela Carrizo & Franck Chartier Cie Peeping Tom Après Vader ("Père") puis Moeder ("Mère"), Gabriela Carrizo et Franck Chartier bouclent leur trilogie familiale avec Kind ("Enfant"). L'action se déroule dans un décor de conte de fées, entre hautes falaises et forêt de sapins. La compagnie flamande ausculte avec son humour absurde (parfois cruel) les métamorphoses de l'enfance, mais aussi ses rêves et cauchemars. Entre théâtre et danse, on croise ici des randonneurs, d'étranges scientifiques et un chasseur à la gâchette facile… Dunkerque, 14.01, Le Bateau Feu, 20 h, 9 €, lebateaufeu.com Courtrai, 16.01, Schouwburg, 20 h 15, 28 > 6 €, schouwburgkortrijk.be Maubeuge, 12.05, La Luna, 20 h, 12 / 9 €, lemanege.com
La 7e vie de Patti Smith Claudine Galea / Benoît Bradel
Crise de voix Gilles Defacque / La Clef des Chants
Fin des années 1970. Une ado de 16 ans mal dans sa peau découvre les chansons de Patti Smith, et imagine dès lors une correspondance secrète avec son idole. Inspiré d'une pièce radiophonique de Claudine Galea et de son roman Le Corps plein d'un rêve, ce spectacle musical conjugue la petite histoire et la grande. Sur scène, la comédienne Marie-Sophie Ferdane et les musiciens Sébastien Martel et Thomas Fernier retracent le parcours de la pythie punk, livrant une ode électrique à la liberté.
Jacqueline est domestique au MignonPalace de Friville-Escarbotin, et s'ennuie ferme en épluchant ses pommes de terre. Yvon, l'homme à tout faire (surtout des blagues) lui trouve un joli brin de voix, et la pousse à la chansonnette… Et les voilà embarqués en pleine opérette lyrico-burlesque ! De Paris à Cuba, d'Offenbach à Dalida, le duo (Stéphanie Petit, alto et Vincent Vantyghem, baryton) et leur pianiste (Jacques Schab) se laissent gagner par la folie – et le public aussi.
Jeumont, 16.01, Gare numérique, 20 h, 12 / 9 € www.lemanege.com
Lille, 17 & 18.01, Le Prato, ven : 20 h • sam : 19 h 17 > 5 €, leprato.fr (festival Les Quelqu'uns) Douai, 23.01, Parc archéologique Arkéos, 20 h 30 15 / 8 €, www.ville-douai.fr
Les Pêcheurs de perles [ G. Bizet / G. Tourniaire / Coll. FC Bergman ]
Lille, 23.01 > 04.02, Opéra, mar & jeu : 20 h • sam : 18 h • dim : 16 h, 72 > 5 €, www.opera-lille.fr
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Composé 10 ans avant Carmen, et considéré comme son véritable premier opéra, Les Pêcheurs de perles annonce tout le génie mélodique et orchestral de Georges Bizet. L'histoire, exotique, se déroule sur l’île de Ceylan, où deux amis épris de la même femme prêtent serment de ne pas la séduire. évidemment, il y aura trahison… Connus pour leurs scénographies spectaculaires, les Flamands du collectif FC Bergman rendent grâce aux passions secouant ce pittoresque drame.
La Dispute / Finir en beauté / C'est la vie [ M. El Khatib / Zirlib ] Figure du théâtre documentaire, Mohamed El Khatib puise dans le réel les mots de la dramaturgie. En 2015, il signait Finir en beauté, partageant seul face au public le deuil de sa mère, dont il avait enregistré les dernières paroles. Deux ans plus tard, pour C'est la vie, il demandait à deux comédiens de revenir sur la perte de leur enfant. La Dispute, créée cet automne avec huit filles et garçons de huit ans, raconte la séparation, mais du point de vue des enfants. De l'écriture "vraie". La Dispute : Arras, 23 & 25.01, Théâtre, jeu : 19 h • sam : 20 h 30, 22 / 12 €, www.tandem-arrasdouai.eu Finir en beauté : Armentières, 01.02, Le Vivat, 19 h, 18 > 2 € + C'est la vie : 21 h, 18 > 2 €, www.levivat.net
Dans le nom [ Tiphaine Raffier ] Quelque part dans la campagne française, les difficultés s’abattent sur Davy, éleveur bovin… Mais qu’on ne s’y trompe pas : cette pièce ne s’intéresse pas tant au réalisme social qu’au langage. Inspiré des récits de l’ethnologue Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie paysanne, ce spectacle oscille entre conte fantastique et philosophique. Sur une scène nue, face à un écran, six personnages tentent de comprendre. Est-ce une malédiction ? Les mots ont beau s’enchaîner, la vérité se dérobe… Valenciennes, 28 & 29.01, Le Phénix, 20 h 24 > 17 € scenenationale.lephenix.fr Villeneuve d'Ascq, 05 & 06.02, La Rose des Vents mer : 20 h • jeu : 19 h, 21 > 6 €, www.larose.fr
Liberté à Brême R. Werner Fassbinder / C. Gourmelon Figure du cinéma, Rainer Werner Fassbinder fut aussi un grand auteur de théâtre. En témoigne Liberté à Brême, écrite au début des années 1970. Inspirée d’un fait divers de 1831, la pièce raconte la vie de Geesche Gottfried. Cette dame issue de la petite bourgeoisie allemande est brutalisée par ses proches…. qui meurent les uns après les autres. Dans une mise en scène épurée, Cédric Gourmelon dresse le portrait troublant d'une femme cherchant l'émancipation dans un monde violent. Béthune, 28 > 31.01, La Comédie (Le Palace) mar, mer & ven : 20 h • jeu : 18 h 30, 20 > 5 € comediedebethune.org
Inachevée, la Messe en ut mineur de Mozart demeure une œuvre majeure, et dépend d'une promesse faite à Dieu : si Constance, sa future femme alors malade, guérissait, il écrirait une messe. Ce qu'il fit. Celle-ci a inspiré au chorégraphe Abou Lagraa une pièce mariant danse classique et moderne (voire urbaine), jouée par les 22 interprètes du Ballet du Grand Théâtre de Genève. En résulte Wahada ("la promesse"), spectacle virtuose et sensuel, organisant la rencontre entre Orient et Occident. Mons, 30.01, Théâtre Le Manège, Complet !, lemanege.com
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© Gregory Batardon
Wahada [ Mozart / Abou Lagraa ]
la
Lunettes Spectachrome © Tens
l e m ot d e
ces lunettes de soleil permettent de voir la vie comme dans un film de Wes Anderson. Dotées de filtres spéciaux, les bésicles révèlent des teintes pastel et cette palette chaleureuse de rouge et de jaune si chère au réalisateur de La Famille Tenenbaum. Mais pourquoi ? Parce que le kitsch, c’est chic.
tens.co
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The Spectachrome – Conçues par trois jeunes écossais,
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