LM magazine 162 - septembre 2020

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N°162 / SEPTEMBRE 2020 / GRATUIT

ART & CULTURE

Hauts-de-France / Belgique




SOMMAIRE LM magazine 162 - septembre 2020

– MAGAZINE NEWS – 10 PORTFOLIO – 16

Cristo Oviedo & Paula Posadas Alvarez Flower Power

RENCONTRE

Alexandre Bloch – 48 ONL, Saison héroïque François Bégaudeau – 70 Contrechamp Juliette Guépratte – 78 Louvre-Lens, Soleils noirs © Cristo Oviedo & Paula Posadas Alvarez

Jérôme Piron – 122 Maison de correction

© Boris Chouvellon / art & jardins | Hauts-de-France, photo Yann Monel

© Saype - photo Valentin Flauraud

DOSSIER ART & NATURE – 24 Saype Art majeur Musée en plein air du Sart Tilman Le Parc des merveilles

Festival international de jardins Hortillonnages Amiens Les Îles fantastiques

Jardins en scène Le Bonheur est dans le pré Zak Eazy Plus belle la ville



SOMMAIRE LM magazine 162 - septembre 2020

– SÉLECTION MUSIQUE – 48 Alexandre Bloch, Compact Disk Dummies, Hatik vs Maes, Poulpaphone, Sébastien Tellier, LA Priest, Atelier lyrique de Tourcoing, Festival Muse & Piano CHRONIQUES – 64 Disques : Jessie Ware, Jarv Is…, Bill Callahan, Compilation Kaleidoscope – New Spirits Known and Unknown Livres : Olivier Bruneau, Stephen Graham Jones, Nury & Brüno

Sébastien Tellier © Valentine Reinhardt

Écrans : Autonomes, Effacer l’historique, Petit Pays, CineComedies, Heure Exquise !

EXPOSITION - 78

Ice Stupa Glacier © Sonam Wangchuk

Soleils noirs, Marcel Gromaire, Serial Eater, Matt Mullican, Jeanne Thil, Tim Walker, Jean Dubuffet, Ibant Obscuri, World Design Capital, La Colère de Ludd, Panorama, En Quête, Masculinities, Tout va bien Monsieur Matisse, Agenda…

THÉÂTRE & DANSE – 122 La Convivialité – La Faute de l’orthographe, _jeanne_dark_, Le Bateau Feu, Jérémy Ferrari, Fritland, Braslavie Bye Bye !, Pucie, La Place, Expériences Urbaines, Abstrkt, 4m2, Jason Brokerss, Maxime Gasteuil, Bun Hay Mean, Kadoc, An Irish Story – Une Histoire irlandaise, Le Bruit des Loups, La Loi de la gravité, Réveiller les vivants, Intra Muros, Le Cabaret de Madame Arthur LE MOT DE LA FIN – 154 Cabaret Madame Arthur © Bruno Gasperini

Tatsuya Tanaka Masque de plongée



MAGAZINE LM magazine – France & Belgique 28 rue François de Badts 59110 LA MADELEINE - F tél : +33 (0)3 62 64 80 09

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Direction de la publication Rédaction en chef Nicolas Pattou nicolas.pattou@lastrolab.com

Direction artistique Graphisme Cécile Fauré cecile.faure@lastrolab.com

Rédaction Julien Damien redaction@lm-magazine.com

Couverture Gerbera Larga Cristo Oviedo & Paula Posadas Alvarez behance.net/cristo behance.net/PauPosadass

Publicité pub@lm-magazine.com

Administration Laurent Desplat laurent.desplat@lastrolab.com Réseaux sociaux Sophie Desplat Impression Imprimerie Ménard (Labège) Diffusion C*RED (France / Belgique) ; Zoom On Arts (Bruxelles / Hainaut)

Ont collaboré à ce n° : Thibaut Allemand, Api & Mimi, Mathieu Dauchy, Marine Durand, Lucile Leleu, Raphaël Nieuwjaer, Cristo Oviedo & Paula Posadas Alvarez et plus si affinités.

LM magazine France & Belgique est édité par la Sarl L'astrolab* - info@lastrolab.com L'astrolab* Sarl au capital de 5 000 euros - RCS Lille 538 422 973 Dépôt légal à parution - ISSN : en cours

L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM magazine est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.

PAPIER ISSU DE FORÊTS GÉRÉES DURABLEMENT



© DR

© Planet Hiltron

NEWS NEWS NEWS NEWS NEWS

SUPERNORMAL

Planet Hiltron

Il n’aurait pas un peu forci Tom Cruise pendant le confinement ? Et Sharon Stone sans maquillage, ne ressemble-t-elle pas à notre vieille tata ? Nos célébrités ont ici subi un « make-under » selon Danny Evans – soit l’inverse du relooking. À travers le projet Planet Hiltron, ce New-Yorkais retouche les stars pour leur donner l’apparence de monsieur et madame tout-lemonde. Un poil caricatural (ces silhouettes peu flatteuses et garde-robes monotones), mais jubilatoire. INSTAGRAM @PLANET_HILTRON

VAISSELLE CLASHÉE

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MC Marquis

Qui a dit que les assiettes de nos mamies étaient ringardes ? Certainement pas Marie-Claude Marquis. Entre les motifs de chatons et bouquets de roses ornant traditionnellement cette vaisselle kitsch, la Canadienne glisse des références à la pop culture ou des messages, disons, explicites – du genre "Bullshit" ou "Everything sucks". Du fucking grand art. WWW.MARIECLAUDEMARQUIS.COM



© DR

NATURE VIVANTE

Pete & Sue Hill

Les Cornouailles, dans le sud-ouest de l’Angleterre, ont inspiré moult contes et légendes – comme celle du roi Arthur. On y trouve aussi Les jardins perdus de Heligan. Cet écrin de verdure accueille des créations remarquables, à l’image de The Mud Maid. Œuvre de Pete et Sue Hill, cette sculpture en terre représente une femme endormie. Évoluant au gré des saisons, ses vêtements et sa chevelure sont constitués de plantes et de mousse, offrant à Dame Nature une mirifique allégorie, n’est-ce pas ?

© Tsuchiya Kaban

© DR

PETEANDSUEHILL.CO.UK

Yusuke Kadoi

ARBRE À RÉACTION

L’AFFAIRE EST DANS LE SAC

Pour citer le professeur Malcolm, « la vie trouve toujours un chemin ». Et parfois dans des endroits inattendus, à l’image des clichés recensés par le site Vintage Everyday. Cette série comprend 22 photos de voitures abandonnées à l’intérieur desquelles ont poussé – naturellement – des arbres. Les graines trouveraient ici l’abri idéal pour pousser en paix… VINTAG.ES

Oubliez la sacoche banane, voici l’accessoire ultime pour faire vos courses : le sac à pastèque. Ciselée en cuir par le Japonais Yusuke Kadoi, cette petite merveille permet, ô magie du design, de ne transporter qu’un seul fruit juteux – vous pourriez toujours essayer avec un ballon, mais vous chuteriez dans notre estime. La classe, la vraie. WWW.TSUCHIYA-KABAN.COM



NEWS NEWS NEWS NEWS NEWS © DR

GUERRE BIOLOGIQUE

Suck UK

Faites la guerre, pas l’amour ! Enfin, si vous êtes assez fous pour nous suivre, privilégiez plutôt ces sympathiques grenades. Nos petites bombes sont emplies de terre et de graines de fleurs sauvages – renoncules et coquelicots. Pour mieux combattre la morosité urbaine, il vous suffit de les écraser ou de les jeter sur le béton (gentiment, hein ?), puis de laisser la main à Dame nature. Flower Power ! SUCK.UK.COM/PRODUCTS/FLOWERGRENADE

LE PIED VERT

Mr Plant

© Mr Plant

Ah, revoilà Monsieur Plant ! Connu pour ses œuvres entièrement conçues avec des végétaux, l’artiste français nous présente sa toute nouvelle paire de baskets. Du lourd ? On peut le dire. Ces sneakers prennent la forme de grosses bûches. Idéal pour marcher dans la boue, pas forcément pour se prélasser près de la cheminée. MONSIEURPLANT.COM



Margaritas


CRISTO OVIEDO & PAULA POSADAS ALVAREZ À fleur de pot Texte Julien Damien Traduction Api & Mimi

6 Les beautés de Dame Nature restent indiscutables (pas le moment de la vexer…). Toutefois, l’Argentin Cristo Oviedo et l’Espagnole Paula Posadas Alvarez y ajoutent une sacrée touche personnelle. En l’occurrence, nos artistes déversent des gouttes de peinture sur quelques fleurs. Baptisée Dripping ("égouttage"), cette série sublime dès lors une palette variée, en respectant l’authenticité des modèles. « Nous célébrons une forme de création spontanée », confirme Cristo, grand fan de la symbolique des couleurs. « Chacune de nos compositions devrait susciter un effet psychologique. C’est parfois subtil, mais « NOUS CÉLÉBRONS UNE FORME toujours prémédité ». Ici, un bleu DE CRÉATION SPONTANÉE. » azur relève délicatement les pétales roses d’un gerbera. Là, un jaune fluo sied parfaitement aux tonalités pourpres d’une orchidée, tandis qu’une marguerite rouge semble exsuder ses étamines. « En dégoulinant, la peinture accompagne les lignes de certaines plantes, observe Paula. Ces éléments a priori aux antipodes fusionnent de manière très naturelle ». Précisons que ces séances de "maquillage" sont réalisées sans trucage. Pour chaque cliché les fonds sont scrupuleusement étudiés pour soutenir cette harmonie. « De mon côté, je souhaitais immortaliser cette goutte, car elle est aussi éphémère que la vie des fleurs, précise son complice. Enfin, grâce à ce supplément de couleur, elles semblent saigner ». Comme si notre flore ne supportait plus les souffrances infligées par l’humanité… Mais ne soyons pas trop pessimistes – ce serait le bouquet ! À VISITER – À LIRE –

www.behance.net/cristo, www.behance.net/PauPosadass

L’interview de Cristo Oviedo et Paula Posadas Alvarez sur lm-magazine.com

portfolio – 17


Naranja


Campanilla


Hoja Verde


Silvestre


Orquidea


Cala


Beyond Crisis, Leysin, Suisse, avril 2020 Š Photo Valentin Flauraud pour Saype

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SAYPE

interview Propos recueillis par Julien Damien

Grandeur nature

Biodégradables, peintes sur des milliers de mètres carrés d’herbe, ses fresques gigantesques et humanistes s’affichent à flanc de montagne ou au pied de monuments. Né à Belfort en 1989, désormais installé en Suisse, Guillaume Legros, aka Saype (la contraction de "say" et de "peace") conjugue street art et land art depuis plus de cinq ans, et suscite l’émerveillement à travers toute la planète. Avec son nouveau projet, Beyond Walls, cet artiste écolo envisage la plus grande chaîne humaine au monde, de Paris à Yamoussoukro, en passant par Genève ou Ouagadougou. En somme, l’ancien graffeur ne dessine plus sur les murs, il les casse. Entretien XXL. art & nature – 25


Beyond Crisis, Leysin, Suisse, avril 2020 © Photo Valentin Flauraud pour Saype

Quel est votre parcours ? Je n’ai pas grandi dans une famille d’artistes. Rien ne m’incitait à en devenir un moi-même. Par exemple, je n’ai jamais mis les pieds dans un musée étant gamin. J’ai commencé par le graffiti à 14 ans, avec mes potes, et me suis passionné pour les arts visuels. Sans prendre de cours, à partir de quelques bouquins sur la colorimétrie… Bref, je suis autodidacte. Comment avez-vous développé votre style ? Durant de longues journées en atelier, m’essayant à la peinture à la bombe, au couteau, à l’acrylique… À 16 ans, je montais ainsi mes premières expositions en galerie. En parallèle, je suivais

des études d’infirmier, sans jamais abandonner ma passion. J’ai lâché mon boulot il y a seulement quatre ans. Comment cette idée de réaliser des fresques monumentales estelle née ? D’une double réflexion quant à mon activité de graffeur. À un moment donné, je me suis rendu compte que la pollution visuelle de nos villes m’empêchait de capter l’attention des gens. En 2011, l’arrivée des drones a aussi ouvert d’autres perspectives. J’ai envisagé un terrain de jeu plus vaste et peu exploité : la nature. Finalement, j’ai adapté le street art à une tout autre échelle.

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La folie des grandeurs ? Au contraire, lorsque je peins, je ne vois pas le résultat en temps réel. Cette méthode m’incite à prendre du recul vis-à-vis de mes créations. Ensuite, en réalisant des photos avec mon drone, je m’aperçois que je ne suis rien. Même ma fresque se révèle minuscule au milieu de la nature, c’est une belle leçon d’humilité.

« J’ENVISAGE LE STREET ART À UNE TOUT AUTRE ÉCHELLE. » Comment travaillez-vous ? Mes œuvres s’offrent telles des allégories. Lorsqu’une idée se précise, j’organise des shootings. Puis, je réalise des croquis au fusain directement sur les clichés pour fondre ma création dans le décor. Je vise la meilleure interaction entre la peinture et le paysage. Quels matériaux utilisez-vous ? J’ai inventé ma propre peinture. Totalement biodégradable, elle a nécessité une année de recherche, car l’herbe est un support très particulier. Par souci écologique, je n’utilise que du noir et du blanc. Pour faire simple, c’est de l’eau, de la craie et du charbon. Il y a d’ailleurs un petit côté chimiste dans ma démarche. Je fais contrôler ces produits et analyser le sol, avant et

après mon intervention. Au final, mon impact sur le paysage équivaut au passage d’un troupeau de moutons (rires). Comment employez-vous cette peinture ? Deux assistants la préparent sur place car elle ne se conserve pas. À chaque fois que j’investis un lieu, je déplace donc avec moi tout un atelier ! Ensuite, je la projette avec un pistolet Airless, utilisé dans les métiers du bâtiment. Combien de temps vos créations restent-elles visibles ? Entre deux semaines et trois mois. N’est-ce pas un peu frustrant de les voir disparaître si vite ? Pas du tout, cette idée me fascine ! Je suis friand de littérature bouddhiste, et l’un de ses piliers est l’impermanence. Tout est éphémère, même les choses les plus belles… Quels sont les lieux les plus insolites où vous avez travaillé ? Le Champ de Mars, à Paris, c’était quand même un truc de malade… D’ailleurs, c’était la première fois qu’on le bloquait pendant dix jours pour accueillir une œuvre. Je pense aussi à quelques réserves naturelles exceptionnelles.


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Beyond Walls, Step 1 : Paris, Champ de Mars, juin 2019 Š photo Valentin Flauraud pour Saype

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Message from Future, Genève 2018 © Saype / DR

Pouvez-vous nous parler du projet Beyond Walls ? C’est une réaction au mur de Trump. Il s’agit de créer, symboliquement, la plus grande chaîne humaine au monde. Je peins des mains entrelacées au gré de mes voyages, d’une ville à l’autre. L’objectif serait d’en relier une trentaine. Car je suis convaincu que l’humanité affrontera mieux ses défis, notamment climatiques, en demeurant unie.

installation de 15 mètres) pour le poser sur l’eau, en l’occurrence le lac Léman. Je soutenais alors SOS Méditerranée, qui sauve des migrants en mer. Il y a eu une forte mobilisation autour de ce projet : près de 120 millions de personnes l’ont vu. Au point que la confédération suisse a attribué un bateau à l’association.

Ce monde instable ne vous inspire-t-il pas des fresques plus "radicales" ? « JE CHERCHE LA MEILLEURE INTERACTION ENTRE LA PEINTURE Non, je ne suis pas fan de l’art contestataire, comme celui de ET LE PAYSAGE. » Banksy, même si j’admire sa créaQuelles sont vos fresques tivité. Cela ne suffit pas de pointer favorites ? les problèmes. Je préfère rester poJe citerais volontiers Message From sitif et me retrousser les manches. Future réalisée sur la pelouse de la Perle du lac à Genève, en 2018. À VISITER / www.saype-artiste.com Elle montre une fillette fabriquant À LIRE / La version longue de cette interview un bateau en papier (soit une sur lm-magazine.com art & nature – 30



Une Colonie de paresseux en fourrure noire, 2018 © Élodie Antoine

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MUSÉE EN PLEIN AIR DU SART TILMAN

À l’art libre

Sur les hauteurs de Liège, un peu à l’écart de la ville, on trouve le musée en plein air du Sart Tilman. Fondé en 1977, ce jardin extraordinaire détient des sculptures et installations pour la plupart signées de Belges francophones. D’Eugène Dodeigne à Pierre Alechinsky, en passant par la jeune garde de la création contemporaine, ces noms témoignent de la vivacité artistique du Royaume. Cette collection garantit une promenade pas comme les autres. Suivez le guide. art & nature – 33


Le Sapin rouge, 2013 © Jean-Pierre Ransonnet / photo Jean Housen

6 Bienvenue dans un lieu atypique qui marie nature et art, architecture et éducation. L’histoire du musée en plein air du Sart Tilman est en effet indissociable de celle de l’Université de Liège. « À la fin des années 1960, l’institution a été transférée du centre-ville vers la périphérie, pour favoriser l’émergence d’un campus universitaire, raconte Julie Bawin, la directrice.

« LA DÉAMBULATION AUTOUR DES PIÈCES EST TOTALEMENT LIBRE. » Très vite, les responsables académiques et les architectes ont introduit des œuvres au sein des bâtiments et à l’extérieur ». Désormais, ce sont plus de 120 sculptures ou installations (souvent monumentales)

qui dialoguent dans un parc de 700 hectares « à toute heure du jour et de la nuit. La déambulation autour des pièces est totalement libre. On ne vous empêchera jamais de les toucher ». Fait rare, celles-ci ont pour la plupart été produites in situ, spécialement pour le site.

Crash test – Cette collection unique en son genre se déploie sur de vastes pelouses jalonnées de fourrés et buissons. Elle illustre à merveille la diversité de la création d’hier et d’aujourd’hui en Belgique francophone. L’œuvre la plus emblématique demeure sans doute La Mort de l’automobile, exécutée par le Liégeois Fernand Flausch en 1980. Haute de plus de cinq mètres, elle figure une Cadillac enfoncée à la verticale dans un bloc de béton.


Sieste sur les hauteurs de Liège, 1996 © Patrick Corillon / photo Jean Housen

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La Mort de l’automobile,1980 © Fernand Flausch / photo Goldo Dominique Houcmant

« Elle comporte bien sûr une dimension écologique, observe Julie Bawin. C’est aussi une critique de la société de consommation. Enfin, on devine une pointe d’ironie, car elle a été placée non loin d’un carrefour automobile ».

En lieu sûr – Les créations n’ont pas été installées au sein de ce parcours par hasard. À l’image du moulage en béton d’une souche d’arbre de Patrick Corillon surgissant en pleine nature, ou encore d’Album et bleu de Pierre Alechinsky. Le célèbre peintre et graveur belge a signé là « l’une de ses rares œuvres dans l’espace public ». Cette gigantesque double page

ouverte (soit 48 dalles de lave posées sur deux socles en béton), telle une métaphore du livre (l’une de ses obsessions), trouve logiquement place près de la faculté de

« ON NE VOUS EMPÊCHERA JAMAIS DE TOUCHER LES ŒUVRES. » droit. On citera aussi Les Paresseux de la jeune Elodie Antoine, soit des sculptures en fourrure synthétique suspendues aux branches. Ces mammifères, peu connus pour leur vélocité, se prélassent juste en face de Polytech, comme pour mieux narguer ses besogneux étudiants – pour sûr, ils ne manquent pas d’air ! Julien Damien

Liège, Musée en plein air du Sart Tilman ouvert tous les jours de l’année, 24 h / 24, gratuit, www.museepla.uliege.be 19.09 > 18.10 : 10e Prix de la Jeune Sculpture de la Fédération Wallonie-Bruxelles art & nature – 36



FESTIVAL INTERNATIONAL DE JARDINS HORTILLONNAGES AMIENS Embarquement immédiat

Joost Emmerik, Chasse aux fleurs, 2019, Festival international de jardins, Hortillonnages Amiens © art & jardins, Hauts-de-France - photo Yann Monel

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Stéphane Larcin et Baptiste Demeulemeester, Cabotans maraîchers, 2019, Festival international de jardins, Hortillonnages Amiens © art & jardins, Hauts-de-France - photo Yann Monel

Depuis 2009, le Festival international de jardins investit les hortillonnages d’Amiens avec de jeunes plasticiens et paysagistes. L’occasion de se promener à pied ou en barque électrique (et en bois) dans un décor exceptionnel, constitué d’îles et de canaux, où l’art et la nature fusionnent. Pour cette 11e édition, 52 installations (dont 12 nouvelles) sont à découvrir, suscitant l’émerveillement comme la réflexion sur la fragilité de notre écosystème. C’est un site unique au monde, où la poésie le dispute à la sérénité. Imaginez : un paysage de 300 hectares traversés par 65 km de canaux encadrant des îles… aux portes d’Amiens. À bien des égards, ce cadre évoque les Cités végétales de Luc Schuiten. « Vous êtes au pied de la cathédrale et, 10 minutes plus tard, sur l’eau, se réjouit Gilbert Fillinger, le directeur du festival. Pour moi, c’est vraiment la ville de l’avenir ». Pourtant, ses hortillonnages ne datent pas d’hier. À l’origine, l’endroit est un marais asséché par les Romains, il y a plus de 2 000 ans – le terme provient du

latin hortellus, soit "petits jardins". Durant le Moyen-Âge, Amiens devint une zone de maraîchage réputée avant que la mécanisation de l’agriculture ne sonne le glas de cette tradition, au milieu du xxe siècle. Au début des années 2000, des inondations ont ensuite abîmé ces lieux. « Au final, le nombre de maraîchers est passé d’un millier à moins de dix ».

La renaissance – Si une faible activité nourricière persiste, le reste du site fut transformé en jardins d’agrément, aménagé pour la détente, la pêche ou… abandonné. La naissance du Festival


Raphaëlle Duquesnoy, Hortillophones, 2019, Festival international de jardins, Hortillonnages Amiens © art & jardins | Hauts-de-France photo Yann Monel

international de jardins, en 2009, fut donc salvatrice. Le principe ? Réhabiliter les hortillonnages en donnant carte blanche à des créateurs, paysagistes ou architectes. Depuis, 52 œuvres ont poussé ici, garantissant un voyage entre art et nature. On peut traverser ces jardins extraordinaires à pied et, surtout, en barque. Au gré de ces escales, on découvre ainsi les Cabotans maraîchers de Stéphane Larcin et Baptiste Demeulemeester, un théâtre de verdure où s’enroulent des branches de saule.

Plus loin, on se laisse envoûter par les Hortillophones de Raphaëlle Duquesnoy, amplifiant le chant des oiseaux. On réfléchit, aussi, à la fragilité de notre écosystème et de notre « futur alimentaire » au Banquet cornélien de Guillaume Besnier. Au cœur du parcours, ce jardin octogonal salue les agriculteurs privilégiant des techniques écologiques (sans énergie fossile ni pesticide) pour produire des aliments alléchants en osmose avec leur environnement. Julien Damien

Amiens, 14.07 > 18.10, Hortillonnages, www.artetjardins-hdf.com À PIED /

accès à L’Île aux Fagots, mer > dim : 13 h 30 -19 h, gratuit

(parcours de 2 h 30) / accueil au Port à fumier : mer > ven : 13 h-19 h sam & dim : 10 h-19 h, 19  € (1/2 pers.), 24 € (3/4 pers.), 26 € (5/6 pers.), gratuit -3 ans réservation : +33 (0)6 37 25 74 70 EN BARQUE

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Monsieur le Directeur © Franck Olaya

JARDINS EN SCÈNE

120 nuances de vert

6 À l’heure du funeste Covid, la culture fait grise mine, et la mauvaise foi a le vent en poupe. On pourrait s’entasser dans une rame de métro pour aller bosser, mais surtout pas dans une salle de concert ? Cherchez l’erreur. En attendant, les bonnes idées fleurissent. Celle-ci ne date pas d’hier, mais prend encore plus de sens : organiser des spectacles (gratuits) au cœur des plus beaux parcs et jardins des Hauts-de-France. Mise sur pied pas la Région, cette 12e édition s’est étoffée. De Dunkerque à Soissons, en passant par Argoules ou Berlaimont, on découvre cette année plus de 120 propositions – musicales, théâtrales… À Roubaix, l’association Emaho transforme le Jardin de la chlorophylle, une fois la nuit tombée, en ballet sonore et visuel. La compagnie du Tire-Laine métamorphose elle la forêt de Raismes en bois enchanté, à l’écoute du "chant des aliments" dans un conte (forcément) de bon goût. Entre autres déambulations dans les remparts du Quesnoy, on s’arrêtera au pied du moulin de Boeschèpe pour écouter Bonbon Vodou. Le duo use d’objets hétéroclites (bouteilles de sirop, boîtes de conserve…) comme autant d’instruments, et promet de « faire revenir l’être aimé en moins de 24 heures ». On verra bien… Hauts-de-France, 04 > 27.09, divers lieux, gratuit, www.jardinsenscene.fr 06.09 : Compagnie du Tire-Laine : Chloé & la forêt des aliments (Raismes) 13.09 : Bonbon Vodou (Boeschèpe) // 18 > 20.09 : Association Emaho : L’Âme des arbres 27.09 : Compagnie Chamane : Chut l’arbre (Le Quesnoy)…

SÉLECTION /

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Beffroi de Lille

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interview

ZAK EAZY

Propos recueillis par Julien Damien

Lille fantastique Sacrebleu, la chambre de commerce et d’industrie est attaquée par un poulpe géant ! Pendant ce temps-là, une girafe baguenaude au cœur de la Vieille Bourse, quand l’opéra est submergé par les eaux… Ces images hallucinantes de Lille sont signées Zak Eazy. Originaire de la capitale des Flandres, ce jeune graphiste (et grand fan de Dalí) n’aime rien tant que sublimer ses lieux iconiques et autres monuments dans des photomontages chimériques. Entretien – bien réel. Comment définiriez-vous votre art ? Purement surréaliste. Je déploie un univers fantastique à partir de bâtiments et d’animaux existants en jonglant avec Photoshop. Comment travaillez-vous ? Je suis à la recherche constante de LA photo. Lorsque je déniche un cliché intéressant, j’entrevois d’emblée un monde parallèle. D’où viennent ces images ? De photographes avec lesquels je collabore ou de banques d’images. Il m’arrive aussi d’utiliser les miennes. Comment les manipulez-vous ? Je réserve une place à la faune et la flore en fonction des prises de vues. Dans un contexte fantasmagorique il m’importe que certains détails paraissent bien réels.

Freedom, Freelance, Freestyle

« LES CIEUX TOURMENTÉS DU NORD DE LA FRANCE OFFRENT UNE BELLE PALETTE DE COULEURS. »

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Lotus Flower Bomb

C’est pourquoi je soigne les ombres des animaux, les rayons du soleil… Pourquoi focalisez-vous tant sur Lille ? En tant que Lillois, je tenais à mettre en avant son histoire et ses monuments. J’en connais les moindres recoins, et peux donc réinterpréter certaines photos facilement. Et puis son architecture se prête bien au jeu : des maisons flamandes jusqu’aux immeubles haussman-

niens, son beffroi et son emblématique Colonne de la Déesse sur la place du Général de Gaulle... Enfin, les cieux tourmentés du nord de la France offrent une belle palette de couleurs. Que souhaitez-vous exprimer ? La crainte d’une catastrophe climatique ? Ce n’est pas mon objectif principal. Je cherche d’abord à projeter les gens dans un autre espace-


Girafe à la Vieille Bourse de Lille

temps. Avec une bonne dose de fantaisie, je casse la routine quotidienne et bouscule la réalité. Pouvez-vous commenter l’une de vos œuvres ? Votre préférée, peut-être ? Je suggère alors Freedom, Freelance, Freestyle (La Vieille Bourse de Lille – voir p. 45). Le bâtiment se présente comme un coffre ou une île paradisiaque aux prises avec des eaux agitées. Des colombes

libèrent cette île et son trésor caché. Cette création reflète parfaitement mon "mood" durant le mois de janvier dernier : en pleine réflexion quant à mon orientation professionnelle. Cette île portée par des colombes manifeste un élan créatif tandis que la mer traduit la peur de l’inconnu. À VISITER

/ www.instagram.com/zakeazy

/ La version longue de cette interview sur lm-magazine.com

À LIRE

art & nature – 47


interview Propos recueillis par Julien Damien

ALEXANDRE BLOCH

A. Bloch © Ugo Ponte, ONL

Saison héroïque

Ils sont dans les startings-blocks. Après avoir brillé derrière l’écran durant le confinement, les musiciens de l’Orchestre national de Lille nous accueillent enfin au Nouveau Siècle, et ailleurs en région – car rien ne remplacera l’émotion d’un "vrai" concert. Dans la foulée d’une grande épopée mahlérienne, le directeur musical de l’ONL, Alexandre Bloch, lève le voile sur une saison placée sous le signe des héros. On y croise des virtuoses contemporains (Nemanja Radulović, Chilly Gonzales) et moult figures éternelles, de Beethoven à Hitchcock. Frissons garantis. musique – 48


Comment appréhendez-vous cette saison ? Comme un nouveau départ, pour les musiciens, moi-même et le public. Nous allons nous retrouver autour de notre passion, avec encore plus d’ardeur sur scène. La culture est au cœur de nos sociétés et demeure capitale en temps de crise. Qu’en est-il de votre programmation ? Nous avons passé une bonne partie du confinement à nous réinventer, trouver des solutions pour accueillir le public. Nous proposons ainsi des programmes un peu plus courts et sans entracte, tout au moins pour ce premier trimestre, compatibles avec les consignes sanitaires sans diminuer notre exigence artistique.

Quels seront vos temps forts ? D’abord la venue de Nemanja Radulović, qui ouvre cette saison avec le Concerto pour violon n°3 de Mozart, un registre dans lequel on l’a moins entendu mais révélant une autre facette de son talent. Audelà des pièces virtuoso, Nemanja envisage des choses traditionnelles. Nous sommes d’ailleurs ravis de l’accueillir en résidence pour au moins deux saisons.

Explorez-vous une thématique en particulier ? Oui. Celle du héros, marquant beaucoup d’œuvres du répertoire symphonique. Tout au long de la saison, des rendez-vous suivront ce fil rouge. Parfois au "premier degré", comme avec l’Eroica de Beethoven ou Une Vie de héros de Richard Strauss. À d’autres moments, l’esprit de la musique lui-même portera ce thème. Je dirigerai ainsi la Symphonie fantastique, dont Berlioz est luimême le héros.

Nemanja Radulović © Charlotte Abramow / DG

« LA CULTURE DEMEURE CAPITALE EN TEMPS DE CRISE. »

musique – 49


On peut aussi compter sur Chilly Gonzales et Erik Truffaz… Oui ! Erik a d’ailleurs participé à notre Lille Piano(s) Festival Digital cet été. C’est un plaisir de le revoir en chair et en os ! Retrouvera-t-on les fameux ciné-concerts de l’ONL ? Oui ! Nous organisons notamment un week-end dédié à Hitchcock, avec Vertigo et Psychose durant Halloween. En fin de saison, on s’envolera avec Mary Poppins, ouvrant nos portes à un public familial.

Hitchcock, Psycho © Paramount Pictures

Quelles seront les autres belles rencontres ? J’accompagnerai une autre star du violon en la personne de Patricia Kopatchinskaja, à la faveur du Concerto pour violon de Tchaïkovski. Citons aussi le légendaire violoncelliste Mischa Maisky avec lequel nous irons à la Philharmonie de Paris ou encore François Leleux, hautboïste originaire du Nord devenu une figure de la musique classique. Nous enregistrons enfin La Voix humaine de Poulenc avec une habituée de l’ONL : Véronique Gens.

Plus personnellement, sur quels programmes souhaitez-vous attirer l’attention ? La fin de cette saison sera très émouvante, car nous jouerons le concert de clôture initialement prévu à l’été 2020. C’est une création en co-commande avec le London Philharmonic Orchestra, signée de notre compositeur en résidence Magnus Lindberg et baptisée Triumph to Exist. À cette occasion, nous interpréterons aussi la Symphonie nº 9 de Beethoven et sa fameuse Ode à la joie. Elle trouvera un écho particulier, comme un symbole de résurrection...

Lille, Nouveau Siècle, Place Pierre Mendès France, www.onlille.com / 24 & 25.09 : Concert d’ouverture : Copland, Fanfare For The Common Man • Mozart, Concerto pour violon n°3 • Bartók, Divertimento pour cordes (dir : Alexandre Bloch, violon : Nemanja Radulović, ONL, 20 h, 55 > 6 €) 07 & 08.10 : Métamorphoses - Variations autour du violoncelle : Tchaïkovski, Nocturne Op.19 No.4 • Bruch, Kol Nidrei • Tchaïkovski, Variations sur un thème rococo • R. Strauss, Métamorphoses (dir : Alexandre Bloch, violoncelle : Mischa Maisky, ONL, 20 h, 55 > 6 €) 15.10 : Récital événement de Nemanja Radulović : Tartini, Franck, De Bériot (20 h, 33 / 27 €) 30.10 : Ciné-concert Pyschose (20 h, 35 > 6 €) // 31.10 : Ciné-concert Vertigo (20 h, 35 > 6 €) 10.12 : Concert symphonique d’Erik Truffaz (20 h, 55 > 6 €) 05.02.21 : Récital de Chilly Gonzales (20 h, 33 / 27 €) SÉLECTION

À LIRE

/ La version longue de cette interview sur lm-magazine.com musique – 50



© Alexander Popelier

COMPACT DISK DUMMIES

Le nombre moyen de musiciens par habitant à Courtrai n’est pas banal. Cette petite ville de 75 000 âmes abrite ou a hébergé les modestes studios de Balthazar, Amenra ou encore Ozark Henry. C’est aussi le fief de Compact Disk Dummies, et l’air de cette cité flamande fut tout aussi stimulant pour les frères Coorevits. Dès 2013, la parution du maxi The Reeling, tournis synthétique empreint de mélancolie, fut saluée par l’éminent quotidien De Standaard comme « l’un des 50 meilleurs morceaux belges des années 2010 » – liste qui, signalons-le, célèbre également Papaoutai. Si la référence aux frères Dewaele de Soulwax demeure une évidence, la participation du titan Tom Barman de dEUS, qui prête sa voix au récent EP Satellites, est un adoubement. Pas snob, le combo electropunk fait logiquement étape en Flandre Occidentale (à guichets fermés) à l’occasion d’une tournée entamée en 2019, et prolongée à Louvain, Liège, Gand… Cette grande balade accompagne la sortie de Neon Fever Dream, son deuxième album, et n’est pas près de s’arrêter. Mathieu Dauchy

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Gand, 21.09, Handelsbeurs, 19 h, 22,50 / 19,50 €, www.handelsbeurs.be Liège, 02.10, Reflektor, 20 h, 17,50 €, www.reflektor.be // Courtrai, 07.10, De Kreun, complet ! + Kids concert : 13 h 45, 16,50 / 9,50 € // Louvain, 15.10, Het Depot, complet ! musique – 52



HATIK / MAES

Maes © DR

Hatik © Fifou

Le premier a galvanisé le marché de la chaise pliante et ressuscité le Saïan Supa Crew avec sa reprise d’Angela. Le second collectionne les disques de platine et les louanges de B20. Hatik et Maes sont les figures de proue de la nouvelle scène rap française. Faisons le bilan, calmement. J.D.

Validés – Hatik doit sa notoriété à Validé de Franck Gastambide où il joue le premier rôle, Apash. Une série pas vraiment au goût de Booba, qui la qualifie de « récupération pour les bobos en manque de sensations fortes ». 0 Validé, Maes l’est lui depuis un bail par le Duc de Boulogne, avec lequel il multiplie les featurings (Blanche, Madrina). Fayot ? Style – Hatik a érigé la chaise pliante en totem de la "banlieue way of life", asseyant son succès avec une discographie quasi-exclusivement baptisée à sa gloire – flemmard. 0 Maes la joue intello, et ne se sépare jamais de ses lunettes de vue… sans correction, de préférence avec de grosses montures façon Chirac. Chacun son style. Droit au but – Fan de l’OM (il s’est même entraîné avec les pros) Hatik a longtemps taquiné le ballon et n’hésite pas à mâtiner ses textes de punchlines footballistiques. 0 Maes a lui dédié un morceau à l’attaquant Dybala, qui l’a invité en retour à Turin. Ok, match nul.

Street Life – Hatik et Maes se sont tous les deux imposés en chroniqueurs acérés de la rue et son éternel triptyque "violence-drogue-prison". Les fans de Bigflo et Oli passeront leur chemin. Ceux qui ont « les sourcils froncés comme Ancelotti », pour citer Hatik, sont au bon endroit. HATIK Dunkerque, 17.09, Les 4 Écluses, complet ! // Tourcoing, 18.09, Le Grand Mix, complet ! Oignies, 18.12, Le Métaphone, 20 h 30, 18 > 12 € // Lille, 13.03.2021, Le Splendid, 20 h, 26,80 € MAES

Lille, 02.10, L’Aéronef, 20 h, 26 > 19 € // Bruxelles, 10.10, La Madeleine, 19 h, 27 €

* sous réserve des conditions sanitaires



Lame de fond

Sevrés de festivals cet été, on attendait la rentrée avec impatience. Alors direction la Côte d’Opale pour retrouver notre céphalopode préféré. Parce que le live streaming et les a cappella de Raphael dans sa cuisine, ça va deux minutes... Rien ne vaudra jamais un vrai concert, avec des artistes en chair et en os – ou tentacules. C’est une année doublement particulière pour le Poulpaphone. Covid oblige, cette édition ne battra pas ses records d’affluence : la jauge a été réduite pour mieux accueillir le public. Et puis, ce sera aussi la dernière sur le site du Garromanche et ce si charmant décor "indus". Le propriétaire des lieux souhaitant s’agrandir, le festival devra se trouver un nouvel antre. Raison de plus pour ne pas louper ce cru 2020, de fait historique. L’esprit reste le même, l’affiche balance entre nouvelles têtes et vieux briscards. À l’image d’Ausgang, derrière lequel on trouve Casey, qui fusionne ici rap et rock. De quoi donner des idées aux Liégois noiserock d’It It Anita et à l’autoproclamé « empereur du sale », Lorenzo. Sur ces deux plateaux du hangar d’Outreau, se croisent aussi les énergumènes de Salut c’est cool et une scène française décidément emballante. Pour preuve Laura Perrudin, première musicienne à jouer de la harpe chromatique électrique, un instrument créé sur mesure. Hervé remet quant à lui au goût du jour les eighties. Entre Bashung et Eddy de Pretto, il nous rappele que la pop est un éternel recommencement… Julien Damien Boulogne-sur Mer, 25 & 26.09, Site de Garromanche (Outreau) 20 h, 1 soir : 17 €, pass 2 soirs : 26 €, www.poulpaphone.com / 25.09 : Laura Perrudin, It It Anita, Mezerg, Shame, Izïa, Yuksek 26.09 : Bandit Bandit, Ausgang, Hervé, Aloïse Sauvage, Lorenzo, Salut c’est cool

PROGRAMME

Lorenzo © Alice Moitié (Iconoclast)

POULPAPHONE



© Valentine Reinhardt

SÉBASTIEN TELLIER

Poil hirsute et regard bleu azur planqué derrière des lunettes de soleil XXL, Sébastien Tellier traîne ses guêtres dans la pop hexagonale depuis l’an 2000 et un single immortel, La Ritournelle. Il fut également, à l’instar d’Arno, Brigitte Fontaine ou Philippe Katerine, bon client de talk-shows qui se fichent de l’œuvre de l’invité, mais s’amusent bien de son caractère lunaire (souvenez-vous de la promo de My God Is Blue, 2012…). Heureusement il en est revenu, pour se consacrer pleinement à ses disques. Lesquels forment un ensemble inégal, souvent dans l’air du temps, mais pas toujours convaincants. Si certains sont en pâmoison devant Sexuality (2008), votre serviteur lui préfère sa participation à la BO de Steak (Quentin Dupieux, 2007) et surtout Confection (2013), hommage assumé à François de Roubaix. Domesticated (2020) ne se laisse pas apprivoiser facilement. Vocoder à tous les étages, sons électroniques en pagaille, ce neuvième LP évoque la vie quotidienne et "normale", mais ne fait toujours pas tomber le masque – parfaitement raccord avec l’époque, donc. Thibaut Allemand

6

Bruxelles, 29.09, Botanique, 19 h 30, 33,50 > 26,50 €, www.botanique.be * Lille, 11.03.2021, L’Aéronef, 20 h, 28 > 20 €, aeronef.fr * sous réserve des conditions sanitaires

musique – 58



© Isaac Eastgate

LA Priest

La résurrection

Peut-on être et avoir (vaguement) été ? Oui, cent fois oui. La preuve avec LA Priest. Le Britannique avait connu la gloriole. C’était dans une autre vie. Plutôt que de retourner à ses (très) chères études, Sam Eastgate a persévéré, plus ou moins seul, et apparaît désormais en admirable songwriter. À l’aube des temps (vers 2007, disons) se démenait Late of The Pier. Aussi sympathique que totalement dispensable, cette formation s’ébrouait joyeusement sous le saint-patronage d’Erol Alkan, à la suite des Klaxons et en compagnie de Doest It Offend You, Yeah ? et autres New Young Pony Club. Revenu des oubliettes, Sam Eastgate (aka Sam Dust) n’avait pas dit son dernier mot. Surprenant avec l’honorable Inji (2015). Nous convainquant totalement avec Gene (2020). Un hommage au groupe Gene, ces sympathiques épigones des Smiths ? Rien à voir, c’est le surnom donné à sa boîte à rythmes. Composé sous l’influence du bricoleur lunaire Connan Mockasin, avec qui Eastgate avait collaboré (le projet Soft Hair), ce disque laisse libre cours à une imagination débridée. On y perçoit parfois un groove tranquille tout en rythmes caoutchouteux. Ailleurs, résonnent les échos d’un funk princier réalisé avec trois bouts de ficelle dans un soussol. Et partout, des trouvailles sonores, des mélopées faussement enfantines et vraiment intrigantes. Ces chansons aux voix trafiquées et aux guitares vrillées évoquent des comptines de l’hyper-espace, à quelques encablures de Hot Chip et d’Arthur Russell. En somme, de fabuleuses retrouvailles. Thibaut Allemand Tourcoing, 01.10, Grand Mix, 18 h, gratuit (afterwork), www.legrandmix.com Bruxelles, 02.10, Botanique, 19 h, 18,50 > 11,50 €, www.botanique.be * sous réserve des conditions sanitaires



OUVERTURES ! Placée sous le signe du partage, cette nouvelle saison de l’Atelier lyrique de Tourcoing démarre en fanfare. Ce premier rendez-vous prend ainsi la forme d’une journée de cinq concerts gratuits, disséminés dans des lieux emblématiques de la ville. Le MUba vibre par exemple au rythme de Schumann, Haydn et du grand Beethoven, duquel on fête le 250 e anniversaire. François-Xavier Roth le célèbre comme il se doit au Théâtre municipal Raymond Devos. À la tête de son orchestre (Les Siècles), le nouveau directeur de l’ALT fait résonner les accords héroïques de la troisième symphonie du génie allemand, histoire de nous remettre du baume au cœur. Tourcoing, 19.09, Conservatoire, MUba, Église Saint-Christophe, Théâtre municipal Raymond Devos, 11h > 20h30, gratuit atelierlyriquedetourcoing.fr / Britten, Kodaly, Saygun (JeanGuihen Queyras) // Quatuor Manfred & Salomé Haller // Debussy, Ravel (Duo Bertrand Chamayou - J.-F. Heisser) // Mozart - Gran Partita KV361 (dir. Alexis Kossenko) // Beethoven - Symphonie n°3, Gluck - Extraits d’opéras (dir. François-Xavier Roth)

PROGRAMME

Double événement au Louvre-Lens, qui célèbre les cinq ans de ce festival autant que le 250e anniversaire de Beethoven. Pour l’occasion, et en marge de l’exposition Soleils noirs, le musée fait résonner dix fois sa 14e sonate (dite Clair de lune), jouée par autant de pianistes. Jamais avare de solistes de renom, cette programmation soignée convie aussi Anne Queffélec (marraine du rendez-vous), son fils Gaspard Dehaene et le fougueux Luis Fernando Pérez. Lens, 25 > 27.09, Scène du Louvre-Lens, Hall du musée et médiathèque 14 € > gratuit, pass : 40 €, www.louvrelens.fr / 25.09 : Grand récital d’Anne Queffélec et Gaspard Dehaene 25 > 27.09 : Marathon Clair de lune 26.09 : Grand récital de Luis Fernando Pérez, 27.09 : Muse & Piano and friends ! Concert festif en compagnie de Sélim Mazari, Tanguy de Williencourt, Célimène Daudet, Clément Lefebvre, Pierre-Yves Hodique

SÉLECTION

Anne Queffelec © Frédéric Iovino

FX Roth © Holger Talinski

MUSE & PIANO

musique – 62



© DR

Jessie Ware What’s Your Pleasure ? (Caroline Records) Pauvre Jessie Ware. La Britannique sort le disque ultime pour brûler le dancefloor pile l’année où tous les clubs sont fermés (quoique, en cherchant bien…). Ce sera bien la seule ombre au joli tableau disco-pop qu’est What’s Your Pleasure ?. Jusque-là sagement cantonnée dans un rôle de chanteuse soul, discrète diva d’un R’n’B un poil trop cérébral (voire glacial), la petite protégée de SBTRKT a donc lâché la bride pour s’encanailler sous les boules à facettes. Elle le confesse d’ailleurs au magazine Billboard : son quatrième album a été conçu en s’inspirant de l’atmosphère du mythique Studio 54 et du plus survolté Berghain. Il nous téléporte quelque part entre les deux, mi-rétro mi-électrique, hédoniste à tous les étages. Le titre d’ouverture, Spotlight, annonce la couleur sans ambiguïté, quand le suave Save a Kiss a déjà valeur d’hymne à la joie – qu’aurait pu signer, par exemple, une Katy Perry plus sophistiquée. Au fil de ces 12 morceaux serrés, on sent ainsi tout l’apport des ambianceurs Joseph Mount (Metronomy) et James Ellis Ford (Simian Mobile Disco), producteur du fiévreux Ooh La La et de sa ligne de basse imparable – Nile Rodgers ne l’aurait pas reniée. Non, il n’y a décidément pas de petits plaisirs. Celui-ci est énorme. Julien Damien disques – 64



Jarv is… Beyond The Pale

Bill Callahan Gold Record

(Rough Trade Records)

(Drag City)

Au sein de Pulp (19782002), Jarvis Cocker fut sans doute l’une des plus fines plumes anglaises de ces quarante dernières années. Cependant, ses deux albums solos, parus dans les années 2000, n’étaient pas à la hauteur de son talent. En 2020, un retour attisait notre curiosité, sans plus. Mais voilà : réunissant un vrai groupe (avec, entre autres, Serafina Steer), Jarvis est revenu à ce qu’il sait faire de mieux : des pop songs existentielles chantées d’une voix étranglée (Must I Evolve ?), jamais dénuées d’un humour acide (Am I Missing Something ?). D’une ode à la house (House Music All Night Long) à un pastiche de Leonard Cohen période The Future (Save The Whale), le natif de Sheffield signe un disque aussi réussi qu’inattendu. Miraculeux, quoi. Thibaut Allemand

Bill Callahan, c’est ce vieil ami que l’on n’a pas vu depuis des années, mais qu’on a l’impression d’avoir quitté la veille. On connaît certaines histoires, mais il les raconte toujours différemment. Depuis Smog, sa première incarnation apparue en 1988, le quinquagénaire à la voix chaude joue avec l’économie de mots et de moyens. Et fait preuve d’une certaine autodérision : débuter ce septième album sous son nom en lâchant « Hello, I’m Johnny Cash », par exemple. Le reste se déroule sans accroc. Une petite demi-heure où s’harmonisent guitares et timbre grave, soutenus par des arrangements ténus (une trompette ici, quelques cordes là, des chœurs féminins ailleurs) et il nous quitte discrètement sur le mirifique As I Wander. À la prochaine, Bill. Thibaut Allemand

Compilation Kaleidoscope – New Spirits Known and Unknown (Soul Jazz Records) Cette solide compilation est l’occasion de rappeler que Soul Jazz Records ne se résume pas à des archéologues fouillant les recoins des contre-cultures du xx e siècle. Ici, nos Anglais dressent un vaste panorama du jazz de ce nouveau millénaire. Et la vue est belle : si Matthew Halsall & The Gondwana Orchestra rappelle McCoy Tyner, le Levitation Orchestra évoque les recherches soniques de Sun Ra ou d’Alice Coltrane. Ailleurs, on navigue entre acid jazz (Yazmin Lacey), expérimentations electro-ludiques (Hector Plimmer), élégance façon Lalo Schifrin (The Cromagnon Band) et percussions abrasives de l’Américain Makaya McCraven. Et ce ne sont là que quelques exemples piochés parmi deux heures de promenade dans la nouvelle scène jazz. Bon voyage ! Thibaut Allemand disques – 66



Olivier Bruneau Esther (Le Tripode)

Stephen Graham Jones Galeux (La Volte)

Révélé avec Dirty Sexy Valley, pastiche pornotrash de films de série Z, Olivier Bruneau poursuit sa route dans le "mauvais genre", et s’attèle à la sciencefiction. Son deuxième roman nous téléporte dans un futur proche où les robots pullulent, programmés pour servir l’Homme. Un soir, un couple sans histoire découvre une lovebot jetée aux ordures. Cette esclave sexuelle en silicone redressera leur libido fanée, tout en montrant une curieuse empathie. En parallèle, une policière enquête sur un étrange meurtre... Drôle, mais loin de la pochade, Bruneau revisite ici Asimov ou le mythe de Frankenstein. Si les rebondissements sont parfois attendus, il soulève, mine de rien, de vertigineuses questions. Au premier rang desquelles celle-ci, éternelle : comment définir l’humanité ?

Le narrateur de ce roman est un jeune garçon élevé par sa tante et son oncle, dont il raconte les péripéties en parcourant les États-Unis. La famille enchaîne les petites villes, les jobs alimentaires, les caravanes et chambres de motel, se livre à des braquages ou "parties de chasse" sanglantes. Pour cause, ce sont des loups-garous… Dès lors, notre jeune héros s’interroge : estil lui aussi un lycanthrope ? Trouvera-t-il sa place dans ce bas monde ? Sous la plume de l’Amérindien Stephen Graham Jones, cette figure de la littérature fantastique devient une allégorie : celle du laissé-pour-compte, comme en produit massivement le pays de Trump. Orchestré en courts chapitres, ce récit souvent drôle et à la sincérité mordante marie avec brio épouvante et chronique sociologique. À dévorer. 320 p., 20 €. Julien Damien

520 p., 19 €. Julien Damien

Nury & Brüno L’Homme qui tua Chris Kyle

(Dargaud)

Ancien sniper chez les Navy Seals, Chris Kyle exécuta plus de 160 "cibles" en Irak. Autant dire un héros, au pays de l’oncle Sam et de la NRA. Clint Eastwood l’éleva à ce rang avec American Sniper, film pour le moins propagandiste. Connaissiez-vous l’homme qui tua Chris Kyle ? Il s’appelle Eddie Ray Routh et, comme nombre de "Marines", revint traumatisé de la guerre. Ironie du sort, Kyle dédia sa vie à aider ses anciens camarades de combat meurtris dans leur chair et leur âme… dont Routh, avant que celui-ci ne l’abatte. Connus pour la formidable série pulp Tyler Cross, Nury (au scénario) et Brüno (au dessin, sublime ligne claire et froide) grattent le vernis du mythe à travers une passionnante enquête. Ils offrent, sinon la vérité, la nuance que l’Histoire mérite. 164 p., 22, 50 €. Julien Damien livres – 68



interview

© Francesca Mantovani / Éditions Gallimard

Propos recueillis par Raphaël Nieuwjaer

FRANÇOIS BÉGAUDEAU La clef des champs On connaît l’homme de lettres (Entre les murs en 2006, Histoire de ta bêtise en 2019), un peu moins celui de cinéma. Pourtant, François Bégaudeau tourne des films depuis le début des années 2000. Avec Autonomes, l’écrivain et réalisateur envisage la question de l’autonomie à travers une multiplicité de pratiques, d’expériences ou de croyances. Conçu avant la crise du Covid-19, mais raccord avec les questionnements qu’elle soulève, ce documentaire suit des agriculteurs, des sourciers ou des guérisseurs en Mayenne. Il accueille, sans les figer, des élans de vie. Rencontre.


Comment ce film est-il né ? Sous l’impulsion d’Atmosphères Production, une association située en Mayenne, j’ai réalisé un documentaire dans ce département en 2016 (N’importe qui). À l’occasion de ce tournage j’ai rencontré des gens ou observé des pratiques : agricoles, de soin ou dites "spirituelles". J’ai eu envie de les filmer et de les regrouper autour de la belle notion d’autonomie. Le pari est ici de faire tenir tout ça ensemble. Qui sont ces "autonomes" dont vous dressez le portrait ? J’essaie de proposer une sorte de panoplie hétérogène de cette question. Le film fait donc cohabiter des jeunes agriculteurs organisés en collectif recherchant l’autonomie économique, mais aussi des guérisseurs, des sourciers, l’animatrice d’un café alternatif en pleine campagne ou un "homme des bois", qui a choisi la sécession et donne un fil rouge au récit. Comment définiriez-vous leur autonomie et quelles formes prend-elle ? Le film apporte quelques éléments de réponse concrets. Il s’agit toujours, pour les uns et les autres, de développer un mode de vie et d’échanges en rupture avec le monde marchand. Ce qui évidemment ne va pas sans difficultés, et suppose un réseau parallèle d’échanges et d’entraide. L’autonomie est alors un horizon, jamais

vraiment atteint. On ne se soustrait pas du jour au lendemain de toutes les dépendances fâcheuses...

« DÉVELOPPER UN MODE DE VIE EN RUPTURE AVEC LE MONDE MARCHAND. » Pourquoi ces personnes ont-elles fait ce choix ? Le film ne creuse pas beaucoup cet aspect-là, car je voulais préserver une sorte de mystère. Je m’intéresse moins aux causes qu’aux effets : le "comment" de l’autonomie et non le "pourquoi". D’ailleurs on connaît ces raisons, et certains livrent volontiers des pistes : l’intolérance au monde numérisé, l’envie de déconnexion, le constat d’un déficit de bonheur dans la société de consommation. Citons aussi la puissance inspirante des mouvements politiques du début des années 2010. L’un des personnages parle ainsi d’une conférence des leaders de Podemos comme d’un déclenchement. Pour le reste, je laisse le spectateur imaginer. Ce mode de vie rencontre-t-il un certain engouement ? Chacun peut le constater autour de lui. Le mouvement est minoritaire mais significatif. Il s’élargit car l’impasse écologique du capitalisme est désormais patente. Face à cette misère morale, de plus en plus de gens, plus ou moins contraints et

écrans – 71


Autonomes © Urban distribution

forcés, imaginent d’autres formes de vie. À rebours du cycle infernal production-consommation. Ça tombe bien car dans le champ de l’autonomie, le nombre fait la force. Ce n’est pas l’isolement, au contraire. La Mayenne serait-elle plus propice à ce désir d’autonomie ? Une région enclavée et encore relativement préservée constitue le terrain idéal pour de nouvelles expérimentations, notamment agricoles, comme par ailleurs l’Ardèche, la Lozère... Il faut de la place et une certaine paix.

La Mayenne, département de faible densité et qui n’intéresse pas beaucoup les prédateurs, offre tout ça.

« À REBOURS DU CYCLE INFERNAL PRODUCTIONCONSOMMATION. » Quels furent vos partis pris de réalisateur ? Consacrer à chacun une séquence entière, sans les entremêler dans un ensemble confus. Et surtout ne pas tout expliquer (le film comporte assez peu d’entretiens). Il s’agit de préserver une certaine opacité, et donc la belle étrangeté de tous ces gens.

Autonomes, de François Bégaudeau. Sortie le 30.09 À LIRE

/ À Valenciennes, Coll.Othon (Au Diable Vauvert), 248 p., 17€ (sortie le 29.10)

À LIRE

/ La version longue de cette interview sur lm-magazine.com écrans – 72



© Les Films du Worso - No Money Productions

EFFACER L’HISTORIQUE

L’âge de réseau

Internet, formidable avancée technologique ou plaie de l’humanité ? Benoît Delépine et Gustave Kervern ont leur avis sur la question... Pour leur 10e film, tourné entre Arras, Lens et Liévin, ils s’attaquent aux GAFA. Avec succès : Effacer l’historique a déjà été récompensé de l’Ours d’argent lors de la dernière Berlinale – good buzz. Quelque part dans le nord de la France. Chauffeur VTC, Christine (Corinne Masiero) est dépitée, les notes de ses clients ne décollent pas (« c’est pire qu’un bracelet électronique cette merde », observe-t-elle élégamment). Veuf surendetté, Bertrand (Denis Podalydès) constate que sa fille est harcelée sur les réseaux par ses camarades de classe et Marie (Blanche Gardin) est victime d’un chantage suite à une sextape alcoolisée. Devenus esclaves du Web, ces ex-gilets jaunes se révoltent et partent en guerre contre les géants du numérique – « ces immenses sociétés qui contrôlent le monde et ne paient pas d’impôts », rappelle Gustave Kerven. Toujours fâché avec l’ultra-libéralisme, le duo revisite une nouvelle fois le mythe de David contre Goliath (ou de Don Quichotte). Entre ubérisation du travail et exploitation des données personnelles, il nous met en garde contre la technologie et ses dérives. À sa façon, bien sûr : tragicomique et absurde, à l’image d’une Marie paranoïaque, stockant ses identifiants et mots de passe dans son congélateur. Sobrement (mais efficacement) mis en scène, Effacer l’historique se situe dans la lignée du Grand Soir, soit un grand cru grolandais. Lucille Leleu De Gustave Kervern & Benoît Delépine, avec Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero… En salle écrans – 74



© Jerico Films - Super 8 production - Pathé France 2 Cinéma - Scope Pictures

PETIT PAYS

La déchirure

Rappeur-slameur multi-récompensé (notamment d’une Victoire de la Musique), Gaël Faye se révélait aussi en formidable écrivain en 2016 avec Petit pays. Dans ce roman sacré Goncourt des lycéens, il évoquait sa propre enfance au Burundi, et l’horreur du génocide des Tutsis. Le voici porté sur grand écran par Éric Barbier, avec un JeanPaul Rouve au sommet. Gabriel s’accroche à son enfance autant qu’il peut. Lui et ses copains volent des mangues pour les revendre à la sauvette, se cherchent un nom de bande et passent leur temps libre à la plage. Pour ce garçon de 10 ans, fils d’un entrepreneur français et d’une mère rwandaise, la vie est douce... jusqu’à ce que sa terre natale, le Burundi, bascule dans la guerre civile. La famille se disloque quand le "petit pays" sombre dans le chaos, déchiré entre Hutus et Tutsis comme le Rwanda voisin. Dans son roman, Gaël Faye souhaitait « crier à l’univers que nous avons existé, avec nos vies simples [...] avant d’être expédiés aux quatre coins du monde et de devenir une bande d’exilés ». Pour la mise en scène Éric Barbier mêle plans d’ensemble et rapprochés. Il alterne les motifs de contemplation figurant ce petit coin de paradis qu’était Bujumbura (capitale du Burundi) et les séquences plus rythmées (voire brutales) lorsque surgit l’horreur. Salué en 2017 pour son adaptation de La Promesse de l’aube de Romain Gary, dont il avait su rendre le souffle épique, le Français traduit au mieux le sujet (universel) du livre de Gaël Faye : la perte de l’innocence. Lucille Leleu D’Éric Barbier, avec Jean-Paul Rouve, Djibril Vancoppenolle, Dayla De Medina… En salle


À chaque édition son thème. Après la France et la Belgique, le festival met le cap sur le pays de l’oncle Sam, célébrant la comédie américaine des années 1980. En point d’orgue : une projection en plein air, à la gare Saint Sauveur, de The Blues Brothers. Un bon échauffement avant de briser ses cordes vocales lors du cinéma-karaoké spécial Grease. Outre ces voyages, CineComedies valorise aussi le patrimoine de la gaudriole française. Après Pierre Richard et Gérard Oury, il s’intéresse à Bourvil. Au Palais Rihour, une exposition rassemble quelque 450 pièces (dont une reconstitution de son bureau), rehaussées de projections de ses films – en présence de son fils, Dominique Raimbourg. De quoi inspirer, peut-être, les scénaristes en herbe du CineComedies Lab, marrainé par Agnès Jaoui – veinards. Lille, 30.09 > 04.10, UGC Lille, Le Majestic, Gare Saint Sauveur, Palais Rihour, Théâtre du Casino Barrière, 22 € > gratuit www.festival-cinecomedies.com / 01.10 : Soirée 40e anniversaire de The Blues Brothers // 02.10 : Soirée cinémakaraoké spéciale Grease 12.09 > 04.10 : Exposition Bourvil

SÉLECTION

Cunningham Changeling © Richard Rutledge

CINECOMEDIES

HEURE EXQUISE ! Heure Exquise ! promeut depuis 1975 les œuvres d’art vidéo dans la métropole lilloise. En clair, des gens de goût, qui ont cette année la bonne idée de programmer au Palais des beaux-arts Depeche Mode – 101. Cet excellent documentaire de Donn Alan Pennebaker suit la tournée du groupe de Dave Gahan aux États-Unis, en 1988, dans les coulisses et côté fans – il est permis de balancer les bras en l’air durant la séance. Entre autres incunables, on citera le live de Biophilia de Björk, capté en 2013 à Londres par Nick Fenton et Peter Strickland. Plus qu’un concert filmé, c’est un opéra synesthésique, dont la projection sur grand écran permet de saisir le génie créatif de l’Islandaise. De quoi patienter avant Musicvidéoart !, le rendezvous du documentaire musical, en décembre.

© Pauline Maillet

À VISITER

/ www.exquise.org

/ 05.10 : Depeche Mode - 101 06.10 : Björk - Biophilia Live 13.10 : Cunningham de Alla Kovgan 01 > 15.12 : Musicvidéoart !

SÉLECTION

écrans – 77


Soleils

noirs L’ombre est lumière

Delacroix, Soulages, Velázquez, Malevitch, Botticelli, Kandinsky… La simple évocation des artistes réunis au Louvre-Lens donne le tournis. De l’Antiquité à nos jours, 180 chefs-d’œuvre dialoguent et décryptent le sens et l’utilisation du noir à travers les âges. Symbole des ténèbres, du mal, mais aussi de l’espoir ou de la modernité, cette couleur n’a cessé d’inspirer l’humanité. Visite guidée en compagnie de Juliette Guépratte, historienne de l’art et commissaire d’une exposition qui fera date. Propos recueillis par Julien Damien

exposition – 78


Cercle noir sur fond blanc (Matériel d'enseignement au Bauhaus) Vassily Kandinsky, 1922-1933 Gouache sur papier, H. 24,3 cm ; L. 24,2 cm © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka

exposition – 79


La Dame au gant Carolus-Duran, 1869 Huile sur toile, H. 228 cm ; L. 164 cm © RMN-Grand Palais musée d'Orsay - Hervé Lewandowski

exposition – 80


Comment cette exposition est-elle née ? Elle est inspirée du territoire où s’est posé le Louvre, ce pays noir dont l’imaginaire est façonné par le charbon et la fumée des usines. Comment abordez-vous le sujet ? À la manière du Louvre, en traversant le temps et l’histoire de l’art, grâce à des œuvres datant de l’Antiquité à nos jours, et sous toutes les formes : peinture, mode, cinéma, sculpture...

« LE NOIR ET L’OMBRE SONT AU CŒUR DE LA CRÉATION. » Faites-vous aussi référence au bassin minier ? Pas directement. Il s’agit d’inscrire cette histoire locale dans un propos collectif et universel. Toutefois, une salle entière est consacrée au noir industriel. Au centre de celle-ci trône une installation du plasticien Bernar Venet, constituée de deux tonnes de charbon. Nous rendons aussi hommage aux "gueules noires" avec des photographies documentaires prêtées par le centre minier de Lewarde, où les yeux des mineurs percent à travers des visages souillés. Pourquoi ce titre en forme d’oxymore ? C’est un intitulé poétique, emprunté à Gérard de Nerval et repris par

Barbara ou Baudelaire. Il est très puissant et dit, au-delà de la mélancolie, toute la tension, l’ambivalence et l’immense beauté de cette couleur. D’ailleurs, ne dit-on pas que le noir est une absence de couleur ? C’est le point de vue du physicien. Mais pour le peintre, c’en est bien une ! Celle du visible et de l’invisible, du possible et de l’impossible... Poser du noir sur la toile, c’est jouer avec la lumière ou créer de l’espace. Citons d’ailleurs cette exposition mythique, Le Noir est une couleur. Montée à Paris en 1946, elle fut emmenée par un très grand coloriste, Matisse, dont nous montrons ici les gouaches découpées de la série Jazz, parsemée de trous noirs. Que représente le noir dans l’histoire de l’humanité ? C’est d’abord une couleur que l’on ressent, et dont on fait l’expérience chaque soir en se plongeant dans la nuit. Les premiers chapitres de l’exposition se penchent ainsi sur le nocturne, le noir de la nature, comme l’orage ou l’éclipse (ici saisie par Douglas Gordon). Le noir serait donc la couleur du mal, mais aussi de l’espoir ? Oui, il est ambivalent, symbolisant la crainte et la fascination. Une section est d’ailleurs réservée aux


Peinture 202 x 453 cm, 29 juin 1979 Pierre Soulages, 1979 Huile sur toile, H. 203 cm ; L. 453 cm © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais Philippe Migeat © ADAGP, Paris

monstres (comme Nosferatu), aux ténèbres et l’angoisse qu’elles génèrent, puis la suivante aux croyances en découlant.

« TOUS LES GRANDS MAÎTRES DU NOIR SONT LÀ. » Lesquelles ? En Égypte, cette couleur est par exemple associée à la régénération. Nous le montrons à travers un très beau bassin à libation en basalte noir datant de l’Antiquité. C’est un objet rituel permettant de demander aux dieux une crue du Nil pour fertiliser les sols. Égypte signifie d’ailleurs "la terre noire".

Cette couleur permettait aussi d’affirmer son rang social, n’est-ce pas ? Oui, jusqu’au xixe siècle c’est une teinture très difficile à obtenir, donc coûteuse. La porter est une marque de richesse. Puis elle se démocratise et devient synonyme d’élégance. On le découvre notamment via Berthe Morisot à l’éventail d’Édouard Manet ou La Dame au gant de Carolus-Duran. À quel moment les artistes s’approprient-ils cette couleur ? Le noir a toujours été une source d’intérêt. On peut remonter à Pline l’ancien et au mythe de Dibutade.


Radical et absolu, le noir devient une matière première, au cœur de l’abstraction grâce à Malevitch, Kandinsky et bien sûr Soulages ! Exposez-vous cet artiste ? Oui, en particulier deux grands aplats. Ils sont monumentaux et très différents. L’un est velouté, doux, un peu mat... C’est un de ses premiers "Outrenoirs" mis au point en 1979. L’autre, datant de 1986, est baroque, brillant, presque vinyle. Avec Soulages, le noir devient une matière sculptant la lumière.

L’histoire ? Une fille veut retenir son amoureux en fuite. Son père potier conserve la silhouette de l’amant en figeant son ombre portée... c’est l’invention de l’art pictural ! Le noir et l’ombre sont donc au cœur même de la création.

« LE NOIR SYMBOLISE LA CRAINTE ET LA FASCINATION. » Quand devient-il un vrai sujet ? À partir de la Renaissance. Les artistes vont le peindre, le modeler et surtout le nuancer, ce qui semblait a priori impossible... Au xxe siècle, on note une rupture esthétique, emmenée par la révolution industrielle.

Sur quelles œuvres voudriez-vous attirer l’attention ? Question très difficile, car c’est une exposition de chefs-d’œuvre ! Nous dévoilons des pièces signées Manet, Véronèse, Malevitch, Reinhardt, Courbet, Botticelli, Rodin, Fontana, Delacroix, Matisse, Ribera et même Damian Hirst, avec un tableau génial, un monochrome entièrement constitué de mouches. Nous avons choisi les œuvres avant tout pour leur beauté. Tous les grands maîtres du noir sont là, et d’autres auxquels on ne s’attend pas... D’ailleurs j’ai un conseil : laissez-vous guider par vos enfants, ils comprennent très bien l’abstraction ! Lens, jusqu’au 25.01.2021, Louvre-Lens tous les jours sauf mardi : 10 h-18 h, 10 > 5 € (gratuit -18 ans), louvrelens.fr / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com

À LIRE

exposition – 83


Marcel Gromaire, La Guerre, 1925. Huile sur toile, 130 × 97 cm. Paris, Musée d’Art moderne de la Ville. Photo : Julien Vidal/Parisienne de Photographie © ADAGP, Paris 2020


MARCEL GROMAIRE

À contre-courant

Né dans le Nord de la France, à Noyelles-sur-Sambre, Marcel Gromaire (1892-1971) fut un artiste iconoclaste et profondément humaniste. À Roubaix, cette exposition embrasse toute sa carrière, de son attachement à sa terre natale au traumatisme de la Grande Guerre, en passant par son intérêt pour les plus humbles. Influencé par nombre de courants, ce peintre méconnu conserve une place singulière dans l’histoire de l’art. Si la postérité fut cruelle avec cet artiste, difficile d’ignorer Marcel Gromaire à la Piscine de Roubaix. Dès l’entrée du musée, le visiteur est happé par une toile monumentale (cinq mètres de haut et sept de large). Intitulée L’Abolition de l’esclavage, elle porte toutes les inspirations (et aspirations) du peintre avesnois. Cette œuvre contient, entre autres, la rigueur géométrique du cubisme, le réalisme "tordu" et les couleurs sourdes de l’expressionnisme flamand. « Marcel Gromaire a puisé dans plusieurs mouvements contemporains », confirme Alice Massé, co-commissaire de cette exposition. Jonglant avec les étiquettes, cet autodidacte n’était donc rangé nulle part. Célèbre en son temps, « il fut progressivement écarté par les spécialistes ». Cette rétrospective rend enfin grâce à un artiste aussi original qu’engagé.

Frères d’armes – Parmi ces 130 pièces, on retrouve évidemment La Guerre. Achevé en 1925,

Le Boucher, 1931. Encre de Chine et aquarelle sur papier. Paris, Musée d’Art moderne de la Ville

ce tableau « continue de nourrir les manuels d’histoire, souligne Bruno Gaudichon, directeur de la Piscine. Pourtant, il est tout le contraire de ce que la peinture de l’époque donne à voir de la guerre, soit la douleur ou le patriotisme ». Ici, les poilus ressemblent à des robots.


Vue d’exposition, Alice Massé devant Le Chemineau, 1925 © Photo Julien Damien

Cette métaphore de la déshumanisation des soldats constitue d’ailleurs son unique témoignage de la Première Guerre mondiale. Expérience traumatisante, elle suscite aussi son engagement auprès du "petit peuple".

Le goût des autres – Fils d’un professeur d’allemand, Marcel Gromaire ne connut jamais sa mère, morte en couche, et vécut une enfance protégée dans la grande maison Renaud-Folie, à Noyelles-sur-Sambre. À travers l’armée, il découvre la "vraie France"

et toutes ses couches sociales. Il ne cessera dès lors de magnifier les humbles. À l’image du Chemineau, où la monumentalité offerte au modèle ne réside pas tant dans les dimensions (modestes) du tableau que dans le cadrage. Posé au premier plan, cet ouvrier déborde littéralement d’une composition aux tonalités ocres et terreuses. Les mains sont surdimensionnées et le visage évoque une sculpture. Cet hommage révèle un style n’appartenant qu’à Gromaire, où la simplification des formes n’empêche jamais l’empathie. Julien Damien

Roubaix, jusqu’au 20.09, La Piscine, mar > jeu : 11h-18h • ven : 11h-20h sam & dim : 13h-18h, 11/9€ (gratuit -18 ans), www.roubaix-lapiscine.com À LIRE

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Edible Growth, 2014 © Chloé Rutzerveld Ces petites douceurs sont concoctées avec une imprimante 3D, à partir de graines, de spores et de levures.

exposition – 88


SERIAL EATER

Table à part

Que mangerons-nous demain ? Comment produirons-nous notre alimentation ? Peut-on imaginer une assiette plus écoresponsable, sans se priver des plaisirs de la chère ? Autant de questions posées par le food design. Apparue au mitan des années 1990, cette jeune discipline ausculte nos goûts ou dégoûts, et pique le "serial eater" qui sommeille en nous. Présentée au CID (Grand Hornu), cette exposition fascinante en réunit les pionniers et les jeunes ambassadeurs. exposition – 89


Emome, 2017 © Rae Bei-Han Kuo Ce projet étudie le rapport entre sensations en bouche et émotions.

6 Se nourrir est plus qu’une simple fonction vitale. Les futuristes italiens l’avaient bien compris. Au début du xxe siècle, ce mouvement pose un regard visionnaire sur notre pitance, pour la transformer en objet d’art. Les Transalpins organisent des banquets farfelus où l’on "déguste" « IL S’AGIT ICI D’IMAGINER D’AUTRES FUTURS ALIMENTAIRES. » par exemple du poulet farci aux roulements à billes, histoire d’offrir un petit goût métallique au repas... Cette appétence pour la technologie et la machine (et par rebond la SF) inspirera des années plus tard le

food design. Le quoi ? Simplement le design appliqué à l’alimentation.

Chimère nature – Le premier à employer ce terme n’est autre que Martí Guixé. En 1997, le Catalan réinterprète le fameux pain à la tomate, emblématique de sa région. Baptisée Spamt, sa création prend la forme du fruit rouge, qui renferme tous les ingrédients originaux (non plus disposés en équilibre sur une tartine). Pratique et esthétique. « On peut le savourer en marchant. C’est la même recette, mais il s’agit ici d’appréhender le plat d’une autre manière, de le rendre compatible avec nos vies nomades », explique Benjamin Stoz,

exposition – 90


I-Cakes, 2001 © Martì Guixé Ce gâteau s’offre comme un graphique avec le pourcentage des ingrédients le composant. Photo Inga Knoelke/Imagekontainer Volumes, 2017 © Marije Vogelzang Série d’objets influençant notre comportement alimentaire et régulant notre appétit.

exposition – 91


le commissaire de cette exposition. Plus poétique, la Néer landaise Marije Vogelzang a façonné des créatures chimériques, offrant ainsi une histoire à de la viande végétalisée, à l’image de ses "pontis", misouris, mi-lièvres.

conçu de super-poulets pour doper notre production ? Les végans, eux, trouveront sans doute leur bonheur

Le compte est bio – Est-ce

avec les algues à cultiver chez soi (on crache dans le bocal pour créer le substrat) ou même… les lichens. « Honnêtement, ce n’est pas très bon, avoue Benjamin Stoz. Ça s’apparente à une sauce pesto terreuse ». Non, le goût n’est pas toujours au rendez-vous. « Les food designers ne sont pas cuisiniers, et inversement ». Alléchantes ou pas, ingénieuses ou parfois effrayantes, ces créations bousculent d’abord nos a priori, nourrissant l’esprit avant même l’estomac… Julien Damien

vraiment si mal de jouer avec la nourriture ? À l’heure où l’Homme est de plus en plus soucieux de son alimentation, et surtout de son impact sur l’environnement, c’est devenu une nécessité. Voici d’ailleurs tout le propos de cette exposition : « imaginer d’autres futurs alimentaires ». Chloé Rutzerveld interroge alors nos pratiques d’élevage en exhibant de grosses sauterelles difformes, sans ailes. Va-ton engendrer de super-insectes comme on a

« LES FOOD DESIGNERS NE SONT PAS CUISINIERS, ET INVERSEMENT. »

Hornu, jusqu’au 29.11, Centre d’innovation et de design, mar > dim : 10 h-18 h 10 > 2 € (gratuit -6 ans), www.cid-grand-hornu.be À LIRE

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Broiler’ Insects, 2019, © Chloé Rutzerveld L’avenir des insectes comestibles ?

exposition – 92



Matt Mullican, Representing the Work Courtesy NC-arte © photo Oscar Monsalve

exposition – 94


MATT MULLICAN Chasseur d’images Le MACS offre à Matt Mullican sa première grande rétrospective en Belgique. Mondialement reconnu, notamment pour ses performances sous hypnose, l’Américain dévoile à travers Representing the Work sa "cosmologie". Nourrie de pictogrammes, son œuvre brasse l’ensemble des représentations humaines contemporaines, et interroge notre rapport à l’image dans un troublant effet de miroir. Pénétrer dans le monde de Matt Mullican, c’est déambuler dans une gigantesque banque d’images. Cette sensation étreint le visiteur dans l’ultime salle du parcours où les murs sont tapissés, du sol au plafond, de dizaines de mètres de dessins en noir et blanc. Baptisée Living in That World, cette monumentale installation télescope en 3D toutes les représentations engendrées par la culture contemporaine, à l’instar du bon millier de visuels jalonnant cette exposition. Extraits de BD, de films, photographies, logos publicitaires, alphabets, scènes de guerre ou pornographiques... Rien d’étonnant à l’ère d’Internet, où les images sont partout. Sauf que ce Californien né en 1951 s’attelle à cette tâche depuis près d’un demi-siècle...

Logique de réseau – Empruntant à l’art brut comme au pop art, la production de Mullican fut

Matt Mullican © Julien Damien

très tôt marquée par l’utilisation du pictogramme, « ce langage situé entre l’image et le mot, comme une version moderne des hiéroglyphes égyptiens », remarque le directeur du MACS, Denis Gielen.

« UN REFLET DE L’HOMME CONTEMPORAIN. » Et cela bien avant l’avènement des smartphones. Ces sigles, qui normalisent désormais nos échanges,


Vue d’exposition, Living in That World © Julien Damien

ponctuent ce parcours « organique » où les pièces semblent se répondre au sein d’un vaste réseau. Ce représentant de la Pictures Generation fut d’ailleurs l’un des premiers à créer avec un ordinateur, et embrasse toutes les techniques. Au MACS, vidéos et dessins cohabitent avec ses frottages, « le moyen de reproduction mécanique de l’image le plus archaïque », rappelle l’artiste.

Langage propre – Cherchant à traduire la complexité du monde,

Mullican a également créé sa propre "cosmologie", soit un vocabulaire régi par un système de couleurs : le vert pour la nature, le bleu pour la vie quotidienne, le jaune pour l’art, le noir pour le langage et le rouge pour la subjectivité. « Face à ce travail, on a une bonne idée de ce qu’est l’Homme contemporain, découvrant cette façon de penser en rhizomes, en motifs répétitifs ou cette obsession pour l’archive, observe Denis Gielen. C’est comme un Snapchat permanent ». À partager sans modération. J. Damien

Hornu, jusqu’au 18.10, MACS, mar > dim : 10 h-18 h, 10 > 2 € (gratuit -6 ans), www.mac-s.be À LIRE

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Jeanne Thil, L’Oasis de Gabès, Fin des années 1930 – début des années 1940 Huile sur toile, 189 x 148,5 cm Musée du quai Branly-Jacques Chirac


JEANNE THIL

Les couleurs du lointain

Durant l’entre-deux-guerres, Jeanne Thil (1887-1968) rencontra un vif succès en France avec ses toiles célébrant l’imaginaire exotique de l’empire colonial. Mais depuis, la native de Calais fut largement oubliée. Pas une exposition ne lui fut consacrée depuis sa disparation. Répartie en six sections, cette rétrospective retrace ses voyages de part et d’autre de la Méditerranée. Avant d’être une figure majeure de la peinture orientaliste, Jeanne Thil fut une pionnière. « Il faut rappeler la vie des femmes à son époque, qui n’avaient pas le droit de vote ni de compte en banque », resitue son petit neveu, François Olland. Née à Calais au sein d’une famille modeste, elle appartient à la première génération de femmes admises à l’école

des beaux-arts de Paris. Elle se fit d’abord connaître par ses tableaux ou décors d’inspiration historique qui révèlent, déjà, son appétence pour les couleurs chaudes, comme dans cette représentation du port de Nice où son militaire de père avait ensuite posé bagages. « C’est l’un des premiers témoignages de son attrait pour le bassin méditerranéen, cette lumière

Jeanne Thil, Tunisie, 1935 Huile sur toile, 160 x 310 cm Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Dépôt de l’artiste au musée de la France d’outre-mer, 1951, transformé en don en 2017

exposition – 99


du sud qui envahira sa palette, notamment l’exaltation du bleu », observe Sarah Ligner, la commissaire de cette exposition.

Voyage voyage – Jeanne Thil entreprend un premier voyage en Espagne dès 1917. Puis ce sera l’Italie, la Grèce et, surtout, la Tunisie. Elle saisit essentiellement des paysages ou des scènes pittoresques. Charmeurs de serpents, souks, oasis… « Les sujets sont souvent montrés sous leur jour le plus attrayant ». « SES TOILES SONT UN APPEL VERS CE LOINTAIN INCONNU. » Voire archétypal. La Calaisienne ne se soucie guère du réalisme de ses créations, et n’hésite pas à réemployer des personnages d’une œuvre à l’autre, telle cette femme drapée tenant une jarre. Concrètement, l’artiste trace des croquis

sur le vif, avant d’achever le tableau dans son atelier parisien. Son art est d’autant plus salué qu’il illustre l’expansion du tourisme dans l’empire colonial français, et nourrit l’imaginaire exotique fantasmé par les métropolitains. « Ses œuvres sont un appel vers ce lointain inconnu », soutient François Olland. On pourra reprocher à cette production une certaine naïveté – point de scènes de misère ou de soulèvements ici. Ces toiles furent ainsi passées de mode une fois la décolonisation entamée, dans les années 1950. Les redécouvrir aujourd’hui – sans les juger trop facilement a posteriori – relève d’une nécessité. Elles témoignent, sans tabous, du regard européen porté sur l’autre et l’ailleurs au début du xxe siècle, et surtout d’une peintre talentueuse. Julien Damien

Calais, jusqu’au 28.02.2021, Musée des beaux-arts mar > dim : 13 h-18 h, 4 / 3 € (gratuit -5 ans), www.calais.fr À LIRE

/ La version longue de cet article sur lm-magazine.com

Jeanne Thil, Algérie, 1935, Huile sur toile, 162 x 312 cm, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Dépôt de l’artiste au musée de la France d’outre-mer, 1951, transformé en don en 2017



TIM WALKER

Cloud 9, Radhika Nair, 2018 Why not be oneself?, Tilda Swinton, 2018 © Tim Walker Studio

La science des rêves

6 « Wonderful Things ». Tels furent les mots de l’archéologue Howard Carter lorsqu’il entra pour la première fois dans la tombe de Toutânkhamon. C’est également le sous-titre de cette exposition consacrée à Tim Walker, qui devrait susciter une même exaltation. Ce Britannique demeure l’un des plus grands photographes de mode actuel. Publiés dans des magazines comme Vogue ou i-D, ses clichés sont avant tout pour lui le moyen de « vendre des rêves, et non des vêtements ». Ils se distinguent en effet par un sens aigu de la mise en scène, évoquant aussi bien Lewis Carroll que Jérôme Bosch. Excentriques, baroques, sophistiquées, ses compositions sont peuplées d’animaux fabuleux, de poupées vivantes, de bijoux ou miroirs magiques. L’homme est aussi connu pour ses portraits de célébrités, d’Alexander McQueen à Grace Jones, en passant par Beth Ditto, Björk ou Margaret Atwood, qui apparaissent dès lors comme autant de créatures fantastiques. Présentées en septembre 2019 au Victoria & Albert Museum de Londres, ces œuvres (dont 150 inédites) sont magnifiées au sein des anciens bâtiments industriels du C-Mine de Genk par une scénographie à son image : chamarrée, onirique, féérique… En un mot ? Wonderful ! Julien Damien

Genk, jusqu’au 03.01.21, C-Mine, mar > dim : 10 h-18 h, 15 > 6 € (grat -12 ans), c-mine.be exposition – 102



JEAN DUBUFFET, LE PRENEUR D’EMPREINTES Nez carotte,1962, lithographie en 4 couleurs par reports d’assemblages, Coll Fondation Dubuffet, Paris © ADAGP-Paris, SABAM belgium 2020

6 Père de l’Art brut, mais aussi écrivain, Jean Dubuffet nourrissait une fascination pour le papier, l’encre et l’imprimerie. Il pratiqua ainsi l’estampe des années 1940 à 1980, inaugurant même son propre atelier de lithographie. Parmi ses créations, il y a ses fameuses figures à chapeau, ses murs ou "assemblages d’empreintes" (végétales ou de mille autres choses) réalisés à l’encre de Chine puis découpés et collés sur du papier. Citons aussi les 324 pièces de la série Phénomènes, qui constituent le cœur de cette exposition. Chacune de ces planches célèbre un aspect du monde naturel, formant un atlas éminemment poétique. La Louvière, jusqu’au 24.01.2021, Centre de la gravure et de l’Image imprimée mar > dim : 10 h-18 h • 8 > 3 € (gratuit -12 ans), www.centredelagravure.be exposition – 104



IBANT OBSCURI Ibant Obscuri © Pascal Marquilly et François Andes

6 Fuyant Troie détruite par les Grecs, Énée ère en Méditerranée. En proie au doute, il descend aux Enfers où son père l’éclairera sur sa destinée. Au bout du chemin, notre héros apprendra que sa lignée fondera la grande Rome, et comptera d’illustres hommes, tel Jules César… Inspirée par l’Énéide de Virgile (le "Homère romain"), cette exposition montée avec le Groupe A rassemble une dizaine d’artistes qui livrent leur perception de la crise – voire des crises, au sens large. Le parcours sera actualisé au fil du mois de septembre via des créations in situ. À l’image des dessins enfiévrés par le coronavirus de Baptiste César ou du jardin extraordinaire peuplé de papillons de Gaëlle Lucas, ces œuvres percent l’obscurité en quête d’un avenir meilleur. Une esquisse de ce fameux "monde d’après" ? Roubaix, 18.09 > 20.12, La Condition Publique, mer, jeu, sam & dim : 13 h-19 h ven : 13 h-22 h, 5 / 2 € (gratuit -18 ans), laconditionpublique.com exposition – 106



Ice Stupa Glacier, Ladakh, Inde © Sonam Wangchuk

WORLD DESIGN CAPITAL

Dessine-moi l’avenir

Cela vous avait peut-être échappé, mais Lille est devenue capitale mondiale du design. Décerné tous les deux ans par la World Design Organization (et pour la première fois à une ville française), ce titre récompense le dynamisme de la métropole européenne dans ce domaine. Zoom sur quatre expositions immanquables. C’est notamment pour sa capacité à se réinventer que la métropole lilloise a été choisie capitale mondiale du design – au nez et à la barbe de Sydney. En matière de reconversion, le génie de cette terre aux 1 600 designers n’est plus à démontrer – citons, entre autres, la transformation de La Piscine de Roubaix. Plus qu’un "simple" art décoratif, cette discipline est ici vue comme « un nouveau modèle de développement urbain respectueux des personnes et de la nature » – plus que jamais nécessaire à l’heure du sinistre Covid. À la Gare Saint Sauveur (autre friche requalifiée en haut-lieu culturel) l’exposition Les Usages du monde témoigne ainsi d’expériences aux quatre coins du monde réinventant nos façons de vivre – à l’instar des glaciers artificiels de l’Indien Sonam Wangchuk, permettant de stocker l’eau dans le désert. La Manufacture : A Labour of Love, défend de son côté un processus de fabrication soucieux de l’environnement et de l’humain. Au Tripostal, Designer(s) du design illustre l’inventivité française (de Philippe Starck à Matali Crasset) quand Sens fiction imagine des futurs plus désirables, réunissant auteurs (Maylis de Kerangal, Jean Echenoz) et créateurs au sein d’un laboratoire inspiré – et inspirant. Julien Damien La Manufacture : A Labour of Love + Les Usages du monde Lille, 09.09 > 08.11, Gare Saint Sauveur, mer > dim : 12 h-19 h, gratuit, designiscapital.com Designer(s) du design + Sens fiction Lille, 16.09 > 15.11, Le Tripostal, mer > dim : 13 h-19 h, 10 / 7 € (les 2 expos), designiscapital.com



Sylvie Pichrist, Dessiner sur l’océan (film still), 2019, collection de la Province de Hainaut

LA COLÈRE DE LUDD Dans La Colère de Ludd, l’historien de l’anarchisme Julius Van Daal narrait l’insurrection d’ouvriers. Sous la direction du général Ludd et en pleine révolution industrielle anglaise, ceux-ci s’opposèrent au progrès technique par la destruction de machines. Cette exposition illustre les sentiments de dépossession et de résistance qui nous enflamment. De Teresa Margolles à Jacques Charlier, elle réunit une quarantaine d’œuvres récemment acquises par la Province de Hainaut et, pour la plupart, jamais montrées. Charleroi, 19.09 > 03.01.2021, BPS22, mar > dim : 10 h-18 h 6 > 3 € (gratuit -12 ans), www.bps22.be

PANORAMA Familière des dialogues artistiques, la Centrale for Contemporary Art invite le Français Xavier Noiret-Thomé et le Hollandais Henk Visch. Le premier s’est révélé avec des toiles télescopant les techniques, les cultures classiques et populaires. Jouant avec les échelles (du monumental au miniature) et les matériaux (de l’acier au bronze, en passant par le bois), le second demeure une figure de la sculpture contemporaine. Les voici réunis dans un duo au sommet, questionnant en filigrane la condition humaine. Bruxelles, 03.09 > 17.01.2021 Centrale for Contemporary Art, mer > dim : 10 h 30-18 h 8 > 2,50 € (gratuit -18 ans), www.centrale.brussels

Xavier Noiret-Thomé, Nu rose assis après Henri, 2019 © Isabelle Arthuis



Je suis d’ici, 2019 © Bertrand Meunier

EN QUÊTE

Regards sensibles

Avant de fermer temporairement ses portes pour cause de travaux, l’Institut pour la Photographie de Lille nous en met (une deuxième fois) plein la vue. Du rituel du carnaval aux coulisses du Dictateur de Chaplin (rappelons-le, l’un des premiers à traiter de la montée du nazisme) en passant par le projet participatif Si j’étais… (en clair, vos prises de vue) cette nouvelle série de neuf expositions inédites s’articule autour de la notion d’enquête. Entre documentaires et récits poétiques, portraits et paysages de la France d’aujourd’hui (à ce propos, ne ratez pas Je suis d’ici de Bertrand Meunier), ces images révèlent un autre regard sur l’actualité, l’histoire ou le territoire. Minutieusement orchestrées dans les vastes espaces d’un ancien hôtel particulier, elles grattent la surface souvent vernie de nos représentations du monde.

6

Lille, 10.09 > 15.11, Institut pour la Photographie mer > dim : 11 h-19 h • jeu : 11 h-22 h, gratuit, www.institut-photo.com exposition – 112



MASCULINITIES

Xavier Delcour © Catwalk Pictures

L’habit ne fait sans doute pas le moine, toutefois il façonne l’homme. Mais lequel ? Le pirate néo-romantique façon Vivienne Westwood ou les modèles adolescents de Raf Simons ne véhiculent pas la même image. Se jouant des codes et des archétypes, du regard convenu posé sur la virilité à l’avènement du "gender fluid", les pièces rassemblées par ces créateurs contemporains, belges ou internationaux, auscultent en creux l’évolution de la notion de masculinité. Bruxelles, jusqu’au 13.06.2021, Musée Mode et Dentelle, mar > dim : 10 h-17 h 8 > 4 € (gratuit -18 ans) www.fashionandlacemuseum.brussels

TOUT VA BIEN MONSIEUR MATISSE Le Musée Matisse poursuit sa célébration du 150e anniversaire de la naissance du maître. Après avoir éclairé ses premiers pas, il s’intéresse cette fois à son héritage. Comment les artistes contemporains regardent-ils son œuvre ? Ce parcours répond à cette question grâce au travail de huit créateurs. Citons les toiles en relief de Patrick Montagnac ou les fameuses "écritures" de Ben, tandis que les sculptures de Frédéric Bouffandeau semblent peindre l’espace du parc Fénelon – oui, tout va bien. Le Cateau-Cambrésis, jusqu’au 17.01.2021 Musée Matisse, tous les jours sauf mar : 10 h-18 h 6 / 4 € (gratuit -26 ans), museematisse.fr

Erró Portrait de Matisse, 1986 collection particulière © photo DR © ADAGP, Paris, 2020

exposition – 114



PROMENADE DANS LES COLLECTIONS

Henri Le Sidaner, Porte ouverte sur le verger, 1924 © Musée du Touquet-Paris-Plage / Bruno Jagerschmidt

Depuis sa création en 1932, le musée du TouquetParis-Page a vu passer nombre d’artistes, de tous les styles, époques ou disciplines. Il a aussi a reçu moult dons. Ce parcours inédit réunit ces trésors amassés au fil des ans. Une quinzaine de clichés du célèbre Studio Harcourt dialogue ainsi avec les graffs colorés de Speedy Graphito ou une sculpture figurative de Max Ernst. Quelque 90 œuvres jalonnent cette exposition, s’appréciant comme une balade à travers l’histoire de l’art. Le Touquet, jusqu’à fin 2020, Musée du Touquet-Paris, tlj sf mar : 14 h > 18 h, 3,50 / 2 € (grat -18 ans), letouquet-musee.com

Phases (2012-2016) © Jeroen Wand

LA MANUFACTURE. A LABOUR OF LOVE Bien avant l’avènement du fameux "monde de demain", la Néerlandaise Lidewij Edelkoort prévoyait la mort de la mode telle qu’on la connaît – notamment dans son Manifeste antifashion. Anticipant les nouvelles tendances, elle imagine un Labour of Love où le design, l’art et l’artisanat se tiennent par la main. Dans sa manufacture, les processus de fabrication respectent l’environnement et l’humain, les créateurs partagent leurs ressources et recyclent les matières, transformant la laideur en beauté. Lille, 09.09 > 08.11, Gare St Sauveur, mer > dim : 12 h-19 h, gratuit, designiscapital.com

© Julie About et Ludovique Tollitte

GRANDEUR NATURE La nature inspire les artistes depuis la nuit de temps. Mais qu’en est-il de ces représentations aujourd’hui, à l’heure où notre environnement est menacé ? Des paysages désertiques de Mœbius aux gravures inspirées de la faune et de la flore de Nathalie Grall, en passant par les estampes de Françoise Pétrovitch, cette exposition rassemble de grands créateurs contemporains. Décalées, dystopiques ou jubilatoires, ces œuvres interrogent avec maestria l’impact humain sur la planète. Lille, 12.09 > 05.12, Lasécu mer > jeu : 14 h-18 h • ven & sam : 14 h-19 h gratuit, www.lasecu.org



Geriko (Hélène Jeudy & Antoine Caecke), ANVIL- 2016 © Bye Bye Future Mariemont

© Eléonore Saintagnan

CLUBISME

BYE BYE FUTURE !

Le clubisme ? C’est l’art de faire équipe. Les Lillois Philémon Vanorlé et Alexandrine Dhainaut associent sept créateurs contemporains. Chacun a produit une œuvre inspirée de rencontres avec des passionnés, à l’image d’Éléonore Saintagnan. La Bruxelloise a travaillé avec des ornithologues pour créer des sculptures urbaines servant de nichoirs. Citons aussi le Wanderlust Social Club, magnifiant l’amour du foot des supporters d’une formation de 7e division allemande – beau jeu collectif.

Voitures volantes, corps modifiés, robots plus ou moins amicaux... Au fil des siècles, de nombreuses visions de l’avenir furent imaginées. Cette exposition explore notre fascination pour ces voyages dans le temps, à travers la littérature, le cinéma, l’art contemporain ou les cultures pop et SF. Entre utopie, dystopie et uchronie, on découvre des œuvres d’artistes internationaux, tels Wim Delvoye ou le duo Pierre et Gilles. Sacré retour vers le futur.

Lille, 18.09 > 01.11, Espace Le Carré mer > sam : 14 h-19 h • dim : 10 h-13 h & 15 h-18 h, gratuit, www.lille.fr

Morlanwelz, jusqu’au 25.10, Musée Royal de Mariemont, mar > dim : 10 h-18 h, 5 > 2 € (gratuit -12 ans), www.musee-mariemont.be

Drum, 1989, Photo : Thys Dullaart © William Kentridge / Courtesy de l’artiste

WILLIAM KENTRIDGE Considéré comme l’un des plus brillants artistes de sa génération, le Sud-Africain William Kentridge présente à Villeneuve d’Ascq sa première grande rétrospective en France. Dessins, gravures, sculptures, tapisseries, films d’animation... Aussi foisonnante que poétique, son œuvre dénonce depuis plus de 40 ans les sujets les plus sensibles, tels que l’apartheid, la corruption, les migrations ou le rôle de l’Afrique durant la Première Guerre mondiale. Un événement. Villeneuve d’Ascq, jusqu’au 13.12, LaM, mar > dim : 10 h-18 h, 11 / 8 € (gratuit -12 ans), www.musee-lam.fr





interview

ARNAUD HOEDT ET JÉRÔME PIRON

© DR

Propos recueillis par Julien Damien

Les fautes d’ortografe théâtre & danse – 122


Rire avec l’orthographe ? Oui, c’est possible. Remettre en cause sa cohérence ? C’est plus délicat… Pourquoi l’esprit critique devrait-il s’arrêter au seuil de ce monolithe ? On doute de l’existence de Dieu (heureusement) mais pas de celle de la rigueur de notre langue. Dans leur spectacle-conférence, La Convivialité, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron soulignent avec malice les aberrations de règles qu’on croyait intouchables. Tous les deux anciens professeurs de français, ces iconoclastes Belges explorent notre grand bazar lexical, où les accords ne sont pas toujours parfaits. On corrige les copies avec Jérôme Piron. Quelle idée défendez-vous ? On est souvent intransigeant avec les fautes d’orthographe. Or, cette science tenant du sacré est loin d’être parfaite. Nous démontrons ses aberrations, non pas pour l’appauvrir, mais l’améliorer. Si l’orthographe était plus logique, les gens feraient moins d’erreurs. Avez-vous quelques exemples d’incongruités ? Elles sont innombrables, mais si vous cherchez du côté des mots ayant des racines grecques ou latines, vous allez être servi. Je ne suis pas contre le fait de conserver des "ph", "th" ou "ch", mais soyons cohérents ! Nénuphar devrait prendre un "f" car il provient de l’arabe, choléra et colère ont la même origine (cholera) mais s’écrivent différemment. Allez comprendre… D’où viennent ces absurdités ? Les causes sont nombreuses, mais parfois il s’agit simplement d’erreurs.

Pourquoi certains mots se terminant par "eu" – comme cheveu – prennent un "x" au pluriel ? Eh bien c’est une boulette de transcription. Les moines, pour aller plus vite lors de la copie, utilisaient une abréviation pour symboliser le "us". Au fil du temps, ce signe a été confondu avec le "x", et c’est devenu une règle !

« NOUS DÉMONTRONS LES ABERRATIONS DE L’ORTHOGRAPHE. » Quelle est l’histoire de l’orthographe française ? Avant le xvii e siècle, elle était plus simple, comptant moins de consonnes doubles par exemple. Elle était aussi plus phonétique qu’aujourd’hui. En clair, tout le monde faisait comme il voulait. Molière lui-même écrivait le misanthrope sans "h" ! Il ne faut donc pas confondre la langue de Molière avec son orthographe. théâtre & danse – 123


© Véronique Vercheval

diger un dictionnaire. C’est à partir du xixe siècle que s’impose une norme. La bourgeoisie lui donne ses lettres de noblesse… et établit des règles volontairement compliquées. L’orthographe devient ainsi une marque d’appartenance à la bonne société, et sa maîtrise un critère de sélection, voire de discrimination.

Est-ce un bon outil ? Pas sûr… On a ainsi recensé 12 façons d’écrire le son "s" (s, ss, ç, t, th, sth, x, etc.). On peut donc modifier l’orthographe sans nuire à la langue. L’accent, par exemple, ne bouleverse pas le sens d’un propos. Le français se prononce de bien des manières. Le circonflexe est à ce propos une belle incongruité. Il sert à tout et à rien : pour marquer la présence d’un ancien "s" ou allonger les voyelles à l’oral. À quel moment l’orthographe devient-elle sacrée ? Au xviie siècle on centralise l’État. Richelieu réalise que la langue est un pouvoir. Il crée alors l’académie française dont la mission est de ré-

« AMÉLIORER LES RÈGLES COMMUNES N’EST PAS SYNONYME D’ANARCHIE. » Au xixe siècle, elle revêt aussi « un enjeu nationaliste », dites-vous… Oui, car il s’agit d’écrire le même français partout. L’orthographe devient unique et indivisible, c’est le ciment de la nation. Malgré tout, il nous faut des règles, non ? Bien sûr. Orthographe provient du grec orthos, soit "correct". Ce mot signifie donc "la bonne manière d’écrire". Nous défendons l’orthographe, mais pas celle-ci. Améliorer les règles communes n’est pas synonyme d’anarchie. Il ne s’agit pas de tolérer les fautes, mais d’établir la meilleure façon d’écrire possible.

La Convivialité – La Faute de l’orthographe Amiens, 23 > 25.09, La Comédie de Picardie mer : 19 h 30 • jeu & ven : 20 h 30, 18 > 11 €, www.comdepic.com Auderghem, 27.10, Centre culturel, 20 h, 32 €, ccauderghem.be / La Faute de l’orthographe, d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron (Textuel), 144 p., 17 €, www.editionstextuel.com À LIRE

À LIRE AUSSI

/ La version longue de cette interview sur lm-magazine.com



© Marion Siéfert

_JEANNE_DARK_ Face à l’écran

Loin des sentiers battus, mais en prise avec le monde. Ainsi va Marion Siéfert, remarquée dès 2015 avec Deux ou trois choses que je sais de vous, révélant les "pouvoirs" de Facebook et son appétence pour les réseaux sociaux. « C’est un lieu de représentation, donc de théâtre », dit-elle. Sa dernière création en est l’illustration parfaite : voici la première pièce réalisée via Instagram. _jeanne_dark_, c’est le pseudo de Jeanne, 16 ans. Issue d’une famille catholique, elle est harcelée par ses camarades, car « trop coincée ». Un soir, l’adolescente prend la parole au cours d’un live Instagram. Seule face à son smartphone et des spectateurs invisibles, elle se dévoile. Parle de sa virginité, de sa famille, de la religion au cours d’un monologue de plus en plus effréné… Dans la peau de cette jeune fille « à vif », Helena De Laurens incarne toute une galerie de personnages (ses parents, le prêtre, la sainte…). Au centre d’un décor évoquant une chambre, l’actrice joue des métamorphoses de son visage, mais aussi avec les cadrages, les filtres, l’éclairage. Elle produit un véritable film en direct, retransmis sur deux grands écrans verticaux mais aussi sur… le fameux réseau dit social, « comme si le public tenait dans la paume de sa main », observe Marion Siéfert. À l’ère des selfies et de l’utra-connexion numérique, la jeune metteuse en scène invente ici un théâtre 2.0, ouvrant son art à de nouvelles audiences dans un troublant jeu de miroir. Julien Damien Villeneuve d’Ascq, 17 & 18.09, La Rose des Vents, jeu : 19 h • ven : 20 h, 21 > 5 €, larose.fr Douai, 14 & 15.01.2021, L’Hippodrome, jeu : 19 h • ven : 20 h, 22 > 7 €, tandem-arrasdouai.eu



LE BATEAU FEU

Remise à flot

Doucement mais sûrement, le Bateau Feu s’éveille. La scène nationale de Dunkerque accueille ses premiers spectateurs le 18 septembre. Avant que Miossec ne lui donne des allures brestoises en y rejouant son premier album (Boire), ou de revivre des "histoires en série", nous voici conviés à une grande épopée. Alors, prenons le large.

Fin de partie © Xavier Cantat

Ludovic Rogeau l’avoue, il a « mal vécu le confinement ». Ce repos forcé fut l’occasion pour le directeur du Bateau Feu « d’interroger la place du théâtre dans la société ». Centrale, on en conviendra. « La distanciation sociale a eu un effet dévastateur, certains restent encore enfermés chez eux par peur du monde… Le théâtre est un lieu de divertissement, mais aussi celui de la pensée et du partage des émotions. Voilà nos missions, et le fil de cette programmation ». En cela, quoi de mieux qu’une Épopée ? Ce long spectacle (six heures !) raconte l’histoire d’une famille vivant heureuse dans une maison isolée du monde (confinée ?) par un énorme mur. Mais un jour, les enfants partent à l’aventure, découvrant une planète sublime, mais menacée. À eux (et nous) d’en prendre soin… Ça ne vous rappelle rien ? Pourtant, cette pièce mêlant marionnettes et musique a été imaginée par Johanny Bert bien avant le sinistre Covid-19, et la quête de ce fameux "monde d’après". Dans le même esprit, les Fous à réAction s’emparent de Fin de partie de Beckett, soit le récit de quatre pauvres hères jouant sur les cendres de l’humanité. Comme dirait ce bon Hamm : « la fin est dans le commencement et cependant on continue ». Pas mieux. Julien Damien Dunkerque, Place du Général de Gaulle, www.lebateaufeu.com / 18.09 : Ouverture de saison // 21.09 > 02.10 : Thomas Gornet & Johanny Bert : Prologue à une Épopée // 03 > 10.10 : Gwendoline Soublin, Catherine Verlaguet, Arnaud Cathrine, Thomas Gornet & Johanny Bert : Une Épopée 13 & 14.10 : Collectif Mensuel : Sabordage // 16.10 : Ousmane Sy : Queen Blood 09 > 12.11 : Les Fous à réAction : Fin de partie // 13.11 : Miossec…

SÉLECTION



© Renaud Corlouer

JÉRÉMY FERRARI « Durant la crise, le gouvernement a donné de la matière aux humoristes », prévient Jérémy Ferrari – aïe... Écrit avant le confinement, peaufiné depuis, son dernier spectacle (très documenté) aborde le délicat sujet de la santé. De l’homéopathie (« la forme de charlatanisme la plus aboutie au monde ») à l’abandon du personnel soignant, il n’épargne rien ni personne. À commencer par lui-même. Anesthésie générale évoque ainsi toutes les « maladies invisibles », des troubles obsessionnels à l’alcoolisme, dont il souffre. Un show bien ficelé, qui frappe là où ça fait mal. Rouvroy (bel), 05.09, Le Rox, 20 h 30, complet ! Lille, 07 & 08.09, Théâtre Sébastopol, 20 h, 39 €, www.theatre-sebastopol.fr Saint-Quentin, 14.09, Le Splendid, 20 h, 39 €, www.saint-quentin.fr Amiens, 26.09, Mégacité, 20 h, complet ! * sous réserve des conditions sanitaires

Zenel Laci en a gros sur la patate. Né de parents albanais traditionalistes, il dut abandonner l’école pour l’affaire familiale : le célèbre Fritland. Cette friterie emblématique de Bruxelles sera son cauchemar durant 16 longues années, avant qu’il plaque tout pour le théâtre… Armé de son couteau, il conte avec humour cette histoire tout en épluchant des pommes de terre, servies chaudes et dorées à la fin du spectacle. Évidemment, il casse la baraque. Quaregnon, 09.09, Maison culturelle, 20 h, 12 > 1,25 € maisonculturellequaregnon.be * sous réserve des conditions sanitaires

© Marie-Aurore D’Awans

FRITLAND

théâtre & danse – 130



© Mattis Bouali

BRASLAVIE BYE BYE !

Lignes de fuite Qu’il cause de son émancipation par le théâtre (Un Jour, j’irai à Vancouver), de sa maman (Le Jour où ma mère a rencontré John Wayne) ou de l’exil forcé (Sans laisser de trace…), Rachid Bouali livre des histoires souvent drôles et à la portée philosophique (donc universelle). Sans décor ni artifice. Pour cette création, il s’est librement inspiré du roman du Moldave Vladimir Lortchenkov, Des mille et une façons de quitter la Moldavie, mais aussi « des films de Kusturica, des Shadoks et du mythe de Sisyphe », dit-il. Accompagné d’un musicien-bruiteur, il nous emmène dans un pays imaginaire (la Braslavie) au sein du petit village de Targa, incarnant une galerie de personnages loufoques. Tractoriste, utopiste ou culturiste, tous partagent le même rêve : rejoindre l’Italie, où la vie serait plus douce, alors que les états voisins ont bouclé leurs frontières. Mais ils sont prêts à tout pour passer : transformer un tracteur en avion, vendre un rein… Mêlant le burlesque au tragique, ce conteur hors pair fustige une Europe divisée, incapable de construire une politique d’accueil digne de ses principes – sans rire, cette fois.

6

Vendeville, 18.09, Salle La Chiconnière // Santes, 03.10, Espace Agora Escobecques, 09.10, Salle polyvalente // Leers, 10.10, Salle des fêtes André Kerkhove, 20 h, 10 > 5 €, www.levivat.net théâtre & danse – 132



© Cécile Courouble

PUCIE Pucie, c’est la contraction entre "pussy" (désignant en anglais vous savez quoi) et Lucy, prénom donné à cette australopithèque femelle retrouvée en Éthiopie en 1974. Tandis que le premier terme relègue la femme au rang d’objet sexuel, le second évoque la doyenne de l’humanité, dans une perspective lumineuse. Quelque part entre les deux, ce trio dansé met en scène « l’impudique féminin ». Sur scène, la compagnie Les Sapharides dit la vérité d’un corps qui hurle, crie et dégouline, avec une grande liberté et… des pastèques – on vous laisse imaginer leur rôle. Armentières, 11.09, Le Vivat, 20 h, 18 > 2 €, www.levivat.net Lille, 18.09, Théâtre Massenet, 20 h, 10 > 3 €, www.theatre-massenet.com

Après Regarde les lumières mon amour, les Fous à RéAction adaptent à nouveau un texte d’Annie Ernaux. Dans La Place (lauréat du prix Renaudot en 1984), l’écrivaine d’"intimité publique" raconte la vie de son père, qui vient de décéder. Elle décrit alors comment, devenue étudiante, la « transfuge de classe » s’est éloignée de cet homme à l’existence simple, peu familier de la culture et des livres… Épurée, cette mise en scène rend toute la profondeur de cette tragédie silencieuse, et universelle. Armentières, 29.09, Centre social Salengro, 20 h Houplines, 30.09, Salle de la Cordée, 18 h 30 // Armentières, 01.10, Rex, 19 h // Armentières, 02.10, Centre social 4 saisons, 19 h, 18 > 2 €, levivat.net

© Olivier Menu

LA PLACE

théâtre & danse – 134



Usure © Frédéric Iovino

EXPÉRIENCES URBAINES

Street Life

6 L’art urbain méritait bien son festival. Initié par la ville de Roubaix, depuis étendu dans la métropole lilloise, ce rendez-vous a gagné en six éditions sa "street credibility", en célébrant une culture dans son acceptation la plus large. D’abord musicale, bien sûr, révélant quelques artistes qui ne resteront pas longtemps confidentiels – à l’image de la rappeuse roubaisienne PunchLyn. Entre autres initiations au jumpstyle (avec le collectif (La)Horde) ou au graff, on découvre aussi les créations d’un autre enfant (prodige) du pays : Brahim Bouchelaghem. Dans Usure, le natif du quartier de l’Alma met à l’épreuve la résistance des corps, capables de régénérer le mouvement – et donc de se réinventer. Enfin, si vous passez par le quartier du Pile à Roubaix pour y découvrir les fresques des artistes de Next Generation(s), on vous enjoint de pousser les portes de la Condition Publique. L’ancienne manufacture textile y abrite un skatepark unique au monde (Colorama), dessiné par le designer anglais Yinka Ilori et validé par Vincent Milou, champion d’Europe de la discipline – on y reviendra… Roubaix, Lille, Hem, Wattrelos, Mons-en-Barœul, Saint-André, 24.09 > 04.10, divers lieux 35 € > gratuit, www.ville-roubaix.fr / 24.09 : Sons et lumières Urba IXO // 25.09 : Color Block par Maison de Mode Brahim Bouchelaghem : Usure // 26.09 : Parcours d’art urbain Next Generation(s) • Stage Jumpstyle avec le collectif (La)Horde // 30.09 : Showcase et atelier d’écriture avec PunchLyn 01.10 : Ciné-débat : Brahim Bouchelaghem, la danse ou la vie • Showcases Ladies in Rap 02.10 : Farid Berki et Cie Melting Spot : Locking for Beethoven // 03.10 : Week-end Oktoberskate (découverte du skatepark Colorama de Yinka Ilori) // 04.10 : Villages des fresques

SÉLECTION

théâtre & danse – 136



ABSTRKT

Pas croisés

6 Figure du breakdance en Belgique, Milan Emmanuel est aussi un chorégraphe inspiré (et inspirant), dressant des ponts entre l’énergie de la rue et les pièces du répertoire. On se souvient notamment de sa version "krump" de Romeo et Juliette montée en début d’année pour l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, et mise en scène par Fabrice Murgia. Dans cette nouvelle création, le fondateur de la compagnie No Way Back et du Detours festival dirige trois interprètes issus d’horizons différents, pour mieux entremêler les disciplines et les cultures. Sur un plateau nu se croisent ainsi le Congolais Meshake Lusolo, virtuose du Ndombolo, le Vénézuélien Enano, as de la fusion entre sport de combat et danses afro-caribéennes, et l’acrobate street-artiste allemand Martin Klukas. Main dans ma main, ils offrent une spectaculaire (et salutaire) ode à la pluralité.

© Alice Piemme

Bruxelles, 26.09, La Raffinerie, 20 h 30, 10 / 5 €, www.charleroi-danse.be

théâtre & danse – 138



© Ballet du Nord

4m2

Surface de réparation

Quatre mètres carrés. Ces derniers mois, ce fut le nombre d’or de la sacro-sainte distanciation physique. L’espace minimum dévolu à chaque salarié au sein d’une entreprise. De cette injonction sanitaire, Sylvain Groud a tiré une pièce ou, plutôt, un jeu ("je" ?) collectif. Au plus fort de la crise du Covid-19, le directeur du Ballet du Nord a imaginé un dispositif prenant la forme d’un vaste labyrinthe. Les spectateurs serpentent ici dans un dédale où sont "confinés" dix interprètes. Chacun se trouve dans une aire de deux mètres sur deux et derrière des vitres transparentes « qui protègent comme elles isolent », dit-il. Autonomes, ces soli traduisent en gestes spontanés les sensations ressenties durant cette parenthèse hors du monde et du temps. Pensé comme une exposition vivante (et interactive), rythmé par la bande-son jouée en live par un musicien, ce spectacle immersif se joue des frontières intérieures et extérieures. Tel un « palais des glaces métaphorique », il magnifie les notions de liberté de mouvement et de déambulation dont nous fûmes privés.

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Lille, 29.09, Le Grand Bleu, 19 h > 21 h 30 (départ toutes les 15 min), 5 €, legrandbleu.com Valenciennes, 07.10, Le Phénix, 19 h > 21 h 30 (départ toutes les 15 min), 24 > 10 €, scenenationale.lephenix.fr // Lens, 27.11, Scène du Louvre-Lens, 19 h > 22 h, 5 €, louvrelens.fr théâtre & danse – 140



© Lambert Davis

JASON BROKERSS 20 secondes, c’est le temps nécessaire pour se forger un avis sur quelqu’un, selon Jason Brokerss. L’homme sait de quoi il parle, affichant une longue barbe et un "teint mat"... Pour autant son spectacle (21e seconde, donc) ne se résume pas aux a priori racistes. Cet ancien commercial (par ailleurs co-auteur de Fary) s’amuse tout autant de son mariage (« les femmes, c’est pas des gens bien »), des pédophiles (« ils ne me font pas peur, à mon âge je peux accepter des bonbons de n’importe qui ») que de ses déboires sur le marché de l’emploi (« mon expérience ? J’ai eu un crédit avec cette tête-là ! »). Alors, avons-nous affaire à un chic type ? À vous de juger. Lille, 12.09, Le Splendid, 20 h, 28 €, www.le-splendid.com Auderghem, 20.09, Centre culturel, 18 h, 25 €, ccauderghem.be

Autoproclamé « ex-plus grosse racaille de SaintEmilion », pour avoir tagué l’église du village, Maxime Gasteuil débarque dans la "ville lumière". Soit une planète inconnue pour lui, où les speakerines sont devenues des blogueuses et « les sorties d’école s’apparentent à celles chez le primeur : les enfants s’appellent tous Prune ou Myrtille ». De ce test comparatif entre Parisiens et provinciaux, personne ne sort indemne – avec ou sans accent. Auderghem, 02.10, Centre culturel, 20 h, 34 / 29 € Lille, 06.10, Théâtre Sébastopol, 20 h, 35 > 30 € Lille, 10.03.2021, Zénith, 20 h, 41 > 33 €

© Laura Gilli

MAXIME GASTEUIL

théâtre & danse – 142



© Fifou

BUN HAY MEAN

Sans contrefaçon

Sur scène, la représentation de l’Asie s’est souvent cantonnée (sans jeu de mots) aux vannes douteuses de Gad Elmaleh et Kev Adams, voire aux imitations calamiteuses de Michel Leeb. On peut compter sur Bun Hay Mean pour remettre les compteurs à zéro. « Il y a plus d’Asiatiques que vous dans le monde. Je ne suis pas bridé, vous avez les yeux ronds. Pour moi la Terre est peuplée de hiboux », assène l’autoproclamé "Chinois marrant" - une belle contrefaçon soit dit en passant : notre homme est franco-cambodgien. Au-delà des vannes sur les clichés collant aux personnes racisées (ce nouveau terme à la mode), le bon Bun a plus d’un sujet dans son sac. Ce Parisien sait tout aussi bien assaisonner l’actu à sa sauce piquante (oui, on va causer Covid…) que partir dans des envolées loufoques, limite burlesques – il n’est pas copain avec Éric Judor pour rien. Après un excellent premier spectacle, l’humoriste à la crinière ébouriffée récidive avec Le Monde appartient à ceux qui le fabriquent, entre sketches et (surtout) grands moments d’impro.

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Liège, 18.09, Le Trocadéro, 20 h, 38 > 26 €, www.troca.be Auderghem, 19.09, Centre culturel, 20 h, 38 / 32 €, ccauderghem.be Lille, 02.10, Théâtre Sébastopol, 20 h, complet !, www.theatre-sebastopol.fr Arras, 05.03.21, Casino, 20 h 30, 39 €, www.arras.fr Amiens, 19.03.21, Mégacité, 20 h 30, 39 €, megacite.fr Lille, 02.04.21, Théâtre Sébastopol, 20 h, 39 > 27 €, theatre-sebastopol.fr théâtre & danse – 144



© Giovanni Cittadini Cesi

KADOC

Ton univers impitoyable

Depuis Débrayage (1996), le prolifique Rémi De Vos a fait de l’entreprise l’un de ses terrains de jeu favoris – citons Départ volontaire ou Ben oui mais enfin bon. Créée en mars au Théâtre du Rond-Point, sa nouvelle pièce se drape dans les habits du vaudeville, et épingle l’absurdité du monde du travail grâce à six comédiens inspirés. Hervé Schmertz est un employé sous pression. Le burn-out n’est pas loin. La preuve : chaque matin il découvre, assis à son bureau, un surprenant personnage aux traits simiesques... qu’il semble le seul à remarquer. Il n’en fallait pas plus pour séduire Jean-Michel Ribes. Le directeur du Théâtre du Rond-Point a voulu monter lui-même cette « pièce très proche de Kafka » aux héros loufoques. « On comprend vite que la dimension économique de l’entreprise a moins d’importance que leurs problèmes d’ego », détaille-t-il. Car Schmertz travaille sous la direction du tyrannique Wurtz (Jacques Bonnaffé, très en forme), lui-même assisté de Goulon, un ambitieux se croyant plus malin que tout le monde et rêvant de prendre la place du chef. Lorsqu’une improbable invitation à dîner réunit le patron et son subordonné ainsi que leurs épouses, les liens de hiérarchie se renversent et une nouvelle compétition s’organise autour d’un risotto aux fruits de mer. Un épatant décor dévoile à la fois l’entreprise et la sphère privée, révélant quiproquos en cascade, couples au bord de la crise de nerf… Kadoc bascule alors vers la farce caustique et débridée. Foncez – sans pointer ! Marine Durand Lille, 02 > 10.10, Théâtre du Nord, mar, mer & ven : 20 h • jeu & sam : 19 h • dim : 16 h 25 > 8 €, www.theatredunord.fr // Liège, 25 > 28.11, Théâtre de Liège, mer & sam : 19 h jeu & ven : 20 h, 31 > 5 €, theatredeliege.be



© David Jungman

AN IRISH STORY – UNE HISTOIRE IRLANDAISE Kelly Rivière n’a jamais connu son grand-père irlandais, disparu à Londres dans les années 1970. De cette histoire familiale, elle a tiré une épopée fantastique, narrée dans la langue de Molière et celle de Joyce. Seule sur scène et armée de son humour pince-sans-rire, la Franco-Irlandaise se lance dans une vaste enquête et interprète une quinzaine de personnages. Tel un caméléon, elle incarne aussi bien un frangin fumeur de joints qu’un détective privé. La performance est bluffante et le voyage garanti. Villeneuve d’Ascq, 29.09 > 01.10, La Rose des Vents, mar & mer : 20 h • jeu : 19 h 21 > 5 €, larose.fr

Orfèvre de l’illusion, spécialiste en magie 2.0, Étienne Saglio nous avait ensorcelés avec Les Limbes. Le Breton a travaillé près de trois ans pour mettre au point son nouveau spectacle. Il ravive ici le frisson des contes d’enfance. Depuis son appartement, un homme taciturne est projeté comme Alice au pays des merveilles dans une forêt mystérieuse, peuplée de plantes anthropomorphes, d’un géant ou d’un vrai loup. Se reconnectera-t-il avec la nature ? Et donc la sienne ? Telle est la question… Valenciennes, 30.09 > 01.10, Le Phénix, 20 h, 24 > 10 € scenenationale.lephenix.fr // Maubeuge, 14 & 15.10 La Luna, 20 h, 12 > 4 €, www.lemanege.com

© Prisma Laval

LE BRUIT DES LOUPS

théâtre & danse – 148



© Simon Gosselin

LA LOI DE LA GRAVITÉ

Au bord du monde

C’est une quête de soi autant qu’une ode à l’émancipation. Publié en 2017, La Loi de la gravité raconte le cheminement de deux adolescent.e.s fuyant la norme pour se réaliser. Cécile Backès porte sur la scène de la Comédie de Béthune ce beau texte du Québécois Olivier Sylvestre, et ouvre de salutaires et poétiques horizons. C’est l’histoire d’une fille masculine et d’un garçon féminin. Dom et Fred ont 14 ans. Ils habitent à Presque-la-Ville, une banlieue morne où la norme écrase les vies et proscrit les différences, surtout quand elles font mauvais genre. « Je veux pouvoir changer quand ça me tente, être l’un pis l’autre en même temps, ni l’un ni l’autre quand ça me tente plus pis m’habiller comme je veux. », revendique Dom. Le temps d’une année scolaire, ces deux-là vont nouer une amitié et se retrouver au bord du fleuve, en haut de la falaise. Ici, à la lisière de ce monde sclérosé, ils nourrissent un rêve : franchir ce long pont et rejoindre la Ville, ils se le sont promis. « C’est le lieu métaphorique de tous les possibles », commente Cécile Backès. Une puissante allégorie, aussi, du passage à l’âge adulte comme une leçon universelle : « il faut se battre pour devenir qui l’on veut être ». Pour mettre en scène ce récit, la directrice de la Comédie de Béthune a installé ses acteurs au sommet d’un grand billboard, ce panneau publicitaire typique de l’Amérique du Nord. En son cœur elle a placé une batterie, pour mieux scander la langue rythmée d’Olivier Sylvestre, dont les mots résonnent tels des coups portés à la fatalité. Julien Damien Béthune, 01 > 10.10 & 24 > 27.11, La Comédie (Le Palace) 20 h, 20 > 6 €, www.comediedebethune.org théâtre & danse – 150



© Acme

© Carole Bellaïche

RÉVEILLER LES VIVANTS

INTRA MUROS

Ceci n’est pas une lecture musicale, plutôt un poème jazz. Jacques Bonnaffé incarne des extraits de Trois tranches de pain perdu de l’écrivain Dominique Sampiero. Dans ce récit, l’Avesnois parle de sa terre, le Nord, avec une langue qui n’oublie pas d’où elle vient, bien accompagné par les jazzmen Henri et Sébastien Texier. Oh, ce n’est ni gai ni triste, simplement un endroit où « les fêtes sont des ducasses. Et les hommes promènent sur leurs épaules encordées des géants aux allures extasiées ». Tout est dit.

Après les succès du Porteur d’histoire ou d’Edmond, Alexis Michalik nous emmène cette fois… en prison. Sur un plateau nu, il s’intéresse à deux détenus qui suivent un cours de théâtre, sous l’autorité d’un metteur en scène, d’une actrice et d’une assistante sociale. Peu à peu chacun se révèle et, comme souvent chez ce conteur exceptionnel, les destins s’entrelacent. Ainsi, l’homme aux cinq Molière signe un puzzle narratif jouissif.

Lille, 01.10, Le Prato, 20 h, 17 > 5 €, leprato.fr

Bruxelles, 01.10 > 14.11, Théâtre Le Public, mar > ven : 20 h 30 • sam : 19 h dim : 17 h, 26 > 9 €, www.theatrelepublic.be

Ouvert en 1946 et premier cabaret travesti de Paris, Madame Arthur demeure une institution de l’extravagance et de la nuit (Gainsbourg, et même son père, y furent pianistes). Ressuscitée en 2015 sous la houlette de Divan du Monde, la petite troupe est désormais emmenée par une vingtaine d’artistes. Ces chanteurs, danseurs ou compositeurs revisitent un vaste répertoire, de Bashung à Mylène Farmer, en passant par Abba ou Beyoncé, à grands renforts de plumes et de paillettes – de sacrés durs à queer. Arras, 08.10, Théâtre, 20 h 30, 22 / 12 €,tandem-arrasdouai.eu

© Bruno Gasperini

LE CABARET DE MADAME ARTHUR

théâtre & danse – 152



mot de la fin

Mask Resort © Tatsuya Tanaka

Le

TATSUYA TANAKA

miniature-calendar.com

En 2011, ce Japonais s’est lancé un "petit" défi : réaliser une image rigolote par jour, en l’occurrence des mini-dioramas peuplés de figurines, d’aliments ou objets du quotidien. Évidemment, son Miniature Calendar n’a pas ignoré la crise du Covid. Chez cet artiste prolifique, le masque chirurgical sert d’astucieuses mises en scène, à l’instar de cette piscine bordée de palmiers. Bien vu !




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