LM magazine 164 - Novembre 2020

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N°164 / NOVEMBRE 2020 / GRATUIT

ART & CULTURE

Hauts-de-France / Belgique



SOMMAIRE – MAGAZINE LM magazine 164 - novembre 2020

NEWS – 8 STYLE – 14

Daddy K7 Bande à part Mulann Industries Champ magnétique

PORTFOLIO – 28 Erika Iris Simmons On rembobine !

ÉVÉNEMENTS

Roy Lichtenstein – 72 L’instinct de reproduction Jimi Hendrix © Iris5

Next Festival – 102 Futur proche

LE MOT DE LA FIN – 130 James Cook Typewriter art

© Daddy K7

Roy Lichtenstein, Crying Girl, 1963 © Estate of Roy Lichtenstein / SABAM 2020


SOMMAIRE LM magazine 164 - novembre 2020

– SÉLECTION MUSIQUE – 36 Delgres, Stephan Eicher, Glass Museum, La Jungle, Warmduscher, Yelle, Ben Watt, Benjamin Schoos, Yolande Bashing, Nicolas Michaux, Bertrand Belin, J.-L. Murat, Benjamin Biolay, Arno, Flavia Coelho, Catastrophe, Molécule…

CHRONIQUES

Yelle © Jerome Lobato

Disques – 56 Deutsche Elektronische Musik 4, Les Ogres de Barback, Damien, Eels, Sufjan Stevens Livres – 58 Derf Backderf, Cyril Pedrosa & Roxanne Moreil, Fabien Grolleau & Nicolas Pitz, Leïla Slimani & Clément Oubrerie, Olivier Mak-Bouchard, Didier Comès

ÉCRANS – 64 ADN, Ted Lasso, Saint Maud, MusicVideoArt ! Plant Fever © Martin Azua, Manantial

EXPOSITION - 72 Roy Lichtenstein, Masculinities, Eugène Dodeigne, Plant Fever, Yves Auquier, Panorama 22, La Ferme végétale, Alberto Giacometti, Andy Warhol, Great Black Music, Panorama, Le Genre de la dentelle, Agenda...

THÉÂTRE & DANSE – 102

Next festival - Daniel Hellmann, Traumboy © Patrick Mettraux

Next Festival, Tatiana Julien, La Dame blanche, Les Multipistes, Triptych, Les Élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, L’Oiseau bleu, Les Petits Pas, Fiq ! (réveille-toi !), La Nuit du cirque, Focus Hip-Hop, Les Turbulentes, Agenda...



MAGAZINE LM magazine – France & Belgique 28 rue François de Badts 59110 LA MADELEINE - F tél : +33 (0)3 62 64 80 09

www.lm-magazine.com

Direction de la publication Rédaction en chef Nicolas Pattou nicolas.pattou@lastrolab.com

Direction artistique Graphisme Cécile Fauré cecile.faure@lastrolab.com

Rédaction Julien Damien redaction@lm-magazine.com

Couverture Aretha Franklin Erika Iris Simmons www.iri5.com instagram @erika_iris_art

Publicité pub@lm-magazine.com

Administration Laurent Desplat laurent.desplat@lastrolab.com Réseaux sociaux Sophie Desplat Impression Imprimerie Ménard (Labège) Diffusion C*RED (France / Belgique) ; Zoom On Arts (Bruxelles / Hainaut)

Ont collaboré à ce n° : Thibaut Allemand, Elisabeth Blanchet, Rémi Boiteux, Marine Durand, Hugo Guyon, Grégory Marouzé, Raphaël Nieuwjaer, Marie Pons, Erika Iris Simmons et plus si affinités. LM magazine France & Belgique est édité par la Sarl L'astrolab* - info@lastrolab.com L'astrolab* Sarl au capital de 5 000 euros - RCS Lille 538 422 973 Dépôt légal à parution - ISSN : en cours

L’éditeur décline toute responsabilité quant aux visuels, photos, libellé des annonces, fournis par ses annonceurs, omissions ou erreurs figurant dans cette publication. Tous droits d’auteur réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par quelque procédé que ce soit, ainsi que l’enregistrement d’informations par système de traitement de données à des fins professionnelles, sont interdites et donnent lieu à des sanctions pénales. LM magazine est imprimé sur du papier certifié PEFC. Cette certification assure la chaîne de traçabilité de l’origine du papier et garantit qu'il provient de forêts gérées durablement. Ne pas jeter sur la voie publique.

PAPIER ISSU DE FORÊTS GÉRÉES DURABLEMENT



© Johnson Tsang

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LE BAISER

Still in One Piece III

Entre les mains de Johnson Tsang, la porcelaine devient pâte à modeler. D’un réalisme détonnant, les sculptures du Hongkongais racontent aussi le monde tel qu’il va, à l’image de ces visages recouverts de masques et s’embrassant sur les lèvres. À l’heure du Covid et de la distanciation physique, l’artiste immortalise ce germe essentiel de la nature humaine : notre besoin de se rapprocher. Et d’aimer. @JOHNSON_TSANG_ARTIST

© Kanat Nurtazin

BONNES FEUILLES Si le spleen vous gagne devant ce ballet automnal de feuilles mortes, jetez donc un œil aux créations de Kanat Nurtazin. Le Kazakh use de la frondaison comme d’un support artistique. Il y découpe de petits animaux ou héros de dessins animés, jouant parfois de la transparence pour parfaire des sujets lui demandant jusqu’à six heures de travail. Un sacré herbier. @KANAT_N



© NeSpoon

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DANS LA DENTELLE

cite-dentelle.fr

La Polonaise NeSpoon est connue pour recouvrir les murs de la planète de pochoirs géants inspirés de broderies traditionnelles. C’est donc assez logiquement que la street-artiste a posé ses bombes à Calais, mi-septembre. On lui doit cette fresque réalisée sur une façade juste en face de la Cité de la dentelle et de la mode. Ce motif reproduit un échantillon Leavers daté de 1904, et conservé dans les archives du musée. Des années qu’on vous le serine : la brique, c’est chic ! @ NES.POON

© Drew Evans

TRAVAIL À LA CHAÎNE Privés de Paris-Roubaix cette année, on pourra toujours se consoler (un peu) devant les œuvres de Drew Evans. Métallurgiste de formation, cet Américain récupère des chaînes ou des pignons de vélo pour réaliser d’étonnantes sculptures. Arbres, bustes féminins, hippocampes, organes vitaux... c’est peu dire que notre homme en a sous la pédale. @CHAINBREAKERWELDING

TELEX Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’être humain évolue toujours : des chercheurs australiens assurent que 30 % d’entre nous ont une artère en plus dans le bras. 7 Selon une étude américaine, les automobilistes plébiscitent les couleurs fades : le blanc, le gris… 7 L’Institut Marquès de Barcelone a découvert que les fœtus préféraient la musique classique au rock.



Work From Home © Henri Vézina

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SAPÉS COMME JAMAIS C’est la grande question du moment. Quand va-t-on trouver un fichu vaccin contre le Covid ? Non, plus grave : comment rester digne en télé-travaillant ? Les petits génies de la marque canadienne Henri Vézina se sont durement creusé les méninges pour sortir une ligne de vêtements adaptés aux visioconférences. Classe en haut (costume-cravate) et décontractée du bas (short), la collection The Work From Home allie standing et confort. Un claquettes-chaussettes de luxe en somme. HENRIVEZINA.COM

L’art, c’est le pied. La marque américaine Opening Ceremony l’a bien compris, et s’associe à Vans pour lancer deux paires de sneakers aux couleurs de Magritte. L’une reproduit Les Amants et son couple s’embrassant le visage couvert d’un drap, l’autre la pomme masquée de Souvenir de voyage. Un sacrilège ? Plutôt un joli clin d’œil de la pop culture à l’un des maîtres du xxe siècle. Comptez tout de même 95 € pour adopter cette démarche surréaliste. © Drew Evans

© The Magritte Foundation x Vans

EN GRANDES POMPES

OPENINGCEREMONY.COM

TELEX À Singapour, John Ye a ouvert "Just Ants", le premier magasin à vendre des fourmis comme animaux de compagnie. 7 Une machine à écrire, un stylo et 18 millions de dollars en liquide : voilà ce qu’a découvert le neveu de Pablo Escobar dans une maison de son oncle à Medellin. 7 Sinon, Jean-Claude Vandamme a sauvé une petite chihuahua sans papier d’une mort certaine.



© Alekksall

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A

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Daddy K7

Mulann


LE RETOUR DE LA K7 ? On rembobine ! Le saviez-vous ? C’est en Belgique qu’est née la cassette audio. En l’occurrence à Hasselt, en 1963. On doit cette invention à l’ingénieur flamand Gilbert Mestdagh, qui travaillait pour Philips. De là à taxer son come-back de surréaliste, il n’y a qu’un pas. Tué par le CD, lui-même enterré par le numérique, ce symbole anachronique de la pop culture bouge encore. Selon une étude du site spécialisé Buzzangle publiée l’an passé, ses ventes auraient augmenté en 2018 de 19 % aux USA, et de 125 % au Royaume-Uni ! Ce "revival" serait stimulé par la K7 de la BO des Gardiens de la Galaxie et l’esthétique vintage de la série Stranger Things. D’ailleurs, certains ont pris la balle au bond. De Björk à Madonna, en passant par Eminem, quelques artistes en vue (re)publient leurs albums sous ce format. Mais pourquoi ressortir un walkman ou ghetto-blaster encombrant, à l’heure du Smartphone et de la musique illimitée ? Est-il question d’un sursaut fétichiste, destiné à un public éclairé ou d’un vrai retour au support physique ? En attendant le réveil du Minitel, on enclenche le magnéto avec Daddy K7, artiste rétromaniaque, et Jean-Luc Renou, un entrepreneur qui a toujours la fibre.

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© Daddy K7 / DR

J’me présente, je m’appelle Henry.

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interview Propos recueillis par Julien Damien

A

DADDY K7

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Bande à part

Protect the Tape ! Tel est le mantra d’Henry Debay, aka Daddy K7. Fasciné par les cassettes audio, le Bruxellois en a récupéré des milliers. Cet artiste de rue les utilise désormais pour créer des performances et favoriser les rencontres durant les festivals. Attention, on appuie sur "play"... En quoi la cassette te séduit-elle ? Ce n’est pas tant la qualité sonore mais l’objet qui me fascine. Aujourd’hui la musique, comme un tas d’autres choses, est totalement dématérialisée. C’est donc chouette de lui redonner "corps". Il y a aussi ce côté madeleine de Proust. Ayant 38 ans, j’ai bien connu son heure de gloire. Et puis, je pose aussi la question de l’obsolescence. On a une responsabilité par rapport aux ressources utilisées pour fabriquer ces cassettes. On ne peut pas les recycler, or le stock est énorme ! À quels souvenirs te renvoie-t-elle ? Plus jeunes, on réalisait tous nos propres compilations, en enregistrant la radio ou en piratant des albums. On pouvait en offrir à une

Tape Lab © Daddy K7 / DR

fille, par exemple (rires). C’était comme la BO de notre vie. La cassette est un objet chargé d’émotion. On la ressent en fouillant dans mon stock : des gens ont passé du temps à créer leur compil, dessinant parfois leur petit logo... La trace humaine est palpable.

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Ce n’est pourtant pas le moyen d’écoute le plus pratique. Il faut rembobiner... Oui, si tu veux réécouter le début d’une chanson, tu attends ! En cela la cassette ressuscite ces petits moments suspendus qui ont disparu de notre quotidien. Aujourd’hui, on zappe de manière frénétique. La technologie devait nous offrir du temps. Au final on bosse plus, toujours plus stressés... Les capacités de la cassette sont aussi limitées par rapport au Smartphone... Peut-être, mais cette promesse de discothèque illimitée est un mythe.

Le fameux mur du son.

Le choix est tellement vaste que tu n’écoutes plus rien, ou alors tu te laisses guider par les algorithmes des platefor mes de streaming. Celles-ci te dirigent vers 1 % des artistes les plus suivis ou ceux que tu es susceptibles d’aimer... Il reste peu de place pour la découverte.

« LA CASSETTE A UNE DURÉE DE VIE TRÈS LONGUE. » A contrario, la cassette rend la surprise possible. En explorant un bac, tu te laisses facilement tenter par un packaging louche. Et puis, la cassette est hyper-solide, elle a une durée de vie très longue. (ndlr : il en fait tomber une par terre). Tu vois, elle est intacte, je ne suis pas sûr que ton téléphone survivrait à cette chute.

© Daddy K7 / DR

Et puis, si un jour Internet disparaît, au moins on aura sauvé quelques trucs.


Assiste-t-on vraiment à un "revival" et pourquoi ? À en croire les chiffres oui. Le film Les Gardiens de la Galaxie, où le héros ne quitte jamais son baladeur, a dû y contribuer. De mon point de vue, il y a deux marchés : "collector" d’abord. C’est par exemple Metallica qui ressort un album en K7. Tous les fans vont se la procurer, sans même l’écouter, comme avec le vinyle finalement. La moitié de ces achats n’est même pas déballée !

« JE NE SAIS PLUS OÙ LES RANGER »

© Daddy K7 / DR

Et puis il y a un second secteur, plus underground : celui de la musique indé, expérimentale. Certains groupes vendent leurs bobines

comme des goodies à la sortie de leurs concerts. Tu peux les glisser dans ta poche plus facilement qu’un disque ! Que trouve-t-on dans ton stock ? Entre 20 et 30 000 pièces... j’ai arrêté de compter ! Pour tout dire je n’en cherche plus, je ne sais plus où les ranger. Je ne suis pas très regardant quant au contenu, révélant des compilations réalisées par des quidams autant que des enregistrements originaux. Que fais-tu avec ces cassettes ? Je suis issu du théâtre de rue donc, naturellement, je m’en sers pour créer du lien avec le public. J’ai plusieurs formules, comme la dédicace – d’où le nom, Daddy K7.

Le Tape Cycle en connaît un rayon. Colorama - Yinka Ilori X Vincent Milou © Adrien Battez


Back dans les bacs.

© Daddy K7 / DR

© Julien Pitinome Collectif Œil

J’invite les gens dans ma station d’écoute : ils y cherchent un morceau, le calent et le dédient à quelqu’un. On émet ensuite ce son de manière très locale en FM, sur le site du festival. On a aussi fondé le Tape Lab, incitant les gens à créer des œuvres avec des K7, comme des guirlandes ou même des installations monumentales ! On a enfin une version déambulatoire avec un petit soundsystem installé sur un BMX... Quels sont tes projets ? En sortant du confinement j’ai créé une radio communautaire. On réalise des mixes avec nos K7, ponctués d’interviewes. Par exemple,

j’ai récupéré un lot de démos envoyées à l’occasion d’un vieux concours de jeunes talents belges. Un ancien animateur de Radio 21

« SI INTERNET DISPARAÎT, ON AURA SAUVÉ QUELQUES TRUCS. » a pioché dedans et découvert les débuts d’artistes, dont certains ont bien percé. Idem avec un collectionneur du hip-hop belge. Avec eux, on va raconter une histoire de la musique différente. Et, paradoxalement, on écoutera ces émissions sur Internet ! À VISITER

/ www.daddyk7.be style – 20



A B

Jean-Luc Renou, PDG de Mulann Industries, Avranches.

MULANN

Champ magnétique Plus de vingt ans après l’arrêt de la production française et l’émergence du CD (là, on vous expliquera plus tard…), une entreprise ressuscite la bonne vieille cassette audio. Spécialisée dans la fabrication de bandes magnétiques (pour les cartes bancaires par exemple), Mulann Industries regarde dans le rétro depuis fin 2018. Située à Avranches, une ville de 10 000 âmes en Normandie, cette PME emploie 33 salariés et exporte ce support mythique dans une trentaine de pays ! Visite guidée en rewind, play et forward.

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Machine Ă enrouler les bandes magnĂŠtiques.


6 C’est entre le Mr Bricolage et l’hypermarché Leclerc d’Avranches que luisent les lettres bleu pâle sur fond blanc de Mulann Industries. Dans ce décor de périphérie urbaine semblable à tant d’autres, se niche la seule entreprise au monde à concevoir des cassettes audio, sous la marque Recording the Masters. « Quand j’ai relancé cette production, les gens se sont vraiment demandé pourquoi », sourit Jean-Luc Renou, le PDG.

« NOUS LES EXPORTONS PARTOUT SUR LA PLANÈTE. » À bien y regarder son pari n’est pas si fou, et l’intérêt pour la vieille K7 bien réel. « Aujourd’hui nous en produisons 3 000 par mois, de 60 et

90 minutes, et les exportons partout sur la planète. Aux États-Unis, au Japon et dans des pays plus improbables comme l’Ouzbékistan, Israël ou l’Iran », poursuit notre hôte, en brandissant une cassette vierge et toute pimpante dans son emballage. Il l’a nommée "Fox", comme ferro-oxyde, la matière première du pigment magnétique utilisé pour la fabrication de nos bandes audio, mais aussi comme "renard" en anglais, c’est-à-dire rusé...

Sur bonne écoute – Pourquoi cet attrait si soudain pour un objet, il faut le dire, pas forcément pratique ? « C’est un support iconique, un outil de création musicale et de "community building", résume l’entrepreneur. C’est l’histoire du jeu style – 24


de société survivant au jeu vidéo, de l’album-photo qu’on ressuscite parce qu’on ne regarde plus les photos numériques sur son ordinateur ». En somme, c’est un objet plus personnalisé et offrant, comme le disque vinyle, une écoute différente. Quand Spotify ou Deezer privilégient le zapping, « avec une cassette, vous parcourez l’ensemble d’une œuvre, tout un album ». C’est ce plaisir oublié que JeanLuc Renou veut désormais révéler aux jeunes générations.

Wind of Change – Il reste toutefois difficile de dresser un profil du client standard. Le PDG de Mulann

Baladeur et cassette de la marque Recording The Masters, créés par Mulann Industries, Avranches.

Alain, technicien de production et de maintenance travaille à l’enroulement de bandes magnétiques.

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Bande magnétique audio.

parle d’audiophiles, séduits par une autre qualité de son. « Le numérique est plus propre mais froid, voire cristallin. Le son analogique est certes imparfait, car il y a un bruit de fond, mais il est rond et chaleureux », souligne-t-il. Ainsi, de plus en plus de groupes s’intéressent à ce grain particulier, et frappent à la porte de Mulann. « Je les accompagne en trouvant un partenaire, des producteurs... Plus il y aura de projets, et plus il y aura de bandes audio ! », s’exclame le patron. Certaines stars planétaires, comme Eminem, ont aussi senti le vent tourner et sortent leurs nouveaux albums sur vinyles ET casÀ VISITER

/ corporate.mulann.com

settes. Ce phénomène stimule le marché et ceux qu’on appelle les "réplicateurs", soit les créateurs de cassettes enregistrées.

« LE SON D’UNE CASSETTE EST ROND ET CHALEUREUX. » « Ce sont d’ailleurs eux nos plus gros clients, ils représentent 90 % des acheteurs », précise Jean-Luc Renou, qui compte bien développer son marché et conquérir un public jeune et créatif. Pour cela, il s’est lancé en début d’année dans la production de baladeurs. Un coup à plusieurs bandes, donc… Texte & photo Elisabeth Blanchet

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Paul Griffiths


ERIKA IRIS SIMMONS Sacrées bobines 6 Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme – oui, parfois on cite des chimistes guillotinés dans nos articles. En tout cas, Erika Iris Simmons a bien fait de conserver son bric-à-brac. C’était il y a une dizaine d’années. « Je n’avais plus d’argent et devais créer quelque chose pour m’en sortir, se rappelle-t-elle. J’ai fouillé tous les tiroirs de ma maison pour trouver du matériel. Je suis alors tombée sur une vieille cassette... ». Et voilà le résultat ! Vous l’aurez compris, cette Américaine déroule des bandes magnétiques antédiluviennes (audio ou vidéo) pour brosser le portrait des artistes qui les hantent. Intitulée Ghost in The Machine, cette série célèbre les fantômes de Jimi Hendrix (sa première œuvre), Bob Dylan, Prince, The Clash, John « INSCRIRE LE PASSÉ Lennon... Nostalgiques (difficile de trouver DANS L’AVENIR. » une K7 de "millennials"), ces images sont réalisées sans trucage numérique (ça aurait été un comble). Un peu de colle, une paire de ciseaux, et le tour est joué. Comme son sujet, la technique est donc "old school". La Chicagoane nourrit ainsi une certaine fascination pour ces totems pop archaïques, cherchant à « inscrire le passé dans l’avenir ». Auteure de compilations dans sa jeunesse (comme tout le monde dans les années 1980), elle juge ces reliques « plus humaines, et même interactives ». Et peut toujours compter sur quelques dons pour se procurer sa matière première. « Eh oui, l’heure est au recyclage, dit-elle. D’ailleurs, on devrait tous réutiliser un peu plus nos déchets, ils ont tellement de potentiel ». Promis, on arrête de tout jeter ! Julien Damien À VISITER –

ww.iri5.com w instagram @erika_iris_art

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Bob Marley


Jimi Hendrix


Post Malone


Elvis Costello


Lauryn Hill


The Clash


FOCUS MOTS ET SONS

Accords parfaits

JANIS

© Baron Wolman

Le Manège fait rimer mots et sons. À Maubeuge (et ses alentours), la scène célèbre les musiques d’hier et d’aujourd’hui à travers des spectacles bien contemporains. Du portrait chanté de Nina Simone traduisant le long combat des minorités, aux incantations insurrectionnelles de Delgres, ces histoires s’écoutent comme elles se vivent. La preuve par quatre.

Que reste-t-il de Janis Joplin, disparue il y a pile 50 ans ? Un timbre grave et éraillé, des tubes immortels (Summertime, pour n’en citer qu’un) et une époque, marquée par le rock et l’avènement des hippies. C’est tout cela que Nora Granovsky et la compagnie BVZK parviennent à ressusciter. Sur scène nous accueille une comédienne, persuadée d’être la réincarnation de l’icône américaine. Le récit mêle son rapport à Joplin et des éléments biographiques, intimes. Peu à peu la magie opère. Les mots se mêlent à la musique. Accompagnée d’un instrumentiste, l’interprète entame une troublante métamorphose... jusqu’à devenir Janis. J.D. Maubeuge, 03.11, Le Manège, 12 / 9 €, horaires : lemanege.com Lille, 07 & 08.11, maison Folie Wazemmes sam : 18 h • dim : 15 h, 10 / 6 €, maisonsfolie.lille.fr Hénin-Beaumont, 08.01.2021, L’Escapade, 20 h, 12 / 9 €, www.escapadetheatre.fr Mons, 08.03.2021, maison Folie, 21 h,15 > 5 €, surmars.be


En 1802, l’Antillais Louis Delgrès est colonel de l’armée française depuis 15 ans. Métis, il est également un fervent abolitionniste. Anticipant une défaite lorsque les troupes napoléoniennes débarquent pour rétablir l’esclavage, il se suicide à l’explosif avec 300 compagnons. Ce grand boum sera suivi d’échos, dont le dernier prend la forme d’un mariage musical entre la Louisiane et la Guadeloupe. Le groupe Delgres scelle ainsi l’alliance entre le blues américain et les carnavals antillais, l’anglais et le créole, pour une musique insurrectionnelle. T.A. Feignies, 13.11, Espace Gérard Philipe 12 / 9 € // Tourcoing, 14.11, Le Grand Mix, 17 h 30, 20 > 6 €, www.legrandmix.com

PORTRAIT DE LUDMILLA EN NINA SIMONE La Comédie de Caen défend une belle idée : honorer de grandes figures à travers des créations itinérantes. Ici, David Lescot se penche sur le cas de Nina Simone, et offre un rôle taillé sur-mesure pour Ludmilla Dabo. La comédienne et chanteuse biberonnée au jazz et à la soul retrace la vie et les combats de la diva afro-américaine, dont l’entrée lui fut interdite au conservatoire pour sa couleur de peau. Un vibrant portrait chanté. J.D. Aulnoye-Aymeries, 19.11, Théâtre Léo Ferré, 12 / 9 €, horaires : lemanege.com Amiens, 24.11, Maison du Théâtre 14 h 30, 15 > 5 €, www.amiens.fr Calais, 27 & 28.11, Le Channel 7 €, horaires : lechannel.fr

STEPHAN EICHER Stephan Eicher, ce fut d’abord des expérimentations électroniques (Spielt Noise Boys, Grauzone), un adoubement sauvage (Cabaret Voltaire a repris un de ses titres) puis des tubes en pagaille. Ces albums impeccables, soignés, sont ouverts aux quatre vents et chantés en anglais, français ou allemand. Enfin, ce sont des amitiés solides – dont celle avec Philippe Djian, qui signe la majorité des titres de son dernier album en date, Homeless Songs. Des chansons sans domicile fixe où il fait bon s’abriter. T.A. Maubeuge, 24.11, La Luna, 20 > 10 €, horaires : lemanege.com Lille, 02.12, Théâtre Sébastopol, 53 > 39 €, horaires : www.theatre-sebastopol.fr Maubeuge & alentours, 03 > 24.11, Le Manège, La Luna & divers lieux 20 > 9 €, www.lemanege.com * sous réserve des conditions sanitaires musique – 37

FOCUS MOTS ET SONS

© Tristan Jeanne-Valès

© Pierre Wetzel

DELGRES


La Jungle © DR

PREMIER DEGRÉ - CONCERTS ÉVIDENTS Où écouter la trap technoïde d’Angle Mort et Clignotant ? Quelle question... Dans un garage automobile, bien sûr ! La Jungle ? Au milieu d’une serre végétale, pardi ! On vous le donne en mille, le duo electro-jazz Glass Museum s’apprécie... sous une majestueuse verrière, en l’occurrence celle du FRAC. Bon, vous avez saisi l’astuce : à chaque groupe un lieu résonnant avec son blase. On doit cette excellente idée aux programmateurs des 4 Ecluses qui, en cette période "compliquée" pour la musique live, jouent la carte de l’humour. Soit des balades improbables à Dunkerque, pour autant de concerts évidents. J.D. Dunkerque, 07.11 > 10.12, divers lieux, 19 h, 8 €, 4ecluses.com / 07.11 : Angle Mort & Clignotant au garage Toyota // 20.11 : Glass Museum au FRAC // 10.12 : La Jungle dans la serre végétale du Lycée agricole de Dunkerque

PROGRAMME

© Sam Wood

WARMDUSCHER En allemand, ein Warmduscher, c’est un crétin, une mauviette, un pauvre type. L’insulte est reprise en étendard par une poignée d’Anglais guère conformes à l’idéal masculin : on y retrouve des membres de Childhood, Paranoid London et Fat White Family. Surprise, en dépit d’une vie dissolue et de l’apparence totalement bordélique de l’ensemble (un truc à faire passer Happy Mondays pour des Jésuites) c’est avec soin que la bande malaxe pop déglinguée, funk psychédélique et disco désaxée – gut. T.A. Bruxelles, 02.12, Botanique, 19 h 30, 10,50 / 7,50 €, botanique.be * sous réserve des conditions sanitaires

musique – 38



© Jérôme Lobato

YELLE

6 Yelle, ce fut d’abord le rafraîchissant Je Veux te voir (2005), tube souterrain et réponse féministo-marrante au machisme de TTC, bâtards sensibles mais pas toujours finauds. La suite ? Une histoire de malentendus. Égérie malgré elle de l’éphémère vague fluokids, Julie Budet se vautrait dans le fun à tout prix. Résultat : un carton outre-Atlantique (trois Coachella, quand même) mais un duo avec Fatal Bazooka dans nos contrées. Mise en abyme : la trentenaire s’avoue épuisée par les gratte-papiers ne nommant que les deux morceaux cités plus haut… Certes, mais après Parle à ma main, on s’est forcément désintéressé de la suite. On avait peutêtre tort, à l’écoute de Je t’aime encore, vraie grande chanson et fausse déclaration d’amour, qui évoque surtout ce rendez-vous manqué avec son pays. Après tout, Yelle se situe dans les pas d’Elli & Jacno : faussement superficielle et profondément mélancolique. C’est bien, parfois, de revenir sur des certitudes. Thibaut Allemand Tourcoing, 06.11, Le Grand Mix, 17 h 30, complet !, legrandmix.com Bruxelles, 17.12, La Madeleine, 20 h, 25 €, la-madeleine.be * sous réserve des conditions sanitaires musique – 40



@ Antonio Olmos

BEN WATT Automnales mélodies Une pop de mi-saison, aux accents mélancoliques, saupoudrée d’une pincée de Supertramp et d’un soupçon de John Lennon : voici le terrain où excelle l’ex-Everything But The Girl. On mesure toute la délicatesse de Ben Watt dans son dernier opus, le mirifique Storm Damage. Un folk élégant et une indie-pop fragile, progressivement phagocytés par des caresses électroniques. Oui, l’équilibre miraculeux d’Everything But The Girl nous manque comme la pluie aux déserts. Heureusement, les membres de ce duo essentiel des années 1990 nous donnent toujours des nouvelles. En 2018, Tracey Thorn signait avec Record l’équivalent musical de son autobiographie et, l’année suivante, son comparse Ben Watt poursuivait sa route avec l’un de ses meilleurs albums. Storm Damage conjugue les envolées de Hendra aux tempêtes intérieures et automnales de Fever Dream, tout en faisant la part belle au piano. Des touches sur lesquelles Ben Watt déploie d’ailleurs son singulier sens de la chanson pop. Mélancolique, son songwriting s’accorde à merveille à son timbre. Le Londonien révèle un talent rare pour les mélodies, dont l’efficacité ne dément jamais la finesse. Sur la superbe Festival Song, il évoque le frisson de la musique partagée avec des inconnus. On a d’autant plus hâte de vivre ces petits miracles en direct. Enfin, on l’espère… Rémi Boiteux Bruxelles, 10.11, Botanique (annulé !) À ÉCOUTER /

Storm Damage (Unmade Road / Caroline) musique – 42



© Pascal Schyns

BENJAMIN SCHOOS & THE LOVED DRONES Ni sur ses lauriers, ni ailleurs. Benjamin Schoos ne se repose jamais. Âme du label Freaksville Records, "boss" de Radio Rectangle, il se produit en usant de son nom, mais aussi celui de Miam Monster Miam, accompagnant à l’occasion Lio, Jacques Duvall, Laetitia Sadier, Damo Suzuki… Le Liégeois s’autorise à peine un café. Résultat ? Une discographie longue comme une transition entre deux gouvernements belges (c’est dire). Pour ce concert au Botanique, il mêle chant et ventriloquie, bien chaperonné par les Loved Drones. Et se place un peu plus dans les pas de Scott Walker et Burt Bacharach – excusez du peu. T.A. Bruxelles, 12.11, Botanique, 19 h 30, 10,50 / 7,50 €, www.botanique.be

© Bruit Blanc

YOLANDE BASHING Entre techno et chanson, loufoquerie et mélancolie, Baptiste Legros a choisi de ne pas choisir. Tant mieux ! Déjà fort d’un EP (Ma République) et d’un album (Yolande et l’amour) hautement recommandables, le Lillois continue de creuser cette veine pop brindezingue avec quatre nouveaux titres psychés . Au programme ? Synthés détraqués, spoken-word édenté (qui ne déplairait pas à Odezenne), textes à double tranchant... entre autres détours de piste. J.D. Marcq-en-Barœul, 17.11, Théâtre Charcot, 18 h 30 9 > 5 € www.marcq-en-baroeul.org (Festival Haute Fréquence) * sous réserve des conditions sanitaires



© DR

NICOLAS MICHAUX Pop en stock Ce n’est pas un scoop : la scène rap belge est en pleine effervescence. Pourtant, au royaume de Damso, on sait encore parler (et plutôt bien) la langue de Daho ou d’Arno. En témoigne le Liégeois Nicolas Michaux, signataire du récent Amour Colère, l’un des meilleurs albums pop de cette drôle d’année 2020. Avec la recette de la croquette de crevettes, c’est l’un des secrets les mieux gardés du plat pays – pour dire, il n’a même pas de fiche Wikipédia ! En 2016 pourtant, l’affaire avait été sérieusement éventée avec la sortie d’À la vie, à la mort et un tube éponyme ayant fait le tour de la planète. Déjà, Nicolas Michaux laissait entrevoir une belle souplesse musicale, réussissant le grand écart entre une chanson française précieuse (pensez Albin de la Simone) et l’indie-pop décomplexée d’un Mac DeMarco. Quatre ans plus tard, le Liégeois persiste et signe. Amour Colère a été conçu artisanalement, dans la solitude de sa petite ferme de l’île danoise de Samsø où il s’est exilé, l’homme étant multi-instrumentiste. Pratique en temps de confinement, cette autonomie sert aussi une certaine liberté, chère à Andy Shauf ou Connan Mockasin – des références assumées. En résultent dix titres kaléidoscopiques entonnés dans la langue de Molière et de Shakespeare, outrepassant une ambition simplement francophone. Le Belge réveille ainsi dans un même disque les fantômes de Talking Heads (Parrot), Neil Young (Harvesters) ou Bashung (Une Seconde chance), grâce à une recette qui a fait ses preuves : à la fois dure et tendre. Julien Damien Bruxelles, 31.10, Botanique (mini-concert + livestream), 19 h 30, 10 > 2 €, botanique.be Lille, 15.11, La Bulle Café, www.agauchedelalune.com (reporté au 01.10.2021) Liège, 12.11, Reflektor, www.reflektor.be (reporté au 07.10.2021) À ÉCOUTER

/ Amour Colère (Capitaine Records)

musique – 46



Quoi de neuf ? ??

© Bastien Burger

Nous nous sommes tant aimés… et nous ne vieillirons pas ensemble. Mais, qui sait ? Il est de ces artistes dont on s’amourache au premier essai, avant de s’en lasser, de s’en détourner. On les retrouve plus tard, certes changés, mais avec toujours ce je-ne-sais-quoi qui nous fait replonger. Thibaut Allemand

BERTRAND BELIN On se souvient de ses premiers essais. Une orientation chanson française, sage et bien coiffée, par ce guitariste de scène pour -M- ou Bénabar. Puis il y eut Hypernuit (2008) qui le plaçait dans les pas de Bill Callahan – mêmes timbre sépulcral et narration tordue. Depuis, le Morbihannais joue avec les mots, les répète jusqu’à l’absurde à la façon des poètes Charles Pennequin ou Christophe Tarkos. La voix, elle, évoque aussi Yves Montand… que Belin a repris récemment. Au théâtre d’Arras, il revisite son propre répertoire avec les Percussions Claviers de Lyon, histoire de vous surprendre un peu plus… mais ça fait partie du jeu, non ? Boulogne-sur-Mer, 13.11, Théâtre Monsigny, 10 €, horaires : ville-boulogne-sur-mer.fr Arras, 25.11, Théâtre, 22 / 12 €, horaires : tandem-arrasdouai.eu


© Mathieu Cesar

© Jules Faure

JEAN-LOUIS MURAT

BENJAMIN BIOLAY

On se souvient de ses premiers essais. Une orientation chanson française, sage et bien coiffée, par ce crooner aux yeux bleus délavées accompagnant Mylène Farmer. Puis il y eut Dolorès (1996) et quelques sans-fautes. Depuis, le sexagénaire semble intouchable, et même si sa propension à se prendre pour Neil Young fait sourire, avouons que l’Auvergnat est opiniâtre : un album par an, façon Woody Allen. Alors, il faut aimer les phrases fielleuses et la mauvaise humeur… mais ça fait partie du jeu, non ?

On se souvient de ses premiers essais. Une orientation chanson française, sage et bien coiffée, par ce fils d’ouvrier lyonnais affublé d’une image de petit bourge qui lui colle à la peau. Trash Yéyé (2007) étonna et La Superbe (2010) transforma Biolay en icône de la pop française. Las, depuis, le meilleur ennemi de Luz joue l’écorché vif et, entre deux passages au jury de La Nouvelle star, se prend pour un sicario sous le soleil de Buenos Aires. C’en est franchement risible. Mais ça fait partie du jeu, non ?

Lille, 12.11, L’Aéronef, 18 h 45, 26 > 19 € www.aeronef.fr

Lille, 15.11, Théâtre Sébastopol, 19 h complet !, www.theatre-sebastopol.fr

ARNO On se souvient de ses premiers essais. Ah non, en fait : on était trop jeune. Mais Arno n’a jamais été sage ni bien coiffé. Et l’orientation chanson française est venue plus tard, pour mieux la tordre, d’ailleurs. Naviguant entre attitude punk rock et tradition francophone, ses chansons sont rugueuses, mal élevées, mais toujours vivantes. Et prennent une nouvelle allure sur scène, où il faut le (re)découvrir – ses disques rendant rarement justice à son talent. Eh oui, ça aussi, ça fait partie du jeu. Mons, 12.11, Théâtre Royal (reporté au 09.11.2021) Lille, 06.01.2021, Théâtre Sébastopol, 20 h, 46 > 40 €, www.theatre-sebastopol.fr * sous réserve des conditions sanitaires

musique – 49


Flavia Coelho © Youri Lenquette

FESTIVAL HAUTE FRÉQUENCE Ondes de choc 7 Durant trois semaines, des concerts à prix cassés aux quatre coins des Hauts-de-France : c’est tout le principe de ce festival mis sur pied par la Région (évidemment, "dans-le-strict-respect-des-gestes-barrières"). De Kery James aux Wampas, de Brigitte Fontaine aux Têtes Raides, 70 groupes ou artistes ont répondu présent pour cette cinquième édition. À la rédac’, on a déjà nos places pour David Walters. D’origine antillaise, l’homme fut remarqué en assurant (excusez du peu) les premières parties de David Bowie, et sait réchauffer une salle comme personne avec son folk mâtiné d’electro-soul (jetez donc une oreille à Soleil Kréyol). Tenez, un peu comme Flavia Coelho. La Brésilienne a déniché l’écrin idéal au Métaphone de Oignies (imaginez, une salle-instrument) pour croiser rythmes auriverdes, reggae et forrò. Enfin, on ne manquera pas This is The Kit et la pop acidulée de Paprika Kinski, au Grand Mix de Tourcoing, histoire d’oublier un peu la morosité de ce drôle d’automne... J.D. Hauts-de-France, 04 > 29.11, divers lieux, 17 > 4 €, www.haute-frequence.fr / 07.11 : Louis Aguilar • Kery James // 13.11 : Brigitte Fontaine • Thomas Fersen • Blick Bassy • Sages comme des Sauvages // 14.11 : Elmer Food Beat • Bachar Mar-Khalifé 17.11 : Laake + Yolande Bashing // 19.11 : Les Hurlements d’Léo // 20.11 : Clarika • Les Têtes Raides • Nach // 21.11 : Flavia Coelho // 28.11 : This is The Kit + Paprika Kinski 29.11 : David Walters... SÉLECTION

musique – 50



Force majeure

Où l’on se doit d’évoquer le Covid, devenu plus qu’un marronnier (on espère qu’il ne reviendra pas chaque année). Ce fichu virus domine notre quotidien avec son cortège de masques chirurgicaux ou de gel hydro-alcoolique. Dans un tel contexte, a-t-on vraiment envie d’écouter un groupe nommé… Catastrophe ? Eh bien oui. Ce nom, qui renvoyait naguère à la collapsologie, est tristement d’actualité. Or ce concert, à la fois reporté en avril 2021 et maintenu le jour dit en petit comité (assis dans une configuration entourant la scène) est une bouffée d’air frais ! Le collectif mixte, signé chez Tricatel, réenchante le monde. Oh, la formule est facile et usée, mais il suffit d’écouter un morceau comme Encore, en ouverture de leur dernier LP, pour reprendre foi en la vie. Vêtus de combinaisons colorées aux faux airs de bleus de travail, ces six artistes renouent avec une forme, sinon délaissée, au moins décriée dans nos contrées : la comédie musicale. Mêlant littérature et pop musique, au sens le plus large possible, le groupe se revendique de Jacques Demy et Michel Legrand, des Talking Heads comme de Childish Gambino. Leurs morceaux évoquent plus d’une fois la pop virtuose de Supertramp (toujours pas réhabilitée, hélas) et la variété décomplexée d’un Michel Berger. Le tout sans aucun second degré – mais a-t-on vraiment l’occasion de ricaner, en 2020 ? Non. Le cynisme est oublié. Reste simplement le temps de savourer ces chansons qui nous font oublier, un temps, le fond de l’air – en ouvrant grand les fenêtres. Thibaut Allemand V ERSION «NUE» (CONCERT ASSIS) : Lille, 28.11, L’Aéronef, 18 h, 13 > 5 €, www.aeronef.fr CONCERT CLASSIQUE : Lille, 23.04.2021, L’Aéronef, 20 h, 19 > 11 €, www.aeronef.fr

© Etienne Daho

CATASTROPHE



© Goledzinowski

MOLÉCULE ACOUSMATIC 360°

6 Familier des concept albums nourris au grand air (sur un chalutier en haute mer, au Groenland) Romain Delahaye nous invite cette fois à un voyage immobile. Il s’est s’associé au créateur sonore Hervé Déjardin pour façonner un concert aux allures d’expérience sensorielle. Le duo est placé au centre de la salle, plongée dans l’obscurité, immergeant littéralement le public dans sa techno abrasive grâce à un son binaural – évidemment, c’est atomique. J.D. Lille, 05.12, L’Aéronef, 20 h, 26 > 19 €, aeronef.fr * sous réserve des conditions sanitaires

musique – 54



Compilation Deutsche Elektronische Musik 4 - Experimental German Rock and Electronic Music 1971- 83 (Soul Jazz Records)

Après trois impeccables volets consacrés aux défricheurs allemands, y avait-il encore quelque chose à compiler ? La réponse est oui. On retrouve évidemment des mastodontes (toutes proportions gardées) tels Can, Amon Düül II, Harmonia, Conrad Schnitzler, Agitation Free, Michael Rother. Or, c’est du côté des plus obscurs que les surprises sont de taille. Ainsi d’E.M.A.K., qui semble inventer la décennie dès 1981. Ou d’une comptine solaire signée Klaus Weiss. Ailleurs, on reste soufflé par les textes psalmodiés d’une voix inquiétante (entre Nina Hagen et Darkthrone) sur un drone orientalisant (flûte traversière, sitar…) par l’étrange collectif Kalacakra. Tout n’est pas totalement électronique. Virus s’inscrit dans un psychédélisme sombre façon Hawkwind, quand Et Cetera semble surgir de la campagne britannique. Une fois encore, la maison Soul Jazz ratisse large et démontre que labourer le même sillon peut être prolifique. On s’émeut toujours devant la capacité de la jeunesse germanique à inventer, dans un pays pas forcément riant, une musique hors des sentiers battus, et qui essaimera longtemps… La richesse du répertoire est telle que l’on s’imagine bien chroniquer un 18e volume d’ici quelques années. Thibaut Allemand

Les Ogres de Barback Chanter libre et fleurir (Irfan) La chanson française ne se résume pas qu’à sieur Daho et ses disciples - de plus en plus nombreux. Tenez, les Ogres de Barback. Décomposée et recomposée au fil de 25 ans de tournée (excusez du peu !), cette grande famille a creusé son propre sillon à l’abri des modes (ils s’autoproduisent et se distribuent). Une musique artisanale et festive, ouverte aux quatre vents, mâtinée de rock-punk, de sonorités tziganes et de textes aussi engagés que poétiques – un peu à la façon de Pierre Perret, entre autres amis. Ce double album live (servi dans un boîtier en carton sérigraphié, ça ne s’invente pas !) en offre un joli (dé)tour d’horizon. Accordéon pour les cons, Rue de Paname, Hé papa… Autant de classiques revisités, acoustiques ou électriques, mais collant toujours le même frisson. Julien Damien


Damien Satan & Eve

Eels Earth to Dora

(Ultimisme)

(PIAS)

Révélé jadis via Record

Il y a 25 ans, Mark Eve-

Makers (Air, etc.), le

rett sortait le premier

discret Damien signait,

album de Eels. Une

en 2012, Flirt. Soit un

longévité honorable

délicieux précipité de

marquée par un break

pop mâtinée de bossa-nova et de

au début de la dernière décennie, puis

pedal-steel, entouré de musiciens

d’un retour en force avec le torturé The

impeccables tel BJ Cole (Felt, Elvis

Deconstruction, en 2018. Avec Earth To

Costello, Luke Vibert, quel CV !) ou

Dora, le Californien livre un disque com-

l’incontournable Gonzales. Le disque

posé avant la pandémie, mais bien

évoquait alors les Mauvaises fréquen-

dans l’air du temps. Avec sa voix érail-

tations (1996) de Katerine. Navré

lée et les arrangements carillons / flûte

devant la caricature burlesque et

de l’ouverture Anything for Boo, Everett

cynique qu’est devenu le Vendéen,

tire ses inspirations chez Lou Reed. Mais

on se réjouit donc de voir en Damien

peu à peu, l’album se teinte d’une

une alternative bien plus classe, do-

folk plus sombre et se conclut avec

tée d’un sens du groove électronique

la complainte Waking Up où le chant

évoquant souvent Sébastien Tellier.

d’Everett vacille avant de s’éteindre.

Bref, il serait dommage, injuste et,

Seule exception : Are We Alright Again,

osons le mot, franchement criminel

semble chercher la lumière au bout du

de laisser dans l’ombre ce songwriter

tunnel – un titre paradoxalement écrit

habile et inspiré.

pendant le confinement. Hugo Guyon

Thibaut Allemand

Sufjan Stevens The Ascension (Asthmatic Kitty/Modulor) Dans la discographie de Sufjan Stevens, The Ascension a la lourde tâche de succéder à Carrie and Lowell, son chefd’œuvre de folk intime. En marge de ses albums solo, le prodige indie a multiplié les projets plus expérimentaux, et le pharaonique Age of Adz opérait la synthèse de ses facettes. Ce nouveau chapitre "officiel" se débarrasse de tout arrangement organique, pour servir un propos remonté contre l’Amérique de Trump. Sufjan s’arme de ses seules machines pour dire sa colère et surtout son spleen. On pense au virage opéré par Radiohead en son temps avec Kid A – en moins spectaculaire mais en plus profond. Si les premières écoutes engourdissent, on y discerne progressivement une pop-soul synthétique dans la veine du Blond de Frank Ocean. Un grand disque cafardeux. Rémi Boiteux disques – 57


Derf Backderf Kent State. Quatre morts dans l’Ohio (Çà et Là)

Mai 1970. À peine élu président d’une Amérique embourbée au Vietnam, Nixon étend le conflit au Cambodge. Opposés à la guerre, les étudiants donnent de la voix. Comme ailleurs, une manifestation éclate sur le campus de Kent State, dans l’Ohio, effrayant une classe moyenne et un Etat paranos face à la menace communiste. Le gouverneur envoie la Garde nationale pour "mater" la contestation. Bilan : quatre jeunes gens sont tués... Peu connue de ce côté-ci de l’Atlantique, cette histoire est racontée dans le détail par Derf Backderf. Scrupuleusement documentée, son enquête dessinée donne corps aux témoignages des victimes, militaires, responsables politiques ou universitaires. Révélé en 2012 avec Mon ami Dahmer, l’Américain retrace de son trait rond en noir et blanc caractéristique les événements (quasiment heure par heure) ayant conduit à l’impensable massacre – mais « salutaire pour tous les extrémistes » lancera "Richard la crapule". Au moment où le maintien de l’ordre pose question dans le pays de Trump (la répression de Black Lives Matter) ou même en France (celle des gilets jaunes), ce récit nous rappelle que l’Histoire, si elle ne repasse pas les plats, reste féconde de leçons. 288 p., 24 €. Julien Damien

Cyril Pedrosa & Roxanne Moreil L’Âge d’or, T.2 (Dupuis) Certes, on connaissait le talent de Cyril Pedrosa pour introduire de la lumière dans ses planches (Portugal, 2011). Mais on se souvient aussi du choc provoqué par le premier tome de L’Âge d’or (2018), dont le dispositif malin étonnait : un personnage évolue au sein d’une seule et même case, d’une seule et même planche. Oui, comme dans les tapisseries médiévales. L’effet, audacieux, saisissant et toujours à l’œuvre dans le second volet de ce diptyque, sied à merveille à cette histoire revisitant des topos littéraires médiévaux (princesse, chevaliers, trahisons, périple pour reconquérir un royaume…). Jouant avec les registres, L’Âge d’or possède ce je-ne-sais-quoi de modernité qui le place parmi les plus belles BD parues ces dernières années. 192 p., 32 €. Thibaut Allemand


F. Grolleau & N. Pitz Traquée. La cavale d’Angela Davis (Glénat)

Leïla Slimani & C. Oubrerie À Mains nues Vol. 1

En plein mouvement Black Lives Matter, voici une BD à la résonance singulière… Elle retrace, en 1970, la cavale d’Angela Davis, communiste, membre des Black Panthers et accusée d’avoir organisé une prise d’otage dans un tribunal. Dans les faits, cette traque dura deux semaines. Les auteurs relatent d’ailleurs une existence entière, débutée dans une société profondément réactionnaire et raciste. Ce sont ces USA que dépeignent Fabien Grolleau et Nicolas Pitz. Le scénario du premier est fouillé, documenté, et ses dialogues font mouche. Le dessin du second, réaliste sans excès, recrée cette Amérique prospère mais en crise des sixties. Un bel hommage à une femme d’exception, toujours active, et qui encourage les nombreuses luttes actuelles. 152 p., 22 €. Thibaut Allemand

Sa première incursion dans la BD ayant été largement saluée (Paroles d’honneur en 2017) Leïla Slimani récidive. Et reste fidèle à sa veine féministe en contant le destin de Suzanne Noël, pionnière de la chirurgie esthétique au début du xxe siècle. Le trait pictural de Clément Oubrerie restitue à merveille le Paris de la Belle Époque, tandis que les mots de l’autrice cernent avec pertinence la condition des femmes d’alors, entre mariage avec un "beau parti" et vie de bourgeoise oisive. Condition dont s’extirpera Suzanne, entamant tardivement des études de médecine et gagnant la reconnaissance de ses pairs en même temps que son indépendance. Concernant la chirurgie en revanche, on reste un peu sur sa faim. Ça tombe bien, ce n’est que le tome 1.

(Les Arènes BD)

104 p., 20 €. Marine Durand

Olivier Mak-Bouchard Le Dit du mistral (Le Tripode) Quelque part dans le Luberon, de nos jours. Suite à un violent orage, un vieux monsieur un peu bourru toque à la porte de son jeune voisin. Un mur de pierre, dans son champ, s’est éboulé. Au milieu des décombres surgissent des poteries semblant dater d’un autre temps. Les deux hommes vont alors s’improviser archéologues et déterrer des secrets enfouis depuis des lustres... Cette histoire a beau se dérouler en Provence, elle n’en prend pas des accents pagnolesques. Olivier Mak-Bouchard sait user des métaphores sans s’égarer, et a préféré nimber son premier livre de réalisme magique. Dans ce pays de contes et de légendes, les dieux tutoient le bon sens paysan et le présent ne s’éclaire qu’à la lueur du passé. Un beau roman sur l’amitié et la transmission. 360 p., 19 €. Julien Damien livres – 59


Dix de der © Didier Comès / Casterman


COMÈS Le monde du silence Un monument discret. Cet album est partout : chez tout amateur de BD qui se respecte, dans toute médiathèque ou CDI digne de ce nom. Chez les bouquinistes aussi, parfois – eh oui, certains inconscients s'en séparent, que voulez-vous… Cet album, c'est Silence. Comme un nom prédestiné : Didier Comès est trop rarement cité. Et c'est sur la pointe des pieds qu'il s'en est allé, en mars 2013. Le Musée BElvue de Bruxelles lui rend hommage. Pour célébrer le maître, les deux commissaires, Thierry Bellefroid et Éric Dubois, ont choisi une scénographie idéale où les albums, mis en regard, livrent différences et similitudes. Le parcours scrute l'œuvre de Comès, détaillant ses influences, ses techniques et ses choix artistiques. Son amour du noir et blanc, d'abord, qui n'a rien à envier à celui d'un Charles Burns © Olivier Boitet / Gamma Rapho ou d'un Hugo Pratt. Ce dernier, comptant parmi les amis du Belge, est d'ailleurs présent dans l’exposition, ainsi que Chabouté, autre compagnon et "fils spirituel". Muettes, ces planches en disent cependant long sur la sensibilité d'un artiste prompt à mettre en valeur les exclus et les marginaux qui restent dans… l'ombre. À l'instar du protagoniste de Silence (1980), ce jeune homme un peu simplet et sourd-muet, maltraité par des paysans, dans des Ardennes empreintes de sorcellerie.

La force du dessin – Lors des débuts de Comès, le terme "roman graphique" n'avait pas encore été popularisé par un autre amoureux du noir et blanc, Will Eisner. N'empêche, ce sont bien des romans sans

littérature – 61


Silence © Didier Comès / Casterman

paroles auxquels nous avons affaire, où le dessin guide la narration. Découpage, cadrage, rythme… tout tient dans ces cases, judicieusement reproduites en très, très grand format. De quoi plonger des heures dans le noir de l'encre de Chine ou rester ébloui, quelques instants, par ces blancs immaculés.

Jamais trop tard – Évidemment, Silence n'est pas la seule œuvre à mentionner lorsque l'on parle de Comès. Avant d'accéder à la reconnaissance, l'ancien percussionniste de jazz s'était fait la main au sein de Pilote, avait tâté de la SF et de la couleur avant de cultiver l'onirisme monochromatique. À la suite, il y eut La Belette, L'Arbre-cœur, La Maison où rêvent les arbres, Dix de Der… Autant d’albums à (re)visiter ici. Jamais, de son vivant, cet artiste discret n'avait eu les honneurs d'une exposition bruxelloise. L'affront est réparé et, si ce n'est déjà fait, foncez chez le premier bouquiniste pour acquérir l’œuvre, ô combien parlante, de ce génie du silence, de l'ombre et de la lumière. Thibaut Allemand COMÈS. D’OMBRE ET DE SILENCE

Bruxelles, jusqu'au 03.01.2021, Musée BELvue, lun > ven : 9 h 30–17 h • sam & dim : 10 h-18 h gratuit, www.belvue.be COMÈS À HUIS CLOS

Schaerbeek, jusqu'au 02.05.2021, Maison Autrique, mer > dim : 12 h–18 h, 7 > 3 € www.autrique.be littérature – 62



Š Malgosia Abramowska


ADN Retour aux sources Avec ADN Maïwenn livre, comme toujours, une œuvre très personnelle. Entourée d’une distribution étincelante (Louis Garrel, Fanny Ardant, Marine Vacth), l’actrice-réalisatrice filme l’histoire d’une femme à la recherche de ses racines. Entre rires et larmes, il est ici question d’amour, de deuil et de transmission.

De Pardonnez-moi (2006) à Mon Roi (2015), en passant par Le Bal des actrices (2009), Maïwenn parle de ce qui la touche. Ainsi, Polisse (prix du Jury à Cannes en 2011) abordait un sujet douloureux : les violences faites aux enfants. ADN ne déroge pas à cette règle. Elle incarne ici Neige, une jeune femme qui rend régulièrement visite à Émir, son grand-père algérien résidant dans un Ehpad. Elle admire ce pilier de la famille qui l’a élevée et protégée de ses parents toxiques. Les rapports entre les autres membres sont plus compliqués, mais elle peut compter sur le soutien de son ex. Heureusement, car la mort de l’aïeul déclenche une tempête familiale et une profonde crise identitaire chez Neige. Dès lors, elle part en quête de ses racines...

Tube à excès – Tout l’ADN du cinéma de Maïwenn est justement compris dans ce long-métrage : caméra à l’épaule, séquences survitaminées, narcissisme et sentiments exacerbés. On adore ou on déteste, mais ADN pourrait bien séduire les réfractaires. Plus posé, il interpelle par ses thèmes : la transmission, la recherche des origines. Si la cinéaste veut trop en dire en 1 h 30 (sur les personnes âgées, la famille, l’Islam, la guerre d’Algérie), le film convainc par sa sincérité, son humour et son casting – magnifique Fanny Ardant, hilarant Louis Garrel. Omar Marwan, dans le rôle du grand-père, est aussi bouleversant. Au final, Maïwenn signe sans doute son film le plus apaisé. Grégory Marouzé

De Maïwenn, avec elle-même, Louis Garrel, Fanny Ardant, Marine Vacth, Dylan Robert… En salle écrans – 65


© Apple

TED LASSO

En pleine lucarne

Débarqué du Kansas, Ted Lasso se voit confier les rênes d'une équipe de football londonienne. Problème : il ne connaît rien aux règles du "soccer". Au fil d'une saison tumultueuse, l'homme à la moustache devra percer les mystères du hors-jeu, ressouder un club et une communauté. Ancien membre du Saturday Night Live, mythique émission de sketches pour laquelle il avait inventé le personnage de Lasso, Jason Sudeikis n’est pas le mieux identifié des comiques américains. Abonné aux seconds rôles avant de tourner une poignée de films plus ou moins réussis avec Jennifer Aniston (Les Miller, une famille en herbe, 2013), il se révèle véritablement dans la figure bienveillante du coach Lasso. Peut-on faire rire avec de bons sentiments ? C’est presque le défi de cette série co-signée avec Bill Lawrence, le créateur de la sitcom Scrubs (2001-2010). S’amusant du décalage entre Anglais et Américains, Ted Lasso multiplie aussi les intrigues de vestiaire. C’est là, plutôt que sur le terrain, que se joue d’ailleurs l’essentiel. Traversée par la séparation, la défaite et le vieillissement, la série échappe à toute forme de naïveté. Son optimisme traduit une politesse, une façon d’affronter ce qui mine et détruit. Ni idiot ni cynique, Lasso est en ce sens un personnage détonnant dans la comédie contemporaine. Avec son petit sac à dos et sa coiffure impeccable, il rivalise de courage pour ne pas renoncer à sa part d’enfance. Raphaël Nieuwjaer De Bill Lawrence et Jason Sudeikis, avec Jason Sudeikis, Stephen Manas, Juno Temple (10 épisodes de 30 mn. Disponible sur Apple TV+) écrans – 66



SAINT MAUD Saint Maud, premier film de Rose Glass, a remporté quatre récompenses au Festival du Film Fantastique de Gérardmer (dont le Grand Prix) et donc un certain crédit. Si elle n’est pas tout à fait un film d’épouvante (il s’agit davantage du récit d’une névrose), l’œuvre en utilise codes et ambiances. L’histoire ? Maud, infirmière à domicile, s’installe chez Amanda, danseuse fragilisée par la maladie. Croyante, la jeune femme est fascinée par sa patiente. Tourmentée par les messages qu’elle pense recevoir de Dieu, notre héroïne se persuade d’accomplir une mission : sauver l’âme d’Amanda. Interprété avec force conviction, réalisé au cordeau et inspiré de classiques (tel Rosemary’s Baby), Saint Maud remet le cinéma de genre britannique au premier plan. Eprouvant, mais indispensable ! Grégory Marouzé De Rose Glass, avec Morfydd Clark, Jennifer Ehle, Lily Knight... Sortie le 25.11

Heure Exquise ! célèbre les héros de la pop et ceux qui les filment. Des débuts des Beatles racontés par Ron Howard au concert Ziggy Stardust & The Spiders From Mars immortalisé par D.A. Pennebaker (ne manquez par la conférence de Laurent Rieppi, en amont), cette programmation fait la part belle au documentaire musical. Évidemment, parmi ces soirées proposées dans toute la métropole lilloise, on (re)découvre Rize de David LaChapelle, qui captura presque par hasard l’émergence du krump, en 2004, dans un ghetto de Los Angeles. On s’arrête aussi au Grand Mix de Tourcoing pour voir le portrait de M.I.A brossé par Steve Loveridge, ou comment une enfant réfugiée du Sri Lanka s’est transformée en star internationale – celui-là, vous ne le trouverez pas sur Netflix. Julien Damien Lille, La Madeleine, Mons-en-Barœul, Roubaix, Tourcoing, jusqu’au 15.12 divers lieux, 8 € > gratuit, www.exquise.org Sélection / 01.12 : Ron Howard : The Beatles : Eight Days a Week // 08.12 : David LaChapelle : Rize // 09.12 : Steve Loveridge : Matangi / Maya / M.I.A. // 10.12 : D.A. Pennebaker : Ziggy Stardust & The Spiders From Mars (+ conférence de Laurent Rieppi)

© DR

© Angus Young-Saint Maud Limited The British Film Institute Channel Four Television Corporation 2019

MUSICVIDEOART !





ROY LICHTENSTEIN

Roy Lichtenstein, Reflections on Girl, 1990 Lithographie, sérigraphie, relief et collage en PVC métallisé avec gaufrage sur du papier Somerset moulé 114.6 x 139.1cm Collection Lex Harding © Estate of Roy Lichtenstein / SABAM 2020



L’INSTINCT DE REPRODUCTION Après Keith Haring, Andy Warhol ou David LaChapelle, le BAM s’attaque à une autre icône du pop art. À Mons, cette exposition dresse un portrait inédit de Roy Lichtenstein, et pas seulement en pointillé. Empruntant aux techniques de l’imprimerie et de la typographie, son œuvre s’inspira de l’imagerie populaire pour marquer en retour la culture visuelle occidentale. D’ailleurs, on l’oublie (ou l’ignore ?), derrière ces images saisissantes se cache un remarquable expérimentateur.

Roy Lichtenstein, ou l’histoire d’un malentendu ? Sans doute est-ce le propre de tous les visionnaires. Incompris en son temps (Life le taxa à ses débuts de « pire artiste des États-Unis »), le New-Yorkais s’est d’emblée situé à contre-courant. Nous sommes pile au milieu du xxe siècle. L’heure est à "l’action painting" et l’abstraction (Jackson Pollock et consorts).

« LICHTENSTEIN FUT UN GRAND EXPÉRIMENTATEUR. » « Les artistes ont acquis une célébrité encore jamais atteinte », rappelle Gianni Mercurio, le commissaire. Pourtant, il va s’intéresser à un tout autre sujet, et transformer en art ce qui a priori ne pouvait l’être : la publicité, les comics…

Roy Lichtenstein, Reverie, 1965 Sérigraphie sur papier vélin blanc lisse 76.5 x 60.9 cm Collection Lex Harding © Estate of Roy Lichtenstein / SABAM 2020

exposition – 74


Roy Lichtenstein, Sweet Dreams Baby!, 1965, Sérigraphie sur papier vélin blanc 95.6 x 70.1 cm, Collection Lex Harding © Estate of Roy Lichtenstein / SABAM 2020


Bref, les images recouvrant le quotidien des Américains, cette société de consommation naissante qui finira par grignoter la planète – mais ça, personne ne le sait encore…

Forte impression – Pour sûr, Roy Lichtenstein a imposé un style. Une technique aussi : la reproduction mécanique (en fait, réalisée à la main). C’est le fameux point de trame Benday, traduisant à la perfection la pixellisation des imprimés d’époque, en particulier des premières BD, comme si ces images avaient été façonnées par la machine, dans une troublante mise en abyme de la réalité – ou de sa

perception. « Je veux cacher toute trace manuelle », déclarait l’artiste. Un sacré tour de force. « En effet, ses œuvres donnent le sentiment d’avoir été réalisées en une fois. Elles montrent des aplats de couleur pure, sans modulation ni trace de pinceau, observe Xavier Roland, le directeur du BAM.

« IL A DÉCONSTRUIT LES ROUAGES DE NOTRE SOCIÉTÉ. » Or, ce résultat a nécessité un immense travail ! Lichtenstein fut un grand expérimentateur. Dans certaines pièces, il mêle lithographie, sérigraphie, pochoir, collage… ».

Roy Lichtenstein, The Oval Office, 1992 Lithographie offset, 86.4 x 96.5 cm, Collection Lex Harding © Estate of Roy Lichtenstein / SABAM 2020


Roy Lichtenstein, CRAK! , 1963, Lithographie offset sur papier vélin blanc léger, 48.9 x 70.2 cm Collection Lex Harding © Estate of Roy Lichtenstein / SABAM 2020

Formé au design industriel, l’Américain a également multiplié les supports : plexiglas, métal, tapisserie, émail ou même la céramique. Pour preuve cette sculpture de hot dog, immortalisant dans l’inconscient collectif un totem de l’alimentation mondiale. C’est là tout le propos de cette exposition : traverser le miroir et montrer « l’artisan » à l’œuvre, à travers une sélection de plus d’une centaine de ses créations.

Vide sidérant – Issues du monde entier, ces peintures, sculptures ou estampes sont réparties en huit thématiques, pour autant d’obsessions. Parmi elles on trouve bien sûr la représentation de la

figure féminine, d’abord « happy housewife » ou larmoyante romantique (la fameuse Crying Girl). Dans la section "objets du quotidien", ses miroirs absorbent le regard. Pour cause : ils ne reflètent rien, comme s’il raillait déjà (bien avant la culture du selfie) le narcissisme vain de l’"homo consomus". « Roy Lichtenstein faisait preuve d’une indéniable ironie », soutient Gianni Mercurio. « Exposer cet artiste aujourd’hui est essentiel, termine Xavier Roland. Il a déconstruit les rouages de notre société. Il nous permet d’en considérer ses codes avec distance. C’est en l’étudiant que l’on parviendra à changer de modèle ». Point, à la ligne ? Julien Damien

Mons, 31.10 > 07.02.2021, BAM, mar > dim : 10 h–18 h, 9 / 6 € (gratuit -6 ans), bam.mons.be À LIRE

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exposition – 77


Xavier Delcour © Etienne Tordoir

exposition – 78


MASCULINITIES

Homme Sweet Homme

Ausculter la masculinité à l’aune de la garde-robe des hommes : tel est le pari de cette audacieuse exposition. De Giorgio Armani à Jean Paul Gaultier, en passant par Martin Margiela, Raf Simons ou Karl Lagerfeld, le Musée Mode et Dentelle de Bruxelles explore une pluralité de représentations (occidentales) du "mâle". Tantôt virils, romantiques ou androgynes, voilà ces messieurs rhabillés pour (au moins) l’hiver. L’habit fait-il l’homme ? La question est aussi vaste qu’originale. « Notre exposition est d’ailleurs la première en Belgique à s’intéresser au sujet, clame Vinciane Godfrind, responsable communication des musées de la Ville de Bruxelles. Aujourd’hui, la garde-robe masculine est encore très peu représentée dans les institutions de mode ». Pourtant, jusqu’au xviiiesiècle, les tenues de ces messieurs n’avaient rien à envier à celles de leurs compagnes.

secondaire », devient l’apanage de ces dames. Le complet-veston s’impose. Il symbolise "l’homme convenable" et n’évolue quasiment plus. Les archétypes, eux, s’épanouissent. Du marin de Jean Paul Gaultier au blouson d’aviateur de Tom Cruise dans Top Gun,

« LA GARDE-ROBE MASCULINE EST PEU REPRÉSENTÉE DANS LES INSTITUTIONS DE MODE. » Pour preuve cet habit de cour de 1775, qui ouvre le parcours : velours de soie frisé, fil d’argent… La révolution française, puis industrielle, auront raison de cet apparat, synonyme d’oisiveté. Peu à peu, la sobriété fait loi et la mode, « alors considérée comme frivole et

Vue d’exposition © Julien Damien


Vue d’exposition © Julien Damien

le garçon est aussi un sacré aventurier... Osera-t-il la jupe ? Pas sûr. Ce sublime costume-robe blanc de Rick Owens ne manque néanmoins pas de classe, et envisage d’autres types de masculinité.

Mélange des genres Regardant la figure sensible du dandy, les créateurs s’affranchissent de cette vision virile et bodybuildée à la fin des années 1990. La collection Boys Don’t Cry réalisée pour Dior par Hedi Slimane défend ainsi des corps élancés, exaltant la vulnérabilité (sa fameuse silhouette "touchée en plein cœur", avec la tâche de sang sur la chemise).

Le facétieux Walter Van Beirendonck revendique lui le "fun", affublant les hommes de tee-shirts flamboyantes aux motifs empruntés aux mangas ou à la culture club. Quelque part, l’Anversois ouvre la voie au "gender fluid". Et, n’en déplaise aux bad boys, c’est le streetwear qui efface peut-être le mieux les différences sexuelles. Les couturiers d’aujourd’hui se libèrent de la dualité homme-femme. En témoigne la ligne Mosaert lancée par Stromae et sa compagne Coralie Barbier, mêlant les genres comme les cultures, du wax africain aux arabesques de l’Art nouveau. Formidable, non ? Julien Damien

Bruxelles, jusqu’au 13.06.2021, Musée Mode et Dentelle, mar > dim : 10 h-17 h 8 > 4 € (gratuit -18 ans), www.fashionandlacemuseum.brussels À LIRE

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exposition – 80



Eugène Dodeigne dans son atelier, 1958 Archives Dodeigne

exposition – 82


EUGÈNE DODEIGNE L’illustre inconnu D’Eugène Dodeigne, on connaît les sculptures monumentales en pierre bleue de Soignies. Ses œuvres demeurent familières des habitants des Hauts-de-France, jalonnant les espaces publics, parcs et écoles, de Lille à Landrecies, en passant par Marcq-en-Barœul – où l’on trouve son chef-d’œuvre : Le Groupe des dix. Pourtant, ce Français né en Belgique avait plus d’une corde à son arc. Cette rétrospective rend hommage à un artiste aussi habile avec le bois, le bronze, la peinture ou le fusain.

À Dodeigne, qui lui avait ouvert les portes de sa maison de Bondues, Germain Hirselj fit une promesse : « révéler un jour son œuvre dans toute sa diversité ». Cinq ans après sa disparition, l’engagement est aujourd’hui honoré. L’historien de l’art dévoile à la Piscine le fruit d’une décennie de travail. Cette rétrospective serait « la plus importante jamais consacrée » au Nordiste. Chrono-thématique, l’exposition rassemble 185 œuvres de cet éminent membre du groupe de Roubaix (avec ses amis Germaine Richier ou Eugène Leroy). Surtout, il s’agit de « faire découvrir cet artiste à ceux qui ne le connaissent pas, ou pensent le connaître ».

Taille XXL – Eugène Dodeigne est né en 1923 près de Liège (où il ne vécut que six mois) dans une famille de tailleurs de pierre. Il fut initié au métier dès l’âge de 13 ans par son père, lequel sculptait des monuments funéraires. Voulant faire de son garçon un ouvrier qualifié, il l’envoie aux Beaux-Arts de Tourcoing. Très vite, ses professeurs remarquent ses talents. Le jeune Eugène gagne Paris, où il découvre le Musée de l’Homme. « Ce sera son Louvre ». Comme Henry Moore ou Giacometti, Dodeigne se passionne pour les arts primitifs, sa première influence. « On a l’impression que ses œuvres plantées dans l’espace public existent depuis une

exposition – 83


Deux figures, 1999, Coll. particulière / Les Trois Branches, 1954, Coll. ML / Mains levées, 1964, Coll. particulière Photos : A. Leprince – Ville de Roubaix

éternité, remarque Germain Hirselj. Comme si elles avaient été façonnées par de lointains ancêtres ». Bien sûr, c’est d’abord ce travail sur la pierre de Soignies (« granitique, donc très dure ») qui assurera sa renommée. De cette roche bleutée, il élèvera des formes épurées d’où transpirent « une force, une brutalité parfois, mais une indéniable sensualité ».

L’artisan – Dodeigne cherche à saisir la figure humaine et son mouvement. Il passa ainsi de nombreuses heures à observer les danseurs du ballet du Nord. Parmi les œuvres présentées à Roubaix, on

trouve ses croquis préparatoires, de grands fusains, et surtout ses peintures, trop méconnues. Tout aussi étonnantes, ses sculptures sur bois comme Les Trois branches, lorgnant vers l’abstraction. « Pourtant c’est bien un corps, avec ses épaules tombantes ». Citons également ses bronzes (ce sublime Mains levées) encore ignorés et... qu’il coulait seul. « Dodeigne est le modèle parfait de l’artiste artisan. Il avait son propre four dans son atelier, faisait tout lui-même. Il a d’ailleurs bâti ses deux maisons de ses mains ». La Piscine lui en élève ici une troisième, certes plus éphémère, mais qui fera date. Julien Damien

Roubaix, 06.11 > 06.02.2021, La Piscine, mar > jeu : 11 h - 18 h • ven : 11 h - 20 h sam & dim : 13 h - 18 h, 11 / 9 € (gratuit -18 ans), www.roubaix-lapiscine.com exposition – 84


Étude pour Méditation, 1974 Collection particulière Photo : A. Leprince – Ville de Roubaix


Markus Jeschaunig, Oasis n°8 © Sebastian Reiser

exposition – 86


PLANT FEVER Mise au vert Après s’être penché sur notre avenir alimentaire (Serial Eater), le CID du Grand Hornu s’intéresse aux superpouvoirs des plantes. Fondateurs du studio d-o-t-s, Laura Drouet et Olivier Lacrouts n’ont pas attendu le confinement pour s’extasier devant les beautés de Dame Nature. Voilà cinq ans que ce duo élabore une exposition rassemblant des designers soucieux du monde végétal. À la croisée de la philosophie, de la technologie et de la biologie, Plant Fever esquisse un futur florissant, où l’humain vivrait en harmonie avec son environnement. Chiche ? Surproduction, consommation de masse, gaspillage des ressources naturelles… Bon, et si on arrêtait un peu nos bêtises ? Et si, par exemple… on faisait pousser nos meubles ? Plutôt que de couper des arbres pour fabriquer notre mobilier, le Britannique Gavin Munro a planté des saules qu’il oriente à l’aide de tuteurs pour leur donner la forme de chaises, de tables ou de lampes.

« décaler notre regard ethno-centré sur le monde pour adopter un point de vue phyto-centré. Respecter les besoins humains mais aussi des végétaux, et donc de la planète », soutiennent Olivier Lacrouts et Laura Drouet. Le duo réunit ici une soixantaine d’œuvres de designers internationaux attentifs à la sensibilité (et à l’intelligence) de ces êtres

« ADOPTER UN POINT DE VUE PHYTO-CENTRÉ. » Poétique (Tim Burton ne l’aurait pas renié), le projet Full Grown permet surtout d’engendrer des objets tout en ménageant notre flore. Mieux : de vivre en symbiose avec elle. C’est tout le propos de Plant Fever :

© Full Grown Ltd

exposition – 87


« encore mystérieux mais essentiels à notre survie ». Ne serait-ce que pour nous alimenter en oxygène...

Phytothérapie – Orchestrée en trois sections (les plantes sont tour à tour présentées comme "ressources", "compagnes" puis "alliées"), cette exposition « militante » dévoile des superpouvoirs verts méconnus, mais qui pourraient se révéler utiles face aux enjeux climatiques. Les Italiens Gionata Gatto et Giovanni Innella ont ainsi élaboré un système hydroponique abritant une plante capable d’absorber les métaux lourds du sol avec ses racines, pour les stocker dans ses feuilles. « Cette pratique permet de dépolluer la terre et d’en récupérer les éléments précieux, sans la détruire », observe Laura. Tout aussi ingénieux, les Slovènes du collectif Trajna ont transformé un "problème" en opportunité. Importée en Europe pour ses vertus décoratives, désormais combattue car terriblement invasive, la Renouée du Japon est ici utilisée pour produire du papier (NotWeed Paper). À la clé : la création d’emplois, une fabrication respectueuse de la biodiversité… Alors, on s’y met ? Julien Damien

DE HAUT EN BAS : 1. Gavin Munro, The Edwardes Chair, 2012/2016 © Full Grown 2. Freya Probst, Plant Root Jacket © DR 3. Liz Ciokajlo, Hemp Shoes © Stephanie Potter Corwin

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Hornu, jusqu’au 14.02.2021 Centre d’innovation et de design mar > dim : 10 h-18 h, 10 > 2 € (gratuit -6 ans) www.cid-grand-hornu.be

exposition – 88



« Rassemblement wallon », de la série Pays noir, 1968-1970 © Yves Auquier

YVES AUQUIER

Instants cruciaux « Il faut voir, fixer l’instant qui fuit, témoigner de la vérité ». Voici l’une des nombreuses leçons formulées par Yves Auquier, lorsqu’il enseignait à l’École Supérieure des Arts "Le 75", à Bruxelles. C’est aussi via ce prisme qu’il appréhende le monde. Un cycliste vu de dos, une femme coiffant sa longue chevelure, une nageuse glissant sous la surface diaphane de l’eau, des enfants qui jouent avec insouciance… Du temps qui passe inexorablement, le Belge conserve des moments fugaces. Il fixe la banalité de gestes quotidiens dans des scènes en noir et blanc, presque documentaires, revendiquant la notion de « réalisme intimiste ». Révélé en 1970 par la série Pays noir, hommage aux terres (celles de Charleroi) où il a grandi, Yves Auquier s’est intéressé avec la même science du clair-obscur aux mineurs, aux rues de Bruxelles, à la vie de famille… Le Musée de la Photographie, auquel il a légué l’ensemble de ses négatifs, rend grâce à son œuvre à travers cette belle rétrospective, où l’éphémère prend des accents universels. Julien Damien

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Charleroi, jusqu’au 17.01.2021, Musée de la Photographie, mar > dim : 10 h-18 h 7 > 2 € (gratuit -12 ans), www.museephoto.be exposition – 90



Yollotl, Film, 2020 © Production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains © Fernando Colin Roque

PANORAMA 22 : LES SENTINELLES Sentinelle. Le mot recouvre bien des significations. Parmi celles-ci se dessine la figure de l’artiste, soit celui qui veille (éveille ?) et perçoit des choses en amont, situé qu’il est à l’avant-garde. Pour sa 22e édition, ce rendezvous révélant les travaux des étudiants du Fresnoy se pose au bord du monde. D’une balade organique dans les galeries souterraines de Paris (In-Urbe d’Ugo Arsac) aux expériences vécues par les malades mentaux (La Petite camisole d’Eliane Aisso) en passant par le rêve d’un papillon (Le Vieil enfant de Felipe Esparza), ces vidéos ou installations nous transportent à la lisière du réel, entre ombre et lumière. Tourcoing, jusqu’au 03.01.2021, Le Fresnoy, mer > dim : 14 h-19 h, 4 / 3 € (gratuit -18 ans) www.lefresnoy.net

Détail © Philippe Penel

LA FERME VÉGÉTALE L’observation de la nature inspire souvent des œuvres remarquables. La preuve : ces deux artistes réunis à La Ferme d’en Haut. D’un côté Caroline Léger qui, en "chorégraphe végétale", crée des installations éphémères, modelées avec des graines ou racines – le cycle de la vie, en somme. De l’autre, le photographe Philippe Pennel présente ses Oiseaux des Hauts-de-France, soit des clichés capturés lors de balades sauvages dans notre région. Vivifiant. illeneuve d’Ascq, jusqu’au 13.12 V La Ferme d’en Haut, sam & dim : 15 h-19 h gratuit, lafermedenhaut.villeneuvedascq.fr



GIACOMETTI & WARHOL Double impact

ALBERTO GIACOMETTI L’HUMANITÉ ABSOLUE

WARHOL - THE AMERICAN DREAM FACTORY

Silhouettes filiformes, têtes minuscules... Le style est bien connu. Giacometti aura passé sa vie à tenter de représenter l’humanité dans toute sa vérité (fragile, mais debout). Pour cela, le génie suisse usait souvent des mêmes modèles : son frère Diego, dont on admire ici les bustes, et sa femme Annette, devenant autant de statues allongées. Riche de 35 œuvres en bronze prêtées par la Fondation Giacometti, cette exposition présente aussi quelques lithographies. Plus rare, elle témoigne de son amitié avec Sartre, née en 1940 sous l’impulsion de Simone de Beauvoir, dont on découvre ici un étonnant portrait sculpté.

C’est vrai : à l’instar de Picasso, l’œuvre de Warhol est régulièrement revisitée - on se souvient des expositions du BAM de Mons ou du Grand Palais à Paris. Mais que voulez-vous, « la notoriété, c’est comme de manger des cacahuètes : quand on commence, on ne peut plus s’arrêter », pour citer le maître du pop art. Alors, ne nous privons pas ! De ses débuts à Pittsburgh comme illustrateur jusqu’au bouillonnement de sa Factory, ce parcours alimenté par des prêts du monde entier (les Campbell’s Soup Cans, les portraits de Monroe) retrace la naissance d’un style indémodable, et même devenu une marque – ô ironie !

Liège, jusqu’au 17.01.2021, Cité Miroir lun > ven : 9 h-18 h • sam & dim : 10 h-18 h 10 > 5 € (gratuit -6 ans), www.citemiroir.be

Liège, jusqu’au 28.02.2021, La Boverie mar > ven : 9 h 30-18 h • sam & dim : 10 h-18 h, 17 > 6 € (gratuit -6 ans), laboverie.com

Andy in American Flag © Christopher Makos © SABAM/ ARS, Belgium 2020

© photo Emmy Andriesse © Succession Alberto Giacometti /SABAM 2020

Deux artistes mythiques du xxe siècle pour le prix d’un déplacement à Liège. Tentant, n’est-ce pas ? La Cité ardente a plus d’un charme dans son sac et compte deux jolis musées : la Cité Miroir et la Boverie. Le premier consacre une grande exposition monographique à Giacometti, le second se penche sur le cas Warhol... J.D.



Xavier Noiret-Thomé, Tout est dans tout, 2019 © Isabelle Arthuis

© Acme

© Peter Mitchell / AB, Billie Holiday, William P Gottlieb, 1947

GREAT BLACK MUSIC

PANORAMA

Les musiques noires ont façonné la pop culture mondiale. De Billy Taylor à Michael Jackson, de la naissance de l’afrobeat à celle du hip-hop dans le Bronx, cette exposition itinérante retrace un siècle de Great Black Music, flattant les oreilles comme les yeux. Muni d’un "smartguide", le visiteur déambule dans six sections thématiques. Funk, rock, blues, soul, rumba… l’histoire parle d’elle même, et la salle Mama Africa nous rappelle que l’Afrique, berceau de l’humanité, est aussi celui de la grande sono mondiale.

Après nous avoir plongé dans l’œuvre ténébreuse de Roger Ballen, la Centrale retrouve la lumière. Le centre d’art contemporain bruxellois organise un dialogue entre le peintre français Xavier Noiret-Thomé et le sculpteur hollandais Henk Visch. Intitulée Panorama, cette rencontre offre un voyage haut en couleur en compagnie de deux artistes refusant les étiquettes. Du figuratif à l’abstraction, du minuscule au monumental, ils jouent avec les codes, les références et les échelles, dans une joyeuse balade.

Bruxelles, jusqu’au 20.12, Les Halles de Schaerbeek, mar > ven : 13 h-18 h • jeu : 13 h-20 h • sam & dim : 10 h-18 h, 7 / 6,50 € www.halles.be

Bruxelles, jusqu’au 17.01.2021 Centrale for Contemporary Art mer > dim : 10 h 30-18 h, 8 > 2,50 € (gratuit -18 ans), www.centrale.brussels

LE GENRE DE LA DENTELLE Berceau d’un savoir-faire ancestral, Calais a toujours su tisser tradition et innovation. Cette exposition met en lumière les étudiantes de première année de l’École nationale supérieure de création industrielle à Paris. Ces artistes dévoilent leurs prototypes, dessins, textiles, installations ou vidéos. S’affranchissant de la notion de genre (point de départ du projet), elles ouvrent des voies nouvelles à leur art (en termes de motifs, de fibres) en toute transparence, évidemment. Calais, jusqu’au 07.03.2021, Cité de la dentelle et de la mode, tlj (sf mardi) : 10 h-17 h, 4 / 3 € (grat. -5 ans), cite-dentelle.fr

Manon Jacob, Identité commune © Véronique Huyghe



PEINTURES DES LOINTAINS. VOYAGES DE JEANNE THIL C’est une figure majeure de la peinture orientaliste. Durant l’entre-deux-guerres, Jeanne Thil (1887-1968) rencontra un vif succès en France avec des toiles célébrant l’imaginaire exotique de l’empire colonial. Mais depuis, la native de Calais fut largement oubliée. Pas une exposition ne lui fut consacrée depuis sa disparation. Répartie en six sections, cette rétrospective retrace ses voyages de part et d’autre de la Méditerranée. Le témoignage d’un ailleurs alors fantasmé. Jeanne Thil, L’Oasis de Gabès © Musée du quai Branly-J. Chirac

Calais, jusqu’au 28.02.2021, Musée des beaux-arts mar > dim : 13 h-17 h, 4 / 3 € (gratuit -5 ans), www.calais.fr

LA COLÈRE DE LUDD

SERIAL EATER

Dans La Colère de Ludd, l’historien de l’anarchisme Julius Van Daal narrait l’insurrection d’ouvriers. Sous la direction du général Ludd et en pleine révolution industrielle anglaise, ceuxci s’opposèrent au progrès technique par la destruction de machines. Cette exposition illustre les sentiments de dépossession et de résistance qui nous enflamment. De Teresa Margolles à Jacques Charlier, elle réunit une quarantaine d’œuvres récemment acquises par la Province de Hainaut et, pour la plupart, jamais montrées.

Que mangerons-nous demain ? Comment produirons-nous notre alimentation ? Peut-on imaginer une assiette plus éco-responsable, sans se priver des plaisirs de la chère ? Autant de questions posées par le food design. Apparue au mitan des années 1990, cette jeune discipline ausculte nos goûts ou dégoûts, et pique le "serial eater" qui sommeille en nous. Présentée au CID, cette exposition fascinante en réunit les pionniers et les jeunes ambassadeurs, nourrissant l’esprit avant l’estomac.

Charleroi, jusqu’au 03.01.2021, BPS22 mar > dim : 10 h-18 h, 6 > 3 € (gratuit -12 ans) www.bps22.be

Hornu, jusqu’au 29.11, Centre d’innovation et de design mar > dim : 10 h-18 h, 10 > 2 € (gratuit -6 ans), cid-grand-hornu.be

JEAN DUBUFFET, LE PRENEUR D’EMPREINTES Père de l’Art brut, mais aussi écrivain, Jean Dubuffet nourrissait une fascination pour le papier, l’encre et l’imprimerie. Il pratiqua ainsi l’estampe des années 1940 à 1980, inaugurant même son propre atelier de lithographie. Parmi ses créations, citons les fameuses figures à chapeau, les "assemblages d’empreintes"… Sans oublier les 324 pièces de la série Phénomènes, qui constituent le cœur de cette exposition. Chacune de ces planches célèbre un aspect du monde naturel, formant un atlas poétique. La Louvière, jusqu’au 24.01.2021, Centre de la gravure et de l’image imprimée mar > dim : 10 h-18 h, 8 > 3 € (gratuit -12 ans), www.centredelagravure.be


Erró, Matisse Motor, 1969, Courtesey Galerie Sonia Zannettacci © Patrick Goetelen ©A DAGP, Paris, 2020

TOUT VA BIEN MONSIEUR MATISSE Le Musée Matisse poursuit sa célébration du 150e anniversaire de la naissance du maître. Après avoir éclairé ses premiers pas, il s’intéresse cette fois à son héritage. Comment les artistes contemporains regardent-ils son œuvre ? Ce parcours répond à cette question grâce au travail de huit créateurs. Citons les toiles en relief de Patrick Montagnac ou les fameuses "écritures" de Ben, tandis que les sculptures de Frédéric Bouffandeau magnifient l’espace du parc Fénelon – oui, tout va bien. Le Cateau-Cambrésis, jusqu’au 17.01.2021, Musée Matisse tlj sf mar : 10 h-18 h, 6 / 4 € (gratuit -26 ans), museematisse.fr

SOLEILS NOIRS Symbole des ténèbres, du mal, mais aussi de l’espoir ou de la modernité, le noir n’a cessé d’inspirer (ou d’effrayer) l’humanité et les artistes. De l’Antiquité à nos jours, cette exposition-événement rassemble quelque 180 chefs-d’œuvre signés Delacroix, Botticelli, Malevitch, Kandinsky, Soulages, Velázquez… entre autres ! Ces peintures, sculptures, vêtements, installations ou vidéos décryptent le sens et l’utilisation de cette couleur fascinante à travers les âges. Lens, jusqu’au 25.01.2021, Louvre-Lens tous les jours sauf mardi : 10 h-18 h, 10 > 5 € (gratuit -18 ans), louvrelens.fr

NIKI DE SAINT PHALLE : LA LIBERTÉ À TOUT PRIX De Niki de Saint Palle, on connaît bien sûr les Nanas monumentales et colorées, interrogeant la représentation et la place des femmes. À bien des égards, cette autodidacte demeure un symbole d’émancipation. Cette exposition retrace son parcours en 40 œuvres, de la série des Tirs au mirifique Jardin des tarots. Elle révèle, aussi, un pan plus méconnu de son travail : la conception de mobilier, qui fit aussi entrer son art par essence "pop" dans les foyers. Le Touquet-Paris-Plage, jusqu’au 24.05.2021 Musée du Touquet-Paris-Plage, lun, mer, jeu & ven : 14 h-18 h • sam & dim : 10 h-12 h & 14 h-18 h, 3,50 / 2 € (gratuit -18 ans) www.letouquet-musee.com

PORTRAITS DEBOUT Frédéric Logez perpétue la mémoire familiale ou historique du nord de la France. Présenté comme une gigantesque planche de BD, chacun de ses "Portraits debout" met en scène un personnage bien réel (le chevillard Guy Derousseau, le pêcheur Jules Carru...). Celui-ci est présenté en pied et grandeur nature, à côté de son parcours de vie "mis en cases". Mêlant l’esthétique du 9e art à celle du portrait, ces œuvres inscrivent la petite histoire dans la grande. Lille, 14.11 > 13.12, maison Folie Moulins, mer > dim : 14 h-19 h, gratuit, maisonsfolie.lille.fr

exposition – 99


EN QUÊTE Sevrés d’expositions en cette sinistre année 2020 ? Alors direction l’Institut pour la Photographie de Lille, qui en réunit une dizaine. Le parcours se déploie dans un ancien hôtel particulier, au cœur de la capitale des Flandres. Le thème ? L’enquête. Dans un monde submergé par les images, cette série d’accrochages gratte le vernis parfois lissé de la réalité. Du rituel du carnaval aux coulisses du Dictateur de Chaplin, ces clichés portent un regard décalé sur le territoire, l’autre et l’histoire. Lille, jusqu’au 15.11, Institut pour la Photographie, mer > dim : 11 h-19 h, sauf jeu : 11 h-20 h gratuit, www.intitut-photo.com

IBANT OBSCURI

WILLIAM KENTRIDGE

Fuyant Troie détruite par les Grecs, Énée s’égare en Méditerranée. En proie au doute, il descend aux Enfers où son père l’éclairera sur sa destinée. Au bout du chemin, notre héros apprendra que sa lignée fondera la grande Rome, et comptera d’illustres hommes, tel Jules César… Inspirée par l’Énéide de Virgile (le "Homère romain"), cette exposition rassemble une dizaine d’artistes livrant leur perception de la crise – voire des crises. Ils percent l’obscurité en quête d’un avenir meilleur...

Considéré comme l’un des plus brillants artistes de sa génération, le SudAfricain William Kentridge présente à Villeneuve d’Ascq sa première grande rétrospective en France. Dessins, gravures, sculptures, tapisseries, films d’animation... Aussi foisonnante que poétique, son œuvre dénonce depuis plus de 40 ans les sujets les plus sensibles, tels que l’apartheid, la corruption, les migrations ou le rôle de l’Afrique durant la Première Guerre mondiale. Un événement.

Roubaix, jusqu’au 20.12, La Condition Publique, mer > dim : 13 h-19 h • ven : 13 h-20 h 5 / 2 € (grat. -18 ans), laconditionpublique.com

Villeneuve d’Ascq, jusqu’au 13.12, LaM mar > dim : 10 h-18 h, 11 / 8 € (gratuit -12 ans) www.musee-lam.fr

LAURE PROUVOST Née à Croix, lauréate du prestigieux prix Turner en 2013, Laure Prouvost revient au LaM, qui a tant marqué sa jeunesse, pour mieux jouer avec ses espaces et sa collection. La plasticienne initie un dialogue avec des œuvres du musée (les fleurs de Séraphine Louis, les intrigantes poupées de Michel Nedjar...). Au cœur de ce voyage, elle réinterprète Deep See Blue Surrounding You / Vois ce bleu profond te fondre, plaçant la figure de la pieuvre au cœur de cette vaste (et tentaculaire, donc) installation. Laure Prouvost, portrait masqué © Photo by Gene Pittman, courtesy Walker Art Center, Minneapolis

Villeneuve d’Ascq, jusqu’au 21.03.2021, LaM mar > dim : 10 h-18 h, 7 / 5 € (gratuit -12 ans), musee-lam.fr exposition – 100



NEXT FESTIVAL

Nos Futurs

Sparks © Carolina Cappelli

théâtre & danse – 102


À l’heure de la distanciation physique ET sociale, le Next Festival poursuit sa mission : « rassembler le public autour d’une programmation d’arts vivants qui a de la gueule », clame le coordinateur, Benoit Geers. Eh oui, si Next signifie "suivant" (affirmant cette ambition de révéler de nouvelles formes scéniques), il se traduit aussi par "proche". La preuve. Oh, bien sûr, il a fallu s’organiser, annuler des événements, respecter le mètre cinquante d’écart entre les spectateurs et toutes les mesures en vigueur – vous les connaissez, non ? Certifiée "coronaproof", cette édition n’en reste pas moins foisonnante. Aucun thème n’est imposé, mais parmi ces 38 spectacles de danse, théâtre ou performances (81 représentations dans 16 villes !) se tissent quelques fils rouges. Le grand effondrement du monde par exemple, narré dans le lumineux AFTER de Tatiana Julien (voir pages suivantes) ou l’étonnant Teatro Amazonas. Dans ce spectacle-documentaire, les Espagnols Laida Azkona Goñi et Txalo Toloza-Fernández mêlent récit, chorégraphie, musique et arts visuels pour mieux dénoncer la déforestation de l’Amazonie.

À la ligne – Autre sujet prégnant, « le regard des enfants sur le monde d’aujourd’hui et de demain », observe Benoit Geers. Tandis qu’Ivana Müller crée une chorégraphie en direct avec toutes les bonnes volontés, dès sept ans (Partituur), Francesca Grilli inverse

le rapport de force entre marmots et adultes. L’Italienne a imaginé une performance interactive (Sparks) où ce sont les enfants qui détiennent le pouvoir – magique, en l’occurrence. Serions-nous capables de les laisser nous guider ? Formé en amont à la chiromancie, chacun de ces petits oracles peut lire notre destin dans les lignes de nos mains... Pas de doute, le futur a encore de l’avenir. Julien Damien Eurométropole Lille-Courtrai-Tournai & Valenciennes, 12.11 > 05.12 divers lieux, 1 spectacle : 21 > 8 €, horaires : nextfestival.eu, www.larose.fr SÉLECTION / 12.11 : Mickaël Phelippeau : De Françoise à Alice // 12 & 13.11 : Marlene Monteiro Freitas / P.OR.K : Mal 14 & 15.11 : Cassiel Gaube : Farmer Train Swirl-Étude • Aina Alegre : R-A-U-X-A 15.11 : Boris Charmatz : 1900 16 & 18.11 : Yan Duyvendak : Virus 20 > 28.11 : Gurshad Shaheman : Les Forteresses // 24 & 25.11 : Manuela Infante : Métamorphoses • Dorothée Munyaneza : Mailles // 25 & 29.11 : Ivana Müller : Partituur 26 > 29.11 : Aïcha M’Barek & Hafiz Dhaou + Alexander Vantournhout : TWICE #2 27 & 28.11 : Francesca Grilli : Sparks 28.11 : Julie Nioche / A.I.M.E. : Vague Intérieur Vague // 01.12 : Tatiana Julien : AFTER // 03 > 05.12 : Stefan Kaegi & Rimini Protokoll : Société en chantier // 04 & 05.12 : Laida Azkona Goñi & Txalo Toloza-Fernández : Teatro Amazonas // Jusqu’au 23.01.2021 : Laure Prouvost : Deep See Blue Surrounding You / Vois Ce Bleu Profond Te Fondre

théâtre & danse – 103


NEXT

ST FE

IVAL

TATIANA JULIEN Chaos debout

AFTER © Hervé Goluza


Depuis son premier solo, La Mort et l’extase en 2012, Tatiana Julien secoue les plateaux et ne cesse de questionner le rôle de l’artiste au sein de la société. Qu’elle soit seule en scène (Soulèvement) ou orchestre une dernière danse avant la fin d’un monde (AFTER), la chorégraphe picarde dépeint une civilisation au bord de l’effondrement, pour mieux rêver celle de demain. En ce mois d’octobre à Roubaix, Tatiana Julien est sur tous les fronts. Le soir-même, elle s’apprête à danser Soulèvement, dont la tournée a été interrompue en mars. En même temps, elle prépare la première d’AFTER, pièce qu’elle chorégraphie pour huit interprètes et dans laquelle elle esquisse à même les corps l’idée d’un autre monde. En cela le virage sanitaire n’est pas évident à négocier. « Les contraintes liées au toucher, à la mise à distance du public sont très rudes. On a dû changer nos plans mais je combats l’idée de livrer un spectacle uniquement "coronacompatible", car c’est la liberté même qui est en jeu ». La résistance est en effet au cœur de son travail.

Le sens du combat Avec Soulèvement, Tatiana Julien livre un solo insurrectionnel mêlant discours de Malraux ou Camus à des sons de manifestations. La réflexion politique est d’ailleurs soutenue par un engagement physique total, articulant des gestes typiques du jeu vidéo Fortnite à des danses de club. « J’avais envie de représenter un corps écrasé sous un poids, mais avançant malgré tout ». AFTER se situe dans la

continuité, répondant à d’autres enjeux sociétaux, notamment écologiques. « Que peut la danse face à la perspective de l’effondrement ? Si elle ne sauvera pas le monde, elle pose une alternative : celle du soin, de l’être-ensemble… un certain retour à l’essentiel ». On découvre cette fois un décor postapocalyptique, aux allures de fin de rave. « C’est un terrain hostile qu’il faut escalader, déblayer... Les danseurs en constante métamorphose oscillent entre différents états : de la jouissance à l’oisiveté, de la contemplation à l’animalité ». Le fameux "monde d’après" l’aurait-il influencée ? La réponse est nette : « Dans la réalité rien ne change. Ce contexte liberticide complique surtout notre capacité à penser un avenir différent ». Rêver, résister... le travail de Tatiana Julien ne fait que commencer ! Marie Pons AFTER

Amiens, 03 & 04.11, Maison de la Culture mar : 19 h 30 • mer : 20 h 30, 20 > 8 € www.maisondelaculture-amiens.com Valenciennes, 01.12, Le Phénix, 21 > 8 €, horaires : scenenationale.lephenix.fr SOULÈVEMENT

Beauvais, 02 & 03.06.2021, Théâtre du Beauvaisis, mer : 19 h 30 • jeu : 20 h 30 23 > 5 €, www.theatredubeauvaisis.com


SÉLECTIO

N DE LA

RÉDACTIO

N

LA PREUVE PAR TROIS

© Peter Hönnemann.jpg

MAL

(MARLENE MONTEIRO FREITAS / P.OR.K)

Adepte du grimage, des masques et carnavals (Guintche), Marlene Monteiro Freitas donne cette fois corps... au mal. À la tête d’un chœur formé de neuf performeurs, la Cap-Verdienne fait défiler diverses incarnations maléfiques, de Satan aux sorcières. Une pièce à la croisée des discours religieux, politiques, judiciaires ou moraux... et diablement enlevée ! Courtrai, 12 & 13.11, Schouwburg, jeu : 20 h 15 • ven : 20 h, 21 > 8 €

© Benno Tobler

SOCIÉTÉ EN CHANTIER

(S. KAEGI / RIMINI PROTOKOLL)

Entre le théâtre immersif et documentaire, le collectif Rimini Protokoll poursuit sa troublante exploration du réel, transformant La Rose des Vents en immense maquette ! Des groupes de spectateurs déambulent d’une station à l’autre (ici l’urbaniste, là les ouvriers) et découvrent l’envers (ou l’enfer) d’un chantier, où la précarité de la main d’œuvre côtoie les scandales financiers... Villeneuve d’Ascq, 03 > 05.12, La Rose des Vents horaires : nextfestival.eu, www.larose.fr, 21 > 8 €

DE FRANÇOISE À ALICE

© Mickael Phelippeau

NEXT

IVAL

ST FE

(MICKAËL PHELIPPEAU)

Mickaël Phelippeau s’est révélé avec ses "bi-portraits". Ces duos chorégraphiques mettent en scène des interprètes issus de tous horizons (des footballeuses, un curé) pour mieux raconter leur histoire. Ici, place à Françoise et Alice Davazoglou. La première est dite "valide", et sa fille porteuse de trisomie 21. Ce dialogue gracieux révèle toute la beauté de leur relation. Laon, 12.11, Maison des arts et loisirs, 20 h 30 Roubaix, 26.11, Théâtre de l’Oiseau Mouche, 15 > 8 €, horaires : larose.fr théâtre & danse – 106



LA DAME BLANCHE Retour fantastique

© Fares Micue

Il y a quatre ans naissait “la co[opéra]tive”, associant six scènes françaises (dont le Bateau Feu de Dunkerque et l’Atelier Lyrique de Tourcoing). L’objectif ? Populariser l’art lyrique. Après Les Noces de Figaro ou Gianni Schicchi, le collectif s’attaque à l’autre fantôme le plus célèbre (mais un poil plus drôle) de l’opéra : La Dame blanche. Au programme ? Château hanté, héros tourmentés, mais aussi rires et frissons…

théâtre & danse – 108


Rossini y vit « un tour de force » et Wagner « la marque du génie français ». Composée en 1825 par François-Adrien Boieldieu, La Dame blanche fit un véritable carton. « Ce fut avec Carmen l’opéracomique le plus joué en France », indique Enrique Thérain. Révolutionnaire en son temps, l’œuvre associe l’esprit de l’opéra-comique du xviiie siècle au romantisme naissant, influençant moult compositeurs – dont Bizet. « C’est la naissance d’un nouveau style. Il y a beaucoup de solistes, un chœur et des airs imposants, poursuit le délégué général de l’Atelier Lyrique Tourcoing. La dramaturgie est aussi très pous-

sée, avec une vraie introspection des personnages, livrant leurs sentiments ». Une création avant-gardiste donc, mais aussi populaire, dispensant autant de « tubes inscrits dans la mémoire collective », comme Ah, quel plaisir d’être soldat ! ou Pauvre dame Marguerite, qu’on a dû fredonner inconsciemment.

« CE FUT AVEC CARMEN L’OPÉRA-COMIQUE LE PLUS JOUÉ EN FRANCE. » Comme des bêtes L’histoire, elle, est du genre folklorique. Abandonné après la mystérieuse disparition du dernier descendant, le château des Avenel


Nicolas Simon © Titan Mathieu Prat

suscite les convoitises. Le vil intendant Gaveston veut se l’approprier, contre l’avis des villageois, dévoués à leurs anciens maîtres. Mais il se murmure que les lieux seraient hantés par le fantôme d’une dame blanche. L’arrivée du soldat George changera-t-il la donne ? « Le sujet est un peu daté, défendant la Restauration, soit le retour du fils prodigue qui reprend le trône, soutenu par le peuple… C’est peut-être à cause de cet aspect politique que l’œuvre fut oubliée ». Mais l’intrigue importe peu. D’ailleurs la metteuse en scène, Louise

Vignaud, « privilégie la carte fantastique », transposant le récit dans un monde animalier. Les Avenel deviennent ici des oiseaux, Gaveston un scarabée… Côté musique en revanche, l’adaptation est des plus fidèles, car servie par l’orchestre Les Siècles avec des instruments d’époque. Ces hautbois et bassons confectionnés au xixe siècle restituent dès lors toutes les nuances et couleurs originales. Ils soutiennent six jeunes solistes et un chœur de huit chanteurs, héros d’une fable décidément atemporelle. Julien Damien

La Dame Blanche de François-Adrien Boieldieu, Livret d’Eugène Scribe d’après deux romans de Walter Scott, direction musicale Nicolas Simon, mise en scène Louise Vignaud Compiègne, 06 & 07.11, Théâtre Impérial, 48 > 8 €, horaires : www.theatresdecompiegne.com Tourcoing, 21 & 22.11, Théâtre municipal Raymond Devos, 15 h 30, 43 > 6 € www.atelierlyriquedetourcoing.fr Dunkerque, 24 & 25.11, Le Bateau Feu, 18 h, 15 €, www.lebateaufeu.com théâtre & danse – 110



LES MULTIPISTES

En plein élan

Touché mais pas coulé ! En dépit du contexte actuel, la programmation du Tandem s’annonce des plus riches. Les Multipistes font aussi de la résistance, avec six propositions poético-acrobatiques entre Arras et Douai, histoire de contrer la pesanteur ambiante. Certes, cette 12e édition ne ressemblera pas exactement à ce que Gilbert Langlois avait en tête. « Une troupe australienne vient d’annuler sa tournée... Et puis, pour limiter les contraintes des artistes, qui n’ont pu répéter pendant des mois, le festival s’étale jusqu’à fin mars », expose le directeur du Tandem. Mais, galvanisée par le soutien de ses spectateurs, l’équipe s’est pliée en quatre pour honorer la diversité du cirque d’aujourd’hui. « Beaucoup de circassiens entretiennent une proximité avec les arts plastiques », relève Gilbert Langlois, émerveillé par les Fragan Gehlker © Alain Julien Le Palc dioramas de Cécile Léna. À travers un dispositif immersif mêlant décors miniatures, lumières et mots susurrés dans un casque audio, la plasticienne narre les aventures d’un boxeur et d’une trapéziste. Que les puristes se rassurent, les prouesses aériennes seront aussi de mise avec les virtuoses de la corde lisse Fragan Gehlker et Viivi Roiha. Ils s’associent le temps d’une soirée vertigineuse au funambule Pierre Déaux. L’inclassable Johann Le Guillerm tire lui la discipline du côté du laboratoire chorégraphique avec Terces, jouant des déséquilibres et visant « autant l’exploit que la compréhension du monde ». Pas du luxe, en ces temps troublés. Marine Durand Arras & Douai, 03.11 > 26.03.2021, Théâtre d’Arras, Hippodrome et divers lieux 22 > 8 € (5 € pour l’installation Le Boxeur et la trapéziste), www.tandem-arrasdouai.eu / 03 & 04.11 : Rémi Luchez : L’Homme canon // 21.11 > 12.12 : Cécile Léna : Le Boxeur et la trapéziste // 01 & 02.12 : Yoann Bourgeois : Les Paroles impossibles 06 & 08.12 : Fragan Gehlker & Viivi Roiha + Pierre Déaux : Dans ton cirque & Funambule 08 > 13.01.2021 : Johann Le Guillerm : Terces // 16 > 26.03.2021 : Boris Gibé : L’Absolu

PROGRAMME

théâtre & danse – 112



© Maarten Vanden Abeele

TRIPTYCH Aux frontières du réel

Un pied dans le théâtre, un autre dans la danse. C’est ainsi qu’avance le collectif belge Peeping Tom depuis 20 ans. Pour accéder à son univers hyperréaliste dérapant vers l’étrange, voici trois pièces courtes créées entre 2013 et 2017 avec le Nederland Dans Theater. Et avec un tout nouvel ensemble de danseurs, s’il vous plaît. En choisissant le nom de leur compagnie en 1999, le Français Franck Chartier et l’Argentine Gabriela Carrizo annonçaient la couleur : Peeping Tom, soit "voyeur" en anglais. « Dans nos spectacles, nous interrogeons les non-dits, les choses enfouies, les tabous », expliquait il y a quelques années dans nos pages le duo, qui s’est formé sur les plateaux d’Alain Platel. En effet, depuis la création inaugurale Caravana dont l’action se déroulait dans un mobil-home, la bande nous confronte à l’intimité des personnages. De même, elle a fait des espaces fermés sa marque de fabrique. Un salon truffé de portes closes dans The Missing Door, une cabine de bateau, labyrinthe de chambres et de couloirs dans The Lost Room et, pour The Hidden Floor, un restaurant abandonné où l’eau monte inexorablement. Coincés dans ces décors cinématographiques que ne renierait pas David Lynch, les danseurs de Peeping Tom, fébriles et habités, se mesurent aux peurs les plus profondes de l’être humain. Leur gestuelle, empruntant aussi bien à la contorsion qu’à l’acrobatie, se révèle de plus en plus inquiétante au fur et à mesure que l’on progresse dans cette trilogie... Marine Durand Lille, 05 > 08.11, Opéra, jeu > sam : 18 h • dim : 16 h, 23 > 5 €, opera-lille.fr Bruges, 10.11, Concertgebouw, 20 h, 37 > 11,50 €, www.concertgebouw.be théâtre & danse – 114



© Pascal Chantier

LES ÉLUCUBRATIONS D’UN HOMME SOUDAIN FRAPPÉ PAR LA GRÂCE Élucubration : production déraisonnable, extravagante. La définition sied plutôt bien à Édouard Baer. Dans son nouveau spectacle, ce funambule de la tchatche se révèle (un peu) et s’amuse (beaucoup !). Le voici dans la peau d’un comédien en cavale, quittant le théâtre où il jouait pour se retrouver dans… le nôtre. Que fuit-il ? Son métier ? La notoriété ? Lui-même peut-être… Ponctuée de ses inénarrables improvisations, la pièce ouvre la réflexion. En incarnant un homme en proie au doute, c’est notre condition qu’il interroge. Que signifie réussir sa vie ? Sommes-nous à la bonne place ? Dans cette salle, avec lui, on n’en doute pas. J.D. Roubaix, 10.11, Le Colisée, 19 h, 50 > 15 €, www.coliseeroubaix.com Liège, 02.01.2021, Le Forum, 20 h, 50 > 40 €, www.leforum.be

Arnaud Aymard est un drôle d’oiseau. Du genre bleu, et fichtrement barré. Ce vieux complice d’Edouard Baer excelle dans les incarnations louftingues, à l’image d’Amoniacal sur Radio Nova, créature « mi-homme, mi-pingouin, mi-chiffon ». Dans cette fable pour grands enfants, l’escogriffe apparaît comme un « Superman sans pectoraux » (mais avec un bec) voulant sauver la Suisse d’une horde de chômeurs. À bien y regarder, ce n’est pas lui le plus absurde. J.D. Calais, 21 & 22.11, Le Channel, 7 €, horaires : lechannel.fr

© Michel Vanden Eeckhoudt

L’OISEAU BLEU. THE BATTLE OF THE WAR



LES PETITS PAS

La tête et les jambes

LA POÉTIQUE DE L’INSTABLE Pouvait-on imaginer titre plus raccord à l’actualité ? Mais ici, l’instabilité n’est pas source d’angoisse. Plutôt de mouvement, de surprise, d’excitation et de création. Dans cette courte pièce chorégraphique signée Thomas Guerry et la compagnie Arcosm, un danseur et une musicienne jouent des déséquilibres… pour rester debout. Ce renversant duo compose avec des objets quotidiens (bancs ou lampadaires) qu’un troisième larron dispose sur scène au gré de sa folie. Entre improvisations et accidents heureux, la paire conserve son élan, quitte à changer ses plans face à l’imprévu. Une belle leçon de vie, n’est-ce pas ? Marquette-lez-Lille, 28 & 29.11, Église Notre-Dame-de-Lourdes, sam : 18 h 30 • dim : 17 h gratuit // Haubourdin, 01.12, Ferme du Bocquiau, 19 h, 5 € // Loon-Plage, 02.12, Espace Jeunes, 15 h, gratuit

Roubaix & Hauts-de-France, 26.11 > 12.12, le Gymnase & divers lieux 1 spectacle : 13 € > gratuit, www.gymnase-cdcn.com / 26.11 : Mickaël Phelippeau : De Françoise à Alice // 26 > 28.11 : Aïcha M’Barek & Hafiz Dhaou + Alexander Vantournhout : Twice #2 // 27.11 : Ambra Senatore et Marc Lacourt - CCN de Nantes : La Danse de ma cuisine // 28 & 29.11 : Thomas Guerry et la cie Arcosm : La Poétique de l’instable // 01.12 : Valeria Giuga : La Machine…

PROGRAMME

© Nicolas De Neve

Premier festival de danse français adressé au jeune public, les Petits Pas accélère encore le rythme. Toujours portée par le Gymnase de Roubaix, mais disséminée dans toute la région, cette 16e édition multiplie les créations et les formats innovants. La preuve par quatre. J.D.


DANCEOKE

Comment s’y retrouver, entre réalité et virtuel ? Dans cette performance musicale et plastique, Marion Muzac nous téléporte dans un monde télescopant technologies et mythes ancestraux. Évoluant autour des sculptures totémiques d’Emilie Faïf, une danseuse revisite les codes de la culture populaire, notamment les gestes propres à Fortnite ou aux célébrations sportives. Soutenue par une musique tantôt electro, afro ou pop, elle invite les enfants à interroger leur environnement – pour de vrai, cette fois. Roubaix, 03.12, Le Gymnase, 19 h, 10 > 5 €

Derrière cet étrange titre se cache un mot-valise. On l’aura compris, cette proposition de Sylvain Huc rassemble danse et karaoké. Le principe est on ne peut plus simple : rassemblés en groupe dans la cour du Gymnase, vous faites face à un écran géant diffusant des clips… et devez en reproduire les mouvements ! Des années 1960 à aujourd’hui, du rock au r’n’b, vous voilà dans la peau de Beyoncé, Lady Gaga ou autres acrobates de Bollywood. Tremble, John Travolta. oubaix, 12.12, cour du Gymnase, 18 h R gratuit

LA MÉTAMORPHOSE – DIE VERWANDLUNG Sur scène est posée une matière dorée et intrigante. D’abord immobile, cette couverture de survie commence à se mouvoir. Elle entame alors d’improbables circonvolutions pour se métamorphoser en créatures aux formes fantastiques... Pour créer cette pièce, Sophie Mayeux (compagnie Infra) s’est inspirée de mutations naturelles agitant la faune et la flore. En résulte un poème visuel et marionnettique célébrant l’imagination de Dame Nature comme la diversité, au sens large… Croix, 12.12, MJC- Centre social, 17 h, 6 €

01 & 03.12 : Béatrice Massin, Lia Rodrigues & Dominique Hervieu : Fables à la Fontaine 01 & 02.12 : Thomas Guerry et la compagnie Arcosm : La Poétique de l’instable 03.12 : Marion Muzac : MU // 05.12 : Valeria Giuga : La Machine // 07 > 09.12 : Malgven Gerbes : Les Sols // 08.12 : Sylvain Riéjou : Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver 09.12 : Fabrizio Solinas : Little Garden // 11.12 : Jonas Chéreau : Temps de baleine 12.12 : Sophie Mayeux : La Métamorphose – Die Verwandlung • Sylvain Huc : Danceoke théâtre & danse – 119

© Erik Damiano

© Edmond Carrère

MU


© Hassan Hajjaj

FIQ ! (RÉVEILLE-TOI !) Détour de piste Pyramides humaines vertigineuses, sauts dans le vide, tours sur la tête époustouflants… Depuis une quinzaine d’années, le Groupe acrobatique de Tanger perpétue un héritage séculaire : l’art de la voltige, fondé au Maroc au xve siècle. Cette histoire, nos virtuoses l’ont racontée dans le magistral Halka, mis en scène par Aurélien Bory. Après avoir parcouru le monde (avec Taoub ou encore Azimut), la troupe se renouvelle et en profite pour détricoter les codes de sa pratique, s’ouvrant à d’autres disciplines. Breakdance, taekwendo, rap ou même… foot freestyle ! Sous le regard décalé de la "circographe" Maroussia Diaz Verbèke (Circus Remix), dans un décor flamboyant et des costumes signés Hassan Hajjaj (le "Warhol de Marrakech"), cette quinzaine de jeunes hommes et femmes marie passé et présent, tradition et pop culture. Entre DJ sets et sketches en babouches, ces acrobates défient les lois de la gravité avec légèreté.

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Julien Damien

Dunkerque, 01 > 03.12, Le Bateau Feu, 19 h, 9 €, www.lebateaufeu.com Lille, 11 > 13.12, Le Grand Sud, ven : 20 h • sam : 19 h • dim : 16 h, 21 > 6 €, larose.fr Namur, 16 > 19.12, Théâtre de Namur, 20 h 30 (sam : 19 h ), 24,50 > 16,50 € www.theatredenamur.be * sous réserve des conditions sanitaires

théâtre & danse – 120



© Acme Dress Code © Julien Carlier

Collectif Pourquoi Pas © Etienne Rabaut

LA NUIT DU CIRQUE

FOCUS HIP-HOP

Organisé dans tout l’Hexagone (et au-delà, de la Belgique à la Finlande), ce rendez-vous défend un art qui ne tient décidément pas en place. Bien aiguillée par le Prato, la métropole lilloise n’est pas en reste. Dans Au Mauvais Endroit au Mauvais Moment, la voltigeuse Alice Barraud raconte sa difficile reconstruction après une blessure, lors des attentats de novembre 2015. Dans un autre registre, notons la comédie musicale jouée en solo par l’homme-orchestre Ludor Citrik (en fait, sans orchestre, mais avec une langue bien pendue).

Le hip-hop se déploie sur scène depuis belle lurette. Les raisons de cette longévité s’expliquent sans doute par sa capacité de renouvellement. Entre grands noms (Ousmane Sy) et nouvelle génération de chorégraphes féminines (Lila Magnin et Samantha Mavinga), Charleroi Danse témoigne de cette vitalité avec une belle sélection de spectacles. À l’image du solo du Bruxellois Milø Slayers, interrogeant la notion de monstruosité en mêlant danse, cinéma, peinture ou philosophie. Sacré remix.

Lille, Haubourdin & Tournai, 13 > 15.11 Le Prato & divers lieux, 15 > 5 €, leprato.fr / 13.11 : Ludor Citrik • au Mauvais Endroit au Mauvais Moment // 14.11 : Flaque 15.11 : Family Circus #7

PROGRAMME

Charleroi, 25 > 28.11, Les Écuries 1 spectacle : 5 €, www.charleroi-danse.be / 25.11 : the #roof is on fire • Au Fil du Temps // 27.11 : Monstrare et/ou Monere // 27 & 28.11 : Dress Code 28.11 : Queen Blood

SÉLECTION

LES TURBULENTES DE (PRESQUE) L’HIVER Annulées en mai, les Turbulentes n’ont pas dit leur dernier mot. Histoire de résister aux premiers frimas de l’hiver, on se love au creux du Boulon pour y admirer le Théâtre Magnetic détournant les 3 Petits cochons avec des peluches, ou encore le Magnifique bon à rien. Dans la peau d’un manutentionnaire cinéphile, Nicolas Moreau rejoue à lui seul les scènes cultes du Bon, la brute et le truand de qui vous savez, avec ses propres moyens : 10 planches, 20 caisses en bois et 30 ballons de baudruche – oui, c’est gonflé. Vieux-Condé, 04 > 06.12, Le Boulon, gratuit, leboulon.fr / Chicken Street : Le Magnifique bon à rien • Théâtre Magnetic : Et les sept nains • Pudding Théâtre : L’épouvante • La Famille Goldini : On te vous dit tout quand même ! • Cie Vendaval : Bleu silence… théâtre & danse – 122 PROGRAMME



MISERY

Cathy Grosjean © Camelia Brieuc

William Goldman / Stephen King Qui n’a pas été effrayé par ce classique horrifique de Stephen King, et la prestation de Kathy Bates dans l’adaptation au cinéma de Rob Reiner ? Si l’interprétation de Cathy Grosjean dans le rôle d’Annie (la lectrice psychopathe) promet son petit frisson, la mise en scène de William Goldman vise autre chose. Dans ce huis-clos terrifiant, il s’agit aussi du jeu malsain (et parfois drôle) entre un auteur et son public. Les affres de la création, et sa confrontation (brutale) à la réalité… Bruxelles, jusqu’au 15.11, Théâtre Royal des Galeries mar > dim : 20 h 15 (matinée : 15 h), 26 > 10 €, trg.be

HARLEM QUARTET

LE JOUEUR DE FLÛTE

Hall Montana, le narrateur, détaille à son fils le passé de sa famille (noire américaine) dans le Harlem des années 1950. Il fait notamment revivre Arthur, son frère, chanteur de gospel et homosexuel, disparu tragiquement… Il fallait un certain culot pour adapter ce chef-d’œuvre (très autobiographique) de James Baldwin. Elise Vigier n’en manque pas. Entre extraits du texte original, musique et vidéo, six interprètes (dont Ludmilla Dabo) racontent une histoire empreinte de violence, d’amour et de combat pour les droits civiques.

Après la Petite fille aux allumettes, Joachim Latarjet propose une nouvelle lecture d’un classique des frères Grimm : Le Joueur de flûte de Hamelin. L’histoire est connue. Un musicien libère une ville de ses rats grâce à des mélodies envoûtantes. Les notables refusant de le payer, il emmène les enfants... Ici, notre héros joue du trombone dans une ville contemporaine, où la surconsommation est reine et les déchets s’accumulent... Mêlant théâtre, musique et vidéo, la pièce souligne avec malice la cupidité des adultes.

Elise Vigier / James Baldwin

Lille, 04 > 08.11, Théâtre du Nord mer > ven : 18 h • sam & dim : 16 h, 25 > 8 € www.theatredunord.fr

Joachim Latarjet / Les frères Grimm

Béthune, 04 > 06.11, La Comédie, 18 h 30, 20 > 6 € // Norrent-Fontes, 09.11 Marles-les-Mines, 10.11 // Annequin, 11.11 Divion, 12.11 // Aire-sur-la-Lys, 13.11 horaires : comediedebethune.org

L’APOCALYPSE SELON GÜNTHER [Louise Wailly / Cie Protéo] Nous sommes le 6 août 1945. Le pilote américain Claude Eatherly largue la première bombe atomique sur Hiroshima. Comme tant d’autres, une famille américaine assiste en direct à "l’événement" à travers l’écran de sa télévision, et va elle aussi exploser... Inspiré des textes du philosophe Günther Anders (qui a entretenu une correspondance avec le repenti Eatherly), ce huis clos télescope "middleclass" et apocalypse, rires et frissons, pour tendre un drôle de miroir à l’humanité. Hénin-Beaumont, 07.11, L’Escapade, 17 h, 12 / 9 €, www.escapadetheatre.fr Armentières, 25.11, Le Vivat, 19 h, 18 > 2 €, www.levivat.net



FIN DE PARTIE [Les Fous à réAction / Beckett] Les Fous à réAction n’en ont pas fini avec Beckett. Après En attendant Godot, ils s’attaquent à Fin de partie. Dans cette pièce créée en 1957, le génie de l’absurde mettait en scène quatre personnages handicapés dans un monde post-apocalyptique. À l’heure du dérèglement climatique et du Covid, cette peur de l’effondrement ressurgit. Enfermés dans un refuge, ces lambeaux d’humanité s’ennuient à mourir, résistent au temps qui passent, entre bons mots et gags ratés. Ils continuent à exister… © Xavier Cantat

Dunkerque, 09 > 12.11, Le Bateau Feu, 19 h, 9 €, lebateaufeu.com // Lille, 21 > 23.01.2021, La Verrière jeu & sam : 19 h • ven : 14 h 30 & 20 h, 12 > 6 €

[KØR]

Thomas Suel & Gaëlle-Sara Branthomme Au carrefour de la musique, du texte et du théâtre, Thomas Suel et GaëlleSara Branthomme donnent vie à notre plus grand dénominateur commun : le corps (soit [kør], en écriture phonétique). Celui-ci apprend à se connaître, découvre les autres (les corps-à-corps) et un incessant mariage des contraires (des histoires de cœur). Dans un décor épuré, ce duo pour voix et violoncelle offre à voir et à entendre une métaphore sensorielle de la vie – ou une belle résurrection. Armentières, 12.11, Le Vivat, 19 h, 18 > 2 € www.levivat.net

LES FORTERESSES [G. Shaheman] Marqué par son départ de l’Iran, Gurshad Shaheman développe un singulier récit : le sien, celui de l’exil. Figure du "théâtre de l’intime", il donne cette fois la parole à trois femmes, soit sa mère et ses tantes, prises entre la révolution de 1979, l’islamisation de leur pays et la guerre contre l’Irak. Sur fond de musique électroacoustique et de conversations persanes, entre Lille, Francfort et Téhéran, ces trois monologues entremêlent la petite et la grande histoire. La nôtre, finalement. Valenciennes, 20 & 21.11, Le Phénix, 21 > 8 €, horaires : www.lephenix.fr // Amiens, 24 & 25.11, Maison de la Culture, mar : 19 h 30 • mer : 20 h 30, 21 > 8 € // Maubeuge, 27 & 28.11, Le Manège, 12 / 9 €, horaires : lemanege.com

LA LOI DE LA GRAVITÉ

Cécile Backès / Olivier Sylvestre C’est l’histoire d’une fille masculine et d’un garçon féminin. Dom et Fred ont 14 ans. Ils habitent à Presque-la-Ville, une banlieue morne où la norme écrase les vies et proscrit les différences, surtout quand elles font mauvais genre... Publié en 2017, La Loi de la gravité est le récit universel de l’émancipation. Cécile Backès porte sur scène ce beau texte du Québécois Olivier Sylvestre. Elle place ses deux interprètes au sommet d’un grand billboard, et ouvre de poétiques horizons. Béthune, 24 > 27.11, La Comédie (Le Palace), 20 > 6 €, horaires : comediedebethune.org théâtre & danse – 126



QUEEN BLOOD [Ousmane Sy / Paradox-sal] Figure française de la house dance, le chorégraphe Ousmane Baba Sy dirige ici sept interprètes de Paradox-Sal, un crew 100 % féminin. Chacune dans leur style, du dancehall au popping en passant par le krump, elles interrogent via leurs gestes la notion de féminité. Scindé en deux tableaux, l’un rythmé par des musiques acoustiques et l’autre par des sonorités électroniques, ce spectacle mêle solos, duos et mouvements d’ensemble, à la croisée de l’intime et du collectif. © Timothee Lejolivet

Liège, 25.11, Manège de la Caserne Fonck, 19 h, 23 > 5 € theatredeliege.be // Charleroi, 28.11, Les Écuries, 20 h 30 5 €, www.charleroi-danse.be

TWICE # 2 [Alexander Vantournhout Hafiz Dhaou & Aïcha M’Barek]

4M2

Initié en 2019, le projet Twice invite deux chorégraphes à créer des spectacles de danse "jeune public". Après Emmanuel Eggermont et Robyn Orlin, voici donc deux nouvelles pièces. Le Belge Alexander Vantournhout met en scène une interprète dont les mouvements sont bridés par des vêtements inconfortables (costumes avec épaulettes, corsets, talons et jupes moulantes). Les Tunisiens Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek s’intéressent eux à la figure du funambule, magnifiant une recherche (universelle) de l’équilibre.

Quatre mètres carrés : ce fut le nombre d’or de la sacro-sainte distanciation physique. De cette injonction sanitaire, Sylvain Groud a tiré une pièce hors norme. Le directeur du Ballet du Nord a imaginé un dispositif prenant la forme d’un vaste labyrinthe. Les spectateurs serpentent dans ce dédale où sont "confinés" dix interprètes, chacun dans une aire de deux mètres sur deux, derrière des vitres transparentes. Autonomes, ces soli magnifient les notions de liberté de mouvement dont nous fûmes privés.

Roubaix, 26 > 28.11, Le Gymnase, jeu : 14 h 30 & 19 h, ven : 10 h & 14 h 30, sam : 16 h, 10 > 5 € www.gymnase-cdcn.com

(Sylvain Groud)

Lens, 27.11, Scène du Louvre-Lens, 5 € horaires : louvrelens.fr

ICH BIN CHARLOTTE (Steve Suissa / Doug Wright) Connaissiez-vous Charlotte von Mahlsdorf ? Née "Lothar" en 1918, donc transgenre, cette icône de la pop culture berlinoise parvint à traverser le nazisme puis le communisme (soit deux régimes pas très "ouverts") sans jamais se cacher. Mieux : en affirmant sa différence. Comment réussit-elle cet exploit ? Cette pièce s’appuie sur l’enquête menée par deux Américains et offre un rôle époustouflant à Thierry Lopez, qui incarne seul une trentaine de personnages. Un portrait fascinant. Calais, 01.12, Grand Théâtre, 20 €, horaires : www.spectacle-gtgp.calais.fr



mot de la fin

Peter Falk © James Cook

Le

JAMES COOK

jamescookartwork.com, @jamescookartwork

Que faire avec une machine à écrire ? Dessiner, pardi ! Ce jeune Anglais utilise les 43 touches de son antédiluvienne bécane pour exécuter des scènes ou portraits comptant plus de 100 000 caractères. Parmi ses créations, on trouve Tom Hanks, l’inévitable Bill Murray ou ce brave Colombo, dont le sourire ne laisse pas indifférent – sa femme le lui dit souvent.




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