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Boucle (la

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Bertone (Marcel

Bertone (Marcel

LA BOUCLE

Il y a longtemps de ça, j’ai grabotté* dans de vieux livres pour tâcher moyen* d’éclairer ma lanterne sur la Boucle. Tout un chacun connaît son nom, comme de bien s’accorde*, mais moi je voulais en connaître l’origine et je pense avoir décamotté* l’affaire… Alors, le fameux mercredi tantôt, que tombait une singotte* attenant, mes petits gones* m’ont à nouveau tirepillé* la manche en me disant : – Dis pipa* et si tu nous racontais une histoire de ta Croix-Rousse? – Sur quoi voulez-vous bien que je japille*, mes belins*? – Pourquoi que pour une descente, il nous faut prendre une montée? – Voilà ben mes gones* une question que vaut son pesant de gratons* et à laquelle il sera bien difficile de répondre. À la Croix-Rousse, à Saint-Just et mêmement à Vaise dès qu’y a une côte on la nomme montée… Peut-être que ça image mieux l’effort qu’il nous faudra manquâblement* fournir pour aller de l’en-bas* jusqu’à l’en-haut*. Cependant, dans nos cadoles* on monte ou on descend les escayers*; même si le monde enquille*, dans les deux sens, la montée d’escayers*! C’est ainsi et pourtant au temps jadis des autrefois* on ne causait pas de montées, mais de chemins. Du depuis* le Plateau, les deux principaux étaient côté Saône, la MONTÉE DE SERIN qu’on appellera plus tard les Esses, et côté Rhône, le chemin de la Boucle. Dans les en-bas* des deux se trouvait un port, fort utile aux croix-roussiens. – Un port avec des bateaux? – Ben comme de bien s’accorde, grande bugne*! Et pis, Fifi, ne met don’ pas ton laridet* dans le picou*, ça l’air de quoi, grand sâle*; quant à toi, espèce de grand gognand*, reste pas pique-plante*. Mets-toi à cacaboson* ou à croupeton* comme les autres.

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Des bateaux y en avait à regonfle*… surtout des moulins pour moudre le blé ou le maïs. La farine à c’t’époque, blanche ou jaune, servait d’aliment de base, comme les matefaims* ou la soupe de gaudes*. Entremi*, se plaçaient de plattes ousque les fenottes* venaient laver le linge. – Il n’y avait pas de machine à laver? – Oh! que non. Ces engins moderniques, c’est pas si tant vieux*. Avant les memans* charriaient sur des carrioles leur linge à décochonner*. Pour aller, c’était pas tant lourd, par contre, en se rentournant* le linge était tout trempe* et pesait pas la même. Tenez les mamis*, mon grand, qu’y tenait cette histoire de son grand qui lui-même la tenait de son pipa*, me bajaflait* que son aïeul avait vu, de ses quinquets* vu, la glace bloquer tout un hiver

le port en question. À la débâcle, aque le bois encuchonné, les bateaux ne pouvaient bouger ni pied ni patte. Alors, les gones, qu’avaient leurs agotiaux* bien pourvus en commodes, récupéraient, remontaient et entreposaient le bois sous un chapit* pour le faire sécher. De par après*, on le distribuait aux familles que n’avaient pas rien de pécuniaux* à se cacher contre. On ne déprofitait* rien.

Une autre fois, des mariniers, quèques* peu tarabates*, plaçaient leur bateau à la va comme je te pousse. Aussi, les ceusses* que voulaient seulement se déplacer ne pouvaient plus le faire. Ça gongonnnait* attenant. Devant ce sicoti*, le maire et ses adjoints décidèrent de fixer une boucle dans la roche du port. Durant quèques temps* y n’y a plus eu d’embiernes*. Les croix-roussiens y ont trouvé bien pratique et on chenusement* donnés à leur chemin le nom de la Boucle. Un chemin tout en terre et gadins*. Quand y tombait sans décesser des radées*, des trous grands comme des coquelles* se formaient tout au long du parcours. Y fallait alors trouver quèques gones* de bons commands* pour les reboucher… Le chemin de la Boucle n’était pas aussi large qu’aujor d’aujord’hui*. Dans le temps il était large comme un drap de lit. Y partait du port, montait censément en ligne droite, pis aux deux tiers de la montée, virait un tant soit peu sur la gauche pour déboucher franc* au croisement ousqu’y a* de nos jours la croix.

Dans les années quatre-vingts, de 1900 s’entend, la Boucle est deviendu* mieux droite. Côté du port qu’est matenant* une place, reste une plaque bleue que rappelle que le chemin de la Boucle commençait là et au bout du bout le tronçon restant a été débaptisé, pour prendre le nom d’un illustre inconnu que personne ne connaît! Un peintre né à l’étranger, à Caluire… Toujours en ce temps-là, on a abousé* le vieux pont de la Boucle que permettait, à nous autres les canuts, de trabouler* jusque dans le 6e. Il datait de 1904, tout en fer métallique qu’il était et composé de trois boucles. Avant on traversait grâce au bac à traille. En 1966, le Zizi* (Louis Pradel, 1906-1976) a décrété de donner au pont, le nom du premier menistre* anglais, le Winston Churchill. Va-t’en y écrire, va-t’en y dire*. Du coup, nous autres les vieux on s’est pas embarrassé et on s’embarrasse toujours pas, on continue benoitement de l’appeler le pont de la Boucle. Y ne faut pas toujours vouloir effacer des tranches historiques du passé d’une ville. Enfin, en 1983, on a défait les boucles, le pont est parti aux équevilles* et moi je boucle… ici mon histoire! – Dites les gones*, si qu’on faisait quatre heures vous l’avez pas rien volé? – Oh! oui pipa*, mais on reviendra te voir quand on aura pas école. Surtout qu’on apprend mieux avec toi qu’avec la maîtresse!

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