5 minute read

Butin (Jean

Next Article
Boucle (la

Boucle (la

compter au moins trois heures. Et c’est là que tout commence. Vous prélevez un pâton pas trop gros, pas trop petit, juste ce qu’il faut… Vous farinez votre table et avec le rouleau vous étirez bien la pâte. Faut quasiment voir les fleurs de la toile cirée au travers. Attention! Pas trop mince, pas trop épaisse. Avec votre roulette de buis à éperon, vous découpez des rectangles et au mitan vous faites une fente, toujours avec l’éperon. Puis, dans votre huile chaude à souhait, vous laissez choir vos morceaux de pâtes. Les voilà qui rejoignent le fond de la bassine… en moins de temps qu’il faut pour le dire, ils remontent les uns après les autres à la surface et là, des gonfles*, des boursouflures quoi, surgissent sur chaque morceau de pâte. D’un coup de fourchette vous leur faites faire la cupelette*. Laissez-les le temps qu’il faut, pas trop, pour que vos bugnes soient dorées et belles comme de la dentelle. Vous les sortez, les posez sur un plat de service et vous les saupoudrez de sucre, semoule ou glace, mais ne les blanchissez pas comme le mont SaintRigaud un matin d’hiver quand la neige est au rendez-vous. Nous, on y craint!

C’est friable, c’est bon, ça fond en bouche, du coup on en reprend. En trois mots, c’est un moment de bonheur qu’un croix-roussien n’échangerait pas pour tout l’or du monde!

Advertisement

JEAN BUTIN

C’est un vrai gone*, né au bas des Pentes, à proximité de l’Hôtel de Ville, du Grand Théâtre et de la mémorable brasserie Kléber, place de la Comédie, le 7 décembre 1927, ou plutôt le 8, comme il le revendiquait malicieusement, soulignant ainsi son attachement à la ville de Lyon et à ses traditions. Jean Butin est d’abord l’élève de l’école primaire Michel Servet près de la place CroixPaquet, puis, après l’installation de ses parents dans le quartier Jean Macé, de l’école Berthelot. Il poursuit de brillantes études au lycée Ampère jusqu’au baccalauréat, puis au lycée du Parc, en «khâgne». Il y bénéficiera de l’enseignement d’illustres maîtres : Victor-Henri Debidour (1911-1988), Jean Lacroix (1900-1986), Joseph Hours (1896-1963). Agrégé ès lettres classiques, Jean Butin fera carrière entre le lycée du Parc et le lycée Saint-Exupéry.

Résidant alors rue Thévenet, il deviendra un familier de la Croix-Rousse, de ses horizons et de ses rues, souvent évoqués par un autre bon gone, ROBERT LUC (1943-2017). Les origines lyonnaises de Jean Butin, sa passion pour la littérature, l’Occupation et la Libération, le poussent à s’intéresser à Henri Béraud (1885-1958). Cet auteur et ce chroniqueur émérite, contemporain

des deux guerres dont les engagements littéraires et politiques discutables, ainsi que l’antisémitisme, vont lui valoir, à la Libération l’opprobre de ses victimes et une condamnation à mort, commuée par Charles de Gaulle (18901970), en emprisonnement et résidence forcée à l’île de Ré. Circonstances qui à Paris comme à Lyon interdisent d’évoquer l’œuvre et la mémoire de ce double prix Goncourt, de l’auteur à succès de La Gerbe d’Or, mais aussi des Lurons de Sabolas, du Martyre de l’obèse, de Ciel de Suie… Jean Butin prend le risque de réhabiliter sa mémoire et son œuvre avec cette objectivité, ses scrupules de chercheur, et cette aisance d’écriture qui l’honorent et l’ont distingué. Cette audace lui vaudra sans doute l’hostilité des auteurs littéraires en place et des tribunaux universitaires, mais, à l’honneur de l’Académie française en 1979, le Grand Prix de la Critique, pour son exemplaire Biographie d’Henri Béraud qui fait encore référence. Publiée par les Éditions Horvath à Roanne, elle relancera l’intérêt pour tel ou tel chef-d’œuvre du réprouvé…

De ce Plateau croix-roussien, où il enseigne et réside, Jean Butin parcourt quotidiennement les rues et les places. Silhouette mémorable, curieux, attentif, il observe, écoute au détour d’une rue, d’une terrasse de café, les détails de la vie croix-roussienne dont il connaît bien l’histoire mouvementée et la culture. Aussi, lors de la fondation de la RÉPUBLIQUE DES CANUTS en 1986, il est tout naturellement sollicité au poste de ministre des Arts et des Lettres dans ce singulier gouvernement. Il multiplie les chroniques dans la Feuille de vigne, organise des voyages littéraires sur les traces de JOSÉPHIN SOULARY (181518891), Alphonse de la Lamartine (1790-1869) ou Nizier du Puispelu (18271894). En 1995, lors du changement de gouvernement, Jean Butin devient ministre de la Culture. Il préside au PRIX CANUT désormais recherché. C’est un collègue et ami, Michel Evieux, qui lui succèdera 7 ans plus tard.

Au cours de sa longue vie, il écrit et publie beaucoup : Lyonnais célèbres (4 tomes), Lyonnais de l’aventure, Ces Lyonnaises qui ont marqué leur temps… En 2004, Jean Butin se voit lui-même honoré du prix Canut qui couronne modestement, mais à juste titre, une œuvre déjà considérable. Il est le conférencier habituel d’associations culturelles et patrimoniales comme : Soierie Vivante, L’Esprit Canut, Rencontres Pierre Marion, où il développe des sujets fort documentés dont les VORACES, PIERRE DUPONT, etc.

C’est lui qui, dans la Grande Encyclopédie de Lyon et des Communes du Rhône (Horvath 1983), rédige le grand chapitre littéraire. Sur son insistance, il obtient de la municipalité lyonnaise l’attribution de la médiathèque de Vaise à celle qui, en 1831 et 1834, se fit l’inoubliable écho du «Cri des Canuts»,

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859). C’est lui qui fait apposer une plaque rue Calas, à l’endroit où cohabitèrent deux étudiants devenus célèbres : Frédéric Dard (1921-2000) et Francisque Collomb (1910-2009). Il obtient encore l’appui de la municipalité croix-roussienne pour faire ajouter sur les «plaques bleues» des rues HÉNON et Perrod les prénoms de ces deux illustres lyonnais.

Tout comme son ami intime, Georges Rapin, autre chroniqueur fécond de l’histoire ancienne et contemporaine de la Croix-Rousse, Jean Butin aura joué un rôle remarquable dans la transmission et la défense de l’identité lyonnaise en bas et en haut des Pentes, jadis et naguère.

Quand Jean Butin nous a quittés le 26 mars 2021, il parachevait un dernier opuscule consacré à son cher Charles Baudelaire (1821-1867), si lié à Lyon durant ses quatre années passées rue d’Auvergne. Titulaire des Palmes académiques, Jean Butin pourrait prétendre à plus de reconnaissance officielle de sa ville et de son quartier. Nul n’est prophète en son pays, mais on peut légitimement souhaiter qu’au moins une rue de sa chère Croix-Rousse porte un jour son nom.

This article is from: